Recherche qualitative originale – Étude qualitative sur les facteurs qui entravent et ceux qui facilitent le travail des médecins de famille devant prescrire des opioïdes contre la douleur chronique non cancéreuse

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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : juin 2021
ISSN: 2368-7398
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Joshua Goodwin, M.D.Note de rattachement des auteurs 1; Susan Kirkland, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2
https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.6.03f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Rattachement des auteurs
Correspondance
Susan Kirkland, Département de santé communautaire et d’épidémiologie, Centre de recherche clinique, 5790, avenue University, Halifax (Nouvelle-Écosse) B3H 1V7; tél. : 902-494-1235; courriel : susan.kirkland@dal.ca
Citation proposée
Goodwin J, Kirkland S. Étude qualitative sur les facteurs qui entravent et ceux qui facilitent le travail des médecins de famille devant prescrire des opioïdes contre la douleur chronique non cancéreuse. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2021;41(6):202-10. https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.6.03f
Résumé
Introduction. Les méfaits causés par les analgésiques opioïdes sur ordonnance constituent un grave problème de santé publique à l’échelle internationale. Des statistiques récentes font état d’une augmentation du nombre de décès associés à la prise d’opioïdes à travers le Canada. Or les médecins de famille canadiens semblent ne pas disposer des ressources suffisantes pour prescrire efficacement et sans risque les analgésiques opioïdes destinés au traitement de la douleur chronique non cancéreuse (DCNC).
Méthodologie. Au moyen d’entrevues semi-structurées avec huit médecins de famille en Nouvelle-Écosse, nous avons réalisé une étude qualitative sur les facteurs qui entravent et ceux qui facilitent une prescription d’opioïdes efficace et sans risque par les médecins de famille aux patients atteints de DCNC. Une analyse thématique a permis de dégager ces facteurs.
Résultats. Les médecins de famille interrogés ont mis en évidence plusieurs enjeux posés par la prescription d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC : la complexité du traitement de la DCNC, le risque de dépendance et les outils de prescription, la formation des médecins, la relation médecin-patient, le suivi et le contrôle des ordonnances et enfin certains facteurs systémiques.
Conclusion. Les médecins de famille disent ne pas recevoir de soutien adéquat quant à la prescription d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC et pensent qu’une approche intégrée et coordonnée visant à soutenir les médecins prescripteurs pourrait les aider.
Mots-clés : opioïdes, médecins de famille, douleur chronique, dépendance
Points saillants
- La prescription d’analgésiques opioïdes pour soulager la douleur chronique non cancéreuse (DCND) représente un ensemble complexe d’enjeux : la complexité du traitement de la DCNC, le risque de dépendance, la formation des médecins, la relation médecin-patient, le suivi et le contrôle des ordonnances ainsi que certains facteurs systémiques.
- Les médecins de famille et les patients doivent avoir accès rapidement à des spécialistes du traitement de la douleur.
- Un système intégré complet destiné à soutenir le traitement de la DCNC, qui fournirait des outils de communication entre pairs et qui donnerait accès à une équipe de spécialistes du traitement de la douleur, est nécessaire pour appuyer les médecins de famille et les patients.
Introduction
On a comptabilisé 16 364 décès associés aux opioïdes au Canada entre janvier 2016 et mars 2020Note de bas de page 1. La Nouvelle-Écosse estime à 57 le nombre de décès confirmés ou probables par intoxication aiguë aux opioïdes sur son territoire en 2019 et à 45 le nombre de décès par surdose d’opioïdes sur son territoire en 2020Note de bas de page 2.
En 2018, près d’un Canadien sur huit se voyait prescrire des opioïdesNote de bas de page 3. En 2010, environ 86 % des médecins de famille canadiens ont prescrit des analgésiques opioïdes sur ordonnance pour traiter la douleur chronique non cancéreuse (DCNC) chez au moins un de leurs patientsNote de bas de page 4. Une enquête plus récente, menée de mai 2018 à octobre 2019, a révélé que 89 % des médecins de famille avaient déjà prescrit des analgésiques opioïdes pour traiter la DCNCNote de bas de page 5.
Une revue systématique de 14 études sur le respect par les médecins des lignes directrices sur la prescription de médicaments pour traiter la DCNC, effectuée en 2015 en Australie, au Canada, en France et aux États-Unis, a révélé qu’un pourcentage important de médecins ne suivaient pas ces lignes directrices. Ceci est explicable en grande partie par le fait que les médecins ne connaissent pas l’existence de ces lignes directrices, par le fait que les lignes directrices sont difficiles à mettre en œuvre dans la pratique et par le fait que les médecins ne sont pas suffisamment formés sur le traitement de la douleur par analgésiques opioïdesNote de bas de page 6. Les dernières lignes directrices canadiennes largement suivies sur la prescription d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC sont celles publiées par le National Pain Centre de l’Université McMaster en 2017Note de bas de page 7. Une étude de 2020 fondée sur une enquête portant sur l’incidence de ces lignes directrices sur les médecins du Canada a révélé que les répondants la connaissaient en majorité et que, d’après certaines données, les médecins avaient adapté leurs pratiques pour mieux tenir compte des données probantes sur le traitement de la DCNCNote de bas de page 8.
D’après des données de 2014 et 2015 sur l’Ontario, la majorité des ordonnances d’analgésiques opioïdes sont délivrées par des médecins de famille (38,4 %) et par des dentistes (16,7 %)Note de bas de page 9. Comme les médecins de famille jouent un rôle important dans la prescription d’opioïdes, l’étude de leurs pratiques en matière de traitement de la DCNC est utile pour savoir comment adapter les politiques et les services de soutien afin de rendre la prescription d’opioïdes pour le traitement de la DCNC aussi sûre et efficace que possible dans un contexte de hausse des méfaits liés aux analgésiques opioïdes sur ordonnance. Des études qualitatives internationalesNote de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12Note de bas de page 13 et ontariennesNote de bas de page 14Note de bas de page 15 ont répertorié les principaux facteurs qui entravent et ceux qui facilitent une prescription sûre et efficace d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC par les médecins de soins primaires. Ces études ont révélé un haut niveau de complexité dans les relations entre les patients atteints de DCNC et leurs fournisseurs de soins. Les médecins de soins primaires sont confrontés à la gestion complexe et coûteuse en temps du traitement de la DCNC, dans le contexte d’horaires souvent chargés en consultation externe en médecine familialeNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14. Une étude qualitative a révélé que, grâce à des ateliers tenus par vidéoconférence comportant des discussions structurées avec des pairs et des experts de diverses professions, les médecins de famille qui pratiquent en milieu rural en Ontario ont gagné en assurance en matière de prescription d’analgésiques opioïdes et ont établi de meilleures relations avec leurs patients atteints de DCNCNote de bas de page 16.
Si on connaît mieux l’expérience des médecins de famille canadiens en matière de prescription d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC grâce à des recherches récentes dans ce domaine en constante évolution, aucune étude qualitative approfondie sur la prescription de médicaments pour le traitement de la DCNC n’a été réalisée à ce jour au Canada atlantique.
Une meilleure compréhension des facteurs qui entravent et de ceux qui facilitent la prescription sûre d’analgésiques opioïdes par les médecins de famille peut contribuer à ce que les stratégies de santé publique favorisent une prescription efficace tout en réduisant au minimum les méfaits potentiels. Une recherche qualitative de ce type peut également aider à cibler les zones à étudier plus en profondeur.
Méthodologie
Le comité d’éthique de la recherche de l’Université Dalhousie a approuvé cette étude.
Nous avons mené des entrevues semi-structurées avec des médecins de famille en exercice, sélectionnés à l’aide de la technique d’échantillonnage en « boule de neige » (c.-à-d. qu’un répondant sélectionné au départ a suggéré d’autres personnes de son entourage comme répondants et que ceux-ci en ont suggéré d’autres, et ainsi de suite). L’enquêteur (JG) a utilisé un guide préétabli (disponible sur demande auprès des auteurs). Les entrevues, en anglais, ont été enregistrées et transcrites.
Les entretiens ont porté sur :
- les principaux problèmes et défis liés à la prescription d’analgésiques opioïdes
- les types de soutien susceptibles d’être utiles à la prescription sûre et efficace d’analgésiques opioïdes.
Les transcriptions ont été analysées (par JG), dans l’ordre de leur enregistrement, au moyen d’une approche d’analyse thématique et à l’aide du logiciel Atlas.ti, version 1.5.4Note de bas de page 17. L’auteur a ensuite codé les transcriptions (chaque code étant associé à de multiples citations) et réparti les codes dans la catégorie des obstacles ou dans celle des facteurs favorables à une prescription sûre et efficace d’opioïdes destinés au traitement des DCNC. Un manuel de codage a été tenu à jour pour définir explicitement chaque code, avec prise de notes à chaque modification. Les codes ont été revus et validés par SK. Tout au long de l’analyse des données, un journal réflexif a été tenu afin de s’assurer d’une bonne transparence quant à l’influence des codeurs sur les résultats de la recherche. Certaines citations particulières ont été associées à des notes de rappel afin de surveiller l’émergence potentielle de nouveaux thèmes. Les codes ont été triés dans Atlas.ti en fonction des descriptions ayant émergé du codage puis on a vérifié l’absence de contradictions.
Des entrevues ont été menées jusqu’à ce que les données atteignent leur point de saturation. Nous avons interrogé huit répondants au total. Les deux auteurs ont décidé, par consensus à partir de l’analyse des codes et des thèmes, que le point de saturation avait été atteint, car aucun nouveau thème important n’avait émergé des trois plus récentes entrevues transcrites et analysées.
Les entrevues ont eu lieu entre août 2016 et juin 2017.
Résultats
Les répondants pratiquaient dans divers domaines (tableau 1). Cependant, les questions d’entrevue portaient uniquement sur leur expérience en consultation externe en médecine familiale.
Paramètres de l’entrevue | Caractéristiques des huit répondants |
---|---|
Date des entrevues | Août 2016 à juin 2017 |
Durée des entrevues | 35 min à 1 h 35 min |
Lieux de pratique des répondants | Halifax (Nouvelle-Écosse) (n = 6) Collectivités rurales de Nouvelle-Écosse (n = 2) |
Sexe | 3 femmes, 5 hommes |
Expérience | Entre 1 et 38 ans |
Domaines de pratique | Médecine familiale générale, cliniques sans rendez-vous, médecins suppléants, dépendances, santé mentale, gériatrie, Premières Nations |
Nombre de patients des répondants | 500 à 1000 patients |
Proportion de patients des répondants ayant des douleurs suffisamment intenses pour être traitées avec des analgésiques opioïdes sur ordonnance | 1 à 10 % (estimations des répondants) |
Au total, 67 codes ont été créés et utilisés lors de l’analyse pour regrouper les données par thèmes. Six thèmes clés sont ressortis des transcriptions d’entrevue : 1) la complexité du traitement de la DCNC, 2) les risques de dépendance et les outils de prescription, 3) la formation des médecins, 4) la relation médecin-patient, 5) le suivi et le contrôle des ordonnances et 6) les facteurs systémiques.
(1) Complexité du traitement de la DCNC
Les obstacles posés par la complexité inhérente au traitement de la DCNC sont ressortis clairement des entrevues. Les médecins de famille ont émis de nombreux commentaires sur leur difficulté à traiter les patients qui se plaignent de douleurs imprécises ou de troubles mal compris comme la fibromyalgie.
Le problème, c’est [que les opioïdes ne sont] tout simplement pas la meilleure solution à ce problème. Nous n’avons pas de bonne solution pour traiter la douleur chronique. Il faut sans doute plutôt aller vers une consultation psychologique. Les personnes peuvent avoir des incapacités et des blessures très semblables, mais des réactions très différentes à la douleur. (Médecin 7)
Selon un répondant, la subjectivité des patients quant à l’intensité de leur douleur est un aspect spécifique du traitement de la douleur qui le rend plus difficile à gérer que les problèmes visibles ou quantifiables.
Et les expériences des gens sont aussi très subjectives […] pour beaucoup de gens, les causes physiologiques de leur douleur ne sont pas claires. (Médecin 5)
Les répondants ont fait des commentaires sur la forte comorbidité entre la DCNC et les problèmes de santé mentale. Ils ont également mentionné que, dans une pratique typique de médecine familiale, le temps est souvent une entrave au traitement rigoureux de la DCNC.
Dans la collectivité [un médecin de famille] peut avoir un [rendez-vous] de cinq, sept, dix ou quinze minutes, mais ce temps alloué est trop peu, et il arrive que le patient aborde le sujet alors qu’il ne reste plus de temps. (Médecin 6)
(2) Les risques de dépendance et les outils de prescription
Les répondants ont répété à de nombreuses reprises que le fait qu’un patient ait des antécédents de toxicomanie est susceptible de limiter les options de traitement de la douleur. En effet, les médecins craignent que la prescription d’analgésiques opioïdes ne mène à une utilisation dangereuse par ces patients. Plusieurs ont aussi mentionné leurs difficultés à traiter la douleur de patients dont ils ont « hérités », à qui leur ancien professionnel de la santé avait déjà prescrit des analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC à des doses considérées comme trop élevées, certains de ces patients ayant sans doute développé des troubles liés à la consommation de substances causés par la prise de ces analgésiques.
[…] “hériter” d’un patient est difficile. Surtout s’ils suivent un traitement [avec les analgésiques opioïdes sur ordonnance] depuis longtemps : “Je prends ceci depuis 20 ans; mon autre médecin disait” ceci et cela. Il est difficile de changer leur mentalité ou même de les amener à songer à une autre option. (Médecin 6)
La plupart des répondants ont aussi souligné qu’ils choisissent de prescrire des analgésiques opioïdes à action prolongée aux patients aux prises avec des DCNC. Un répondant a mentionné que ces analgésiques posent moins de risque de dépendance, et un autre répondant a mentionné que ces médicaments ont moins de valeur sur le marché noir et qu’il y a donc moins de risque qu’ils soient détournés.
La majorité des répondants ont indiqué que, même si les outils conçus pour déterminer le risque de dépendance aux analgésiques opioïdes avant d’entreprendre le traitement sont utiles pour certains médecins, ils ne les utilisent pas dans leur pratique en raison de contraintes de temps et car ils peuvent évaluer eux-mêmes les risques en analysant les antécédents des patients. Un répondant a considéré qu’un outil normalisé d’évaluation des risques liés aux opioïdes était utile à sa pratique s’il l’utilisait conjointement avec une échelle des répercussions sur le fonctionnement et une échelle de dramatisation face à la douleur, pour évaluer si le client retirera des bénéfices des opioïdes pour traiter sa douleur.
Tous les répondants pratiquant actuellement la médecine familiale ont utilisé des contrats de traitement aux analgésiques opioïdes. La plupart ont précisé que ces contrats sont utiles pour refuser une demande d’augmentation de la dose ou du nombre de comprimés à un niveau approprié.
Ensuite, j’utilise toujours les contrats de traitement. Ils sont utiles parce que lorsque les gens ne respectent pas leur contrat de traitement, je peux le sortir [et dire] : “Vous rappelez-vous quand j’ai dit que si vous en prenez plus que ce que j’ai prescrit et que vous en manquez, je ne vous en donnerai pas plus ?” Et ils disent “Oh, oui.” (Médecin 3)
Un répondant qui travaille avec des patients des Premières Nations a précisé que les outils d’évaluation ne fonctionnent pas pour tous les groupes de patients.
Nous avons beaucoup de patients diabétiques, donc nous traitons souvent des douleurs neuropathiques. Nous avons beaucoup de patients qui ont de vieilles blessures parce que les traumatismes physiques sont un gros problème […] un taux de blessures qui, je pense, dépasse probablement la moyenne dans la population de la Nouvelle-Écosse. C’est vraiment difficile de leur faire remplir un questionnaire. Pas nécessairement à cause de la barrière de la langue, qui, j’en suis sûr, est un obstacle dans beaucoup de collectivités. Mais plutôt parce que leur culture est basée sur une tradition orale, sur la narration d’histoires. Beaucoup de contes. Et les gens ne réagissent généralement pas très bien à une série de questions. (Médecin 5)
Tous les répondants ont également mentionné avoir fait passer des tests de dépistage aléatoires de drogues dans l’urine à des patients atteints de DCNC qui suivaient un traitement avec analgésiques opioïdes sur ordonnance. Ils ont trouvé ces analyses utiles pour surveiller à la fois la consommation d’autres substances et le détournement de ces analgésiques (prouvé par leur absence dans l’urine). Avec le contrat de traitement, dans le cas de tels résultats, ils ont pu annuler la prescription d’un patient. Deux répondants ont fait remarquer que si eux-mêmes avaient un accès rapide à l’analyse d’urine par bandelette dans leur propre clinique, les médecins n’ont pas tous cette ressource et pourraient donc considérer l’obligation de devoir envoyer des échantillons d’urine à des laboratoires pour les faire analyser comme un obstacle à l’utilisation efficace de cet outil.
(3) Formation des médecins
Les répondants ont déclaré que la formation générale du programme de médecine et de médecine familiale de premier cycle n’est pas suffisamment axée sur le soulagement de la douleur. Certains d’entre eux ont donc cherché à se perfectionner dans le traitement de la douleur.
[…] nous n’avons pas eu la moindre information. Je n’ai eu aucune formation didactique sur le traitement de la douleur, à part ce que j’ai appris avec l’expérience. (Médecin 2)
Plusieurs répondants ont mentionné que si certains médecins de famille suivent l’évolution des normes de soins pour le traitement de la DCNC, d’autres prescrivent encore des analgésiques opioïdes de manière trop libérale et à des doses trop élevées, suivant en cela la mentalité répandue dans la communauté médicale dans les années 1990 selon laquelle la douleur était traitée de manière insuffisante.
Les opioïdes sont surutilisés en général. Et les doses sont souvent trop élevées. (Médecin 1)
Je pense que le gros problème pour les médecins est que l’on continue à recevoir deux messages différents. On entend, d’une part, que les médecins font partie du problème des opioïdes et, d’autre part, que nous ne traitons pas assez la douleur. Nous recevons ces deux messages en même temps. Parfois de la part des mêmes personnes. Le problème de la prescription excessive d’opiacés semble être le message qui ressort en ce moment. Mais ça aurait été l’opposé il y a 10 ans. Le fait que les médecins étaient trop réticents à prescrire des opiacés était le principal problème il y a 10 ans. (Médecin 7)
Tous les répondants connaissaient l’existence de lignes directrices sur la prescription d’analgésiques opioïdes. La plupart ont dit utiliser soit les lignes directrices de l’Université McMaster de 2010, soit celles des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) de 2016 pour orienter leur pratique. Il est intéressant de noter que la majorité des répondants considéraient les directives comme le meilleur moyen d’expliquer aux patients la raison pour laquelle ils maintenaient leur dose d’analgésiques opioïdes à un niveau donné. Les médecins ont indiqué estimer ces lignes directrices particulièrement utiles dans les cas où les patients demandent une dose supérieure à celle qu’ils jugent appropriée. Les répondants ont constaté que les patients étaient plus enclins à accepter leur réponse si elle était étayée par des données probantes tirées de lignes directrices.
Un répondant a déclaré que le respect de certaines des recommandations des lignes directrices de 2016 des CDC, en particulier la dose quotidienne maximale de 90 milligrammes d’équivalent morphine (MEM) et la suggestion de ne pas prescrire d’analgésiques opioïdes aux patients sous traitement psychiatrique, signifie que la douleur de certains patients reste insuffisamment traitée. Un autre répondant a déclaré que les directives de prescription dont on dispose, bien qu’appropriées, sont souvent difficiles à mettre en pratique en situation clinique pour les patients ayant des antécédents de dépendance aux opioïdes.
(4) Relation médecin-patient
Durant les entrevues, de nombreuses discussions ont porté sur la relation médecin-patient et sur la façon dont la confiance et la communication influencent les pratiques de prescription. Plusieurs répondants ont raconté que des patients en qui ils avaient confiance avaient fait un mauvais usage de leurs médicaments d’ordonnance ou les avaient détournés. Les répondants ont noté que de telles expériences leur ont appris à ne pas faire confiance aussi facilement à d’autres patients atteints de DCNC.
Je ne sais pas si « confiance » est le mot juste, car il y a beaucoup de patients en qui j’avais confiance qui en ont abusé. Si vous faites passer des tests de dépistages de drogues dans l’urine seulement [aux personnes] que vous soupçonnez de mauvais usage ou de détournement, alors plusieurs personnes vont passer sous votre radar. (Médecin 3)
Un répondant a raconté qu’au début de sa pratique, il se serait senti coupable de diminuer la dose d’analgésiques opioïdes d’un patient, mais que maintenant il le fait avec plus de confiance. Tous les répondants ont décrit les pressions exercées par certains patients pour que leur soient prescrits des analgésiques opioïdes. Deux répondants ont été agressés verbalement ou ont reçu des menaces de la part d’un patient qui voulait se faire prescrire des analgésiques opioïdes.
Je pense que les patients avec lesquels j’ai eu le plus de difficulté sont ceux dont j’ai hérités qui prenaient déjà de fortes doses d’opioïdes. Certains d’entre eux sont assez intimidants. Ils demandent fréquemment leur dose [ou] leur renouvellement plus tôt que prévu. Ils peuvent devenir agités ou en colère lors de discussions entourant la réduction des doses. Il y a toujours une raison pour laquelle ce n’est pas le bon moment pour faire un sevrage. Et ces raisons sont souvent, parfois, légitimes. Il peut s’agir de problèmes de santé mentale concomitants qui s’aggravent, ou d’une blessure qui fait que le moment est mal choisi pour réduire leur dose. Même lorsque vous commencez à réduire leur dose, il semble toujours y avoir une autre raison pour l’augmenter. Je pense que ces conversations font peur à beaucoup de médecins. Elles me terrifient. Lorsque je sais que je vais faire passer une [analyse] d’urine à quelqu’un qui, je le crois sérieusement, détourne les médicaments, je suis très nerveux. (Médecin 4)
Mais il n’arrêtait pas de venir à des rendez-vous et d’être agressif à ce sujet. Il était agressif verbalement et le problème était qu’il avait vraiment mal […] J’ai tout essayé. Chaque visite me rendait mal à l’aise, parce qu’à chaque fois, il me disait d’une manière agressive que je ne l’aidais pas à traiter sa douleur. (Médecin 8)
Tous les répondants ont raconté avoir « hérité » de patients qui prenaient des doses d’analgésiques opioïdes beaucoup trop élevées, prescrites par leur ancien professionnel de la santé. Les répondants devaient « sevrer » ces patients pour en arriver à une dose respectant les lignes directrices. Les répondants ont déclaré que cette mesure était habituellement mal reçue par les patients, et qu’ils trouvaient difficile de maintenir leur relation avec ces derniers lorsqu’ils devaient réduire leur dose d’opioïdes.
(5) Le suivi et le contrôle des ordonnances
Tous les répondants disent avoir éprouvé des difficultés avec des patients qui détournaient les médicaments ou en faisaient mauvais usage.
J’ai une patiente qui prend de fortes doses d’hydromorphone tous les jours, mais le résultat de son analyse d’urine avec bandelettes s’est avéré négatif hier. Nous devons donc déterminer pourquoi. Et cela arrive fréquemment. (Médecin 7)
Quatre des répondants ont raconté avoir rencontré des patients qu’ils ont soupçonnés être en quête d’un médecin de famille qui accepterait de leur prescrire des analgésiques opioïdes ou d’autres médicaments. Cela a parfois été le cas car les patients pensaient avoir affaire à un médecin débutant ou à un médecin remplaçant.
Donc, il y a beaucoup de “magasinage de médecin”. Et les gens essaient de vous tester et de voir s’ils pourraient obtenir du Dilaudid ou autre chose de votre part. J’ai l’impression, comme un professeur suppléant, qu’il faut être très strict lorsqu’on définit les limites et les attentes en débutant, et ensuite on peut en quelque sorte se détendre avec certains patients. (Médecin 3)
Les gens entendent dire qu’il y a un médecin suppléant, et il y a automatiquement des opportunistes qui viennent voir ce qu’ils peuvent obtenir de vous. (Médecin 5)
Un répondant a laissé entendre que la crainte d’être l’objet de plaintes par l’entremise d’un organisme de réglementation contribuait à le dissuader de réduire les doses ou de cesser de prescrire des analgésiques opioïdes à un patient. Quatre répondants ont déclaré qu’ils trouvaient utile le Nova Scotia Prescription Monitoring Program (NSPMP). Un répondant a mentionné que ce programme l’avait mis en garde contre deux patients soupçonnés de détournement d’analgésiques opioïdes prescrits.
Tous les répondants sauf un ont mentionné qu’ils utilisaient la méthode des intervalles de délivrance pour une utilisation sans risque des analgésiques opioïdes. Des intervalles plus courts permettent au médecin de surveiller régulièrement les patients en face à face, et des intervalles d’administration préétablis garantissent que les patients ne consomment pas plus que ce qui est prescrit et qu’ils ne détournent pas les médicaments. Un répondant a cité le cas d’un patient à qui il faisait prendre sa dose quotidienne d’analgésiques opioïdes contre la DCNC sous la supervision d’un pharmacien, afin de l’empêcher d’en faire mauvais usage. Deux répondants ont compté les capsules d’analgésiques opioïdes avec au moins quelques-uns de leurs patients atteints de DCNC pour s’assurer qu’ils prenaient leur dose de la façon prescrite.
(6) Facteurs systémiques
Les répondants ont expliqué que la réglementation de la liste de médicaments remboursés du programme d’assurance-médicaments de la Nouvelle-Écosse exige l’essai de certains médicaments anti-douleur (autres que des analgésiques opioïdes) avant d’autres médicaments qui pourraient être plus adaptés à certains patients. De plus, les listes d’attente pour les traitements couverts par la province, comme les services de physiothérapie et les cliniques de traitement de la douleur, sont excessivement longues, ce qui amène parfois les médecins à prescrire des analgésiques pendant la période d’attente. Les répondants ont également mentionné les trop longues listes d’attente pour les services en santé mentale et de lutte contre la toxicomanie.
Plusieurs répondants ont mentionné la stigmatisation comme un obstacle majeur à la prestation de soins appropriés aux patients.
J’en ai discuté avec de nombreux collègues et ils ne sont pas prêts à agir dans leur pratique comme je le fais par peur de l’intimidation. Et ils ne sont pas prêts à prescrire de la méthadone pour traiter la dépendance aux opioïdes, parce qu’ils ont peur. Et c’est bien dommage. (Médecin 4)
Je pense qu’il y a des patients qui, lorsque vous voulez avoir une discussion sur la sûreté et l’efficacité, disent : “Oh, vous pensez que je suis un drogué ?” […] Mais ce n’est pas nécessairement la raison pour laquelle j’ai cette discussion avec eux. Et oui, on l’entend beaucoup. Probablement parce qu’ils ont déjà été mal traités. (Médecin 6)
D’après notre enquête, les facteurs systémiques qui facilitent le travail des médecins sont la capacité à prescrire des cannabinoïdes pour traiter la douleur, les cliniques de soins concertés, l’accès à des spécialistes du traitement de la douleur ainsi que le soutien par les pairs pour le traitement des cas complexes de DCNC. Certains médecins de famille ont dit être d’avis que leurs collègues médecins qui n’ont pas accès à de tels services ou à un tel soutien pourraient avoir plus de difficultés avec la prescription d’analgésiques opioïdes.
Donc, au moins, dans une pratique en groupe, vous pouvez obtenir du soutien. Dans les collectivités éloignées, il n’y a d’ailleurs pas vraiment d’autres solutions que de discuter avec des collègues. Sauf qu’ils ne sont en général pas dans le même cabinet. [Mon collègue] fait partie d’un cabinet de trois médecins, mais il est très difficile pour [eux] d’avoir accès à des ressources. [Ils sont] pour ainsi dire laissés à eux-mêmes en ce qui concerne ces patients. (Médecin 7)
Certains des répondants connaissaient des médecins spécialistes du traitement de la douleur avec qui ils communiquent pour obtenir du soutien en ce qui concerne la prescription d’analgésiques opioïdes. Ils savaient qu’un bon nombre de leurs collègues n’ont probablement pas de tels contacts. Un médecin a mentionné l’utilisation d’un forum en ligne sur le traitement de la douleur à l’intention des médecins comme moyen potentiellement efficace d’avoir d’autres opinions sur des cas difficiles. Un autre répondant était toutefois d’avis que ces forums ne sont pas suffisamment privés et que le sentiment de gêne créé par le fait de demander de l’aide pourrait dissuader certains médecins de les utiliser. Cette personne a toutefois mentionné qu’une ressource téléphonique pourrait être une solution de rechange efficace.
[…] un service d’assistance téléphonique ou quelque chose du genre serait utile. Tant que c’est accessible et exempt d’obstacles, et que les médecins ne se sentent pas jugés, parce que je pense que beaucoup de médecins sont dans une situation difficile à l’heure actuelle. Et qu’ils ont peur. C’est un peu différent. Car [sur un forum] il y a cette couche supplémentaire de honte, puisque vous devez admettre que vous êtes dans le pétrin. (Médecin 4)
Analyse
Les répondants ont signalé plusieurs enjeux relatifs à la prescription d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC, soit la complexité du traitement de la DCNC, le risque de dépendance et les outils de prescription, la formation des médecins, la relation médecin-patient, le suivi et le contrôle des ordonnances et enfin certains facteurs systémiques. Les discussions entourant ces défis ont suscité de fortes émotions chez de nombreux répondants lors des entrevues.
Dans leur étude ethnographique américaine de 2012, Crowley-Matoka et TrueNote de bas de page 18 ont décrit en détail les défis émotionnels auxquels font face les cliniciens à qui on demande de traiter la douleur efficacement tout en faisant face aux jugements du grand public sur la « prescription excessive » de médicaments analgésiques.
Nos constatations concordent en grande partie avec les études qualitatives antérieures sur les médecins de famille prescrivant des opioïdes pour traiter la DCNC réalisées ailleurs au Canada et dans le monde. Au Canada, seulement deux études de ce genre ont été menées, toutes deux en Ontario et par la même équipe de rechercheFootnote 14Footnote 15. Trois autres études qualitatives canadiennes ont examiné la prescription d’opioïdes du point de vue des spécialistes du traitement de la douleur en OntarioNote de bas de page 19 ou de celui de fournisseurs de soins non médecins en milieu de soins de longue duréeNote de bas de page 20Note de bas de page 21.
En dehors du Canada, les études confirmant nos résultats indiquent que les obstacles à la prescription sûre et efficace de médicaments contre la DCNC sont la complexité du traitement de la douleur chronique, les risques de dépendance inhérents aux analgésiques opioïdes, le manque de formation sur le traitement de la DCNC, les relations délicates médecin-patient et divers facteurs systémiques comme les listes d’attenteNote de bas de page 22Note de bas de page 23Note de bas de page 24. Les deux études menées en Ontario par Desveaux et ses collaborateurs ont également fait état des mêmes obstaclesNote de bas de page 14Note de bas de page 15.
Les principaux facteurs facilitant une prescription sûre et efficace que nous avons cernés dans le cadre de notre étude sont également mentionnés dans la littérature hors Canada. Ces facteurs sont notamment l’existence de lignes directrices sur la prescription et la disponibilité pour les prescripteurs d’outils comme les contrats de traitementNote de bas de page 10Note de bas de page 13. Alors que Krebs et ses collaborateursNote de bas de page 25 ont constaté dans leur étude qualitative que les médecins de soins primaires aux États-Unis considéraient la surveillance de la prise d’opioïdes comme étant en grande partie incompatible avec leur rôle, les répondants à notre étude pensaient quant à eux que le NSPMP est utile à l’exercice de leur profession. Par ailleurs, les répondants à notre étude n’ont pas mentionné, comme l’avaient fait les répondants à l’étude de Krebs et ses collaborateursNote de bas de page 25, que la surveillance du traitement par analgésiques opioïdes au moyen d’analyses d’urine et de contrats de traitement pourrait perturber l’efficacité de la relation thérapeutique. Les répondants aux deux études qualitatives de 2019 réalisées en Ontario ont mentionné l’utilisation d’analyses d’urine dans leur pratique, mais ils ont laissé entendre que faire passer ces tests augmentait les tensions entre eux et leurs patientsNote de bas de page 15 ou qu’ils n’étaient pas utilesNote de bas de page 14. Buchman et HoNote de bas de page 26 ont signalé que, malgré le manque de données probantes sur l’utilisation des contrats de traitement aux analgésiques opioïdes, ces derniers sont largement utilisés mais pourraient miner la relation thérapeutique entre le médecin et le patient.
Nos résultats sont également conformes à ceux de Latimer et collab.Note de bas de page 27, qui suggèrent que les cliniciens pourraient améliorer leur compréhension de la douleur des patients mi'kmaq s’ils prenaient le temps d’écouter « l’histoire » complète de cette douleur, puisqu’il est possible que ces derniers ne la décrivent pas avec les adjectifs et les échelles numériques qu’utilisent généralement les cliniciens pour déterminer leurs plans de traitement. Ces informations seraient ensuite utilisables pour orienter le diagnostic et choisir le traitement approprié.
La plupart des répondants ont déclaré que les directives constituaient un support dans la prescription sûre et efficace d’analgésiques opioïdes. RenthalNote de bas de page 28 a souligné que les lignes directrices des CDC, publiées en 2016Note de bas de page 29, avaient remis les pendules à l’heure en rendant plus strictes les consignes entourant la prescription d’analgésiques opioïdes. Les plus récentes lignes directrices canadiennes du National Pain Centre de l’Université McMaster (publiées en 2017) constituent une mise à jour des lignes directrices de 2010. Les dix recommandations qui s’y trouvent portent sur les traitements de première ligne, le traitement par analgésiques opioïdes en cas de trouble lié à l’abus de substances, les troubles psychiatriques, les antécédents de trouble lié à l’abus de substances, la posologie, la diminution progressive et enfin le renouvellement des ordonnances pour analgésiques opioïdesNote de bas de page 7.
L’enquête de Furlan et ses collaborateurs effectuée auprès de médecins de famille du Canada en 2018 et publiée en 2020 a révélé que la majorité des répondants utilisaient régulièrement deux des douze pratiques préconisées par les lignes directricesNote de bas de page 5. Cette enquête, qui faisait suite à une enquête semblable menée en 2010, a révélé que l’utilisation par les répondants du dépistage de drogues dans l’urine était passée de 22 % en 2010 à 57 % en 2018Note de bas de page 5. Toutefois, ces conclusions ne sont pas généralisables à la Nouvelle-Écosse, étant donné que l’enquête de 2018 ne comptait qu’un seul répondant pratiquant la médecine dans cette provinceNote de bas de page 5. (Le dépistage de drogue dans l’urine est mentionné dans un énoncé directeur plutôt que sous forme de recommandation dans les lignes directrices de l’Université McMaster de 2017, en raison du manque de données probantes sur son utilisationNote de bas de page 7.)
Bien que les médecins de famille du Canada adoptent de plus en plus, depuis 2010, certaines pratiques fondées sur des lignes directrices sur la prescription de médicaments, et ce, grâce à la création de celles-ci et à leur diffusionNote de bas de page 5, les problèmes systémiques que nous avons relevés dans notre étude ne sont pas faciles à résoudre. Nos résultats indiquent que, même si certains médecins de famille ont accès à un soutien auprès de pairs et de spécialistes pour les appuyer dans la prescription de médicaments pour les cas difficiles, d’autres doivent placer leurs patients sur de longues listes d’attente pour obtenir du soutien parce qu’ils ne connaissent pas de collègues ni de spécialistes bien informés sur le sujet. Les temps d’attente prolongés ne se limitent pas à la Nouvelle-Écosse, ils sont monnaie courante partout au Canada. Le temps d’attente moyen pour recevoir un traitement d’entretien à la méthadone se situait entre deux semaines et douze mois pour l’ensemble des provinces en 2011Note de bas de page 30, peu de données récentes ayant été publiées depuis. Une étude menée en 2017 sur les expériences des médecins de famille à Hamilton (Ontario) relativement à l’orientation vers des services spécialisés a révélé que les cliniques de traitement de la douleur étaient parmi les cliniques spécialisées les moins susceptibles de répondre aux demandes de consultationNote de bas de page 31.
La majorité des médecins de famille qui travaillent en Nouvelle-Écosse exercent en pratique privée dans un cabinet au sein de la collectivité, et bon nombre d’entre eux travaillent dans des régions rurales. Ces médecins de famille sont souvent coupés du soutien de collègues et de spécialistes en traitement de la douleur et en toxicomanie pouvant les aider à prendre des décisions relatives au traitement de la DCNC – soutien que les répondants à notre étude décrivent souvent comme facilitant énormément leur pratique. Un répondant a signalé que l’Atlantic Mentoring Network for Pain and Addiction, qui offre un forum en ligne où discuter des cas difficiles avec des collègues, a été utile à sa pratique. Une approche tout aussi accessible, coordonnée et intégrée à l’échelle du système de santé, où les médecins de famille seraient appuyés par des spécialistes, permettrait de prescrire des analgésiques opioïdes de façon plus sûre et efficace. Cette approche pourrait prévoir la mise sur pied d’un réseau centralisé d’experts en traitement de la DCNC qui serait accessible à tous les médecins de famille de Nouvelle-Écosse ayant besoin d’aiguiller un patient atteint de DCNC. À cette approche pourrait s’ajouter une plus grande capacité de prise en charge de la DCNC au moyen de formation continue médicale avec des spécialistes du traitement de la douleur, selon un modèle semblable à celui du projet ontarien Echo décrit par Carlin et ses collaborateursNote de bas de page 16.
Recherche future
Les enjeux répertoriés dans cette étude sont sans doute valables pour d’autres villes canadiennes de même taille. De plus amples recherches sont nécessaires pour mieux connaître les pratiques des médecins de famille de Nouvelle-Écosse et pour savoir s’ils suivent les lignes directrices fondées sur des données probantes pour prescrire des analgésiques opioïdes. Il serait utile de comprendre l’attitude des médecins de famille à l’égard de ces lignes directrices à une plus grande échelle et de savoir s’il est nécessaire de renforcer leur adoption dans l’exercice de la médecine de famille.
D’autres recherches sont également nécessaires pour aborder efficacement les difficultés auxquelles sont confrontés les médecins de famille de Nouvelle-Écosse lorsqu’ils prescrivent des analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC. Un sondage distribué à tous les médecins de famille de la province permettrait d’y parvenir.
Forces et limites
Cette étude qualitative a atteint son objectif, qui était de décrire les enjeux, jusqu’alors non documentés, auxquels sont confrontés les médecins de famille de Nouvelle-Écosse dans la prescription d’analgésiques opioïdes pour le traitement de la DCNC. La plupart des répondants ont reconnu qu’ils nourrissaient un intérêt particulier envers les patients souffrant de toxicomanie ou de douleur chronique. De ce fait, ils ne sont pas entièrement représentatifs des médecins de famille de Nouvelle-Écosse. Plusieurs d’entre eux ont mentionné qu’ils travaillaient dans une clinique de soins collaboratifs, alors que la plupart des médecins de famille de Nouvelle-Écosse travaillent seuls en cabinet privé.
Malgré ces limites, les expériences décrites par les répondants les concernant ou concernant leurs collègues en cabinet privé sont sans doute largement applicables à la pratique de la médecine familiale en Nouvelle-Écosse et ailleurs.
Conclusion
Les médecins de famille de Nouvelle-Écosse ont énuméré plusieurs enjeux liés à la prescription d’analgésiques opioïdes pour la DCNC. Ces enjeux relèvent de la complexité du traitement de la DCNC, de la relation médecin-patient, du suivi et du contrôle des ordonnances, du manque de formation et de facteurs systémiques qui touchent probablement les médecins de famille partout au Canada. Les options dont disposent les médecins de famille de Nouvelle-Écosse pour traiter la DCNC de leurs patients sont limitées. Les médecins de famille et les patients de Nouvelle-Écosse ont besoin d’un accès plus rapide à des spécialistes de gestion de la douleur et de la toxicomanie. Une approche coordonnée et intégrée à l’échelle du système de santé, où les médecins de famille seraient soutenus, permettrait de prescrire des analgésiques opioïdes de façon sûre et efficace.
Conflits d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Contributions des auteurs et avis
JG et SK ont conçu l’étude et ont tous deux élaboré les méthodes de collecte et d’analyse des données. JG a réalisé les entrevues et la collecte de données. JG et SK ont effectué le codage et l’analyse des données. JG a rédigé le manuscrit et SK a révisé le manuscrit.
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
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