Éditorial – Vers des données probantes canadiennes pour prévenir et contrôler le vapotage au Canada

Revue PSPMC

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Cynthia Callard, MMNote de rattachement des auteurs 1; Thierry Gagné, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Jennifer L. O’Loughlin, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4

https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.1.01f

Rattachement des auteurs
Correspondance

Cynthia Callard, Médecins pour un Canada sans fumée, 134, avenue Caroline, Ottawa (Ontario)  K1Y OS9; courriel : ccallard@smoke-free.ca

Citation proposée

Callard C, Gagné T, O’Loughlin JL. Éditorial – Vers des données probantes canadiennes pour prévenir et contrôler le vapotage au Canada. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2022;42(1):1-3. https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.1.01f

La hausse marquée de l’utilisation des cigarettes électroniques depuis une décennie constitue un problème important pour la lutte contre le tabagisme en raison de l’évolution rapide des technologies utilisées dans la construction des cigarettes électroniques, de la modification des profils de consommation et des données contradictoires sur la valeur ajoutée des produits de vapotage à travers le temps. Les politiques développées dans ce secteur sont généralement établies grâce à des évaluations des risques qui ne sont pas répliquées et sans une compréhension claire des avantages et des méfaits des cigarettes électroniques. En l’absence de données nationales, le Canada s’est largement appuyé sur les expériences et les données d’autres pays, malgré leurs grandes différences sur le plan du contexte législatif et des tendances dans l’utilisation au fil du temps au sein des différents groupes d’âgeNote de bas de page 1.

Ce second numéro de Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada : Recherche, politiques et pratiques (PSPMC) sur la prévention et le contrôle du tabagisme et du vapotage présente des données canadiennes dans le but précis de combler cette lacune sur le plan des connaissances. Dans notre appel à articles, nous avons sollicité les chercheurs afin qu’ils produisent de nouvelles données probantes canadiennes sur les difficultés liées à la mise en œuvre de politiques, sur les déterminants de l’utilisation des cigarettes électroniques, en particulier sa distribution sociale, et sur les associations entre l’utilisation des cigarettes électroniques, l’arrêt du tabagisme et les issues de santé. Les cinq articles de ce numéro spécial viennent combler des lacunes importantes en matière de données probantes, lacunes qui ont compliqué l’établissement de politiques et de programmes adéquats en matière d’utilisation des cigarettes électroniques au Canada.

Dans une analyse novatrice des détaillants de produits de vapotage en ligne, D’Mello et ses collaborateursNote de bas de page 2 ont révélé la diversité étourdissante du marché des cigarettes électroniques au Canada sur le plan des concentrations en nicotine, de l’accessibilité des produits à concentrations élevées de nicotine sous forme de sel ainsi que des arômes. Les auteurs critiquent cette diversité et appellent à la réduction du nombre d’arômes des liquides à vapoter sur le marché et à l’établissement d’une teneur en nicotine maximale de 20 mg/ml. Leur recherche a révélé des taux inquiétants de non‑conformité à la réglementation fédérale visant à interdire la commercialisation de liquides à vapoter à saveur de bonbons.

Deux articles, l’un publié par Ahmad et ses collaborateursNote de bas de page 3 et l’autre par Shi et ses collaborateursNote de bas de page 4, portent sur les déterminants de l’adoption et de la pratique quotidienne du vapotage chez les jeunes canadiens. Ils précisent que les principaux déterminants du vapotage chez les jeunes au Canada sont vraisemblablement la facilité d’accès et la myriade de vulnérabilités à l’origine de la consommation de substances en général, comme en témoignent les fortes associations entre le vapotage et d’autres comportements à risque comme le tabagisme et la consommation d’alcool, de boissons énergisantes et de marijuana. Ces constatations corroborent les résultats obtenus par Williams et ses collaborateurs (publiés dans le premier numéro spécial de PSPMC)Note de bas de page 5.

Enfin, deux articles offrent un éclairage nouveau sur les effets aigus et à long terme du vapotage sur la santé. Dans le premier article, Baker et ses collaborateursNote de bas de page 6 présentent les résultats de la première année du système canadien de surveillance des maladies pulmonaires associées au vapotage. Leurs chiffres sont encourageants en ce qui a trait à la fréquence et à la sévérité des effets aigus sur la santé au Canada comparativement aux États‑Unis. Cependant, les auteurs ont aussi souligné la capacité réduite du Canada à surveiller ces effets depuis le début de la pandémie de COVID‑19 et la nécessité d’étendre la surveillance aux effets sur la santé à long terme. Dans le second article, Pound et ses collaborateursNote de bas de page 7 présentent une étude de simulation qui montre l’impact relatif des cigarettes électroniques sur la santé de la population en fonction de différents scénarios réglementaires, dont l’interdiction totale et l’autorisation uniquement sur ordonnance (c.‑à‑d. seuls les fumeurs auraient accès aux produits de vapotage). Alors que l’utilité du vapotage pour l’arrêt du tabagisme reste contestée, cette analyse souligne les coûts économiques et sanitaires élevés du report de mesures visant à prévenir l’adoption du vapotage et la transition subséquente vers le tabagisme chez les générations à venir.

Nous sommes d’avis que, dans leur ensemble, les données présentées dans ce numéro aideront les décideurs à améliorer les interventions destinées à réduire l’utilisation des cigarettes électroniques à des fins récréatives et à mieux contrôler la provenance des cigarettes électroniques. Du point de vue de la demande, un nombre croissant de publications canadiennes sur le vapotage chez les jeunes montre que ceux‑ci sont spécialement à risque de commencer et de continuer à vapoter en raison de facteurs similaires à ceux contribuant à la consommation d’autres substances. Plus particulièrement, si la distribution sociale de l’adoption du vapotage n’était pas évidente dans les premiers temps suivant la mise en marché des cigarettes électroniquesNote de bas de page 8Note de bas de page 9, il est clair, depuis que les cigarettes électroniques ont touché l’ensemble de la population au fil de la courbe de l’innovation, que le facteur de vulnérabilité propre à la plupart des comportements de consommation de substances est un déterminant important de l’adoption du vapotage.

Ces résultats rappellent fortement ceux des recherches menées par les entreprises du tabac dans les années 1980, qui visaient à déterminer les segments de marché psychographiques chez les jeunes canadiens parmi lesquels ils pourraient recruter le plus grand nombre de nouveaux consommateurs en faisant appel aux concepts d’indépendance, de liberté et d’acceptation par les pairsNote de bas de page 10Note de bas de page 11. Comprendre l’étendue de cette étude de marché a aidé les législateurs à reconnaître la nécessité de prendre des mesures antitabac contraignantes à l’échelle de la société pour protéger les jeunes. Certaines des interventions visant à réduire la demande de produits du tabac qui se sont révélées efficaces pour diminuer le tabagisme chez les jeunes (par exemple l’interdiction de publicité) ont été mises en place à l’égard des cigarettes électroniques, tandis que d’autres (emballages neutres, interdiction complète des saveurs dans les liquides à vapoter, etc.) restent à être appliquées.

Outre ces éclaircissements du côté de la demande, les résultats de D’Mello et ses collaborateursNote de bas de page 2 ont fait ressortir des différences marquantes dans les contrôles réglementaires visant l’approvisionnement entre le marché canadien des cigarettes électroniques et celui du tabac. Le marché des cigarettes est un oligopole verticalement intégré où les vendeurs offrent des produits pratiquement identiquesNote de bas de page 12 et où les fabricants sont tenus de présenter au gouvernement des rapports détaillés réguliers sur les émissions, les ingrédients, le prix et les ventes de leurs produitsNote de bas de page 13. En revanche, les fabricants de cigarettes électroniques, qui sont très nombreuses et variées, ne sont pas tenus de présenter des rapports au gouvernement, ce qui empêche l’accès à des données de surveillance importantes. Sans cette information, les chercheurs et les responsables de la réglementation au Canada peuvent plus difficilement évaluer l’impact de ces produits sur la santé de la population.

En outre, en ce qui concerne l’approvisionnement, l’équipe de Pound a évalué les économies susceptibles d’être faites en faisant passer les cigarettes électroniques du marché des produits de consommation au marché des produits thérapeutiques. Cette innovation en matière de réglementation est en cours en Australie, où les cigarettes électroniques sont maintenant traitées comme des médicaments non approuvés qui sont offerts uniquement sur ordonnanceNote de bas de page 14. La décision politique du Canada de légaliser les cigarettes électroniques à titre de drogue à usage récréatif a été présentée comme une approche visant à établir un équilibre qui permettrait de « protéger les jeunes contre la dépendance à la nicotine et au tabagisme tout en permettant aux adultes d’avoir accès légalement aux produits de vapotage qui sont moins dangereux que la cigarette »Note de bas de page 15. L’étude des coûts de Pound laisse entendre qu’il pourrait y avoir une meilleure manière d’arriver à un équilibre optimal.

Il existe maintenant des données probantes, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, qui montrent que le risque d’adoption des cigarettes électroniques chez les jeunes est équivalent, sinon supérieur, au risque d’adoption du tabac. Cette constatation a des implications importantes pour la santé de la population canadienne. Cette série d’articles propose trois pistes d’intervention. D’abord, nous pouvons protéger les jeunes de façon optimale en appliquant des mesures contraignantes à l’échelle de la société au niveau de la demande, comme celles qui ont aidé à diminuer l’adoption du tabac. Ensuite, comme le marché des cigarettes électroniques est difficile à surveiller, à évaluer et à réglementer au Canada, il faut prioriser l’établissement de mesures pour améliorer la gestion de l’approvisionnement par le secteur de la santé publique. La possibilité de traiter les cigarettes électroniques comme un produit thérapeutique (pour arrêter le tabac ou en réduire les méfaits) devrait être approfondie. Enfin, beaucoup plus de données probantes sont nécessaires sur les conséquences à court et à long termes de l’utilisation des cigarettes électroniques, et la correction de cette lacune sur le plan des connaissances dépend du soutien à long terme des activités de surveillance et de recherche longitudinale. Nous espérons que les autorités en santé publique du Canada apprécieront la contribution importante des cinq articles présentés ici et qu’elles en utiliseront les résultats pour améliorer les politiques et les programmes visant à résoudre le problème de santé publique de longue date que constitue la dépendance à la nicotine.

Remerciements

TG a reçu des bourses de recherche des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS). JOL a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en déterminants précoces de la maladie chronique à l’âge adulte de 2006 à 2021. CC bénéficie du soutien du Programme sur l’usage et les dépendances aux substances de Santé Canada.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Avis

Le contenu et les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.

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