Recherche quantitative originale – Détresse morale et conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives chez les thérapeutes respiratoires canadiens ayant envisagé de quitter leur poste clinique pendant la pandémie de COVID-19

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Andrea M. D’Alessandro-Lowe, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Kimberly Ritchie, IA, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Andrea Brown, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Bethany Easterbrook, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Yuanxin Xue, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 3; Mina Pichtikova, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 3; Max Altman, B. Sc. A.Note de rattachement des auteurs 1; Isaac Beech, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Heather Millman, M.A.Note de rattachement des auteurs 1; Fatima Foster, TRANote de rattachement des auteurs 4; Kelly Hassall, TRANote de rattachement des auteurs 4; Yarden Levy, M.A.Note de rattachement des auteurs 1; David L. Streiner, Ph. D., psychologie cliniqueNote de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 3; Fardous Hosseiny, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 6; Sara Rodrigues, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 6; Alexandra Heber, M.D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 7; Charlene O’Connor, M.A., M. Sc.Note de rattachement des auteurs 8; Hugo Schielke, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 8; Ann Malain, Ph. D., psychologie cliniqueNote de rattachement des auteurs 8; Randi E. McCabe, Ph. D., psychologie cliniqueNote de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 4; Ruth A. Lanius, M.D., Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 9Note de rattachement des auteurs 10; Margaret C. McKinnon, Ph. D, C psychologie cliniqueNote de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 4

https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.10/11.04f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Margaret C. McKinnon, Département de psychiatrie et de neurosciences comportementales, Université McMaster, 100 West 5th St., Hamilton (Ontario)  L8N 3K7; tél. : 905-522-1155, poste 36645; courriel : mckinno@mcmaster.ca

Citation proposée

D’Alessandro-Lowe AM, Ritchie K, Brown A, Easterbrook B, Xue Y, Pichtikova M, Altman M, Beech I, Millman H, Foster F, Hassall K, Levy Y, Streiner DL, Hosseiny F, Rodrigues S, Heber A, O’Connor C, Schielke H, Malain A, McCabe RE, Lanius RA, MacKinnon MC. Détresse morale et conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives chez les thérapeutes respiratoires canadiens ayant envisagé de quitter leur poste clinique pendant la pandémie de COVID-19. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(10/11):515-527. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.10/11.04f

Résumé

Introduction. Les thérapeutes respiratoires ont été confrontés à des situations moralement difficiles tout au long de la pandémie de COVID-19, en particulier le fait d’avoir peu de ressources pour effectuer leur travail ou encore la participation à des appels vidéo avec les familles de patients mourants. La détresse morale (c’est-à-dire la détresse psychologique résultant de l’interdiction de suivre un plan d’action reconnu et approprié d’un point de vue éthique) est associée à une foule de conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives (dépression, anxiété, symptômes du trouble de stress post‑traumatique [TSPT], déficience fonctionnelle, etc.) et au fait d’envisager de quitter son poste. L’objectif de cette étude était de comprendre l’effet de la détresse morale et de ses conséquences psychologiques et fonctionnelles sur le fait que des thérapeutes respiratoires canadiens aient envisagé de quitter leur poste clinique pendant la pandémie de COVID‑19.

Méthodologie. Des thérapeutes respiratoires canadiens (N = 213) ont répondu à un sondage en ligne entre février et juin 2021. Des caractéristiques inividuelles de base (âge, sexe/genre, etc.) ont été recueillies, ainsi que des mesures psychométriques validées de la détresse morale, de la dépression, de l’anxiété, du stress, du TSPT, de la dissociation, de la déficience fonctionnelle, de la résilience et des expériences négatives vécues durant l’enfance.

Résultats. Un thérapeute respiratoire sur quatre a déclaré envisager de quitter son poste en raison d’une détresse morale. Ceux qui envisageaient de le faire ont fait état de niveaux élevés de détresse morale et de conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives comparativement aux thérapeutes respiratoires qui n’envisageaient pas de quitter leur poste. Plus de la moitié (54,5 %) de ceux qui envisageaient de quitter leur poste ont obtenu un score supérieur au seuil indiquant un diagnostic potentiel de TSPT. Le fait d’avoir déjà envisagé de quitter un poste auparavant en raison d’une détresse morale et le fait d’avoir effectivement quitté un poste antérieur augmentaient significativement la probabilité d’envisager de quitter son poste, tout comme la détresse morale liée au système et les symptômes de TSPT, mais la contribution de ces derniers facteurs était faible.

Conclusion. Les thérapeutes respiratoires canadiens qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale ont signalé des niveaux élevés de détresse et de conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives. Il semble néanmoins peu probable que ces facteurs individuels soient les principaux facteurs pour lesquels ils envisageaient de quitter leur poste, car les effets en étaient faibles. D’autres recherches sont nécessaires pour cerner les facteurs organisationnels plus vastes susceptibles d’inciter les thérapeutes respiratoires canadiens à vouloir quitter leur poste.

Mots-clés : thérapeutes respiratoires, COVID‑19, roulement, santé mentale, TSPT, soins de santé, détresse morale

Points saillants

  • Environ 25 % des thérapeutes respiratoires ayant participé à notre étude envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale au printemps 2021.
  • Comparativement aux thérapeutes respiratoires qui n’envisageaient pas de quitter leur poste, ceux qui envisageaient de le faire affichaient des niveaux élevés de détresse morale, de déficience fonctionnelle et de conséquences psychologiques négatives.
  • Le fait d’avoir envisagé auparavant de quitter un poste en raison d’une détresse morale, le fait d’avoir effectivement quitté un poste antérieur pour cette raison, la détresse morale liée au système et les symptômes de TSPT augmentaient considérablement la probabilité qu’une personne envisage de quitter son poste. Toutefois, la contribution de la détresse morale liée au système et celle des symptômes de TSPT étaient faibles.
  • Des enjeux organisationnels plus vastes pourraient aussi inciter les thérapeutes respiratoires canadiens à envisager de quitter leur poste, et cette influence devrait faire l’objet de recherches.

Introduction

Les thérapeutes respiratoires, aussi appelés inhalothérapeutes, sont des professionnels de la santé spécialisés en santé cardiopulmonaire (cœur et poumons)Note de bas de page 1. Comme ils s’occupent de patients de tous âges dans divers milieux (soins à domicile, cliniques communautaires, cliniques externes, services d’urgence, salles d’opération et unités de soins intensifs)Note de bas de page 1, les thérapeutes respiratoires ont joué un rôle de première ligne essentiel pendant la pandémie de COVID‑19Note de bas de page 2Note de bas de page 3. Ils ont œuvré au chevet des patients atteints de COVID-19, contribuant à la réadaptation respiratoire et à la physiothérapie (p. ex. positionner les patients en détresse respiratoire en décubitus ventral), répondant aux besoins physiques et émotionnels de ces patients et les guidant dans leur rétablissement lorsqu’un congé de l’hôpital semblait possibleNote de bas de page 2.

Comme d’autres professionnels de la santé, les thérapeutes respiratoires ont dû accomplir leur travail avec des ressources limitées, surtout au début de la pandémie, tout en étant confrontés à des événements moralement difficiles, comme la participation à des appels vidéo entre les patients mourants et leur familleNote de bas de page 2Note de bas de page 4Note de bas de page 5. La détresse morale est définie comme la détresse psychologique qui peut se produire lorsqu’un professionnel de la santé se voit empêché d’agir conformément à la ligne de conduite éthique qu’il sait être appropriée pour une situation donnéeNote de bas de page 6Note de bas de page 7. Elle est associée à une gamme de conséquences négatives (en particulier épuisement professionnel, dépression, anxiété, symptômes de TSPT, déficience fonctionnelle) et au fait d’envisager de quitter son poste ou sa professionNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 8Note de bas de page 9. Bien que l’on commence à mieux cerner les effets psychologiques et fonctionnels qu’a eus la pandémie sur les thérapeutes respiratoiresNote de bas de page 3Note de bas de page 10Note de bas de page 11, et malgré les préoccupations croissantes que suscitent les taux d’attrition des professionnels de la santé à l’échelle mondialeNote de bas de page 12Note de bas de page 15, on sait peu de choses sur la façon dont la détresse morale et ses conséquences ont pu inciter les thérapeutes respiratoires canadiens à envisager de quitter leur poste pendant la pandémie. L’objectif de cette étude était donc d’analyser l’effet de types spécifiques de détresse morale et de leurs conséquences psychologiques et fonctionnelles sur le fait que les thérapeutes respiratoires envisageaient de quitter leur poste clinique en raison d’une détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19.

Détresse morale et roulement de personnel pendant la pandémie de COVID-19

La détresse morale peut avoir diverses causes fondamentales, liées au patient (comme la réalisation de traitements futiles à la demande de la famille), à l’unité ou à l’équipe (mauvaise communication, intimidation, etc.) et au système (manque de personnel, manque de ressources adéquates, etc.)Note de bas de page 6. Alors qu’au niveau individuel la détresse morale est associée à la dépression, à l’anxiété, à la diminution de la spontanéité affective, au détachement émotionnel, à un sentiment de culpabilité, au chagrin et au désespoir, au niveau organisationnel, elle est liée à des pénuries de personnel, à une culture organisationnelle défavorable et au fait que des professionnels de la santé quittent leur poste ou leur professionNote de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18 (voir Burston et TuckettNote de bas de page 17 pour une revue complète des conséquences de la détresse morale). De plus, ses effets peuvent augmenter au fil du temps, lorsqu’une détresse morale non résolue dans le passé (dite « résiduelle ») s’ajoute à celle vécue, exposant ainsi les personnes et les organisations à des répercussions négatives croissantesNote de bas de page 7.

Les professionnels de la santé risquent fort de vivre de la détresse morale et d’en subir ses conséquences lors d’une période de stress extrême, comme une pandémie. Une multitude de situations peuvent les empêcher d’agir conformément à leurs valeursNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 19Note de bas de page 20. Ainsi, au début de la pandémie, Norman et ses collaborateursNote de bas de page 5 ont constaté que chez les professionnels de la santé de première ligne de la ville de New York, la détresse morale liée à la COVID‑19 découlait de préoccupations relatives à la famille, à une infection personnelle et au travail, et qu’elle était suivie de symptômes de TSPT, d’épuisement professionnel, de déficience fonctionnelle et de difficultés interpersonnelles en milieu de travail.

Dans le cadre d’une enquête sur la détresse morale auprès de plus de 7 000 professionnels de la santé australiens entre août et octobre 2020, Smallwood et ses collaborateursNote de bas de page 4 ont constaté que la rareté des ressources, les nouvelles politiques sur l’équipement de protection individuelle qui limitaient la capacité de prendre soin des patients, l’exclusion des membres de la famille des patients et la crainte de faire faux bond à leurs collègues en cas d’infection constituaient des circonstances moralement difficiles pour les professionnels de la santé. Petrișor et ses collaborateursNote de bas de page 8 ont constaté qu’une plus forte détresse morale autodéclarée était associée à un nombre plus élevé de signalements de symptômes de dépression et d’anxiété chez le personnel infirmier des unités de soins intensifs. De plus, les sources de détresse morale liées au système (comme se sentir incapable de fournir des soins adéquats en raison de pénuries de personnel et de ressources) ont été plus largement signalées par les membres du personnel infirmier en soins intensifs qui envisageaient de quitter leur poste que par leurs collègues qui comptaient conserver leur posteNote de bas de page 8. Dans une étude connexe menée en juillet et août 2020 auprès d’un échantillon de 129 infirmières et infirmiers autorisés, les cas de détresse morale liée à la qualité des soins aux patients, à la sécurité des soins et aux problèmes en milieu de travail permettaient de prévoir l’intention de démissionerNote de bas de page 21.

FalatahNote de bas de page 22 a noté que les prédicteurs du roulement du personnel infirmier avant la pandémie correspondaient à des variables sociodémographiques (âge, sexe, état matrimonial, nationalité, etc.), mais que pendant la pandémie, ces prédicteurs comptaient également les soins aux patients atteints de COVID-19, le travail dans les unités consacrées à la COVID-19, la peur de contracter la maladie, le stress et l’anxiété. Parmi les autres prédicteurs à envisager dans l’intention de quitter un poste en soins de santé, mentionnons l’adversité pendant l’enfance et la dissociation : l’adversité pendant l’enfance a été associée à des difficultés mentales et physiques à l’âge adulteNote de bas de page 23Note de bas de page 24 et les personnes qui signalent une détresse morale sont susceptibles de signaler également une dissonance ou un détachement émotionnelsNote de bas de page 17. De plus, si la résilience (la capacité de rebondir face au stress) peut protéger les professionnels de la santé contre la détresse moraleNote de bas de page 25Note de bas de page 26, au moins une étude a révélé qu’elle est insuffisante pour contrer la détresse morale chez les professionnels de la santéNote de bas de page 27.

Objectif et hypothèses de notre étude

La littérature sur la détresse morale vécue par les professionnels de la santé avant et pendant la pandémie de COVID-19 porte majoritairement sur le personnel infirmierNote de bas de page 8Note de bas de page 21Note de bas de page 28Note de bas de page 29Note de bas de page 30. Or les thérapeutes respiratoires sont eux aussi des fournisseurs de soins directs qui sont exposés à des enjeux moraux et à des événements traumatisants, en particulier la réalisation et l’observation de soins jugés futiles ou la responsabilité du retrait de la ventilation mécanique dont dépend la vie des patientsNote de bas de page 31Note de bas de page 32. Compte tenu des répercussions qu’a eues la prestation de soins pendant la pandémie sur les professionnels de la santé et des préoccupations croissantes concernant les taux d’attrition en santéNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15, il est urgent de comprendre la mesure dans laquelle la détresse morale et ses conséquences incitent les thérapeutes respiratoires à vouloir quitter leur poste. Dans ce contexte, l’objectif de notre étude était de caractériser l’effet de types spécifiques de détresse morale et de leurs conséquences psychologiques et fonctionnelles sur le fait que des thérapeutes respiratoires envisageaient de quitter leur poste clinique en raison d’une détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19. Nous avons émis l’hypothèse que les thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale signaleraient des niveaux plus élevés de détresse morale, des conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives et une plus grande exposition à des événements négatifs pendant l’enfance, mais des niveaux plus faibles de résilience comparativement aux thérapeutes respiratoires qui n’envisageaient pas de quitter leur poste en raison d’une détresse morale. Nous avons émis l’hypothèse supplémentaire que la détresse morale, des conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives et des événements négatifs pendant l’enfance seraient significativement associés à une probabilité plus élevée d’envisager de quitter un poste en raison d’une détresse morale, alors que la résilience serait significativement associée à une probabilité plus faible d’envisager de quitter un poste en raison d’une détresse morale.

Méthodologie

Approbation éthique

Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une enquête plus vaste sur les expériences des professionnels de la santé canadiens pendant la pandémie de COVID-19, laquelle a été approuvée par le Hamilton Integrated Research Ethics Board (no12667).

Procédure

Des thérapeutes respiratoires canadiens ont été recrutés pour participer à un sondage en ligne par l’entremise des médias sociaux, de courriels de la Société canadienne des thérapeutes respiratoires (représentant plus de 4 000 thérapeutes respiratoires) et de certains hôpitaux du Canada. Les participants devaient avoir contribué aux soins aux patients au Canada pendant la pandémie. Les thérapeutes respiratoires ont eu accès au sondage au moyen du logiciel d’acquisition électronique de données de recherche REDCap (Research Electronic Data Capture)Note de bas de page 33Note de bas de page 34 entre février et juin 2021.

Mesures

Données sociodémographiques

Le sondage comprenait un formulaire de données sociodémographiques rassemblant des données de base (âge, sexe, genre, province ou territoire de résidence actuelle) et des renseignements professionnels (nombre total d’années d’exercice, caractéristiques de l’emploi, etc.).

Mesure de la détresse morale chez les professionnels de la santé

L’échelle MMD-HP (Measure of Moral Distress — Healthcare Professional [mesure de la détresse morale chez les professionnels de la santé]) a été utilisée pour évaluer la détresse moraleNote de bas de page 6. Il s’agit d’une mesure à 27 éléments fondée sur l’autodéclaration, qui tient compte à la fois de la fréquence subjective des événements et de la détresse qui y est associée. Les participants ont évalué leur degré d’accord avec les 27 énoncés sur deux échelles à cinq points évaluant 1) la fréquence d’exposition à un événement et 2) le niveau de détresse associé à l’événement, où 0 correspondait à « jamais/aucun » et 4 à « très fréquemment/très difficile ». Les scores totaux ont été calculés en additionnant le produit des résultats correspondant à la fréquence et à la détresse pour chaque élément. Des scores élevés indiquent une exposition accrue à l’événement et des niveaux élevés de détresse morale (a de Cronbach = 0,96).

La structure à quatre facteurs d’Epstein et de ses collaborateursNote de bas de page 6, comprenant deux niveaux de sources de détresse morale liées à l’équipe, a été réduite à trois catégories (patient, équipe et système), par souci de parcimonie, conformément à la conception de Petrișor et ses collaborateursNote de bas de page 8. Ainsi, les sous‑échelles suivantes ont été prises en compte dans nos analyses : les facteurs de stress liés au patient (comme « continuer d’offrir un traitement intensif à une personne qui est très susceptible de mourir malgré ce traitement, lorsque personne ne décide d’y mettre fin »); les facteurs de stress liés à l’équipe (comme « [travailler] avec des membres de l’équipe qui ne traitent pas les membres vulnérables ou stigmatisés avec dignité et respect ») et les facteurs de stress liés au système (comme « [être] incapable de fournir des soins optimaux en raison des pressions exercées par les administrateurs pour réduire les coûts »)Note de bas de page 6Note de bas de page 8. On a interrogé les participants sur leur désir de quitter leur poste clinique en raison d’une détresse morale, tant dans le passé qu’au moment de l’enquêteNote de bas de page 6. Les réponses possibles à la question « Avez-vous déjà quitté ou envisagé de quitter un poste clinique en raison d’une détresse morale ? » étaient i) « Non, je n’ai jamais quitté ou envisagé de quitter un poste », ii) « Oui, j’ai envisagé de quitter un poste mais ne l’ai pas fait » et iii) « Oui, j’ai quitté un poste », conformément à l’échelle MMD-HPNote de bas de page 6. Les réponses possibles à la question « Envisagez-vous actuellement de quitter votre poste en raison d’une détresse morale ? » étaient i) « Oui » et ii) « Non », conformément à l’échelle MMD-HPNote de bas de page 6.

Échelle de dépression, d’anxiété et de stress 21

L’Échelle de dépression, d’anxiété et de stress 21 (EDAS-21)Note de bas de page 35 a été utilisée pour évaluer les symptômes de dépression, d’anxiété et de stress. Les participants ont évalué 21 éléments sur une échelle de 0 (« ne s’applique pas du tout à moi ») à 3 (« s’applique entièrement à moi, ou la grande majorité du temps ») en se rapportant à la semaine écoulée. L’EDAS-21 fournit des scores mutuellement exclusifs pour la dépression, l’anxiété et le stressNote de bas de page 35 (a de Cronbach = 0,93).

Liste de vérification du stress post-traumatique PCL‑5

La liste de vérification PCL‑5 (Posttraumatic Stress Checklist 5)Note de bas de page 36 a été utilisée pour mesurer la présence et la gravité des symptômes de trouble de stress post‑traumatique (TSPT). Les participants ont utilisé une échelle à cinq points allant de 0 (« pas du tout ») à 4 (« extrêmement ») pour évaluer leur degré d’accord, pour le dernier mois, avec 20 énoncés évaluant les symptômes de TSPT qui figurent dans le DSM-5Note de bas de page 37 (a de Cronbach = 0,94).

Inventaire de la dissociation à échelles multiples

L’inventaire de la dissociation à échelles multiples (Multiscale Dissociation Inventory [MDI])Note de bas de page 38 a servi à mesurer les caractéristiques de la dissociation. Plus précisément, seules les sous‑échelles MDI de désengagement et de diminution de la spontanéité affective ont été utilisées dans notre étude, compte tenu de la relation supposée de ces sous‑échelles avec le fait que des thérapeutes respiratoires envisagent de quitter leur posteNote de bas de page 17. Le MDI est une mesure autodéclarée à 30 éléments qui produit six échelles de symptomatologie dissociative, soit le désengagement, la dépersonnalisation, la déréalisation, la diminution de la spontanéité affective, les troubles de la mémoire et le trouble dissociatif de l’identité. Les participants ont évalué leur degré d’accord, pour le dernier mois, avec 30 éléments sur une échelle à cinq points allant de 1 (« jamais ») à 5 (« très souvent ») [a de Cronbach = 0,95].

World Health Organization Disability Assessment Schedule 2.0

La version à 12 éléments de l’instrument d’évaluation du handicap de l’Organisation mondiale de la santé, version 2.0 (World Health Organization Disability Assessment Schedule 2.0 [WHODAS])Note de bas de page 39 a été utilisée pour mesurer la déficience fonctionnelle. Le WHODAS porte sur les incapacités liées à la santé dans six domaines de fonctionnement : cognition, mobilité, soins personnels, relations avec autrui, activités quotidiennes et participation sociale. Les participants ont évalué leur degré d’incapacité ressentie au cours du dernier mois pour les 12 énoncés en utilisant une échelle allant de 0 (« aucune ») à 4 (« extrême ou impossible à faire »). La notation simple du WHODAS a été utilisée pour notre étudeNote de bas de page 39 (a de Cronbach = 0,88).

Brief Resilience Scale

L’échelle brève de résilience (Brief Resilience Scale [BRS]) a été utilisée pour évaluer la résilience (soit la capacité d’une personne à « rebondir » face à des événements stressants)Note de bas de page 40. Les participants ont évalué leur degré d’accord avec six éléments liés à la résilience sur une échelle à 5 points allant de 1 (« fortement en désaccord ») à 5 (« fortement d’accord »), les scores élevés indiquant un degré de résilience élevé (a de Cronbach = 0,90).

Échelle des expériences négatives vécues durant l’enfance

L’échelle des expériences négatives vécues durant l’enfance (Adverse Childhood Experiences Scale [ACES]) a été utilisée pour évaluer l’exposition à l’adversité durant l’enfanceNote de bas de page 41. L’ACES est une échelle d’autodéclaration à 10 éléments qui évalue l’exposition à des événements négatifs courants de la vie, soit la violence physique, sexuelle ou émotionnelle; la négligence; la violence familiale; la séparation ou le divorce des parents; la toxicomanie au sein du ménage ou encore le fait qu’un membre de la famille ait été atteint d’une maladie mentale ou ait été incarcéré. Les participants ont indiqué s’ils avaient vécu ou non ces types d’événements pendant l’enfance (oui = 1, non = 0). Des scores élevés correspondent à une plus grande exposition à l’adversité pendant l’enfanceNote de bas de page 41 (a de Cronbach = 0,75).

Préparation des données

Trois cent quatre (N = 304) réponses au sondage ont été reçues entre février et juin 2021. Après suppression des réponses incomplètes, 213 thérapeutes respiratoires ont été inclus dans l’ensemble final de données étudié dans cet article. Les données manquantes ont été traitées au moyen d’une imputation multipleNote de bas de page 42 avec la version 27.0 du logiciel Statistical Product and Service Solutions (SPSS)Note de bas de page 43. Seuls les éléments qui contribuaient au score total d’une échelle ont été imputés : les données sociodémographiques et les réponses oui/non (par exemple à une question comme « Envisagez-vous de quitter un poste clinique en raison d’une détresse morale? ») n’ont pas été imputées.

Analyse des données

Les statistiques descriptives ont été étudiées pour caractériser l’échantillon, puis nous avons comparé les données des personnes qui envisageaient de quitter leur poste clinique en raison d’une détresse morale et les autres au moyen d’une série de tests du chi carré ou de tests exacts de Fisher. Nous avons effectué une série de tests t pour échantillons indépendants (avec corrections de Holm-Bonferroni et d de Cohen pour l’ampleur de l’effet) afin de comparer les mesures psychologiques et fonctionnelles de ceux qui envisageaient de quitter leur poste et de ceux qui n’envisageaient pas de le faire. Pour évaluer la relation entre la détresse morale et les variables théoriquement pertinentes (dépression, anxiété, stress, TSPT, dissociation, résilience, déficience fonctionnelle), nous avons établi des corrélations bivariées avec le score total MMD‑HP. En dernier lieu, nous avons élaboré un modèle de régression logistique binaire pour identifier les associations entre la détresse morale, les variables théoriquement pertinentes et le fait d’envisager de quitter son poste en raison d’une détresse morale.

Résultats

Échantillon

Deux cent treize (N = 213) participants ont été inclus dans l’analyse, dont 25,8 % (n = 55) ont déclaré qu’ils envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale. Sur l’ensemble de l’échantillon, 42,3 % (n = 90) ont déclaré qu’ils avaient envisagé de quitter leur poste en raison d’une détresse morale par le passé, mais qu’ils ne l’avaient pas fait, tandis que 13,1 % (n = 28) ont déclaré avoir envisagé de quitter leur poste par le passé en raison d’une détresse morale puis l’avoir finalement quitté. Les données sociodémographiques et professionnelles pour l’ensemble de l’échantillon, stratifiées en fonction de l’intention de quitter un poste en raison d’une détresse morale ou de ne pas le faire, sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1. Données individuelles stratifiées en fonction de l’intention des thérapeutes respiratoires de quitter ou non leur poste en raison d’une détresse morale, sondage sur la détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19, février à juin 2021
Variable Envisage de quitter son poste en raison d’une détresse morale
n = 55
N’envisage pas de quitter son poste en raison d’une détresse morale
n = 158
Fréquence Pourcentage Fréquence Pourcentage
Sexe/genreNote de bas de page a
Femme 48 87,3 134 84,8
Homme 7 12,7 23 14,6
Âge (ans)
20 à 29 12 21,8 39 24,7
30 à 39 18 32,7 54 34,2
40 à 49 15 27,3 36 22,8
50 à 59 10 18,2 25 15,8
60 à 79 0 0,0 < 5 n.d.
Groupe de populationNote de bas de page b
Caribéens 0 0,0 < 5 n.d.
Asiatiques de l’Est < 5 n.d. 8 5,1
Premières Nations, Inuits, Métis < 5 n.d. < 5 n.d.
Latino-Américains 0 0,0 < 5 n.d.
Moyen-Orientaux < 5 n.d. < 5 n.d.
Asiatiques du Sud < 5 n.d. < 5 n.d.
Asiatiques du Sud-Est 0 0,0 < 5 n.d.
Européens 49 89,1 136 86,1
Autres (p. ex. « Canadiens », « caucasiens ») < 5 n.d. 7 4,4
État matrimonial
Légalement marié, conjoint de fait ou partenariat domestique 39 70,9 107 67,7
Célibataire, jamais marié 12 21,8 38 24,1
Séparé, divorcé ou veuf < 5 n.d. 12 7,6
Données manquantes 0 0,0 < 5 n.d.
Province/territoire
Colombie‑Britannique 12 21,8 24 15,2
Alberta 7 12,7 35 22,2
Saskatchewan < 5 n.d. 8 5,1
Manitoba < 5 n.d. 7 4,4
Ontario 20 36,4 56 35,4
Québec < 5 n.d. < 5 n.d.
Nouveau‑Brunswick < 5 n.d. 0 0,0
Île‑du‑Prince‑Édouard 0 0,0 < 5 n.d.
Nouvelle‑Écosse 5 9,1 19 12,0
Terre‑Neuve‑et‑Labrador < 5 n.d. < 5 n.d.
Territoires du Nord‑Ouest 0 0,0 < 5 n.d.
Nunavut 0 0,0 < 5 n.d.
Rôle professionnelNote de bas de page b
Thérapeute membre du personnel 44 80,0 131 83,4
Thérapeute principal ou dirigeant 8 14,5 15 9,6
Gestion < 5 n.d. 6 3,8
Formateur 12 21,8 22 14,0
Conseiller ou recherche 0 0,0 < 5 n.d.
Ventes 0 0,0 < 5 n.d.
Étudiant < 5 n.d. < 5 n.d.
Politiques ou gouvernement 0 0,0 < 5 n.d.
Autre < 5 n.d. < 5 n.d.
Nombre total d’années d’exercice
Étudiant < 5 n.d. < 5 n.d.
0 à 5 11 20,0 43 27,2
6 à 10 10 18,2 28 17,7
11 à 15 8 14,5 28 17,7
16 à 20 10 18,2 19 12,0
21 à 25 5 9,1 19 12,0
26 à 30 7 12,7 6 3,8
Plus de 30 < 5 n.d. 11 7,0
Données manquantes 0 0,0 < 5 n.d.
Unité COVID‑19
Oui 41 74,5 110 69,6
Non 14 25,5 48 30,4
Environnement professionnelNote de bas de page b
Hôpital 53 96,4 134 85,4
Communauté 7 10,9 26 16,6
Stages étudiants 0 0,0 < 5 n.d.
Autre < 5 n.d. 7 4,5
Population de patientsNote de bas de page b
Soins aux adultes 55 100,0 151 96,2
Pédiatrie 29 52,7 82 52,2
Soins néonataux 26 47,3 79 50,3
Catégorie d’emploiNote de bas de page b
Temps plein 38 69,1 116 74,8
Temps partiel 14 25,5 34 21,9
Employé occasionnel 5 9,1 13 8,4
Travailleur autonome < 5 n.d. < 5 n.d.
Sans emploi < 5 n.d. < 5 n.d.

Comparaison entre thérapeutes respiratoires selon leur intention de quitter ou non leur poste en raison d’une détresse morale

Le fait d’envisager de quitter un poste n’a été associé à aucune variable sociodémographique (valeurs > 0,05). Il existe un lien significatif entre le fait d’avoir envisagé de quitter son poste en raison d’une détresse morale dans le passé et le fait d’envisager de le faire à l’heure actuelle [χ2(2) = 50,6, p < 0,001; V de Cramer = 0,49, < 0,001].

Toutes les mesures psychologiques et fonctionnelles (MMD‑HP, EDAS-21, PCL-5, MDI, WHODAS, BRS) offraient des différences significatives entre les thérapeutes qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale et les autres. Ceux qui n’envisageaient pas de quitter leur poste ont obtenu un score beaucoup plus élevé sur la BRS, mais beaucoup plus faible pour les autres mesures (tableau 2). Il n’y avait aucune différence dans les scores de l’ACES entre ceux qui envisageaient de quitter leur poste (M = 2,13, écart‑type = 2,02) et ceux qui n’envisageaient pas de le faire (M = 1,78, écart‑type = 2,14); toutefois, la puissance était insuffisante pour analyser les différences de scores à l’ACES entre les deux groupes (β = 0,18). Fait à noter, 54,5 % des 55 participants qui ont indiqué qu’ils envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale alors que 13,3 % des 158 participants qui n’ont pas déclaré envisager de quitter leur poste en raison d’une détresse morale ont obtenu un score supérieur au seuil de la PCL‑5.

Tableau 2. Comparaison des variables de résultats entre les thérapeutes respiratoires envisageant de quitter leur poste en raison d’une détresse morale et ceux ne l’envisageant pas, sondage sur la détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19, février à juin 2021
Outil N’envisage pas de quitter son poste en raison d’une détresse morale
(n = 158)
Envisage de quitter son poste en raison d’une détresse morale
(n = 55)
t ddl Valeur p d
M Écart‑type M Écart‑type
MMD-HP — patient 37,46 20,48 54,24 24,76 −4,52 81,19 < 0,001 −0,775
MMD-HP — équipe/unité 46,38 34,03 81,82 43,97 −5,44 77,71 < 0,001 −0,962
MMD-HP — système 32,60 22,21 57,91 26,08 −6,95 211,00 < 0,001 −1,088
EDAS-21 — dépression 10,61 7,91 16,18 10,82 −3,51 75,06 < 0,001 −0,637
EDAS-21 — anxiété 7,87 6,31 11,75 8,94 −2,97 73,59 0,004 −0,547
EDAS-21 — stress 14,57 7,61 20,80 9,61 −4,35 79,13 < 0,001 −0,760
PCL-5 18,22 13,26 33,98 17,97 −5,97 75,48 < 0,001 −1,079
MDI — désengagement 10,96 3,92 12,91 4,31 −3,09 211,00  0,004 −0,484
MDI — diminution de la spontanéité affective 8,37 3,60 10,44 4,90 −2,86 75,23  0,005 −0,519
WHODAS 7,73 6,28 13,18 6,98 −5,38 211,00 < 0,001 −0,840
BRS 3,45 0,80 3,19 0,72 2,09 0,02  0,030 0,327
ACES 1,78 2,14 2,13 2,02 −1,04 211,00  0,300 −0,163

Détresse morale et variables connexes

Nous avons établi des corrélations bivariées afin d’évaluer la relation entre la détresse morale et les conséquences théoriquement associées que nous avons mentionnées plus haut. Les scores totaux de la MMD-HP ont affiché une corrélation positive significative avec toutes les sous-échelles de l’EDAS-21, la PCL-5, les sous‑échelles de désengagement et de diminution de la spontanéité affective du MDI et le WHODAS, mais ont présenté une corrélation négative significative avec les scores de la BRS. Les scores totaux de la MMD-HP n’étaient pas significativement corrélés avec l’ACES (tableau 3).

Tableau 3. Corrélations bivariées de la détresse morale et des conséquences théoriquement associées chez les thérapeutes respiratoires, sondage sur la détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19, février à juin 2021
Numéro Outil 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
1 MMD-HP — total s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
2 EDAS-21 — dépression 0,380Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
3 EDAS-21 — anxiété 0,477Note de bas de page ** 0,653Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
4 EDAS-21 — stress 0,422Note de bas de page ** 0,740Note de bas de page ** 0,653Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
5 PCL-5 0,551Note de bas de page ** 0,673Note de bas de page ** 0,650Note de bas de page ** 0,663Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
6 MDI — désengagement 0,341Note de bas de page ** 0,609Note de bas de page ** 0,547Note de bas de page ** 0,578Note de bas de page ** 0,645Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o. s.o. s.o.
7 MDI — diminution de la spontanéité affective 0,308Note de bas de page ** 0,599Note de bas de page ** 0,502Note de bas de page ** 0,451Note de bas de page ** 0,548Note de bas de page ** 0,572Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o. s.o.
8 WHODAS 0,340Note de bas de page ** 0,599Note de bas de page ** 0,515Note de bas de page ** 0,540Note de bas de page ** 0,609Note de bas de page ** 0,537Note de bas de page ** 0,521Note de bas de page ** s.o. s.o. s.o.
9 BRS −0,240Note de bas de page ** −0,432Note de bas de page ** −0,475Note de bas de page ** −0,383Note de bas de page ** −0,520Note de bas de page ** −0,434Note de bas de page ** −0,343Note de bas de page ** −0,429Note de bas de page ** s.o. s.o.
10 ACES 0,101 0,168Note de bas de page * 0,082 0,129 0,166Note de bas de page * 0,179Note de bas de page ** 0,149Note de bas de page * 0,285Note de bas de page ** −0,120 s.o.

Intention de quitter son poste en raison d’une détresse morale

Régressions logistiques binaires simples

Des régressions logistiques binaires simples ont été effectuées afin de prédire le fait qu’une personne envisage de quitter son poste indépendamment des variables d’intérêt et afin de déterminer les variables à inclure dans le modèle prédictif final (tableau 4). Le sexe/genre, le travail au sein d’une unité COVID-19 et le nombre total d’années d’exercice n’ont pas eu d’incidence significative sur l’intention de quitter un poste. En revanche, le fait d’avoir envisagé de quitter un poste en raison d’une détresse morale dans le passé augmentait significativement la probabilité d’envisager de le faire pour cette raison, à tel point que les répondants ayant envisagé de quitter leur poste dans le passé étaient près de 30 fois plus susceptibles d’envisager de quitter leur poste que ceux qui n’avaient pas envisagé de le faire dans le passé (rapport de cotes [RC] = 29,33, intervalle de confiance [IC] à 95 % : 8,64 à 99,55). Les répondants qui avaient quitté un poste antérieur en raison d’une détresse morale étaient 12 fois plus susceptibles d’envisager de le faire que ceux qui n’avaient jamais envisagé de le faire (RC = 12,27, IC à 95 % : 2,99 à 50,36).

Les trois sources de détresse morale et les variables psychologiques et fonctionnelles augmentaient de façon significative et indépendante la probabilité d’envisager de quitter son poste en raison d’une détresse morale (tableau 4). Des scores élevés sur la BRS réduisaient significativement la probabilité d’envisager de quitter un poste en raison d’une détresse morale (RC = 0,66, IC à 95 % : 0,45 à 0,98). L’ACES n’augmentait pas de façon significative la probabilité d’envisager de quitter son poste (RC = 1,08, IC à 95 % : 0,94 à 1,24).

Tableau 4. Régressions logistiques binaires simples de l’intention des thérapeutes respiratoires de quitter leur poste en raison d’une détresse morale, sondage sur la détresse morale pendant la pandémie de COVID-19, février à juin 2021
Caractéristique/outil B Écart‑type Wald Valeur p RC IC à 95 %
Sexe/genre 0,16 0,46 0,12 0,725 1,18 0,48 à 2,92
Unité COVID‑19 0,25 0,36 0,48 0,489 1,28 0,64 à 2,56
Nombre total d’années d’exercice 0,10 0,08 1,41 0,234 1,10 0,94 à 1,29
Fait d’avoir envisagé de quitter son poste dans le passé (non; réf.) s.o. s.o. 30,47 < 0,001 s.o. s.o.
Fait d’avoir envisagé de quitter son poste dans le passé (oui; 1) 3,38 0,62 29,37 < 0,001 29,33 8,64 à 99,55
Fait d’avoir envisagé de quitter son poste dans le passé (oui et départ; 2) 2,51 0,72 12,10 < 0,001 12,27 2,99 à 50,36
MMD-HP — patient 0,03 0,01 19,96 < 0,001 1,04 1,02 à 1,05
MMD-HP — équipe/unité 0,02 0,00 26,05 < 0,001 1,02 1,01 à 1,03
MMD-HP — système 0,04 0,01 31,97 < 0,001 1,04 1,03 à 1,06
PCL-5 0,06 0,01 31,49 < 0,001 1,07 1,04 à 1,09
MDI — désengagement 0,11 0,04 8,78 0,003 1,12 1,04 à 1,21
MDI — diminution de la spontanéité affective 0,12 0,04 9,81 0,002 1,13 1,05 à 1,21
EDAS-21 — dépression 0,07 0,02 13,90 < 0,001 1,07 1,03 à 1,11
EDAS-21 — anxiété 0,07 0,02 10,68 0,001 1,07 1,03 à 1,12
EDAS-21 — stress 0,09 0,02 18,96 < 0,001 1,09 1,05 à 1,14
WHODAS 0,12 0,03 21,90 < 0,001 1,12 1,07 à 1,18
BRS −0,41 0,20 4,23 0,040 0,66 0,45 à 0,98
ACES 0,08 0,07 1,07 0,300 1,08 0,94 à 1,24

Régression logistique binaire multiple

Un modèle de régression logistique binaire multiple a été créé pour évaluer les facteurs associés à une probabilité accrue de l’intention de quitter son poste en raison d’une détresse morale. Comme les régressions logistiques binaires simples n’ont révélé aucun lien, le sexe/genre, le travail au sein d’une unité COVID-19, le nombre total d’années d’exercice et l’ACES ont été exclus de ce modèle.

Le modèle a permis de prédire de manière significative le fait d’envisager de quitter son poste [χNote de bas de page 2(13) = 96,7, < 0,001] avec une sensibilité de 92,4 % et une spécificité de 65,5 %, ce qui donne une classification de 85,4 %. Le fait d’avoir envisagé de quitter un poste dans le passé, les sources de détresse morale liées au système de l’échelle MMD-HP, le score PCL-5 et le score d’anxiété de l’EDAS-21 permettent de prédire de façon significative le fait d’envisager de quitter son poste (tableau 5). Plus précisément, la probabilité d’envisager de quitter son poste était 15,88 (IC à 95 % : 4,26 à 59,24) fois plus élevée chez les répondants qui avaient envisagé de quitter un poste en raison d’une détresse morale dans le passé que chez ceux qui n’avaient jamais envisagé de le faire pour cette raison auparavant. Cette probabilité était 7,34 (1,49 à 36,19) fois plus élevée chez ceux qui avaient quitté un poste antérieur en raison d’une détresse morale comparativement à ceux qui n’avaient jamais quitté un poste ni envisagé de le faire par le passé en raison d’une détresse morale. Elle était 1,04 (1,01 à 1,06) fois plus élevée pour chaque augmentation d’une unité des sources de détresse morale liées au système. Elle était également 1,05 (1,00 à 1,10) fois plus élevée pour chaque augmentation d’une unité des scores PCL-5. Enfin, la probabilité d’envisager de quitter son poste était 0,914 (0,84 à 0,99) fois moins élevée pour chaque augmentation d’une unité des scores d’anxiété de l’EDAS-21.

Tableau 5. Régression logistique binaire multiple de l’intention des thérapeutes respiratoires de quitter leur poste en raison d’une détresse morale, sondage sur la détresse morale pendant la pandémie de COVID-19, février à juin 2021
Caractéristique/outil B Écart‑type Wald Valeur p RC IC à 95 %
Fait d’avoir envisagé de quitter un poste dans le passé (non, réf..) s.o. s.o. 17,22 < 0,001 s.o. s.o.
Fait d’avoir envisagé de quitter un poste dans le passé (oui, 1) 2,77 0,67 16,95 < 0,001 15,88 4,26 à 59,24
Fait d’avoir envisagé de quitter un poste dans le passé (oui et départ, 2) 1,99 0,81 6,00 0,014 7,34 1,49 à 36,19
MMD-HP — patient 0,01 0,01 1,15 0,285 1,01 0,99 à 1,03
MMD-HP — équipe/unité −0,01 0,01 0,49 0,484 0,99 0,98 à 1,01
MMD-HP — système 0,04 0,01 8,09 0,004 1,04 1,01 à 1,06
PCL-5 0,05 0,02 4,42 0,036 1,05 1,00 à 1,10
MDI — désengagement −0,08 0,08 0,97 0,324 0,93 0,80 à 1,08
MDI — diminution de la spontanéité affective 0,03 0,07 0,21 0,644 1,03 0,90 à 1,18
EDAS-21 — dépression −0,04 0,04 1,02 0,312 0,96 0,89 à 1,04
EDAS-21 — anxiété −0,09 0,04 4,07 0,044 0,91 0,84 à 0,99
EDAS-21 — stress 0,06 0,04 1,84 0,175 1,06 0,98 à 1,15
WHODAS 0,07 0,04 3,05 0,081 1,07 0,99 à 1,16
BRS −0,03 0,35 0,01 0,931 0,97 0,49 à 1,93

Analyse

L’objectif de cette étude était de caractériser l’effet de la détresse morale et de ses conséquences psychologiques et fonctionnelles sur le fait que des thérapeutes respiratoires ont envisagé de quitter leur poste clinique en raison d’une détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19. Un thérapeute respiratoire sur quatre ayant participé à notre étude a déclaré avoir envisagé de quitter son poste clinique pour cette raison 12 à 16 mois après le début de la pandémie au Canada. Même si cette étude se concentre sur le désir de quitter en raison d’une détresse morale, les résultats rapportés ailleurs sur d’autres professionnels de la santé concordent avec les nôtres. Par exemple, sur près de 700 infirmières et infirmiers de première ligne ayant fait l’objet d’une évaluation aux Philippines début 2021, 25,8 % ont indiqué qu’ils souhaitaient quitter leur posteNote de bas de page 44, tandis que 26,6 % des infirmières et infirmiers des unités de soins intensifs en Roumanie ont déclaré envisager de démissionner entre octobre 2020 et février 2021Note de bas de page 8. Fait intéressant, Fronda et LabraugeNote de bas de page 44 ont signalé que, alors qu’environ un membre du personnel infirmier sur quatre aux Philippines a déclaré avoir envisagé de quitter son poste au début de 2021, un sur cinq a également déclaré avoir envisagé de quitter complètement sa profession.

Les recherches sur le roulement de personnel chez les professionnels de la santé canadiens pendant la pandémie de COVID-19 sont rares, mais elles concordent avec le portrait des thérapeutes respiratoires canadiens. Parmi les 1 705 infirmières et infirmiers canadiens résidant au Québec interrogés entre juillet et novembre 2020, 29,5 % ont déclaré avoir une forte intention de quitter leur milieu de travail et 22,3 % ont déclaré avoir l’intention de quitter entièrement leur professionNote de bas de page 45. Dans une deuxième étude menée entre mai et juin 2021, 425 infirmières et infirmiers en soins intensifs au Canada ont signalé des symptômes importants de TSPT, de dépression, d’anxiété, de stress et d’épuisement professionnel, et 22 % ont déclaré avoir l’intention de quitter leur poste actuelNote de bas de page 46. Une surveillance continue des intentions de départ du personnel est nécessaire pour évaluer dans quelle mesure le système de santé canadien va continuer à être touché après la pandémie.

Nous avons constaté que les thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale ont signalé une détresse morale accrue pour les trois niveaux de détresse évalués (patient, équipe/unité, système) et des symptômes importants de TSPT, de dépression, d’anxiété, de stress, de dissociation (diminution de la spontanéité affective, désengagement affectif) et de déficience fonctionnelle comparativement à leurs homologues qui n’envisageaient pas de quitter leur poste en raison d’une détresse morale. Fait important, plus de la moitié des thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste ont obtenu un score supérieur au seuil de la PCL-5, ce qui indique la présence potentielle d’un TSPT, alors que seulement 13,3 % des thérapeutes respiratoires qui n’envisageaient pas de quitter leur poste dépassaient le seuil de la PCL-5. De plus, les thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale ont fait état de niveaux de résilience inférieurs à ceux des thérapeutes respiratoires qui n’envisageaient pas de le faire. Fait à noter, même si les scores de résilience étaient statistiquement différents entre les thérapeutes respiratoires envisageant de quitter leur poste clinique et ceux qui n’envisageaient pas de le faire, la différence réelle entre les scores moyens de la mesure de la résilience n’était que de 0,26, ce qui représente une différence clinique potentiellement minime. Nos constatations indiquent que les thérapeutes respiratoires qui envisagent de quitter leur poste ont besoin d’un soutien adéquat en santé mentale, compte tenu de leur détresse élevée et de ces conséquences négatives.

Bien que les thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale aient fait état de conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives beaucoup plus importantes que leurs homologues qui n’envisageaient pas de le faire, ces variables ont en fait très peu contribué au modèle prédictif final concernant le fait d’envisager de quitter un poste. Le fait d’avoir envisagé de quitter un poste dans le passé était le seul prédicteur statistiquement significatif qui augmentait considérablement la probabilité d’envisager de le faire à l’heure actuelle. Les thérapeutes respiratoires qui avaient envisagé de quitter un poste ou qui l’avaient effectivement fait dans le passé étaient respectivement 16 et 7 fois plus susceptibles d’envisager de quitter leur poste en raison d’une détresse morale, après ajustement pour les autres variables prédictives. Il importe de signaler, par contre, que les larges intervalles de confiance des rapports de cotes concernant le fait d’avoir envisagé de quitter un poste dans le passé montrent que d’autres renseignements sont nécessaires pour comprendre cet effet. La détresse morale liée au système et les symptômes de TSPT augmentaient significativement la probabilité d’envisager de quitter un poste, mais leur contribution au modèle global est demeurée faible.

Nous soutenons que même si les thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale étaient effectivement caractérisés par une détresse morale, des symptômes psychologiques négatifs et des déficiences fonctionnelles plus importants que leurs homologues qui n’envisageaient pas de le faire, ces facteurs individuels ne sont pas suffisants pour expliquer ce qui incite les thérapeutes respiratoires à envisager de quitter leur poste. Il est possible que des facteurs externes plus vastes, comme des problèmes liés au milieu de travail ou à l’organisation, y contribuent davantage. En effet, le soutien organisationnel perçu, un climat de travail éthique, l’engagement professionnel et la satisfaction au travail sont associés à une diminution de l’intention de départ du personnel infirmierNote de bas de page 47, et une revue systématique publiée récemment a révélé l’importance de conditions de travail défavorables et de soutien organisationnel, au-delà des réactions au stress psychologique, dans l’intention de départ des professionnels de la santé pendant la pandémie de COVID-19Note de bas de page 48.

Le rôle de facteurs organisationnels plus vastes dans l’intention de quitter un poste pourrait aussi expliquer pourquoi nous avons constaté que le fait d’avoir déjà envisagé de quitter un poste ou d’avoir quitté un poste antérieur prédisait l’intention de départ actuelle des thérapeutes respiratoires. Des problèmes persistants liés à l’organisation ou au système pourraient avoir alimenté un désir continu de quitter son poste, dans le passé et à ce moment-là. Bien que nous ne puissions pas exclure que des facteurs individuels aient une influence sur l’intention de quitter un poste, d’autres recherches sont nécessaires pour mieux comprendre le fait que des thérapeutes respiratoires et d’autres professionnels de la santé envisagent de quitter leur poste, et ce, en étudiant non seulement les facteurs individuels comme les symptômes psychologiques, le fonctionnement et la résilience, mais aussi en étudiant attentivement les facteurs organisationnels plus vastes.

Les expériences moralement difficiles vont persister au-delà de la pandémie dans le domaine des soins de santé, augmentant ainsi le risque de détresse morale et, par conséquent, les conséquences psychologiques et fonctionnelles négatives et l’intention de départ du personnel. La collecte des données pour cette étude a eu lieu de février à juin 2021, pendant la deuxième vague de la pandémie en Ontario. Epstein et ses collèguesNote de bas de page 6 ont théorisé l’effet crescendo, selon lequel la détresse morale augmente au fil du temps, car la détresse résiduelle qui subsiste à la suite d’événements difficiles s’additionne graduellement.

De plus, dans le continuum heuristique des facteurs de stress et des conséquences d’ordre moral de Litz et KerigNote de bas de page 49, la détresse morale, bien que préjudiciable, est présumée susciter une réponse moins dommageable qu’une blessure morale. La blessure morale a été définie comme une réponse psychologique, sociale, émotionnelle et existentielle à des événements où une personne transgresse des valeurs morales profondément ancrées ou est témoin d’une telle transgression. La blessure morale est associée au TSPT, à la dépression, à l’anxiété et aux idées ou tentatives suicidairesNote de bas de page 50Note de bas de page 51Note de bas de page 52Note de bas de page 53. Sans un soutien adéquat en santé mentale accordé aux thérapeutes respiratoires et aux autres professionnels de la santé, nous risquons de compromettre la continuité de notre système de santé.

Nous ne disposons pas d’interventions fondées sur des données probantes pour atténuer la détresse moraleNote de bas de page 54. Une revue systématique récente n’a révélé que 16 études sur des interventions visant à contrer la détresse morale chez les professionnels de la santéNote de bas de page 54. Bien que cette revue systématique ait indiqué la possibilité de recourir à des interventions éducatives, des services de consultation, des exercices d’autoréflexion, des conférences scientifiques et des discussions dirigées pour réduire la détresse morale, toutes les études étaient limitées par des contraintes méthodologiques, de sorte qu’il n’y a pas encore de consensus sur les interventions adéquates pour lutter contre la détresse moraleNote de bas de page 54. Le document intitulé Détresse morale chez les travailleurs de la santé pendant la pandémie de COVID‑19 : Guide sur les préjudices moraux, rédigé par le Phoenix Australia Centre for Posttraumatic Mental Health et l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille (https://blessuremorale.ca), pourrait inspirer l’élaboration d’un modèle de soutien par étapes, allant de la prévention à l’intervention. De tels efforts seront également nécessaires au niveau des équipes et des établissements. Ils pourraient comprendre la rotation du personnel entre des rôles très stressants et peu stressants, la promotion d’une culture de soutien et la planification des tableaux de service pour les travailleurs de quart, l’animation de discussions ouvertes sur les défis moraux et éthiques, l’encouragement à prendre soin de soi et la célébration des réussites, ce qui peut s’avérer essentiel pour atténuer la détresse morale.

Les organismes et les dirigeants du secteur des soins de santé sont invités à encourager l’autodépistage des signes de maladie mentale et de détérioration de la santé mentale (voir, par exemple, le continuum En route vers la préparation mentaleNote de bas de page 55), ainsi qu’à fournir un soutien organisationnel et à encourager des évaluations et des traitements formels au besoin (voir D’Alessandro et al.Note de bas de page 56 pour un résumé des considérations organisationnelles visant à mieux contrer les blessures morales liées à la COVID‑19 chez les travailleurs de la santé). En l’absence d’approches ciblées de ce type, une conséquence de l’exposition continue à des événements éprouvants sur le plan moral au travail pourrait être un roulement accru parmi les thérapeutes respiratoires canadiens. Vu la faiblesse des preuves empiriques qui étayent les interventions relatives à la détresse morale, il est urgent de mettre en place des mesures de rétention adéquates, qui tiennent compte de la détresse morale vécue par les thérapeutes respiratoires pendant la pandémie, afin que ces derniers reçoivent du soutien et puissent continuer à fournir des soins après la pandémie de COVID‑19.

Points forts et limites

À notre connaissance, cette étude est la première à porter sur le fait que des thérapeutes respiratoires canadiens ont envisagé de quitter leur poste en raison d’une détresse morale pendant la pandémie de COVID‑19. Cette étude comporte plusieurs points forts, en particulier l’énumération d’une gamme de conséquences et d’expériences psychologiques et fonctionnelles susceptibles du point de vue théorique d’être reliées au fait d’envisager de quitter un poste.

Plusieurs limites sont à considérer dans l’interprétation des conclusions de l’étude. Nos résultats ne sont pas forcément généralisables à l’ensemble des thérapeutes respiratoires canadiens, car notre échantillon était principalement composé de thérapeutes respiratoires de sexe féminin de l’Ontario. Les travaux futurs devraient reproduire ce modèle et l’appliquer à un échantillon représentatif de thérapeutes respiratoires canadiens. De plus, la MMD-HP n’a pas été modifiée en fonction du contexte de la pandémie : c’est le questionnaire original qui a été utilisé, demandant aux participants d’évaluer leur expérience générale par rapport à chaque élément moralement difficile. On ne peut donc en conclure que les signalements de détresse morale dans cette étude sont spécifiques au contexte de la pandémie ou représentatifs des carrières des thérapeutes respiratoires de manière générale. Par ailleurs, le fait d’avoir envisagé de quitter un poste clinique « dans le passé » aurait pu avoir lieu pendant la pandémie de COVID‑19, car la collecte de données s’est déroulée environ un an après le début de la pandémie au Canada. Les chercheurs qui traiteront cette question dans l’avenir voudront sans doute interroger les participants sur leurs expériences pendant la pandémie exclusivement, pour mieux comprendre les effets de la détresse morale liée à la COVID‑19 sur l’intention de quitter un poste et ses conséquences psychologiques.

De plus, la présence d’un diagnostic antérieur de maladie mentale n’a pas été vérifiée. On ignore ainsi dans quelle mesure des antécédents de maladie mentale ont contribué au fait que des thérapeutes respiratoires envisageaient de quitter leur poste au cours de la deuxième année de la pandémie de COVID‑19. Les recherches à venir devraient intégrer l’impact spécifique des maladies présentes avant la pandémie pour préciser leur rôle potentiel en tant que facteur de risque de quitter un poste.

En dernier lieu, au vu de nos résultats (en particulier les larges intervalles de confiance des rapports de cotes dans le modèle final, qui témoigne d’une instabilité dans l’ajustement des modèles), nous devons être conscients que des facteurs autres que la détresse morale peuvent avoir une incidence sur le fait d’envisager de quitter un poste, notamment la satisfaction au travail, le soutien organisationnel et l’absentéisme. Les travaux futurs devraient tenir compte de l’incidence de la détresse morale sur l’intention de quitter un poste dans le contexte plus large des facteurs liés au milieu de travail.

Conclusion

Dans l’échantillon canadien de thérapeutes respiratoires que nous avons constitué 12 à 16 mois après le début de la pandémie, un répondant sur quatre envisageait de quitter son poste en raison d’une détresse morale. Ces thérapeutes respiratoires ont fait état de répercussions psychologiques et fonctionnelles beaucoup plus importantes que leurs homologues qui n’envisageaient pas de quitter leur poste. Bien que l’échantillon des thérapeutes respiratoires qui envisageaient de quitter leur poste en raison d’une détresse morale ait été caractérisé par une diminution de la santé mentale et du bien‑être, nos constatations laissent penser que les facteurs individuels ne suffisent pas à expliquer cette intention. Des mesures de soutien adéquates en matière de santé mentale et d’autres recherches sur les facteurs liés au roulement de personnel sont essentielles pour assurer le bien‑être des thérapeutes respiratoires et la continuité de notre système de soins de santé.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les thérapeutes respiratoires de l’ensemble du Canada pour avoir offert des services de première ligne pendant la pandémie de COVID‑19. Nous tenons particulièrement à remercier Fatima Foster et Kelley Hassall, deux thérapeutes respiratoires inspirantes qui ont grandement contribué à cette étude. De plus, nous tenons à remercier la Société canadienne des thérapeutes respiratoires pour son engagement et sa collaboration en matière de recrutement.

Financement

Cette étude a été appuyée grâce à un contrat attribué à MCM et à RL par l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille, financé par Anciens Combattants Canada, et par un don au Homewood Research Institute de la part de Homewood Health Inc. MCM reçoit un appui financier à titre de titulaire de la chaire Homewood en santé mentale et en traumatisme de l’Université McMaster. RL reçoit un appui comme titulaire de la chaire Harris-Woodman sur la psyché et le soma de l’Université Western du Canada.

Conflits d’intérêts

MM est directrice au Cambridge Memorial Hospital, au Research Institute of St. Joseph’s Healthcare Hamilton et à la St. Joseph’s Healthcare Hamilton Foundation. KH a reçu une subvention de chercheur novice du Hamilton Research Institute pour une étude en échographie chez les thérapeutes respiratoires. SR travaille auprès de l’Institut Atlas pour les vétérans et leur famille. HS et CO travaillent pour Homewood Health, Inc. AM est vice-présidente directrice de Homewood Health, Inc.

Contributions des auteurs et avis

AD : conception, curation des données, analyse formelle, enquête, méthodologie, administration du projet, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions. KR, AB : conception, enquête, méthodologie, administration du projet, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions. BE : analyse formelle, relectures et révisions du manuscrit. YX : curation des données, méthodologie, relectures et révisions du manuscrit. MP, MA, IB, HM, FF, KH, YL : méthodologie, relectures et révisions du manuscrit. DS : analyse formelle, relectures et révisions du manuscrit. FH, SR, CO, HS, AM, AH : conception, relectures et révisions du manuscrit. RM : conception, ressources, logiciels, supervision, relectures et révisions du manuscrit. RL : conception, acquisition de fonds, relectures et révisions du manuscrit. MM : conception, acquisition de fonds, ressources, logiciels, supervision, relectures et révisions du manuscrit.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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