Recherche qualitative originale – Activités politiques corporatives de l’industrie bioalimentaire pendant la révision du guide alimentaire canadien par Santé Canada

Revue PSPMC

Table des matières |

Marie-Chantal Robitaille, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Mélissa Mialon, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3; Jean-Claude Moubarac, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2

https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.12.01f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Jean-Claude Moubarac, Université de Montréal, Pavillon Liliane de Stewart, 2405, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, local 1248, Montréal (Québec) H3T 1A8; tél. : 514-343-6111, poste 28843; courriel : jc.moubarac@umontreal.ca

Citation proposée

Robitaille MC, Mialon M, Moubarac JC. Activités politiques de diverses organisations de l’industrie bioalimentaire pendant la révision du guide alimentaire canadien par Santé Canada. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(12):543-558. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.12.01f

Résumé

Introduction. Nous avons analysé les activités politiques corporatives de l’industrie bioalimentaire pendant le processus de révision du guide alimentaire canadien entre 2016 et 2019.

Méthodologie. Nous avons entrepris une analyse du contenu du site Web de 11 organisations de l’industrie bioalimentaire et des mémoires que 10 d’entre elles ont présentés au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes du Canada dans le cadre de la révision du guide alimentaire canadien par le Comité. Les données ont été classées selon un cadre conceptuel préexistant.

Résultats. Nous avons relevé 366 exemples d’activités politiques utilisées par des organisations de l’industrie bioalimentaire pendant et immédiatement après l’élaboration du guide alimentaire canadien. La plupart des acteurs de l’industrie se sont opposés aux recommandations du guide. Les stratégies les plus utilisées étaient la gestion de l’information (n = 197), pour créer et diffuser de l’information en faveur des positions de l’industrie, et des stratégies discursives (n = 108), pour défendre certains produits alimentaires et promouvoir la position de l’industrie à l’égard du guide alimentaire. Parmi les autres stratégies couramment employées, citons les activités visant à influencer les politiques publiques (n = 40), en obtenant un accès indirect aux décideurs (par exemple par le lobbying) et en participant activement au processus décisionnel du gouvernement, et les activités de gestion de coalition (n = 21), qui consistaient à établir des relations avec des leaders d’opinion et des organisations œuvrant dans le domaine de la santé.

Conclusion. Les acteurs de l’industrie bioalimentaire ont utilisé de nombreuses stratégies pour mener des activités politiques corporatives pendant la révision du guide alimentaire canadien. Il est important de continuer à documenter les activités politiques menées par les organisations de l’industrie bioalimentaire pour comprendre si et comment elles façonnent l’élaboration des politiques publiques au Canada et ailleurs.

Mots-clés : activités politiques corporatives, déterminants commerciaux de la santé, industrie bioalimentaire, politiques publiques, guide alimentaire canadien, santé publique

Points saillants

  • Nous avons étudié la position de l’industrie bioalimentaire canadienne à l’égard du guide alimentaire canadien de 2019 et les activités politiques corporatives connexes qu’elle a entreprises.
  • La plupart des organisations de l’industrie bioalimentaire se sont opposées aux recommandations du Guide alimentaire de 2019 visant à limiter les aliments hautement transformés et à favoriser les aliments à base de végétaux.
  • Les organisations de l’industrie bioalimentaire ont utilisé de nombreuses stratégies pour mener des activités politiques corporatives.
  • Les stratégies les plus courantes consistaient à créer et à diffuser de l’information favorable à l’industrie, à défendre certains produits alimentaires et à promouvoir les positions de l’industrie à l’égard du guide alimentaire canadien.
  • Cet article souligne l’importance de surveiller les activités menées par l’industrie visant à influencer l’élaboration de politiques publiques au Canada.

Introduction

Entre 2016 et 2019, Santé Canada a entrepris de revoir le guide alimentaire canadienNote de bas de page 1. La nouvelle version du guide encourage les Canadiens à cuisiner plus souvent leurs propres aliments, à manger plus d’aliments à base de végétaux, à réduire leur consommation de viande et à limiter leur consommation d’aliments hautement transformésNote de bas de page 2. Autre changement important, les catégories « lait et substituts » et « viande et substituts » ont disparu, et les aliments qu’elles visaient sont maintenant moins mis en évidence dans la nouvelle catégorie des « aliments protéinés »Note de bas de page 2. Ces recommandations, si elles sont adoptées par les Canadiens, auront une incidence sur les profits de certains segments de l’industrie bioalimentaireNote de bas de page 3, en particulier les secteurs de la viande, des produits laitiers et des aliments ultratransformés.

Pendant l’élaboration du guide alimentaire, Santé Canada a permis au public d’accéder à des renseignements utiles et pertinents sur la santé et la sécurité sur son site Web. Santé Canada a également décidé de ne pas rencontrer de représentants de l’industrie pendant le processus d’élaborationNote de bas de page 1Note de bas de page 4, afin d’éviter des conflits d’intérêts ainsi qu’une influence indue de la part de ces derniers. De plus, les experts universitaires que Santé Canada a consultés pendant le processus de révision n’avaient aucun conflit d’intérêts en ce qui concerne l’élaboration et la révision du guide alimentaireNote de bas de page 1.

Il a été prouvé que l’industrie bioalimentaire interfère avec l’élaboration de politiques alimentaires publiques à l’échelle mondiale en menant des activités politiques corporativesNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11. Par ces activités, l’industrie cherche à façonner les politiques publiques de manière à protéger ou à élargir ses marchés ou à favoriser ses intérêtsNote de bas de page 6. Ces activités consistent en des stratégies instrumentales (actions menées par l’industrie) et en des stratégies discursives (arguments présentés par l’industrie)Note de bas de page 8. Ces stratégies instrumentales sont la gestion de l’information, les activités de gestion de coalition, les actions en justice, la participation directe à l’élaboration des politiques publiques et diverses autres activités visant à influencer ces politiques. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est dite préoccupée par le fait que ces activités pourraient limiter la capacité des gouvernements à élaborer et à maintenir des politiques de santé publique efficacesNote de bas de page 12Note de bas de page 13.

L’industrie bioalimentaire (ainsi que d’autres intervenants) a eu l’occasion de participer aux phases de consultation publique du processus de révision. Le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a mené une brève étude du guide alimentaire le 9 novembre 2017. Deux réunions ont eu lieu la même année, soit le 5 décembre et le 12 décembre. Deux réunions supplémentaires prévues pour juin 2018 ont été annulées. Les intervenants ont été invités à présenter des mémoires à la mi-2018. Le président du Comité permanent a envoyé une lettre à la ministre de la Santé à ce sujet à l’été 2018. La ministre de la Santé a répondu à l’automne 2018, avant la publication du nouveau guide alimentaire.

Dans une étude de cas, la correspondance et les présentations échangées entre Santé Canada, l’industrie et d’autres intervenants après la publication de la Stratégie en matière de saine alimentation de 2016 ont été analyséesNote de bas de page 14. Les données de cette étude ont été obtenues sur le site Web de Santé Canada portant sur la transparence et l’ouverture, et les auteurs de l’étude ont indiqué que « les intervenants de l’industrie sont très actifs dans leurs tentatives d’influencer les politiques nutritionnelles canadiennes »Note de bas de page 14, p. 1 [traduction].

Jusqu’à présent, aucune étude n’a analysé les stratégies employées par l’industrie bioalimentaire pour mener des activités politiques corporatives pendant la révision des lignes directrices nationales sur l’alimentation. Les objectifs de nos travaux étaient les suivants : 1) étudier les activités politiques corporatives de l’industrie bioalimentaire au cours de la dernière série de révisions du guide alimentaire canadien et 2) analyser les positions de l’industrie concernant les principes directeurs proposés par Santé Canada au cours du processus de révision.

Méthodologie

Cette étude de cas instrumentale nous a permis d’effectuer une analyse qualitative approfondie des phénomènes dans leur contexte naturelNote de bas de page 15. La question à l’étude était le recours aux activités politiques par diverses organisations de l’industrie bioalimentaire pendant la révision du guide alimentaire canadien menée par Santé CanadaNote de bas de page 3Note de bas de page 5. Les organisations étudiées ont constitué les unités utilisées pour l’analyse.

Étude de cas et échantillon

Afin d’élaborer le guide alimentaire, Santé Canada a examiné la littérature scientifique et a mené deux séries de consultations publiques sur les éléments à prendre en considération pour tenir compte du contexte canadienNote de bas de page 1. La première ronde de consultations s’est déroulée du 24 octobre au 8 décembre 2016 et a porté sur la vision du guide et les considérations d’ordre général. En réponse à la rétroaction découlant de cette consultation publique, Santé Canada a proposé trois principes directeurs à utiliser pour éclairer les futures politiques publiques canadiennes en matière d’alimentationNote de bas de page 1 (tableau 1). Des commentaires sur ces trois principes directeurs ont été sollicités lors de la deuxième série de consultations publiques tenues à l’été 2017Note de bas de page 1.

Tableau 1. Trois principes directeurs du guide alimentaire canadien de 2019
Principe 1 Une variété d'aliments et de boissons nutritifs est le fondement de la saine alimentation; Santé Canada recommande la consommation régulière de légumes, de fruits, de grains entiers et d’aliments riches en protéines, en particulier des protéines d’origine végétale.
Principe 2 Les aliments et les boissons préparés ou transformés à teneur élevée en sodium, en sucres ou en gras saturés nuisent à une saine alimentation.
Principe 3 Des connaissances et compétences sont nécessaires pour naviguer dans un environnement alimentaire complexe et favoriser une saine alimentation.

Par ailleurs, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a tenu deux séances sur le guide alimentaire et a accepté des mémoires rédigés par l’industrie bioalimentaire et la société civile en 2018. Sur les 17 mémoires qui ont été déposés, nous avons choisi pour notre étude les 10 qui provenaient de l’industrie bioalimentaire. Les autres mémoires provenaient d’organismes de recherche en santé publique ou en nutrition. Chaque acteur de l’industrie a présenté un mémoire, à l’exception des Producteurs laitiers du Canada (PLC), qui en ont déposé deux. Le Conseil canadien du jus (CCJ) a déposé le mémoire le plus long (43 pages), et le Conseil canadien des pêches (CCP), le plus court (5 pages). Aucun de ces acteurs n’est un fabricant d’aliments : ce sont les associations commerciales représentant les fabricants qui ont déposé des mémoires au nom des entreprises qui en sont membres.

Nous avons également inclus un autre acteur clé pour mieux représenter la diversité des acteurs de l’industrie bioalimentaire au Canada, soit le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), une association provinciale qui représente les fabricants de produits alimentaires.

Les 11 organisations de l’industrie bioalimentaire incluses dans notre étude sont énumérées dans le tableau 2.

Tableau 2. Organisations de l’industrie bioalimentaireNote de bas de page a incluses dans notre étude
Organisation de l’industrie bioalimentaire Secteur représenté
Conseil canadien du jus (CCJ) Jus et boissons
Conseil des viandes du Canada (CVC) Viande
Producteurs de poulet du Canada (PPC) Volaille
Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) Aliments transformés
Producteurs laitiers du Canada (PLC) Produits laitiers
Association des transformateurs laitiers du Canada (ATLC) Produits du lait transformés
Producteurs d’œufs du Canada (POC) Œufs
Conseil canadien des pêches (CCP) Poissons
Produits alimentaires et de consommation du Canada (PACC) Aliments transformés
Association nationale des engraisseurs de bovins (ANEB) Viande
Éleveurs de dindon du Canada (EDC) Volaille

Collecte et analyse des données

L’équipe de recherche a recueilli des données à partir de documents publiés pendant et immédiatement après la révision du guide alimentaire, entre octobre 2016 et mars 2019. L’une des membres de l’équipe (MCR) a recueilli ces données d’octobre 2018 à mars 2019, soit jusqu’à deux mois après le lancement du guide alimentaire. Nous avons également continué d’analyser le site Web des 11 organisations de l’industrie bioalimentaire après la publication du guide alimentaire (en janvier 2019) afin d’évaluer les effets des stratégies en activités politiques utilisées par ces organisations. Il est à noter que nous avons mis fin à la collecte de données en mars 2019, date après laquelle nous avons constaté que des données supplémentaires ne contribueraient pas de façon statistiquement significative à enrichir ou à contredire notre analyse.

Nous avons analysé le contenu des mémoires rédigés par les organisations de l’industrie en réponse à une invitation du Comité permanent de la santé à formuler des commentaires sur les recommandations du guide alimentaire et nous avons analysé le contenu des sites Web de l’industrieNote de bas de page 16. Nous avons consulté le site Web des 11 organisations de l’industrie bioalimentaire à l’aide de la fonction de recherche générale et des mots clés « Canada food guide » (guide alimentaire canadien) et « guiding principles » (principes directeurs). L’analyse repose sur les commentaires des organisations de l’industrie à propos des trois principes directeurs et des recommandations de Santé Canada. Les documents liés à d’autres politiques, comme l’étiquetage sur le devant des emballages, n’ont pas été inclus dans l’analyse.

Une fois les documents obtenus et extraits sur son ordinateur personnel, l’une des membres de l’équipe de recherche (MCR) en a analysé le contenu selon un cadre élaboré par le Réseau INFORMAS – un réseau international qui agit en faveur de l’action, de l’analyse et de la recherche en matière d’alimentation, d’obésité et d’autres maladies non transmissiblesNote de bas de page 17 – qui est utilisé dans des dizaines de pays pour classer les activités politiques corporatives menées par l’industrie bioalimentaireNote de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 14Note de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25Note de bas de page 26Note de bas de page 27. Selon cette approche déductive de l’analyse des données, nous avons d’abord utilisé le cadre pour coder chaque texte en tant que stratégie instrumentale ou stratégie discursive (tableau 3). Nous avons ensuite catégorisé les stratégies employées par les organisations de l’industrie selon les pratiques générales puis selon les mécanismes concrets utilisés pour la mise en œuvre des pratiques. Les codes et les textes correspondants ont été copiés et collés dans un fichier Microsoft Excel 2019 (Microsoft Corp., Redmond, Washington, États-Unis). Il était ainsi plus facile de coder les documents et de les transmettre électroniquement aux membres de l’équipe. 

Tableau 3. Cadre utilisé pour l’analyse des activités politiques corporatives de l’industrie bioalimentaire dans le contexte du processus de révision au guide alimentaire canadien, octobre 2016 à mars 2019
Domaine Pratiques Mécanismes
Stratégies instrumentales
Gestion de coalition Établissement de relations avec d’importants leaders d’opinion et des organisations œuvrant dans le domaine de la santé Promouvoir les interactions public-privé avec les organismes de santé
Soutenir les organismes professionnels, notamment en les finançant ou en faisant de la publicité dans leurs publications
Établir des relations informelles avec d’importants leaders d’opinion
Appuyer le placement de personnes favorables à l’industrie au sein des organisations œuvrant dans le domaine de la santé
Implication dans la communauté Faire du mécénat
Appuyer les initiatives liées à l’activité physique
Soutenir des événements (comme pour la jeunesse ou les arts) et des initiatives locales
Établissement de relations avec les médias Établir des relations étroites avec des organisations de médias, des journalistes et des blogueurs pour faciliter la promotion par l’intermédiaire des médias
Contrefaçon d’un mouvement d’opinion Mettre sur pied de fausses organisations populaires (astroturfing)
Obtenir le soutien des communautés et des groupes d’affaires pour qu’ils s’opposent aux mesures de santé publique
Opposition, fragmentation et déstabilisation Discréditer les défenseurs de la santé publique, personnellement et publiquement, par exemple dans des médias, des blogues
Infiltrer les groupes et les organismes de défense de la santé publique, et surveiller leurs activités et stratégies
Créer un antagonisme entre professionnels
Gestion de l'information Production de renseignements ou de données Financer la recherche, notamment les établissements de recherche qui leur appartiennent, des universitaires, des auteurs fantômes et des groupes de façade
Amplification de renseignements ou de données Choisir des données qui favorisent l’industrie, y compris des données non publiées ou n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation par les pairs
Participer à des événements scientifiques et en organiser
Proposer une formation parrainée par l’industrie
Suppression de renseignements ou de données Réprimer la diffusion de travaux de recherche qui ne cadrent pas avec les intérêts de l’industrie
Souligner les désaccords qui existent entre scientifiques et les doutes qui entourent les questions scientifiques
Critiquer les données et souligner leur complexité et leur incertitude
Utilisation de la crédibilité d’un tiers Dissimuler les liens entre l’industrie et l’information/les données, en utilisant notamment des scientifiques comme conseillers, consultants ou porte-parole.
Participation et influence en lien avec l'élaboration des politiques Accès indirect aux décideurs Faire pression directement ou indirectement (par des tiers) pour favoriser l’adoption de lois et de règlements avantageux pour l’industrie
Recourir au principe de la « porte tournante », selon lequel d’anciens employés de l’industrie alimentaire travaillent dans des organisations gouvernementales et vice-versa.
Incitatifs Financer et fournir des incitatifs financiers à des partis politiques et à des décideurs (dons, cadeaux, activités de divertissement, etc.)
Menaces Menacer de mettre un terme aux investissements si de nouvelles politiques de santé publique sont adoptées
Participation active au processus décisionnel du gouvernement Solliciter la participation à des groupes de travail, à des groupes techniques et à des groupes consultatifs
Fournir un soutien technique et des conseils aux décideurs (dont des services-conseils)
Actions en justice Actions en justice (ou menace de telles actions) contre des politiques publiques ou des opposants Intenter ou menacer d’intenter des actions en justice contre des gouvernements, des organisations ou des particuliers
Impact sur l’élaboration des accords de commerce et d’investissement Influencer l’élaboration des accords de commerce et d’investissement afin que des clauses favorables à l’industrie soient incluses (restrictions commerciales limitées, mécanismes permettant aux organisations de poursuivre les gouvernements, etc.)
Stratégies discursives
Divers Importance pour l’économie du pays Souligner les emplois et l’argent générés pour l’économie
Problèmes de gouvernance dans le processus Diaboliser l’« État paternaliste »
Coûts prévus pour l’industrie alimentaire Affirmer que les politiques entraîneront une réduction des ventes et des emplois
Déclarer que les coûts associés au respect des politiques seront élevés
Recentrage du débat sur les questions d’alimentation et de santé publique de manière à favoriser les intérêts de l’industrie Faire valoir les qualités de l’industrie alimentaire
Mettre l’accent sur la responsabilité individuelle, sur le rôle des parents et sur l’inactivité physique, par exemple, plutôt que de rejeter la faute sur l’industrie alimentaire et ses produits.
Promouvoir les solutions privilégiées par l’industrie : éducation, alimentation équilibrée, information, initiatives public-privé, autoréglementation (reformulation)

Pour valider le codage, un autre membre de l’équipe (JCM) a revu tous les renseignements et les codes et a proposé des modifications et des révisions au besoin. Enfin, la troisième membre de l’équipe (MM) a vérifié au hasard le cinquième des renseignements et des codes utilisés. Le degré de concordance entre les évaluateurs a été de 81 %. À la suite de cette analyse, l’équipe a discuté des points de divergence pour finaliser la codification. Pour chaque document analysé, nous nous sommes concentrés sur la façon dont le texte était rédigé, sur son contenu général et sur la façon dont les 11 organisations de l’industrie bioalimentaire ont communiqué leur position. Ensuite, nous avons apparié les textes à chaque principe directeur correspondant et nous avons déterminé la position et le discours des acteurs concernant les recommandations des principes.

Dans le cadre que nous avons utilisé, il est possible qu’il y ait un chevauchement entre les différentes stratégies d’activité politique. Dans certains cas, un exemple d’activité politique entrait dans deux catégories, ce que les auteurs du cadre ont mentionnéNote de bas de page 6. Les membres de l’équipe de recherche se sont entendus sur la catégorisation après en avoir discuté entre eux.

En ce qui concerne le second objectif, nous avons cerné, le cas échéant, les thèmes récurrents liés aux positions des acteurs de l’industrie bioalimentaire à l’égard de chacun des principes directeurs. Nous nous sommes concentrés sur le contenu des messages et sur la façon dont les positions étaient communiquées par les acteurs. Les citations ont été regroupées en fonction des principes directeurs en cause. Dans l’analyse finale, nous avons cerné, lorsqu’il était pertinent de le faire, les thèmes récurrents correspondant à la position des acteurs pour chacun des principes directeurs. Une chercheure (MCR) a choisi les citations et les deux autres chercheurs (MM et JCM) ont collaboré à la révision de l’ensemble de l’analyse.

Considérations d’ordre éthique

Le protocole de recherche a été soumis au Comité d’éthique de la recherche en santé de l’Université de Montréal (Québec, Canada). Comme les données utilisées dans ces travaux de recherche sont publiques, aucune approbation éthique n’était nécessaire.

Résultats

Recours à des activités politiques corporatives par l’industrie bioalimentaire

Nous avons analysé 11 mémoires mis à la disposition du public sur le site Web de la Chambre des communes et 13 documents extraits du site Web de 11 organisations de l’industrie bioalimentaire.

Dans les documents pertinents, nous avons relevé 366 exemples d’activités politiques corporatives pendant l’élaboration du guide alimentaire. Les stratégies d’activité politique les plus courantes que nous avons documentées dans notre analyse ont été les stratégies de gestion de l’information (n = 197), les stratégies discursives (n = 108), l’implication et l’exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques (n = 40) et les stratégies de gestion de coalition (n = 21) (tableau 4). Plus de la moitié des exemples mentionnés concernent une stratégie de gestion de l’information.

Tableau 4. Stratégies utilisées par les organisations de l’industrie bioalimentaire pour mener des activités politiques en lien avec le processus de révision du guide alimentaire canadien entre octobre 2016 et mars 2019
Stratégie en matière d’activité politique Fréquence d’utilisation dans les documents extraits
n %
Gestion de l’information 197 53,8
Stratégies discursives 108 29,5
Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques 40 10,9
Gestion de coalition 21 5,8
Total 366 100

Les pratiques de gestion de l’information les plus courantes étaient la suppression, l’amplification ou la production de données liées au guide alimentaire, par exemple en discréditant les données scientifiques établies et en prétendant qu’il subsistait des doutes sur un sujet donné (tableau 5). L’obtention d’un accès indirect aux décideurs (par exemple en faisant du lobbying) et la volonté de participer activement au processus décisionnel du gouvernement étaient des pratiques courantes dans la catégorie « implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques ».

Tableau 5. Pratiques utilisées par diverses organisations de l’industrie bioalimentaire pour mener des activités politiques corporatives en lien avec le processus de révision du guide alimentaire canadien entre octobre 2016 et mars 2019
Stratégie en matière d’activité politique Pratique en matière d’activité politique PPC EDC POC ANEB CCP CVC PLC PACC ATLC CCJ CTAQ Total
Gestion de l'information Suppression de renseignements ou de données 4 4 3 20 1 10 33 7 2 10 4 98
Amplification de renseignements ou de données 4 1 1 18 2 4 20 2 5 18 5 80
Production de renseignements ou de données 1 2 6 1 5 1 16
Utilisation de la crédibilité d’un tiers 1 2 3
Total 197
Stratégies discursives Recentrer le débat sur les questions d’alimentation et de santé publique de manière à favoriser les intérêts de l’industrie 2 1 5 7 3 14 6 8 5 6 1 58
Coût prévu pour l’industrie 1 1 2 1 4 7 2 16 6 40
Acteur important dans l’économie du pays 1 1 1 3 1 2 9
Problèmes de gouvernance dans le processus 1 1
Total 108
Implication et exercice d'influence dans l'élaboration des politiques publiques Accès indirect aux décideurs 1 1 1 10 4 6 23
Participation active au processus décisionnel du gouvernement 2 2 2 4 2 3 2 17
                        40
Gestion de coalition Recrutement de tiers – établissement de relations avec des leaders d’opinion et des organisations œuvrant dans le domaine de la santé 7 2 5 14
Opposition, fragmentation et déstabilisation 2 2 1 1 6
Création d’un réseau de soutien 1 1
Total 21
Ensemble Total ( n et %) 16 (4,4) 8 (2,2) 10 (2,7) 60 (16,4) 7 (1,9) 31 (8,5) 87 (23,8) 37 (10,1) 17 (4,6) 73 (19,9) 20 (5,5) 366 (100)

Les arguments le plus souvent utilisés par les organisations ayant recours à une stratégie discursive étaient ceux qui recentraient le débat sur les questions d’alimentation et de santé de manière à favoriser les intérêts de l’industrie et à présenter les répercussions économiques négatives des politiques publiques sur l’industrie. Par exemple, certaines organisations mettaient en valeur les avantages qu’elles apportaient à l’économie canadienne, en soulignant le nombre d’emplois qu’elles généraient.

La pratique de gestion de coalition le plus souvent observée était le recrutement de tiers ou l’établissement de relations avec des leaders d’opinion et des organisations œuvrant dans le domaine de la santé qui défendent les intérêts de l’industrie bioalimentaire. Les pratiques utilisées étaient assez semblables dans tous les secteurs de l’industrie, mais il y avait des écarts importants entre certains acteurs quant à la fréquence de certaines pratiques.

Les organisations de l’industrie bioalimentaire les plus actives dans leur recours aux activités politiques corporatives étaient les Producteurs laitiers du Canada (n = 87; 23,8 % de l’ensemble des activités politiques), le Conseil canadien du jus (n = 73; 19,9 % de l’ensemble des activités politiques) et l’Association nationale des engraisseurs de bovins (n = 60; 16,4 % de l’ensemble des activités politiques) (tableau 5). Cela n’est pas surprenant étant donné que la consommation de jus, de produits laitiers et de viande diminuerait probablement si les Canadiens suivaient les nouvelles recommandations du guide alimentaire, ce qui fait que les organisations de l’industrie correspondantes ont sans doute investi plus de ressources et déployé plus d’efforts pour mener leurs activités politiques corporatives.

Les pratiques les plus fréquemment utilisées selon notre étude étaient la suppression de l’information défavorable à l’industrie bioalimentaire (n = 98) et l’amplification de l’information avec laquelle l’industrie était d’accord (n = 80) (tableau 6). Les acteurs de l’industrie ont critiqué les données scientifiques établies en soulignant leur complexité et leur incertitude : ils ont fait valoir que certaines des données probantes sous-jacentes aux recommandations alimentaires devaient être plus récentes ou plus pertinentes ou appuyées par plus de données probantes. Par exemple, dans son mémoire, l’association commerciale Produits alimentaires et de consommation du Canada a remis en question le fondement scientifique des recommandations sur les sucres ajoutés. De même, les Producteurs laitiers du Canada ont affirmé que la réduction proposée de la quantité de produits laitiers dans une alimentation saine n’était pas fondée sur des données probantes.

Tableau 6. Fréquence des pratiques couramment utilisées par diverses organisations de l’industrie bioalimentaire pour mener des activités politiques corporatives en lien avec le processus de révision du guide alimentaire canadien entre octobre 2016 et mars 2019
Pratique en matière d’activité politique Stratégie en matière d’activité politique Fréquence d’utilisation
n %
Suppression de renseignements ou de données Gestion de l’information 98 26,8
Amplification de renseignements ou de données Gestion de l’information 80 21,9
Recentrage du débat sur les questions d’alimentation et de santé publique de manière à favoriser les intérêts de l’industrie Stratégie discursive 58 15,8
Coût prévu pour l’industrie Stratégie discursive 40 10,9
Accès indirect aux décideurs Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques 23 6,3
Participation active au processus décisionnel du gouvernement Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques 17 4,6
Production de renseignements ou de données Gestion de l’information 16 4,4
Recrutement de tiers – établissement de relations avec des leaders d’opinion et des organisations œuvrant dans le domaine de la santé Gestion de coalition 14 3,8
Acteur important dans l’économie du pays Stratégie discursive 9 2,5
Opposition, fragmentation et déstabilisation Gestion de coalition 6 1,6
Utilisation de la crédibilité d’un tiers Gestion de l’information 3 0,8
Création d’un réseau de soutien Gestion de coalition 1 0,3
Problèmes de gouvernance dans le processus Stratégie discursive 1 0,3
Total 366 100

Les mécanismes le plus souvent employés étaient « la critique des données scientifiques établies en soulignant leur complexité et leur incertitude » (dans le cadre de la pratique consistant à supprimer des données) et « la sélection de données favorables à l’industrie » (dans le cadre de la pratique consistant à amplifier de telles données), en particulier la présentation de renseignements inexacts, déformés ou exagérés sans preuve à l’appui (tableau 7). Par exemple, dans leur mémoire, les Producteurs laitiers du Canada ont déclaré que « depuis 2015, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC s’oppose à l’idée d’établir un seuil ou une limite pour les gras saturés et préconise plutôt de mettre l’accent sur une alimentation saine et équilibrée » [traduction]. En fait, contrairement à l’affirmation des Producteurs laitiers du Canada, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC ne s’est pas opposée aux recommandations : elle considère qu’il faut mettre l’accent sur la qualité globale de l’alimentation pour réduire l’apport en gras saturés et n’a pas précisé de seuil ou de limite pour les gras saturésNote de bas de page 28.

Tableau 7. Fréquence des mécanismes couramment utilisés par diverses organisations de l’industrie bioalimentaire pour mener des activités politiques corporatives en lien avec le processus de révision du guide alimentaire canadien entre octobre 2016 et mars 2019
Mécanisme utilisé Stratégie correspondante Fréquence d’utilisation
n %
Critiquer les données scientifiques établies en soulignant leur complexité et leur incertitude Gestion de l’information 82 22,4
Choisir des données favorables à l’industrie, en particulier des données tirées d’articles non publiés ou n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation par les pairs Gestion de l’information 76 20,8
Promouvoir les solutions privilégiées par l’industrie : mettre en place des initiatives volontaires ou un mécanisme d’autorégulation; mettre l’accent sur l’équilibre énergétique plutôt que sur les régimes alimentaires malsains; éduquer et informer plutôt que de parler des causes profondes de la mauvaise santé; et mettre en place des partenariats public-privé Stratégie discursive 52 14,2
Affirmer qu’il y aurait des coûts imprévus pour la santé publique Stratégie discursive 29 7,9
Faire du lobbying auprès des élus, directement ou indirectement, pour influencer les lois et les règlements au profit de l’industrie Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques 23 6,3
Financer la recherche, notamment des chercheurs, des établissements de recherche, des auteurs fantômes et des groupes de façade Gestion de l’information 17 4,6
Solliciter la participation à des groupes de travail, à des groupes techniques et à des groupes consultatifs au gouvernement Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques 16 4,4
Se concentrer sur les désaccords entre les scientifiques et semer le doute envers la science Gestion de l’information 14 3,8
Promouvoir les interactions entre le public et le privé, en particulier avec les organismes de santé publique Gestion de coalition 12 3,3
Souligner le nombre d’emplois et les avantages économiques générés par l’industrie Stratégie discursive 9 2,4
Affirmer que les recommandations proposées entraîneront une réduction du nombre d’emplois ou de ventes Stratégie discursive 9 2,4
Minimiser la responsabilité du secteur agroalimentaire en blâmant, par exemple, le manque d’activité physique, en plaidant en faveur de la responsabilité individuelle ou en affirmant qu’il revient aux parents de veiller à la santé de leurs enfants Stratégie discursive 8 2,2
Discréditer les professionnels de la santé publique, personnellement et publiquement Gestion de l’information 5 1,4
Empêcher la diffusion de travaux scientifiques qui ne servent pas les intérêts de l’industrie Gestion de l’information 4 1,1
Dissimuler les liens entre un élément d’information et l’industrie, en utilisant notamment des universitaires rémunérés comme conférenciers, consultants ou porte-parole Gestion de l’information 3 0,8
Affirmer que le coût de la mise en œuvre du guide sera trop élevé pour l’industrie Stratégie discursive 2 0,5
Fournir un soutien technique et des conseils aux décideurs Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques 1 0,3
Infiltrer ou surveiller les activités et les stratégies de promotion des intérêts des professionnels de la santé publique Gestion de coalition 1 0,3
Diaboliser les mesures prises par le gouvernement en les qualifiant de paternalistes Stratégie discursive 1 0,3
Obtenir le soutien d’organismes communautaires et d’autres industries pour s’opposer aux mesures de santé publique Gestion de coalition 1 0,3
Produire et diffuser du matériel éducatif financé ou élaboré par l’industrie Gestion de l’information 1 0,3
Total 366 100

Nous avons constaté que les stratégies discursives le plus fréquemment utilisées (n = 108) consistaient à « recentrer le débat sur les questions d’alimentation et de santé publique » (n = 58) et à « affirmer qu’il y aurait des coûts pour l’industrie » (n = 40) (tableau 6). Dans le contexte où Santé Canada consultait des experts universitaires au besoin pendant le processus de révision plutôt que dans le cadre d’un comité d’experts officiel, l’industrie bioalimentaire a remis en question la décision de faire appel à des experts entièrement indépendants n’ayant aucun intérêt commercial. Dans le mémoire qu’ils ont déposé, les Producteurs d’œufs du Canada ont souligné « l’importance de consulter à la fois des producteurs d’aliments et des professionnels de la santé et de dialoguer avec ces deux catégories d’intervenants pour assurer un équilibre des opinions tout au long du processus » [traduction]. Produits alimentaires et de consommation du Canada a fait valoir que ce serait un mauvais service à rendre aux Canadiens de ne pas offrir à l’industrie bioalimentaire l’occasion d’apporter son expertise technique, scientifique et alimentaire à la discussion. Produits alimentaires et de consommation du Canada a également remis en question le fondement scientifique de la décision d’exclure l’industrie. Le Conseil des viandes du Canada a demandé que l’industrie alimentaire participe aux consultations en vue de la révision du guide alimentaire car elle possède une vaste expertise en nutrition et en science ainsi qu’une expérience dans l’éducation des consommateurs. Cette déclaration ajoute à la confusion puisque le Conseil des viandes du Canada a participé aux consultations publiques tenues en ligne et a donc été impliqué dans le processus, contrairement à ce que prétend l’organisation. En ce sens, certaines organisations de l’industrie bioalimentaire ont défendu une vision de la santé publique qui différait de l’approche utilisée par Santé Canada en matière d’élaboration de politiques. D’autres intervenants ont affirmé qu’ils avaient le droit d’assister aux discussions en tant qu’experts tout aussi qualifiés que les experts indépendants consultés par Santé Canada.

De plus, le Conseil canadien du jus, les Producteurs laitiers du Canada, Produits alimentaires et de consommation du Canada et le Conseil de la transformation alimentaire du Québec ont qualifié les principes directeurs de potentiellement préjudiciables à l’économie du pays en raison du coût que la mise en œuvre du guide alimentaire aurait pour l’industrie. Ces organisations ont exprimé leur désir de sauver des emplois dans leur secteur. Dans son mémoire, le Conseil canadien du jus a accusé le gouvernement d’utiliser son autorité pour nuire aux activités économiques de l’organisation et a ajouté que le gouvernement créait des obstacles à l’innovation et à la croissance de l’industrie : « Les changements proposés signifieraient que le gouvernement du Canada utilise son autorité et des deniers publics pour tenter expressément de nuire à l’industrie canadienne du jus, alors que les plus récentes données scientifiques sur le sujet ne justifient pas la prise d’une telle position » [traduction].

Analyse des positions des acteurs de l’industrie bioalimentaire concernant les principes directeurs proposés par Santé Canada pour le guide alimentaire 2019

L’industrie bioalimentaire s’est clairement opposée à l’approche proposée pour le Guide alimentaire de 2019 et aux trois principes directeurs, la position de chaque intervenant reflétant ses intérêts particuliers et ses activités économiques. Par exemple, le Conseil canadien du jus s’est concentré sur les recommandations concernant les jus, tandis que les Producteurs laitiers du Canada ont exprimé des préoccupations au sujet de la place réservée aux produits laitiers dans le guide alimentaire. Leurs positions ne concordent pas avec les concepts qui sous-tendent les nouvelles lignes directrices alimentaires, comme l’incidence des choix alimentaires sur l’environnement, ni avec les données scientifiques les plus récentes sur lesquelles les lignes directrices sont fondées.

Principe directeur no 1

Selon le premier principe directeur, « une alimentation saine repose sur une variété d’aliments et de boissons nutritifs », et il est expressément recommandé de « consommer régulièrement des légumes, des fruits, des grains entiers et des aliments riches en protéines, en particulier des protéines d’origine végétale ». De plus, bien que les recommandations aient été entièrement fondées sur des considérations en matière de santé, le premier principe directeur tient aussi compte de facteurs liés à l’environnement et au développement durableNote de bas de page 1.

Les acteurs de l’industrie bioalimentaire œuvrant dans les secteurs de la viande, des œufs et des produits laitiers ont critiqué l’importance relative des protéines animales dans le groupe des aliments protéinés : l’Association nationale des engraisseurs de bovins a souligné la valeur nutritionnelle supérieure des protéines de bœuf par rapport aux protéines d’origine végétale, tandis que les Producteurs d’œufs du Canada ont fait valoir qu’il était plus important de mettre l’accent sur les sources de protéines comme les œufs que sur les sources de protéines d’origine végétale; l’industrie laitière s’est quant à elle opposée au peu d’importance accordé au lait dans les recommandations. L’Association nationale des engraisseurs de bovins et les Producteurs de poulet du Canada ont affirmé que les protéines d’origine végétale fournissaient plus de calories que les protéines d’origine animale, ce qui laisse entendre que les recommandations du guide alimentaire, si elles étaient suivies, seraient néfastes pour la santé. Enfin, dans leur mémoire, les Producteurs laitiers du Canada ont souligné le fait que Santé Canada doit « accorder une attention appropriée et juste aux produits laitiers qui occupent une position unique dans le contexte de la Stratégie pour une saine alimentation et reconnaître ce statut unique».

Les acteurs de l’industrie ont tenté de légitimer cette position en utilisant des arguments scientifiques fondés sur les résultats d’études qu’ils ont financées plutôt que sur les résultats de travaux de recherche indépendants. Lorsque leurs conclusions ont été contredites, les Producteurs laitiers du Canada se sont adressés directement au premier ministre Justin Trudeau afin qu’il fasse appel à son autorité et intervienne auprès de la ministre de la Santé responsable du dossierNote de bas de page 29.

Plusieurs acteurs de l’industrie bioalimentaire (principalement ceux de l’industrie de la viande) étaient en désaccord avec les considérations environnementales et de développement durable du principe directeur, et les Éleveurs de dindon du Canada sont allés jusqu’à demander dans leur mémoire que les facteurs environnementaux soient supprimés.

Le tableau 8 présente d’autres exemples des arguments utilisés par les acteurs de l’industrie bioalimentaire contre le principe directeur no 1.

Tableau 8. Exemples d’arguments utilisés par les organisations de l’industrie bioalimentaire pendant la révision du guide alimentaire canadien concernant le principe directeur no 1 : « Une variété d'aliments et de boissons nutritifs est le fondement de la saine alimentation », octobre 2016 à mars 2019
Acteur de l’industrie Exemple d’argument utilisé Stratégie correspondante / Pratique
Éleveurs de dindon du Canada « Supprimer les facteurs environnementaux. Des facteurs environnementaux ont été inclus dans les principes directeurs proposés pour le guide alimentaire canadien, ce qui semble dépasser la portée du guide. Cela détourne de l’accent mis sur la nutrition par Santé Canada et laisse entendre que les consommateurs devraient éviter les protéines d’origine animale, qui sont pourtant nécessaires dans une alimentation saine… Il y a des moyens plus appropriés que d’utiliser le guide alimentaire canadien pour souligner l’importance des pratiques agricoles durables et respectueuses de l’environnement. » (EDC, no 22) [traduction] Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Producteurs de poulet du Canada « Les chercheurs ont mis au point plusieurs méthodes pour évaluer la qualité des protéines alimentaires, en fonction des acides aminés dont elles sont constituées, de leur digestibilité et de leur capacité à répondre aux besoins du corps humain. Les protéines d’origine végétale ajoutent des glucides et du gras à l’alimentation des gens, ce qui a un effet sur l’apport calorique global. Par exemple, pour obtenir la même quantité de protéines qu’une portion de poitrine de poulet (75 g, grillée), il faudrait consommer (annexe A) :
  • plus de 300 g de tofu (deux portions complètes de 150 g, à raison de 82 kcal/portion)
  • trois tasses de quinoa (près de six portions de 125 ml, à raison de 117 kcal/portion)
  • plus d’une demi-tasse d’amandes (trois portions complètes de 60 ml, à raison de 208 kcal/portion)
  • plus de 350 ml de haricots blancs (plus de deux portions complètes de 175 ml, à raison de 189 kcal/portion)
  • un peu moins de 350 ml de lentilles (près de deux portions complètes de 175 ml, à raison de 190 kcal/portion).
Les différences caloriques pourraient à elles seules contribuer à un poids globalement malsain. » (PPC, no 11) [traduction]
Gestion de l’information / Amplification de renseignements ou de données
Producteurs de poulet du Canada « Il y a également eu une participation importante des activistes végétaliens, et ils ont célébré les nouveaux principes directeurs comme une grande victoire. » (PPC, no 7) [traduction] Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Association nationale des engraisseurs de bovins « Calorie pour calorie, le bœuf est plus dense en nutriments que les protéines végétales, comme le beurre d’arachide, le tofu ou les haricots. Les protéines animales saines et maigres sont tout simplement différentes des protéines végétales. Encore une fois, nous croyons qu’il devrait être facile et simple de suivre le guide alimentaire canadien, et le fait de mettre l’accent sur les groupes alimentaires maintient cette facilité d’utilisation. Les gens achètent des aliments, ils n’achètent pas des nutriments. » (ANEB, no 37) [traduction] Gestion de l’information / Amplification de renseignements ou de données
Producteurs d’œufs du Canada « En ce qui concerne la version révisée du guide alimentaire, nos préoccupations découlent du positionnement flou des protéines animales et des protéines végétales qui résulte du premier principe directeur mis de l’avant par Santé Canada… Il est plus important de mettre l’accent sur les sources de protéines comme les œufs, qui sont riches en nutriments, que de mettre uniquement l’accent sur les sources de protéines végétales. » (POC, no 26) [traduction] Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Producteurs laitiers du Canada « L’orientation proposée dans le nouveau guide alimentaire n’est pas fondée sur des données probantes et pourrait avoir des conséquences durables sur un secteur qui se trouve déjà dans une position difficile en raison de l’actuel gouvernement. Les Producteurs laitiers du Canada demandent au premier ministre Trudeau d’ordonner à la ministre de la Santé de faire ses devoirs et de tenir compte de toutes les données scientifiques disponibles avant la publication du nouveau guide alimentaire. La santé des Canadiens et la santé d’un secteur canadien dynamique sont en jeu. » (PLC, no 241) [traduction] Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques / Accès indirect aux décideurs
Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Producteurs laitiers du Canada « Ces changements aux lignes directrices nationales du Canada en matière de santé surviennent à un moment où le secteur laitier est encore ébranlé par les dernières concessions faites par le gouvernement fédéral pour conclure de nouveaux accords commerciaux. En diminuant délibérément la valeur nutritive des produits laitiers aux yeux des Canadiens, on causerait encore plus de tort au secteur laitier, et ce, malgré les données scientifiques sur le sujet. Et cela nuira non seulement au secteur laitier et aux centaines de milliers de personnes qui en dépendent pour leur subsistance, mais cela risque également de nuire aux consommateurs canadiens en créant de la confusion quant à la valeur nutritive des produits laitiers. » (PLC, no 239) [traduction] Stratégie discursive / Coût prévu pour l’industrie
Association des transformateurs laitiers du Canada « Il n’est pas nécessaire de diffamer les intervenants de l’industrie agroalimentaire qui sont en mesure de fournir de précieuses données scientifiques en vue d’éventuels changements et qui peuvent proposer des solutions en tant que collègues et partenaires. Le manque de communication à ce jour a alimenté des spéculations et des préoccupations qui peuvent être fondées ou non. Nous espérons que les responsables reconnaîtront cette situation et y remédieront. » (ATLC, no 179) [traduction] Implication et exercice d’influence dans l’élaboration des politiques publiques / Participation active au processus décisionnel du gouvernement

Principe directeur no 2

Le Conseil canadien du jus, l’industrie laitière, Produits alimentaires et de consommation du Canada et le Conseil de la transformation alimentaire du Québec se sont opposés au principe directeur no 2, selon lequel « les aliments et les boissons préparés ou transformés à teneur élevée en sodium, en sucres ou en gras saturés nuisent à une saine alimentation ». Les acteurs de l’industrie laitière et Conseil de la transformation alimentaire du Québec se sont opposés à la recommandation de Santé Canada de limiter l’apport en sucre et d’éviter les boissons à teneur élevée en sucre.

Produits alimentaires et de consommation du Canada, le Conseil canadien du jus et le Conseil de la transformation alimentaire du Québec ont critiqué la recommandation de Santé Canada d’éviter le jus pur à 100 %, ce qui met fin à la recommandation préexistante selon laquelle le jus était un substitut direct aux fruits entiers. Dans son mémoire, Produits alimentaires et de consommation du Canada a déclaré que le fait de « forcer les Canadiens à remplacer le jus de fruits pur à 100 % par des fruits frais ferait grimper le coût des aliments pour les Canadiens et, en fin de compte, aurait des répercussions sur les membres les plus vulnérables de la société, comme les communautés autochtones » [traduction]. Dans cet exemple, Produits alimentaires et de consommation du Canada a joué sur les émotions en mentionnant les populations vulnérables, puisque PACC laisse entrevoir un risque pour une partie de la population autochtone, mais n’a pas fourni de preuves à l’appui de ses allégations.

Le Conseil canadien du jus a soutenu que l’exclusion du jus du Guide alimentaire aurait des conséquences sur la santé des gens. Dans son mémoire, il a affirmé que les résultats des études scientifiques qu’il avait présentés ne concordaient pas avec les données sur lesquelles reposait le deuxième principe directeur. Toutefois, il n’a pas fait de distinction entre les renseignements que Santé Canada jugeait valides (issus d’un consensus scientifique indépendant) et les renseignements provenant de sources ayant des liens avec l’industrie, qui s’opposent au deuxième principe directeur. Le Conseil canadien du jus s’est également positionné comme un expert légitime et qualifié en matière de jus, ce qui laisse entendre qu’il devrait être consulté à ce sujet. Enfin, il a fait valoir que l’industrie du jus faisait l’objet de discrimination et que les modifications proposées au guide alimentaire pourraient la priver de subventions futures.

Le secteur de la transformation était le principal adversaire de la recommandation du guide alimentaire voulant qu’il faille éviter les aliments transformés. Produits alimentaires et de consommation du Canada a indiqué être « très préoccupé par les perceptions erronées qui prévalent… Les connaissances déficientes et le parti pris de Santé Canada à l’égard des aliments transformés ont été révélés dans son sondage en ligne sur le guide alimentaire, ce qui contribue à accroître la confusion chez les consommateurs ».

Le Conseil de la transformation alimentaire du Québec et Produits alimentaires et de consommation du Canada ont proposé des définitions pour les « aliments transformés » qui ne concordaient pas avec la définition de Santé Canada ou avec les conclusions des travaux de recherche sur la contribution alimentaire des aliments transformés, et ce, même après la publication du guide alimentaire, ce qui pourrait rendre le public confus. En effet, à la suite de la publication du nouveau guide, le Conseil de la transformation alimentaire du Québec a affiché sur son site Web une définition d’« aliments transformés » qui contredisait la définition de Santé Canada et qui ne concordait pas avec le consensus scientifique établi. De plus, il ne faisait aucune distinction de ces aliments en fonction de leur type de transformation, c’est-à-dire que tous les types d’aliments transformés (de peu transformés à ultratransformés) étaient présentés comme s’ils étaient identiques et comme s’ils avaient les mêmes répercussions sur la santé. Produits alimentaires et de consommation du Canada a également demandé au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes de veiller à ce que la recommandation de Santé Canada ne représente pas faussement ses produits.

Diverses organisations de l’industrie bioalimentaire ont utilisé des arguments faisant appel aux émotions, par exemple la peur et l’anxiété, pour souligner les conséquences qui pourraient s’ensuivre si on limitait la consommation d’aliments à teneur élevée en sel, en sucre (comme les jus) et en gras pour les populations vulnérables, comme les femmes enceintes ou allaitantes vulnérables sur le plan économique ou les familles de la classe moyenne qui, en raison d’un budget serré, pourraient ne pas être en mesure de se payer des fruits et des légumes frais. Par exemple :

Il n’est tout simplement pas raisonnable de s’attendre à ce que les familles de la classe moyenne et celles qui travaillent fort pour en faire partie aient les moyens d’acheter des fruits et des légumes frais qui ne sont pas cultivés localement et qui sont souvent hors de saison. Santé Canada devrait s’efforcer de faire des recommandations alimentaires qui permettent aux Canadiens de faire partie de la classe moyenne et d’offrir des aliments nutritifs à leur famille. (CCJ, 2018)

Enfin, pour remettre en question le processus d’élaboration du deuxième principe directeur, certains acteurs de l’industrie ont fait remarquer qu’il n’y avait pas de coordination interministérielle officielle en ce qui concerne l’élaboration des politiques publiques. Par exemple, Produits alimentaires et de consommation du Canada aurait souhaité que la Stratégie en matière de saine alimentation soit un complément au travail et aux objectifs de la Politique alimentaire pour le Canada, de la Table de la stratégie économique du secteur agroalimentaire et de la Table ronde de l’industrie de la transformation des aliments d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Cela aurait été avantageux pour l’industrie, car les secteurs de l’agriculture, du commerce et de l’industrie auraient joué un rôle plus important dans la révision du guide alimentaire, en dépit d’éventuels conflits sur le plan de la santé publique.

Le tableau 9 présente d’autres exemples des arguments utilisés par les acteurs de l’industrie bioalimentaire contre le principe directeur no 2.

Tableau 9. Exemples d’arguments utilisés par les organisations de l’industrie bioalimentaire pendant le processus de révision du guide alimentaire canadien concernant le principe directeur no 2 : « Les aliments et les boissons préparés ou transformés à teneur élevée en sodium, en sucres ou en gras saturés nuisent à une saine alimentation », octobre 2016 à mars 2019
Acteur de l’industrie Exemple d’argument utilisé Stratégie correspondante / Pratique
Conseil canadien du jus « Il n’y a pas de lien entre le jus pur à 100 % et l’obésité.
En ce qui concerne la santé des Canadiens, les données scientifiques n’appuient pas l’existence d’une association entre le jus pur à 100 % et le poids (l’adiposité) chez les enfants de 2 à 18 ans. Comme il a été mentionné précédemment, la recherche montre que, lorsque les adultes incluent du jus pur à 100 % dans leur alimentation, ils sont souvent “plus minces, plus sensibles à l’insuline et moins susceptibles d’être obèses et de présenter un syndrome métabolique”. Le CCJ est en faveur de donner aux Canadiens la possibilité de faire des choix qui contribuent à un mode de vie sain et équilibré, ce qui signifie qu’il faut continuer à inclure le jus pur à 100 % dans les recommandations alimentaires liées à la consommation de fruits et de légumes. » (CCJ, no 203) [traduction]
Gestion de l’information / Amplification de renseignements ou de données
Conseil canadien du jus « Conséquences involontaires de l’élimination du jus pur à 100 % :
Les fruits et légumes frais comptent parmi les aliments les plus chers au Canada, de sorte qu’il est très difficile pour les familles à faible revenu d’en acheter suffisamment pour répondre à leurs besoins. Si l’on tient également compte de l’environnement unique du Canada, cela signifie que l’accès à de nombreux fruits et légumes frais varierait considérablement d’un bout à l’autre du pays. Grâce à la disponibilité constante des jus de fruits purs à 100 %, les Canadiens ont accès à une alimentation de qualité concurrentielle tout au long de l’année. Comme le souligne Santé Canada, “[l]es choix alimentaires ne relèvent pas uniquement d’un choix personnel. De nombreux facteurs interreliés ont également un impact sur la capacité de faire des choix alimentaires sains, entre autres l’accès à des aliments nutritifs, la disponibilité de tels aliments, la culture et l’environnement social et physique”. » (CCJ, no 213) [traduction]
Gestion de l’information / Amplification de renseignements ou de données
Stratégie discursive / Coût prévu pour l’industrie
Conseil canadien du jus « Si l’on disait aux Canadiens d’éviter les jus purs à 100 %, les conséquences involontaires seraient amplifiées pour les habitants des communautés nordiques et isolées qui voudraient adopter un mode de vie sain et équilibré. Cette situation est particulièrement préoccupante pour les régions visées par le programme Nutrition Nord Canada, qui permet notamment un meilleur accès aux jus de fruits purs à 100 % offerts ailleurs au Canada. Dans les communautés où les fruits et légumes entiers sont rares et chers, les jus de fruits et de légumes sont considérés comme un moyen essentiel et économique de consommer les portions recommandées de fruits. » (CCJ, no 197) [traduction] Gestion de l’information / Amplification de renseignements ou de données
Stratégie discursive / Coût prévu pour l’industrie
Produits alimentaires et de consommation du Canada « Recommandations pour la révision du guide alimentaire : Examiner attentivement le fondement scientifique des recommandations sur le sucre et fournir une justification claire pour toutes les recommandations concernant le Canada. PACC est préoccupé par la décision de Santé Canada d’assujettir les sucres libres aux recommandations alimentaires en se fondant sur des données de qualité moyenne et sans tenir compte du contexte canadien.
Les recommandations concernant les sucres doivent être adaptées aux exigences uniques de chaque pays, et ces exigences dépendent de nombreux facteurs, comme la répartition de la population selon l’âge, la fluoration de l’eau et les autres mesures relatives à la santé dentaire, la prévalence de l’embonpoint/de l’obésité et la qualité de l’approvisionnement alimentaire. Une approche universelle n’est pas appropriée. Nous recommandons donc que toutes les recommandations alimentaires sur le sucre soient assorties d’une justification claire et solide adaptée au Canada. » (PACC, no 158) [traduction]
Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Produits alimentaires et de consommation du Canada  « Nous cherchons à faire croître notre secteur pour atteindre les cibles en matière d’exportation de produits agroalimentaires établies par le gouvernement fédéral. Pour qu’il soit possible d’atteindre les objectifs qui concernent notre secteur, soit d’augmenter les exportations d’au moins 75 milliards de dollars par année d’ici 2025, il faut que le contexte commercial favorise les investissements, l’innovation et la croissance. L’approche du gouvernement et les politiques qu’il propose à l’égard de diverses initiatives de la Stratégie en matière de saine alimentation n’ont toutefois pas été élaborées après une consultation adéquate de l’industrie ou une bonne compréhension du contexte opérationnel actuel. » (PACC, no 147) [traduction] Stratégie discursive / Coût prévu pour l’industrie
Producteurs laitiers du Canada « Il n’y a aucune justification ou donnée scientifique motivant la décision de considérer que les sucres totaux ou les aliments riches en nutriments qui contiennent des sucres ajoutés, comme le yogourt et le lait sucré, sont préoccupants pour les Canadiens. » (PLC, no 100) [traduction] Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Conseil de la transformation alimentaire du Québec « Il est important de noter que ce nouveau guide alimentaire a été révisé sans que l’industrie alimentaire puisse fournir de commentaires. Il faudrait être déconnecté de la réalité pour ne pas avoir remarqué que toutes les communications adressées aux fonctionnaires de Santé Canada et toute l’influence exercée sur ceux-ci – soit l’ensemble du lobby – lors de l’élaboration de ce nouveau guide provenaient de professionnels de la nutrition et de la santé, de divers groupes d’intérêt ou de pression représentant les végétariens et les végétaliens, etc. Comme l’a mentionné Mario Dumont dans sa chronique du 25 janvier, "Seuls des critères angéliques et objectifs de santé du public [ont] prévalu." Le nouveau guide alimentaire canadien reflète une idéologie, une vision de la nutrition parfaite dans un monde parfait, fondée sur les valeurs et les croyances de ses nombreux auteurs. Cette idéologie fait également la promotion du concept selon lequel tous les aliments transformés sont mauvais. » (CTAQ, no 306) [traduction] Gestion de l’information / Suppression de renseignements ou de données
Gestion de coalition / Opposition, fragmentation et déstabilisation

Principe directeur no 3

La plupart des organisations de l’industrie bioalimentaire ont appuyé le principe directeur no 3 selon lequel « des connaissances et compétences sont nécessaires pour naviguer dans un environnement alimentaire complexe et favoriser une saine alimentation ». L’extrait suivant est un exemple d’un tel soutien, quoique conditionnel :

L’éducation est la clé… L’éducation et les communications devraient se faire en collaboration avec tous les intervenants qui jouent un rôle dans l’alimentation des Canadiens, afin que l’impact sur les consommateurs du pays soit le plus positif possible. (EDC, 2018)

Seul le Conseil de la transformation alimentaire du Québec a soulevé des préoccupations au sujet des résultats d’un sondage indiquant que 87 % des Canadiens voulaient que leur vie quotidienne soit plus simple, ce qui semble en contradiction avec ce principe. Cette forme d’appui concorde avec les constatations sur les activités politiques que nous avons décrites plus tôt, selon lesquelles les acteurs de l’industrie bioalimentaire sont désireux de soutenir l’éducation et de fournir plus d’information aux gens.

Le tableau 10 présente d’autres exemples des arguments utilisés par les acteurs de l’industrie bioalimentaire contre le principe directeur no 3.

Tableau 10. Exemple d’arguments utilisés par les organisations de l’industrie bioalimentaire pendant le processus de révision du guide alimentaire canadien concernant le principe directeur no 3 : « Des connaissances et compétences sont nécessaires pour naviguer dans un environnement alimentaire complexe et favoriser une saine alimentation », octobre 2016 à mars 2019
Acteur de l’industrie Exemple d’argument utilisé Stratégie correspondante / Pratique
Conseil de la transformation alimentaire du Québec « Est-il réaliste de penser qu’aujourd’hui, les gens ont plus de temps pour planifier les repas de la semaine, magasiner et cuisiner, ou qu’ils passeront plus de temps à le faire? Un sondage très récent mené par Simplii Financial, une filiale de la CIBC, révèle que les Canadiens d’un océan à l’autre conviennent qu’il est temps de simplifier leur vie. “Qu’il s’agisse de bannir le désordre, de mieux gérer leurs courriels ou de passer moins de temps à effectuer des tâches courantes comme la lessive ou l’épicerie, la grande majorité des Canadiens (87 %) souhaitent que leur vie soit plus simple. Les Canadiens trouvent que leur vie est trop chargée, et de bien des façons; ils souhaitent alléger leurs tâches pour avoir davantage de plaisir.” (https://www.newswire.ca/fr/news-releases/moins-c-est-mieux-selon-un-sondage-la-majorite-des-canadiens-souhaitent-simplifier-leur-vie-821556739.html)
La planification des repas et le temps nécessaire pour cuisiner sont-ils considérés comme des activités agréables pour la majorité des Canadiens? Est-il également réaliste de penser que nos personnes âgées sont prêtes pour un tel changement? Est-ce que des conseils comme "Consommez chaque jour une variété d’aliments sains" ou "Une alimentation saine ne se résume pas aux aliments que vous consommez" suffisent pour guider les consommateurs? » (CTAQ, no 302) [traduction]
Gestion de l’information / Amplification de renseignements ou de données
Stratégie discursive / Coût prévu pour l’industrie

Analyse

Cette étude a révélé certaines des stratégies utilisées par l’industrie bioalimentaire pour tenter d’influencer les lignes directrices alimentaires nationales adoptées en 2019 au Canada. Nous avons relevé 366 exemples d’activités politiques corporatives utilisées par 11 acteurs de l’industrie bioalimentaire pendant le processus de révision du guide alimentaire canadien.

Notre analyse a révélé que la gestion de l’information, qui consiste à façonner l’information pour la rendre plus favorable à l’industrie, était la stratégie la plus fréquente, et que la suppression de renseignements, par exemple critiquer des données scientifiques établies qui sont défavorables à l’industrie, était la pratique la plus utilisée. Les stratégies discursives ont été également largement utilisées, en particulier en réponse aux nouveaux principes directeurs qui sous-tendaient l’élaboration du guide alimentaire.

Nos résultats concordent avec ceux de Nixon et ses collaborateursNote de bas de page 30, qui ont étudié les arguments mis de l’avant par l’industrie alimentaire entre 2010 et 2012 contre les initiatives réglementaires visant à freiner l’épidémie d’obésité aux États-Unis. Ces chercheurs ont observé que, comparativement aux intervenants qui ne provenaient pas du secteur industriel, les acteurs du secteur industriel attaquaient plus souvent les règlements adoptés par les gouvernements, et que la défense qu’ils utilisaient le plus souvent contre ces règlements était d’affirmer que l’industrie faisait partie de la solutionNote de bas de page 30. Ce type d’argument favorise les solutions préconisées par l’industrie, comme l’autoréglementationNote de bas de page 30 et les partenariats public-privéNote de bas de page 31, qui ont des effets mitigés et peuvent même ralentir les efforts visant à promouvoir et à protéger les régimes alimentaires sains. Pour rejeter certains principes directeurs et tenter d’empêcher l’adoption de recommandations ciblant directement leurs produits, les acteurs de l’industrie bioalimentaire ont recours à divers arguments. Ils exagèrent notamment le coût des changements proposés, en utilisant un discours alarmiste qui laisse entendre que les recommandations proposées échoueront et que de nombreux problèmes liés à la santé et à l’économie affecteront l’ensemble de la société. L’industrie alimentaire a utilisé des arguments similaires en France pour s’opposer à l’étiquetage nutritionnel obligatoire sur le devant des emballagesNote de bas de page 8. Dans notre étude, nous avons constaté que, selon certains acteurs, la mise en œuvre du guide alimentaire entraînerait des pertes économiques et nuirait ultimement à la société et non seulement à l’industrie. De tels arguments peuvent détourner l’ensemble du récit du problème et empêcher l’adoption de politiques publiques fondées sur des données scientifiques (par exemple lorsque l’industrie insiste sur l’éducation plutôt que sur la réglementation des produits).

En général, les réponses des acteurs de l’industrie aux trois principes directeurs et aux recommandations associées au guide alimentaire étaient axées sur leurs activités économiques et leurs produits, lesquels étaient souvent en conflit avec l’objectif du guide alimentaire, soit la santé. Les analyses des répercussions économiques effectuées par l’industrie n’ont pas tenu compte des autres types de coûts externes, comme les répercussions économiques d’une mauvaise santé sur les dépenses en santé et les coûts environnementaux de la consommation d’aliments malsainsNote de bas de page 32Note de bas de page 33. L’industrie a plus particulièrement cherché à promouvoir ses propres solutions et à « recentrer le débat sur les aliments et la santé publique ». Les arguments habituellement utilisés par les défenseurs de la santé publique – à savoir la complexité des problèmes de santé, la protection des populations vulnérables et l’insécurité alimentaireNote de bas de page 34Note de bas de page 35 – sont également utilisés par les acteurs de l’industrie pour défendre leur position. À cet égard, nos constatations concordent avec celles de Petticrew et ses collaborateursNote de bas de page 36, selon lesquelles les industries des aliments, des boissons et des jeux de hasard ont utilisé l’argument de la « complexité » pour influencer l’opinion publique ainsi que les décideurs et paralyser les discussions. Nos constatations concordent également avec celles de Vandenbrink et ses collaborateursNote de bas de page 14, selon lesquelles l’industrie alimentaire canadienne a recours à des activités politiques pour influencer l’élaboration des politiques alimentaires et nutritionnelles, comme ce que l’on voit à l’échelle internationaleNote de bas de page 8Note de bas de page 14. En effet, il existe des similitudes frappantes dans les pratiques utilisées par l’industrie bioalimentaire d’un pays à l’autre pour miner l’adoption de politiques publiques.

Il existe également de nombreuses similitudes avec les stratégies utilisées par les industries du tabac et de l’alcool. On sait que les membres de ces industries déforment les recommandations en matière de santé publique afin d’atteindre leurs objectifs, nommément la protection ou l’augmentation de leurs profitsNote de bas de page 37. De même, les entreprises de l’industrie bioalimentaire utilisent la science comme outil de communication pour faire obstacle aux mesures gouvernementales, semer la confusion dans l’esprit du public et renforcer leur crédibilitéNote de bas de page 38. Nous avons fréquemment observé ces pratiques dans notre étude de cas : certains arguments présentés dans les mémoires et sur les sites Web des acteurs de l’industrie étaient fondés sur des données issues de travaux parrainés par l’industrie ou n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Il y avait également des cas où les données étaient inexactes, déformées, exagérées ou omisesNote de bas de page 38.

Les nouvelles mesures adoptées par Santé Canada pour réduire les conflits d’intérêts et la nouvelle politique du ministère sur la transparence ont rendu plus visibles les interventions de l’industrie bioalimentaire. Ces mesures sont recommandées par la Lancet Global Syndemic Commission et par l’OMS afin d’améliorer la gouvernance pour le bien public et de s’attaquer aux asymétries de pouvoir dans le système alimentaireNote de bas de page 39Note de bas de page 40. De plus, l’Organisation des Nations Unies et l’OMS ont fait remarquer que les acteurs du secteur bioalimentaire devaient appuyer les efforts de santé publique – et non s’y opposer – pour qu’il soit possible de faire face à la crise climatique et à l’épidémie de maladies non transmissiblesNote de bas de page 40Note de bas de page 41Note de bas de page 42. Néanmoins, bien que Santé Canada ait décidé de ne pas rencontrer les acteurs de l’industrie pendant le processus de révision, ceux-ci ont pu présenter des mémoires pendant les consultations publiques et afficher de l’information sur leurs sites Web, ce qui montre que les tactiques utilisées par l’industrie pour influencer les politiques publiques sont un défi constant et complexe qu’il ne sera possible de limiter qu’en adoptant une surveillance des activités politiques de façon à mieux protéger et orienter le développement des politiques publiques.

Points forts et limites

Cette étude contribue à l’avancement des connaissances dans le domaine des activités politiques et des déterminants commerciaux de la santé. Il s’agit d’une thématique pertinente et encore peu explorée dans la littérature en nutrition en santé publique. Toutefois, nous nous sommes concentrés uniquement sur les données accessibles au public sur les sites Web des organisations de l’industrie bioalimentaire et sur les mémoires qu’elles ont présentés au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes en réponse à l’invitation du Comité. Par conséquent, notre évaluation ne comprend pas de renseignements sur les dons qui pourraient avoir été faits dans le cadre de campagnes politiques ou sur d’autres formes de lobbying, qui ont également une incidence sur l’élaboration de politiques à court et à long termeNote de bas de page 14.

Nous n’avons contacté ni les organisations de l’industrie bioalimentaire ni leurs membres pour obtenir des renseignements supplémentaires ou pour vérifier les données que nous avons recueillies. De plus, nous n’avons pas fait de distinction entre les caractéristiques des organisations de l’industrie, comme la taille ou la situation financière des entreprises qu’elles représentent. Néanmoins, nous avons tenu compte de tous les acteurs ayant suffisamment de ressources pour participer au débat public sur le guide alimentaire et, en ce sens, nous n’avons exclu personne.

Enfin, il peut être difficile de faire des généralisations à partir des résultats de notre étude, car nos travaux sont fondés sur un petit nombre d’acteurs de l’industrie dans un contexte précisNote de bas de page 15. Toutefois, nos résultats sont semblables à ceux obtenus dans d’autres pays, comme nous l’avons mentionné plus tôt, ce qui accroît notre confiance en notre interprétation des donnéesNote de bas de page 6.

Conclusion

Les politiques publiques doivent être fondées sur des données probantes et des principes directeurs solides, sans influence de la part d’intérêts commerciaux : il s’agit d’un défi reconnu à l’échelle internationale, auquel le gouvernement canadien a répondu. Notre étude révèle que l’industrie bioalimentaire du Canada a recours à des activités politiques corporatives pour tenter d’influencer les politiques en sa faveur. Cette question revêt une importance considérable étant donné que d’autres politiques publiques du pays, comme la réglementation sur la publicité alimentaire, pourraient avoir été retardées par les activités politiques corporatives de l’industrie bioalimentaireNote de bas de page 14. Il est important de surveiller ces activités politiques afin que le public continue à faire confiance aux organismes décisionnels. L’indépendance des politiques publiques et la rigueur scientifique sont les principales questions en jeu.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contribution des auteurs et avis

MCR : conception, organisation des données, analyse formelle, rédaction de la première version du manuscrit.

MM : conception, analyse formelle, relectures et révisions, supervision.

JCM : conception, analyse formelle, relectures et révisions, supervision.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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