Recherche qualitative originale – Recommandations pour le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre : points de vue de dirigeants, de fournisseurs de services et de survivantes dans la plus grande ville du Canada pendant la pandémie de COVID-19

Revue PSPMC

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Un Addenda et Note de l’éditeur a été ajouté à cet article, originalement publié le 18 janvier 2023.
Cette version de l’article est la version modifiée (mise à jour le 12 avril 2023). La version PDF de cet article, publiée le 12 avril 2023, correspond également à la version modifiée de l’article, conformément à l’Addenda et Note de l’éditeur.

Alexa R. Yakubovich, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3; Bridget Steele, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 4; Catherine Moses, M.P.H.Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 6; Elizabeth TremblayNote de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 7; Monique Arcenal, B.A.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 5; Patricia O’Campo, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 6; Robin Mason, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 6Note de rattachement des auteurs 8; Janice Du Mont, D. Éd.Note de rattachement des auteurs 6Note de rattachement des auteurs 8; Maria Huijbregts, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 9Note de rattachement des auteurs 10; Lauren Hough, M.A.Note de rattachement des auteurs 11; Amanda Sim, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 12; Priya Shastri, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 7

https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.4.01f
(Publié en ligne le 18 janvier 2023)

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Alexa Yakubovich, 5790, University Avenue, Halifax (Nouvelle-Écosse)  B3H 1V7; tél. : 902-494-3860; courriel : alexa.yakubovich@dal.ca

Citation proposée

Yakubovich AR, Steele B, Moses C, Tremblay E, Arcenal M, O’Campo P, Mason R, Du Mont J, Huijbregts M, Hough L, Sim A, Shastri P. Recommandations pour le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre : points de vue de dirigeants, de fournisseurs de services et de survivantes dans la plus grande ville du Canada pendant la pandémie de COVID-19. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(4):169-187. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.4.01f

Résumé

Introduction. Le gouvernement canadien s’est engagé à mettre en œuvre un Plan d’action national pour mettre fin à la violence envers les femmes. Toutefois, aucun plan officiel de mise en œuvre n’a été publié. En nous appuyant sur les recommandations déjà formulées et les consultations réalisées, nous avons effectué la première analyse qualitative officielle révisée par des pairs des points de vue de dirigeants, de fournisseurs de services et de survivantes quant aux éléments qui devraient être pris en compte dans le PAN visant à lutter contre la violence envers les femmes.

Méthodologie. Nous avons réalisé une analyse thématique des données qualitatives de 18 employés des services de lutte contre la violence envers les femmes (11 offrant un soutien direct, 7 occupant un poste de direction) et 10 survivantes à la violence envers les femmes ayant participé à une étude communautaire sur les programmes de lutte contre la violence envers les femmes pendant la pandémie de COVID-19 dans la région du Grand Toronto (Ontario, Canada).

Résultats. Nous avons formulé 12 recommandations relatives au Plan d’action national pour mettre fin à la violence envers les femmes, recommandations que nous avons organisées selon quatre domaines thématiques : 1) investir dans les services de lutte contre la violence envers les femmes et de soutien en cas de crise (par exemple renforcer les mécanismes de référencement vers les programmes de lutte contre la violence envers les femmes); 2) améliorer les services de soutien structuraux (par exemple investir dans l’ensemble du secteur du logement pour les survivantes à la violence envers les femmes); 3) élaborer des systèmes coordonnés (par exemple renforcer la collaboration entre le système de santé et le système de lutte contre la violence envers les femmes) et 4) mettre en œuvre et évaluer les stratégies de prévention primaire (par exemple mener une analyse intersectionnelle et tenant compte du genre à propos des politiques sociales et publiques mises en place).   

Conclusion. Dans le cadre de cette étude, nous avons formulé des recommandations, les avons classées par ordre de priorité et avons nuancé les recommandations déjà émises pour le Plan d’action national pour lutter contre la violence envers les femmes en nous fondant sur une analyse rigoureuse des points de vue de survivantes à la violence envers les femmes et d’employés luttant contre la violence envers les femmes dans la plus grande ville au Canada pendant la pandémie de COVID-19. Un plan efficace nécessite des investissements dans les organismes offrant un soutien direct; un accès au logement équitable ainsi que d’autres services de soutien structurel; une coordination stratégique des systèmes de santé, de justice et sociaux et enfin des stratégies de prévention primaires, en particulier une réforme pour des politiques transformatrices de genre.

Mots-clés : violence conjugale, politique, gouvernement fédéral, Canada, Ontario

Points saillants

  • Dans le cadre de cette étude, nous avons analysé pour la première fois les points de vue de dirigeants et de fournisseurs de services de lutte contre la violence envers les femmes ainsi que de survivantes à la violence envers les femmes dans la région du Grand Toronto pendant la pandémie de COVID-19 afin de formuler des recommandations à l’intention du gouvernement fédéral au sujet du plan d’action national proposé pour mettre fin à la violence envers les femmes. 
  • Nous avons formulé 12 recommandations pour le plan d’action national du Canada et avons organisé celles-ci selon quatre thèmes : 1) investissement direct dans les services de lutte contre la violence envers les femmes et de soutien en cas de crise; 2) amélioration équitable du logement et d’autres services de soutien structuraux; 3) coordination stratégique des systèmes de santé, de justice et d’aide sociale et 4) mise en œuvre et évaluation des stratégies de prévention primaires, en particulier une réforme pour des politiques transformatrices de genre.

Introduction

La violence envers les femmes fondée sur le genre (« violence envers les femmes ») est une forme de violence, réelle ou sous forme de menace, physique, psychologique, économique ou sexuelle qui est perpétrée de façon disproportionnée contre les femmes ou infligée parce que la victime est une femmeNote de bas de page 1Note de bas de page 2. La forme plus courante de violence envers les femmes est la violence conjugaleNote de bas de page 3. Au Canada, on estime que 44 %, soit 6,2 millions de femmes âgées de 15 ans ou plus, ont été victimes de violence conjugale au cours de leur vieNote de bas de page 4. La violence envers les femmes, en particulier la violence conjugale, est l’un des principaux déterminants des blessures et des maladies chez les femmes et peut, dans le pire des cas, causer la mortNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7. La pandémie de COVID-19, en particulier les interdictions connexes (confinements, quarantaines, isolement et distanciation sociale) et les répercussions socioéconomiques (perte d’emploi, détresse psychologique, précarité liée au logement, etc.), a entraîné une augmentation du taux d’incidence et de la gravité de la violence envers les femmes et a créé ou exacerbé les obstacles à l’accès et à la prestation de services de soutienNote de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11.

Depuis plus de trente ans, les intervenants canadiens demandent la mise en œuvre d’un plan d’action national (PAN) visant à mettre fin à la violence envers les femmesNote de bas de page 12Note de bas de page 13 afin de satisfaire aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personneNote de bas de page 14. L’objectif du PAN consiste à créer l’infrastructure politique, législative, financière et de recherche nécessaire pour soutenir la prise de mesures durables et coordonnées entre tous les ordres de gouvernement, la société civile et les autres intervenants pertinents afin de prévenir plus efficacement la violence envers les femmes. Au moment de la rédaction de ce manuscrit, seule une « stratégie pour prévenir et contrer la violence fondée sur le genre » a été mise en œuvre au Canada et cette dernière concerne uniquement des ministères fédérauxNote de bas de page 12. En parallèle, les provinces et les territoires disposent de leurs propres lois et politiques, diversifiées et parfois incohérentes, en matière de lutte contre la violence envers les femmes (ce qui inclut, par exemple, des définitions différentes au sein des administrations et entre celles-ci de ce qui constitue la violence envers les femmes) et ce point doit être pris en compte dans un PAN efficaceNote de bas de page 15. En 2022, le gouvernement fédéral a inclus dans son budget un investissement de 600 millions de dollars canadiens sur cinq ans pour élaborer et mettre en œuvre un PAN visant à mettre fin à la violence fondée sur le genre et, avec l’approbation des ministres provinciaux et territoriaux, a publié un cadre de haut niveau énonçant les « possibilités d’action ». Bien qu’il s’agisse d’une première étape importante, ce document a fait l’objet de critiques car il présente uniquement un ensemble optionnel d’actions envisageables par les provinces et les territoires plutôt que des engagements à tenir, et ce, sans directive pour les organismes fédéraux ou nationauxNote de bas de page 16. De ce fait, la question des modalités et du contenu du PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes demeure ouverte.

Plusieurs consultations ont été organisées avec des experts (survivantes, employés, intervenants, chercheurs universitaires du domaine de la violence envers les femmes, etc.) au fil des années afin de déterminer quelles mesures devraient être incluses dans le PAN proposé. Plus récemment, le ministère de la Condition féminine et de l’Égalité des genres (CFEG) du gouvernement fédéral a financé Hébergement femmes Canada afin de créer une feuille de route pour l’élaboration et la mise en œuvre du PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes du Canada à partir d’une liste de 646 recommandations tirées de précédents rapports, de documents stratégiques et d’autres sourcesNote de bas de page 13. Ces recommandations ont été réparties en quatre piliers thématiques, chacun ayant été assigné à un groupe de travail composé d’intervenants, de fournisseurs de services, de dirigeants et de chercheurs du domaine de lutte contre la violence envers les femmes afin de les évaluer, de les modifier et de les classer par ordre de priorité. Le rapport final comprend 100 recommandations générales, réparties en quatre piliers : 1) environnement propice et infrastructure sociale, 2) prévention, 3) promotion de systèmes juridique et judiciaire adaptés et 4) soutien aux survivantes et à leur famille. Le rapport fait également état du besoin d’élaborer un cadre intersectionnel féministe de surveillance et d’évaluation pour le PAN et traite également des implications des différences législatives en ce qui concerne les définitions de l’expression « violence envers les femmes » dans les administrations canadiennes. Les auteurs recommandent notamment un renforcement de la mobilisation impliquant les survivantes à la violence envers les femmes (elles ne faisaient pas partie des groupes de travail), des experts du secteur et des intervenants dans l’élaboration et l’évaluation du PAN sur le long terme.

Nous nous sommes efforcées dans cette étude de tirer profit de ce travail fondamental. Nous avons réalisé la première (à notre connaissance) analyse qualitative officielle révisée par des pairs des points de vue de dirigeants, de fournisseurs de services et de survivantes quant à ce qui devrait être pris en compte dans la conception et la mise en œuvre du PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes. Nous visions à accroître la transparence et la rigueur de nos conclusions ainsi que l’étendue de l’information qui sous‑tend nos recommandations. En raison de ressources limitées, les consultations antérieures ont mis l’accent sur les recommandations des participants au sujet du PAN sans laisser de place aux témoignages d’expériences en matière de violence envers les femmes, d’accès aux services ou de travail dans ce secteur en général. Ces expériences sont pourtant susceptibles de nous permettre d’en savoir plus sur les facteurs les plus importants à prendre en compte dans une politique visant à mettre fin à la violence envers les femmes. Nous avons utilisé des données d’une étude du secteur de la lutte contre la violence envers les femmes à Toronto, la plus grande ville au Canada, pendant la pandémie de COVID-19 afin d’élaborer, de nuancer et de classer par ordre de priorité les recommandations pour le PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes, le tout avec un œil critique. La pandémie de COVID-19 a changé le paysage de la violence envers les femmes et a exacerbé les défis déjà présents, mais a aussi créé de nouvelles opportunités pour adopter des politiques et des pratiques transformatrices, faisant de cette période un moment charnière pour revoir nos priorités et cibler les occasions d’innovation.

Méthodologie

Approbation éthique

Le comité d’éthique de la recherche de l’Unity Health Toronto (REB#20-124) et le comité d'éthique de la recherche de Dalhousie University (REB#2022-6275) ont approuvé cette étude.

Collecte de données et analyse

Des données qualitatives ont été recueillies d’avril à septembre 2021 dans le cadre d’une étude communautaire à méthodes mixtes sur les processus, les expériences et les résultats de l’adaptation des programmes de lutte contre la violence envers les femmes pendant la pandémie de COVID-19 en collaboration avec 42 organismes de lutte contre la violence envers les femmes dans la région du Grand Toronto (étude MARCO-VAW)Note de bas de page 11. Les codirigeantes de l’étude (ARY, chercheure universitaire sur la violence envers les femmes et PS, chercheure communautaire sur la violence envers les femmes) et trois pairs chercheures (femmes ayant subi des actes de violence fondée sur le genre et ayant suivi une formation sur les méthodes de recherche sur la violence envers les femmesNote de bas de page 17) ont mené des entrevues, généralement en équipe de deux. Les participants admissibles étaient soit des employés offrant un soutien direct ou occupant un poste de direction travaillant dans un service de lutte contre la violence envers les femmes (« employés luttant contre la violence envers les femmes ») de la région du Grand Toronto depuis le 11 mars 2020, soit des femmes adultes ayant fait appel à au moins un service de violence envers les femmes dans la région du Grand Toronto depuis le 11 mars 2020 (« survivantes »). Nous avons considéré que tout service et programme conçu pour appuyer les survivantes à la violence envers les femmes était pertinent dans le cadre de l’étude, afin d’élargir la portée de notre analyse et de nos conclusions (tableau 1). Les participants ont fourni leur consentement éclairé par courriel avant les entrevues et nous avons utilisé des services d’interprétation lorsque les participants ne se sentaient pas à l’aise pour communiquer en anglais. Nous avons offert aux participants une compensation financière de 40 $ après leur entrevue.

Nous avons choisi les participants employés à partir du cadre d’échantillonnage plus large de l’étude en fonction de facteurs personnels (ethnicité, « race », âge, années d’expérience, etc.), des types de services de lutte contre la violence envers les femmes pour lesquels ils travaillaient et des populations habituellement desservies. Nous avons recruté les participantes survivantes en utilisant les contacts des membres du personnel de nos réseaux de collaboration afin de recueillir de l’information auprès d’un échantillon représentatif en fonction de facteurs personnels et des types de services utilisés. En échantillonnant ainsi les survivantes et les employés, nous visions à dresser le portrait d’expériences 1) de formes différentes et croisées de marginalisation et 2) de la diversité des pratiques et des programmes de lutte contre la violence envers les femmes. Avec l’aide des membres du personnel, nous nous sommes assurées que les survivantes étaient dans un espace de sécurité physique et mentale suffisant pour participer (déterminé par le personnel et lors des vérifications de l’enquêtrice)Note de bas de page 17Note de bas de page 18. Nous avons fourni aux survivantes, après leur entrevue, une liste des ressources en santé mentale liées à la violence envers les femmes. Les entrevues ont été menées et enregistrées sur Zoom (Zoom Video Communications, Inc., San Jose, Californie, États-Unis) et ont été transcrites textuellement au moyen de Trint (Trint Ltd., Toronto, Ontario, Canada). Au moins deux assistantes de recherche ont vérifié chaque transcription pour en assurer l’exactitude et ont supprimé tout renseignement permettant d’identifier les participantes. Les enquêtrices ont pris des notes de recherche et ont fait le bilan après chaque entrevue.

Nous avons utilisé une méthode d’analyse thématique réflexive, qui reconnaît la subjectivité des chercheurs et en tient compte, encourage l’utilisation de pratiques de codification flexibles et met l’accent sur une utilisation itérative et en profondeur des donnéesNote de bas de page 19. Nos entrevues étaient semi-structurées et les guides en sont disponibles en ligneNote de bas de page 11. Dans cette analyse, nous avons mis l’accent sur les données relatives aux lacunes en matière de politiques et de pratiques ainsi que sur les données recueillies en réponse aux questions ci‑dessous.

  • Le Canada investit actuellement 600 millions de dollars canadiens sur cinq ans pour prévenir la violence fondée sur le genre selon les termes du Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le genre, ce qui inclut des fonds pour améliorer la capacité des organismes de lutte contre la violence envers les femmes, les organismes autochtones de femmes et une ligne d’aide en cas de crise.
    • Selon vous, que faudrait-il inclure dans ce plan?
    • Quels changements immédiats devraient être apportés pour mieux lutter au Canada contre la violence envers les femmes?
    • Quels changements à long terme devraient être apportés en premier lieu pour prévenir la violence envers les femmes?

Quatre chercheures ont collaboré à l’analyse des données, dont trois également enquêtrices. L’équipe responsable de l’analyse a d’abord codé les mêmes deux transcriptions d’entrevue et les membres se sont rencontrées pour discuter de ce premier codage afin d’intégrer des points de vue diversifiés en matière de priorités et de relever les données pertinentes. Chaque analyste était responsable d’un sous-ensemble de l’ensemble de données pour en réaliser le codage inductif. Les analystes se sont rencontrées régulièrement pour discuter du processus de codage. Une fois toutes les données codées, chaque analyste a codé en double une part de l’ensemble de données pour évaluer les possibilités d’ajouter ou de peaufiner les codes et intégrer d’autres perspectives. Deux chercheures ont ensuite lu chaque code pour préparer une première synthèse des données les plus remarquables en vue des recommandations pour le PAN.

Nous avons formulé des recommandations en fonction des tendances observées dans les données et nous avons élaboré un cadre thématique pour synthétiser les relations entre ces tendances. Pour raffiner et mettre en perspective notre cadre de recommandations, nous avons fait référence aux rapports disponibles sur le PAN et à la documentation théorique et empirique sur la prévention de la violence envers les femmes. Notre analyse a été guidée par une perspective féministe critique visant à identifier les façons dont les expériences et les pensées des participantes sont la preuve de la manière dont les structures sociétales désavantagent les femmes au carrefour de différentes identités sociales et les façons dont le PAN peut gérer cet enjeuNote de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22. L’équipe responsable de l’analyse a régulièrement fait le point avec l’équipe de recherche, un groupe consultatif composé de dirigeants et d’intervenants dans le domaine de la lutte contre la violence envers les femmes, afin d’obtenir des rétroactions, et ce, grâce à des réunions et des événements d’échange de connaissances. Nous avons sélectionné plusieurs citations pour soutenir notre analyse et nous avons inclus le numéro d’identification de chaque participant anonymisé afin de mettre en perspective l’éventail des données et d’en montrer la portée.

Résultats et analyse

Le tableau 1 résume les caractéristiques de notre échantillon concernant les membres du personnel (n = 18) et les survivantes (n = 10). La plupart des membres du personnel et des survivantes se sont définies comme des personnes racialisées (le plus souvent noires, latino-américaines ou asiatiques du Sud ou du Sud-Est) et étaient des femmes cisgenres et hétérosexuelles. Près de la moitié des participants étaient nés à l’extérieur du Canada. La plupart des survivantes n’avaient pas d’emploi et leur revenu annuel était inférieur à 20 000 dollars canadiens. Les services pour lesquels les membres du personnel travaillaient et auxquels les survivantes ont fait appel pendant la pandémie étaient variés : santé mentale, refuges, protection de l’enfance, soins de santé, logement de transition, soutien juridique et réduction des méfaits, et ce, dans des organismes généraux comme communautaires. Voici la synthèse des quatre thèmes et des recommandations correspondantes formulées lors de notre analyse.

Tableau 1 (section 1 de 2). Caractéristiques sommaires de l’échantillon d’entrevue de l’étude MARCO-VAW
Caractéristiques sociodémographiques N (%) ou M (IIQ)
Personnel (n = 18) Survivantes (n = 10)
Âge (années) 47 (40 à 56) 43 (36 à 50)
Identité ethnique / « raciale »Note de bas de page a
Blanc 7 (36 %) 3 (30 %)
Noir 4 (21 %) 2 (20 %)
Latino-américain 3 (16 %) 2 (20 %)
Asiatique du Sud ou du Sud-Est 2 (11 %) 3 (30 %)
Moyen-Oriental 2 (11 %) 0 (0 %)
Autre : Juif 1 (5 %) 0 (0 %)
Identité de genre
Femme cis 18 (95 %) 9 (90 %)
Homme cis 1 (5 %) 0 (0 %)
Genre mixteNote de bas de page b 0 (0 %) 1 (10 %)
Identité sexuelle
Hétérosexuel(le) 15 (79 %) 8 (80 %)
Gai ou lesbienne 1 (5 %) 0 (0 %)
Bisexuel(le) 2 (11 %) 1 (10 %)
Autre (p. ex. queer, incertain ou en questionnement) 1 (5 %) 1 (10 %)
Pays de naissance
Canada 9 (47 %) 5 (50 %)
Autre 10 (53 %) 5 (50 %)
Revenu total du ménageNote de bas de page c
< 20 000 CAD s.o. 9 (90 %)
De 20 000 à 50 000 CAD s.o. 1 (10 %)
EmploiNote de bas de page c
Sans emploi s.o. 6 (60 %)
Emploi rémunéré occasionnel s.o. 3 (30 %)
Soignant s.o. 1 (10 %)
Plus haut niveau de scolarité atteintNote de bas de page c
École secondaire s.o. 1 (10 %)
Certificat ou diplôme d’une école de métier ou d’un collège s.o. 7 (70 %)
Certificat ou diplôme d’une université s.o. 2 (20 %)
Tableau 1 (section 2 de 2). Caractéristiques sommaires de l’échantillon d’entrevue de l’étude MARCO-VAW
Type de travail ou accès en lien avec la lutte contre la violence envers les femmes Membre du personnel Survivantes (n = 10)Note de bas de page d
Direction (n = 7) Soutien direct (n = 11)
Organisme de lutte contre la violence envers les femmes
Général 4 (57 %) 8 (73 %) 10 (100 %)
CommunautaireNote de bas de page e 3 (43 %) 3 (27 %) 4 (40 %)
Service de lutte contre la violence envers les femmes
Résidentiel 2 (29 %) 6 (55 %) 8 (80 %)
Non résidentiel 5 (71 %) 5 (45 %) 10 (100 %)
Programme de lutte contre la violence envers les femmesNote de bas de page f
Santé mentale, counseling, soutien en cas de crise, gestion des cas s.o. 3 (27 %) 10 (100 %)
Refuge s.o. 2 (18 %) 8 (80 %)
Soutien au logement de transition (de deuxième étape) s.o. 4 (36 %) 4 (40 %)
Sociétés d’aide à l’enfance s.o. 0 (0 %) 6 (60 %)
Intervention auprès des partenaires usant de violence s.o. 1 (9 %) 0 (0 %)
Autre :
Soins de santé s.o. 1 (9 %) 5 (50 %)
Réduction des méfaits s.o. 0 (0 %) 1 (10 %)
Représentation et soutien juridiques s.o. 1 (9 %) 4 (40 %)

Investir dans les services de lutte contre la violence envers les femmes et augmenter l’accès aux services de soutien en cas de crise

L’accès aux services de soutien en cas de crise pour les femmes victimes de violence s’est révélé une préoccupation commune chez les membres du personnel et les survivantes. Plusieurs survivantes ont recommandé un investissement pour accroître la sensibilisation du public aux services de soutien en cas de crise liée à la violence envers les femmes (voir tableau 2, sous‑thème A [appelé « tableau 2A » dans la suite du texte], survivante C80).

Le point central des recommandations des survivantes au sujet de l’augmentation de la sensibilisation du public est que les femmes seront plus susceptibles de demander de l’aide si elles réalisent que leur expérience est imprégnée de violence. Par exemple, les commentaires de la survivante C78 (tableau 2A) contiennent plusieurs idées pour sensibiliser le public, spécialement à destination des femmes vivant avec un agresseur (comme diffuser de l’information à la radio ou dans les épiceries, les parcs, les centres d’achats, les buanderies). Cette participante souligne que l’information publique peut constituer une première étape pour briser le cycle de contrôle des agresseurs, dénormaliser la violence envers les femmes pour les survivantes (« nous ne sommes pas folles ») et leur donner la possibilité d’obtenir de l’aide (« nous avons des options »). Ces idées sont confirmées par les données probantes dont on dispose : l’absence de sensibilisation à la violence conjugale et à ce qui constitue un acte violent et l’absence de ressources disponibles constituent les plus grands obstacles empêchant les survivantes d’obtenir de l’aideNote de bas de page 23.

Tableau 2. Sous-thèmes avec exemples de données pour le thème 1 : investir dans les services de lutte contre la violence envers les femmes et augmenter l’accès aux services de soutien en cas de crise
Sous-thème Exemple de données
Participant Extrait
A. Sensibilisation de la population à la violence envers les femmes et aux services de soutien en cas de crise disponibles pour augmenter l’accès aux services et dénormaliser la violence envers les femmes Survivante C80 Selon ce que je sais, peu de gens, mis à part les femmes victimes, connaissent ce type de service communautaire. […] Je crois que la chose la plus importante à faire est de promouvoir ce service et d’annoncer qu’elles peuvent avoir accès à ce service.
Survivante C78 Ils pourraient faire en sorte que cette information soit plus facile d’accès. Vous savez, parce que quand on vit dans cette situation, on est parfois, on est isolée. […] Donc je pense que ce serait bien si on pouvait entendre cette information, peut-être que tu écoutes la radio et que tu peux l’entendre. […] Si tu es à l’épicerie, peut-être qu’il pourrait y avoir une affiche disant « Si vous vivez dans cette situation, composez ce numéro. Vous n’êtes pas seule. » […] Nous allons au centre d’achats parfois, nous allons au parc avec nos enfants. Nous faisons notre lavage. […] Je veux dire, nous devons savoir que nous ne sommes pas seules et que nous ne sommes pas folles, n’est-ce pas? Parce qu’ils [les agresseurs] disent « Oh, tu es folle. Tu te fais des idées. » Mais on a besoin de savoir que nous avons des options, n’est-ce pas?
Dirigeant P5 Plus il y aura de gens qui comprennent la violence envers les femmes – que ce soit par exemple un non-spécialiste, le groupe religieux local ou un organisme communautaire – plus il y aura de gens qui comprennent la violence envers les femmes, plus il sera facile d’offrir à ces femmes le soutien dont elles ont besoin.
B. Enjeux liés aux mécanismes de référencement et à la prestation de soutiens généraux dans le domaine de la violence envers les femmes Employé offrant un soutien direct P95 [Les référencements ont] définitivement été un défi pour nous puisque souvent, même l’information sur les sites Web des différents organismes n’avait pas été systématiquement mise à jour et n’indiquait pas exactement quels services étaient encore offerts ou comment ils étaient offerts. Selon moi, la façon de réellement éliminer cet obstacle, autant que possible, est en fait d’utiliser les bons vieux moyens traditionnels, d’appeler les gens et d’appeler ces organismes et d’être capable d’avoir une discussion officielle avec le responsable d’un programme ou un responsable de l’inscription d’un autre organisme pour vérifier si le service est encore offert. Nous pourrions ainsi facilement indiquer à leurs clients ce que nous avons à offrir.
Dirigeant P38 Il serait bon d’avoir un genre de point de contact, qui dirait « Les refuges sont ouverts ici. » […] Parce qu’à un moment donné, nous ne pouvions même pas entrer en contact avec [la ligne d’aide en cas de crise pour la violence envers les femmes de l’Ontario].
Dirigeant P109 Je parlais du continuum de services pour [notre communauté], c’est que certaines choses requièrent les services d’un interprète. […] Il existe déjà un grand manque [de services pour ma communauté]. Mais si on additionne tout ça, la plupart des services ne sont plus offerts en personne, ils sont maintenant virtuels. […] Nous avons fait quelques référencements il y a un an pour lesquels nous n’avons toujours pas eu de réponse. […] Les référencements prennent déjà du temps, mais ils prennent encore plus de temps qu’avant.
Survivante C73 Je ne sais plus combien de fois mes enfants ont dû entendre mon histoire et, pour être franche, je me sentais vraiment nulle. J’aurais aimé que mes enfants n’aient pas à en entendre autant, mais je n’avais pas d’autre choix.
Survivante C80 Quand j’ai voulu m’adresser à la communauté canadienne, je me demandais toujours si je serais capable de communiquer mon message avec exactitude. […] Ce n’est pas tout le monde qui parle […] anglais parfaitement. Aussi, pour ce qui est de la culture, je ne comprends pas la culture des autres. Comment peuvent-ils comprendre ma culture?
C. Avantages d’un financement flexible pour fournir des services de soutien généraux Dirigeant P137 C’est probablement ce qui constitue la plus grande aide parce que [les clients] n’ont pas à manger des ordures [avant que nous puissions les aider]. Et ils pourraient dire, vous savez, « trop d’argent pour ça, mais pas assez d’argent pour ça ». Nous pouvons offrir des vêtements. Nous pouvons offrir de l’argent pour des activités estivales. Nous pouvons fournir des ordinateurs. Nous pouvons fournir des manteaux d’hiver. Nous pouvons faire des améliorations. Nous pouvons donc offrir un soutien très concret.
D. Lacunes en services de soutien tenant compte des traumatismes et spécialisés en santé mentale Dirigeant P110 En ce qui concerne les services tenant compte des traumatismes, comme le traitement des traumatismes, j’aimerais avoir, pouvoir fournir ce service, mais ça demande un ensemble spécifique de compétences que nous n’avons pas ici. […] Je n’ai pas les moyens de payer des employés possédant ces compétences.
Employé offrant un soutien direct P103 De la vraie thérapie offerte aux gens à un taux raisonnable – vous n’avez pas besoin d’être riche pour vous payer une vraie thérapie [ou d’avoir] des avantages sociaux pour la payer, parce que la plupart de nos clients n’ont pas ces moyens.
Survivante C76 Le stress au début de la pandémie a été extrêmement difficile pour moi. […] Ça a aussi aggravé mon trouble de l’alimentation parce que je ne pouvais rien faire. […] J’aurais aimé qu’il y ait un meilleur accès pour les personnes ayant des troubles mentaux avant la pandémie.

L’importance de dénormaliser la violence envers les femmes au moyen de campagnes publiques a également été soulignée par les employés. Par exemple, le dirigeant P5 (tableau 2A) souligne que l’information publique sur la violence envers les femmes aidera non seulement les survivantes accédant à ces services mais aussi les membres de la collectivité, les groupes et les organismes à comprendre la violence envers les femmes et à diriger les survivantes vers les services disponibles (en plus de fournir du soutien social informel). En effet, la recherche évaluative suggère que les campagnes d’information devraient être à long terme et réunir plusieurs intervenants afin de transformer le discours public et les normes sociales en ce qui concerne le genre et la violenceNote de bas de page 24. Pour éviter les préjudices involontaires, les campagnes devraient utiliser des définitions inclusives de la violence conjugale (qui seraient appuyées par une définition statutaire de la violence conjugale dans le PANNote de bas de page 9) et éviter un langage ou des images traumatisants ou stigmatisantsNote de bas de page 25Note de bas de page 26.

Les campagnes d’information à elles seules ne sont toutefois pas suffisantesNote de bas de page 24 : les membres du personnel ont décrit plusieurs innovations mises en œuvre pendant la pandémie afin d’élargir l’accès aux services de soutien en cas de crise ou ont formulé des recommandations afin que ces services soient désormais plus accessibles. Il s’agit de la ligne nationale de crise pour coordonner la liste de coordonnées des services de soutien provinciaux (P5), des services de dialogue virtuels (en ligne et message texte) (P38) et du renforcement des voies d’aiguillage entre les diverses lignes en cas de crise et les autres organismes de lutte contre la violence envers les femmes afin de fournir des services de soutien immédiats et permanents à celles se trouvant en situation de risque élevé ou ne vivant pas dans un refuge pour victimes de violence envers les femmes (P68).

Le renforcement des voies d’aiguillage s’est avéré un défi important en matière de mise en œuvre des services de lutte contre la violence envers les femmes, défi encore exacerbé par la pandémie, et plusieurs employés ont mentionné clairement les difficultés à diriger les clients vers des services par l’entremise des mécanismes de référencement en matière de lutte contre la violence envers les femmes (voir tableau 2B, employé offrant un soutien direct P95). Parmi ces difficultés, notons en particulier l’offre d’un logement ou du soutien juridique aux survivantes (les temps d’attente ont grandement augmenté en raison respectivement du manque de ressources et des tribunaux fermés) ainsi que l’incertitude entourant quels services étaient encore offerts et disponibles. Les employés ont également souligné la nécessité d’augmenter les investissements dans un processus systématique et centralisé de référencement afin d’atténuer ces défis lors des prochaines urgences (voir tableau 2B, dirigeant P38). 

De plus, plusieurs organismes de lutte contre la violence envers les femmes, dans le cadre de leur pratique normale, réfèrent les survivantes à des services ou programmes communautaires afin de répondre aux divers besoins de celles-ci. Lorsque ces services ont été interrompus ou qu’ils ont fonctionné à capacité réduite pendant la pandémie, certains de ces organismes n’avaient pas la capacité d’offrir aux survivantes des services généraux à l’interne. Le dirigeant P109 (tableau 2B) a fourni un exemple de la façon dont les défis liés aux référencements ont été encore plus éprouvants pour les services communautaires, dont le bassin déjà limité de fournisseurs potentiels est devenu encore plus limité en raison de la pandémie et de la transition vers des services virtuels. Les survivantes ont fortement ressenti cette perte. De manière similaire aux commentaires du participant P109, les survivantes ont mentionné avoir été touchées négativement par l’absence de programmes pour les enfants (voir tableau 2B, survivante C73) et de services d’interprétation et adaptés à la culture (voir tableau 2B, survivante C80).

Pour qu’on soit assuré que les organismes de lutte contre la violence envers les femmes peuvent offrir des services de soutien généraux pour répondre de façon continue aux divers besoins des survivantes, même pendant une pandémie, il va falloir un financement accru afin d’augmenter les effectifs, la formation et l’infrastructure dans le domaine de la lutte contre la violence envers les femmes. Les employés qui ont formulé des commentaires positifs sur le financement pendant la pandémie ont souvent souligné les avantages des bailleurs de fonds qui permettent aux organismes d’utiliser leurs fonds comme ils le souhaitent pour réagir aux conditions pandémiques. Par exemple, comme le dirigeant P137 (tableau 2C) l’explique, un financement souple permet aux employés de mieux répondre aux besoins des survivantes pendant une période difficile. Toutefois, les organismes de lutte contre la violence envers les femmes ont besoin de suffisamment de fonds pour user de conditions souples. Au sein des employés, ce point a été le plus souvent soulevé pour les organismes de lutte contre la violence envers les femmes offrant plusieurs services bénéficiant de plus grands bassins de dons de charité et privés, ce qui fait ressortir l’insuffisance du financement public dans la lutte contre la violence envers les femmes.

Selon les participants, l’un des principaux domaines pour lequel les organismes de lutte contre la violence envers les femmes ont besoin d’un financement accru est celui des services de soutien spécialisés en santé mentale fondés sur le traumatisme (voir tableau 2D, dirigeant P110). Les participants ont souligné que les traumatismes des survivantes ont été exacerbés par la pandémie, et un plus grand nombre de survivantes ont fait état d’actes de violence plus graves, de situations plus risquées (par exemple d’isolement avec un agresseur, d’un manque complet d’accès à des ressources financières) et un stress lié à la COVID-19 (par exemple les enfants à la maison, la peur de la maladie) – des facteurs qui ont tous été mentionnés dans d’autres recherches récentesNote de bas de page 8. Pour bien gérer le fardeau actuel et plus lourd de santé mentale chez les survivantes à la violence envers les femmes, un plus grand nombre de portefeuilles de financement de la lutte contre la violence envers les femmes est nécessaire afin de recruter les experts requis au sein des effectifs du domaine de la violence envers les femmes, et ce, afin d’être en mesure d’offrir des services de soutien en santé mentale (c.-à-d. en s’assurant que les employés en poste aient accès à la formation appropriée ou en embauchant des employés possédant les qualifications nécessaires). Comme l’ont souligné avec insistance les employés comme les survivantes, sans investissement plus important et surtout plus durable, l’accès aux soins de santé mentale spécialisés demeurera inéquitable (voir tableau 2D, employé offrant un soutien direct P103 et survivante C76), comme c’est actuellement le cas pour l’accès aux services de santé mentale en généralNote de bas de page 27.

Améliorer les services de soutien structuraux pour lutter contre la violence envers les femmes

Les récits et les recommandations des participants ont souligné l’importance d’élaborer une infrastructure et des volets de financement au sein du PAN afin de renforcer le secteur du logement, spécialement pour les survivantes à la violence envers les femmes – des refuges d’urgence au logement supervisé à long termeNote de bas de page 28. Des lacunes étaient déjà présentes, mais elles ont été exacerbées par la pandémie, sans compter les défis supplémentaires relatifs aux voies d’aiguillage et à la disponibilité réduite des refuges et des logements abordables.

Les employés comme les survivantes ont mentionné le rôle essentiel des refuges d’urgence en cas de violence envers les femmes pour aider les femmes fuyant une situation de violence et ont fait état de la frustration de ne pas toujours pouvoir accéder à ces services. Deux participantes ont dû se rendre dans des refuges pour sans-abri de la ville plutôt que dans des refuges pour victimes de violence envers les femmes ou avant d’accéder à ces refuges. Dans les deux cas, le contraste était fort avec ce qui était nécessaire en matière de soutien pour les survivantes à la violence envers les femmes. Par exemple, la survivante C73 (tableau 3A) a mentionné avoir eu peur pour sa sécurité et celle de ses enfants dans le refuge de la ville, notamment en raison de la présence d’hommes (comparativement à un endroit « réservé aux femmes ») et de la consommation d’alcool, un précurseur de la violence subie par plusieurs survivantesNote de bas de page 29. Cette situation a été amplifiée pour elles par le fait de revivre le traumatisme, à savoir l’exposition à une violence potentielle dans le refuge (« on pouvait entendre des gens crier »), tout en devant gérer leurs propres antécédents d’alcoolisme sans soutien social ou psychologique (« ils ne vérifiaient pas chaque soir si j’étais toujours vivante »). Ces commentaires concordent avec ceux d’autres employés et survivantes qui mentionnent que les politiques et les pratiques relatives au logement et à l’itinérance, généralement fondées sur les expériences d’hommes (surtout blancs cisgenres) offrent des moyens insuffisants pour les survivantes à la violence envers les femmesNote de bas de page 9.

Tableau 3. Sous-thèmes avec exemples de données du thème 2 : améliorer les soutiens structuraux à la lutte contre la violence envers les femmes
Sous-thème Exemple de données
Participant Extrait
A. Insuffisance des services de soutien disponibles pour les survivantes à la violence envers les femmes dans les refuges pour sans-abri comparativement aux refuges pour victimes de violence envers les femmes Survivante C73 Le personnel ne fait aucune vérification dans les refuges d’urgence pour voir comment vous allez. […] Ils ne vérifiaient pas chaque soir si j’étais toujours vivante. Je pense que le pire, pendant toute la pandémie, le pire que j’ai vécu c’est les refuges d’urgence. Ouais parce qu’au moins, je peux dire que dans [les refuges pour victimes de violence envers les femmes], j’étais un peu plus libre. […] C’était un endroit réservé aux femmes. Je n’avais à m’inquiéter de rien d’autre, il n’y avait pas d’alcool. Avant, j’étais une alcoolique, quand j’avais 17 ans, donc quand j’allais dans un refuge pour femmes, on m’offrait tout d’abord du soutien, j’étais plus à l’aise. Mais avec les refuges d’urgence, vous voyez que les gens sont épuisés. Vous voyez des gens se soûler. C’était vraiment un endroit dégoûtant pour les enfants, et c’était épeurant – c’était très, très épeurant. Certaines nuits, on se réveillait parce qu’on pouvait entendre, on dirait que les murs étaient minces, parce qu’on pouvait entendre des gens crier. Ça réveillait mes enfants et on restait réveillés pendant des heures.
B. Nécessité d’investir dans le secteur du logement pour les survivantes à la violence envers les femmes Employé offrant un soutien direct P140 Nous avons des femmes qui ont fui des situations horribles, qui demeurent dans des refuges pour sans-abri avec leurs enfants, vous savez, ce qui les expose, ainsi que leurs enfants, à d’autres traumatismes. Je dirais donc que le logement, définitivement […] Il faut être réaliste, on n’obtiendra pas de logement permanent, de milliers de logements permanents construits en une année. Je dirais donc que si nous pouvions avoir plus de logements de transition pour les femmes et les enfants qui fuient des situations de violence, ce serait un début. […] Parce que les femmes quittent leur situation et se rendent dans des refuges, elles restent dans une chambre avec deux ou trois enfants et elles doivent partager une douche ainsi que la cuisine et une salle commune. Si on pouvait obtenir un studio, avec une douche indépendante et une petite cuisine, un divan et une télévision, quelques lits – un logement de transition – au moins les femmes et leurs enfants auraient un peu le sentiment d’être à la maison jusqu’à ce qu’ils trouvent un endroit abordable où déménager. Je suis pour le logement. Vous savez, si nous n’avons pas de logement, nous n’avons rien. […] Il offre l’indépendance, la sécurité, vous savez, une estime de soi.
Employé offrant un soutien direct P23 Je sais que les refuges ont diminué leur capacité, il est donc très difficile de faire entrer les femmes dans un refuge. De plus, plusieurs femmes ne se sentent pas en sécurité là-bas. Nous avons simplement besoin de quelque chose de plus stable. Un refuge est seulement temporaire. Nous avons besoin de logements plus abordables dans la ville. Ce n’est pas juste. Les gens restent dans des relations et endurent cette violence et ces difficultés en raison des problèmes de logement et de la pauvreté.
C. Inégalités fondées sur le genre dans les ressources sociales et économiques et fixation du rôle de la loi et des politiques canadiennes Dirigeant P110 La violence prend différentes formes selon votre contexte, vos… gens. On a donc décidé ce qu’était la violence à l’échelle provinciale. Nous avons décidé que oui, dans une relation, habituellement il y a un homme et une femme, ils ont deux enfants, un chien ou un chat, les deux contribuent de façon égale à la relation en ce qui concerne les finances. Ils sont co-dépendants et leurs noms sont inscrits sur un beau bail. […] Pour qui avons-nous écrit cette politique? Pas pour les clientes que nous desservons, parce que le nom de plusieurs d’entre elles ne figure pas sur le bail, plusieurs n’ont pas une relation équitable avec leur partenaire. Plusieurs d’entre elles… c’est incroyable. C’est comme si on essayait de faire entrer nos clientes dans ce moule que quelqu’un du bureau des politiques a créé en fonction de ses propres contacts et de son propre cadre de référence de ce qu’est une relation.
Survivante C76 Il y a des tonnes et des tonnes [de programmes de logement pour les hommes], mais où sont ces énormes quantités pour les femmes?
Survivante C72 Il y avait un homme à l’étage qui était vraiment le contraire de ce qui pouvait m’aider. Il essayait toujours, malheureusement, de flirter chaque fois que je revenais à la maison. […] Ayant un traumatisme lié aux hommes et souffrant d’un TSPT et de dépression, je – certains jours, je ne voulais pas quitter la maison. Entre mon ex qui connaissait mes codes, le propriétaire qui était un homme et cet autre homme qui vivait à l’étage et qui n’était pas le propriétaire, mais qui était un locataire qui payait beaucoup plus que moi […] Quand on vit dans une société où, tu sais, les hommes ont beaucoup, exercent beaucoup de contrôle et ont beaucoup de pouvoir, c’est très, très difficile pour les personnes s’identifiant comme femme de même avoir une chance de réussir.
Survivante C78 Je dois remplir ma demande [de résidence permanente pour considérations] d’ordre humanitaire, n’est-ce pas? […] Mais j’ai le sentiment, je veux dire, la différence entre mon amie qui reçoit de l’aide […] est que son mari l’a parrainée [pour sa résidence permanente], n’est-ce pas? Et la différence avec mon mari, c’est que lui ne l’a pas fait, mais ce n’est pas de ma faute. Tu sais, je suis ici et j’essaie de faire mes preuves, de démontrer que je suis, tu sais, que je suis un atout. […] Je crois que le gouvernement devrait comprendre parce que je ne fais pas semblant, n’est-ce pas? […] Je me suis mariée, j’ai un enfant avec lui, tu sais, nous avons un fils, un enfant ensemble, n’est-ce pas? Et il a ses temps libres, sa vie, n’est-ce pas? Et moi j’essaie de faire mes preuves chaque jour. Et je pense que ce n’est pas juste parce que je n’ai pas échoué, tu sais, je lui faisais confiance [à mon mari].
Dirigeante P136 Mais après être prêtes à demander de l’aide, si leurs besoins primaires ne sont pas comblés, n’est-ce pas – elles n’ont pas d’argent, elles n’ont pas de nourriture, de logement, elles n’ont pas accès à leurs enfants –, elles ne quitteront pas leur foyer. Ce n’est pas quelque chose qu’en tant qu’organisme, nous pouvons régler. C’est un problème systémique, n’est-ce pas? Il faut avoir des services de soutien généraux pour obtenir de la nourriture, un refuge, un accès à une éducation sécuritaire sans, vous savez, sans que les pères viennent chercher leurs enfants à l’école, n’est-ce pas? C’est un enjeu systémique qui peut seulement être réglé par des fonds stratégiques et publics.

Il est évident d’après les commentaires des participants qu’un plus grand investissement dans les refuges pour les survivantes à la violence envers les femmes est une solution – non seulement pour renforcer les voies d’aiguillage, mais aussi pour augmenter le financement et les ressources pour améliorer la capacité, la dotation et la formation visant à collaborer avec d’autres systèmes afin d’offrir des soins contre la violence envers les femmes (ce point est abordé dans la section suivante). Toutefois, les participants mentionnent qu’il faut aussi mettre davantage l’accent sur les solutions de logement à plus long terme pour les survivantes à la violence envers les femmesNote de bas de page 28. Par exemple, comme l’a suggéré l’employé offrant du soutien direct P140 (tableau 3B), un plus grand investissement dans les logements de transition (appelés « de deuxième étape » dans certaines régions du Canada) pour les survivantes à la violence envers les femmes (habituellement de 1 à 5 ans) en tant que solution à moyen terme dans le secteur du logement est une façon efficace de créer un sentiment de chez soi pour les survivantes et leur famille pendant qu’elles attendent un logement indépendant, l’objectif ultimeNote de bas de page 30. Les participants ont comparé ces options de logement à plus long terme avec les refuges qui, en raison de leur nature à court terme et commune, n’offrent pas le même sentiment de stabilité et d’indépendance.

Même si les refuges offrent des avantages vitaux pour de nombreuses survivantes y ayant accès, les participants ont également reconnu qu’il ne s’agit pas de la meilleure solution pour tout le monde, d’où la nécessité d’investir dans l’ensemble du secteur du logement en lien avec la lutte contre la violence envers les femmesNote de bas de page 9. Par exemple, comme l’a expliqué l’employé offrant un soutien direct P23 (tableau 3B), plusieurs femmes vivent une itinérance « cachée » (par exemple en demeurant dans une relation violente) sans avoir la capacité ou se sentir suffisamment en sécurité pour accéder à un refuge et sans autres options adéquatesNote de bas de page 31. Ce point transparaît dans les récits des survivantes : par exemple, la survivante C74 est retournée dans une situation de violence après avoir vécu dans un refuge; la survivante C75 a fait face à de la discrimination sur le marché immobilier en tant que femme célibataire, enceinte et bénéficiaire de prestations d’invalidité et elle a dû accepter un logement lourdement endommagé par un dégât d’eau et les survivantes C72 et C76 ont été obligées d’endurer du harcèlement et des abus de voisins masculins sans aucun recours ou possibilité de déménager.

Les participants ont souligné les obstacles structuraux qui limitent les offres de logement sécuritaire et abordable pour les survivantes à la violence envers les femmes et accentuent le risque pour les femmes de subir une itinérance cachée. Par exemple, le dirigeant P110 (tableau 3C) a fait état d’un problème plus vaste relatif à la politique de logement et aux lois en matière de bail résidentiel du Canada, qui ne tiennent pas compte des réalités vécues par les survivantes à la violence envers les femmesNote de bas de page 9Note de bas de page 32Note de bas de page 33. Cette situation peut conduire à des cas où des femmes quittant leur foyer pour s’éloigner d’un agresseur sont incapables, parce que leur nom ne figure pas dans le bail ou l’hypothèque, de faire la preuve de leur admissibilité à un logement supervisé, un logement subventionné ou des indemnités pour logement mobile (qui, pour les cas qui sont priorisés en fonction de la violence envers les femmes, exigent une preuve écrite de cohabitation avec un agresseur pendant une période de temps donné ou, pour les nouveaux arrivants, un parrainage) et qui n’ont pas les finances, les antécédents de crédit ou les actifs pour obtenir leur propre logement indépendant. C’est ainsi que le participant P110 souligne que les inégalités sociales entre les survivantes à la violence envers les femmes et leurs agresseurs sont, dans certains cas, aggravées par les politiques mêmes qui sont censées soutenir ces dernièresNote de bas de page 32.

Cette notion rend compte de l’expression plus générale d’injustice soulignée par les participants quant à la distribution inéquitable des ressources sociales et économiques dans la société en fonction du genre et d’autres facteurs interreliés (comme l’ethnicité, la race ou la classe sociale). Cela touche le soutien au logement (voir tableau 3C, survivante C76) et la discrimination sur le marché du logement (voir tableau 3C, survivante C72) ainsi que l’accumulation des obstacles pour les femmes nouvellement arrivées au Canada (voir tableau 3C, survivante C78). Cela étant dit, les recommandations des participants en faveur de soutiens structuraux plus équitables sont allées au-delà du logement, pour porter sur le financement en général (voir P37, augmenter les allocations au logement et pour les besoins de base), l’emploi et les études (voir P139, offre de formation pour une certification professionnelle, aide à la rédaction d’un curriculum vitae, mentorat de préparation aux entrevues), les services de soutien juridique (voir P138, financement accru pour aide juridique) et les services d’aide à l’enfance.

Les commentaires du dirigeant P136 (tableau 3C) fournissent un exemple des recommandations des participants soulignant la valeur de services de soutien flexibles et généraux pour les survivantes, mais indiquent clairement qu’à long terme, la promotion de l’équité entre les genres et la prévention des besoins en matière de violence envers les femmes doivent être priorisées dans toutes les politiques. Sans politique qui crée une distribution plus équitable des pouvoirs économiques et sociaux, les services de violence envers les femmes ne pourront pas prévenir les récidives de violence ou ses conséquences les plus extrêmes, encore moins prévenir cette violence à la base.

Élaborer des systèmes coordonnés pour renforcer la lutte contre la violence envers les femmes

Se recoupant avec les commentaires sur le besoin de renforcer les soutiens structuraux pour lutter contre la violence envers les femmes, les récits des participants portent également sur l’importance de mieux coordonner les services de lutte contre la violence envers les femmes et les autres systèmes avec lesquels les survivantes interagissent fréquemment – en particulier le système de santé et le système judiciaire. Les participants ont décrit comment ces systèmes n’ont pas été élaborés pour tenir compte du recoupement des besoins spécifiques des survivantes à la violence envers les femmes. Par exemple, la survivante C76 a mentionné avoir été admise à l’hôpital de nombreuses fois au cours des dix dernières années et avoir des difficultés à obtenir le soutien émotionnel, social et économique nécessaire pour se rétablir – des circonstances seulement exacerbées par la pandémie de COVID-19 (tableau 4A). Elle mentionne également que de l’aide sociale a été offerte aux aînés ayant besoin de soutien dans leur vie quotidienne et pour accéder aux services, ce qui contraste avec les survivantes à la violence envers les femmes (de tous âges), qui sont également souvent aux prises avec un isolement social et divers symptômes physiques et mentaux et qui tireraient profit de niveaux de soutien similaires. Cet écart en matière de service touche plus particulièrement les survivantes marginalisées sur le plan économique (voir par exemple C76, « c’est très difficile […] quand tu n’as pas d’argent ou n’as accès à aucun type de soutien »).

Tableau 4. Sous-thèmes avec exemples de données du thème 3 : élaborer des systèmes coordonnés pour renforcer la lutte contre la violence envers les femmes
Sous-thème Exemple de données
Participant Extrait
A. Système de santé ne tenant pas compte des besoins spécifiques des survivantes à la violence envers les femmes Survivante C76 Quand je suis allée à l’hôpital et que la pandémie a commencé, ils avaient des services pour les aînés et d’autres choses. Mais pour moi, j’étais seule et je n’avais pas d’aide. […] Je devais aller à l’hôpital et subir [une colonoscopie], et ça a été très difficile de trouver quelqu’un pour venir me chercher [elle pleure] parce que je ne trouvais personne pour venir me chercher et ils avaient besoin que quelqu’un vienne me chercher, parce qu’on te met sous anesthésie. Et c’était vraiment humiliant. […] C’est une des choses qui est le plus difficile, particulièrement avec la pandémie de COVID-19. C’est juste que, je ne sais pas, je ne veux pas de « passe-droit », juste un « coup de main » parfois.
Dirigeant P68 Je crois qu’il y a eu une certaine collaboration [entre] le domaine de la lutte contre la violence envers les femmes [et] les soins de santé. Mais, vous savez, l’accès aux soins de santé est limité maintenant. C’est juste que je ne connais pas de tables rondes où se tiennent des discussions sur la violence envers les femmes et les soins de santé. […] Un certain nombre d’efforts sont déployés pour l’itinérance et les aînés très vulnérables. Donc certains de ces éléments peuvent se recouper, mais les soins de santé ont tendance à se concentrer sur les soins de santé [rire]. Je pense donc que c’est encore un système cloisonné.
Employé offrant un soutien direct P115 Je veux dire, rendez-nous obligatoires [rire]. Je crois qu’il faudrait vraiment reconnaître que nous sommes un service essentiel et que laisser ces clientes naviguer dans le système d’urgence seules n’est pas faisable. Je suis infirmière d’urgence, je vois les deux côtés de la médaille. Et je vous le dis, ce n’est pas la bonne place. En tant qu’infirmière d’urgence, je ne peux pas aider une survivante dans un service d’urgence. Ce n’est simplement pas possible. Vous n’avez pas le temps et ces survivantes, elles ont besoin de temps. Je crois que c’est la clé. Même lorsque j’évalue une patiente, il faut environ, au minimum, une heure et demie, parfois jusqu’à huit heures, selon la complexité du cas. Donc vraiment, comme je l’ai dit, il faudrait augmenter le nombre d’infirmières médico-légales en Ontario.
Survivante C77 C77 : Ma docteure savait. En fait, chaque fois que j’avais rendez-vous avec ma docteure, mon partenaire venait avec moi dans le bureau. […] Il venait toujours avec moi et ma docteure, un petit peu, elle avait, comment dire, elle ressentait que j’étais stressée. Alors elle me posait des questions comme « As-tu des amis ou de la famille ici? ». Je répondais « Non ». Et elle savait que j’étais ici avec un visa de visiteur, donc je n’ai pas de carte d’assurance-maladie. Donc chaque fois, il venait et payait les frais de la docteure.
Enquêtrice : Est-ce que la docteure lui a déjà dit, à votre partenaire ou à la personne qui était avec vous, « Je dois parler avec ma patiente seule » ou « Malheureusement, je dois vous demander de quitter la pièce? »
C77 : Non, elle n’a jamais demandé ça. Mais je pense qu’elle comprenait ce qui se passait. Et elle me demandait « Es-tu stressée? Es-tu stressée? ». Je répondais « Ouais, je suis stressée parce que je ne peux rien manger. Je suis fatiguée. C’est… ». Et il était assis juste là alors comment aurais-je pu – parce qu’à cette époque-là, je n’avais pas l’intention de quitter cette personne ou je ne pouvais pas me plaindre de lui parce que j’étais enceinte, je ne pensais pas le quitter, donc je ne disais rien.
Survivante C81 Enquêtrice : Est-ce qu’un médecin, une infirmière ou quelqu’un à l’hôpital vous a demandé d’où provenaient [les blessures infligées par votre partenaire]? Ou est‑ce que quelqu’un vous a demandé si quelqu’un vous faisait du mal?
C81 : Non, ils ne vous demandent pas ça parce qu’ils parlent anglais et n’utilisent pas d’interprètes et ils veulent juste vous examiner, faire leur travail et passer à autre chose.
Enquêtrice : Est-ce que je peux vous demander combien de fois l’an dernier vous vous êtes rendue à l’hôpital?
C81 : Trois ou quatre fois.
B. Système judiciaire ne tenant pas compte des besoins des survivantes à la violence envers les femmes Employé offrant un soutien direct P43 Soit plus de formation pour les agents, soit un changement pour permettre, genre, à plus de travailleurs en santé mentale, travailleurs sociaux d’être déployés en première ligne. […] Afin que […] les clientes sachent qu’il y a plus de soutien émotionnel disponible auquel elles peuvent accéder quand elles en ont besoin.
Employé offrant un soutien direct P139 La protection de l’enfance […] ce n’est pas seulement au sujet des enfants. Je sais que c’est important – je sais qu’ils sont là pour ça. Mais il y a tellement de choses d’impliquées avec la famille que la mère doit être incluse et comprise. Pas que je – nous n’avons pas à comprendre l’abus ou la négligence, ce n’est pas à propos de ça. C’est plutôt à propos de […] ce n’est pas noir ou blanc. Et parfois ils sont très, très radicaux. Donc, la police, la police aussi, tu connais la violence – donc, donc plusieurs femmes, elles ne parlent pas la langue et c’est elles qui sont accusées et envoyées en prison parce qu’il n’y pas de marques, mais il y a une marque sur l’homme. Mais elles se défendaient simplement. Donc, vous savez, je pense éducation. S’ils pouvaient offrir plus de formation pour ça et offrir plus de possibilités aux femmes.
Survivante C75 La raison pour laquelle j’ai commencé à consommer c’est parce que j’étais victime de violence physique et que j’ai dû cacher cette situation pendant des mois, des années. Je cachais ma situation. Et puis je – c’est comme ça que je m’adaptais. Je voulais oublier. Je voulais engourdir ma douleur. Je voulais tout ça. Et pour m’aider à gérer mon problème, ils m’ont enlevé mes enfants. Mais ça ne m’aide pas vraiment à régler mon problème. Vous m’enlevez mes enfants. Et ça me pousse à boire plus parce que maintenant, je suis déprimée. Tu comprends ce que je veux dire? Donc ça a commencé par un traumatisme, et puis ils n’ont fait qu’ajouter à mon traumatisme et puis c’est comme, eh bien, tu dois juste arrêter de boire. Mais ils renforcent ce traumatisme. Donc comment est-ce qu’ils s’attendent à ce que tu arrêtes de boire quand ils rajoutent à ce que tu as déjà vécu?
Employé offrant un soutien direct P23 Avec les inculpations obligatoires […] ça a l’effet inverse. Et, euh, ouais, ça crée cette situation en fait, ce préjudice pour les femmes. Le système doit changer. Ils doivent tenir compte de l’expérience des femmes qui se retrouvent dans le système afin de pouvoir les soutenir et éviter que cette situation se répète. […] C’est à la police de décider. […] Ils vont séparer les gens, ils vont passer la balle au PIPV [programme d’intervention auprès des partenaires violents]. Mais en même temps, j’ai l’impression que les services de soutien ne sont pas vraiment fournis, c’est comme « Oh et bien, vous avez été accusée. Vous devez y faire face en plus de tout ce que vous vivez déjà. » C’est comme, je crois qu’il faut offrir de la formation à la police, vraiment. C’est comme ça qu’ils travaillent avec les gens, c’est problématique. Je l’entends de plusieurs clients, c’est très, très traumatisant de vivre une telle situation. […] Si la police disait : « Ok, communique avec eux », tu sais, « ils vont t’aider » – ça pourrait faire une différence et éviterait qu’elles soient laissées en plan et aient à attendre. […] Quand la pandémie de COVID‑19 sera terminée, nous savons que plus de programmes devront être mis en place. […] Nous devons vraiment travailler de façon plus collaborative, tu sais, euh, dans le cadre de cette situation et tirer des leçons de cette situation et améliorer nos services parce que nous – je crois que plusieurs personnes ont été laissées en plan pendant la pandémie.

Même si les employés qui occupent un rôle important au sein du système de santé sont moins nombreux en termes d’effectifs dans notre échantillon, ils ont corroboré ces points. Par exemple, le dirigeant P68, dont le travail est financé par le ministère de la Santé de l’Ontario, a fourni davantage d’information sur le contexte du système de soins de santé (tableau 4A), qui fonctionne de façon « cloisonnée », entre autres à l’égard du secteur de lutte contre la violence envers les femmes, et qui ne tient pas compte de façon stratégique de la diversité des besoins des survivantes à la violence envers les femmes. La participante P115, fournisseuse de services directs dans le système de soins de santé, a offert un point de vue supplémentaire (tableau 4A), mentionnant que la solution pour obtenir de meilleurs résultats de santé pour les survivantes à la violence envers les femmes ne passe pas nécessairement par la prestation de formation sur la violence envers les femmes aux fournisseurs de soins de santé (une suggestion communeNote de bas de page 34), qui pourraient ne pas disposer de la capacité nécessaire pour offrir des soins complets adaptés à la violence envers les femmes dans le cadre de leur pratique régulièreNote de bas de page 35. La recommandation consiste plutôt à augmenter (et à conserver) l’effectif d’employés luttant contre la violence envers les femmes et de faire de la sensibilisation au sein du système de soins de santé – une approche qui s’est révélée prometteuse à l’étrangerNote de bas de page 36 et qui nécessite la collaboration stratégique entre le système de lutte contre la violence envers les femmes et le système de santé à laquelle fait référence la participante P68 (tableau 4A).

Ce type d’approche coordonnée, fondée sur la sensibilisation, permettrait non seulement de répondre aux besoins des survivantes à la violence envers les femmes se retrouvant dans le système de soins de santé, mais aussi de renforcer l’identification et le référencement des patientes à risqueNote de bas de page 37 – enjeux illustrés par les expériences des survivantes qui ont accédé au système de soins de santé avant d’accéder aux services de lutte contre la violence envers les femmes. Par exemple, pendant la grossesse de la survivante C77, son partenaire violent, qui parrainait son visa de visiteur, l’accompagnait lors de tous ses rendez-vous (tableau 4A), une tactique classique dans les situations de violence contrôlante et coercitiveNote de bas de page 38. Malgré la détresse psychologique qu’elle vivait («  je suis stressée parce que je ne peux rien manger ») et le déséquilibre de pouvoir évident dans la relation («  je n’ai pas de carte d’assurance-maladie […] [mon partenaire] venait et payait les frais »), la médecin n’a jamais demandé au partenaire de quitter la pièce pour discuter d’un possible cas de violence conjugale, d’un plan pour assurer la sécurité de la patiente ou des services disponibles pour lutter contre la violence envers les femmes. La survivante C81 est allée à l’hôpital pour des blessures infligées par son partenaire et, au cours d’au moins trois visites, n’a pas reçu les services d’interprétation nécessaires pour parler de la violence dont elle était victime (tableau 4A). Dans les deux cas, ni la survivante C77 ni la survivante C81 n’ont eu de contact avec des services de lutte contre la violence envers les femmes et, alors que des pratiques exemplaires pour l’identification et le référencement sécuritaires auraient dû être mises en place, elles ne l’ont pas étéNote de bas de page 39.

Les participantes ont été encore davantage marginalisées par le système en tant que nouvelles arrivantes – absence de statut de résidence permanente (C77) ou difficulté à parler anglais (C81). Ces exemples illustrent que, dans la mise en œuvre de n’importe quelle approche de coordination des systèmes, les intervenants du domaine de la violence envers les femmes doivent également être formés et disposer de ressources à propos des interactions entre cette violence et d’autres formes de marginalisation (dans les cas mentionnés ici, aide sociale pour les survivantes sans statut de résidence permanente et services d’interprétation)Note de bas de page 37.

Les défis relatifs au système judiciaire mentionnés par les survivantes à la violence envers les femmes et par les employés sont similaires à ceux relevés dans le système de soins de santé – par exemple le fait que les survivantes ne sont pas dirigées vers des services de soutien contre la violence envers les femmes après un contact avec la police (survivantes C77, C79 et C81). Comme dans le cas du système de santé, les participants ont recommandé, en tant qu’intervention, de la formation sur la violence envers les femmes dans l’ensemble du système judiciaire, avec certains employés spécialisés en violence envers les femmes dans le système judiciaire, recommandant une approche coordonnée, fondée sur la sensibilisation (voir tableau 4B, employé offrant un soutien direct P43). Idéalement, une telle approche conduirait à ce que les survivantes en crise reçoivent du soutien de la part de personnel ayant suivi une formation spécialisée dans le domaine de la violence envers les femmes et disposant de la capacité d’intervenir de façon appropriéeNote de bas de page 40.

Toutefois, du fait que les interactions des survivantes à la violence envers les femmes avec le système judiciaire impliquent généralement d’autres personnes (partenaire, enfants), d’autres modalités plus spécifiques de lutte contre la violence envers les femmes ont été mentionnées par les participants. Par exemple, l’employé offrant du soutien direct P139 (tableau 4B) a mentionné deux enjeux importants pour les survivantes à la violence envers les femmes interagissant avec le système judiciaire parmi les enjeux abordés par les participants : protection de l’enfance et inculpation obligatoire. En ce qui concerne la protection de l’enfance, les employés et les survivantes ont fait écho au commentaire du participant P139 au sujet de la nécessité d’inclure les survivantes à la violence envers les femmes dans les discussions et le processus décisionnel relatifs à la protection de l’enfance (dont la prise en charge des enfants) – reconnaissant les préjudices potentiels découlant de la séparation d’une familleNote de bas de page 41Note de bas de page 42 (« ce n’est pas noir ou blanc ») – et de fournir des services de soutien appropriés aux survivantes pendant (et après) le processus. Le récit de la survivante C75 fournit un bon exemple de ce point (tableau 4B). Elle n’a pas été prise en compte dans le processus de protection de l’enfance – par exemple par l’évaluation de la cause de son traumatisme (une relation violente) et par l’offre d’un traitement approprié – ce qui a conduit à une détérioration de sa santé mentale et de son problème de consommation de substances. Cela a supprimé la possibilité que la mère et l’enfant restent ensemble et a réduit la probabilité d’une future réunifcation de famille, qui, dans plusieurs cas, a d’importants avantages pour la mère et l’enfantNote de bas de page 41.

Les participants ont également souligné l’importance pour les travailleurs offrant un soutien direct (incluant la police) d’être formés pour identifier les femmes victimes de violence et leur offrir du soutien lorsqu’ils répondent à des appels de violence conjugale, qui exigent, aux yeux de la loi, une inculpation obligatoire (la police doit déposer des accusations si elle croit qu’il y a probabilité raisonnable qu’il y a eu violence conjugale). Tandis que le participant P139 a mis l’accent sur la marginalisation des survivantes qui ne parlent pas anglais et à qui on n’offre pas de service d’interprétation approprié, l’employé offrant un soutien direct P23 a démontré plus largement les lacunes systématiques de ce processus (tableau 4B). Le participant P23 illustre le besoin d’une plus grande collaboration entre le système de lutte contre la violence envers les femmes et le système judiciaire, en particulier plus de services de soutien fondés sur le traumatisme pour les survivantes se retrouvant dans le système judiciaire et des mécanismes de référencement plus solides au point de contact. Ces commentaires, ainsi que ceux des participants P139 et C75, contribuent à une perspective plus globale autour de la transformation du système judiciaire en une arme qui se retourne contre les survivantes à la violence envers les femmes – où les survivantes sont criminalisées (P139 et P23) ou traumatisées par la prise en charge des enfants (C75).

De plus, les participants ont décrit des situations où les survivantes à la violence envers les femmes ont été manipulées et privées de leurs pouvoirs par leur partenaire faisant usage de violence ou des professionnels traitant de cas hautement conflictuels (C74, C80, P137). Ensemble, ces commentaires illustrent comment les normes sociétales propres au genre vont continuer à pervertir le système judiciaire si rien n’est fait – à savoir sans une formation obligatoire et une action intersectorielle coordonnée, incluant la défense des victimes de violence envers les femmes et la reconnaissance des traumatismes – continuant de désavantager les survivantes à la violence envers les femmes et permettant le maintien de leur exploitation par leurs agresseurs, particulièrement les hommes usant de violenceNote de bas de page 43Note de bas de page 44.

Mettre en œuvre et évaluer les stratégies de prévention primaire de la violence envers les femmes

Le dernier ensemble de recommandations des participants pour le PAN porte sur l’action stratégique requise pour prévenir la violence envers les femmes en premier lieu. Dans ce domaine, les participants ont eu tendance à se concentrer sur l’amélioration du programme d’éducation et la sensibilisation du public au sujet des relations saines, de l’expression du genre et de ce qui constitue la violence. On a tout particulièrement mis l’accent sur l’importance de s’assurer que cette éducation commence tôt dans la vie, par une mise en œuvre universelle dans les écoles (voir tableau 5A, employé offrant un soutien direct P92). Inhérent aux commentaires de P92, un principe a été largement développé par les participants : la responsabilité de prévenir la violence envers les femmes ne devrait pas reposer uniquement sur les femmes, mais plutôt sur l’ensemble de la société – rejetant la notion que les femmes devraient apprendre à éviter les situations « à risque »Note de bas de page 45Note de bas de page 46Note de bas de page 47.

Tableau 5. Sous-thèmes avec exemples de données du thème 4 : mettre en œuvre et évaluer les stratégies de prévention primaire de la violence envers les femmes
Sous-thème Exemple de données
Participant Extrait
A. Amélioration du programme d’éducation et sensibilisation du public au sujet de la violence envers les femmes Employé offrant un soutien direct P92 Je crois que c’est très important, l’éducation dans les écoles. Ce n’est pas seulement l’éducation des femmes – parce qu’on dit toujours, oh, il faut apprendre aux femmes à ne pas, peu importe quoi. Je crois que ça passe par l’enseignement, l’enseignement des élèves de 3e, 4e, 5e années. […] On parle d’éducation, de ce qu’est la violence fondée sur le genre. Et il est très, très important de commencer par les tout-petits et de les éduquer à ce sujet et sur la façon d’identifier si vous vous trouvez dans une situation de violence à la maison. […] Parce que les enfants sont notre avenir. Et s’ils savent comment prévenir la violence ou de pas la commettre, ce sera mieux ainsi.
B. Interventions préventives devant cibler les garçons et les hommes Employé offrant un soutien direct P140 Lorsque vous travaillez avec un organisme sans but lucratif, le financement pour « ceci et cela » est toujours une préoccupation. Ce qui fait que nous devons travailler avec ce que nous avons et nos gestionnaires nous répètent toujours de faire attention. […] Nous allons au-delà de ce qui est demandé parce que nous sommes également passionnés par le travail que nous faisons et nous souhaitons que toute cette violence disparaisse. Mais ce n’est pas le cas et le problème ne se réglera pas de sitôt. Et c’est pourquoi je crois qu’il y a de plus en plus d’organismes qui commencent à mettre en œuvre des programmes auprès des jeunes garçons et des hommes. Alors, vous savez, ce que je veux dire c’est qu’on ne peut pas seulement aider les jeunes filles et les femmes. Il faut aussi tirer profit de nos ressources et aider les hommes et les garçons. Donc si on peut prévenir le cycle de violence ou les éduquer à ce sujet, je crois qu’on peut aller loin.
C. Politiques de redistribution et transformatrices de genre qui bonifieront autant les interventions contre la violence envers les femmes que les stratégies de prévention primaireNote de bas de page a Survivante C74 Je crois qu’un des changements matériels que j’encouragerais le plus est la modification de la politique en matière d’indépendance économique et d’indépendance financière. […] Pour les personnes qui s’identifient comme étant des femmes ou des personnes LGBTQ, le point de rupture est la composante économique. Alors comment pouvez-vous quitter une relation violente lorsque vous devez surmonter tous les obstacles pour naviguer dans les systèmes? […] Vous le faites, puis il n’est pas vraiment possible de reconnaître la disparité et la dévastation qu’entraîne la marginalisation économique parce que ce n’est pas quelque chose que vous pouvez prouver, ce n’est pas reconnu. […] Il faudra vraiment quelqu’un d’expérience et beaucoup de discussions très inconfortables — je crois que le moment est le bon. Nous avons vécu une pandémie, nous avons observé cette disparité. […] Mais je ne vois pas de composante fondamentale, je ne suis pas certaine que je peux en parler éloquemment. Il y a des gens qui se sont retrouvés dans cette situation qui ne sont pas invités à participer ou qui n’ont pas la chance d’apporter des changements significatifs. C’est dans l'intérêt primordial de maintenir le statu quo. […] Mais il faut élaborer une politique. Nous devons arrêter d’en parler. […] Je crois que ça passe par une affectation de ressources et une volonté politique. C’est quelque chose que je vois dans le cadre du travail que je réalise. […] Je ne vais pas simplement abandonner. […] Je ne peux pas. Les risques sont, les statistiques sont, et je vais terminer sur ce point, que ma fille vivra la même chose parce qu’elle en a été témoin.  
Employé offrant un soutien direct P37 Parfois, on parle plus qu’on agit. Je crois que peu importe ce qui est dit, il faut aussi passer à l’action, pas simplement en parler.

Les employés soulignent l’importance de créer des interventions éducatives et, plus généralement, de soutien à l’intention des garçons et des hommes (voir tableau 5B, employé offrant un soutien direct P140). Les commentaires comme ceux du participant P140 illustrent clairement le besoin d’inclure les garçons et les hommes dans les efforts de prévention de la violence envers les femmes, étant les auteurs les plus fréquents de violence envers les femmesNote de bas de page 45. Toutefois, ils ont également souligné la pression actuelle subie par les organismes de lutte contre la violence envers les femmes – dont le mandat est de protéger les femmes victimes de violence et qui sont depuis longtemps sous‑financés – pour élargir les cibles de leurs programmes (ainsi seulement 14 % du budget fédéral du Canada pour 2022 est destiné aux mesures axées sur les femmesNote de bas de page 48). Il faut donc augmenter les fonds dédiés à la conception et à la prestation d’interventions éducatives et de soutien destinés aux garçons et aux hommes – peut-être dans certains cas par les organismes de lutte contre la violence envers les femmes et, dans d’autres cas, avec leur collaboration – mais sans limiter le bassin actuel de financement pour les services de soutien axés sur les femmes.

Les commentaires de P92 et de P140 (tableaux 5A et 5B) illustrent l’accent que mettent les participants sur les interventions visant à freiner le cycle de violence chez les générations plus jeunes, y compris et au-delà des interventions éducatives. Cela cadre avec l’idée que le renforcement de la réponse structurelle à la violence envers les femmes (comme cela a été abordé plus haut) aura également des répercussions sur la prévention primaire, et ce, en améliorant de façon équitable les services de soutien sociaux et économiques offerts aux femmes dont les enfants risquent davantage d’être victimes de violence ou d’en être les auteurs plus tard dans leur vieNote de bas de page 46Note de bas de page 49. En d’autres termes, les politiques qui ciblent la distribution sociale des ressources et des normes sociales (dont le genre) sont essentielles à tous les niveaux de prévention de la violence envers les femmes (primaire, secondaire et tertiaire).

Cette idée est présente dans les données, les participants ayant discuté de l’importance de promouvoir l’équité entre les sexes et l’approche intersectionnelle par la modification des politiques et des systèmes pour lutter contre la violence envers les femmes et la prévenir en premier lieu. Ces avantages à plusieurs niveaux sont clairs dans les commentaires de la survivante C74 (tableau 5C). Cette dernière illustre les conséquences insidieuses des disparités économiques entre les genres et du cumul des facteurs d’inégalité dans la société – ce qui est confirmé par les systèmes politiques qui profitent du maintien du « statu quo » – ce qui a une incidence sur la capacité des femmes (et des personnes de sexe et de genre diversifiés) à quitter une relation violente et augmente la probabilité de cycles intergénérationnels de violence envers les femmes (« les risques sont […] que ma fille vivra la même chose […] »)Note de bas de page 21Note de bas de page 47. La survivante C74 fait valoir, comme l’ont fait d’autres participants (voir tableau 4C, employé offrant un soutien direct P37), que la prévention de la violence envers les femmes doit aller au-delà des discussions hypothétiques et passer à une action stratégique transformatrice. Pour ce faire, il faudra apporter des modifications légitimes à la distribution des pouvoirs, des ressources et du prestige dans la société, prévues dans la loi et les politiques, afin de faire la promotion de « l’indépendance économique » pour toutes les femmes, de surmonter les obstacles structurels (racisme, transphobie, discrimination envers les personnes en situation de handicap) – modifications « inconfortables » pour les groupes hégémoniques qui perdront inévitablement du pouvoir au terme de ces politiques de redistributionNote de bas de page 21Note de bas de page 45. Finalement, la participante C74 évoque un point bien illustré dans notre étude : l’importance, souvent négligée, d’inclure de façon significative les points de vue des survivantes à la violence envers les femmes au processus de planification des politiques.

Synthèse des recommandations formulées aux termes de cette étude

Le tableau 6 résume les recommandations pour le PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes qui ont été formulées en fonction des conclusions de notre étude et met en contexte ces recommandations relativement à la littérature existante, incluant les plus récentes analyses du PANNote de bas de page 9Note de bas de page 13Note de bas de page 50.

Tableau 6. Synthèse de nos recommandations prioritaires pour le PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes du Canada
Recommandation Détails et références à la littérature existante
Investir dans les services de lutte contre la violence envers les femmes et accroître l’accessibilité aux services de soutien en cas de crise
A. Sensibiliser le public à la violence envers les femmes et aux services de soutien en cas de crise Concevoir et mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation du public qui éduquent la population sur ce en quoi consiste la violence envers les femmes (sous toutes ces formes) et sur la disponibilité des services de soutien en cas de crise et qui font évoluer les normes sociales concernant le genre et la violence. Les campagnes d’information devraient utiliser des voies d’accès publiques comme la radio, la télévision, les épiceries, les parcs, les centres d’achats, les buanderies, les hôpitaux, les centres communautaires et d’autres espaces publics et elles devraient être traduites en différentes langues. Les campagnes de sensibilisation du public constituent une des principales recommandations formulées avant les consultations sur le PANNote de bas de page 13Note de bas de page 50. Les campagnes d’information devraient éviter d’utiliser un langage traumatisant ou stigmatisant, devraient rassembler des intervenants variés (survivantes, fournisseurs de services, intervenants auprès des victimes, chercheurs, etc.) lors des étapes d’élaboration et de mise en œuvre et elles devraient être mises en œuvre dans le cadre d’une stratégie multidirectionnelle visant à augmenter la disponibilité et l’accessibilité des services de soutienNote de bas de page 24Note de bas de page 25Note de bas de page 26.
B. Renforcer les mécanismes de référencement aux programmes de lutte contre la violence envers les femmes Élaborer un processus systématique et centralisé pour le référencement à des services de soutien à la lutte contre la violence envers les femmes, en particulier par des points d’entrée plus accessibles pour les survivantes (par ex. par l’entremise d’outils de clavardage virtuels, avec la disponibilité immédiate d’un service d’interprétation en plusieurs langues) et une coordination plus étroite entre les lignes de crise et les organismes de lutte contre la violence envers les femmes. Le renforcement des processus de référencement doit inclure l’identification de ces points de contact, qui seront responsables de garder à jour une liste des services disponibles et d’assurer la transparence et la responsabilisation pendant le processus de référencement. Ce travail demande des consultations plus approfondies avec le personnel et les survivantes dans le domaine de la violence envers les femmes et d’autres domaines intersectoriels pour déterminer les étapes prioritaires pour l’amélioration (comme l’utilité d’une ligne nationale de crise) et la mise en œuvre d’un système de surveillance et d’évaluation permettant de s’assurer que les mesures d’adaptation fonctionnent correctement pour les diverses survivantes en ayant besoin. Même si les précédentes consultations sur le PAN ont souligné l’importance d’augmenter la disponibilité des services de soutien en cas de crise liée à la violence envers les femmes, en particulier les lignes de crise et la prestation de services intégrésNote de bas de page 13Note de bas de page 50, notre étude révèle d’importants éléments quant à la nécessité de mettre en place un système de référencement plus systématique, centralisé et transparent.
C. Augmenter le nombre d’organismes de lutte contre la violence envers les femmes ayant la capacité de fournir des services généraux à l’interne aux clientes Élargissant l’appel à élaborer des guichets uniques regroupant plusieurs organismesNote de bas de page 50, notre étude fait état du besoin d’investissements accrus dans le domaine de la lutte contre la violence envers les femmes pour renforcer l’effectif, la formation et l’infrastructure relatifs à la lutte contre la violence envers les femmes destinés à élargir la prestation de services de soutien généraux à l’interne, même lors des urgences. Même si certains organismes de lutte contre la violence envers les femmes n’auront pas, de façon réaliste, la capacité d’offrir de multiples services aux clientes (et tireraient par conséquent profit de mécanismes de référencement plus solides dans le domaine de la lutte contre la violence envers les femmes), nos conclusions soulignent les difficultés à offrir un soutien complet aux clientes à la lumière des pénuries de personnel et de l’interruption des services communautaires en personne pendant la pandémie. Nos résultats soulignent en particulier l’importance de tenir compte des besoins des organismes communautaires et des services de lutte contre la violence envers les femmes avec un financement dédié au renforcement de la capacité des programmes internes et des services de référencement. Cette mesure dans le PAN devrait être soutenue par des consultations dirigées regroupant plusieurs organismes et survivantes, en tenant compte des facteurs sociaux intersectoriels (ethnicité, race, statut vis-à-vis de l’immigration, langue, âge, statut socioéconomique).
D. Fournir des mécanismes de financement flexibles aux organismes de lutte contre la violence envers les femmes Les bailleurs de fonds devraient offrir une plus grande flexibilité aux organismes de lutte contre la violence envers les femmes afin que ces derniers puissent utiliser leurs fonds comme ils le souhaitent pour répondre à la demande et aux besoins des clientes, particulièrement lors de situations d’urgence – une nouvelle recommandation formulée aux termes de notre étude, qui se fonde sur le besoin d’un financement durable accru pour les services de lutte contre la violence envers les femmes recommandé dans les précédents rapports sur le PANNote de bas de page 13Note de bas de page 50 et reflète le contexte évolutif des services dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Le financement flexible serait bonifié par le renforcement des systèmes de surveillance et d’évaluation des organismes de lutte contre la violence envers les femmes, en particulier l’amélioration des processus de rétroaction et de mobilisation des clientes pour s’assurer que les organismes sont aptes à maximiser la probabilité que toutes les mesures d’adaptation répondent aux divers besoins des clientes.
E. Augmenter les services de soutien à la santé mentale spécialisés et tenant compte des traumatismes dans le domaine de la violence envers les femmes Renforcer les flux de financement durables qui soutiennent les organismes de lutte contre la violence envers les femmes pour augmenter et stabiliser l’expertise requise (c.-à-d. en fournissant au personnel la formation nécessaire ou en embauchant du personnel possédant les qualifications nécessaires) afin d’offrir des soins de santé mentale spécialisés et tenant compte des traumatismes aux survivantes, comme le préconisaient les précédentes recommandations du PANNote de bas de page 13.
Améliorer les services de soutien structurels pour mettre fin à la violence envers les femmes
F. Augmenter les investissements dans l’ensemble du secteur du logement pour les survivantes à la violence envers les femmes Reposant sur les précédentes recommandations pour le PAN consistant à élargir le continuum de l’habitat disponible dans le contexte de la lutte contre la violence envers les femmesNote de bas de page 9Note de bas de page 13Note de bas de page 50, notre étude souligne le besoin d’augmenter les investissements dans :
  • des refuges pour victimes de violence envers les femmes, en particulier par le renforcement des voies d’aiguillage et par une augmentation du financement et des ressources visant à améliorer la capacité, la dotation et la formation pour collaborer avec d’autres systèmes afin d’assurer la prestation de soins aux victimes de violence envers les femmes;
  • des logements transitoires pour les survivantes à la violence envers les femmes (habituellement pour 1 à 5 ans) afin de fournir des solutions de logement à moyen terme avec des services psychologiques, juridiques, économiques, à l’emploi et au logement;
  • des logements sécuritaires, accessibles et abordables pour les survivantes à la violence envers les femmes, avec des services de soutien généraux, en particulier en tenant compte des besoins en matière de sécurité des survivantes dans le voisinage et à la maison et avec une plus grande collaboration entre le domaine de la violence envers les femmes et les propriétaires privés afin de prévenir la discrimination envers les survivantes à la violence envers les femmes. Même si le budget fédéral de 2022 propose que 25 % du montant de 1,5 milliard de dollars canadiens réservé pour la construction de nouveaux logements abordables au cours des deux prochaines années soient consacrés aux projets axés sur les femmes, il est essentiel que l’admissibilité des fonds intègre les organismes de lutte contre la violence envers les femmes et que les projets ayant des dimensions liées au logement et aux services généraux pour les survivantes à la violence envers les femmes soient financésNote de bas de page 9.
G. Utiliser l’analyse comparative entre les sexes Plus appliquée aux politiques sur le logement, sociales et économiques pour guider la réforme des politiques qui réduisent le cumul des iniquités et les iniquités fondées sur le genreNote de bas de page a Élargissant la portée des précédentes recommandations du PANNote de bas de page 9Note de bas de page 13Note de bas de page 50, notre étude révèle quels domaines sont prioritaires pour la réforme de politiques visant à renforcer les services de soutien structuraux pour les survivantes à la violence envers les femmes :
  • revoir les lois relatives au bail résidentiel afin que les survivantes soient ajoutées au bail et que les partenaires usant de violence soient supprimés du bail;
  • revoir les critères d’admissibilité pour les indemnités de logement afin d’éliminer les exigences relatives à la cohabitation avec un agresseur pendant une période donnée ou, pour les nouveaux arrivants, au parrainage;
  • créer des possibilités de logement indépendant à faible exigence, qui permettent aux femmes manquant de ressources, sans antécédent de crédit ou ne possédant pas d’actifs de louer un logement indépendant;
  • augmenter l’allocation pour besoins de base et pour logement lors de l’offre d’aide sociale;
  • augmenter le financement pour l’aide juridique visant à soutenir les survivantes à la violence envers les femmes;
  • améliorer l’accessibilité et l’abordabilité des options de soins aux enfants;
  • améliorer les occasions d’emploi et d’éducation pour les femmes, en particulier la formation visant une certification professionnelle, l’aide à la rédaction de curriculum vitæ et le mentorat de préparation aux entrevues pour les survivantes à la violence envers les femmes.
Créer des systèmes coordonnés pour renforcer les interventions de lutte contre la violence envers les femmes
H. Renforcer la coordination et la collaboration du système de santé et du système de lutte contre la violence envers les femmes Les précédentes consultations du PAN ont conduit à la formulation de recommandations quant à la formation des fournisseurs de soins de santé en matière de violence envers les femmesNote de bas de page 13Note de bas de page 50. D’après nos conclusions et les données probantes dont on dispose sur l’efficacité des interventionsNote de bas de page 35Note de bas de page 36, c’est une condition nécessaire mais non suffisante. Nous recommandons également le développement et la stabilisation d’un système coordonné d’intervenants auprès des victimes de violence envers les femmes reposant sur le système de santé afin de répondre aux besoins spécifiques des survivantes à la violence envers les femmes se retrouvant dans le système de soins de santé et de renforcer le processus d’identification et de référencement des patientes à risque. Les intervenants auprès des victimes de violence envers les femmes dans l’ensemble des secteurs doivent également être formés et doivent disposer de ressources pour répondre aux situations impliquant à la fois de la violence envers les femmes et d’autres formes de marginalisation (aide sociale aux survivantes sans statut de résidence permanente, services d’interprétation, etc.).
I. Renforcer la coordination et la collaboration du système juridique et du système de lutte contre la violence envers les femmes De manière similaire à l’accent qui a été mis sur la réforme du système judiciaire dans le guide de mise en œuvre du PAN d’Hébergement femmes CanadaNote de bas de page 13 et en nous fondant sur l’analyse actuelle, nous recommandons une formation sur la violence envers les femmes pour l’ensemble du système judiciaire et l’intégration d’intervenants désignés auprès des victimes de violence envers les femmes dans les systèmes de justice familiale et pénale pour :
  • renforcer le processus décisionnel tenant compte des traumatismes et antiraciste (incluant la protection des enfants et le dépôt obligatoire d’accusations) afin qu’il réponde aux besoins complexes des survivantes à la violence envers les femmes (tenant compte de l’ethnicité, de la race, du handicap, du statut socioéconomique, du genre ou de l’identité sexuelle, de l’âge et du lieu de résidence);
  • s’assurer que les mécanismes de référencement appropriés sont mobilisés pour toutes les survivantes à la violence envers les femmes;
  • prévenir le maintien des schémas de maltraitance envers les survivantes au sein du système judiciaire (par les auteurs de violence ou par les professionnels).
De plus, dans le cadre de toutes les interactions avec le système judiciaire (incluant la police), les survivantes qui ne parlent pas anglais devraient pouvoir avoir accès à un service d’interprétation approprié.
Mettre en œuvre et évaluer les stratégies de prévention primaire pour la lutte contre la violence envers les femmes
J. Améliorer les programmes d’éducation dès le jeune âge Pour donner suite aux précédentes consultations sur le PANNote de bas de page 13Note de bas de page 50, nous recommandons l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation d’un programme adapté à l’âge pour les enfants d’âge scolaire afin de prévenir la violence envers les femmes en collaboration avec les systèmes d’éducation provinciaux. Nos travaux soulignent l’importance d’aborder les relations saines et l’expression du genre ainsi que ce qui constitue la violence.
K. Mobiliser les garçons et les hommes dans le cadre des efforts de prévention de la violence envers les femmes Le guide de mise en œuvre du PAN d’Hébergement femmes Canada contient des recommandations exhaustives sur l’orientation des efforts de prévention de la violence envers les femmes destinés aux garçons et aux hommesNote de bas de page 13. Notre analyse souligne l’importance d’augmenter les fonds dédiés à la conception et à la prestation d’interventions éducatives et de soutien destinés aux garçons et aux hommes – peut-être dans certains cas par des organismes de lutte contre la violence envers les femmes et dans d’autres, avec leur collaboration – avec la mise en garde importante de ne pas limiter pour autant le bassin de financement des services de soutien axés sur les femmesNote de bas de page 48.
L. Mettre en œuvre des politiques de redistribution et des politiques transformatrices de genreNote de bas de page b Renforcer les réponses structurelles à la violence envers les femmes (par l’entremise de politiques de redistribution et de politiques transformatrices de genre) aura également des répercussions sur la prévention primaire, grâce à l’amélioration équitable des services de soutien sociaux et économiques disponibles pour les femmes dont les enfants risquent davantage d’être victimes de violence ou d’en être auteurs plus tard dans leur vie. Les points de vue d’une diversité de survivantes à la violence envers les femmes et d’experts doivent être intégrés de façon significative dans l’analyse et la planification des politiques.

Forces et limites

Cette étude offre une occasion exceptionnelle d’élaborer, de classer en ordre de priorité et de nuancer les recommandations pour le PAN à partir de l’analyse rigoureuse de points de vue et d’expériences de survivantes ayant accès à des services de lutte contre la violence envers les femmes et d’employés offrant ces services à Toronto, la ville la plus importante et la plus diversifiée du Canada, pendant la pandémie de COVID-19. Nous nous sommes appuyées sur un partenariat solide avec des intervenants du secteur de la lutte contre la violence envers les femmes et avec des femmes ayant été victimes de violence comme membres de l’équipe de recherche, conseillers et utilisateurs de connaissances. C’est ainsi que notre ensemble de données intègre des employés et des survivantes de divers programmes de lutte contre la violence envers les femmes dans des services résidentiels et non résidentiels et nous avons maintenu activement notre engagement avec nos intervenants de la lutte contre la violence envers les femmes lors de l’analyse et de la diffusion au moyen d’un processus intégré d’échange de connaissances. Notre échantillon a un fort « pouvoir informationnel » en raison de nos questions de recherche, fournissant de précieuses données détaillées sur les expériences des participants qui nous permettent de générer des recommandations nuancées avec des justifications approfondiesNote de bas de page 51.

Nous étions déterminées à offrir les récits d’employés et de survivantes relevant de diverses identités personnelles et sociales et particulièrement celles de personnes victimes de différentes formes de marginalisation. Par exemple, 70 % des survivantes interrogées se sont définies comme des personnes racialisées, contrairement à la seule autre étude, pour l’instant, sur les services de lutte contre la violence envers les femmes au Canada dans le contexte de la pandémie où des survivantes à la violence envers les femmes ont été interrogées, dans laquelle toutes les survivantes à la violence envers les femmes interrogées étaient des participantes d'origine blancheNote de bas de page 10.

En outre, la majeure partie des participantes de notre échantillon se sont identifiées comme femmes cis hétérosexuelles et la plupart des survivantes étaient marginalisées sur le plan économique. Nous avons également observé que les organismes communautaires et le personnel de première ligne racialisé ont eu tendance à faire face à plus d’obstacles dans leur participation à cette étude (par exemple temps dans leur jour de travail), ce qui illustre, du moins en partie, les désavantages structuraux qui touchent de façon disproportionnée ces personnes. À la lumière de ces limites, des expériences et des points de vue nuancés au sein de diverses communautés méritent donc d’être étudiés davantage.

De plus, notre étude fournit un instantané riche des perspectives touchant la région de Toronto. Comme il s’agit de l’agglomération la plus importante et la plus diversifiée du Canada, avec de vastes services de santé et services sociaux, elle offre un contexte essentiel pour guider le PAN, particulièrement en ce qui concerne les recommandations ciblant la collaboration entre systèmes et un soutien d’ensemble aux survivantes qui tienne compte de la complexité des divers facteurs sociaux en jeu. Toutefois, d’autres municipalités et administrations (comme les régions rurales et éloignées bénéficiant de moins de services ou de services plus condensés) auront des besoins spécifiques qui devront être étudiés et abordés dans le PAN. L’un des domaines importants que pourraient aborder d’autres recherches et politique est l’élaboration et la mise en œuvre d’un PAN axé sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, plan qui devra être dirigé par les communautés autochtones elles-mêmes.

Conclusion

Dans la mesure où le gouvernement fédéral s’est engagé à financer un PAN visant à mettre fin à la violence envers les femmes et ait suggéré un cadre de haut niveau, c’est le bon moment pour mettre en œuvre les recommandations tirées de notre étude et des précédents rapports sur le PAN. Il faut inclure l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan clairement défini ainsi qu’un système de surveillance et d’évaluation féministe, intersectionnel et prenant en compte les traumatismes pour maximiser la probabilité d’une prévention durable et efficace.

Remerciements

Nous remercions les Instituts de recherche en santé du Canada (PCS-183421), la Fondation Temerty et l’Université de Toronto pour le financement qu’ils nous ont accordé par l’entremise de la COVID-19 Action Initiative de Toronto, la Faculté de médecine de l’Université de Toronto par l’entremise de l’Equity, Diversity, and Inclusion Fund et la St. Michael’s Hospital Foundation.

Nous sommes très reconnaissants envers les participants de l’étude MARCO-VAW qui ont rendu ce travail possible et le Toronto Region Violence Against Women Coordinating Committee, qui a agi en tant que groupe consultatif pour l’étude MARCO-VAW. Nous remercions le Woman Abuse Council of Toronto pour l’appui offert à nos pairs chercheures. Nous aimerions également reconnaître le soutien offert à l’équipe de l’étude MARCO, en particulier les enquêteurs principaux Ahmed Bayoumi et Michelle Firestone ainsi que les coordonnatrices de la recherche Fiqir Worku et Kimia Khoee.

Conflits d’intérêts

Priya Shastri et Elizabeth Tremblay travaillent pour le Toronto Region Violence Against Women Coordinating Committee (VAWCC). Le VAWCC est financé par le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires de l’Ontario (MSESSC), qui est le bailleur de fonds principal pour plusieurs organismes de lutte contre la violence envers les femmes dans la région du Grand Toronto. Maria Huijbregts travaille pour Family Service Toronto, qui reçoit des fonds du MSESSC.

Contributions des auteures et avis

ARY et PS ont dirigé la conception de l’étude de collaboration avec CM, ET, MA, PO, RM, JDM, MH, LH et AS. ARY, PS, CM, ET et MA ont mené les entrevues de l’étude. ARY et BS se sont chargées de l’analyse des données avec le soutien de CM et de MA. ARY et BS ont dirigé l’interprétation des données en collaboration avec CM, ET, MA, PO, RM, JDM, MH, LH, AS et PS. ARY a rédigé la première ébauche de l’article avec l’appui de BS. ARY, BS, CM, ET, MA, PO, RM, JDM, MH, LH, AS et PS ont révisé l’article et approuvé la version finale pour publication.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteures; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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