Recherche qualitative originale – Perceptions du cannabis chez les adultes de 60 ans et plus au Canada : étude qualitative

Revue PSPMC

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Justine Renard, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Balpreet Panesar, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2; Sima Noorbakhsh, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3; Elle Wadsworth, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 4; Nick Cristiano, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 5; Robert Gabrys, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 6;

https://doi.org/10.24095/hpcdp.45.10.01f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

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Attribution suggérée

Article de recherche par Renard J et al. dans la Revue PSPMC mis à disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0

Rattachement des auteurs
Correspondance

Justine Renard, Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, 75, rue Albert, bureau 500, Ottawa (Ontario)  K1P 5E7; tél. : 613-235-4048; courriel : jrenard@ccsa.ca

Citation proposée

Renard J, Panesar B, Noorbakhsh S, Wadsworth E, Cristiano N, Gabrys R. Perceptions du cannabis chez les adultes de 60 ans et plus au Canada : étude qualitative. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2025;45(10):435-449. https://doi.org/10.24095/hpcdp.45.10.01f

Résumé

Introduction. Depuis la légalisation du cannabis au Canada, la consommation qu’en font les aînés (60 ans et plus) a augmenté plus rapidement que celle des autres groupes d’âge. Il est nécessaire de mieux comprendre les habitudes de consommation du cannabis, ce qui la motive, les modes d’obtention de celui-ci, la perception de ses risques et de ses bienfaits, ainsi que la façon dont la légalisation a modifié les comportements des aînés, en particulier en fonction du genre, ainsi que la fréquence de leur consommation.

Méthodologie. Nous avons organisé 10 groupes de discussion en ligne, auxquels ont participé 72 personnes de 60 ans et plus, réparties selon la fréquence de leur consommation de cannabis. Ces groupes ont eu lieu dans cinq régions du Canada. Les données ont été recueillies grâce à des questions ouvertes puis ont été analysées par thème.

Résultats. Cinq thèmes sont ressortis de l’analyse : les pratiques courantes, les connaissances générales, les perceptions quant aux méfaits, les perceptions quant aux bienfaits et enfin l’évolution en matière de stigmatisation et d’acceptabilité sociale à la suite de la légalisation. Les participants consommaient le cannabis de diverses façons, dont les principales étaient la consommation orale d’aliments au cannabis (jujubes, extraits en capsules ou en gélules et produits de boulangerie) et l’inhalation (cannabis vapoté et cannabis fumé). La légalisation semble avoir réduit la stigmatisation associée à l’usage du cannabis. Les consommateurs fréquents comme les consommateurs occasionnels ont souligné les bienfaits thérapeutiques du cannabis, en particulier en matière de santé mentale et de soulagement de la douleur, mais nombre d’entre eux ont exprimé des préoccupations au sujet des éventuels effets physiques et cognitifs néfastes, des interactions possibles avec les médicaments et du manque de sources d’information fiables et de conseils de la part des fournisseurs de soins.

Conclusion. Notre étude a révélé toute la complexité de la consommation de cannabis chez les aînés, qui se trouvent en présence de défis et de risques spécifiques; elle a aussi révélé qu’il fallait éduquer en profondeur la population et que celle-ci avait besoin de soutien de la part des fournisseurs de soins. La nécessité de recherches ciblées et de politiques répondant aux besoins particuliers de cette population sous-représentée est criante.

Mots-clés : cannabis, aînés, légalisation, santé publique, Canada

Points saillants

  • Nous avons étudié les expériences de consommation de cannabis des adultes de 60 ans et plus au Canada, ainsi que leurs comportements et leurs perceptions en la matière.
  • Les aînés consomment du cannabis pour diverses raisons, en particulier pour la santé physique et mentale et la détente.
  • Il existe des différences entre les genres dans la consommation de cannabis : les femmes préfèrent les aliments au cannabis et le cannabis pour usage topique alors que les hommes préfèrent fumer et vapoter le cannabis.
  • Au cours de notre étude, les consommateurs fréquents comme les consommateurs occasionnels se sont montrés inquiets des méfaits physiques de la consommation de cannabis, en particulier du déclin cognitif potentiel et des effets du cannabis fumé sur les poumons.
  • Malgré la légalisation, les aînés perçoivent toujours la consommation de cannabis comme stigmatisante, bien que cette perception diffère entre les consommateurs fréquents et les consommateurs occasionnels.

Introduction

Les personnes vivant au Canada ont officiellement eu accès au cannabis à des fins médicales en 2001. S’ils y étaient autorisés par un fournisseur de soins, les personnes qui avaient certains problèmes de santé pouvaient dès lors obtenir légalement du cannabis par l’entremise de producteurs autorisés, s’inscrire pour en cultiver elles-mêmes ou désigner une autre personne pour en produire en leur nomNote de bas de page 1. En octobre 2018, le Canada a mis en œuvre la Loi sur le cannabis, qui a légalisé l’usage non médical (ou récréatif) du cannabis à l’échelle nationale pour les adultes de 18 ans et plusNote de bas de page 2. Cela a fait du Canada le deuxième pays au monde, après l’Uruguay, à légaliser l’usage du cannabis à des fins non médicales.

L’acceptation du cannabis a progressivement augmenté au sein de tous les groupes d’âge, selon une tendance amorcée avant la légalisation et reflétant un changement profond dans la façon dont les gens perçoivent le cannabis ainsi que ses risques et ses bienfaitsNote de bas de page 3Note de bas de page 4Note de bas de page 5. Des études ont révélé que la légalisation avait modifié les croyances et les perceptions des aînés à l’égard du cannabis, contribué à sa déstigmatisation, favorisé une attitude plus positive à son égard et accru son acceptationNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8.

Ces changements dans les perceptions et les comportements des aînés se sont également manifestés dans les enquêtes nationales. Par exemple, l’Enquête nationale sur le cannabis de 2019 a révélé que les adultes de 65 ans et plus constituaient la population de consommateurs de cannabis dont la croissance était la plus rapide, celle-ci étant passée de moins de 1 % en 2012 à 6,6 % en 2019, et 27,0 % des répondants avaient d’ailleurs indiqué en avoir consommé pour la première fois au cours des trois derniers moisNote de bas de page 9. L’International Cannabis Policy Study (étude internationale sur la politique relative au cannabis) a donné des résultats similaires : au cours des 12 mois précédant l’enquête, l’usage du cannabis avait considérablement augmenté chez les adultes de 55 à 65 ans, passant de 19,3 % en 2018 à 24,5 % en 2019, soit un an après la légalisation, et il est demeuré stable par la suite (24,3 % en 2020 et 25,6 % en 2021)Note de bas de page 10. De plus, selon cette étude, une grande proportion d’aînés qui consomment du cannabis le font davantage pour leur santé physique ou mentale qu’à des fins récréativesNote de bas de page 10.

Une étude d’opinion publique a révélé que la population canadienne plus âgée percevait l’usage de cannabis comme étant assez banal, et bon nombre de personnes ont déclaré l’utiliser à des fins médicales, en particulier pour la prise en charge de la douleur, du stress et du sommeil, ainsi qu’à des fins récréativesNote de bas de page 11. Au-delà de ces constatations, on en sait peu sur l’usage du cannabis que font les aînés, ce qui met en évidence la nécessité de mener des études ciblées pour comprendre les besoins spécifiques de cette population sous-représentée et y répondre.

L’usage du cannabis peut présenter des risques importants, notamment chez les aînés nouveaux consommateurs. D’abord, il peut y avoir un écart entre leur perception quant à la puissance du cannabis fondée sur leurs expériences antérieures et la puissance réelle des produits actuellement sur le marché. Les produits du cannabis séché offerts au Canada contiennent jusqu’à 30 % de delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), et les extraits chimiquement concentrés (comme l’ambre, la pâte et la cire) contiennent jusqu’à 90 % de THCNote de bas de page 12. Selon une récente revue systématique, l’usage de produits du cannabis très puissants, soit ceux que ses auteurs ont définis comme des concentrés (THC ≥ 60 %), la résine et le haschich (THC d’environ 30 % à 50 %) et les feuilles et fleurs de concentration élevée (THC de 20 % à 30 %), a été généralement associé à une moins bonne santé mentale, à un usage problématique du cannabis et à l’usage de plusieurs substances psychoactives; notons toutefois que la qualité de la plupart des études recensées était faibleNote de bas de page 13.

La consommation de produits de cannabis très puissants peut entraîner une augmentation de la tension artérielle, du rythme cardiaque et de l’anxiété ainsi que des étourdissements et des chutes chez les aînésNote de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17. La variété des méthodes de consommation, qu’il s’agisse de fumer le cannabis, de le vapoter ou de le consommer oralement, pourrait compliquer la gestion du dosage et la compréhension des délais d’apparition des effets, ce qui risque d’entraîner une surconsommation involontaire.

Parmi les autres préoccupations, mentionnons la multimorbidité, les interactions avec les médicaments et l’altération du métabolisme. Les aînés présentent un risque accru de maladies chroniques (en particulier la douleur chronique, l’insomnie, les troubles de l’humeur et les troubles cognitifs)Note de bas de page 8, dont certaines peuvent être exacerbées par l’usage de cannabisNote de bas de page 18Note de bas de page 19. Le cannabis peut également avoir une incidence sur l’efficacité des médicaments, par exemple les anticoagulants, les sédatifs et les antidépresseursNote de bas de page 20. Enfin, les changements liés à l’âge dans les fonctions hépatique et rénaleNote de bas de page 21Note de bas de page 22 peuvent perturber le métabolisme du cannabis et des médicaments, ce qui augmente le risque d’interactions entre produits et d’effets indésirablesNote de bas de page 23. Un récent examen de la portée a révélé que l’usage de cannabis chez les aînés était associé à une plus grande fréquence de problèmes de santé mentale, de consommation problématique de substances psychoactives et de recours intensif aux services de santé, que les méfaits l’emportaient sur les éventuels bienfaits et que le rapport avantages-risques n’était pas clairNote de bas de page 8.

Notre étude porte sur la perception qu’ont de l’usage du cannabis les aînés canadiens et elle décrit les différences entre les consommateurs fréquents et occasionnels, les préférences selon le genre et les préoccupations des consommateurs. Nous avons aussi analysé les méthodes d’usage du cannabis, les raisons et motivations à cet usage, la façon dont les aînés obtiennent leur cannabis, la perception qu’ils ont de ses méfaits et de ses bienfaits et l’incidence de la légalisation sur leurs habitudes et comportements de consommation.

Méthodologie

Approbation du comité d’éthique

L’approbation en matière d’éthique a été obtenue de l’Advarra Institutional Review Board (Pro00064863) (Columbia, MD, États-Unis). Il s’agit d’un organisme à but lucratif présent aux États-Unis et au Canada. Il applique les principes de l’Énoncé de politique des trois Conseils, Éthique de la recherche avec des êtres humains (EPTC 2) en vue de respecter les normes d’éthique les plus élevées.

Chaque participant à l’étude a donné son consentement par écrit au début de chaque séance de groupe de discussion.

Conception de l’étude

Nous avons utilisé une stratégie de recherche phénoménologique qualitative afin d’obtenir des descriptions approfondies de l’usage du cannabis par les aînésNote de bas de page 24. Ce type d’approche est pertinente pour l’exploration de thématiques complexes dans la mesure où elle respecte et met en valeur le vécu des individus. Nous avons suivi les normes en matière de production de rapports en recherche qualitativeNote de bas de page 25.

Participants

Nous avons recruté des personnes de 60 ans et plus résidant au Canada par l’entremise de CRC Recherches, une entreprise canadienne spécialisée dans le recrutement en recherche qualitative. Cette entreprise a effectué le recrutement à partir de sa base de données, de suggestions faites par certains participants et de médias sociaux et elle a contacté des participants potentiels par téléphone. Elle a également publié sur Facebook et Instagram (Meta Platforms, Menlo Park, Californie, États-Unis) des publicités ciblant certains groupes d’âge et certains lieux.

Les participants potentiels ont été contactés par téléphone et ont suivi un processus de sélection afin de vérifier leur adéquation aux critères d’inclusion suivants : avoir 60 ans ou plus, se sentir à l’aise de parler en groupe et avoir accès à une connexion Internet stable et à un appareil adapté. Des renseignements ont également été recueillis sur le lieu de résidence des participants (province ou territoire), leur milieu de vie (rural ou urbain), leur genre (masculin, féminin, non binaire ou autre), leurs habitudes de consommation du cannabis (n’en avoir jamais consommé, en faire un usage occasionnel ou en faire un usage fréquent, et que cet usage soit à des fins médicales ou non médicales).

Le personnel de supervision de CRC Recherches a sélectionné les participants en dressant des listes maîtresses en vue d’atteindre les quotas voulus.

Afin de déterminer les profils d’usage du cannabis, on a demandé aux participants : « Avez-vous déjà consommé du cannabis, que ce soit à des fins médicales ou non médicales? Diriez-vous… oui, une seule fois, oui, plus d’une fois ou non? » On a ensuite demandé aux participants : « Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence avez-vous consommé du cannabis, que ce soit à des fins médicales ou non médicales? Diriez-vous… jamais, une ou deux fois, tous les mois, toutes les semaines, tous les jours ou presque tous les jours? » [traduction] Les participants qui ont déclaré avoir consommé du cannabis toutes les semaines, tous les jours ou presque tous les jours au cours des 12 derniers mois ont été considérés comme « consommateurs fréquents », ceux qui ont déclaré avoir consommé du cannabis tous les mois ou une ou deux fois au cours de l’année ont été considérés comme « consommateurs occasionnels » et ceux qui ont déclaré ne pas avoir consommé de cannabis du tout au cours de l’année ou qui en ont déjà consommé mais n’en consomment plus comme « non-consommateurs ».

Les raisons de la consommation ont été déterminées en fonction des réponses à la question : « Laquelle des réponses suivantes décrit le mieux la principale raison pour laquelle vous consommez du cannabis? Diriez-vous que vous en consommez… à des fins non médicales (usage récréatif), à des fins médicales appuyées par un document médical, à des fins médicales sans document médical, ou à des fins à la fois récréatives et médicales? » [traduction]

Procédure et collecte des données

La collecte des données a eu lieu dans le cadre de 10 discussions de groupe d’une durée de 90 minutes chacune, menées en ligne entre le 22 et le 28 septembre 2022. Les séances ont été animées par Quorus Consulting Group (Ottawa, Ontario) sous la supervision d’un membre de l’équipe de recherche [RG]. Au total, 72 personnes ont participé à l’étude. Chaque personne a reçu une carte-cadeau d’une valeur de 100 $ CA en guise de dédommagement pour le temps et les efforts qu’elle a consacrés à l’étude. (Les caractéristiques détaillées des participants sont disponibles sur demande auprès des auteurs.)

Les discussions de groupe ont eu lieu dans cinq régions : l’ouest du Canada (Colombie-Britannique), le centre et le nord du Canada (Manitoba, Alberta et Territoires du Nord-Ouest), l’Ontario, le Québec et le Canada atlantique (Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador). Deux séances ont été organisées dans chaque région : l’une pour les consommateurs fréquents de cannabis et l’autre pour les consommateurs occasionnels et les non-consommateurs.

Les séances des groupes de discussion menées auprès de résidents du Québec ont eu lieu en français, tandis que celles pour le reste du Canada ont eu lieu en anglais. Chaque groupe de discussion comptait six à huit participants provenant de milieux ruraux et urbains et d’âges et de genres différents. Les séances ont été menées au moyen de Zoom Workplace (Zoom Communications, San Jose, Californie, États-Unis), qui a également servi à l’observation, à l’enregistrement et à la transcription.

La collecte des données repose sur des questions d’entrevue ouvertes inspirées d’un document de modération (disponible sur demande auprès des auteurs).

Analyse des données

Afin d’explorer la perception qu’avaient les participants de la consommation de cannabis, nous avons procédé à une analyse des thèmes par induction et par déduction, selon la méthode proposée par Braun et ClarkeNote de bas de page 26. Les entrevues portaient sur la connaissance des bienfaits et des méfaits de la consommation de cannabis, ainsi que sur les attitudes et les perceptions en la matière. Elles ont été analysées à l’aide de MAXQDA (VERBI GmbH, Berlin, Allemagne).

Trois chercheurs du domaine de la santé [BP, SN, JR] spécialisés dans la consommation de substances psychoactives et les méthodes qualitatives ont effectué l’analyse. L’analyse thématique a consisté à cerner de façon systématique les thèmes qui ressortaient des données narratives. Les chercheurs ont lu toutes les transcriptions, discuté à propos de leurs impressions initiales, extrait des passages pertinents et attribué des codes à ces passages. Ils ont ensuite classé les codes par thème puis ont revu et peaufiné chacun des thèmes afin de bien les distinguer les uns des autres et d’assurer la cohérence générale.

Un rapport final exposant en détail chaque thème a été préparé et un débreffage entre pairs a permis d’en assurer la fiabilité. Deux membres de l’équipe [BP et SN] ont effectué l’analyse initiale et un troisième membre [JR] a validé les conclusions. Les décisions méthodologiques et analytiques ont été enregistrées au moyen d’un document de suivi de vérification, qui comprend des tableaux de données et des représentations visuelles.

Résultats

L’analyse des discussions de groupe a généré 13 sous-thèmes, qui ont été regroupés en cinq thèmes généraux : les pratiques courantes associées à l’usage du cannabis; les connaissances générales sur le cannabis; les perceptions quant aux risques et aux méfaits de l’usage du cannabis; les raisons de la consommation et les perceptions quant à ses bienfaits; la stigmatisation et l’acceptabilité sociale à la suite de la légalisation (tableau 1). Dans cet article, nous présentons chacun de ces thèmes et, afin de les illustrer, nous incluons des citations tirées des transcriptions.

Tableau 1. Thèmes et sous-thèmes issus de l’analyse des séances de discussion
Thème/sous-thème Détails et éléments mentionnés
Pratiques courantes associées à l’usage du cannabis
Méthode de consommation Trois types : consommation orale, par inhalation et topique
Les consommateurs fréquents préfèrent l’inhalation (méthode qui leur est familière, caractère immédiat des effets)
Différences entre les genres : les hommes préfèrent fumer et vapoter le cannabis tandis que les femmes préfèrent les aliments au cannabis et le cannabis pour usage topique.
Obtention du cannabis Les aînés obtiennent les produits du cannabis auprès d’une personne qu’ils connaissent, au moyen d’une autorisation d’utiliser du cannabis thérapeutique, dans des magasins de cannabis légaux dans les réserves des Premières Nations, en ligne ou chez des détaillants.
Les consommateurs fréquents obtiennent les produits du cannabis dans des magasins en ligne ou chez des détaillants; les consommateurs occasionnels obtiennent les produits du cannabis d’une personne qu’ils connaissent.
Incidence de la légalisation sur les modes d’obtention du cannabis : la légalisation semble avoir réduit l’obtention auprès d’amis, et les femmes ont l’impression qu’il est désormais plus facile d’obtenir des aliments au cannabis et du cannabis pour usage topique.
Raisons de la consommation de cannabis et perceptions quant aux bienfaits
Bienfaits physiques Prise en charge de la douleur chronique, de la douleur arthritique, du sommeil ou des symptômes de sevrage; solution considérée « naturelle » ou « moins nocive » que les produits pharmaceutiques
Bienfaits psychologiques Prise en charge de l’anxiété et du stress, aide à la détente et amélioration de la concentration
Usage récréatif Sociabilisation, remède à l’ennui, désir d’être « high » [bien, euphorique]
Différences entre les genres : les hommes sont plus susceptibles de faire état d’un usage récréatif
Perceptions quant aux risques et aux méfaits de l’usage du cannabis
Crainte de méfaits sur la santé physique Crainte d’effets indésirables inconnus, préoccupations quant aux effets du cannabis fumé sur la santé pulmonaire, craintes de problèmes de déclin cognitif et de dépendance
Crainte de sanctions pénales Crainte de sanctions pénales en cas de voyage avec des produits du cannabis
Préoccupations concernant la conduite avec facultés affaiblies, notamment au sujet de la variabilité des réactions individuelles au THC, de la tolérance, de la puissance des produits, de la durée des effets du cannabis et de l’exactitude des méthodes de détection de la conduite avec facultés affaiblies, qui contribuent à des incertitudes relatives aux aspects légaux
Risque associé au fait de consommer le cannabis avec d’autres substances psychoactives, dont des médicaments sur ordonnance Préoccupations au sujet des interactions avec l’alcool et des médicaments, que ces derniers soient sur ordonnance ou en vente libre; expériences personnelles ayant mis en évidence des risques
Connaissances générales sur le cannabis
Source de renseignements sur le cannabis Sources actives : fournisseurs de soins, famille, amis, personnes qui fournissent le cannabis
Sources passives : Internet, télévision, médias sociaux, sources scientifiques, expérience personnelle
Désir d’obtenir des renseignements impartiaux; faible satisfaction à l’égard des renseignements reçus de la part des fournisseurs de soins
Aucune différence entre les genres n’a été observée.
Dosage du cannabis et étiquettes des produits Incertitude quant aux doses efficaces
Apprentissage par essais et erreurs
Compréhension variable des concentrations de CBD et de THC
Insatisfaction à l’égard des étiquettes, besoin d’étiquettes plus claires et plus informatives ainsi que de documents supplémentaires en vue de prendre des décisions éclairées quant à la consommation de cannabis
Aucune différence entre les genres n’a été observée.
Interactions avec les fournisseurs de soins de santé Impression que les fournisseurs de soins manquent de connaissances et de formation
Besoin que les fournisseurs de soins soient mieux informés et offrent davantage de soutien
Méfiance à l’égard des conseils des fournisseurs de soins
Stigmatisation et acceptabilité sociale à la suite de la légalisation
Stigmatisation liée à l’usage du cannabis Stigmatisation persistante malgré la légalisation (consommateurs fréquents)
Aucune différence entre les genres n’a été observée.
Acceptabilité sociale Acceptabilité accrue dans les cercles sociaux, discussions plus ouvertes

Pratiques courantes associées à l’usage du cannabis

Méthodes de consommation

D’après les participants des groupes de discussion, les deux principales façons de consommer le cannabis sont la consommation orale, qui comprend l’ingestion d’aliments au cannabis comme les jujubes, les extraits en capsules ou en gélules et les produits de boulangerie (comme des brownies), et l’inhalation, qui comprend le cannabis vapoté et le cannabis fumé en « blunt » (cigare de cannabis) ou au moyen d’une pipe à eau.

Ceux qui ont dit préférer fumer le cannabis plutôt que de le consommer autrement motivaient bien souvent ce choix par la « familiarité » et l’« habitude ». Le cannabis fumé était plus populaire chez les hommes que chez les femmes. Quelques consommateurs fréquents préféraient le cannabis vapoté en raison de l’immédiateté du « high » (par rapport aux aliments au cannabis), tandis que certains consommateurs occasionnels avaient cessé de vapoter le cannabis en raison de préoccupations quant aux effets nocifs inconnus de cette pratique sur la santé.

Certains consommateurs fréquents ont déclaré être passés, en vieillissant, de l’inhalation à la consommation orale pour éviter les effets négatifs du cannabis fumé et vapoté sur leurs poumons. À l’opposé, certains consommateurs occasionnels ont affirmé qu’ils évitaient les aliments au cannabis en raison de leur puissance, susceptible de causer des « highs » imprévus. Les consommatrices fréquentes privilégiaient quant à elles les aliments au cannabis et le cannabis pour usage topique plutôt que le cannabis fumé, pour éviter le goût et l’odeur du cannabis ainsi que les effets néfastes sur la santé. Dans l’ensemble, les hommes n’avaient pas de produit préféré.

J’ai également cessé de fumer […] J’ai changé la façon dont je consomme le cannabis, et c’est mieux par rapport à mes poumons. [traduction] [consommateur fréquent]

Les consommateurs occasionnels comme les consommateurs fréquents ont aussi mentionné utiliser le cannabis à usage topique afin de soulager des douleurs chroniques ou arthritiques. De nombreux participants ont indiqué que les lotions et les huiles contenant du cannabidiol (CBD) et du THC soulageaient leurs douleurs.

Obtention du cannabis

Les aînés obtenaient leur cannabis de diverses façons, que ce soit auprès d’une personne de leur connaissance ou au moyen d’une autorisation d’utiliser du cannabis thérapeutique, dans une boutique en ligne, dans un magasin légal au sein d’une réserve des Premières Nations ou chez des détaillants officiels. Les consommateurs fréquents obtenaient leur cannabis principalement dans des magasins de cannabis en ligne ou auprès de détaillants, tandis que les consommateurs occasionnels étaient nombreux à obtenir leur cannabis par l’entremise d’une personne qu’ils connaissaient. Les consommateurs occasionnels qui utilisaient de l’huile de cannabis pour soulager leur douleur chronique l’achetaient généralement dans des magasins de cannabis légaux, pour plus de sûreté quant à l’innocuité des produits.

Les consommateurs fréquents ont fait remarquer que la légalisation avait rendu plus difficile l’obtention de cannabis par des sources non légales comme d’amis ou de membres de la famille car elle avait augmenté le contrôle sur le marché et fait augmenter les prix des produits légaux :

Le marché noir tournait à plein régime lorsque le cannabis n’était pas légal, et les prix étaient alors beaucoup plus bas. Encore une fois, dès que le gouvernement touche à quelque chose, il le bousille. [traduction] [consommateur fréquent]

Certaines participantes, la plupart consommatrices fréquentes, étaient d’avis que la légalisation avait facilité l’obtention d’aliments au cannabis et de cannabis pour usage topique. Les hommes consommant fréquemment du cannabis n’ont pas mentionné de changements importants dans la façon dont ils l’obtenaient à la suite de la légalisation.

Raisons de l’usage de cannabis et perceptions quant aux bienfaits de cet usage

Bienfaits physiques de l’usage de cannabis

De nombreux consommateurs fréquents ont évoqué, comme principale raison de consommation de cannabis, le soulagement de la douleur, en particulier de la douleur généralisée chronique ou de la douleur arthritique. Cela a également été la principale raison invoquée par les consommateurs occasionnels, en particulier pour ce qui est de l’usage de CBD sous forme comestible ou topique. De nombreux consommateurs fréquents considéraient aussi que le cannabis les aidait à dormir. D’autres participants ont mentionné que le cannabis les aidait à gérer leurs symptômes de sevrage des opioïdes ou de l’alcool. Certains consommateurs occasionnels et consommateurs fréquents considéraient que le cannabis était préférable aux médicaments, en raison des propriétés naturelles qu’ils lui attribuaient. Plus précisément, ils l’ont décrit comme une « solution de rechange naturelle » et comme un « moindre mal » par rapport aux médicaments contenant des « produits chimiques ».

Bienfaits de l’usage de cannabis sur la santé mentale

De nombreux consommateurs fréquents de cannabis ont déclaré en faire usage pour atténuer un malaise psychique, plus précisément des symptômes d’anxiété et le stress. Un consommateur fréquent a déclaré : « J’ai une tendance à l’anxiété, et j’arrive à me calmer avec une minuscule quantité d’aliments au cannabis. » [traduction]

Le cannabis a aidé certains participants à gérer des dépendances à d’autres substances psychoactives. Par exemple, un consommateur fréquent a déclaré : « J’ai une dépendance à l’alcool, et le cannabis m’aide à m’en tenir loin. » [traduction]

Certains consommateurs fréquents ont décrit des bienfaits cognitifs, tels qu’une plus grande capacité à se détendre et une meilleure concentration. Les consommateurs occasionnels n’ont pas évoqué l’effet du cannabis sur les symptômes d’anxiété, bien que certains aient fait état de ses bienfaits sur le plan de la relaxation et du sommeil.

Usage récréatif du cannabis

Certains consommateurs fréquents, principalement des hommes, ont déclaré faire usage du cannabis à des fins récréatives, notamment pour mieux sociabiliser avec d’autres consommateurs de cannabis. Ils ont également mentionné que le cannabis les aidait à chasser l’ennui et à « passer le temps ». D’autres en faisaient usage pour le plaisir ou parce qu’ils « voulaient un high ».

Perceptions quant aux risques et aux méfaits de l’usage du cannabis

Crainte de méfaits sur la santé

De nombreux consommateurs fréquents et de consommateurs occasionnels ont mentionné qu’une raison importante d’éviter l’usage du cannabis était leur inquiétude à l’égard de ses effets sur leur santé physique. Cette crainte était plus prononcée chez les consommateurs occasionnels : les effets indésirables inconnus des produits du cannabis, en particulier, les dissuadaient. De nombreux consommateurs fréquents étaient également préoccupés par les effets du cannabis fumé sur leurs poumons : certains ont mentionné qu’ils étaient passés du cannabis fumé au cannabis vapoté ou consommé oralement pour atténuer ces risques.

Les participants des deux groupes (consommateurs fréquents et consommateurs occasionnels) ont également exprimé des inquiétudes au sujet du déclin cognitif que pourrait causer la consommation de cannabis. Ils associaient souvent cette peur au fait qu’ils prenaient de l’âge. Un consommateur occasionnel a expliqué :

Il y a des années, j’ai constaté que si je fumais puis me rendais au travail le lendemain, j’avais de la difficulté à me concentrer sur les problèmes complexes. Je limitais donc habituellement [ma consommation] aux fins de semaine. Maintenant, je ne sais pas si c’est parce que je vieillis […], mais il m’arrive de perdre mes mots, de me tromper dans les noms des gens, et ainsi de suite. [traduction] [consommateur occasionnel]

Le risque perçu de développer une dépendance au cannabis était une autre inquiétude commune aux participants des deux groupes. Par exemple, de nombreux consommateurs fréquents ont mentionné qu’ils ne ressentaient plus de « buzz » en raison de leur tolérance accrue, ce qui les a dissuadés de continuer à consommer.

De nombreux consommateurs occasionnels ont décrit des expériences où le cannabis avait eu des effets nocifs ou avait été inefficace :

Je ne peux pas fumer […] Quand j’étais jeune et que je fumais de la marijuana, ça me rendait paranoïaque. Ça n’a eu que des effets négatifs sur moi. Les jeunes autour de moi, ça ne leur a occasionné que des problèmes. Impossible de conduire, [problèmes de] santé mentale. Pour ma part, j’ai un avis assez négatif à ce sujet. [traduction] [consommateur occasionnel]

Crainte de sanctions pénales

Les participants des deux groupes étaient très inquiets à propos de la conduite avec facultés affaiblies. La plupart étaient d’avis que l’affaiblissement des facultés était dangereux et susceptible d’entraîner de graves conséquences judiciaires :

La conduite d’un véhicule à moteur avec facultés affaiblies me terrifie. Quelle que soit la source de l’affaiblissement des facultés, que vous inhaliez de la colle, buviez de l’alcool, fumiez de la marijuana ou mangiez des aliments au cannabis, la conduite avec facultés affaiblies est un non catégorique. [traduction] [consommateur occasionnel]

De nombreux participants demeuraient indécis au sujet des directives concernant la consommation de cannabis et la prudence au volant. Ils trouvaient difficile de déterminer la période d’attente adéquate avant de prendre le volant en raison des différentes méthodes de consommation et du métabolisme propre à chaque personne :

[…] Il est difficile de savoir si une personne est « high ». Si quelqu’un boit et titube, on comprend tout de suite. Certaines personnes fument en cachette, et quand on fume, on a les facultés affaiblies et on ne devrait pas conduire, mais les gens ont du mal à se contrôler eux-mêmes. Pour moi, c’est l’un des seuls aspects négatifs de la légalisation du cannabis : je m’inquiète des effets sur les gens qui conduisent. [traduction] [consommateur fréquent]

De nombreux participants des deux groupes ont tenté d’expliquer les effets du cannabis sur la conduite en le comparant à l’alcool : dans bien des cas, ils faisaient référence aux limites de la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool pour formuler leur compréhension de la consommation acceptable de cannabis avant de prendre le volant. La tolérance individuelle était abordée dans bien des cas :

Cela dépend de la personne et de la puissance du joint. Quelqu’un a mentionné à quel point le cannabis est fort désormais […] Certaines personnes sont ivres dès qu’elles boivent un verre de vin, alors que d’autres semblent peu affectées par quatre ou cinq verres. [traduction] [consommateur fréquent]

Les consommateurs occasionnels comme les consommateurs fréquents ont exprimé des inquiétudes en matière de risque de sanctions pénales, en particulier en cas de voyage avec des produits contenant du CBD ou du THC. Cette crainte était due au caractère récent de la légalisation et à leurs incertitudes quant à ce qui était légalement permis. Certaines consommatrices fréquentes ont déclaré avoir arrêté de consommer du cannabis lorsqu’elles ont eu des enfants, en raison de leurs responsabilités maternelles et du potentiel de sanctions pénales. Comme l’a expliqué une participante :

J’en ai consommé un peu dans ma jeunesse, j’étais assez hippie, mais quand j’ai eu mes enfants, il fallait que je prenne mes responsabilités. J’ai donc arrêté. Pas vraiment parce que je croyais que ça nuirait à mes fonctions maternelles, mais parce qu’à l’époque, c’était risqué lorsqu’on avait des enfants : on pouvait perdre ses enfants si on était pris avec du « pot ». [traduction] [consommatrice fréquente]

Mélange de cannabis et d’autres substances

Les consommateurs occasionnels comme les consommateurs fréquents ont exprimé des préoccupations quant au fait de mélanger le cannabis et d’autres substances psychoactives, telles que l’alcool, et ils ont indiqué qu’ils n’en savaient pas assez sur les interactions potentielles ou ne les comprenaient pas bien :

Je suis inquiet des effets de l’alcool et du cannabis sur l’état mental ou les facultés, étant donné que les effets du cannabis et de l’alcool s’additionnent. [traduction] [consommateur occasionnel]

De nombreux consommateurs fréquents ont fait remarquer que le choix de mélanger cannabis et alcool était personnel et que la tolérance individuelle variait :

Je pense qu’il s’agit vraiment d’un choix personnel, le fait de mélanger ou de ne pas mélanger les substances […] Certaines personnes ne devraient pas le faire, un point c’est tout. Mais certaines personnes peuvent le faire sans aucun problème. [traduction] [consommateur fréquent]

Certains consommateurs fréquents ont également déclaré être passés de la consommation d’alcool au cannabis avec l’âge :

Je ne bois plus du tout maintenant […] Je ne prends même pas un verre de vin. Je prends plutôt un peu de jujubes au cannabis ou quelque chose du genre. [traduction] [consommateur fréquent]

Les participants des deux groupes ont également noté les méfaits potentiels associés au fait de mélanger des médicaments d’ordonnance ou en vente libre et le cannabis :

Je pense que le fait de mélanger des médicaments ou drogues, qu’il s’agisse de cannabis et d’autres médicaments ou drogues ou simplement de plusieurs médicaments, peut être dangereux si on ne sait pas ce qu’on fait. [traduction] [consommateur occasionnel]

Des consommateurs occasionnels ont indiqué qu’ils craignaient que le cannabis ne devienne une « drogue tremplin » (vers d’autres drogues).

Connaissances générales sur le cannabis

Source de renseignements sur le cannabis

Les participants avaient obtenu des renseignements sur le cannabis de sources actives et passives. Mentionnons, parmi les sources actives, les fournisseurs de soins, les membres de la famille et les amis ainsi que les détaillants de cannabis et, parmi les sources passives, divers médias (Internet, la télévision, les médias sociaux), des articles scientifiques et l’expérience personnelle de l’usage du cannabis. Les consommateurs fréquents comme les consommateurs occasionnels apprenaient le plus souvent des choses sur le cannabis à l’occasion de conversations informelles avec leur famille et leurs amis ou à la télévision et dans les médias sociaux. Les consommateurs fréquents ont également mentionné qu’ils apprenaient des choses sur le cannabis auprès des détaillants de cannabis et par expérience. Très peu de participants, quelle que soit la fréquence de leur consommation de cannabis, ont mentionné avoir appris des choses à ce sujet par la lecture d’articles scientifiques. Cependant, certains consommateurs fréquents ont exprimé le désir d’obtenir des renseignements crédibles et impartiaux et ont indiqué avoir de la difficulté à en trouver :

Je trouve qu’il est difficile de trouver des renseignements impartiaux. Soit on essaie de vous inciter à consommer, soit on essaie de vous en empêcher. Aucune source n’offre de point de vue équilibré. [traduction] [consommateur fréquent]

Les consommateurs occasionnels n’ont pas évoqué de préoccupations en ce qui concerne l’obtention de renseignements impartiaux.

Dosage du cannabis et étiquettes des produits

Les consommateurs fréquents, en particulier, ont mentionné leurs doutes quant aux doses de cannabis nécessaires pour obtenir les effets souhaités. Ils ont dans bien des cas dû procéder par essais et erreurs pour trouver les doses leur permettant de soulager efficacement leur douleur. Seuls quelques participants avaient confiance en leur compréhension des doses et des effets précis des différentes quantités de cannabis.

Les consommateurs fréquents utilisaient des teneurs en CBD ou en THC différentes en fonction de leur méthode de consommation. En général, les personnes qui utilisaient des produits topiques, comme des crèmes ou des huiles, ont indiqué bien comprendre les concentrations de CBD que contenaient leurs produits et les personnes qui utilisaient la méthode soit orale, soit par inhalation ont quant à elles indiqué être à l’aise avec les concentrations de CBD et de THC. Néanmoins, de nombreux consommateurs fréquents n’étaient pas vraiment au courant de la teneur exacte en THC de leurs produits et utilisaient des descripteurs vagues comme « faible », « moyenne » ou « élevée ». Les nombres de milligrammes et les pourcentages précis qui ont été mentionnés variaient considérablement, reflétant probablement des différences dans les types de produits, des biais de mémoire et une part d’interprétation individuelle. Par ailleurs, les consommateurs fréquents étaient insatisfaits des étiquettes apposées sur les produits du cannabis et les ont décrites comme peu informatives et difficiles à comprendre. Certains ont mentionné que des documents supplémentaires, comme des brochures d’information, pourraient aider à clarifier les étiquettes et les doses. Ils ont également mentionné la nécessité d’utiliser des polices plus grandes et de fournir des renseignements plus détaillés sur le dosage, en particulier en ce qui a trait aux produits comestibles :

Je ne comprends pas les étiquettes […] Tout ce que je sais, c’est que c’est moitié CBD, moitié THC, et c’est tout […] [S’il est] question de 1 000 milligrammes […], qu’est-ce que cela signifie? Il devrait peut-être y avoir par exemple des dépliants qui expliquent ce que signifient les étiquettes, plutôt que de l’information indiquant uniquement le produit qui se trouve dans l’emballage et sa puissance. [traduction] [consommateur fréquent]

Le calcul de la dose. Par quoi commencer? Prenons l’exemple des jujubes, que nous avons évoqués plus tôt. En prend-on deux? Est-ce en fonction du poids? En fonction de quoi? [traduction] [consommateur fréquent]

Les consommateurs occasionnels, de leur côté, ont été peu loquaces au sujet des étiquettes et des doses des produits du cannabis. Ils ont dit que lorsqu’ils étudiaient les étiquettes, c’était principalement pour vérifier les constituants présents (THC, CBD ou les deux). Souvent, ils cherchaient des produits qui ne contenaient que du CBD et n’avaient pas beaucoup d’intérêt pour l’information sur le dosage figurant sur les étiquettes.

Interactions avec les fournisseurs de soins de santé

Les participants satisfaits des renseignements qu’ils avaient reçus des fournisseurs de soins (pour la plupart des consommateurs fréquents) étaient peu nombreux. Dans l’ensemble, les participants ont dit qu’ils auraient souhaité que les fournisseurs de soins en sachent plus sur le cannabis, ses effets sur la santé et les dosages appropriés. Le consensus au sein des deux groupes était que les fournisseurs de soins de santé n’étaient pas adéquatement formés en matière de consommation de cannabis, ce qui fait que les participants hésitaient à les consulter à ce propos :

Je pourrais en parler au médecin, mais tout ce qu’il va me dire, c’est : « J’ai fait cette étude, j’ai lu cette recherche, je crois ceci et nous avons des cas bien documentés. » Ce ne sera toujours que du ouï-dire. Donc, à moins de s’adresser à quelqu’un qui a ces connaissances-là [et] qui a des patients qui vivent cette réalité chaque jour, la réponse que l’on obtient manque de sincérité ou d’exactitude. [traduction] [consommateur occasionnel]

De nombreux participants étaient d’avis que les fournisseurs de soins devraient être mieux informés sur le cannabis. Les participants des deux groupes étaient d’avis qu’ils en savaient plus que leurs fournisseurs de soins :

Mes médecins ont à peu près mon âge, ou tout au plus 10 ans de moins que moi, et ils ont grandi […] lorsque c’était illégal. Donc, mes connaissances sont probablement meilleures que les leurs. [traduction] [consommateur occasionnel]

Des participants des deux groupes ont mentionné que les fournisseurs de soins étaient curieux de leur consommation de cannabis, mais ne disposaient pas des connaissances nécessaires pour leur offrir des conseils pertinents :

Nous n’avons pas discuté de ses connaissances [… Il] était tout simplement plus ou moins curieux de connaître mon expérience, alors je dirais que oui, ils pourraient probablement recevoir un peu d’éducation à ce sujet. [traduction] [consommateur fréquent]

Certains consommateurs fréquents ont indiqué qu’ils avaient eu des difficultés financières et auraient voulu obtenir une « ordonnance »Note de bas de page * de cannabis thérapeutique, mais avaient dû se tourner vers des sources en ligne ou des magasins se trouvant dans les réserves des Premières Nations, où la pureté du produit n’est pas fiable. Dans bien des cas, ils avaient envisagé de se rendre à une clinique sans rendez-vous ou de prendre un rendez-vous avec un médecin, mais la réticence des fournisseurs de soins à « prescrire » du cannabis à des fins médicales avait amené nombre d’entre eux à se tourner vers d’autres sources.

D’autres participants, dans les deux groupes, ont souligné l’importance pour les fournisseurs de soins d’être ouverts d’esprit et disposés à autoriser le cannabis, car cela rendrait les consommateurs moins hésitants à discuter de leur consommation de cannabis avec eux :

Je vois le cannabis un peu comme un supplément alimentaire ou du Tylenol […] Est-ce que je dirais à ma médecin que je prends du Tylenol? À moins qu’elle ne me le demande, il ne me viendrait probablement pas à l’idée d’en parler. [traduction] [consommateur fréquent]

Stigmatisation et acceptabilité sociale à la suite de la légalisation

Stigmatisation liée à l’usage du cannabis

Les consommateurs fréquents ont indiqué que même si la légalisation avait sans doute réduit la stigmatisation liée au cannabis chez les plus jeunes, cette stigmatisation persistait chez les aînés, qui ont toujours l’impression de faire quelque chose d’illégal. Un consommateur fréquent a insisté sur la nécessité d’éduquer les aînés, afin de réduire la stigmatisation :

Lorsque j’étais au centre pour aînés, beaucoup [de gens là-bas] étaient contre, parce que nous avons grandi avec cette vision, n’est-ce pas? On nous a appris que fumer de l’herbe n’est pas bien […] Peut-être faudrait-il enseigner aux aînés que c’est comme un médicament, que c’est médicinal, que c’est utile […] pour que ce ne soit plus tabou. [traduction] [consommateur fréquent]

C’est légal aujourd’hui, [mais] ça me semble toujours bizarre […] Ça me rend mal à l’aise [… pour moi, c’est] coulé dans le béton que c’est illégal. [traduction] [consommateur fréquent]

Malgré la stigmatisation persistante rencontrée, certains consommateurs fréquents étaient d’avis qu’il y avait eu un léger changement dans les attitudes à l’égard de la consommation de cannabis. Ils ont affirmé espérer que le point de vue de la société continuerait à évoluer favorablement. À l’inverse, la plupart des consommateurs occasionnels estimaient quant à eux que la stigmatisation avait considérablement diminué à la suite de la légalisation.

Acceptabilité sociale

Les consommateurs fréquents comme les consommateurs occasionnels ont observé une augmentation de l’acceptabilité de l’usage du cannabis, car les discussions à ce sujet sont devenues plus courantes dans leurs cercles sociaux, en particulier avec leurs amis et leur famille. Certains consommateurs occasionnels ont comparé leur expérience passée et l’ouverture actuelle à discuter de l’usage du cannabis :

De plus en plus de gens en parlent et suggèrent à leurs amis de l’essayer. Lorsque je discute avec des gens de mon âge, ils me disent : « Eh bien, j’ai essayé ça. » [traduction] [consommateur occasionnel]

Analyse

Selon nos constatations, les perceptions, les connaissances et les pratiques des aînés en ce qui concerne l’usage du cannabis varient en fonction du genre, du vécu et de la fréquence de consommation.

Les personnes qui consomment fréquemment du cannabis, c’est-à-dire au moins une fois par semaine, le font dans la plupart des cas pour soulager des problèmes de santé chroniques comme l’arthrite, la douleur chronique et l’insomnie. Ils consomment également du cannabis pour des problèmes de santé mentale comme le stress et l’anxiété, ainsi que pour améliorer leur concentration et mieux se détendre. Ces résultats concordent avec les recherches antérieures selon lesquelles les aînés avaient essentiellement des usages médicaux et une consommation axée sur la santéNote de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 27. Un sous-ensemble de consommateurs fréquents ayant participé à notre étude consommaient aussi du cannabis à des fins sociales et récréatives, par exemple pour chasser l’ennui et améliorer leurs interactions avec les autres. Cet usage à « objectif double », qui illustre les différents moteurs de consommation de cannabis, a déjà été observéNote de bas de page 11Note de bas de page 28. La situation devient préoccupante lorsque des personnes dont la consommation doit s’accompagner d’aide médicale ou de supervision de soins consomment du cannabis à des fins récréatives, car cela n’est pas adapté à leurs besoins médicaux. Cela met en évidence les situations complexes auxquelles sont confrontés les fournisseurs de soins de santé lorsqu'ils fournissent des conseils médicaux aux personnes qui consomment du cannabis à des fins médicales et non médicales.

Les données de l’Enquête canadienne sur le cannabis de 2024 révèlent que la consommation de cannabis séché par la population canadienne de 16 ans et plus diminue de manière constante depuis la légalisation, tandis que la consommation d’aliments au cannabis (boissons comprises) est plutôt en augmentationNote de bas de page 29. Entre 2018 et 2024, la perception selon laquelle le cannabis fumé ou vapoté comporte des risques a augmenté, tandis que la perception selon laquelle les aliments au cannabis (boissons comprises) comportent des risques est demeurée inchangéeNote de bas de page 29. Malgré cette tendance défavorable au cannabis fumé et vapoté et favorable aux aliments au cannabis, nombre de personnes qui participaient à notre étude ont indiqué qu’elles préféraient toujours inhaler le cannabis, parce que cela leur était plus familier et que les effets étaient immédiats. D’autres, cependant, avaient changé leurs habitudes afin de réduire les risques pour leur santé pulmonaire.

Dans bien des cas, les consommateurs fréquents ont découvert les doses optimales de cannabis par essais et erreurs, compte tenu de l’absence d’instructions claires, ce qui a entraîné des expériences variables et des risques potentiels pour leur santé. Ils se sont fermement exprimés en faveur de davantage d’information reposant sur des données probantes au sujet des doses et des effets. Cela met en évidence la nécessité d’offrir aux aînés étant des consommateurs fréquents des renseignements approfondis adaptés à leurs besoins spécifiques, pour leur permettre de prendre des décisions éclairées. Il convient de souligner que les consommateurs fréquents inclus dans notre étude ont dans bien des cas indiqué que, malgré la diminution de l’impression de stigmatisation ayant fait suite à la légalisation, en particulier chez les jeunes, cette impression persistait chez les aînés, ce qui va dans le sens de recherches antérieuresNote de bas de page 11. Il se pourrait que la persistance de cette impression de stigmatisation soit le résultat d’une intériorisation de la façon dont la consommation de cannabis, alors illégale, était dépeinte par le passé. Elle pourrait également refléter un fossé générationnel en ce qui concerne la normalisation du cannabis, puisque les jeunes considèrent l’usage récréatif du cannabis comme une composante normale de leur cheminement (utilisation expérimentale), tandis que les adultes attendent autre chose de la vie et ont des rôles différentsNote de bas de page 30. Néanmoins, les consommateurs fréquents qui ont participé à notre étude étaient optimistes quant au fait que les attitudes sociétales continueraient à évoluer favorablement.

Des différences entre les genres sont ressorties chez les consommateurs fréquents de cannabis. Comme dans certaines enquêtes nationales et d’autres études ayant souligné des différences entre les genresNote de bas de page 10Note de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34, les hommes se sont révélés plus susceptibles de favoriser le cannabis fumé et vapoté, tandis que les femmes préféraient généralement les aliments au cannabis et le cannabis pour usage topique et ont indiqué qu’elles souhaitaient éviter le goût et l’odeur de la fumée de cannabis et les risques pour la santé associés au fait de fumer. Selon l’Enquête nationale sur le cannabis de 2023, les hommes de 25 ans et plus étaient davantage susceptibles de consommer du cannabis séché que les femmes (70,2 % contre 48,4 %), ces dernières consommant plus fréquemment qu’eux des aliments au cannabis (62,7 % contre 51,9 %)Note de bas de page 31. De la même façon, même si les données de l’International Cannabis Policy Study indiquent que les fleurs de cannabis séchées constituent le produit le plus couramment consommé par les hommes et par les femmes de 55 à 65 ans, les femmes ont fait état d’une consommation supérieure d’aliments au cannabis, d’huiles de cannabis à ingérer et de cannabis pour usage topique, tandis que les hommes consommaient davantage des fleurs séchées, du haschich et des concentrés solidesNote de bas de page 10. Selon diverses études, les femmes sont également généralement plus prudentes que les hommes quant aux risques pour la santé associés au fait de fumer le cannabis et optent pour d’autres méthodes de consommationNote de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34.

Nous avons pour notre part constaté que les consommateurs occasionnels abordaient généralement l’usage du cannabis avec plus de prudence que les consommateurs fréquents. Le manque d’information sur les effets néfastes potentiels et la crainte de dépendance à une drogue possiblement « tremplin » avaient tendance à les décourager d’en consommer. De nombreux consommateurs occasionnels avaient trouvé le cannabis soit nuisible, soit inapte à soulager leurs problèmes physiques. Leur principale raison d’essayer le cannabis était le soulagement de la douleur, et les personnes qui consommaient dans ce but achetaient généralement leur huile dans un magasin de détail pour plus de sûreté quant à son innocuité. Les consommateurs occasionnels ont moins insisté sur les bienfaits du cannabis pour la santé mentale que les consommateurs fréquents, quoique certains aient mentionné que le cannabis les aidait à se détendre et à dormir.

Contrairement aux consommateurs fréquents, les consommateurs occasionnels avaient généralement l’impression que la stigmatisation associée à l’usage du cannabis avait diminué à la suite de la légalisation. Il se pourrait que les membres de ce groupe aient trouvé les changements législatifs « libérateurs », puisqu’ils leur ont permis d’explorer la consommation de cannabis sans la peur des conséquences morales et judiciaires qui, peut-être, les freinait antérieurement. Cette différence de perception pourrait être attribuable à la différence d’exposition entre les deux groupes. Il se pourrait que les consommateurs fréquents, qui ont une plus longue histoire de consommation de cannabis et peut-être une meilleure compréhension de ses conséquences, aient encore à affronter des réserves personnelles et des stéréotypes profondément enracinés. Il se pourrait aussi que les consommateurs occasionnels, dont l’expérience du cannabis est potentiellement plus récente et qui sont, par conséquent, moins troublés par les interdictions passées, voient uniquement des bienfaits aux changements législatifs.

Malgré des différences dans le rythme de consommation et les motivations, les consommateurs fréquents et les consommateurs occasionnels partageaient certaines perceptions. Plusieurs considéraient le cannabis comme une solution de rechange naturelle aux produits pharmaceutiques et, par conséquent, comme un « moindre mal » par rapport aux médicaments classiques, un point de vue également observé dans d’autres étudesNote de bas de page 27Note de bas de page 28.

Toutefois, en ce qui concerne la plupart des problèmes de santé, il n’y a pas suffisamment de données cliniques de grande qualité démontrerant l’efficacité du cannabis, en particulier comme traitement de première intentionNote de bas de page 35.

Selon les conclusions d’une revue systématique d’essais cliniques randomisés doublée d’une méta-analyse, les bienfaits que procurent le cannabis thérapeutique et les cannabinoïdes – qu’il s’agisse de cannabinoïdes d’ordonnance ou de préparations issues de la plante – sont limités en ce qui concerne le soulagement de la douleur chronique, que celle-ci soit d’origine cancéreuse ou non, mais la qualité des données probantes s’est révélée toutefois faibleNote de bas de page 36.

Selon d’autres travaux de recherche, l’efficacité des cannabinoïdes, tels que le THC et le CBD, et des formulations pharmaceutiques dont le rapport THC/CBD est standard (nabiximols, dronabinol, nabilone) est limitée et irrégulière pour ce qui est du traitement des troubles de santé mentale comme la dépression et l’anxiétéNote de bas de page 37Note de bas de page 38Note de bas de page 39. Par conséquent, le Collège des médecins de famille du Canada recommande de limiter la consommation générale de cannabinoïdes médicaux et de réduire leur emploi aux soins palliatifs, au soulagement de la douleur neuropathique, aux nausées induites par la chimiothérapie et aux spasmes causés par la sclérose en plaques ou à des lésions de la moelle épinièreNote de bas de page 40. Par exemple, le nabilone (Cesamet)Note de bas de page 41 est autorisé pour le traitement des nausées et des vomissements graves découlant d’une thérapie anticancéreuse, le nabiximols (Sativex)Note de bas de page 42, pour le soulagement des symptômes de spasticité chez les patients atteints de sclérose en plaques et le CBD (Epidiolex)Note de bas de page 43, pour certains troubles épileptiques infantiles résistants aux traitements. La recherche sur l’efficacité des cannabinoïdes dans le traitement d’affections telles que la douleur, l’anxiété, les troubles de l’humeur, la psychose, les troubles neurodégénératifs et les troubles de l’usage des substances psychoactives se poursuitNote de bas de page 44.

Chez les aînés, on continue de s’inquiéter des risques associés à un dosage inadéquat du cannabis, à ses effets indésirables et à ses interactions avec des médicaments. En effet, les consommateurs fréquents comme les consommateurs occasionnels ont déclaré que, puisqu’ils n’étaient généralement pas au courant des interactions potentielles, ils abordaient avec inquiétude le fait de mélanger le cannabis avec des médicaments, qu’ils soient d’ordonnance ou en vente libre. Étant donné que, dans certains cas, les aînés soignent diverses affections comorbides au moyen de différents médicaments, une sensibilisation accrue aux interactions possibles est nécessaireNote de bas de page 45. En outre, il se pourrait que de nombreux aînés attribuent aux produits du cannabis la même puissance que celle du cannabis qu’ils consommaient il y a des décennies. Or les concentrations de THC élevées dans les produits actuellement sur le marché présentent certains risques, en particulier pour les personnes qui ont des problèmes de santé ou qui prennent de nombreux médicaments, car des complications telles qu’une augmentation du rythme cardiaque, une hypertension, de l’anxiété et une désorientation peuvent survenirNote de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17. Autre élément préoccupant, souvent négligé : de nombreux produits à base de CBD contiennent des quantités infimes de THC, ce qui fait que la consommation de fortes doses de CBD peut entraîner une exposition au THC suffisante pour conduire à une intoxication ou à des troubles.

Les consommateurs fréquents comme les consommateurs occasionnels ont mentionné avoir des craintes sur le plan sociétal, comme la crainte de sanctions pénales, en particulier pour ce qui est de voyager avec des produits du cannabis et en matière de législation sur la conduite avec facultés affaiblies. Les consommateurs des deux groupes étaient perplexes quant à la façon dont l’affaiblissement des facultés était évalué. Bien qu’il y ait, au Canada, une limite quant à la concentration de THC permise dans le sang au-delà de laquelle la conduite est interdite en raison de l’affaiblissement des facultés, les participants étaient d’avis que ces limites ne tiennent pas compte de la puissance du produit consommé, de la méthode de consommation, de la durée des effets et des particularités individuelles en matière de tolérance. Ces inquiétudes montrent bien qu’il est nécessaire d’améliorer les outils, afin de mieux évaluer l’état des facultés, et de mener des campagnes ciblées, afin de mieux sensibiliser la population à l’affaiblissement des facultés causé par l’usage du cannabis en conduisant.

Les participants ont dit vivre de la confusion en lien avec les étiquettes des produits du cannabis, plusieurs les ayant qualifiées de difficiles à comprendre. Cette constatation concorde avec les données de l’International Cannabis Policy StudyNote de bas de page 10, selon laquelle le degré de compréhension de la plupart des consommateurs en matière de concentrations de THC des produits du cannabis est faible. Ce manque de compréhension met en évidence la nécessité d’un étiquetage plus clair et plus informatifNote de bas de page 46Note de bas de page 47Note de bas de page 48, ce qui semble particulièrement important compte tenu du contexte juridique et de la variété des nouveaux produits offerts sur le marché. Le groupe d’experts chargé de l’examen législatif de la Loi sur le cannabis a récemment recommandé des améliorations telles que la simplification des données sur le THC et le CBD figurant sur les étiquettes, l’autorisation d’un emballage transparent pour les fleurs de cannabis séchées et l’utilisation de codes QR afin de fournir l’information détaillée sur les produitsNote de bas de page 49. On a aussi suggéré la mise en œuvre d’une unité de THC standard à employer sur l’étiquette et l’emballage des produits ainsi que dans les campagnes de sensibilisation auprès des consommateursNote de bas de page 50. L’exactitude de l’information sur les étiquettes est en effet essentielle à une consommation éclairée et sans risque. Les incohérences dans l’étiquetage des produits légaux à base d’huile de cannabis vendus en Ontario mettent en évidence la nécessité d’un meilleur contrôle de la qualité, car les variations peuvent avoir une incidence sur la capacité des consommateurs à faire des choix éclairésNote de bas de page 51.

Comme dans d’autres recherchesNote de bas de page 11Note de bas de page 52Note de bas de page 53Note de bas de page 54Note de bas de page 55, les aînés inclus dans notre étude ont été nombreux à relever des lacunes dans les connaissances des fournisseurs de soins au sujet du cannabis. Certains participants avaient le sentiment d’en savoir plus sur le cannabis que leurs fournisseurs de soins, ce qui a eu une incidence sur leur confiance dans les conseils reçus. Les participants ont souligné l’importance, pour un usage du cannabis exempt de risques, d’avoir des fournisseurs de soins bien informés et aptes à les soutenir. Les participants ont indiqué juger importante l’amélioration de l’éducation et de la formation des fournisseurs de soins, infirmières praticiennes comprises, au sujet des bienfaits thérapeutiques du cannabis, de son dosage approprié, de ses interactions potentielles avec d’autres médicaments et de ses effets indésirables.

Un nombre significatif d’aînés consomment du cannabis à des fins médicales ou souhaiteraient le faire, mais l’insuffisance des données probantes qui viendraient étayer l’efficacité du cannabis dans le traitement des nombreuses affections pour lesquelles on en consomme fait que l’on peut difficilement valider avec certitude les conseils fournis (sauf dans le cas de la douleur neuropathiqueNote de bas de page 16Note de bas de page 40Note de bas de page 56), en particulier dans la mesure où les consommateurs plus âgés font souvent usage du cannabis à des fins à la fois médicales et non médicales. De plus amples recherches sur le cannabis thérapeutique sont donc nécessaires. Il demeure que le cannabis et les cannabinoïdes ne devraient pas être considérés comme la panacée en ce qui concerne les problèmes de santé mentale et physique que vivent fréquemment les aînés. Il convient d’accorder une plus grande attention à ces problèmes de santé à prévalence élevée au sein de cette population et d’investir davantage dans un éventail d’options de traitement efficaces, que le cannabis et les cannabinoïdes en fassent partie ou non.

Limites et points forts

Notre étude comportait certaines limites. Premièrement, notre enquête, destinée à fournir le portrait d’un groupe défini, celui des aînés consommant fréquemment ou occasionnellement du cannabis, était de nature exploratoire : la généralisabilité de ses résultats à l’ensemble de la population des aînés canadiens qui consomment du cannabis est limitée. Nous avons recruté les participants à partir d’une base de données constituée pour la création de panels de consommateurs, et ce, au moyen de campagnes publicitaires, de programmes de suggestion de participants, d’initiatives de recrutement ciblées visant à toucher les populations difficiles à atteindre et d’autres méthodes. Bien que cette stratégie de recrutement permette d’avoir une bonne diversité de candidats, il se peut que les participants retenus ne soient pas représentatifs de tout l’éventail des aînés vivant au Canada et que nos conclusions ne reflètent pas les difficultés, les points de vue et les comportements des personnes des régions rurales, de faible statut socioéconomique ou vivant dans certains contextes culturels. De plus, il est possible que les personnes qui choisissent de participer à de tels panels aient en commun des caractéristiques, des croyances ou des comportements particuliers susceptibles d’avoir une influence sur les constatations.

Deuxièmement, il se pourrait que le fait d’avoir procédé par groupes de discussion à participation volontaire ait introduit un biais d’autosélection, susceptible d’avoir restreint la diversité des points de vue et des expériences décrits.

Troisièmement, il se pourrait que, dans le contexte d’un groupe, les participants aient tempéré leur point de vue, soit en choisissant de ne pas communiquer certains renseignements, soit en ajustant leurs opinions à celles des autres pour éviter les désaccords.

Enfin, nous avons analysé le genre dans un cadre binaire (hommes/femmes), car aucun des participants n’a indiqué être non binaire ou avoir une autre identité de genre. Par conséquent, les résultats ne peuvent pas refléter pleinement les points de vue et les expériences des aînés se considérant comme non binaires ou d’une identité de genre autre. De même, la majorité des participants ont indiqué être blancs, ce qui limite la généralisabilité des constatations aux groupes ethniques. Les recherches futures devraient viser à explorer la perception de la consommation de cannabis au sein d’un groupe plus diversifié sur le plan du genre et des origines ethniques.

Néanmoins, notre étude comporte plusieurs points forts. Il s’agit de l’une des premières à traiter spécifiquement de la consommation de cannabis chez les aînés, une population sous-représentée dans ce domaine de recherche. Notre recherche comble des lacunes importantes dans la littérature grâce à l’exploration des expériences, motivations, comportements et perceptions en matière de consommation de cannabis au sein de cette population depuis la légalisation. Nous avons établi une distinction entre consommateurs fréquents et consommateurs occasionnels de cannabis, ce qui nous a permis d’enrichir les connaissances sur la façon dont les aînés intègrent le cannabis dans leur vie sociale et dans la prise en charge de leur santé. Nos constatations mettent également en évidence d’importantes différences entre les genres quant aux préférences de consommation et à la perception des risques pour la santé, ce qui permet une compréhension plus globale des habitudes de consommation du cannabis.

Enfin, la nature qualitative de cette recherche a permis d’explorer en profondeur les expériences individuelles et d’obtenir des données riches, aptes à orienter les futurs travaux de recherche, les initiatives de promotion de la santé et les politiques relatives à cette population nombreuse et en croissance.

Conclusion

Notre étude contribue grandement aux connaissances sur la consommation de cannabis chez les aînés au Canada. Nous avons cerné les diverses raisons qui motivent la consommation, les méthodes de consommation et les différentes perceptions quant aux bienfaits et aux risques du cannabis, ainsi que les différences de tendances entre les hommes et les femmes. Le paysage de l’usage du cannabis à la suite de la légalisation continue d’évoluer, et il est essentiel de faire des besoins et des expériences des aînés une priorité pour la recherche et l’établissement de politiques. Une éducation ciblée, des lignes directrices claires et des milieux de soins de santé soutenants peuvent aider à atténuer les risques liés à la consommation de cannabis au sein de cette population.

Remerciements

Nous remercions le Quorus Consulting Group pour son soutien professionnel dans l’animation des groupes de discussion.

Financement

Cette recherche a reçu un financement du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS), grâce à l’initiative de recherche sur le cannabis, prise dans le cadre du Programme sur l’usage et les dépendances aux substances de Santé Canada.

Conflits d’intérêts

Aucun à déclarer.

Contributions des auteurs et avis

  • JR : conception, méthodologie, supervision, conception graphique, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.
  • BP : analyse formelle, rédaction de la première version du manuscrit.
  • SN : analyse formelle, rédaction de la première version du manuscrit.
  • EW : relectures et révisions.
  • NC : relectures et révisions.
  • RG : conception, méthodologie, conception graphique, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.

Tous les auteurs ont formulé des commentaires, contribué aux révisions et approuvé la version finale du manuscrit.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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2025-10-22