Vecteurs du VIH au Canada

RMTC

Volume 41-12, le 3 décembre 2015 : Bonnes nouvelles sur le VIH

Commentaire

Aborder les vecteurs sociaux et structurels du VIH au Canada

Rourke SB1,2,3*, Bacon J1, McGee F4, Gilbert M1,5

Affiliations

1 Réseau ontarien de traitement du VIH, Université de Toronto, Toronto (Ontario)

2 Département de psychiatrie, Université de Toronto, Toronto (Ontario)

3 Centre for Research on Inner City Health, Li Ka Shing Knowledge Institute de l’hôpital St. Michael’s, Toronto (Ontario)

4 Bureau de lutte contre le sida du ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée, Toronto (Ontario)

5 Dalla Lana School of Public Health, Université de Toronto, Toronto (Ontario)

Correspondance

sean.rourke@utoronto.ca

DOI

https://doi.org/10.14745/ccdr.v41i12a03f

Résumé

Il existe de nouveaux espoirs que nous pouvons considérablement réduire les taux du virus de l'immunodéficience humaine (VIH). L'organisation de lutte contre le syndrome d'immunodéficience acquise (sida) des Nations Unies, le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA, a encouragé tous les pays à s'efforcer d'atteindre des objectifs audacieux qui pourraient considérablement infléchir la courbe relative aux infections à VIH et aux décès causés par le VIH : 90 % des personnes vivant avec le VIH qui ont reçu un diagnostic; 90 % des personnes ayant reçu un diagnostic sous traitement; et 90 % des personnes sous traitement et dont la charge virale est indétectable. Ce nouvel optimisme repose en grande partie sur les excellents résultats des recherches selon lesquels un traitement précoce et continu du VIH améliore les résultats sur la santé individuelle et réduit la charge virale des personnes, ce qui les rend moins infectieuses. Cependant, le risque d'infection au VIH est loin d'être réparti uniformément entre les populations les plus vulnérables. Ces populations à risque auront le plus de difficulté à atteindre ces objectifs, car elles sont prises dans une syndémie (épidémie synergique) consistant à entrelacer les problèmes de santé et les problèmes sociaux. Nos recherches, et celles des autres, démontrent que les personnes qui sont dans une syndémie de problèmes de santé mentale, de dépendance et de problèmes sociaux concomitants (p. ex. sans-abrisme, insécurité alimentaire) sont beaucoup plus susceptibles d'arrêter le traitement, sont moins susceptibles de respecter le traitement et sont moins susceptibles d'atteindre ou de maintenir une charge virale indétectable. Des études d'intervention ont démontré qu'une approche combinée en matière de prévention et de traitement du VIH qui va au-delà des soins primaires et des outils de santé mentale inclut des interventions sociales et structurelles qui ont un effet protecteur et qu'elle peut réduire le risque et améliorer l'observance. Les personnes vivant avec le VIH et à risque de le contracter ont besoin d'un meilleur accès aux services sociaux, services de santé mentale et services de traitement clinique qui les aideront à atteindre et maintenir un niveau optimal de santé et de bien-être. Nous encourageons fortement les gens œuvrant dans le secteur du VIH à l'échelle du pays à définir une vision commune avec des buts et objectifs clairs. Grâce à des efforts concertés et ciblés, un accent sur le programme et la science de la mise en œuvre, et une volonté de voir et traiter le VIH comme un problème social et biomédical, la quatrième décennie du VIH au Canada pourrait bien être la dernière.

L'occasion

À ce chapitre, pour ce qui est de la quatrième décennie du VIH, il y a le renouvellement de l'espoir et de l'énergie. Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) a encouragé tous les pays à s'efforcer d'atteindre des objectifs audacieux qui pourraient considérablement infléchir la courbe relative aux infections au VIH et aux décès causés par le VIH : 90 % des personnes vivant avec le VIH qui ont reçu un diagnostic; 90 % des personnes ayant reçu un diagnostic sous traitement; et 90 % des personnes sous traitement et dont la charge virale est indétectableNote de bas de page 1. Plusieurs pays, comme les États-Unis et l'Australie, États individuels et provinces (p. ex. la Colombie-Britannique) et villes (p. ex. San Francisco) ont lancé des stratégies ambitieuses axées sur le traitement afin de réduire et même mettre fin aux nouvelles infections au VIH.

Cet optimisme repose en grande partie sur les excellents résultats des recherches selon lesquels un traitement précoce et continu du VIH améliore les résultats sur la santé individuelle et réduit la charge virale des personnes, ce qui les rend moins infectieuses. Des études récentes ont également révélé la capacité de la prophylaxie préexposition pour prévenir les infections chez les personnes qui courent un risque élevé de contracter le VIHNote de bas de page 2Note de bas de page 3.

L'amélioration efficace du dépistage et du traitement du VIH est essentielle. Cependant, comme la Commission ONUSIDA-Lancet a récemment indiqué, il «... ne suffira pas à contrôler l'épidémie » si nous n'abordons pas le stigmate, la discrimination, les syndémies et les vecteurs sociaux et structurels de l'épidémie du VIHNote de bas de page 4.

L'incidence des syndémies

Le risque d'infection au VIH est loin d'être réparti uniformément entre les populations les plus vulnérables. Il est concentré chez les personnes prises dans une syndémie (épidémie synergique) consistant à entrelacer les problèmes de santé et les problèmes sociaux. Par exemple, dans l'étude de cohorte multicentrique sur le sida de 4 295 hommes gais, bisexuels et autres hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH), Mimiaga et al. se sont penchés sur les effets de cinq conditions psychosociales sur l'incidence du VIH : des symptômes dépressifs, une consommation excessive d'alcool, l'utilisation de stimulants, la consommation de drogues multiples et la violence sexuelle pendant l'enfanceNote de bas de page 5. Comparativement aux personnes n'ayant aucun de ces problèmes de santé psychosociaux, un nombre croissant de ces conditions a été fortement lié à l'incidence du VIH. Les hommes ayant quatre ou cinq de ces conditions présentaient 8,7 fois plus de risque de contracter le VIH sur une période de 48 mois. Des recherches canadiennes semblables vont plus loin en décrivant comment les syndémies sociales des expériences de marginalisation (p. ex. harcèlement, discrimination de carrière, violence physique, rapports sexuels forcés, tendances suicidaires) contribuent de façon fondamentale à la prévalence de conditions psychosociales semblables parmi les HARSAHNote de bas de page 6.

Dans le cadre de notre étude de cohorte du Réseau ontarien de traitement du VIH (l’OHTN) qui suit plus de 5 000 personnes en Ontario (environ un tiers de toutes les personnes recevant actuellement des soins), nous sommes encouragés de constater que les personnes qui font partie de cette cohorte de soins et qui reçoivent des soins dans les cliniques de soins spécialisés contre le VIH se rapprochent des objectifs 90-90-90 pour avoir suivi un traitement antirétroviral et pour avoir une charge virale indétectableNote de bas de page 7. Cependant, une image différente et inquiétante se dessine lorsqu'on examine les personnes recevant des soins présentant plusieurs risques syndémiques psychosociaux. À l'échelle de toutes les populations, les personnes qui ont connu une syndémie de problèmes de santé mentale et de dépendance concomitants sont beaucoup plus susceptibles d'arrêter le traitement, sont moins susceptibles de respecter le traitement et sont moins susceptibles d'atteindre ou de maintenir une charge virale indétectableNote de bas de page 8. (Remarque : Les personnes vivant avec le VIH qui ne font pas partie de cette cohorte pourraient ne pas se porter aussi bien en ce qui concerne les objectifs 90-90-90. L'Ontario analyse actuellement la cascade des deux tiers restants des personnes vivant avec le VIH qui reçoivent des soins.) Les autres provinces ont également constaté que ces facteurs complexes ont une incidence sur les résultats en matière de santé. Par exemple, le Southern Alberta HIV Program a constaté une prévalence élevée de violence familiale et conjugale à l'échelle de tous les groupes à risque d'infection par le VIH, y compris les HARSAH, et a consigné ses effets négatifs sur la participation aux soins liés au VIH, la santé mentale et la stabilité socialeNote de bas de page 9Note de bas de page 10.

Nous avons également pris conscience de l'incidence des déterminants sociaux sur la santé mentale et les résultats liés au VIH. D'après nos recherches sur le logement en Ontario, lesquelles étaient financées par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et l’OHTN, les personnes vivant avec le VIH qui ont un logement instable sont plus susceptibles de ce qui suit : avoir des charges virales plus élevées; ne pas respecter le traitement du VIH; ne pas accéder aux services médicaux ou sociaux; avoir des problèmes de consommation d'alcool et de drogues; présenter des niveaux de dépression et de stress plus élevés; et avoir des taux de mortalité plus élevés. En fait, la dépression liée au VIH est 50 % plus élevée chez les personnes qui avaient de la difficulté à prendre en charge les frais liés au logement, et 60 % plus élevée chez les personnes qui estimaient qu'elles n'appartenaient pas à leur quartier. De plus, les personnes qui se préoccupaient d'être obligées de déménager étaient significativement plus susceptibles de développer une dépression récurrenteNote de bas de page 8Note de bas de page 11. Ces résultats soulignent que les réseaux et contextes sociaux sont importants : lorsqu'ils ne sont pas sécuritaires, encourageants et favorables, ils peuvent exposer les personnes au risque d'autres conséquences négatives sur la santé.

Les recherches menées aux États-Unis et au Canada ont démontré des incidences semblables liées à l'insécurité alimentaireNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14. Les personnes vivant avec le VIH qui souffrent d'insécurité alimentaire sont moins susceptibles d'avoir des charges virales indétectables, ont des taux de morbidité et de mortalité plus élevés et ont une qualité de vie liée à la santé physique et mentale inférieureNote de bas de page 15. Elles manquent davantage de rendez-vous de soins primaires et ont moins tendance à recourir aux traitements du VIH. Toutefois, une fois qu'elles reçoivent des services d'alimentation et de nutrition efficaces, la situation change radicalement : elles sont moins susceptibles de manquer des rendez-vous, sont plus susceptibles de poursuivre leur traitement, obtiennent un meilleur score en ce qui concerne la santé mentale et sont plus susceptibles d'avoir une charge virale indétectable.

Utilisation de la science des programmes pour aborder les vecteurs sociaux et structurels

L'incidence des syndémies renforce l'importance d'une approche combinée à la prévention et au traitement du VIH qui va au-delà des soins primaires et des outils de la santé mentaleNote de bas de page 16 pour inclure des interventions sociales et structurelles protectrices qui peuvent réduire le risque et améliorer l'observance – par exemple les programmes Logement d'abord, l'accès aux programmes de réduction des méfaits, les interventions pour réduire la violence, et des environnements sociaux favorables qui aident à éliminer la stigmatisation et la discrimination et à protéger les droits de la personne. La science des programmes et la science de la mise en œuvre offrent de nouvelles façons de penser aux moyens pragmatiques de mobiliser les résultats de recherche et de créer des interventions efficaces, adaptables et viables dans le monde réelNote de bas de page 17Note de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20Note de bas de page 21. La science des programmes est l'« application systématique des connaissances scientifiques théoriques et empiriques pour améliorer la conception, la mise en œuvre et l'évaluation des programmes de santé publique »Note de bas de page 19. La science de la mise en œuvre est une « spécialité multidisciplinaire qui recherche des connaissances généralisées sur le comportement des intervenants, des organisme, des collectivités et des individus afin de comprendre l'ampleur, les raisons et les stratégies pour combler l'écart entre les preuves et les pratiques de base pour la santé dans des contextes réels »Note de bas de page 17.

Il ne fait aucun doute que le Canada possède les connaissances, les outils et les ressources pour fournir ce type d'approche programmatique et combinée qui peut contribuer à enrayer l'épidémie du VIH dans le pays. En Ontario, notre nouvelle stratégie sur le VIH souligne l'importance de travailler en collaboration avec tous les groupes d'intervenants (communauté, santé publique et secteurs de la santé) pour offrir aux personnes vivant avec le VIH et à risque de le contracter un meilleur accès aux services sociaux, aux services de santé mentale et aux services de traitement clinique qui les aideront à atteindre et maintenir un niveau optimal de santé et de bien-être.

Période des approches combinées à l'échelle du système

Nous encourageons fortement les gens œuvrant dans le secteur du VIH à l'échelle du pays à collaborer pour apprendre les uns des autres et pour définir une vision commune ayant des buts et objectifs clairs et les structures et les interventions qui contribueront à établir une approche intersectorielle et combinée, tout en mettant l'accent sur la science des programmes et de la mise en œuvre.

Sur le plan clinique, cela signifie que, en plus d'offrir des services de dépistage et de traitement, le médecin de premier recours ou le médecin de famille ou de salle d'urgence posera systématiquement des questions aux patients vivant avec le VIH ou à risque de le contracter à propos de leur logement, sécurité alimentaire, expérience de violence, santé mentale et consommation d'alcool et de drogues, puis suggérera des aiguillages appropriés. Au niveau des programmes, cela signifie l'introduction d'interventions sociales et structurelles efficaces ainsi que l'évaluation de leurs répercussions dans différents contextes et populations. Au niveau des politiques, cela signifie l'élaboration de politiques, comme des indicateurs pour les résultats sociaux, qui permettront au système de soins de santé de mettre en œuvre des interventions combinées efficaces.

Message à retenir

Les approches biomédicales ne suffiront pas à elles seules à mettre fin au VIH. Nous devons aborder les vecteurs sociaux et structurels. Grâce à des efforts concertés et ciblés, un accent sur la science des programmes et la mise en œuvre de la science, et une volonté de voir et traiter le VIH comme un problème social et biomédical, la quatrième décennie du VIH au Canada pourrait bien être la dernière.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier toutes les personnes vivant avec le VIH qui ont offert de participer à l'étude de cohorte de l'OHTN le travail et le soutien des membres passés et présents du comité de gouvernance de l'étude, le personnel infirmier et les médecins qui ont appuyé la collecte des données. Nous tenons en outre à remercier les laboratoires de santé publique Ontario pour le maintien des liens avec la base de données des tests de charge virale du VIH.

Conflit d’intérêts

Aucun

Financement

L'étude de cohorte de l’OHTN est financée par le Bureau de lutte contre le sida du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario. Le financement des études de recherche en santé concernant le logement et la sécurité alimentaire a été assuré par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Les constatations, les opinions et les conclusions exprimées sont celles des auteurs et n'engagent en aucune manière les IRSC ni le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario.

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