Augmentation du risque de maladies endémiques transmises par des moustiques au Canada en raison du changement climatique

RMTC

Volume 45-4, le 4 avril 2019 : Changement climatique et maladies infectieuses : Les défis

Aperçu

Augmentation du risque de maladies endémiques au Canada transmises par des moustiques en raison du changement climatique

A Ludwig1, H Zheng2, L Vrbova3, MA Drebot4, M Iranpour4, LR Lindsay4

Affiliations

1 Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Saint-Hyacinthe (Québec)

2 Centre des maladies infectieuses d’origine alimentaire et environnementale Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)

3 Centre des maladies infectieuses d’origine alimentaire, environnementale et zoonotique, Agence de la santé publique du Canada, Toronto (Ontario)

4 Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Winnipeg (Manitoba)

Correspondance

antoinette.ludwig@canada.ca

Citation proposée

Ludwig A, Zheng H, Vrbova L, Drebot MA, Iranpour M, Lindsay LR. Augmentation du risque de maladies endémiques transmises par des moustiques au Canada en raison du changement climatique. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2019;45(4):99–107. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i04a03f

Mots-clés : Canada, changement climatique, encéphalite équine de l’Est, endémie, maladies transmises par des moustiques, virus du Nil occidental, virus du sérogroupe Californie

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Cette image est un résumé graphique qui illustre la hausse des maladies endémiques transmises par des moustiques due aux changements climatiques.

Le résumé graphique se divise en trois sections.

La première section explique « ce qui se passe » et fait état de l’augmentation relative de la dispersion spatiale et de la densité des moustiques, des hôtes, ainsi que des phénomènes d’augmentation de l’amplitude et de la fréquence des épidémies (variation anuelle du nombre de cas) dus à l’augmentation des températures et de de la variabilité des précipitations.

La deuxième section explique « l'augmentation risque de », en faisant ressortir deux grandes catégories d’occurrences des maladies :

  • la première est l’augmentation notoire des cas dans les zones urbaines et la propagation du virus du Nil occidental;
  • la deuxième est l’augmentation des cas, en zones rurales, des virus suivants (actuellement rares) :
    • virus de l’encéphalite équine de l’Est
    • virus Jamestown Canyon
    • virus Snowshoe hare
    • ET AUTRES (virus de Cache Valley, virus du Nil occidental, etc.)

La troisième section examine cinq façons de gérer les maladies d’origine alimentaire :

  • une sensibilisation accrue
  • la prévention de l’exposition
  • le diagnostic, lorsqu’elles sont présentes
  • les soins de soutien
  • l’évaluation ou la surveillance des risques

Résumé

Il existe actuellement plus de 80 espèces de moustiques endémiques au Canada, bien que seulement quelques-unes d’entre elles soient porteuses d’agents pathogènes pouvant provoquer des maladies chez les humains. Le virus du Nil occidental, le virus de l’encéphalite équine de l’Est et les virus du sérogroupe Californie (incluant les virus Jamestown Canyon et Snowshoe hare) sont des virus transmis par des moustiques ayant provoqué des infections chez les humains en Amérique du Nord, y compris au Canada. Au cours des 20 dernières années, l’incidence de la plupart de ces maladies endémiques transmises par des moustiques a augmenté d’environ 10 % au Canada, en grande partie en raison du changement climatique. On s’attend à ce que le cycle de vie des moustiques et les modes de transmission des virus subissent les effets du changement climatique, ce qui entraînera une augmentation de l’étendue et de l’abondance locale de plusieurs espèces importantes de moustiques. Des études en laboratoire et des travaux de modélisation mathématique suggèrent que l’augmentation des températures ambiantes, les changements dans les précipitations et les phénomènes météorologiques extrêmes associés au changement climatique continueront probablement de favoriser l’expansion de la population de moustiques vecteurs et la présence de maladies transmises par des moustiques, augmentant ainsi la durée des saisons de transmission et entraînant des épidémies de ces maladies. De plus, les cycles de transmission des maladies endémiques transmises par des moustiques au Canada sont complexes, car ils englobent de multiples hôtes réservoirs (oiseaux et mammifères), de multiples agents pathogènes et de multiples espèces de moustiques sensibles au changement climatique et aux autres changements environnementaux. Par conséquent, il est difficile de prévoir les tendances émergentes possibles. Les incertitudes quant aux changements prévus mettent en évidence la nécessité de poursuivre (et d’accroître) la surveillance et la recherche afin d’assurer une évaluation opportune et exacte des risques pour la santé publique des Canadiens.

Introduction

Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental des Nations Unies sur l’évolution du climat indique que les maladies transmises par des moustiques sont les maladies infectieuses les plus sensibles au changement climatiqueNote de bas de page 1. Le Canada a déjà connu des changements climatiques, et les tendances observées sont notamment le réchauffement, l’augmentation des périodes de chaleur extrême et de pluies abondantes, et la diminution du nombre de jours de gelNote de bas de page 2. Ces changements devraient s’intensifier au cours des prochaines décennies, jusqu’à ce que les émissions de gaz à effet de serre commencent à diminuer à l’échelle mondiale.

On s’attend à ce que les changements climatiques influent sur la flore et la faune du Canada de façon prévisible et imprévisible. Dans la faune susceptible d’être touchée par le changement climatique se trouvent diverses espèces de moustiques. En plus d’être considérées comme une nuisance en raison de leurs piqûres, quelques espèces peuvent également transmettre des organismes pathogènes infectieux.

Le présent document porte sur les moustiques endémiques au Canada et sur les maladies dont ils peuvent être vecteurs, soit les maladies endémiques transmises par des moustiques. Ces maladies se distinguent des maladies exotiques transmises par des moustiques qu’on peut contracter à l’extérieur du Canada, quoique ces dernières pourraient apparaître au Canada dans l’avenirNote de bas de page 3. L’infection par le virus du Nil occidental est la maladie endémique transmise par des moustiques la plus importante au Canada sur le plan médical. Les autres maladies endémiques transmises par des moustiques comprennent le virus de l’encéphalite équine de l’Est (virus EEE) et deux virus du sérogroupe Californie : le virus Jamestown Canyon et le virus Snowshoe hareNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8. Toutes ces maladies sont transmises par des arbovirus endémiques (acronyme d’ARthropod-BOrne virus, qui désigne tout virus transmis par un vecteur arthropode). Les arthropodes comprennent les moustiques, les tiques et les mouches noires. Le présent document porte seulement sur les moustiques. Les arthropodes vecteurs sont des espèces à sang froid et sont donc particulièrement sensibles aux facteurs climatiques.

Cette étude vise à donner une vue d’ensemble des moustiques observés au Canada, à résumer comment le changement climatique peut accroître le risque de maladies endémiques transmises par des moustiques, à discuter de telles maladies causées par des moustiques susceptibles de se multiplier en milieux urbain et rural et à déterminer ce qui peut être fait pour réduire ces risques.

Espèces de moustiques endémiques au Canada

Les quatre principaux arbovirus endémiques au Canada (le virus du Nil occidental, le virus EEE, le virus Jamestown Canyon et le virus Snowshoe hare) sont tous transmis par des piqûres de moustiques femelles infectés par des agents pathogènes contractés d’hôtes réservoirs mammifères ou aviaires bien précisNote de bas de page 9. Les principaux moustiques vecteurs du virus du Nil occidental sont le Culex pipiens et le Cx. restuans dans l’Est du Canada et le Cx. tarsalis dans l’Ouest du CanadaNote de bas de page 10. Le principal vecteur du virus EEE est le Culiseta melanuraNote de bas de page 11Note de bas de page 12 et les principaux vecteurs des virus du sérogroupe Californie sont une variété d’espèces de moustiques de catégories autres que le Culex (p. ex., les espèces Aedes, Culiseta et Anopheles)Note de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15. Les virus Jamestown Canyon et Snowshoe hare font partie du sérogroupe Californie. Les réservoirs de ces pathogènes varient selon les espèces de moustiques; par exemple, le principal réservoir animal du virus Jamestown Canyon est le cerf de VirginieNote de bas de page 16, tandis que celui du virus Snowshoe hare est (sans surprise) le lièvre d’Amérique et d’autres petits mammifèresNote de bas de page 8. Les humains sont des hôtes accidentels ou « terminaux » des arbovirus endémiques, ce qui signifie que bien qu’ils puissent être infectés, ils ne peuvent pas transmettre ces virus efficacement aux moustiques qui se nourrissent de leur sang en raison d’une virémie faible et transitoireNote de bas de page 4Note de bas de page 10. Les arbovirus peuvent aussi parfois être transmis à la suite d’une transfusion sanguine ou d’une greffe de tissusNote de bas de page 17Note de bas de page 18.

En plus de ces moustiques traditionnellement endémiques, de nombreuses autres espèces ont été introduites au Canada au cours des dernières décennies. Dans les années 1970, un examen exhaustif des insectes et des arachnides du Canada a révélé qu’il y avait 74 espèces de moustiquesNote de bas de page 19. Au cours des 40 années qui ont suivi, six espèces ont été déclarées comme nouvellement établies au Canada : Ochlerotatus ventrovittis; Oc. japonicus; Cx. salinarius; Cx. erraticus; An. perplexens; et An. crucians [Note de bas de page 20, et données non publiées de M. Iranpour]. De plus, dix espèces ont étendu leur territoire au Canada : Uranotaenia sapphirina; Cs. melanura; Cs. minnesotae; Cx. tarsalis; Oc. sticticus; Oc. spencerii; Oc. dorsalis; Oc. nigromaculis; Oc. campestris; et Oc. cataphyllaNote de bas de page 21. Ainsi, on trouve maintenant environ 80 espèces de moustiques au Canada.

Récemment, des espèces envahissantes du type Aedes ont été observées dans le sud de l’Ontario et du Québec. L’espèce Aedes albopictus a été détectée en faible nombre dans certaines parties du comté de Windsor-Essex, dans le sud de l’Ontario,en 2016, 2017 et 2018Note de bas de page 22. La détection répétée de cette espèce sur un certain nombre de sites de collecte suggère que cette espèce est en voie de devenir endémique dans cette partie du Canada. Des spécimens d’Ae. aegypti ont également été prélevés sur certains de ces mêmes sites à Windsor en Ontario, en 2016 et 2017, et sur un seul site dans le sud du Québec, en 2017. Bien que ces deux souches d’Aedes soient bien reconnues pour transmettre des maladies exotiques dont les agents sont des moustiques non indigènes du CanadaNote de bas de page 3, elles peuvent aussi être un vecteur de maladies transmises par des moustiques déjà endémiques au Canada, dont le virus du Nil occidental.

Le changement climatique accroîtra les risques de maladies endémiques transmises par des moustiques

Les principaux aspects du changement climatique qui ont des effets sur les moustiques endémiques sont les hausses de température et les fluctuations des précipitations. Des précipitations plus abondantes augmentent généralement l’étendue potentielle des sites de ponte et des gîtes larvaires des moustiques dans l’environnement. Leur lien est souvent non linéaire. Les précipitations supérieures à la moyenne rendent généralement les moustiques plus abondants en leur donnant accès à plus d’eau stagnante, tandis que des précipitations excessives ou violentes peuvent lessiver et détruire les œufs, et chasser les larves vivant dans des habitats sélectionnésNote de bas de page 23. Des températures élevées peuvent accélérer le développement des moustiques aux stades du cycle de vie où ils n’ont pas atteint la maturité, et ainsi, mener à des taux de reproduction plus élevés et à une augmentation exponentielle de leur populationNote de bas de page 24Note de bas de page 25. Ces températures élevées réduisent la période d’incubation extrinsèque, de sorte que les moustiques qui ont contracté l’infection deviennent infectieux plus tôt; par exemple, les éclosions d’infection par le virus du Nil occidental semblent se produire plus fréquemment au Canada lorsque les températures saisonnières sont supérieures à la moyenne, car ces conditions favorisent l’acquisition rapide du virus chez les moustiques vecteurs et prolongent la recherche d’hôtes par les moustiques femelles potentiellement infectésNote de bas de page 26. Il a été signalé qu’en Corée et au Japon, la durée de la saison de transmission peut être prolongée de plusieurs mois lorsque les températures moyennes estivales augmentent d’aussi peu que de 5°CNote de bas de page 27. Des changements dans les précipitations augmentent la disponibilité d’eau stagnante, où les moustiques pondent leurs œufs et où vivent les moustiques qui n’ont pas atteint la maturité. Par conséquent, ces changements ont une forte incidence sur la reproduction des moustiquesNote de bas de page 28Note de bas de page 29.

L’incidence du changement climatique sur la transmission du virus du Nil occidental au Canada a fait l’objet de deux études, dont les conclusions sont similairesNote de bas de page 30Note de bas de page 31. Chen et ses collaborateursNote de bas de page 30 ont examiné la transmission du virus du Nil occidental dans les Prairies (où le Cx. tarsalis est le principal vecteur) et ont prévu une prolongation de l’activité saisonnière du Cx. tarsalis infecté par le virus du Nil occidental allant de trois mois (de juin à août) à cinq mois (de mai à septembre), d’ici les années 2080. Ces auteurs ont également prédit que le Cx. tarsalis et le virus du Nil occidental s’étendraient au nord. Hongoh et ses collaborateursNote de bas de page 31 ont modélisé la répartition potentielle des populations de Cx. pipiens dans l’Est du Canada et prédit une expansion similaire au nord pour ce vecteur du virus du Nil occidental.

Les oiseaux et certains mammifères constituent d’importants réservoirs pour le virus du Nil occidental et d’autres maladies transmises par des moustiques. Dans le cas du virus du Nil occidental, un vaste éventail d’espèces d’oiseaux sert d’hôtes, dont les corvidés (corneilles, geais et pies) et les passereaux (rouges-gorges, moineaux, pinsons et étourneaux)Note de bas de page 10Note de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34. Pour ce qui est des autres maladies transmises par des moustiques, des mammifères tels que les cerfs, les écureuils, les suisses et les lièvres, sont les hôtes réservoirs. Le changement climatique pourrait agir de plusieurs façons sur ces populations d’hôtes réservoirs, par exemple sur leur abondance et la répartition des espèces. Il est possible que le changement climatique puisse également avoir une incidence sur la santé individuelle et globale des hôtes réservoirs, car les virus les plus abondants pourraient aussi leur nuire directement.

Il est important de noter que la prolifération des moustiques et des maladies qu’ils transmettent peut également dépendre d’autres changements environnementaux, y compris les changements dans l’exploitation des terres, ainsi que les activités de lutte antivectorielleNote de bas de page 35Note de bas de page 36. La perte et la fragmentation de l’habitatNote de bas de page 37 peuvent également avoir des conséquences sur les réservoirs des oiseaux et des mammifèresNote de bas de page 38.

Maladies endémiques actuelles et émergentes transmises par des moustiques

Les diverses espèces de moustiques ont des caractéristiques différentes en ce qui concerne leurs habitats de prédilection et leur charge pathogène. En raison du changement climatique, la prévalence du virus du Nil occidental pourrait augmenter dans les zones urbaines et rurales, tandis que d’autres maladies transmises par des moustiques, comme le virus EEE et les virus du sérogroupe Californie, pourraient gagner en importance, particulièrement dans les zones rurales. Voici une brève description des maladies endémiques actuelles et émergentes transmises par des moustiques endémiques.

Le virus du Nil occidental pourrait être à la hausse dans les régions rurales et urbaines

Le virus du Nil occidental est transmis par le Cx. pipiens, un moustique surtout urbain, et le Cx. tarsalis, un moustique surtout rural. Le changement climatique peut influer sur les risques associés au virus du Nil occidental, en particulier dans les régions urbaines de l’Est et dans les régions rurales des Prairies. L’augmentation du nombre de moustiques, y compris ceux qui sont infectés par des maladies transmises par des moustiques, aura des répercussions plus importantes sur la santé publique dans les zones urbaines, car c’est là que réside la grande majorité des Canadiens. Les premiers symptômes du virus du Nil occidental sont notamment de la fièvre, des maux de tête, des éruptions cutanées, des nausées et des douleurs musculaires. La plupart des personnes touchées se rétablissent complètement, mais environ 1 % d’entre elles développent une maladie grave (méningite, encéphalite, paralysie flasque aiguë et poliomyélite). Les personnes âgées de plus de 70 ans qui souffrent de pathologies sous-jacentes et celles qui sont immunodéprimées courent un plus grand risque de contracter une maladie graveNote de bas de page 39Note de bas de page 40Note de bas de page 41Note de bas de page 42.

Depuis 2002, le nombre de cas déclarés de virus du Nil occidental chez l’humain a fluctué considérablement, passant de 1 481 cas en 2003 à 5 cas en 2010 et à 2 215 cas en 2007, ce qui peut être dû en partie aux variations météorologiques ayant une incidence sur la reproduction des moustiques et la transmission du virus, ainsi qu’aux variations dans la déclaration des manifestationsNote de bas de page 43. La variation géographique du nombre de cas déclarés de virus du Nil occidental chez l’humain a également été spectaculaire : en 2003 et 2007, la plupart des cas de virus du Nil occidental chez l’humain ont été déclarés dans les régions des Prairies (Alberta, Saskatchewan et Manitoba), mais en 2002, 2012 et 2018, la plupart des cas sont survenus en Ontario et au QuébecNote de bas de page 43. Cette variation géographique est probablement associée aux effets locaux des conditions météorologiques sur les différents vecteurs et sur la transmission du virus, ainsi qu’à une certaine variation dans la déclaration des manifestationsNote de bas de page 28Note de bas de page 29Note de bas de page 44.

Augmentation prévue des cas d’encéphalite équine de l’Est et de virus du sérogroupe Californie dans les zones rurales

Le virus de l’encéphalite équine de l’Est est transmis par les moustiques de type C. melanura qui se reproduisent dans les marécages d’eau douceNote de bas de page 11Note de bas de page 12. Le réservoir de ce virus est constitué d’hôtes aviaires. L’encéphalite équine de l’Est peut être asymptomatique ou se présenter sous deux formes : systémique ou encéphalitique. Environ le tiers des personnes atteintes d’encéphalite en mourrontNote de bas de page 45. Un seul cas de virus EEE humain a été déclaré en Ontario en 2016Note de bas de page 43. L’encéphalite équine de l’Est a connu des éclosions sporadiques chez les chevaux (et les oiseaux exotiques) en Ontario depuis 1939Note de bas de page 46. Des éclosions atypiques importantes du virus EEE chez les chevaux ont été déclarées en Ontario, au Québec et en Nouvelle-Écosse en 2008, 2009 et 2010Note de bas de page 46.

Les virus du sérogroupe Californie sont transmis par un certain nombre d’espèces de moustiques. Ils peuvent provoquer des maladies fébriles et neurologiquesNote de bas de page 47. Après la mise en œuvre de nouvelles méthodes d’analyse en 2005, plus de 200 cas probables et confirmés de virus du sérogroupe Californie ont été déclarés à l’Agence de la santé publique du Canada ou à des laboratoires provinciaux de santé publique entre 2005 et 2014 (données non publiées de M. Drebot). Des cas ont été recensés dans toutes les provinces ainsi que dans les Territoires du Nord-Ouest et dans d’autres régions du Nord. De plus, des études de séroprévalence ont révélé des taux d’exposition allant de 20 à 40 % ou plus dans certaines régions du Canada. [Note de bas de page 48Note de bas de page 49Note de bas de page 50 et données non publiées de M. Drebot]. Depuis 2015, de 20 à 40 cas d’infection chez l’humain ont été observés chaque année au Canada, à l’exception de 2017, alors que 122 cas avaient été déclarésNote de bas de page 43. Cette augmentation spectaculaire peut être attribuable, du moins en partie, à l’amélioration du dépistage chez les personnes atteintes d’une maladie semblable à celle du virus du Nil occidental (les tests de dépistage du virus du Nil occidental étaient négatifs, de sorte que d’autres tests ont été demandés). D’après le Rapport de surveillance du virus du Nil occidental et autres arbovirus, il y a eu plus de 100 cas de virus Jamestown Canyon et Snowshoe hare au Québec en 2017 (H. Zheng, H. Wood et M. Drebot, Rapport de surveillance du virus du Nil occidental et autres arbovirus transmis par les moustiques au Québec, rapport non publié). Il est fort probable que les cas de virus du sérogroupe Californie soient sous-diagnostiqués en raison du faible niveau de sensibilisation à ces pathogènes chez les médecins et les autres professionnels de la santé.

Intervention clinique et de santé publique actuelle

En l’absence de vaccins ou de traitements particuliers, la réduction de l’habitat des moustiques, la réduction des piqûres de moustiques, les tests précoces et précis de détection des maladies transmises par des moustiques chez les humains et la surveillance continue sont au cœur de l’intervention clinique et de santé publique.

Mesures préventives : prévenir les infections en évitant les piqûres de moustiques

Il n’existe pas de vaccin ni de traitement particulier contre le virus du Nil occidental, le virus EEE ou les virus du sérogroupe Californie, de sorte que la prévention des piqûres de moustiques infectieux est la clé pour les maîtriserNote de bas de page 43. On peut réduire les piqûres en se couvrant la peau (par exemple, en portant des pantalons longs et des chemises amples à manches longues) ou en utilisant un insectifuge contenant les produits chimiques N,N-diéthyl-3-méthylbenzamide (DEET) ou icaridineNote de bas de page 51. Il est également important de réduire la superficie de l’habitat des moustiques près des habitations, principalement en éliminant l’eau stagnante. Les municipalités, souvent en collaboration avec les gouvernements provinciaux, ont financé des programmes de réduction des moustiques conçus pour diminuer la taille des populations de moustiques nuisibles et vecteurs. La portée de ces programmes varie énormément à travers le Canada, mais elle comprend habituellement la réduction à la source (élimination de l’eau stagnante), l’application de larvicides dans l’eau stagnante et, moins fréquemment, des traitements de pulvérisation aérienne ou de végétaux contenant des produits conçus pour tuer les moustiques adultes.

Diagnostic précoce et dépistage des arbovirus

La détection précoce des maladies transmises par des moustiques est importante pour éviter des complications potentiellement graves. Le diagnostic des infections par les arbovirus peut comporter des difficultés, car initialement, les patients présentent souvent des symptômes non spécifiques. Le diagnostic des maladies transmises par des moustiques doit être confirmé par des épreuves de laboratoire. Le Laboratoire national de microbiologie (Winnipeg) est le laboratoire de référence pour les tests de dépistage des virus EEE et du sérogroupe Californie et pour le dépistage du virus du Nil occidental dans les provinces où sa prévalence est faible (Terre-Neuve-et-Labrador, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick). Les provinces où le nombre de cas de virus du Nil occidental est le plus élevé effectuent leurs propres tests.

Surveillance

L’Organisation mondiale de la Santé a souligné l’importance d’identifier et de surveiller diverses populations de vecteurs dans le cadre de la surveillance mondiale, y compris les moustiques qui peuvent transporter et transmettre des arbovirus, car il est plus opportun de surveiller les risques chez les populations de moustiques que d’attendre l’apparition de cas chez l’humainNote de bas de page 52.

À l’heure actuelle, la surveillance des arbovirus varie quelque peu d’une province ou d’un territoire à l’autre au Canada et les efforts ont été concentrés en grande partie dans les Prairies, en Ontario et au Québec, où l’incidence de la maladie est généralement plus élevée. Dans le cas du virus du Nil occidental, la surveillance des moustiques consiste à compter les différentes espèces de moustiques et à calculer le taux d’infectiosité des espèces porteuses du virus du Nil occidental. Cette approche de surveillance doit s’étendre à d’autres zones géographiques et à d’autres maladies transmises par des moustiques qui font l’objet d’une surveillance. Ce faisant, il est possible de suivre l’évolution des frontières du virus du Nil occidental et de détecter l’émergence de moustiques infectés par le virus EEE, le virus Jamestown Canyon, le virus Snowshoe hare et d’autres virus, afin d’éclairer les décisions sur les mesures de santé publique.

Étant donné que le virus du Nil occidental est actuellement une maladie à déclaration obligatoire au Canada, la surveillance comprend l’incidence des infections chez l’humain, y compris la détection de la présence du virus du Nil occidental dans les dons de sang (tous les dons sont soumis à des tests de dépistage d’un large éventail de maladies et de pathogènes). De plus, les tendances en matière de mortalité et de morbidité chez les populations d’oiseaux sauvages, les chevaux et d’autres animaux domestiques font l’objet d’une surveillance. Ces données sont recueillies par les provinces et les territoires aux fins d’intervention par ces administrations, mais l’information recueillie dans le cadre de la surveillance est également transmise à l’Agence de la santé publique du Canada, qui en fait la synthèse et l’analyse afin de dresser un tableau national et de le transmettre aux partenaires provinciaux et territoriaux chaque les semainesNote de bas de page 43.

Étant donné que les infections par les virus EEE, Jamestown Canyon et du sérogroupe Californie ne sont pas actuellement des maladies à déclaration obligatoire partout au Canada, il n’existe aucun programme national de surveillance de leur présence chez les moustiques, les réservoirs ou les humains. Néanmoins, le Laboratoire national de microbiologie a effectué des tests de dépistage de ces arbovirus chez des patients qui présentaient des symptômes compatibles avec des infections à arbovirus, ce qui a permis de détecter des cas d’infection par le virus Jamestown Canyon et le virus Snowshoe hareNote de bas de page 8Note de bas de page 43. Il a également effectué des études de séroprévalence pour d’autres virus de type Orthobunyavirus, comme le virus de Cache Valley. Le virus de Cache Valley peut causer des maladies neurologiques chez l’humain et le bétailNote de bas de page 53, et des cas de maladie symptomatique ont été associés à des sérologies positives chez des patients du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta (données non publiées de M. Drebot).

Discussion

Le changement climatique influera sans aucun doute sur la propagation des virus par des moustiques endémiques dans l’avenir, en raison de l’augmentation du nombre et des types d’espèces endémiques (y compris celles qui sont associées aux arbovirus) et l’apparition de nouvelles espèces (et de pathogènes associés) au Canada. Il est difficile de prévoir la façon dont les maladies transmises par des moustiques réagiront au changement climatique : les moustiques, les réservoirs et l’environnement réagissent différemment au changement climatiqueNote de bas de page 54Note de bas de page 55. Cela signifie que même un changement climatique modéré peut entraîner une forte augmentation de la transmission des arbovirusNote de bas de page 1Note de bas de page 56.

De plus, chaque maladie transmise par des moustiques possède des cycles de transmission, des réservoirs et des vecteurs uniques. Ces derniers peuvent n’exister que dans certaines régions du Canada, de sorte que les changements dans la prévalence des maladies transmises par des moustiques seront différents d’une région, d’un paysage ou d’un habitat à l’autre. On s’attend à ce que la prévalence du virus du Nil occidental augmente dans les régions rurales et urbaines et que celle des autres arbovirus actuellement endémiques (c.-à-d. les virus EEE et du sérogroupe Californie) augmente dans les régions rurales.

Il est nécessaire d’examiner plus à fond les répercussions possibles du changement climatique sur le virus du Nil occidental, le virus EEE et les virus du sérogroupe Californie au Canada. Idéalement, ces études devraient considérer et modéliser chaque cycle de transmission dans son ensemble, et non se concentrer sur un seul aspect, par exemple, la densité de moustiques ou la dynamique des populations de réservoirs. Il sera important d’accroître notre capacité de surveillance, non seulement de l’expansion des arbovirus existants dans de nouvelles zones géographiques, mais aussi de l’apparition de nouveaux arbovirus, et de mener des recherches pour mieux comprendre la dynamique changeante et potentiellement croissante de la transmission des arbovirus.

Le portrait des espèces de moustiques endémiques au Canada est en constante évolution, et ces changements dans les espèces de moustiques (type, répartition et activité) sont exacerbés par le changement climatique; les cliniciens et les professionnels de la santé publique devront prendre conscience des répercussions que ces changements peuvent avoir sur les maladies transmises par des moustiques au Canada. Nous prévoyons que le nombre moyen de cas augmentera, parallèlement à une augmentation du nombre de types d’arbovirus endémiques, d’une manière relativement sporadique et imprévisible. Les professionnels de la santé publique de première ligne ainsi que les laboratoires d’épreuves et de surveillance devront faire preuve d’une vigilance accrue.

Conclusion

On s’attend à ce que le changement climatique ait des effets importants sur les populations endémiques de moustiques au Canada et, de ce fait, sur les maladies transmises par des moustiques, comme le virus du Nil occidental, le virus EEE et les virus du sérogroupe Californie. Les maladies transmises par des moustiques possèdent des cycles de transmission complexes, englobant de multiples hôtes réservoirs (oiseaux et mammifères), et parfois, de multiples espèces de moustiques, pouvant tous être sensibles de façon différente aux changements climatique et environnementaux. Comme le virus du Nil occidental est une maladie à déclaration obligatoire, il existe des données sur la prévalence de la maladie et sur son évolution au fil du temps, mais on en sait beaucoup moins sur le virus EEE et les virus du sérogroupe Californie. Leur déclaration et leur traitement sont complexes, car les symptômes des maladies transmises par des moustiques peuvent être assez imprécis. L’apparition sporadique de certaines maladies transmises par des moustiques a entravé la mise en œuvre de tests diagnostiques pour certains arbovirus à l’échelle provinciale. Ainsi, la centralisation des tests (au Laboratoire national de microbiologie) est plus rentable pour certains arbovirus.

Les changements prévus chez les moustiques et dans les maladies transmises par des moustiques causés par le changement climatique font ressortir la nécessité de poursuivre la surveillance et la recherche afin d’assurer une évaluation opportune et exacte des risques pour la santé publique des Canadiens. Les professionnels de la santé publique et les cliniciens doivent sensibiliser la population canadienne à cet important risque pour la santé publique et faire preuve de vigilance quant à l’émergence et à la propagation de nouvelles souches de moustiques et de nouvelles maladies transmises par des moustiques.

Déclaration des auteurs

  • AL — Auteur principal
  • HZ — Corédacteur et réviseur des ébauches
  • LV — Corédacteur et réviseur des ébauches
  • MAD — Corédacteur et réviseur des ébauches
  • LRL — Corédacteur et réviseur des ébauches
  • MI — Corédacteur et réviseur des ébauches

Conflit d’intérêts

Aucun.

Financement

Ce travail a été réalisé grâce au soutien de l’Agence de la santé publique du Canada.

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