Info Source : Bulletin 41A - Sommaire des décisions des Cours fédérales

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Dans les sommaires ci-après, vous trouverez l’expression « contrôle judiciaire ». Il s’agit d’un mécanisme permettant aux tribunaux d’examiner les décisions administratives rendues par les fonctionnaires, y compris les positions adoptées par les commissariats à l’information et à la protection de la vie privée du Canada.

Loi sur l’accès à l’information

Cour fédérale du Canada

1. Air Transat A.T. Inc. c. Canada (Transport)

Cour fédérale du Canada

Référence : 2017 CF 910

Date de la décision :

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Alinéas 20(1)a), b), c) et d); article 32; paragraphe 35(1) et article 37

  • Alinéa 20(1)a) – Renseignements de tiers, secrets industriels
  • Alinéa 20(1)b) – Renseignements de tiers, renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques
  • Alinéa 20(1)c) – Renseignements de tiers, divulgation risquerait de causer des pertes ou profits financiers à un tiers
  • Alinéa 20(1)d) – Renseignements de tiers, divulgation risquerait d’entraver des négociations d’un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins
  • Article 32 – Avis d’enquête
  • Paragraphe 35(1) – Secret des enquêtes
  • Article 37 – Conclusions et recommandations du Commissaire à l’information
Résumé

La Cour a jugé que 21 pages du rapport intitulé « Transport Canada Regulatory Inspection of Air Transat AT Inc., November 12–14, 2003 » étaient protégées en vertu des alinéas 20(1)a) et 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI).

À titre subsidiaire, la Cour a déclaré que la divulgation était tout de même stoppée par un arrêt des procédures au motif d’un abus de procédure et d’un manque d’équité procédurale en raison : 1) du défaut de Transports Canada d’accorder à Air Transat l’occasion d’être entendue avant de changer sa position sur la divulgation des documents concernant ce dernier; 2) des délais causés par la Commissaire à l’information; et 3) du préjudice important subi par Air Transat en raison des délais.

La requête en radiation est rejetée.

Questions en litige
  • La Cour devrait-elle faire droit à la requête présentée par Air Transat en vue de faire radier certains paragraphes et certaines pièces présentées à l’appui des affidavits souscrits le et le par la défenderesse, la Commissaire à l’information?
  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • Les pages 84 à 104 du rapport sont-elles soustraites à la divulgation en vertu des alinéas 20(1)a), b), c) et d) de la LAI?
  • Transports Canada avait-il l’obligation d’accorder à Air Transat l’occasion d’être entendue avant de changer sa position sur la divulgation des documents après que Transports Canada eut reçu les recommandations de la Commissaire à l’information?
  • Le rapport de la Commissaire à l’information devrait-il être écarté en raison : 1) d’un manquement aux principes de justice naturelle; 2) d’un manquement à l’équité procédurale; 3) d’un défaut de compétence de la Commissaire à l’information; ou 4) des erreurs qui entachaient les motifs de la décision de la Commissaire?
Faits

Le , Transports Canada a reçu une demande d’accès à l’information pour des documents se rapportant à sa vérification de 2003 relative au Système de gestion de la qualité et de la sécurité d’Air Transat. Le , Transports Canada a refusé de divulguer la grande majorité des documents réclamés visés par la demande d’accès, y compris un rapport intitulé « Transport Canada Regulatory Inspection of Air Transat AT Inc., November 12–14, 2003 ».

N’ayant pas obtenu la divulgation de documents souhaités, y compris le rapport, l’auteur de la demande d’accès à l’information a porté plainte auprès de la Commissaire à l’information le . Le , la Commissaire à l’information a informé Transports Canada qu’une plainte avait été déposée et qu’une enquête serait menée au sujet de son refus de divulguer les documents visés par la demande d’accès.

L’enquête de la Commissaire à l’information s’est échelonnée sur plus de dix ans. Au cours de cette période, la Commissaire à l’information a demandé à Transports Canada et Air Transat de lui soumettre leurs observations. De plus, le demandeur d’accès a accepté de limiter sa demande au seul rapport, plus précisément, aux pages 84 à 104 de celui-ci. La Commissaire à l’information a rendu le son rapport sur l’enquête dans lequel elle a confirmé le bien-fondé de la demande d’accès et recommandé à Transports Canada de divulguer les 21 pages du rapport. En particulier, la Commissaire à l’information a conclu que les alinéas 20(1)a), b), c) et d) ne s’appliquaient pas aux pages en question.

À la suite de la réception du rapport d’enquête de la Commissaire à l’information, Transports Canada a informé Air Transat qu’elle avait décidé de suivre la recommandation de la Commissaire et de divulguer les 21 pages du rapport.

Air Transat a demandé, en vertu du paragraphe 44(1) de la LAI, le contrôle judiciaire de la décision de Transports Canada d’autoriser la divulgation des 21 pages du rapport. Cette décision était fondée sur les recommandations formulées par la Commissaire à l’information à la suite de son enquête. Air Transat a également réclamé, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, que le rapport d’enquête de la Commissaire à l’information soit écarté. Enfin, Air Transat a déposé une requête en radiation de certains paragraphes et certaines pièces déposées à l’appui des deux affidavits souscrits par la Commissaire à l’information intimée.

Décision

L’appel est accueilli. La requête en radiation est rejetée.

Motifs
La Cour devrait-elle faire droit à la requête présentée par Air Transat en vue de faire radier certains paragraphes et certaines pièces présentées à l’appui des affidavits souscrits le et le par la défenderesse, la Commissaire à l’information?

La Cour a déclaré qu’il était de règle qu’un tribunal administratif, dont la décision est contestée au moyen d’un contrôle judiciaire, soit autorisé à présenter des explications et des observations sur la question de sa compétence. La Cour a donc jugé que la Commissaire à l’information avait le droit de déposer des affidavits dans le but d’expliquer à la Cour les étapes qu’elle avait suivies lors de son enquête et les raisons des retards accumulés au cours de son enquête, même si les renseignements contenus dans certains paragraphes et certaines pièces au soutien des affidavits n’avaient pas été communiqués au cours de l’enquête. La Cour a également déclaré que, comme la demanderesse avait eu le droit de contre-interroger les auteurs des affidavits au sujet des renseignements contenus dans les affidavits, le rejet de la requête en radiation n’entraînerait pas de déni de justice ou de manquement au principe audi alteram partem.

Quelle est la norme de contrôle applicable?

La Cour a déclaré que la norme de contrôle applicable à une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 44(1) de la LAI était celle de la décision correcte et que la Cour devait effectuer un examen de novo pour établir si le responsable de l’institution fédérale avait rendu une décision correcte, selon les dispositions de la LAI.

En ce qui concerne la question de savoir s’il y avait eu un manquement à la justice naturelle ou aux principes d’équité procédurale, la Cour a déclaré que la norme applicable était celle de la décision correcte.

En ce qui concerne les questions de savoir : 1) si les retards accumulés au cours de l’enquête étaient déraisonnables au point de priver la Commissaire de sa compétence; et 2) si les motifs de la décision de la Commissaire étaient entachés d’erreurs, la Cour a déclaré qu’il s’agissait de questions mixtes de fait et de droit et que la norme de contrôle applicable était donc celle de la décision raisonnable.

Les pages 84 à 104 du rapport sont-elles soustraites à la divulgation en vertu des alinéas 20(1)a), b), c) et d) de la LAI?

Alinéa 20(1)a) : secrets industriels

La Cour a expliqué que l’exception prévue à l’alinéa 20(1)a) était catégorielle et que, dès lors que les renseignements contenus dans un document étaient considérés comme des secrets industriels, l’exception s’appliquait et l’information ne pouvait être divulguée. La Cour a appliqué la définition d’un secret professionnel énoncée dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), [2012] 1 RCS 23, 2012 CSC 3 (CanLII). Elle a expliqué que, dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada avait défini un secret industriel de la façon suivante :

Ces éléments sont les mêmes que ceux qui figurent dans les Lignes directrices dont nous sommes saisies, qui sont ainsi libellées :

  • l’information doit être secrète dans un sens absolu ou relatif (c’est-à-dire qu’elle est connue seulement d’une ou de quelques personnes);
  • le détenteur de l’information doit démontrer qu’il a agi avec l’intention de traiter l’information comme si elle était secrète;
  • l’information doit avoir une application pratique dans le secteur industriel ou commercial;
  • le détenteur doit avoir un intérêt (par exemple, un intérêt économique) digne d’être protégé par la loi.

[…]

Il peut s’agir d’un plan ou procédé, d’un outil, d’un mécanisme ou d’un composé, qui n’est connu que de son propriétaire et de ses employés à qui il est nécessaire de le confier, et qui s’entend habituellement d’une formule secrète ou d’un procédé non brevetés qui ne sont connus que de certaines personnes qui l’utilisent dans la composition d’un quelconque article de commerce ayant une valeur commerciale.

En ce qui concerne le premier critère, la Cour a reconnu que le rapport n’était connu que par un nombre limité de personnes. Elle a signalé que la version papier du rapport avait été transmise au président-directeur général d’Air Transat et que la version électronique se trouvait dans un répertoire informatique à accès limité. La Cour a estimé que le premier critère était donc satisfait.

En ce qui concerne le second critère, la Cour a déclaré qu’Air Transat devait démontrer qu’elle avait agi avec l’intention de traiter l’information comme si elle était secrète. Elle a mentionné qu’Air Transat prétendait qu’elle avait seulement accepté de participer à la mise en place du Système de gestion de la sécurité avec Transports Canada à condition que la confidentialité des données et du rapport soit respectée par Transports Canada. La Cour a conclu que la preuve démontrait une intention en ce sens de la part d’Air Transat et que le deuxième critère était donc également satisfait.

En ce qui concerne les troisième et quatrième critères, la Cour a mentionné la prétention d’Air Transat suivant laquelle les renseignements étaient de nature technique et qu’il s’agissait de procédés d’application concrète dans l’industrie aérienne portant sur la mise en place des systèmes de sécurité aérienne et que les procédés avaient été élaborés par Air Transat et pouvaient donc conférer un avantage financier important à ses compétiteurs. La Cour a déclaré qu’Air Transat avait investi beaucoup de temps, d’argent et d’expertise afin de créer et mettre en place, un système de sécurité aérienne. Elle s’est dite d’accord avec les prétentions d’Air Transat suivant lesquelles les renseignements concernant ce système avaient une application pratique et que les compétiteurs d’Air Transat auraient un avantage financier sur Air Transat si les renseignements en question étaient divulgués. Elle a conclu que les techniques et les méthodologies, ainsi que l’identité du personnel impliqué, seraient mis à leur disposition advenant la divulgation du rapport. La Cour a conclu que les troisième et quatrième critères étaient donc satisfaits.

La Cour a également cité le jugement Pricewaterhousecoopers LLP c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2001 CFPI 1040 (CanLII), 211 FTR 206 (CF), confirmé par la Cour d’appel fédérale en 2002, dans lequel la Cour avait conclu que la méthodologie confidentielle employée par la demanderesse pour arriver à certaines réalisations dans le cadre d’un contrat gouvernemental constituait un secret industriel, même si les résultats étaient attendus et non confidentiels. La Cour a estimé qu’il en était de même en l’espèce.

La Cour a jugé qu’à la lumière de la nature confidentielle du projet pilote, de l’échange de renseignements confidentiels entre Air Transat et Transports Canada pour les besoins du projet pilote, du fait que chaque ligne aérienne doit tout de même développer son propre système de sécurité aérienne, ainsi que du fait que l’expertise des personnes impliquées et la méthodologie adoptée (l’information est disponible dans le rapport) avaient été utilisées par Air Transat pour créer un système de sécurité aérienne efficace et optimisé pour elle-même, les renseignements en question constituaient des secrets industriels qui ne pouvaient donc être divulgués au titre de l’alinéa 20(1)a).

Alinéa 20(1)b) : renseignements confidentiels de nature technique

La Cour a énoncé le critère à quatre volets auquel il faut satisfaire pour que l’alinéa 20(1)b) s’applique, c’est-à-dire : 1) les renseignements doivent être de nature financière, commerciale, scientifique ou technique; 2) les renseignements doivent être confidentiels; 3) les renseignements doivent être fournis par une institution fédérale à un tiers; 4) les renseignements doivent être constamment traités comme étant des renseignements de nature confidentielle par ce tiers (citant les décisions Porter Airlines c. Canada (Procureur général), 2014 CF 392 (CanLII), au paragraphe 30, et Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453, 27 F.T.R. 194, au paragraphe 34).

La Cour a déclaré qu’Air Transat et Transports Canada étaient d’accord pour dire que le rapport traitait d’informations techniques et commerciales et que ces renseignements avaient toujours été traités comme étant de nature confidentielle par Air Transat. La Cour fut du même avis.

En ce qui concerne le critère de la nature confidentielle des renseignements, la Cour a expliqué qu’il y avait trois critères nécessaires pour pouvoir considérer comme confidentiels des renseignements : 1) les renseignements n’ont jamais été préalablement divulgués au public; 2) ils ont été transmis avec une attente raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués; 3) la confidentialité n’est pas contraire à l’intérêt public (citant Porter, au paragraphe 44, et Air Atonabee, au paragraphe 20).

La Cour a accepté l’affirmation d’Air Transat suivant laquelle les renseignements contenus dans le rapport n’avaient jamais été divulgués publiquement et qu’ils étaient demeurés entre les mains du président-directeur général et de certains employés du service d’assurance de la qualité de l’entreprise. Les autres employés de l’entreprise n’y avaient pas eu accès.

La Cour a également accepté l’argument d’Air Transat suivant lequel l’entreprise avait une attente raisonnable que le système de gestion de la sécurité et les renseignements contenus dans le rapport demeurent confidentiels et qu’Air Transat n’aurait pas participé au programme de mise en place du système de gestion de la sécurité sans l’assurance de Transports Canada que les renseignements resteraient confidentiels. La Cour a conclu que les faits démontraient qu’Air Transat et Transports Canada avaient convenu que les renseignements resteraient confidentiels, citant à l’appui le fait qu’Air Transat avait participé de façon volontaire à ce projet pilote et que de nombreux courriels échangés entre Air Transat et Transports Canada démontraient qu’ils s’étaient entendus pour garder les renseignements confidentiels. La Cour a également cité un extrait d’une lettre de la Commissaire à l’information comme preuve additionnelle de ce fait.

La Cour a insisté sur le fait que les renseignements avaient été recueillis au cours du projet pilote auquel Air Transat avait participé de façon volontaire et qu’il ne s’agissait pas d’une inspection réglementaire.

En ce qui concerne l’exigence que les renseignements soient fournis par un tiers, la Cour a fait observer qu’il n’y avait pas eu d’inspection réglementaire et que toutes les observations formulées par les inspecteurs et mentionnées dans le rapport étaient fondées sur les renseignements fournis par Air Transat sous le sceau de la confidentialité. La Cour a par conséquent conclu que les observations des inspecteurs étaient fondées sur les renseignements fournis par Air Transat et qu’on ne pouvait dissocier ces observations des renseignements fournis et qu’indépendamment de la forme sous laquelle ils avaient éventuellement été présentés par Transports Canada, les renseignements provenaient d’Air Transat et ne pouvaient être divulgués. La Cour a établi une distinction entre la présente situation et celle dont il était question dans l’affaire Porter, dans laquelle les inspecteurs avaient mené une inspection réglementaire et tiré des conclusions réglementaires.

La Cour a conclu que les renseignements techniques contenus dans le rapport remplissaient les quatre conditions pour être considérés des renseignements confidentiels, et qu’ils ne peuvent donc, pour cette raison, être divulgués par application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

Alinéas 20(1)c) et 20(1)d) de la LAI

Étant donné ses conclusions concernant les alinéas 20(1)a) et b), la Cour ne s’est pas prononcée sur l’applicabilité des alinéas 20(1)c) et 20(1)d) de la LAI.

Transports Canada avait il l’obligation d’accorder à Air Transat l’occasion d’être entendue avant de changer sa position sur la divulgation des documents après que Transports Canada eut reçu les recommandations de la Commissaire à l’information?

La Cour a déclaré que, si elle jugeait à tort que les renseignements contenus dans le rapport étaient protégés en vertu des alinéas 20(1)a) et 20(1)b) de la LAI, la divulgation était tout de même stoppée par un arrêt des procédures, au motif d’un abus de procédure et d’un manque d’équité procédurale en raison du défaut de Transports Canada d’accorder à Air Transat l’occasion d’être entendue avant de changer sa position sur la divulgation des documents concernant l’entreprise.

La Cour a décrit les étapes que Transports Canada avait suivies pour consulter Air Transat au sujet de la divulgation des documents, en mentionnant pour terminer que Transports Canada n’avait pas donné à Air Transat la possibilité de formuler des observations avant de changer sa position après avoir reçu les recommandations de la Commissaire à l’information.

La Cour a déclaré qu’elle était d’avis que cette façon de procéder allait à l’encontre du droit d’être entendu, lequel fait partie intégrante des principes de justice naturelle et de l’obligation d’agir équitablement, obligation qui s’applique à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu d’une loi quelconque. La Cour a déclaré que l’autorité administrative devait, au minimum, permettre à la partie intéressée de faire valoir sa cause avant de rendre une décision et que cette obligation n’avait pas été respectée en l’espèce. La Cour a déclaré que Transports Canada, après avoir obtenu les conclusions de la Commissaire à l’information, n’avait pas permis à Air Transat de faire valoir sa cause à l’encontre de ces conclusions avant de prendre une décision préjudiciable à Air Transat. La Cour a déclaré : « [l]orsque je considère cela avec le fait que TC a donné seulement à Air Transat une seule occasion de moins de 60 jours pour faire valoir tous ses moyens dans un dossier qui a duré plus de 10 ans, je dois conclure que TC a violé son obligation d’agir équitablement en ce qui concerne le droit d’être entendue d’Air Transat » (paragraphe 59).

Le rapport de la Commissaire à l’information devrait il être écarté en raison : 1) d’un manquement aux principes de justice naturelle; 2) d’un manquement à l’équité procédurale; 3) d’un défaut de compétence de la Commissaire à l’information; ou 4) des erreurs qui entachaient les motifs de la décision de la Commissaire?

Déni de justice naturelle

La Cour a qualifié de long le délai de plus de 10 ans écoulé entre le début de l’enquête et la publication du rapport de la Commissaire à l’information, citant l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 307, dans lequel la Cour avait confirmé que la justice naturelle impliquait le droit d’être entendu dans un délai raisonnable. La Cour a expliqué que, conformément à l’arrêt Blencoe, Air Transat devait démontrer qu’elle avait subi un préjudice important du fait que des retards étaient survenus dans le déroulement des procédures administratives.

En ce qui concerne la question du préjudice important, la Cour a retenu les arguments d’Air Transat à cet égard, en l’occurrence que les documents qu’Air Transat aurait pu vouloir utiliser dans sa défense n’étaient plus disponibles au moment de la publication du rapport de la Commissaire à l’information, que des employés qui avaient une connaissance importante de l’entente de confidentialité entre Transports Canada et Air Transat, ainsi que d’autres faits pertinents, ne travaillaient plus pour Transports Canada ou pour Air Transat, que les souvenirs des employés s’étaient effacés au bout de 10 ans et qu’Air Transat avait subi un préjudice financier important en raison des délais (destruction de documents, perte d’employés clés, perte de souvenirs pertinents) lorsqu’elle avait été appelée à rouvrir de nouveau son dossier en 2012 et en 2016. La Cour a par conséquent conclu qu’Air Transat avait subi un préjudice important en raison des délais causés par la Commissaire à l’information.

La Cour a reconnu que l’article 37 de la LAI n’imposait aucun délai à la Commissaire à l’information pour l’achèvement de ses enquêtes et la communication de ses recommandations. Elle a expliqué qu’en vertu de la LAI, la Commissaire à l’information avait l’obligation d’aviser l’institution fédérale de la tenue d’une enquête dès lors qu’une plainte est déposée (article 32) et que, si la Commissaire avait l’intention de recommander la divulgation de documents affectant un tiers, elle devait offrir à ce tiers la possibilité de présenter ses prétentions par écrit (paragraphe 35(1)). La Cour a également convenu que la Commissaire avait bien suivi ce processus en l’espèce. Malgré cela, la Cour a jugé qu’il y avait également une procédure à suivre selon l’arrêt Blencoe. Elle a déclaré : « [p]eu importe s’il existe des procédures qui ont été suivies, il faut agir de manière à respecter les normes de justice naturelle et d’équité procédurale » (paragraphe 68). La Cour a estimé que le délai de 10 ans accumulé en l’espèce minait les normes de justice naturelle et d’équité procédurale, que ce délai était beaucoup trop long et qu’Air Transat avait démontré qu’elle avait subi un préjudice important en raison de ce délai. La Cour a jugé que, dans les circonstances, un arrêt des procédures constituait une mesure appropriée au sens de l’arrêt Blencoe.

Autres allégations

La Cour n’a pas formulé d’observations sur les autres allégations d’Air Transat, compte tenu de ses conclusions sur les questions qu’elle avait examinées.

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour fédérale, à Air Transat A.T. Inc. c. Canada (Transports), 2017 CF 910.

2. Friesen c. Canada (Santé)

Cour fédérale du Canada

Référence : 2017 CF 1152

Date de la décision : Le

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Articles 41 et 49

  • Article 41 – Révision par la Cour fédérale
  • Article 49 – Ordonnance de la Cour dans les cas où le refus n’est pas autorisé
Résumé

Le pouvoir conféré à la Cour fédérale par les articles 41 et 49 de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) ne lui permet pas de rendre une ordonnance pour obliger la tenue d’autres recherches de documents non identifiés ou pour forcer les autorités à expliquer le sens ou l’importance des documents qui ont été communiqués. La Cour ne possède pas non plus la compétence pour se prononcer sur la sagesse des politiques de conservation des documents de l’Administration. La compétence que possède la Cour pour ordonner une réparation n’existe que dans le contexte où le responsable d’une institution fédérale ou d’un ministère refuse, sans justification légale, de produire un document connu.

Questions en litige
  • La Cour fédérale peut-elle accorder une réparation lorsque les allégations quant à l’existence d’autres documents répondant à la demande sont fondées sur des conjectures?
Faits

La demanderesse a présenté une demande d’accès à des documents se rapportant au témoignage d’une employée du Ministère dans le cadre d’une instance introduite devant un tribunal québécois. Certains documents ont été produits, mais la demanderesse n’était pas satisfaite. Elle a porté plainte auprès du Commissariat à l’information.

La Commissaire à l’information a ouvert une enquête et établi que, même si ses démarches avaient été insuffisantes au départ, le Ministère avait rectifié le tir et examiné « tous les registres éclairants ». La plainte a été qualifiée de « bien fondée et réglée ».

Mme Friesen a présenté une demande de contrôle judiciaire au titre de l’article 41 de la LAI, parce qu’elle était convaincue que Santé Canada devait avoir d’autres documents qui se rapportaient à sa demande d’accès à l’information présentée en vertu de la LAI, en plus de ceux qui lui avaient déjà été communiqués.

Dans sa demande, Mme Friesen sollicitait une réparation sous forme d’un « examen complet et approfondi de la décision de Santé Canada de refuser à la demanderesse l’accès aux dossiers demandés » et, dans son affidavit, elle réclamait des explications quant au contenu de certains des documents qu’elle avait reçus.

Décision

La demande est rejetée.

Motifs

La Cour fédérale ne peut accorder de réparation à un demandeur qu’en cas de refus illégal de lui communiquer un document désigné. Répondre qu’un document n’existe pas ne constitue pas un refus de communication. À défaut de refus, le tribunal n’a pas compétence dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

La compétence conférée à la Cour fédérale par les articles 41 et 49 de la LAI ne lui permet pas de rendre une ordonnance pour obliger la tenue d’autres recherches de documents non identifiés ou pour forcer les autorités à expliquer le sens ou l’importance des documents qui ont été communiqués. La Cour ne possède pas non plus la compétence pour se prononcer sur la sagesse des politiques de conservation des documents de l’Administration. La Cour n’a compétence pour ordonner une réparation que lorsque le responsable d’une institution fédérale ou d’un ministère refuse, sans justification légale, de produire un document connu.

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour fédérale, à Friesen c. Canada (Santé), 2017 CF 1152.

3. Yeager c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale du Canada

Référence : 2017 CF 330

Date de la décision : Le

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Article 3, paragraphe 4(2.1), articles 6, 7, 8 et paragraphe 53(2)

  • Article 3  ̶  Définition, institution fédérale
  • Paragraphe 4(2.1)  ̶  Responsabilités de l’institution fédérale, obligation de porter assistance
  • Article 6  ̶  Demandes de communication
  • Article 7 ̶  Notification
  • Article 8  ̶  Transmission de la demande
  • Paragraphe 53(2)  ̶  Frais et dépens
Résumé

Les dispositions de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) sont expressément structurées pour définir des institutions fédérales distinctes et pour exiger que les demandes de communication soient faites à l’institution fédérale précise ayant le contrôle des documents demandés. Un portefeuille de ministères ne constitue pas une « institution fédérale », selon la définition de la LAI.

Sécurité publique et Protection civile Canada (Sécurité publique), en tant qu’institution fédérale avec un portefeuille de ministères connexes, n’a pas automatiquement le contrôle sur les documents qui sont présumés se trouver dans un autre ministère au sein du même portefeuille.

Le critère d’application en deux étapes, élaboré dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, a été appliqué pour conclure que Sécurité publique n’avait pas le contrôle sur des documents liés à un comité d’examen indépendant du Service correctionnel du Canada.

Lorsqu’une institution fédérale n’a pas le contrôle sur les documents demandés au titre de la LAI, l’obligation de prêter assistance aux termes du paragraphe 4(2.1) et le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 8(1), de transférer une demande à une autre institution fédérale concernée davantage par les documents, n’entrent pas en jeu.

Questions en litige
  • Quelle est la norme de contrôle appropriée?
  • Sécurité publique a-t-elle commis une erreur en déclarant n’avoir aucun document pertinent en sa possession?
  • Sécurité publique a-t-elle satisfait aux dispositions de l’article 8 de la LAI?
  • Sécurité publique était-elle tenue de se conformer au paragraphe 4(2.1) de la LAI?
  • L’une des parties a-t-elle le droit aux dépens et, le cas échéant, de quelle nature et pour quel montant?
Faits

Le professeur Yeager est un criminologue public. Le , il a fait une demande de communication à Sécurité publique pour obtenir certains documents relatifs au comité d’examen indépendant du Service correctionnel du Canada, qui venait alors d’être annoncé. Sécurité publique a répondu le , indiquant qu’une recherche avait été effectuée et qu’il n’y avait aucun document pertinent au ministère.

Le professeur Yeager a déposé une plainte au Commissariat à l’information du Canada (CIC). Le CIC a conclu que Sécurité publique avait effectué une recherche complète et exhaustive des documents ministériels et qu’aucun document correspondant n’avait été trouvé. La plainte du professeur Yeager n’était pas étayée. Cependant, le rapport du CIC ajoutait qu’il était apparu au cours de l’enquête que Service correctionnel du Canada aurait pu avoir le contrôle de documents correspondant à la demande et que, bien que Sécurité publique aurait dû envisager de transférer la demande à Service correctionnel du Canada, conformément à l’article 8 de la LAI, [traduction] « cela n’a malheureusement pas été fait ». Le CIC a suggéré que le professeur Yeager dépose une demande auprès du Service correctionnel du Canada.

Au lieu de demander les documents à Service correctionnel du Canada, le professeur Yeager a présenté une demande de contrôle judiciaire, faisant valoir que le ministre de la Sécurité publique était à la tête tant de Sécurité publique que du Service correctionnel du Canada et que, de ce fait, il avait le contrôle sur tout document au sein de son portefeuille de plusieurs ministères.

Décision

La demande a été rejetée.

Motifs
La norme de contrôle

Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle appropriée. Le professeur Yeager soutient que lorsque la question concerne le déni de documents, la norme de contrôle est la décision correcte, comme l’a établi l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25 (l’arrêt Défense nationale). Le procureur général invoque l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, pour soutenir que la coordonnatrice de l’AIPRP interprétait une loi en lien avec ses fonctions et que l’absence de documents pertinents constitue une conclusion de fait, de sorte que la norme de contrôle est la décision raisonnable pour toutes les questions en litige.

Dans l’arrêt Défense nationale, la Cour suprême a indirectement reconnu que la question de savoir si une institution contrôlait ou non un document au titre de la LAI était le type de question binaire qui ne cadrait pas bien avec l’analyse conventionnelle relative à la norme de contrôle; celle-ci considérait la Cour fédérale comme le forum initial pour statuer sur le fond, tandis que, de manière conventionnelle, dans un contrôle judiciaire, c’est le tribunal administratif qui statue sur le fond, alors que la Cour apprécie simplement la légalité de la décision du tribunal.

En l’espèce, la Cour a conclu que, peu importe que cela soit considéré comme un contrôle selon la norme de la décision correcte ou qu’il s’agisse d’une appréciation indépendante de la preuve par la Cour, le résultat est le même : la question est de savoir si Sécurité publique contrôle les documents, et l’« argument du portefeuille » du professeur Yeager est simplement une extension de cette question. La Cour est d’avis qu’elle doit répondre à ces questions sans tenir compte de l’avis de la coordonnatrice de l’AIPRP, et l’issue de l’affaire est la même, sans égard à la norme de contrôle.

En ce qui concerne la norme de contrôle pour l’interprétation de l’article 8, le professeur Yeager soutenait que la norme applicable était le caractère raisonnable. La Cour a fait remarquer qu’il était bien établi que, lorsqu’un décideur interprétait sa loi habilitante, la norme applicable était celle de la décision raisonnable, à moins que la question relève de l’une des quatre catégories qui ont été considérées comme susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. L’interprétation de l’article 8 de la LAI ne relève d’aucune des quatre catégories qui réfutent la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable.

Sécurité publique a t elle commis une erreur en déclarant n’avoir aucun document pertinent en sa possession?

La Cour a examiné la preuve du professeur Yeager selon laquelle des documents correspondants existaient, et elle a fait remarquer qu’il ne pouvait être contesté que des documents correspondants existaient quelque part. Cependant, cela n’est pas la même chose que de démontrer que les documents que le professeur Yeager avait en sa possession, ou d’autres du même genre, étaient localisés chez Sécurité publique ou sous son contrôle. Il n’y a rien dans la preuve établissant que Sécurité publique avait un ou l’autre des documents correspondants, original ou copie, sous son contrôle.

Par conséquent, la question est maintenant de savoir si les documents produits en preuve par le professeur Yeager et d’autres documents correspondants qui peuvent être présumés exister au Service correctionnel du Canada sont sous le contrôle de Sécurité publique, sur la base de l’« argument du portefeuille » avancé par le professeur Yeager.

Selon l’« argument du portefeuille » du professeur Yeager, la question de savoir si des documents existent au niveau ministériel n’est pas pertinente. Dans un contexte de portefeuille, le ministre a le contrôle des documents dans son portefeuille, et cela signifie que Sécurité publique aurait dû fournir les documents, même s’ils se trouvaient au Service correctionnel du Canada; le fait d’être un organisme de portefeuille public est différent de celui d’être une institution fédérale distincte à l’extérieur d’un ministère; bien que Service correctionnel du Canada se trouve dans la liste de l’annexe 1 de la LAI en tant qu’institution fédérale distincte de Sécurité publique, le fait est que le ministre a un contrôle effectif sur toute institution faisant partie de son portefeuille. Le contrôle, par le ministre, d’un document dans un organisme de portefeuille l’emporte sur la liste des institutions fédérales dans l’annexe 1 de la LAI.

La position du procureur général sur l’« argument du portefeuille » était que l’article 6 de la LAI exigeait qu’une demande de communication soit faite à l’institution fédérale qui a le contrôle du document et que le professeur Yeager avait présenté sa demande au mauvais ministère; selon l’annexe 1, Service correctionnel du Canada constitue une institution fédérale distincte de Sécurité publique, et chacune des institutions est énumérée séparément; pour souscrire à l’« argument du portefeuille », il faudrait faire abstraction de l’annexe 1.

La Cour a conclu que le fait d’appliquer l’argument de contrôle au niveau du portefeuille ne tient pas compte du régime de la LAI.

Premièrement, la réponse de Sécurité publique n’était pas censée être une dénégation complète pour tout le portefeuille; il s’agissait seulement de nier l’existence de documents pertinents au sein de Sécurité publique. Le ministre a délégué son pouvoir, au sein de Sécurité publique, à la coordonnatrice de l’AIPRP, qui avait légalement le pouvoir de fournir une réponse au nom de Sécurité publique, mais non pour le Service correctionnel du Canada ou toute autre institution fédérale distincte. Si le ministre avait tenté de déléguer son pouvoir à titre de dirigeant institutionnel du Service correctionnel du Canada à un employé de Sécurité publique, celle délégation aurait été illégale.

Deuxièmement, la définition d’« institution fédérale » à l’article 3 de la LAI est claire et explicite : elle signifie tout ministère ou département d’État du gouvernement du Canada, ou tout organisme ou office énuméré à l’annexe 1. L’article 6 exige qu’une demande de communication d’un document soit faite par écrit « auprès de l’institution fédérale dont relève le document ». La notion de « control » [dans la version anglaise; en français, le verbe « relève »] et la définition d’« institution fédérale » sont clairement liées. L’article 6 précise que la demande doit être faite auprès de l’institution fédérale dont relève le document. Il faut satisfaire aux deux conditions pour créer une demande de communication recevable.

La Cour n’a pas été convaincue qu’un groupe d’institutions fédérales distinctes, chacune énumérée individuellement à l’annexe 1, puisse simplement être considéré comme une institution fédérale amalgamée, juste parce que les institutions sont placées sous le même ministre, comme faisant partie d’un portefeuille. Bien que le législateur aurait pu créer une institution fédérale composée d’un portefeuille d’organismes, il a choisi de ne pas le faire, et rien dans la preuve ne démontre quelque intention implicite pour ce faire.

Troisièmement, pour décider que Sécurité publique a le contrôle d’un document se trouvant dans une autre institution fédérale que le ministre contrôle, il faudrait faire fi du libellé clair de la LAI et de l’arrêt Défense nationale. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a refusé de réunir la question de définir une institution fédérale avec celle concernant la manière de déterminer de quelle entité relève un document en particulier. Elle a déclaré qu’une analyse en deux étapes devait être effectuée lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les documents demandés ne sont pas physiquement en possession de l’institution fédérale.

  • En ce qui concerne la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Défense nationale, la question de savoir si Sécurité publique, en tant qu’institution fédérale, a le contrôle sur un document pouvant se trouver dans les bureaux du ministère, au Service correctionnel du Canada ou dans toute autre institution fédérale, n’est soulevée que si le document recherché a trait à une question ministérielle relevant de Sécurité publique. Aucun des éléments de preuve produits par le professeur Yeager n’a démontré quelque lien que ce soit entre le comité d’examen de Service correctionnel du Canada et Sécurité publique. Par conséquent, la demande du professeur Yeager ne passe pas la première étape – celle du « mécanisme de tamisage ».
Sécurité publique a t elle satisfait aux dispositions de l’article 8 de la LAI?

Aux termes du paragraphe 8(1) de la LAI, la question de savoir si Sécurité publique aurait dû transférer la demande du professeur Yeager est assujettie à deux conditions : (i) Sécurité publique a le contrôle sur un document correspondant, comme l’exigent les articles 4 et 6; (ii) le document concerne davantage une autre institution fédérale, tel que défini au paragraphe 8(3).

La Cour a conclu que, dû au fait que Sécurité publique n’avait pas le contrôle sur un document, l’article 8 de la LAI n’est jamais entré en jeu. Par conséquent, la question de savoir si Sécurité publique aurait dû transférer la demande du professeur Yeager à Service correctionnel du Canada n’a pas été soulevée par les faits de l’espèce.

Sécurité publique était elle tenue de se conformer au paragraphe 4(2.1) de la LAI?

Le paragraphe 4(2.1) de la LAI est entré en vigueur le . Celui-ci exige d’une institution fédérale qu’elle fasse tous les efforts raisonnables pour prêter assistance à la personne qui demande la communication d’un document sous le contrôle de l’institution.

Il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le paragraphe 4(2.1) s’appliquait de manière rétroactive ou prospective. Comme la Cour a conclu que Sécurité publique n’avait pas le contrôle sur l’un ou l’autre des documents correspondants à la demande, les dispositions du paragraphe 4(2.1) ne sont pas entrées en jeu.

L’une ou l’autre des parties a t elle le droit aux dépens et, le cas échéant, de quelle nature et pour quel montant?

Cette affaire est une instance classique d’une force irrésistible rencontrant un objet inamovible. De manière réaliste, chaque partie aurait pu résoudre cette affaire sans litige, sans compter que cela s’est étiré sur plusieurs années. Toutefois, la Cour n’a pas conclu que l’une des parties était plus ou moins à blâmer que l’autre.

Le professeur Yeager, en tant que plaideur se représentant lui-même, n’a, en général, pas droit aux dépens avocat-client, bien qu’il puisse avoir droit à une certaine forme d’indemnité modeste au-delà des déboursés qu’il a réellement engagés. Il n’y a aucun fondement permettant l’octroi de dépens à titre punitif au professeur Yeager. Ni l’« argument du portefeuille » ni les arguments que le professeur Yeager a avancés relativement au paragraphe 4(2.1) ne soulevaient un nouveau principe important en lien avec la définition de « contrôle »; la jurisprudence existante était tout à fait adaptée. Toutefois, l’argument du professeur Yeager, qui n’a pas été retenu, relativement à l’article 8 a aidé à l’élaboration du droit, comme l’envisageait le paragraphe 53(2) de la LAI.

La Cour a conclu que le professeur Yeager avait droit à une modeste indemnité pour le temps qu’il avait passé sur le dossier et pour les déboursés raisonnables qu’il avait engagés pour la préparation ainsi que la présentation de son argumentation sur les questions liées à l’article 8 de la LAI. Une adjudication forfaitaire de 1 500 $ pour les dépens, y compris les déboursés, est appropriée. Il n’y a aucun fondement permettant de modifier l’octroi existant de dépens auquel le professeur Yeager était assujetti, en tant que partie au litige.

Comme le procureur général a eu gain de cause, le professeur Yeager doit lui payer des dépens, conformément à la colonne III du tableau du tarif B pour toutes les questions autres que celle relative à l’article 8. Comme les dépens de la question relative à l’article 8 sont susceptibles d’être difficiles à distinguer, les dépens du procureur général devraient être réduits de 1 500 $ pour refléter le fait que le procureur général n’a pas reçu de dépens à l’égard de cette question.

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour fédérale, à Yeager c. Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2017 CF 330.

Cour d’appel fédérale

4. Apotex Inc. c Canada (Santé)

Cour d’appel fédérale

Référence : 2017 CAF 160

Date de la décision : Le

Disposition de la Loi sur l’accès à l’information : Alinéa 42(1)c)

  • Alinéa 42(1)c) – Commissaire à l’information a qualité pour comparaître comme partie avec l’autorisation de la Cour
Résumé

L’alinéa 42(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI), qui permet à la Commissaire à l’information de comparaître, avec l’autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu des articles 41 ou 44 de la LAI, n’exige pas que la Commissaire à l’information satisfasse au test de nécessité prévu à l’article 104 des Règles de la Cour fédérale. Le test applicable en est un d’utilité : le tribunal doit être convaincu que la présence de la Commissaire serait utile au tribunal.

Questions en litige
  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • La juge a-t-elle commis une erreur en refusant de modifier l’ordonnance par laquelle la protonotaire avait autorisé la Commissaire à comparaître à titre de défenderesse dans le cadre de l’examen de la demande de contrôle judiciaire d’Apotex?
Faits

En réponse à trois demandes d’accès à l’information présentées en vertu de la LAI, le ministre de la Santé a décidé de divulguer des documents qu’Apotex avait préalablement soumis lorsqu’elle avait demandé l’approbation d’un produit pharmaceutique. Apotex a présenté une demande de contrôle judiciaire.

La Commissaire à l’information a présenté une requête en vue d’être autorisée à être constituée défenderesse à la demande de contrôle judiciaire d’Apotex au titre de l’alinéa 42(1)c) de la LAI. Apotex a contesté cette requête au motif que la Commissaire n’avait pas démontré que sa comparution était nécessaire au sens de l’article 104 des Règles de la Cour fédérale.

Une protonotaire a accordé l’autorisation de constituer la Commissaire à l’information partie à l’instance, sans toutefois motiver sa décision. Apotex a présenté une requête pour faire annuler l’ordonnance de la protonotaire, en faisant valoir que cette dernière avait commis une erreur de droit en n’appliquant pas le « test de nécessité » prévu à l’article 104 des Règles de la Cour fédérale. La Cour fédérale a rejeté la requête d’Apotex en concluant que, si l’on appliquait strictement l’article 104 des Règles, la Commissaire à l’information ne satisferait que rarement au test de nécessité et que, par conséquent, cette interprétation stricte aurait pour effet de saper l’intention du législateur d’accorder à la Commissaire l’autorisation de comparaître comme partie. L’article 104 devait être adapté en conséquence. Apotex a interjeté appel du refus de la Cour fédérale de rejeter l’ordonnance de la protonotaire.

Décision

La Cour d’appel fédérale a rejeté à l’unanimité l’appel d’Apotex.

Motifs
Norme de contrôle

La Cour d’appel fédérale a jugé qu’elle devait appliquer la norme de contrôle en appel énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, à l’égard d’une décision rendue par la Cour fédérale relative à l’ordonnance d’un protonotaire. Par conséquent, la Cour devait établir si la juge de la Cour fédérale avait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante en refusant de modifier l’ordonnance par laquelle la protonotaire avait autorisé la Commissaire à comparaître comme partie.

La juge a t elle commis une erreur en refusant de modifier l’ordonnance de la protonotaire?

La juge de la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en refusant de rejeter l’ordonnance de la protonotaire, même si la Commissaire n’avait pas démontré que sa présence était nécessaire afin d’aider le tribunal à trancher la demande d’Apotex.

La protonotaire n’était pas tenue d’appliquer strictement l’article 104 des Règles. Il convient de donner effet à l’intention du législateur de permettre à un agent du Parlement de comparaître dans une instance judiciaire à titre de partie, avec l’autorisation du tribunal. Un test de nécessité prévu à l’article 104 des Règles irait à l’encontre de l’intention de l’alinéa 42(1)c) de la LAI, qui accorde clairement à la Commissaire la possibilité de comparaître comme partie. Lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’autorisation prévue à l’alinéa 42(1)c), le tribunal doit être convaincu que la présence de la Commissaire serait utile au tribunal. Un d’utilité favorise la participation de la Commissaire, conformément à l’intention du législateur, tout en reconnaissant que l’alinéa 42(1)c) ne confère pas automatiquement à la Commissaire la qualité de partie à l’instance.

Lorsqu’on applique la norme de l’arrêt Housen, force est de constater que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en refusant de modifier la conclusion de la protonotaire quant à l’existence de motifs suffisants pour autoriser la Commissaire à comparaître comme partie. Même si les éléments de preuve portés à la connaissance de la protonotaire étaient limités, la juge disposait d’une preuve suffisante pour pouvoir conclure que la protonotaire n’avait pas commis une erreur susceptible de contrôle en faisant droit à la requête de la Commissaire.

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour d’appel fédérale, à Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2017 CAF 160.

5. Canada (Commissariat à l’information) c. Calian Ltd.

Cour d’appel fédérale

Référence : 2017 CAF 135

Date de la décision : Le

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Alinéas 20(1)b), c) et d); paragraphe 20(5)

  • Alinéa 20(1)b)  ̶  Renseignements de tiers,  renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques
  • Alinéa 20(1)c)  ̶  Renseignements de tiers, divulgation risquerait de causer des pertes ou profits financiers ou de nuire à sa compétitivité
  • Alinéa 20(1)d)  ̶  Renseignements de tiers, divulgation risquerait d’entraver des négociations en vue de contrats ou à d’autres fins
  • Paragraphe 20(5)  ̶  Communication autorisée si le tiers y consent
Résumé

Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a commis une erreur en concluant que les alinéas 20(1)c) et d) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) ne s’appliquaient pas aux taux relatifs au personnel détaillés selon la formule « taux horaires fermes tout compris » qui avait été élaborée par un tiers dans le cadre de l’établissement d’une soumission pour la fourniture de services à court terme de placement de professionnels.

L’interprétation juste de la clause de divulgation suivante « [l]e proposant accepte que ses prix soient divulgués par le Canada […] » est qu’elle autorise la divulgation à la fois au sein du gouvernement et au grand public.

Le cadre approprié dans lequel les paragraphes 20(1) et 20(5) de la LAI doivent être appliqués en présence d’une clause de divulgation de cette nature exige que le responsable d’une institution fédérale : i) recherche si les renseignements seraient par ailleurs visés par une exception et ii) qu’il décide ensuite si les circonstances militent contre leur divulgation au grand public, indépendamment du consentement donné à cet égard.

Questions en litige
  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • Les taux relatifs au personnel sont-ils soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b), 20(1)c) ou 20(1)d) de la LAI?
  • Quelle est l’interprétation juste de la clause de divulgation?
  • Comment la clause de divulgation interagit-elle avec le régime législatif?
Faits

En 2009, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a lancé un processus d’appel d’offres par la voie d’une Demande d’offre à commandes (DOC) pour la prestation de services d’aide à la recherche pour le Collège militaire royal du Canada (CMR). La DOC exigeait que les parties soumissionnaires indiquent les taux relatifs au personnel détaillés selon la formule « taux horaires fermes tout compris » pour une centaine de catégories de main-d’œuvre, ce qui était différent des DOC précédentes, pour lesquelles l’État avait précisé les « taux de base » afférents à diverses catégories de main-d’œuvre, auxquels les soumissionnaires devaient ajouter leur propre marge bénéficiaire et proposer un « taux entièrement imputé » tout compris. La DOC de 2009 prévoyait par ailleurs une clause de divulgation qui obligeait les parties soumissionnaires à accepter la divulgation de leur prix unitaire ou du taux de leur offre permanente. Les soumissions de la demanderesse, Calian Ltd., ont été retenues.

En 2013, TPSGC a reçu une demande d’accès à l’information pour une copie de « la totalité des contrats, modifications de contrat, lettres et courriels » concernant le contrat adjugé à Calian pour la période de 2009 à 2013.

Calian soutenait que les renseignements relatifs à ses employés et à ses numéros d’entreprise et comptes TPS devaient être expurgés et que les renseignements concernant ses taux relatifs au personnel étaient de nature exclusive et qu’ils étaient donc soustraient à l’obligation de divulgation prévue au paragraphe 20(1) de la LAI. Calian soutenait que le risque de préjudice causé par la divulgation des taux de facturation proposés dans sa soumission de 2009 était considérablement accru puisqu’elle avait dû faire appel à ses compétences poussées et exclusives en matière de gestion des services de personnel pour établir des prix concurrentiels.

Calian a également expliqué à TPSGC que la clause de divulgation ne s’appliquait pas parce que : i) la clause avait été formulée d’une manière qui la rendait applicable seulement à des valeurs indiquées et non au taux entièrement imputé; ii) Calian avait cru comprendre que la clause de divulgation emportait consentement à la divulgation de renseignements à d’autres institutions fédérales, mais non au public en raison des décisions antérieures prises par le Ministère de la défense nationale, l’autorité contractuelle précédente pour la soumission relative au soutien à la recherche pour le CMR; iii) la divulgation causerait un préjudice irréparable à sa compétitivité, justifiant d’autant plus une interprétation restrictive de cette clause.

TPSGC a décidé de n’expurger que les parties de l’offre à commandes dans lesquelles figuraient : i) les noms, titres, numéros de poste téléphonique, numéros de téléphone cellulaire, de télécopieur ou personnel des employés de Calian; ii) son numéro d’entreprise – approvisionnement, ainsi que iii) son numéro de compte TPS. TPSGC a rejeté la demande de Calian d’expurger les taux relatifs au personnel en précisant : « […] comme la clause de divulgation de renseignements a déjà été intégrée dans l’offre à commandes, les prix unitaires et les taux ne peuvent pas être assimilés à des renseignements confidentiels relatifs à un tiers qui nuirait à votre compétitivité, et nous sommes donc tenus de les communiquer ».

Calian a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, qui a jugé que, même si l’alinéa 20(1)b) ne s’appliquait pas, les alinéas 20(1)c) et d) s’appliquaient. La Cour fédérale a accueilli la demande de Calian et le procureur général et la Commissaire à l’information ont tous les deux interjeté appel.

Décision

L’appel est accueilli en partie.

Motifs
Quelle est la norme de contrôle applicable?

Les parties convenaient que la norme de contrôle en appel dans le contexte de la Loi devait être effectué conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, ce qui est conforme à l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3 (CanLII) de la Cour suprême du Canada. Par conséquent, la Cour s’est concentrée sur la décision de la Cour fédérale et elle a appliqué la norme de décision correcte aux questions de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit. Lorsqu’une question mixte de fait et de droit renferme une question de droit qui peut être isolée, la norme de contrôle sera également celle de la décision correcte.

La Cour a jugé que les répercussions, le cas échéant, de l’arrêt rendu ultérieurement par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47, devaient être traitées à une autre occasion. La Cour a estimé que, même si elle n’était de toute évidence pas tenue de souscrire au consensus des parties quant à la norme de contrôle applicable, cet argument ne devait pas moins de faire l’objet d’une discussion exhaustive avant que soit écartée une jurisprudence constante, à défaut de consignes claires de la plus haute juridiction.

La Cour a déclaré que le juge n’avait pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que la décision de divulguer ou non un renseignement devait être examiné selon la norme de la décision correcte. Quant aux questions ultérieures, comme elles relevaient de l’interprétation des contrats et de l’interaction entre la clause de divulgation et la Loi, la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Bien que la Cour suprême du Canada ait récemment déclaré dans l’arrêt Sattva Capital Corp c. Creston Moly Corp, 2014 CSC 53, que les questions afférentes à l’interprétation des contrats sont normalement considérées comme des questions mixtes de fait et de droit, selon un nouveau courant jurisprudentiel, le juge doit faire preuve de plus de retenue lorsque des contrats types sont en cause. La Cour suprême du Canada a récemment retenu cette approche (voir Ledcor Construction Ltd. c. Northbridge Indemnity Insurance Co., 2016 CSC 37). Suivant l’application aux faits de l’analyse élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ledcor, l’interprétation de la clause de divulgation et son interaction avec le régime législatif mettent en jeu des questions de droit isolables, et la norme de contrôle applicable à ces questions doit être celle de la décision correcte, conformément à la norme de contrôle que doit suivre le juge d’appel selon l’arrêt Housen.

Les taux relatifs au personnel sont ils soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b), 20(1)c) ou 20(1)d) de la LAI?

Les parties s’entendaient quant aux principes juridiques sur lesquels repose l’application de l’alinéa 20(1)c). La Commissaire appelante a reconnu que le juge avait correctement formulé le critère juridique déterminant l’application de l’alinéa 20(1)c), mais a fait valoir que le juge n’avait pas bien appliqué les principes pertinents et avait commis une erreur en considérant que la preuve présentée par Calian était suffisante pour établir qu’il y avait un risque vraisemblable de préjudice.

La Cour a estimé que le juge avait correctement appliqué la grille d’analyse énoncée dans l’arrêt Merck et qu’il n’avait pas commis d’erreur justifiant son intervention en concluant, selon la preuve dont il disposait, que la communication des taux relatifs au personnel détaillés était susceptible de permettre à ses concurrents de « prendre gratuitement connaissance » de ses renseignements personnels et « ferait pencher la balance » en sa défaveur. Contrairement à la position défendue par la Commissaire, le juge ne s’est pas borné à de simples assertions non fondées. Il a tiré la conclusion, se fondant sur sa propre appréciation, que les taux relatifs aux employés, individuellement et collectivement, constituaient le facteur le plus déterminant du succès de la soumission de Calian et, partant, de sa position concurrentielle. Il a également reconnu que l’élaboration des taux relatifs au personnel reposait sur des renseignements salariaux confidentiels et exclusifs que Calian avait directement obtenus de nombreux fournisseurs potentiels de services de main-d’œuvre spécialisée ou avait négociés avec eux, de même que sur ses propres analyses opérationnelles.

La Cour a toutefois conclu que le juge avait commis une erreur en considérant que l’historique des rapports entre les parties était un facteur dont il fallait tenir compte pour déterminer si l’information visée par la demande d’accès risquait vraisemblablement de se solder par des pertes financières appréciables pour Calian ou en des gains pour ses concurrents ou de nuire à la compétitivité de Calian. En tout premier lieu, la Cour a fait observer qu’elle ignorait pourquoi le Ministère de la défense nationale avait expurgé les taux relatifs au personnel des renseignements communiqués en 2009. Deuxièmement, la Cour a fait observer que le juge avait tenu pour acquis que la décision précédente du Ministère de la défense nationale était correcte et contraignante. Troisièmement – et c’était là l’élément le plus crucial – l’existence de préjudice attribuable à la communication pouvait uniquement être établie sur le base des documents précis visés par une demande d’accès, une appréciation qui tenait à des faits précis et aux circonstances de chaque affaire.

La Cour a conclu que, malgré ce vice de raisonnement, il était loisible au juge de conclure que la preuve dont il disposait était suffisante pour satisfaire à la norme énoncée dans l’arrêt Merck. La Cour suprême du Canada a bien précisé dans l’arrêt Merck « qu’[i]l revient au juge siégeant en révision de décider si la preuve démontre que la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un préjudice du type visé à l’alinéa 20(1)c) ». La Cour suprême du Canada ajoute que la divulgation de renseignements « dont on démontre la longueur d’avance qu’ils confèrent à la concurrence dans le développement de produits concurrents, ou l’avantage concurrentiel qu’ils offrent à cette dernière en ce qui concerne des opérations à venir peut, en principe, satisfaire aux conditions prévues à l’alinéa 20(1)c) ». C’est précisément la conclusion à laquelle le juge est arrivé, en tenant compte de preuves obtenues auprès « de diverses personnes » au sein de l’entreprise par un « cadre de rang très élevé » de Calian, que le juge de première instance a estimé digne de foi et crédible. La Cour a conclu que ces conclusions se situaient dans la gamme de celles que pouvait tirer le juge de première instance et que rien ne justifiait de les remettre en question.

Il en allait de même pour l’exception prévue à l’alinéa 20(1)d). La Cour a statué que le juge avait bien cerné les principes applicables et expliqué clairement que l’obstacle ou le tort causé aux négociations contractuelles ou autres menées par un tiers « doit être probable et non simplement conjectural ». Il a également retenu la thèse suivant laquelle la concurrence plus vive ou la pression accrue de la concurrence ne suffisait pas pour que soit établi un préjudice du type de ceux qui pourraient raisonnablement se produire.

Le juge de première instance a conclu, en appliquant ces principes, qu’il était vraisemblable que deux types de pression jouent en défaveur de Calian et risquent de nuire à ses négociations avec ses employés et d’éventuels fournisseurs, séparément et cumulativement. La Cour a conclu que l’entrave aux négociations contractuelles ou d’une autre nature qui découleraient de la divulgation n’était pas conjecturale, mais reposait sur des éléments de preuve convaincants, crédibles et dignes de foi. Il existe un élément de précision et de conjecture inhérent à l’établissement d’un risque vraisemblable de préjudice probable. Dans la mesure où la prédiction est fondée sur des faits vérifiables, des inférences crédibles et une expérience pertinente, elle est inattaquable. Par conséquent, la Cour a conclu qu’il était loisible au juge de première instance de conclure que Calian pouvait invoquer l’alinéa 20(1)d).

Enfin, la Cour a estimé qu’elle n’avait aucune raison de modifier la conclusion tirée par le juge de première instance en ce qui concerne l’alinéa 20(1)b). Le juge avait conclu à juste titre que, pour établir son droit à l’exception prévue, le demandeur doit satisfaire au critère à quatre volets énoncé dans le jugement Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports). Comme Calian avait consenti à une certaine forme, quoique limitée, de divulgation, Calian n’avait pas été en mesure de satisfaire à l’exigence de l’attente raisonnable de confidentialité de l’information communiquée, étant donné que les taux relatifs au personnel, malgré leur nature confidentielle, avaient été élaborés et communiqués suivant une certaine compréhension de la cause de divulgation qui, aux yeux de Calian, autorisait la divulgation à d’autres ministères.

Ayant conclu que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur susceptible de contrôle pour l’application du paragraphe 20(1), la Cour a convenu avec le juge que TPSGC avait commis une erreur en concluant que les renseignements demandés ne pouvaient pas être assimilés à des renseignements de tiers visés par une exception au sens de la Loi.

Quelle est l'interprétation juste de la clause de divulgation?

La Cour a reconnu qu’il était de jurisprudence constante que l’interprétation des contrats types était une question de droit. Dans la foulée de l’arrêt Ledcor de la Cour suprême du Canada, les attentes raisonnables d’une partie et l’intention subjective de celle-ci n’ont plus leur place dans l’analyse des contrats types. Ces contrats ne résultent pas de réelles négociations entre les parties, de sorte qu’il est illusoire de laisser entendre qu’on peut tirer des conclusions au sujet de la signification de ce type de contrat à partir des circonstances entourant sa formation ou de l’interprétation subjective de l’une ou l’autre des parties. De plus, il est essentiel d’interpréter les contrats types de manière uniforme. L’uniformité et la prévisibilité sont impératives pour assurer l’équité du processus pour tous les soumissionnaires.

La Cour a convenu avec les appelants que la clause de divulgation était très claire. Peu importe qu’elle soit lue de façon isolée ou dans le contexte des conditions générales, elle ne comportait aucune restriction explicite ou implicite quant au type de divulgation auquel consentait le proposant, s’agissant des prix unitaires ou des taux de l’offre à commandes. Cette interprétation va dans le sens de la jurisprudence de la Cour fédérale, qui confirme que ce type de clauses vaut consentement à la divulgation de documents à l’intérieur du gouvernement, mais également au grand public.

Outre le libellé explicite et les principes établis dans ces deux décisions, la Cour a offert d’autres raisons de conclure que la clause de divulgation devait être interprétée comme un consentement implicite à la divulgation non seulement aux institutions gouvernementales, mais également au grand public.

En premier lieu, la LAI n’opère nulle distinction entre la divulgation au sein de l’appareil gouvernemental et la divulgation au public. À défaut d’indication contraire, explicite ou non, il faut présumer que la clause de divulgation prévue dans les conditions générales était censée être conforme à l’esprit et à l’intention de la LAI.

Deuxièmement, la clause de divulgation serait superflue si elle devait être interprétée comme une simple autorisation accordée aux ministères d’échanger entre eux les prix unitaires et les taux énoncés dans une offre à commandes. Il est de jurisprudence constante que les ministères n’ont pas une personnalité juridique distincte de l’État, et qu’ils constituent tout au plus des divisions administratives relevant d’un ministre intervenant pour le compte de l’État. Dans la mesure où les renseignements ne sont visés par aucune restriction législative ou découlant d’une politique à l’égard de leur divulgation au sein du gouvernement qui interdit la communication, rien n’interdit aux ministères d’échanger ce type de renseignements.

La Cour a par conséquent conclu que l’interprétation correcte de la clause de divulgation, qui découlait non seulement de son texte clair explicite, mais également du régime et de l’objet généraux de la Loi, ainsi que des principes de base du droit administratif, était qu’elle autorise la divulgation à la fois au sein du gouvernement et au grand public.

De quelle manière la clause de divulgation interagit-elle avec le régime législatif?

La Cour a conclu que la clause de divulgation emportait consentement à la communication, au grand public, de renseignements par ailleurs visés par une exclusion en vertu de la LAI. Le paragraphe 20(5) permet au responsable d’une institution gouvernementale de divulguer un document même s’il est visé par une des exceptions énumérées au paragraphe 20(1), avec le consentement du tiers à qui les renseignements se rapportent.

La Cour a fait observer qu’il semblait que TPSGC avait interprété la clause de divulgation comme faisant entièrement obstacle aux exceptions relatives aux tiers, la conduisant à conclure qu’il n’y avait aucun pouvoir discrétionnaire résiduel en vertu du paragraphe 20(5) de la LAI. Ni le libellé de la clause ni le régime législatif ne vont dans le sens de cette interprétation. La clause n’a pas pour effet d’empêcher l’application des exceptions énoncées au paragraphe 20(1); elle signifie plutôt que, malgré leur application, le tiers consent à leur divulgation. En acceptant la clause de divulgation, la partie donne tout au plus l’autorisation prévue au paragraphe 20(5) de la LAI. En prévoyant l’application discrétionnaire de cette disposition, le législateur a voulu prévoir sans équivoque que, dans certaines circonstances, le responsable d’une institution gouvernementale peut refuser de divulguer les renseignements demandés, même si on avait consenti à leur divulgation.

Selon la Cour, le cadre approprié dans lequel les paragraphes 20(1) et 20(5) de la LAI doivent être appliqués en présence d’une clause de divulgation de cette nature exige que le responsable d’une institution gouvernementale : i) détermine si les renseignements seraient par ailleurs visés par une exception prévue dans la Loi; ii) décide ensuite si les circonstances militent contre leur divulgation au grand public, indépendamment du consentement donné à cet égard.

L’affaire a été renvoyée à TPSGC pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux motifs de la Cour.

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour d’appel fédérale, à Canada (Commissariat à l’information) c. Calian Ltd., 2017 CAF 135.

6. Construction de défense Canada c. Ucanu Manufacturing Corp.

Cour d’appel fédérale

Référence : 2017 CAF 133

Date de la décision : Le

Disposition de la Loi sur l’accès à l’information : Article 24

  • Article 24 – Interdictions fondées sur d’autres lois
Résumé

La question à savoir si une institution fédérale peut réclamer, en retard, l’application d’une exception obligatoire pour la première fois lors d’une instance de la Cour fédérale est complexe. L’issue peut varier selon chaque cas et elle devrait être appréciée au moyen d’une démarche à plusieurs volets qui tient compte d’un éventail de considérations, notamment l’intérêt à la confidentialité que l’on cherche à protéger. Un dossier de preuve complet est nécessaire.

La Cour fédérale était tenue d’accorder à l’institution fédérale la possibilité de produire des éléments de preuve à l’appui de son allégation tardive quant à l’application de l’exception obligatoire. Cette preuve aurait pu faire la lumière sur la raison pour laquelle l’exception a été demandée à un stade tardif et pour laquelle on devrait permettre qu’elle soit invoquée. La preuve aurait aussi pu expliquer la justification sous-jacente de certains des intérêts à la confidentialité qui sont en jeu. En l’absence de preuve, la Cour fédérale ne pouvait procéder à un examen approprié de cette question, et elle a tout de même rendu une décision à cet égard. Il s’agissait d’une erreur de droit permettant à la Cour d’intervenir.

Questions en litige
  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • Si l’on tient pour acquis que l’article 30 de la Loi sur la production de défense peut être invoqué à un moment tardif, s’applique t-il aux faits en l’espèce (question de fait)?
  • L’article 30 de la Loi sur la production de défense peut-il être invoqué à un stade tardif; en d’autres termes, dans une procédure liée à la Loi sur l’accès à l’information, peut-il être trop tard pour faire valoir une exception obligatoire (question de droit)?
Faits

Ucanu Manufacturing Corp. (Ucanu) a présenté une demande au titre de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) à Construction de défense Canada  en vue d’avoir accès à des documents se rapportant à un marché attribué à une coentreprise en vue de la construction d’un hangar-atelier à la base aérienne de Trenton. Construction de défense Canada a invoqué le paragraphe 19(1) et l’alinéa 20(1)(b) pour refuser de divulguer des parties de l’entente de coentreprise visée par la demande. Ucanu a présenté une plainte au Commissariat à l’information, qui a conclu que les documents non divulgués avaient été soustraits à juste titre à la divulgation. Ucanu a déposé devant la Cour fédérale une demande en vue d’obtenir la divulgation.

Cinq jours avant l’audience de la Cour fédérale, Construction de défense Canada a demandé à la Cour fédérale qu’on lui donne la possibilité de présenter « d’autres éléments [et de] formuler des observations complémentaires » au sujet d’une nouvelle exception obligatoire qui n’avait pas été soulevée (article 24 de la LAI), qui renvoie à l’article 30 de la Loi sur la production de défense (LPD). La Cour fédérale a refusé de faire droit à la demande de Construction de défense Canada et elle lui a uniquement donné la possibilité de présenter des observations à l’audience. Bien que la Cour fédérale ait entendu des arguments en ce qui concerne l’application de l’article 24 de la LAI et de l’article 30 de la LPD, elle a statué que Construction de défense Canada ne pouvait pas faire valoir l’application de l’exception obligatoire, parce qu’il était trop tard pour ce faire, et elle a refusé de tenir compte des arguments soulevés. La Cour fédérale a souscrit à la position de Construction de défense Canada en ce qui a trait à l’applicabilité du paragraphe 19(1), mais elle a rejeté ses arguments en ce qui a trait à l’applicabilité de l’alinéa 20(1)(b) de la LAI, de sorte qu’elle a ordonné que les parties pertinentes de l’entente de coentreprise soit communiquées.

Construction de défense Canada a interjeté appel du refus de la Cour fédérale de se pencher sur la question de l’applicabilité de l’article 24 de la LAI.

Décision

L’appel a été accueilli.

Motifs
Quelle est la norme de contrôle applicable?

La Cour d’appel convient à l’unanimité que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, suivant l’application de l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, puisque la question en litige, par définition, n’a jamais été soulevée devant le décideur administratif. Contrairement aux motifs en dissidence, le jugement de la majorité a conclu à l’existence d’une erreur de droit permettant l’intervention au stade de l’appel.

Si l’on tient pour acquis que l’article 30 de la Loi sur la production de défense peut être invoqué à un moment tardif, s’applique t-il aux faits en l’espèce (question de fait)?

En raison de sa conclusion selon laquelle il était trop tard pour que l’appelante puisse faire valoir l’application de l’exception obligatoire, la Cour fédérale ne s’est pas penchée sur la question de savoir si l’exception obligatoire s’appliquait aux faits de l’espèce.

La décision antérieure de la Cour fédérale selon laquelle elle ne ferait pas droit à la demande de Construction de défense Canada en vue d’obtenir un ajournement pour présenter des éléments de preuve sur un élément important était cruciale à la conclusion de la Cour selon laquelle il était trop tard pour que les appelants puissent soulever l’application de l’article 24 de la LAI. La Cour fédérale avait statué que Construction de défense Canada ne pouvait présenter des éléments de preuve à l’appui de l’application de l’exception obligatoire et pour justifier le fait que l’existence de cette exception est invoquée de manière tardive, parce que la demande pour ce faire avait été présentée trop tard. Il y a une certaine logique circulaire à tout cela. Effectivement, le fait que l’exception obligatoire a été invoquée de manière tardive avait pour effet qu’une demande visant à la production de preuve pouvait uniquement être formulée de manière tardive, et ce retard a été invoqué pour empêcher l’examen de la question de savoir si l’exception pouvait être invoquée tardivement. La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle Construction de défense Canada ne pouvait pas se fonder sur l’exception obligatoire était destinée à l’échec en raison de son refus de faire droit à la demande d’ajournement tardive de Construction de défense Canada – le refus de faire droit à la demande d’ajournement a eu comme effet de décider de la question de fond, sans que la Cour ne se prononce sur la preuve.

La Cour fédérale était tenue d’accorder à Construction de défense Canada la possibilité de produire des éléments de preuve à l’appui de son allégation tardive quant à l’application de l’exception obligatoire. Cette preuve aurait pu faire la lumière sur la raison pour laquelle l’exception a été demandée à un stade tardif et pour laquelle on devrait permettre qu’elle soit invoquée. La preuve aurait aussi pu identifier et expliquer la justification sous-jacente à certains des intérêts à la confidentialité qui sont en jeu. En l’absence de preuve, la Cour fédérale ne pouvait procéder à un examen approprié de cette question, et elle a tout de même rendu une décision à cet égard. Il s’agissait d’une erreur de droit permettant à la Cour d’intervenir.

Bien que la question de l’ajournement n’ait pas été contestée dans l’avis d’appel, il s’agit d’une partie intégrante de l’appel sur le fond; elle ne peut en être dissociée. En fait, la Cour d’appel fédérale en est saisie par déduction nécessaire.

Bien que la Cour fédérale ait entendu les observations des avocats au sujet de l’exception alléguée de manière tardive, et que les parties aient convenu qu’aucune observation écrite supplémentaire n’était nécessaire, la Cour fédérale a seulement autorisé les parties à déposer des observations, et non à produire des éléments de preuve. Des observations de droit supplémentaires n’auraient pas suffi.

La question de savoir si Construction de défense Canada peut alléguer de manière tardive l’application d’une exception obligatoire et, le cas échéant, si l’exception obligatoire est fondée au regard des faits de la présente affaire, a été renvoyée à la Cour fédérale pour que cette dernière rende une nouvelle décision fondée sur le dossier de preuve complet.

En dissidence, le juge Boivin a fait remarquer que l’ordonnance par laquelle la demande d’ajournement était rejetée n’était pas contestée devant la Cour d’appel fédérale et il a conclu que la Cour d’appel fédérale ne devrait pas annuler cette ordonnance. Même si on tient pour acquis qu’il était loisible à la Cour d’appel de trancher cet appel, il ne lui était pas loisible de modifier une décision que juge avait rendu en vertu de son pouvoir discrétionnaire, à moins qu’elle n’ait relevé une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et dominante. D’après la dissidence, il n’y a aucune raison de modifier la décision de la Cour fédérale fondée sur le pouvoir discrétionnaire du juge de rejeter la demande d’ajournement présentée par Construction de défense Canada. En fait, les parties avaient convenu que la Cour fédérale disposait de ce dont elle avait besoin pour trancher la question de l’exception réclamée tardivement. Dans les circonstances, la dissidence a conclu qu’il serait inapproprié d’annuler l’ordonnance en renvoyant l’affaire à la Cour fédérale pour que celle-ci rende une nouvelle décision.

L’article 30 de la Loi sur la production de défense peut-il être invoqué à un stade tardif; en d’autres termes, dans une procédure liée à la Loi sur l’accès à l’information, peut-il être trop tard pour faire valoir une exception obligatoire (question de droit)?

La question de savoir s’il peut être trop tard pour faire valoir l’existence d’une exception obligatoire dans une instance fondée sur LAI est complexe, et les arguments des deux côtés sont convaincants. D’un côté, l’importance du stade de l’enquête qui a lieu après la présentation d’une plainte, que l’on décrit comme étant une « pierre angulaire du système d’accès à l’information ». De l’autre côté, le caractère obligatoire des exceptions elles-mêmes. En fait, il serait étrange que le traitement malencontreux ou négligent d’une demande d’information ait pour effet d’écarter le recours à une exception obligatoire et de permettre qu’un document hautement préjudiciable soit communiqué.

La Cour fédérale a fait remarquer, à juste titre, que la question jurisprudentielle n’a jamais été réglée par la Cour d’appel fédérale. Elle a conclu, seulement en se fondant sur les décisions antérieures de la Cour fédérale, qu’il était trop tard pour réclamer l’application de l’exception obligatoire. Toutefois, les décisions antérieures de la Cour fédérale invoquées par la Cour fédérale ne se penchent pas de manière exhaustive sur la question jurisprudentielle. Les précédents ne contenaient pas un examen complet du libellé de la Loi, interprété à la lumière de son contexte et de son objet.

Il serait malavisé, à ce stade-ci du développement de la jurisprudence, d’exprimer une opinion définitive et contraignante à caractère permanent quant à la question jurisprudentielle dans la présente affaire. Il s’agit d’une question à l’égard de laquelle les enjeux sont importants et dont les ramifications sont nombreuses, profondes, voire même risquées. Il y a aussi certaines questions liées au critère élaboré par le Commissaire à l’information qui nécessitent un examen approfondi, des observations complètes ainsi que les avantages que procurent des jugements de la Cour fédérale. D’ici à ce que la question jurisprudentielle soit réglée de manière complète, il serait absurde de s’y attaquer, même partiellement, par l’intermédiaire d’un jugement isolé. En l’espèce, nous ne connaissons pas les intérêts de l’appelant en matière de confidentialité, parce qu’on ne lui a pas permis de produire des éléments de preuve à l’appui de l’application de l’exception obligatoire. Enfin, la liste des institutions et ministères du gouvernement que l’on trouve à l’annexe II de la Loi est longue, et l’éventail des intérêts en matière de confidentialité qui sont reconnus par le législateur est vaste. Pour régler la question jurisprudentielle, la Cour devra prendre connaissance de la totalité de ces intérêts et institutions. Pour les motifs ci-dessus, les juges de la majorité se sont abstenus de trancher la question jurisprudentielle dans cette affaire.

En dissidence, le juge Boivin a conclu qu’il est du devoir de la Cour d’appel de trancher l’appel dont elle est saisie. Le consensus qui émerge dans la jurisprudence est qu’une institution fédérale ne peut pas alléguer de manière tardive l’application d’une exception, y compris une exception obligatoire, si elle ne l’a pas soulevée devant le Commissaire à l’information au cours de l’enquête. Il en est ainsi afin de préserver le droit d’accès quasi constitutionnel de la personne qui présente la demande et le premier niveau d’examen indépendant du Commissaire à l’information. Compte tenu de l’objectif et de l’économie générale de la LAI, et pour donner effet au rôle et au mandat du Commissaire à l’information qui ont été confirmés par le législateur, le principe général selon lequel les exceptions obligatoires ne peuvent pas être réclamées de manière tardive est raisonnable, même si des exceptions pourraient être admises dans certaines circonstances limitées.

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour d’appel fédérale, à Construction de défense Canada c. Ucanu Manufacturing Corp., 2017 CAF 133.

Loi sur la protection des renseignements personnels

Cour fédérale du Canada

7. O’Grady c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale du Canada

Référence : 2017 CF 167

Date de la décision : Le

Dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Alinéas 7a) et 8(2)a)

  • Alinéa 7a)  ̶  Usage des renseignements personnels
  • Alinéa 8(2)a)  ̶  Communication des renseignements personnels, usages compatibles
Résumé

La preuve démontre clairement que les renseignements personnels de la Mme O’Grady n’ont pas été inclus dans l’étude qui fait l’objet de la présente requête en révision et Mme O’Grady n’a donc pas qualité pour introduire cette requête.

Même si Mme O’Grady avait qualité pour introduire une requête, aucun renseignement personnel n’a été et ne sera divulgué à l’extérieur de Statistique Canada, dans le cadre de la réalisation de l’étude.

Statistique Canada n’aurait pas pu envisager, lors du recensement de 1996 ou du recensement de 2006, de réaliser l’étude de 2011 proposée par l’Université McGill. Toutefois, le concept d’« usage compatible » permet de surmonter les difficultés évidentes qui surviendront au fil du temps lorsque nous tenterons de déterminer si l’utilisation des renseignements fournis dans le cadre de cette étude est permise en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP).

L’objectif de l’étude est d’analyser et de déterminer les tendances relatives à la santé périnatale, afin d’orienter l’élaboration de politiques sociales et en matière de santé. L’objectif de l’étude semble conforme au but du recensement, qui est de recueillir des données qui serviront à élaborer des programmes ou des services en matière de santé, ainsi qu’avec le mandat de Statistique Canada, qui est de recueillir, d’analyser et de publier des renseignements statistiques, y compris des statistiques sur la santé des Canadiens. L’utilisation des renseignements personnels recueillis dans le cadre du recensement, aux fins de l’étude de 2011, constitue donc un usage compatible.

Questions en litige
  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • Mme O’Grady a-t-elle qualité pour introduire une requête en révision?
  • Le décideur a-t-il utilisé son pouvoir discrétionnaire d’une façon contraire au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la statistique ou à la Loi sur la protection des renseignements personnels?
Faits

Statistique Canada est un organisme statistique qui a pour mandat de recueillir, d’analyser, de colliger et de publier de l’information statistique sur les activités et les situations sociales et générales des Canadiens. Dans le cadre de ce mandat, Statistique Canada réalise un recensement de la population canadienne tous les cinq ans. Lors de cette analyse, Statistique Canada utilise le couplage d’enregistrements, qui consiste à regrouper deux ou plus de deux micro-enregistrements afin d’en faire un enregistrement combiné.

En 2011, Statistique Canada et l’Université McGill ont conclu une lettre d’entente pour réaliser une étude dont l’objectif serait d’évaluer la mortalité infantile et la santé des nouveau-nés en examinant les résultats périnataux au Canada, en fonction de divers facteurs de risque. Dans le cadre de l’étude, le couplage d’enregistrements a été utilisé afin de lier les renseignements de la base de données nationale sur les naissances aux renseignements recueillis dans le cadre des recensements de 1996 et de 2006. Afin de réduire l’atteinte à la vie privée, le couplage d’enregistrements fut effectué conformément à l’article 6 de la Loi sur la statistique par les employés de Statistique Canada, ou toute personne réputée être employée par Statistique Canada, et les identificateurs personnels directs ont été éliminés des enregistrements combinés avant que ceux-ci ne soient mis à la disposition de McGill. Les enregistrements combinés ne devaient également être consultés que dans les locaux de Statistique Canada. De plus, on a publiquement annoncé l’usage du couplage d’enregistrements sur le site Web de Statistique Canada.

Les personnes nées entre 1985 et 2010 et dont la mère est canadienne pouvaient être incluses dans l’étude. Étant donné que Mme O’Grady a donné naissance en Ontario entre 1986 et 1996, les renseignements recueillis sur celle-ci lors des recensements auraient pu être utilisés dans le cadre de l’étude. Toutefois, les dossiers de naissance de l’Ontario datant de 1994 à 1996, y compris le dossier Mme O’Grady, ont été exclus de l’étude en raison de doutes quant à la qualité des données.

Mme O’Grady a déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, qui a déterminé que Statistique Canada n’avait pas fait un usage abusif des renseignements personnels de Mme O’Grady.

Mme O’Grady demande une révision judiciaire de la lettre d’entente conclue entre Statistique Canada et McGill, en vertu de laquelle McGill devait payer 380 000 $ à Statistique Canada afin de réaliser un couplage d’enregistrements et d’analyser les données du recensement.

Décision

La demande a été rejetée. Les coûts seront précisés dans une ordonnance supplémentaire.

Motifs
Norme de contrôle

Mme O’Grady souhaite que soit révisée la décision du statisticien en chef de conclure l’entente avec McGill ayant donné lieu à l’étude. Cette demande soulève des questions mixtes de fait et de droit, qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

Qualité pour agir

Mme O’Grady demande un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Toutefois, cette demande n’est pas présentée « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Mme O’Grady n’a pas qualité pour présenter cette demande. La preuve démontre clairement que les dossiers de Mme O’Grady n’ont pas été inclus dans l’étude.

Mme O’Grady a tenté de pallier ce défaut en prétendant à un certain type de qualité pour agir dans l’intérêt public. La qualité pour agir dans l’intérêt public n’est pas accordée à tous. Divers facteurs doivent être pris en compte : « En somme, les règles de droit relatives à la qualité pour agir tirent leur origine de la nécessité d’établir un équilibre “entre l’accès aux tribunaux et la nécessité d’économiser les ressources judiciaires” », Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45.

La situation de Mme O’Grady n’est pas représentative de toutes les personnes dont les renseignements ont été utilisés. On ne peut réellement trancher les questions qu’elle soulève et défend qu’au moyen d’un ensemble de faits comprenant un demandeur ou des demandeurs qui ont été directement touchés ou pourraient être directement touchés par l’étude lorsqu’elle sera publiée. Aucun renseignement personnel n’a encore été communiqué; il n’est donc pas clair, à ce stade, ce qui sera ou pourrait être communiqué et pourrait ainsi faire l’objet d’une plainte de la part des personnes dont les dossiers faisaient partie du couplage d’enregistrements. Il serait risqué pour la Cour de tenter de se prononcer sur des questions complexes en l’absence d’un dossier approprié à cette fin.

Aucune divulgation des renseignements personnels et aucune nouvelle utilisation des renseignements personnels

Parallèlement, même si Mme O’Grady avait qualité pour présenter cette demande, le dossier démontre clairement qu’aucun renseignement personnel n’a été divulgué dans cette affaire, non seulement en ce qui concerne les dossiers de Mme O’Grady qui n’ont pas été utilisés, mais également en ce qui concerne les personnes dont les dossiers ont été utilisés.

Mme O’Grady s’appuie fortement sur l’alinéa 17(1)b), le paragraphe 17(2) et l’article 18.1 de la Loi sur la statistique. Pourtant, dû aux faits de l’affaire, aucune de ces dispositions n’entre en jeu et n’a d’incidence, que ce soit pour Mme O’Grady ou pour toute personne dont les dossiers ont été effectivement utilisés. Cela s’explique par le fait qu’aucune information obtenue en vertu de la Loi sur la statistique n’a été divulguée de façon à enfreindre l’alinéa 17(1)b). Par conséquent le paragraphe 17(2) n’entre pas en jeu. Mme O’Grady n’a également pas démontré comment l’article 18.1 de la Loi sur la statistique pouvait s’appliquer à la présente situation. Cet article traite de la divulgation publique de renseignements obtenus par voie de recensement, 92 ans après leur collecte.

Mme O’Grady tente de réfuter la preuve voulant qu’aucun renseignement personnel n’ait été divulgué par Statistique Canada dans le cadre de l’étude, en affirmant que des « identificateurs indirects » entraînent un « risque possible » que l’identité des participants soit révélée, mais elle n’a pas démontré de façon convaincante à l’aide de preuves comment cela pourrait se produire.

Seuls les employés et les personnes réputées être employées de Statistique Canada et ayant le besoin de connaître, avaient accès aux données brutes, et ce sont eux qui ont procédé au couplage d’enregistrements. Les données liées ont ensuite été conservées au sein des locaux de Statistique Canada et, encore une fois, elles n’étaient accessibles qu’aux employés ou aux personnes réputées être employées de Statistique Canada. Les chercheurs de l’étude n’ont pu voir que des données agrégées non confidentielles. L’affirmation que la réception des codes postaux par les chercheurs de l’étude rende possible l’identification des personnes n’est qu’une simple hypothèse avancée par Mme O’Grady. Cette dernière n’a présenté aucune preuve, devant la cour, démontrant comment cela pourrait être réalisé. En outre, aucun renseignement personnel, y compris les codes postaux, n’a encore été révélé à une personne externe à Statistique Canada et à ceux qui ont ratifié des ententes de confidentialité à titre de personnes réputées être employées en vertu de la Loi sur la statistique.

L’invocation de l’alinéa 8(2)a) de la LPRP par Mme O’Grady est injustifiée puisqu’aucun renseignement personnel n’a été divulgué dans le cadre de l’étude. La question dans cette affaire est de déterminer si, en vertu de l’alinéa 7a) de la LPRP, l’information du recensement a été utilisée « pour les usages qui sont compatibles » aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou préparés.

La Cour suprême du Canada a défini le critère de l’« usage compatible » dans l’affaire Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13 : « Pour qu’il soit visé par l’al. 8(2)a) de la LPRP, l’usage n’a pas à être identique aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis; il n’a qu’à être compatible avec celles-ci […] il suffit qu’il existe un lien suffisamment direct entre les fins et l’usage projeté de sorte qu’il serait raisonnable que l’employé s’attende à ce que les renseignements soient utilisés de la manière proposée. »

Il est clair que Statistique Canada n’a pas pu envisager que cette étude serait réalisée, à l’époque où le recensement de 1996 ou celui de 2006 a été effectué. Les données recueillies lors de ces recensements n’ont donc pas été obtenues expressément pour l’étude en question. Cela dit, dans la mesure où cette dernière a pour but de compiler et d’analyser des statistiques liées à la santé et au bien-être des Canadiens, elle respecte l’objectif des recensements (soutenir l’élaboration de politiques des gouvernements, ainsi que les utilisateurs des données au sein du secteur privé), de même que le mandat de Statistique Canada, qui consiste à recueillir, à analyser et à publier des renseignements statistiques. L’étude répond au critère de l’« usage compatible » énoncé dans l’affaire Bernard. Cela signifie que cette dernière est conforme à l’article 7 de la LPRP.

Mme O’Grady n’a pas démontré que les données du recensement ont été utilisées pour un usage incompatible ou que des renseignements personnels ont été divulgués. Elle n’a pas prouvé que des informations autres que les données agrégées non confidentielles seront rendues publiques, une fois l’étude terminée.

Mme O’Grady affirme que Statistique Canada a modifié l’équilibre fondamental établi en vertu de la Loi, en utilisant des renseignements personnels sans avoir obtenu de consentement, et soutient que cela porte atteinte au processus démocratique, dans la mesure où cela va à l’encontre des visées du législateur. Cependant, la réponse ici est qu’au moment où un recensement est effectué, il est impossible de déterminer quelles études seront réalisées ultérieurement dans le domaine de la santé, et qu’il n’est pas nécessaire, pour le bien public, d’exiger le consentement de toute la population ayant participé au recensement chaque fois qu’une nouvelle étude est proposée; le législateur n’a d’ailleurs jamais eu l’intention qu’il en soit ainsi. Le statisticien en chef n’a pas modifié la loi ni bouleversé l’équilibre qu’il est nécessaire de maintenir, selon le législateur et la Cour suprême du Canada, dans de telles situations. Le statisticien en chef a agi en conformité avec le mandat de Statistique Canada et la loi, en vertu de laquelle aucun consentement supplémentaire n’a besoin d’être obtenu s’il s’agit d’un usage compatible. Dans les faits, il s’agit là d’un usage compatible et aucun renseignement personnel n’a été ou ne sera divulgué. 

La décision peut être consultée à partir du site Web des décisions de la Cour fédérale, à O’Grady c. Canada (Procureur général), 2017 CF 167.

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