Info Source : Bulletin 46A - Sommaire des décisions des Cours fédérales
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Dans les sommaires ci‑après, vous trouverez l’expression « contrôle judiciaire. » Il s’agit d’un mécanisme permettant aux tribunaux d’examiner les décisions administratives rendues par les fonctionnaires, y compris les positions adoptées par les commissaires à l’information et à la protection de la vie privée du Canada.
Loi sur l’accès à l’information
Titres de la section
Cour fédérale du Canada
1. John Howard Society of Canada v. Canada (Public Safety)
Cour fédérale du Canada
Référence : 2022 FC 1459
Lien : John Howard Society of Canada v. Canada (Public Safety) (en anglais seulement)
Date de la décision : 25 octobre 2022
Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Article 3, paragraphe 19(1) et (2), article 25, paragraphe 41(1), article 44.1, paragraphe 48(1) et article 49
- Article 3 - Définitions
- Paragraphe 19(1) - Renseignements personnels
- Paragraphe 19(2) - Cas où la divulgation est autorisée
- Article 25 - Prélèvements
- Paragraphe 41(1) - Révision par la Cour fédérale - plaignant
- Article 44.1 - Révision de novo
- Paragraphe 48(1) - Charge de la preuve - paragraphes 41(1) et (2)
- Article 49 - Ordonnance de la Cour dans les cas où le refus n’est pas autorisé
Dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Article 3
- Article 3 - Définitions - Renseignements personnels
Points opérationnels à retenir
- Les institutions fédérales ne peuvent pas universellement traiter toutes les écritures manuscrites des détenus comme des renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI). La question de savoir si l’écriture est un renseignement personnel est intrinsèquement contextuelle et propre aux faits.
- Le critère approprié pour déterminer si les informations concernent un individu identifiable est énoncé dans Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258 au par. 34.
- « Les renseignements concernent une personne identifiable lorsqu’il existe une possibilité sérieuse qu’une personne puisse être identifiée au moyen de ces renseignements, seuls ou combinés à d’autres renseignements disponibles. »
- L’évaluation de la question de savoir si les informations manuscrites « concernent » une personne identifiable « dépendra nécessairement des faits particuliers, notamment du type d’informations en question, du contexte dans lequel elles apparaissent dans les documents en question et de la nature des autres informations disponibles. »
- Une « possibilité sérieuse » signifie « une possibilité qui dépasse la spéculation ou une simple possibilité », et n’a pas besoin d’atteindre le niveau de « plus probable qu’improbable. »
- Les informations disponibles ne sont pas simplement des « informations accessibles au public », c’est quelque chose de plus que cela (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2019 CF 1279 au par. 65).
Résumé
Tout examen de la question de savoir si l’écriture manuscrite est un renseignement personnel est intrinsèquement contextuel et fonction des faits. Par conséquent, le fait que des documents sont écrits à la main n’est pas en soi déterminant quant à savoir s’ils constituent des renseignements personnels au titre de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP).
Dans le cas des décisions prises au titre du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information (LAI), les éventuels recours doivent être entendus et jugés comme une nouvelle affaire, mais pour ce qui est des décisions visées au paragraphe 19(2) de la LAI, la norme de contrôle applicable est plutôt celle de la décision raisonnable, malgré l’article 44.1 de la LAI, parce qu’il serait illogique d’effectuer une révision de novo relativement à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
Questions en litige
- Les écritures manuscrites de détenus font-elles partie des « renseignements personnels » visés par l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI?
- Le Service Correctionnel Canada (SCC) avait-il raison de refuser de communiquer les renseignements en cause au titre de l’exception prévue au paragraphe 19(2) de la LAI?
- Le SCC avait-il la responsabilité, au titre de l’article 25 de la LAI, de prélever les renseignements non visés par l’exception et de les communiquer à la Société John Howard du Canada (Société John Howard)?
Faits
La Société John Howard a demandé que le SCC lui fournisse des copies anonymisées de tous les griefs de détenus concernant des agents correctionnels ne portant pas de masque à l’Établissement de Bath entre le 1er avril et le 15 octobre 2020. Le SCC a répondu à la demande par la communication d’un ensemble de documents de 65 pages. Tout en communiquant deux griefs dactylographiés, le SCC a refusé de communiquer huit griefs manuscrits et tout autre document écrit à la main, estimant que les parties manuscrites constituaient des renseignements personnels visés au paragraphe 19(1) de la LAI.
La Société John Howard a ensuite déposé une plainte auprès de la commissaire à l’information, soutenant que l’exception visée au paragraphe 19(1) de la LAI avait été appliquée abusivement. Le 23 novembre 2021, la commissaire à l’information a conclu que la plainte n’était pas fondée et que les griefs écrits à la main étaient couverts par la définition de renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP. Elle a aussi conclu que les griefs écrits à la main constituaient à la fois des renseignements identificatoires et des renseignements de nature implicitement ou explicitement privée ou confidentielle. La Société John Howard a ensuite exercé un recours en révision en vertu du paragraphe 41(1) de la LAI.
Décision
La Cour fédérale a accueilli le recours en révision judiciaire et renvoyé l’affaire pour qu’un décideur différent rende une nouvelle décision. Elle a aussi ordonné au SCC de verser 3 500 $ au titre des dépens.
Motifs
Norme de contrôle
La Cour a conclu que les recours en révision contre les décisions prises au titre du paragraphe 19(1) de la LAI doivent être entendus et jugés comme une nouvelle affaire. Cependant, elle a aussi conclu que malgré l’article 44.1 de la LAI, la norme de contrôle applicable aux décisions visées au paragraphe 19(2) de la LAI est celle de la décision raisonnable, parce que [traduction] « il serait illogique d’effectuer une révision de novo relativement à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. » De plus, elle a fait remarquer que le fardeau de la preuve incombe au SCC pour ce qui est de justifier son refus de communiquer les documents visés.
Renseignements personnels - paragraphe 19(1) de la LAI
La jurisprudence de la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il faut donner une interprétation large à la définition de renseignements personnels, et que la LAI et la LPRP doivent fonctionner comme un code homogène. La Cour s’est appuyée sur la décision Gordon c. Canada (Santé), 2008 FC 258 (Gordon), pour déterminer le critère à appliquer afin d’établir si l’information concerne un individu identifiable. Dans cette décision, la Cour a convenu que « les renseignements seront des renseignements concernant un individu identifiable lorsqu’il y a de fortes possibilités que l’individu puisse être identifié par l’utilisation de ces renseignements, seuls ou en combinaison avec des renseignements d’autres sources » (soulignement ajouté). La Cour a expliqué qu’il s’agit d’une analyse axée sur les faits qui dépend du contexte de chaque affaire.
Pour conclure à l’existence de « fortes possibilités » d’identification, il faut davantage que des spéculations ou une simple possibilité, mais le SCC n’a pas besoin de prouver qu’une éventuelle identification serait particulièrement probable dans les circonstances. La Cour a aussi fait remarquer l’absence de décision publiée dans laquelle un tribunal aurait évalué si l’écriture manuscrite particulière d’un individu donné constitue un renseignement personnel. Bien que plusieurs commissaires provinciaux à la protection de la vie privée aient conclu que l’écriture manuscrite d’un individu peut constituer un renseignement personnel, les décisions à cet égard ont toutes été prises par rapport à la situation d’un seul individu. Or, en l’espèce, les circonstances factuelles sont sensiblement plus larges et englobent un grand nombre de personnes et de documents, ce qui vient diminuer la probabilité d’identification.
La Cour a donc jugé que l’identification de détenus à partir de leurs griefs écrits à la main était surtout spéculative. Elle a conclu que le risque d’identification ne menaçait pas la sécurité des détenus et que la probabilité d’identification était trop ténue. Pour qu’une personne soit en mesure d’identifier un détenu à partir d’un grief manuscrit, il lui faudrait avoir accès au grief ainsi qu’à un autre échantillon d’écriture manuscrite du détenu, et avoir une compétence suffisante en graphologie judiciaire. De plus, il n’est pas garanti que le détenu ayant formulé le grief l’a écrit lui-même, puisque les taux d’analphabétisme sont disproportionnellement élevés dans les prisons.
La Cour a ensuite évalué s’il y avait « des renseignements d’autres sources » qui pouvaient concourir à l’identification, conformément à la deuxième étape du critère énoncé dans la décision Gordon. Elle a souligné que cette étape de l’analyse exige d’examiner [traduction] « le type d’information en cause, le contexte dans lequel cette information se présente dans les documents en cause, et la nature des autres éléments d’information disponibles. » La Cour a ensuite précisé ce qui peut ou non être considéré comme de l’information disponible. Elle a fait savoir que cela n’inclut pas les documents de l’administration fédérale qui sont tenus confidentiels et ne se limite pas à l’information accessible au public, et que la capacité d’une personne de s’identifier à partir d’éléments d’information ne fait pas de ceux-ci des renseignements personnels. La Cour a ultimement conclu que rien ne démontrait qu’il existait quelque chose de plus qu’une simple possibilité d’identification. Par conséquent, elle a jugé que le SCC n’avait pas réussi à prouver que les écritures manuscrites de détenus constituaient des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP.
Exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire - paragraphe 19(2) de la LAI
La Cour a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer si le SCC avait exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 19(2) de la LAI, puisqu’elle avait conclu que les griefs manuscrits ne constituaient pas des renseignements personnels. Néanmoins, elle a souligné qu’elle aurait aussi jugé déraisonnable que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé, puisque le dossier ne permettait pas de déterminer comment le SCC appliquait le critère relatif au paragraphe 19(2) de la LAI.
La Cour n’a pas évalué la question du prélèvement prévu à l’article 25 de la LAI.
2. Kimery c. Canada (Justice)
Cour fédérale du Canada
Référence : 2022 CF 829
Lien : Kimery c. Canada (Justice)
Date de la décision : 6 juin 2022
Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Alinéa 30(1)a), article 41 (avant les modifications de 2019), paragraphe 41(1) (après les modifications de 2019) et article 44.1
- Alinéa 30(1)a) - Réception des plaintes et enquêtes
- Article 41 - Révision par la Cour fédérale (avant les modifications de 2019)
- Paragraphe 41(1) - Révision par la Cour fédérale - plaignant (après les modifications de 2019)
- Article 44.1 - Révision de novo
Points opérationnels à retenir
- À l’exception peut‑être des circonstances les plus flagrantes, telles que l’existence d’une preuve que l’intégrité des documents a été compromise ou qu’une institution fédérale a par ailleurs agi de mauvaise foi en répondant à une demande d’information, le rôle que confère la Loi sur l’accès à l’information (LAI) à la Cour ne consiste pas à ordonner à l’institution fédérale concernée d’effectuer une nouvelle recherche ou une recherche plus approfondie des dossiers (voir Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189 aux pars. 35-36).
Résumé
Lorsqu’une institution répond qu’il n’existe aucun document répondant à la demande, cela vaut décision de refus de communication et permet au demandeur d’exercer un recours en révision en vertu de l’article 41 de la LAI.
La requête en révision judiciaire a été rejetée. Dans le cadre de la LAI, le rôle principal de surveillance appartient au commissaire à l’information. Il n’appartient pas à la Cour d’ordonner et de superviser la collecte de documents détenus par les responsables des institutions fédérales ou d’examiner la façon dont les institutions fédérales répondent aux demandes de communication, à l’exception peut-être des cas flagrants d’irrégularité où l’on constate par exemple qu’une institution fédérale a fait preuve de mauvaise foi ou porté atteinte à l’intégrité des documents.
Questions en litige
- La Cour a-t-elle compétence pour instruire le recours?
- Dans l’affirmative, y a-t-il lieu d’accorder la réparation sollicitée par M. Kimery dans les circonstances de l’affaire?
Faits
Le 6 août 2016, M. Kimery a présenté une demande de communication au ministère de Justice du Canada (Justice Canada) visant à obtenir les registres comptables faisant état du temps investi et des dépenses engagées par un procureur de la Couronne relativement à une enquête ainsi qu’à une poursuite intentée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) à l’égard de Gunner Industries Ltd. M. Kimery est d’avis que les renseignements demandés sont utiles pour faire valoir une défense fondée sur la Charte dans la poursuite contre Gunner Industries Ltd., dans la mesure où ils indiquent la chronologie des activités liées à l’enquête menée.
Le 22 septembre 2016, le Ministère de la Justice Canada a répondu qu’aucun des documents demandés n’existait. Dans sa lettre, le Ministère de la Justice Canada a ajouté que la demande pourrait concerner davantage le Service des poursuites pénales du Canada.
Le 26 septembre 2016, M. Kimery a déposé une plainte auprès du commissaire à l’information, dans laquelle il alléguait l’existence de documents visés par sa demande qui relevaient du ministère de la Justice Canada, même si ce dernier avait affirmé qu’aucun des documents demandés n’existait. Le 21 février 2020, le commissaire à l’information a conclu que la plainte n’était pas fondée et a informé le demandeur de son droit d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale en vertu de l’article 41 de la LAI. Le 5 mars 2020, M. Kimery a déposé son avis de demande de révision judiciaire à la Cour fédérale.
Décision
La Cour fédérale a rejeté le recours exercé en vertu du paragraphe 41(1) de la LAI. Sauf peut-être dans les cas flagrants d’irrégularité où l’on constate par exemple qu’il y a eu atteinte à l’intégrité des documents ou qu’une institution fédérale a répondu de mauvaise foi à une demande de communication, la LAI ne permet pas à la Cour d’ordonner à l’institution concernée d’effectuer une meilleure recherche ou une recherche plus approfondie.
Motifs
La Cour a-t-elle compétence pour instruire le recours?
La Cour a statué qu’elle avait compétence pour instruire le recours exercé en vertu de l’article 41 de la LAI. Elle a conclu que la réponse d’une institution selon laquelle un document n’existe pas vaut décision de refus de communication au titre de l’alinéa 30(1)a) de la LAI, ce qui permet au demandeur d’exercer un recours en révision devant la Cour fédérale en vertu de l’article 41 de la LAI.
Dans l’affirmative, y a-t-il lieu d’accorder la réparation sollicitée par M. Kimery dans les circonstances de l’affaire?
La Cour a statué qu’elle ne peut pas ordonner à une institution fédérale d’effectuer une meilleure recherche ou une recherche plus approfondie, sauf peut-être dans les cas flagrants d’irrégularité où l’on constate par exemple qu’il y a eu atteinte à l’intégrité des documents ou que l’institution fédérale a fait preuve de mauvaise foi. En évoquant la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Blank c. Canada, 2016 CF 189, au par. 36, la Cour fédérale a fait remarquer que le rôle principal de surveillance au titre de la LAI appartient au commissaire à l’information, et que le pouvoir de révision de la Cour est étroitement circonscrit, se limitant à ordonner la communication de documents particuliers lorsque celle-ci a été refusée en contravention à la LAI. Selon la preuve dont dispose la Cour, notamment en ce qui concerne les efforts déployés par Justice Canada afin de trouver des documents répondants à la demande, et l’absence de preuve de comportement inapproprié ou de mauvaise foi de la part de l’institution fédérale, il n’y a tout simplement pas de fondement en fait et en droit qui permettrait à la Cour d’ordonner au ministère de Justice Canada d’effectuer une meilleure recherche qui serait plus approfondie.
3. Lambert c. Canada (Patrimoine)
Cour fédérale du Canada
Référence : 2022 CF 553
Lien : Lambert c. Canada (Patrimoine)
Date de la décision : 19 avril 2022
Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Article 6, paragraphe 10(1), alinéas 30(1)a) à e), articles 41 et 44.1 et alinéa 68a)
- Article 6 - Demandes de communication
- Paragraphe 10(1) - Refus de communication
- Alinéas 30(1)a) à e) - Réception des plaintes et enquêtes
- Article 41 - Révision par la Cour fédérale
- Article 44.1 - Révision de novo
- Alinéa 68a) - Non-application de la présente partie
Points opérationnels à retenir
- La Loi sur l’accès à l’information (LAI) permet au demandeur de demander l’accès à des documents qui sont en possession d’une institution fédérale. Elle ne lui permet pas d’exiger du gouvernement qu’il désigne l’autorité législative responsable de ses actions, une demande qui équivaut en fait à une demande d’avis ou de position juridique.
- Rien n’empêche une institution fédérale de fournir des réponses utiles aux questions, ou même d’indiquer les lois pertinentes en réponse à une demande d’accès à l’information. Ce qui était en cause en l’espèce, c’était de savoir si la LAI impose une obligation à une institution fédérale de le faire. La LAI n’impose pas une telle obligation.
- Le dossier établit que Patrimoine canadien a conclu qu’il ne possédait aucun document répondant à la demande. Bien que cela aurait pu être indiqué plus clairement dans la réponse écrite à la demande d’accès, le dossier ne fournit aucune base permettant de remettre en question cette conclusion, et la Cour ne peut pas ordonner au ministre de produire quelque chose qu’il ne possède pas.
- Les lois sont des « documents publiés » et la partie 1 de la LAI ne s’applique donc pas à elles, conformément à l’alinéa 68a) de la LAI.
- L’expression « n’existe pas » à l’alinéa 10(1)a) de la LAI doit être comprise comme signifiant [TRADUCTION] « n’existe pas dans les dossiers de l’institution fédérale » plutôt que nécessairement [TRADUCTION] « n’existe nulle part. »
- Lorsqu’un refus d’accès est fondé sur l’inexistence de documents, la pratique exemplaire consiste à indiquer expressément que l’institution fédérale ne dispose d’aucun document répondant à la demande d’accès.
- La demande sollicitait exclusivement des documents qui, qu’ils existent ou non, seraient des documents publiés et exclus de l’application de la LAI (paragraphe 68a) de la LAI).
Résumé
La requête en révision judiciaire a été rejetée. La Cour avait compétence pour instruire la demande de M. Lambert, mais, sur le fond, il n’y avait pas lieu de rendre les ordonnances demandées par celui-ci.
Questions en litige
- La Cour a-t-elle compétence pour instruire la présente demande?
- Dans l’affirmative, y a-t-il lieu de rendre les ordonnances demandées par M. Lambert?
Faits
M. Lambert avait soumis une demande d’accès à des documents au ministère du Patrimoine canadien (Patrimoine canadien), en vertu de la LAI. Le contexte de la demande était le projet « Zibi », pour le développement de l’île de la Chaudière et de l’île Albert. M. Lambert demandait des copies des lois fédérales se rapportant au statut juridique des îles ou à l’autorité permettant d’autoriser leur développement.
En réponse, Patrimoine canadien lui a indiqué de communiquer avec la Commission de la capitale nationale et le ministère des Services publics et Approvisionnement Canada, car ils pourraient peut-être détenir des documents relatifs à sa demande, et aussi, lui a fourni un lien vers le décret et deux documents qui ont été communiqués dans le cadre d’une demande précédente.
M. Lambert, insatisfait de la réponse, a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada (CI). Le CI a conclu que sa plainte n’était pas fondée. M. Lambert a alors exercé un recours en révision en vertu de l’article 41 de la LAI.
Décision
La Cour a compétence pour instruire la demande qui concerne effectivement un refus de communication des documents relevant de l’institution fédérale. En même temps, il n’y a pas lieu de rendre les ordonnances demandées par M. Lambert.
Motifs
Compétence
Dans le cas présent, il faut appliquer l’alinéa 30(1)a) de la LAI - qui porte sur les refus -, et non les alinéas b) à e), qui concernent respectivement les frais excessifs, les prorogations abusives, la traduction, les supports de substitution, et le répertoire ou le bulletin visés à l’article 5 de la LAI.
Aux termes du paragraphe 10(1) de la LAI, le fait d’affirmer que le document demandé n’existe pas dans les dossiers de l’institution constitue effectivement un refus de communication. La réponse de Patrimoine canadien informait implicitement M. Lambert qu’aucun document relevant du ministère ne répondait aux demandes en question.
La plainte déposée par M. Lambert auprès du CI contestait cette [traduction] « recherche incomplète/réponse négative » et constituait une plainte au titre de l’alinéa 30(1)a) de la LAI, puis M. Lambert a reçu un compte rendu au sujet de sa plainte en application du paragraphe 37(2) de la LAI. Il est donc un plaignant aux termes du paragraphe 41(1) de la LAI, et la Cour avait compétence pour entendre cette demande.
Refus de communication des documents
Il n’y a pas lieu de rendre les ordonnances demandées par M. Lambert. Patrimoine canadien a établi qu’il était autorisé à refuser la communication des documents.
La LAI établit un droit d’accès aux documents, et non le droit d’exiger du gouvernement qu’il fournisse au demandeur un avis juridique, qu’il exprime une position juridique ou qu’il justifie juridiquement ses propres actions.
L’article 6 de la LAI exige que la demande de communication soit « rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux. » S’il est nécessaire d’effectuer une analyse juridique pour déterminer l’effet juridique d’une loi, cela dépasse la portée de ce que prévoit l’article 6 de la LAI.
De plus, puisque la preuve montre qu’aucun document relevant de Patrimoine canadien ne répondait aux demandes en question, la Cour n’a aucune raison d’ordonner la production des documents demandés.
Par ailleurs, les documents demandés sont des lois canadiennes, et celles-ci constituent des documents publiés ou publiquement offerts à l’achat, et qui sont, ainsi, exclues de l’obligation de communication, par application de l’alinéa 68a) de la LAI.
Loi sur la protection des renseignements personnels
Titres de la section
Cour fédérale du Canada
1. Barre c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale du Canada
Référence : 2022 CF 1078
Lien : Barre c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Date de la décision : 20 juillet 2022
Dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Paragraphe 12(1), sous-alinéa 22(1)a)(ii), alinéa 22(1)b), paragraphe 22(2) et articles 41 et 47
- Paragraphe 12(1) - Droit d’accès
- Sous-alinéa 22(1)a)(ii) - Enquêtes
- Alinéa 22(1)b) - Enquêtes
- Paragraphe 22(2) - Fonctions de police provinciale ou municipale
- Article 41 - Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication
- Article 47 - Charge de la preuve
Autre(s) disposition(s) :
Loi sur la preuve au Canada, art. 37
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, art. 109.
Points opérationnels à retenir
- Les institutions fédérales souhaitant être dispensées de l’obligation de communiquer une preuve sont souvent tenues de la communiquer à la Cour, que la dispense ait été accordée en common law ou en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC).
- L’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP) autorise la révision par la Cour fédérale dans le cas où une demande de renseignements personnels présentée au titre du paragraphe 12(1) de la LPRP a été refusée et qu’une plainte a été déposée auprès du commissaire à la protection de la vie privée.
Résumé
Les exceptions prévues à l’article 22 de la LPRP relativement aux enquêtes et aux activités destinées à faire respecter les lois ne s’appliquent pas aux instances de la Section de la protection des réfugiés (SPR), puisque celles-ci ne sont pas liées à une demande de communication de renseignements personnels au titre du paragraphe 12(1) de la LPRP ou à une décision à cet égard de la part d’un responsable d’institution fédérale. La LPRP ne limite pas l’accès à l’information liée à d’autres règles ou principes juridiques.
La SPR devrait néanmoins protéger les renseignements personnels dans le cadre de ses instances, que ce soit au titre de la common law ou de l’article 37 de la LPC. La SPR peut limiter la communication de renseignements susceptibles d’être visés par la LPRP en vérifiant la pertinence des documents afin d’assurer la mise en balance entre la nécessité de communication et les droits relatifs à la vie privée.
Questions en litige
- La SPR a-t-elle commis une erreur en admettant en preuve les comparaisons de photos produites par le ministre?
- La conclusion de la SPR selon laquelle Mmes Barre et Hosh étaient des étudiantes kényanes était-elle déraisonnable?
Faits
La SPR a jugé que Mmes Barre et Hosh étaient des réfugiées au sens de la Convention, respectivement en mai 2017 et en juillet 2018. Elles ont chacune présenté une demande d’asile en invoquant leur crainte d’être victimes de violence sectaire et de violence fondée sur le sexe en Somalie. Toutes les deux ont établi leur identité en s’appuyant sur des témoins, des organisations communautaires tierces et leur propre témoignage. Ni l’une ni l’autre n’a été en mesure de fournir de documents de citoyenneté somalienne.
En octobre 2020, en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a demandé l’annulation de leur statut de réfugiées au motif qu’elles avaient présenté des faits de façon erronée et passé sous silence des faits importants. Plus précisément, le ministre prétendait que Mmes Barre et Hosh étaient citoyennes kényanes, étant donné la constatation de ressemblances faciales entre leurs photos et celles de deux étudiantes qui étaient arrivées au Canada peu de temps après les demandes d’asile de Mmes Barre et Hosh.
Mmes Barre et Hosh prétendaient quant à elles que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait fait appel au logiciel de Clearview AI pour comparer les photos, alors qu’on ne pouvait pas s’y fier d’après le taux élevé d’erreurs d’identification pour les femmes de couleur. Le ministre a refusé de communiquer des renseignements sur la démarche de comparaison des photos et a fait valoir que le paragraphe 22(2) de la LPRP [traduction] « permet aux organismes d’application de la loi de protéger les détails de cette enquête. » Quoi qu’il en soit, la SPR a annulé le statut de Mmes Barre et Hosh à titre de réfugiées, en partie sur le fondement des comparaisons de photos. Mmes Barre et Hosh ont par la suite exercé un recours en révision de cette décision devant la Cour fédérale.
Décision
La Cour fédérale a accueilli le recours en révision et renvoyé l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.
Motifs
La SPR a-t-elle commis une erreur en admettant en preuve les comparaisons de photos produites par le ministre?
La Cour a jugé que la décision de la SPR - selon laquelle le paragraphe 22(2) de la LPRP permettait au ministre de refuser d’expliquer la démarche de comparaison des photos - était déraisonnable pour trois raisons. Premièrement, la SPR n’a pas demandé de précisions sur la nature des renseignements personnels que le ministre cherchait à protéger. Deuxièmement, la SPR a convenu, sans preuve ni analyse, que l’article 22 de la LPRP s’appliquait. La Cour a conclu que le paragraphe 22(2) de la LPRP ne s’appliquait pas, en raison de ce qui suit : (i) bien que le responsable d’une institution fédérale ou son représentant soit le décideur au titre de la LPRP, il est difficile, en l’espèce, de déterminer qui a pris la décision de refuser d’expliquer la méthode de comparaison faciale; (ii) aucune demande de communication de renseignements personnels fondée sur le paragraphe 12(1) de la LPRP n’a été présentée, alors que c’est une condition d’application du paragraphe 22(2) de la loi; (iii) rien dans le dossier n’indique une participation de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), alors que le paragraphe 22(2) de la LPRP s’applique aux renseignements obtenus par la GRC dans l’exercice de fonctions de police provinciale ou municipale. Même si l’intention de la SPR était d’invoquer le paragraphe 22(1) de la LPRP plutôt que 22(2), les points (i) et (ii) demeurent valides. Troisièmement, la Cour a jugé que la décision de la SPR était déraisonnable parce que celle-ci avait conclu que l’ASFC n’avait pas eu recours à Clearview AI, en s’appuyant uniquement sur le fait que l’entreprise avait cessé ses activités au Canada le 6 juillet 2020. La SPR n’a pas cherché à savoir si les comparaisons de photos avaient été effectuées avant cette date.
La Cour a aussi réitéré que lorsque vient le temps d’appliquer l’exception relative aux enquêtes qui est prévue à l’alinéa 22(1)b) de la LPRP, elle « n’inférera pas un préjudice d’une façon purement théorique sur la seule existence d’une enquête [...] sans preuve d’un lien entre la communication demandée et la vraisemblance raisonnable de préjudice. » Or, le ministre n’a fourni aucun élément de preuve démontrant ce genre de préjudice.
Lorsque la Cour a demandé au ministre de se prononcer sur l’applicabilité de la LPRP en l’espèce, celui-ci a reconnu que la SPR n’aurait pas dû invoquer le paragraphe 22(2) de LPRP. Cependant, il a affirmé que la SPR a appliqué « le principe énoncé au paragraphe 22(1), étayé par la common law [et l’article 37 de la LPC], qui reconnaît également l’existence d’un privilège d’intérêt public applicable aux méthodes d’enquête. » La Cour a rejeté cet argument, puisque la SPR n’avait évoqué ni la common law ni la LPC dans sa décision.
De plus, la Cour a conclu que, aussi bien au titre de la common law que de la LPC, « les parties souhaitant être dispensées de l’obligation de communiquer [des éléments de] preuve sont souvent tenues de [les] communiquer à la Cour. » La Cour a poursuivi en faisant remarquer que la Cour fédérale avait déjà semblé indiquer que la SPR devrait vérifier la pertinence des documents - dans la mesure où ils sont susceptibles d’être visés par la LPRP - afin d’assurer la mise en balance entre la nécessité de communication et les droits relatifs à la vie privée (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, 2005 CF 1000, aux par. 36-37). En l’espèce, la SPR n’avait examiné aucun des renseignements faisant l’objet du refus de communication.
La conclusion de la SPR selon laquelle Mmes Barre et Hosh étaient des étudiantes kényanes était-elle déraisonnable?
La Cour a aussi jugé déraisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle Mmes Barre et Hosh étaient des étudiantes kényanes. Pour tirer cette conclusion, la SPR s’est fondée non seulement sur les photos, mais aussi sur les notes inscrites au Système mondial de gestion des cas (SMGC). Or, la Cour a constaté que la décision de la SPR ne tenait pas compte des lacunes de ces notes. Plus précisément, la SPR n’a pas fourni d’explications satisfaisantes quant à savoir comment elle avait conclu que les étudiantes avaient abandonné leurs études, étant donné que les notes du SMGC sur une des étudiantes n’étaient pas à jour - l’entrée la plus récente étant un courriel de 2016 affirmant que celle-ci reportait ses études d’une session. L’autre étudiante avait fait l’objet de trois vérifications de la conformité attestant sa présence aux cours au moment des dernières entrées datant de 2020. Ces éléments de preuve contraires aux conclusions tirées ont été ignorés.
La Cour a en outre jugé que la SPR n’avait pas justifié adéquatement sa conclusion selon laquelle Mmes Barre et Hosh et les deux étudiantes kényanes étaient les mêmes personnes. Plus précisément, la SPR n’a pas précisé quelles ressemblances lui avaient permis d’établir une correspondance entre les deux séries de photos, ni comment elle avait tiré cette conclusion malgré les dissemblances aussi constatées. La SPR a aussi omis d’expliquer quels traits faciaux étaient considérés comme communs chez les personnes d’origine somalienne et celles d’origine kényane, et quels traits saillants étaient utiles aux fins de comparaison.
2. Chin c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale du Canada
Référence : 2022 CF 464
Lien : Chin c. Canada (Procureur général)
Date de la décision : 5 avril 2022
Dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Alinéa 12(1)a), paragraphes 13(1), 16(1) et (2), 18(2), article 21, alinéas 22(1)a) et b) et article 41
- Alinéa 12(1)a) - Droit d’accès
- Paragraphe 13(1) - Demande de communication prévue à l’alinéa 12(1)a)
- Paragraphe 16(1) - Refus de communication
- Paragraphe 16(2) - Dispense de divulgation de l’existence du document
- Paragraphe 18(2) - Autorisation de refuser
- Article 21 - Affaires internationales et défense
- Alinéa 22(1)a) et b) - Enquêtes
- Article 41 - Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication
Points opérationnels à retenir
- Les tribunaux ont confirmé à plusieurs reprises la politique générale du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de refuser de communiquer l’existence de dossiers d’enquête, et ce, pour de bonnes raisons.
- Le SCRS doit cependant comprendre que, dans certaines situations, l’application inflexible de cette politique peut avoir un effet indésirable et exacerber les problèmes de santé mentale de citoyens canadiens et de résidents permanents qui cherchent à se voir communiquer des renseignements personnels (voir, par exemple, Russell c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1137 (Russell); Canada (Procureur général) c. Hutton, 2021 CF 750 (décision portée en appel).
Résumé
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le SCRS a eu raison de refuser la demande de communication des renseignements personnels, sans faire l’état de l’existence des documents demandés conformément au paragraphe 16(2) de la LPRP et en précisant que ces renseignements, s’ils existaient, seraient soustraits à l’exigence de communication au titre de l’article 21 ou des alinéas 22(1)a) et b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP).
Questions en litige
- Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels était-il raisonnable?
- Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels constitue-t-il une violation des droits de Mme Chin garantis par la Charte canadienne des droits et libertés?
Faits
Mme Chin, a exercé un recours en révision judiciaire contre une décision par laquelle le SCRS a rejeté sa demande de communication de renseignements personnels présentée en vertu de l’alinéa 12(1)a) et du paragraphe 13(1) de la LPRP.
Mme Chin croit, sans preuve à l’appui, qu’elle est victime d’un agresseur inconnu depuis 2007. L’agresseur lui aurait implanté un dispositif électronique transparent qui serait utilisé pour la suivre, la harceler et l’agresser, ce qui lui cause une grande détresse mentale et physique.
Le 18 mars 2021, elle a présenté une demande de communication de renseignements personnels au SCRS, croyant que celui-ci était au courant de sa situation et qu’il ne prenait pas de moyens suffisants pour la protéger.
Le SCRS a effectué une recherche de renseignements dans le fichier SCRS PPU 045 (qui est désigné comme un fichier inconsultable). Conformément à ses pratiques de longue date, le SCRS a rejeté la demande de communication et déclaré qu’il refuserait de confirmer ou de nier l’existence de documents qui pourraient répondre à la demande en question, conformément au paragraphe 16(2) de la LPRP. Le SCRS a aussi informé Mme Chin que si des renseignements visés par sa demande se trouvaient dans le fichier SCRS PPU 045, ceux-ci seraient soustraits à l’exigence de communication, en vertu de l’article 21 de la LPRP parce que le fichier en question est associé aux efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives déployés par le Canada, ou en vertu des alinéas 22(1)a) ou 22(1)b) de la LPRP parce que son contenu a trait à des enquêtes ou à des activités destinées à faire respecter les lois.
Mme Chin a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP), qui a ensuite déterminé que la plainte était [traduction] « sans fondement » puisque le responsable de l’institution fédérale n’est pas tenu de faire état de l’existence des renseignements personnels demandés, comme l’énonce le paragraphe 16(2) de la LPRP, et que le SCRS avait correctement invoqué l’article 21 et les alinéas 22(1)a) et b) de cette même loi dans sa réponse à la demande.
Décision
Le rejet de la demande de communication de renseignements personnels par le SCRS était raisonnable et ne violait pas les droits de Mme Chin garantis par la Charte.
La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.
Motifs
La révision judiciaire de la décision d’une institution fédérale de refuser la communication de renseignements est un processus qui se déroule en deux étapes : la Cour doit d’abord déterminer si les renseignements demandés sont visés par les dispositions qui ont été invoquées, puis elle doit déterminer si l’institution fédérale a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire à cet égard.
Avant que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), on considérait que la première étape devait s’effectuer selon la norme de la décision correcte, alors que la deuxième étape devait l’être selon la norme de la décision raisonnable.
Dans l’arrêt Vavilov, toutefois, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de révision doit refléter l’intention du législateur quant au rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de révision applicable soit celle de la décision raisonnable (Vavilov, au par. 23).
Rien ne vient réfuter la présomption selon laquelle les deux étapes de l’analyse doivent s’effectuer selon la norme de la décision raisonnable, et la Cour n’interviendra donc que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).
La décision de ne pas communiquer les renseignements faisant l’objet de l’exception invoquée repose en grande partie sur des faits et s’accompagne d’une composante politique; ainsi, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par l’institution fédérale (Martinez c. Canada (Centre de la sécurité des télécommunications), 2018 CF 1179, au par. 13).
Le rejet par le SCRS de la demande de communication était-il raisonnable?
Aux termes du paragraphe 18(2) de la LPRP, le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) de la LPRP qui sont versés dans des fichiers inconsultables. Or, le fichier SCRS PPU 045 est un fichier inconsultable principalement constitué de renseignements sensibles sur la sécurité nationale, dont la nature correspond à ce qui est visé à l’article 21 et aux alinéas 22(1)a) et 22(1)b) de la LPRP.
Au titre du paragraphe 16(2) de la LPRP, une institution fédérale n’est pas tenue de faire état de l’existence des renseignements personnels demandés dans un fichier inconsultable. La Cour d’appel fédérale a confirmé que le SCRS peut refuser la communication conformément à une politique générale consistant à ne pas faire état de l’existence des documents demandés lorsque « la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête » (Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589 (CAF), aux par. 65-66).
D’après le dossier de preuve, le SCRS a conclu avec raison que tout document visé, qu’il soit réel ou hypothétique, était soustrait à l’exigence de communication. L’exception ne s’appliquerait pas à un document qui révélerait la complicité du SCRS dans un complot illégal visant à nuire à Mme Chin au moyen d’un dispositif électronique miniature ou transparent Russell, au par. 31; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549, aux par. 86‑90). Cependant, rien n’indique qu’il y aurait eu une telle complicité ou que le SCRS aurait participé ou consenti à des tentatives de nuire au bien-être physique ou mental de Mme Chin.
Par cette conclusion, la Cour rend l’alinéa 22(1)a) de la LPRP applicable en l’espèce, sans confirmer ou nier l’existence de documents qui concerneraient Mme Chin. Aux termes de cet alinéa, le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) de la LPRP qui ont été obtenus ou préparés « au cours d’enquêtes licites. » La décision du SCRS d’appliquer les exceptions concernées en l’espèce était donc raisonnable.
Le rejet par le SCRS de la demande de communication de renseignements personnels constitue-t-il une violation des droits de Mme Chin garantis par la Charte canadienne des droits et libertés?
Des éléments probants sont nécessaires pour qu’une contestation fondée sur la Charte soit possible (Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28). En l’espèce, rien n’a été présenté pour appuyer l’affirmation de Mme Chin selon laquelle le SCRS aurait enfreint ses droits et libertés garantis par la Charte en refusant de lui communiquer les renseignements demandés, ou permettant de conclure à des actes ou des omissions du SCRS.
Les tribunaux ont confirmé à plusieurs reprises la validité de la politique générale du SCRS consistant à refuser de faire état de l’existence de dossiers d’enquête, et ce, pour de bonnes raisons. Cela dit, le SCRS doit comprendre que, dans certaines situations, l’application inflexible de cette politique peut avoir un effet indésirable et exacerber les problèmes de santé mentale de citoyens canadiens et de résidents permanents qui cherchent à se voir communiquer des renseignements personnels (voir par exemple l’arrêt Russell, ainsi que Canada (Procureur général) c. Hutton, 2021 CF 750 (décision portée en appel).
3. Khoury c. Canada (Emploi et Développement social)
Cour fédérale du Canada
Référence : 2022 CF 101
Lien : Khoury c. Canada (Emploi et Développement social)
Date de la décision : 28 janvier 2022
Dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Articles 12 et 13
- Article 12 - Droit d’accès
- Article 13 - Demande de communication prévue à l’alinéa 12(1)a) ou b)
Points opérationnels à retenir
- Le fait de ne pas fournir de précisions à une institution fédérale dans les délais prescrits pourrait entraîner le rejet de la demande par l’institution.
- Si un demandeur n’est pas satisfait de l’ensemble des documents communiqués, il doit d’abord se plaindre au Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP). Ce n’est qu’après que le CPVP a produit un rapport que le demandeur peut demander à la Cour d’examiner la pertinence de la réponse de l’institution fédérale à la demande de renseignements personnels.
Résumé
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire contre des décisions rendues dans deux dossiers concernant des demandes d’accès pour des renseignements personnels. Les deux recours doivent être rejetés parce que le bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels d’Emploi et développement social Canada (AIPRP d’EDSC) a conclu, de manière raisonnable, que M. Khoury n’avait pas fourni d’« indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux » et en raison du caractère théorique du deuxième dossier. Puisque M. Khoury n’est pas satisfait des documents communicables reçus le 26 janvier 2021, il doit s’adresser au CPVP et non à la Cour.
Questions en litige
- Était-il raisonnable qu’EDSC rejette les demandes 1 et 2 de M. Khoury au motif que celui-ci n’avait pas fourni suffisamment de précisions pour permettre l’extraction de renseignements?
- La demande de contrôle judiciaire de M. Khoury relativement à la demande 3 doit-elle être rejetée au motif qu’elle est théorique ou prématurée?
Faits
M. Khoury travaillait à EDSC depuis 1997. Avant d’amorcer un long congé autorisé, il était conseiller principal en programmes pour le Régime de pensions du Canada et la Sécurité de la vieillesse.
En novembre 2019, M. Khoury a présenté deux demandes d’accès à des renseignements personnels le concernant (les demandes 1 et 2) en vertu des articles 12 et 13 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP). M. Khoury souhaitait obtenir des registres électroniques (contenant le nom des personnes qui pourraient avoir consulté son profil du gouvernement, sa boîte de messagerie Outlook et sa boîte de messagerie Banyan) et d’autres informations (photos de lui qui auraient été partagées, enregistrements audio ou vidéo effectués au travail ou en dehors de travail, et tout article ou document personnel en la possession d’autres personnes) s’étendant sur sa période d’emploi de 23 ans.
En décembre 2019, M. Khoury a déposé une troisième demande (la demande 3) visant à se faire communiquer les renseignements personnels contenus dans l’entièreté de son dossier d’employé ainsi que tous les dossiers de ressources humaines qu’EDSC et le gouvernement du Canada avaient accumulés à son sujet depuis 1997.
En novembre 2019, un agent du bureau de l’AIPRP d’EDSC a demandé des précisions liées à ses demandes 1 et 2 au sujet des noms, des dates et des endroits où chercher l’information. M. Khoury a confirmé qu’il avait commencé à travailler au gouvernement en 1997 et a donné le nom de son gestionnaire, mais il a refusé de fournir plus de précisions. L’agent d’AIPRP avait aussi découvert que la plateforme de courriels Banyan avait été mise hors service en 2003, en conséquence de quoi cet aspect de la demande ne pourrait pas être traité.
Le bureau de l’AIPRP a rejeté ses demandes 1 et 2 en vertu de l’alinéa 12(1)b) et du paragraphe 13(2) de la LPRP au motif que M. Khoury n’avait pas fourni d’« indications suffisamment précises [sur l’endroit où chercher les renseignements] pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. »
M. Khoury a déposé une plainte auprès du CPVP au sujet de la décision d’EDSC par rapport aux demandes 1 et 2. Le 5 juin 2020, le CPVP a conclu que sa plainte concernant les demandes 1 et 2 n’était pas fondée.
M. Khoury a déposé une deuxième plainte auprès du CPVP, arguant qu’EDSC n’avait pas traité la demande 3. Le 17 novembre 2020, le CPVP a conclu qu’EDSC n’avait effectivement pas traité la demande de M. Khoury dans le délai imparti et qu’il fallait en conclure que la demande avait été rejetée. Le CPVP a conclu que la demande 3 était fondée. Le 26 janvier 2021, EDSC a répondu à la demande 3 par la communication d’un ensemble de 766 pages de documents.
M. Khoury a présenté deux demandes de contrôle judiciaire : l’une concernant le rejet des demandes 1 et 2 par EDSC; l’autre concernant le rejet présumé de la demande 3, aussi par EDSC.
Décision
La demande de contrôle judiciaire concernant les demandes 1 et 2 est rejetée. Le bureau de l’AIPRP d’EDSC a conclu, de manière raisonnable, que M. Khoury n’avait pas fourni d’« indications suffisamment précises [sur l’endroit où chercher les renseignements] pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. »
La demande de contrôle judiciaire concernant la demande 3 est rejetée en raison de son caractère théorique. L’insatisfaction de M. Khoury à l’égard des documents communiqués est une question à être traitée par le CPVP, et non par les tribunaux.
Motifs
Était-il raisonnable qu’EDSC rejette les demandes 1 et 2 de M. Khoury au motif que celui-ci n’avait pas fourni suffisamment de précisions pour permettre l’extraction de renseignements?
Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a statué que le contrôle judiciaire des décisions administratives devait s’effectuer selon la norme de la décision raisonnable.
Dans l’arrêt Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, la Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si le demandeur avait fourni des indications suffisamment précises pour permettre de retrouver les renseignements demandés sans problèmes sérieux dépendait grandement des faits et appelait à la retenue à l’égard du décideur.
Dans la décision Oleynik c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2016 CF 1167, la Cour était d’avis qu’« [i]l incombait au demandeur de fournir une information suffisante relativement aux renseignements qu’il recherchait afin qu’il soit possible pour le CPVP de les « retrouver sans problèmes sérieux. »
La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que le refus d’EDSC souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.
La Cour fait remarquer que selon l’alinéa 12(1)b) et le paragraphe 13(2) de la LPRP, la personne demandant de se faire communiquer les renseignements doit « fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. »
La Cour souscrit à la conclusion du CPVP, à savoir que les demandes ont été abandonnées conformément à la LPRP parce que M. Khoury n’avait pas fourni les précisions demandées dans le délai imparti. EDSC avait répondu adéquatement à la demande de M. Khoury, et le ministère n’avait pas porté atteinte à son droit d’accès au titre de la LPRP.
Il demeure loisible à M. Khoury de poursuivre ses demandes, mais il doit fournir à EDSC des précisions sur ce qu’il recherche.
La demande de contrôle judiciaire de M. Khoury relativement à la demande 3 doit-elle être rejetée au motif qu’elle est théorique ou prématurée?
EDSC a répondu à la demande 3 en communiquant à M. Khoury un ensemble de 766 pages de documents.
Ce dernier n’a jamais déposé de plainte quant au caractère insatisfaisant de l’information fournie, et en l’absence d’une enquête du commissaire à la protection de la vie privée, il est prématuré de sa part de demander réparation à la Cour à cet égard, comme l’a indiqué la décision Cumming c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CF 271.
Dans l’arrêt (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Gregory, 2021 CAF 33, citant l’arrêt Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189, il a été confirmé qu’une décision sur la pertinence d’une réponse à une demande de communication présentée en vertu de la LPRP est subordonnée au dépôt d’une plainte auprès du commissaire et d’un rapport de celui‑ci.
Dans l’arrêt Whitty c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 30, la Cour d’appel fédérale a souligné les principes de common law selon lesquels il faut normalement avoir épuisé tous les autres recours appropriés avant de recourir à une demande de contrôle judiciaire.
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Si M. Khoury est insatisfait des documents qui lui ont été communiqués, il doit s’adresser au CPVP et non aux tribunaux.
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