Info Source : Bulletin 47A - Sommaire des décisions des Cours fédérales

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Dans les sommaires ci-après, vous trouverez l’expression « contrôle judiciaire ». Il s’agit d’un mécanisme permettant aux tribunaux d’examiner les décisions administratives rendues par les fonctionnaires, y compris les positions adoptées par les commissariats à l’information et à la protection de la vie privée du Canada.

Loi sur l’accès à l’information

Titres de la section

Cour d’appel fédérale

1. Canada Broadcasting Corporation v. Canada (Parole Board)

Référence : 2023 FCA 166

Lien : Canadian Broadcasting Corporation v. Canada (Parole Board) (en anglais seulement)

Date de la décision : Le

Disposition de la Loi sur l’accès à l’information : Article 19

  • Article 19 – Renseignements personnels

Dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Paragraphe 8(1), sous-alinéa 8(2)m)(i) et paragraphe 69(2)

  • Paragraphe 8(1) – Communication de renseignements personnels
  • Sous-alinéa 8(2)m)(i) – Divulgation faite dans l’intérêt public
  • Paragraphe 69(2) – Renseignements accessibles au public

Autres dispositions : Paragraphes 140(4), (13) et (14) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés

Points opérationnels à retenir
Principe de la publicité des débats judiciaires
  • Le fait que les débats de la Commission des libérations conditionnelles soient ouverts au public ne signifie pas nécessairement qu’elle est soumise au principe de la publicité des débats.
  • Comme la procédure de la Commission n’est pas contradictoire, i.e., il ne s’agit pas d’un tribunal juridictionnel, le principe de la publicité des débats judiciaires ne s’applique pas à la procédure de la Commission.
Résumé

Cette affaire porte sur un appel formé par la Société Radio Canada (SRC) contre une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission). La SRC avait demandé l’accès aux enregistrements audio des audiences de libération conditionnelle concernant trois délinquants notoires : Paul Bernardo, Craig Munro et Robert MacLeod. La SRC a soutenu que le principe de la publicité des débats judiciaires, qui garantit l’accès du public aux procédures judiciaires, devait s’appliquer à la Commission, au motif que celle-ci exerce des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. La Commission, pour sa part, a soutenu que ses procédures étaient de nature inquisitoire plutôt que contradictoire, qu’elles sont axées sur l’évaluation des risques plutôt que sur l’arbitrage d’intérêts opposés. Dans une lettre datée du 21 octobre 2019, la Commission a rejeté la demande de la SRC visant à obtenir des copies des enregistrements audio, ce qui a donné lieu à l’appel. La Cour d’appel fédérale devait déterminer si le principe de la publicité des débats judiciaires s’appliquait à la Commission et si la SRC avait droit aux enregistrements audio en vertu d’autres dispositions législatives.

Questions en litige
  • Quelle est la norme de contrôle applicable?
  • La Commission est-elle assujettie au principe de la publicité des débats judiciaires?
  • La SRC a-t-elle, par ailleurs, droit aux enregistrements audio des audiences de la Commission?
Faits

Il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission refusant de fournir à la SRC « une copie intégrale des enregistrements audio des audiences de libération conditionnelle de Paul Bernardo, tenues le 17 octobre 2018; d’Ethan Simon Templar MacLeod, anciennement connu sous le nom de William Shrubsall, tenues le ou vers le 7 novembre 2018; et de Craig Munro, tenues les 26 février 2009, 16 mars 2010, 30 mars 2011 et 29 juillet 2015 ».

La SRC a soutenu que le principe de la publicité des débats judiciaires et l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés lui donnaient droit à ces enregistrements. La Commission a toutefois rejeté cette demande, affirmant que ses audiences sont de nature inquisitoire plutôt que contradictoire et, par conséquent, n’étaient pas assujetties au principe de la publicité des débats judiciaires.

Décision

La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de la SRC. Cependant, la Cour n’a pas accordé toutes les réparations demandées par la SRC.

La Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission avait commis une erreur en refusant de fournir à la SRC des copies des enregistrements audio des audiences de libération conditionnelle. La Cour a souligné l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et du droit du public à l’information, en particulier dans le contexte du rôle des médias dans la diffusion de l’information.

Motifs
Quelle est la norme de contrôle applicable?

La norme de contrôle applicable aux questions de droit, de fait ou mixtes de droit et de fait doit être déterminée conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, selon lequel la norme présumée de contrôle d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une règle de droit exige l’application de la norme de la décision correcte, comme dans le cas de questions constitutionnelles. La première question soumise à la Commission était de savoir si le principe de la publicité des débats judiciaires, renforcé par l’article 2b) de la Charte, s’appliquait à celle-ci. La norme de la décision correcte s’applique à cette question.

La Commission est-elle assujettie au principe de la publicité des débats judiciaires?

Une grande partie de la jurisprudence relative au principe de la publicité des débats judiciaires et aux tribunaux administratifs repose sur la décision de la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Southam Inc. c. Canada, Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1987] 3 C.F. 329, 13 F.T.R. 138 (T.D.). Le fait qu’un tribunal préside des procédures contradictoires en tant qu’organisme décisionnel est un indicateur fiable que ce tribunal est soumis au principe de la publicité des débats judiciaires. C’est le fait de statuer sur des intérêts concurrents qui impose le devoir d’équité et d’impartialité qui a donné lieu à la description de certains tribunaux comme étant quasi judiciaires. La Cour a estimé que le fait qu’un organe administratif ouvre ses portes au public ne constitue pas, en soi, un fondement suffisant pour entraîner l’application du principe de la publicité des débats judiciaires. Il existe de nombreux organismes publics dont les réunions sont ouvertes au public, mais qui ne sont pas soumis au principe de la publicité des débats. Cela ne signifie pas que l’article 2b) de la Charte ne s’applique pas à ces organismes, mais plutôt que le principe d’ouverture y est plus nuancé et peut ne pas revêtir la même ampleur que celui qui s’applique aux tribunaux décisionnels assujettis au principe de la publicité des débats judiciaires.

La SRC a-t-elle, par ailleurs, droit aux enregistrements audio des audiences de la Commission?

Le débat porte sur la question de savoir si la SRC devrait pouvoir accéder aux enregistrements audio des audiences de la Commission sur la même base que celle qui lui permet d’assister aux audiences. Le paragraphe 140(14) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est clair dans ses termes. Il traite spécifiquement du fait que les « renseignements » divulgués ou discutés lors d’une audience de la Commission ne sont pas accessibles au public aux fins de la Loi sur la protection des renseignements personnels, simplement parce qu’un observateur était présent. La Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit la divulgation des renseignements personnels dans certaines circonstances, notamment en vertu de l’alinéa 8(2)m). La SRC a invoqué le paragraphe 8(2) dans son courriel demandant les enregistrements audio et la Commission a traité de cette disposition dans sa décision. L’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) interdit la divulgation de renseignements personnels et prévoit un cadre pour la divulgation de ces renseignements dans des circonstances bien définies.

La Commission a traité la demande de la SRC visant les enregistrements audio de ses audiences comme si elle portait sur l’ensemble des dossiers des délinquants. Les renseignements personnels contenus dans les enregistrements audio avaient déjà été divulgués. Bien que ces renseignements ne soient pas directement accessibles au public, ils pourraient l’être si les médias présents aux audiences en avaient rendu compte. Les menaces et dangers découlant d’une « divulgation discrétionnaire de renseignements personnels » étaient largement surévalués, car ces renseignements avaient déjà été divulgués.

La Cour fédérale d’appel a annulé la décision de la Commission et a ordonné à la Commission de procéder à une évaluation des intérêts, conformément au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour chaque demande de renseignements.

Bien que la Cour n’ait pas accordé toutes les réparations demandées par la SRC, elle a accueilli l’appel et a ordonné à la Commission de réévaluer la demande en tenant compte de considérations précises.

2. Bélanger-Drapeau c. Canada (Défense nationale)

Référence : 2023 CF 461

Lien : Décision non publiée

Date de la décision : Le

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Paragraphe 4(2.1), articles 23, 25 et 41, paragraphe 41(1) et article 44.1

  • Paragraphe 4(2.1) – Responsable de l’institution fédérale
  • Article 23 – Renseignements protégés : avocats et notaires
  • Article 25 – Prélèvements
  • Article 41 – Révision par la Cour fédérale
  • Paragraphe 41(1) – Révision par la Cour fédérale : plaignant
  • Article 44.1 – Révision de novo
Points opérationnels à retenir
  • La divulgation du fait qu’un avis juridique a été demandé et obtenu ne constitue pas une renonciation au privilège concernant le contenu de cet avis.
  • La fiche d’analyse des exceptions remplie par le ministère de la Défense nationale (MDN) au cours de l’enquête du Commissariat à l’information a démontré que le MDN avait envisagé de renoncer au secret professionnel de l’avocat pendant l’enquête. Cela a convaincu la Cour que le décideur était conscient du pouvoir discrétionnaire sous l’article 23 de la Loi sur l’accès à l’information (LAI) et qu’il l’a exercé.
Résumé

Le MDN n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation et l’application de l’exception relative au secret professionnel de l’avocat en vertu de la LAI.

Questions en ligite

Le MDN a-t-il commis une erreur dans l’interprétation et l’application de l’exception relative au secret professionnel de l’avocat prévu par la LAI?

Faits

Le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) a été mandaté pour enquêter sur l’agression sexuelle présumée d’une plaignante. L’enquêteur du SNEFC a demandé un avis juridique sur l’évaluation préalable au dépôt d’accusations à un procureur militaire. Ce dernier devait évaluer deux éléments : d’une part, si les éléments de preuve permettaient de conclure à une probabilité raisonnable de condamnation et, d’autre part, s’il y avait lieu de porter des accusations. Toutefois, la décision finale relevait de la discrétion du SNEFC. Le 10 décembre 2019, le procureur militaire a rédigé un document de vérification préalable. Ce même jour, l’enquêteur du SNEFC et le procureur militaire ont rencontré la plaignante afin de l’informer de la décision prise par le SNEFC de ne pas porter d’accusations.

Mme Bélanger-Drapeau, agissant au nom de la plaignante, a présenté une demande d’accès à l’information visant, notamment, « le contenu du dossier détenu par le Directeur des poursuites militaires relativement » au dossier d’incident général tenu par la Police militaire concernant l’agression sexuelle alléguée. La demande a permis d’obtenir le document de vérification préalable. Le MDN a refusé de divulguer le document, ne révélant que la date et le bloc-signature du procureur militaire, en invoquant l’exception du secret professionnel de l’avocat de l’article 23 de la LAI.

Mme Bélanger-Drapeau a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information. Le Commissariat a conclu que le document de vérification préalable rencontrait les exigences de l’exception des avis juridiques et du privilège relatif au litige, qu’il n’y avait pas eu de renonciation au privilège sur les renseignements protégés et que le MDN avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable en décidant de ne pas divulguer davantage d’informations sur le document de vérification préalable. Mme Bélanger-Drapeau a ensuite introduit une demande de révision de la décision du Commissariat en vertu de l’article 41 de la LAI.

Décision

La demande de révision judiciaire a été rejetée. Le document de vérification préalable était protégé par le secret professionnel de l’avocat, et le procureur militaire et le SNEFC n’ont pas renoncé à ce privilège. L’exercice par le MDN de son pouvoir discrétionnaire de refuser de divulguer les renseignements protégés était raisonnable.

Motifs

La Cour a d’abord analysé la divulgation qui a fait l’objet d’une exception en vertu du secret professionnel de l’avocat.

L’article 23 de la LAI est une exception discrétionnaire et protège de la divulgation les documents qui sont soumis au secret professionnel de l’avocat. Conformément à l’article 25 de la LAI, l’institution visée par une demande d’accès à l’information a l’obligation de divulguer toute partie du document qui ne contient pas de renseignements faisant l’objet d’une exception et qui peut raisonnablement être dissociée du reste. Selon la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Blank, 2007 CAF 87, cette obligation est modifiée lorsqu’il s’agit de communications entre un avocat et son client. Les tribunaux doivent respecter la confiance du client dans le fait que les communications avec son avocat ne seront pas divulguées sans son consentement.

Mme Bélanger-Drapeau a reconnu que le document de vérification préalable était assujetti au secret professionnel de l’avocat, mais a soutenu que certaines informations générales et factuelles qu’il contenait (titre, destinataire du document, faits invoqués par le Directeur des poursuites militaires [DPM], etc.) auraient dû être divulguées, car elles ne faisaient pas partie des renseignements protégés. La Cour a reconnu que le document de vérification préalable était protégé par le secret professionnel de l’avocat et faisait l’objet d’une exception de divulgation, et que ce privilège s’étendait aux informations factuelles contenues dans le document. Ces renseignements ont révélé le sujet de la communication et les hypothèses formulées par le procureur militaire. La Cour n’a pas été convaincue qu’il s’agissait d’un cas où les éléments factuels du document pourraient être extraits et divulgués sans révéler en même temps les avis juridiques. Dans l’affaire Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 287, la Cour d’appel fédérale a jugé que « ce type d’information factuelle permet au demandeur de savoir qu’une communication a eu lieu entre certaines personnes à un moment donné sur un sujet donné, mais rien de plus ». Avec les renseignements déjà fournis par le MDN, Mme Bélanger-Drapeau savait que le document en question était un document de vérification préalable, préparé par le procureur militaire le 10 décembre 2019 et transmis au SNEFC. Dans ces circonstances, la Cour a statué qu’aucune divulgation supplémentaire des informations factuelles n’était requise.

Mme Bélanger-Drapeau a également soutenu que le SNEFC et le procureur militaire avaient renoncé au secret professionnel de l’avocat sur le document de vérification préalable en discutant des conclusions de cet examen avec la plaignante lors de la réunion du 10 décembre 2019. Ils ont soutenu que cette discussion équivalait à une renonciation implicite au privilège, étant donné qu’aucune obligation légale n’imposait au DPM de rencontrer la victime pour discuter des conclusions de ses recommandations au SNEFC. Mme Bélanger-Drapeau a également fait valoir que des entrées du journal administratif du dossier général d’incident de la Police militaire montraient que l’avocat du DPM et l’enquêteur du SNEFC avaient renoncé au privilège en s’appuyant sur les avis juridiques pour justifier la décision de ne pas porter d’accusations.

La Cour a estimé qu’il n’y avait pas eu de renonciation au secret professionnel de l’avocat dans cette affaire. Aucun élément de preuve ne démontrait que le procureur militaire ou l’enquêteur du SNEFC avait fait référence à une partie de l’avis juridique lors de la réunion, discuté ouvertement de l’avis avec la plaignante, ou utilisé cet avis pour justifier la décision de ne pas porter d’accusations. En ce qui concerne les entrées de journal, la Cour a conclu que le ministre avait raison de souligner que la décision de porter des accusations relève exclusivement du SNEFC, et qu’aucun élément ne permettait de croire que cette décision avait été influencée par l’avis juridique du DPM. En outre, les preuves factuelles ne soutenaient pas non plus l’affirmation selon laquelle la divulgation de la phrase « aucune accusation n’a été recommandée par le PMG » dans le journal constituait une renonciation au privilège. La Cour a constaté que l’intention contraire du SNEFC était claire : il souhaitait préserver la confidentialité du document de vérification préalable. Selon la Cour, la divulgation du fait que des conseils juridiques avaient été sollicités et obtenus ne constituait pas, en soi, une renonciation au privilège relatif au contenu de ces conseils. La divulgation du fait que des conseils juridique ont été demandés et obtenus ne constitue pas, selon la Cour, une renonciation au privilège concernant le contenu de ces conseils.

La Cour a affirmé que conclure que la réunion en elle-même constituait une renonciation au secret professionnel de l’avocat dissuaderait les rencontres avec les victimes alléguées pour les informer des résultats des enquêtes, car le DPM et le SNEFC risqueraient de perdre le bénéfice du privilège du secret professionnel de l’avocat. Un tel résultat ne serait pas souhaitable.

Le second volet de l’analyse menée par la Cour portait sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au MDN en vertu de l’article 23 de la LAI. La Cour a conclu que le MDN avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable en décidant de ne pas divulguer l’intégralité du document de vérification préalable.

La Cour a expliqué que, même lorsque des informations sont protégées par le secret professionnel de l’avocat, l’institution fédérale dispose du pouvoir discrétionnaire de divulguer tout ou partie des renseignements protégées en vertu de l’article 23 de la LAI. L’exercice du pouvoir discrétionnaire impose à l’institution de prendre en compte à la fois ses facteurs favorables et les facteurs défavorables à la divulgation (Canada (Commissariat à l’information) c. Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95). La Cour a souligné un passage pertinent dans l’arrêt Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, selon lequel : « À tout le moins, les motifs ou le dossier doivent attester que le décideur était conscient de ce pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements protégés et qu’il l’a exercé de quelque manière ».

La Cour a également noté que bien que les motifs sous-jacents à la décision du MDN ne démontrent pas explicitement que le MDN avait pleinement conscience de son pouvoir discrétionnaire, le dossier contenait des indices à cet effet. De l’avis de la Cour, la feuille d’analyse de l’exception remplie par le MDN au cours de l’enquête menée par le Commissariat à l’information démontrait que le MDN avait envisagé de renoncer au secret professionnel de l’avocat pendant l’enquête. Toutefois, comme le SNEFC avait clairement exprimé son intention de maintenir le privilège, le MDN a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire. L’extrait de Leahy précise qu’au moins quelques renseignements sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire doivent figurer dans la décision dans le dossier, ce qui est le cas en l’espèce. La décision du MDN représentait un résultat raisonnable fondé sur le droit et les preuves, et elle présentait les caractéristiques requises de transparence, de justification et d’intelligibilité. Même si les motifs n’étaient pas explicitement inclus dans la décision elle-même, l’exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire du MDN découlait du dossier. Selon la Cour, ce seul fait est suffisant en vertu de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, car il permet à la Cour d’évaluer l’intelligibilité et la transparence du raisonnement du MDN.

3. Fraser c. Canada (Sécurité publique)

Référence : 2023 CAF 167

Lien : Fraser v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) (en anglais seulement)

Date de la décision :

Disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Sous-alinéa 8(2)m)(i)

  • Sous-alinéa 8(2)m)(i) – Divulgation faite dans l’intérêt public

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Paragraphes 19(1) et (2)

  • Paragraphe 19(1) – Renseignements personnels
  • Paragraphe 19(2) – Cas où la divulgation est autorisée
Points opérationnels à retenir
  • Les délinquants jouissent des mêmes droits à la vie privée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP) que l’ensemble des membres de la société, sauf dans la mesure où ces droits sont nécessairement et légalement restreints ou retirés.
  • Le sous-alinéa 8(2)m)(i) constitue l’une des rares dispositions, voire la seule, de la LPRP où les motifs invoqués par les demandeurs sont pertinents.
    • Dans la mesure où les demandeurs peuvent démontrer un intérêt dépassant leur intérêt personnel, l’institution fédérale est tenue de considérer le motif invoqué avec respect. Toutefois, étant donné qu’il est facile d’amplifier un intérêt personnel, l’institution n’est pas liée par l’intérêt déclaré.
Résumé

Il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale qui a annulé les décisions du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission), qui avaient refusé de communiquer des renseignements personnels. Cet appel a finalement été rejeté, la Cour estimant qu’aucun intérêt public important ne justifiait la divulgation complète des renseignements personnels des délinquants.

Questions en litige
  • Les documents demandés contiennent-ils des renseignements personnels?
  • Dans l’affirmative, font-ils l’objet d’une exception en vertu de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information (LAI)? La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en refusant la divulgation de ces renseignements en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i)?
Faits

Deux groupes, connus collectivement sous le nom de « Familles », ont déposé un recours devant la Cour fédérale en vertu de l’article 41 de la LAI pour contester les décisions du Service correctionnel du Canada et de la Commission de refuser la divulgation de documents relatifs à deux individus, M. Craig Munro et M. Paul Bernardo (ci-après les « délinquants »).

La Cour fédérale a également été saisie d’une demande distincte de la Société Radio-Canada (SRC) visant à obtenir des copies des enregistrements audio de certaines audiences de la Commission, en vertu du principe de la publicité des débats judiciaires. Bien que ces demandes aient été initialement distinctes, elles ont été examinées et tranchées collectivement, selon un raisonnement unifié.

La Cour fédérale a conclu que le Service correctionnel du Canada et la Commission ont tenu compte des exigences de l’alinéa 19(2)c) de la LAI et du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP, , qu’ils ont évalué la nature des preuves recherchées sous l’angle de l’intérêt public en faveur de la divulgation et de l’atteinte à la vie privée des détenus, et qu’ils ont pris une décision fondée sur leur analyse de ces preuves.

L’argument selon lequel les délinquants ne posséderaient aucun droit à la vie privée en ce qui concerne l’administration de leur peine a été rejeté. La Cour fédérale a donné raison au Service correctionnel et à la Commission en concluant que les documents en question contenaient des renseignements personnels et qu’ils faisaient l’objet d’une exception de divulgation en vertu du paragraphe 19(1) de la LAI. En conséquence, la décision de refuser la divulgation des documents a été jugée raisonnable.

Les Familles ont interjeté appel de l’application des paragraphes 19(1) et (2) de la LAI et du sous-alinéa 8(2)(m)(i) de la LPRP par la Cour fédérale.

Décision

L’appel a été rejeté.

Le niveau de divulgation demandé par les Familles, ainsi que les motifs avancés à l’appui n’ont pas été jugés suffisants pour justifier l’application du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP. En conséquence, les renseignements personnels demandés ont fait l’objet d’une exception de divulgation en vertu de l’article 19 de la LAI.

Motifs

La Cour a conclu que la norme de contrôle applicable dans cet appel est celle de la décision correcte, en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 L.R.C. 235 [Housen], et en se référant à la décision Canada (Santé) c. Elanco Canada Limited, 2021 CAF 191, 337 A.C.W.S. (3d) 153, dans laquelle il a été établi que les principes de l’arrêt Housen s’appliquent à un appel interjeté contre une décision de la Cour fédérale.

La Cour a noté que la Cour fédérale n’a pas abordé les questions soulevées comme une audience de novo, comme l’exige l’article 44.1 de la LAI. Cet article prévoit qu’une telle demande est essentiellement une nouvelle instance, ce qui signifie que la Cour fédérale aurait dû se substituer aux décideurs. La Cour fédérale a commis une erreur en appliquant une norme de déférence à la décision de l’autorité administrative.

Selon les documents détenus par le Service correctionnel, la Cour a estimé qu’il été évident que le contenu des documents demandés contiendraient une quantité importante de renseignements personnels, protégés par la LAI et la LPRP. Les Familles ont fait valoir que les délinquants avaient perdu tout droit à la vie privée qu’ils auraient pu avoir en raison de leurs crimes et de leurs peines, et que le fait de demander une réparation publique, telle qu’une libération conditionnelle, était incompatible avec le droit à la vie privée. La Cour a rejeté cet argument, affirmant que les droits des délinquants à la vie privée sont protégés par l’article 3 de la LAI et que les dispositions de la LPRP, intégrées par renvoi, s’appliquent dans ce contexte. La Cour a fait valoir que, comme les peines et les demandes de libération conditionnelle sont administrées par des organismes assujettis à la LAI et à la LPRP, la divulgation posera des problèmes liées à la protection de la vie privée.

Tous les renseignements personnels demandés dans cette affaire ont été refusés sur la base de l’article 19 de la LAI. En outre, le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP, qui donne essentiellement la priorité à la protection de la vie privée des individus à moins qu’un intérêt public impérieux ne l’emporte sur cette protection, n’a pas été jugé applicable. Cependant, la Cour d’appel fédérale a estimé que l’évaluation de la Cour fédérale, qui avait initialement jugé les motifs des décideurs compréhensibles, était correcte dans la mesure où ces décisions identifiaient les enjeux soulevés, mais elle était erronée en estimant que l’analyse des décideurs était suffisante.

La Cour a constaté que la Commission, et par extension le Service correctionnel du Canada, n’avaient pas sérieusement pris en considération les demandes des Familles, invoquant souvent des préoccupations liées à la confidentialité sans correctement évaluer le pouvoir discrétionnaire de divulgation prévu au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP, ni tenir compte des circonstances spécifiques des délinquants. La Cour a rejeté l’hypothèse selon laquelle toute divulgation d’informations personnelles compromettrait universellement la réinsertion sociale des délinquants, jugeant cette position trop générale et irréaliste.

En outre, la Cour n’était pas d’accord avec la vision étroite de l’intérêt public de la Commission, qu’elle a jugé trop limitee aux situations d’urgence et qui ne tient pas compte d’intérêts plus larges, tels que la liberté d’expression. La Cour a déclaré qu’il n’était pas insurmontable de trouver un équilibre entre l’intérêt public et les droits des délinquants en gardant à l’esprit les droits des Familles. En fin de compte, les motifs du refus de divulgation ont été jugés insuffisants.

La Cour a constaté que la demande des Familles visant tous les dossiers relatifs à M. Munro et M. Bernardo constituait une atteinte totale à leur vie privée. Cette conclusion a été renforcée par la comparaison avec d’autres demandes d’accès à des renseignements personnels, qui sont généralement plus limitées et plus spécifiques. La Cour a reconnu les préoccupations des Familles concernant la sécurité publique, mais a souligné que leur objectif principal semblait être de s’opposer aux demandes de libération conditionnelle plutôt que d’améliorer la sécurité publique.

La Cour a noté que l’alinéa 8(2)m)(i) est l’une des rares, voire la seule, disposition de la LPRP dans laquelle les motifs des demandeurs sont pertinents. Dans la mesure où les demandeurs peuvent démontrer un intérêt dépassant leur intérêt personnel, l’institution fédérale est tenue de considérer le motif invoqué avec respect. Toutefois, étant donné qu’il est facile d’amplifier un intérêt personnel, l’institution n’est pas liée par l’intérêt déclaré. En l’espèce, la Cour a conclu que, malgré l’intérêt déclaré des Familles pour la sécurité publique, le maintien du statu quo ne donnait lieu à aucun intérêt public plausible à divulguer tous les renseignements personnels des délinquants.

La Cour a également jugé que les droits des Familles en vertu de l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés n’avaient pas été violés, car elles n’avaient pas été empêchées d’exprimer leurs opinions sur le fonctionnement de la Commission. Elles avaient eu accès aux audiences de la Commission, aux enregistrements audio de ces audiences et aux décisions de la Commission.

Les Familles n’ont pas été en mesure de démontrer que le principe de la publicité des débats judiciaires s’appliquait aux actions de la Commission ou du Service correctionnel du Canada. De plus, dans une affaire distincte impliquant la SRC, la Cour a également conclu que cette dernière n’avait pas droit aux enregistrements audio des audiences de la Commission en vertu du principe de la publicité des débats.

Cour fédérale du Canada

1. Cain c. Canada (Santé)

Référence : 2023 CF 55

Lien : Cain c. Canada (Santé)

Date de la décision : (version confidentielle modifiée publiée le )

Dispositions de la Loi sur l’accès à l’information : Paragraphe 19(1), articles 25 et 41, alinéa 42a) et article 44.1

  • Paragraphe 19(1) - Renseignements personnels
  • Article 25 - Prélèvements
  • Article 41 - Révision par la Cour fédérale- plaignant
  • Alinéa 42a) - Comparution du commissaire à l’information
  • Article 44.1 - Révision de novo
Points opérationnels à retenir
Risques de réidentification
  • Le critère des « fortes possibilités » énoncé dans l’arrêt Gordon constitue toujours autorité qui doit orienter l’analyse du risque. La Cour reconnaît qu’il y a de fortes possibilités que des informations qui ne sont pas intrinsèquement personnelles, combinées à d’autres renseignements déjà disponibles, créent un « effet mosaïque » qui peut conduire à l’identification d’une personne.
  • L’existence de preuves démontrant que des liens entre des éléments disparates d’informations pertinentes ont déjà été établis et que les résultats ont été mis à la disposition du public est une considération judicieuse dans l’application du critère des « fortes possibilités ».
    • Les informations précédemment diffusées doivent être considérées comme toujours disponibles, même si le site web n’est plus accessible en ligne.
    • En l’absence de preuve du contraire, il faut présumer que les informations précédemment communiquées sont toujours disponibles et qu’elles peuvent être combinées à d’autres informations plus récentes.
Prélèvement
  • L’analyse des coûts et des avantages : il s’agit de déterminer si l’effort de prélèvement de l’institution fédérale est justifié par les avantages du prélèvement et de la communication des informations restantes (Merck Frosst Canada Ltd. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3 au paragraphe 237).
  • La question du prélèvement, dans ce cas, était de savoir si « l’effort » requis pour le prélèvement des documents « est raisonnablement proportionné à la qualité de l’accès qu’il fournirait ».
  • Ce n’est que lorsque les efforts déployés sont disproportionnés par rapport à la qualité de l’accès que la communication devient déraisonnable.
Résumé

Santé Canada a refusé de communiquer les deuxième et troisième caractères des codes postaux des personnes autorisées à cultiver de la marihuana à des fins médicales en vertu du régime d’octroi de licences qui était en place avant la légalisation, ainsi que le nom de certaines des villes où une telle production a été autorisée. La preuve a permis de démontrer de fortes possibilités que la communication de renseignements sur les codes postaux et/ou des noms de villes vienne révéler des renseignements personnels. Il était justifié pour Santé Canada de refuser de communiquer plus de renseignements et Santé Canada n’était pas tenu d’entreprendre une analyse plus détaillée en vue de déterminer si des renseignements supplémentaires pourraient être prélevés et communiqués.

Questions en litige et norme de contrôle
  • Le ministre est-il autorisé à refuser la communication des documents en cause en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès l’information (LAI) au motif qu’ils constituent des renseignements personnels?
  • Le ministre a-t-il eu raison de refuser de prélever d’autres parties des documents conformément à l’article 25 de la LAI?

Aux termes de l’article 44.1 de la LAI, les recours en révision prévus à l’article 41 sont entendus de novo, comme une nouvelle affaire. Cela signifie que la Cour « doit tirer sa propre conclusion sur la question de savoir si les renseignements personnels en question sont soustraits à la communication, conformément au paragraphe 19(1), c.-à-d. qu’elle doit déterminer si l’exception obligatoire a été correctement appliquée » (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1279 [Sécurité publique], au par. 40). Il ressort de la jurisprudence que l’exercice par un ministre du pouvoir discrétionnaire conféré au paragraphe 19(2) peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 254, [2002] 1 C.F. 421 [Telezone]; Sécurité publique, au par. 41).

En ce qui concerne l’application de l’article 25 de la LAI, le rôle d’un juge siégeant en révision est « de décider si le responsable de l’institution avait appliqué correctement l’art. 25 » (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, au par. 232). Par conséquent, la question du degré d’efforts requis pour satisfaire à l’obligation de prélèvement prévue à l’article 25 de la LAI devrait être traitée comme un aspect de la révision de novo, et non comme un contrôle de décision discrétionnaire. En clair, il s’agit d’un processus en deux étapes. Premièrement, la cour de révision doit déterminer si l’institution fédérale s’est acquittée de son obligation d’envisager de prélever des parties du document comme le prévoit l’article 25 de la LAI. Si cela n’a pas été fait, la cour de révision doit le faire dans le cadre de sa révision de novo. Deuxièmement, la cour doit évaluer de novo s’il est raisonnable de ne communiquer qu’une partie du document. Le nœud du litige en l’espèce concerne la deuxième étape et la question de savoir s’il est raisonnable que l’institution fédérale entreprenne une analyse plus détaillée des risques de réidentification en vue de déterminer si de plus amples renseignements devraient être prélevés et communiqués.

Faits
Demande de communication de Molly Hayes

En août 2017, Molly Hayes a présenté à Santé Canada une demande de communication en vertu de la LAI afin d’obtenir la liste des adresses de toutes les personnes qui étaient autorisées à cultiver de la marijuana à des fins médicales ou la liste des adresses où la production de marijuana était autorisée. Santé Canada a conclu que la plupart des renseignements concernant les adresses des titulaires de licence étaient des renseignements personnels soustraits à l’exigence de communication en application du paragraphe 19(1) de la LAI. Santé Canada a caviardé des renseignements personnels du dossier et n’a communiqué que le nom des provinces.

Le 31 octobre 2017, Mme Hayes a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information relativement au refus de communication des autres renseignements demandés. La commissaire à l’information a convenu avec Santé Canada que l’exception des renseignements personnels prévue au paragraphe 19(1) de la LAI s’appliquait aux numéros de voirie, aux noms de rue et aux trois derniers chiffres des codes postaux. Par conséquent, ces renseignements ne devaient pas être communiqués. Cependant, elle a demandé à Santé Canada de déterminer s’il était possible de communiquer d’autres segments des codes postaux ainsi que les noms de ville. Santé Canada a par la suite accepté de communiquer le premier caractère du code postal, mais a refusé de communiquer d’autres renseignements, affirmant qu’il s’agissait de « renseignements personnels » parce qu’ils pouvaient permettre d’identifier les personnes autorisées s’ils étaient combinés à d’autres renseignements déjà divulgués.

Demandes de communication de Patrick Cain

En octobre 2017, Patrick Cain a présenté une demande de communication à Santé Canada afin d’obtenir un document dans un format triable indiquant les trois premiers caractères des codes postaux des personnes produisant du cannabis à des fins médicales personnelles ou à titre de personnes désignées; ces trois premiers caractères constituent le code de région de tri d’acheminement (RTA). Il a également demandé la communication d’un document dans un format triable indiquant les trois premiers caractères du code postal des consommateurs inscrits de marihuana à des fins médicales.

En réponse à la première demande, Santé Canada a communiqué le premier caractère des codes postaux et le nombre correspondant des producteurs inscrits à des fins médicales personnelles et de ceux inscrits à titre de personnes désignées, respectivement. Pour la deuxième demande de communication, Santé Canada a communiqué le premier caractère du code de RTA des personnes qui étaient autorisées à cultiver de la marihuana à des fins médicales ou qui avaient désigné quelqu’un d’autre pour le faire en leur nom. Pour les deux demandes, Santé Canada a refusé de communiquer les deuxième et troisième caractères des codes postaux au titre du paragraphe 19(1) de la LAI. M. Cain s’en est plaint à la commissaire à l’information (la commissaire).

La commissaire a conclu que le refus général de Santé Canada de communiquer davantage de renseignements n’était pas justifié par le risque de réidentification des personnes désignées, et qu’il n’y avait pas de justification à son refus de mener une analyse plus poussée en vue de trouver des renseignements supplémentaires susceptibles d’être prélevés et communiqués. La commissaire a convenu avec Santé Canada que la communication du nom des villes ou des RTA complètes comportait un risque de réidentification dans les endroits où la population est peu nombreuse, mais elle n’était pas convaincue que c’était le cas dans les régions plus peuplées.

Santé Canada a répondu qu’il n’avait pas l’intention de mettre en œuvre les recommandations de la commissaire parce que les deuxième et troisième caractères des codes postaux constituaient des renseignements personnels qu’il était tenu d’exclure de la communication au titre du paragraphe 19(1) de la LAI, et qu’il n’entreprendrait pas de les communiquer en vertu des exceptions discrétionnaires énoncées au paragraphe 19(2) de la LAI.

En vertu de l’alinéa 42a) de la LAI, la commissaire a intenté des recours en révision à l’encontre des décisions de Santé Canada. Par une ordonnance de la Cour datée du 27 août 2020, les affaires ont été réunies. Le commissaire à la protection de la vie privée a obtenu l’autorisation d’intervenir.

Décision

Santé Canada a été autorisé à refuser de communiquer les deuxième et troisième caractères des codes postaux et/ou les noms de ville des détenteurs de licence de production de marihuana à des fins médicales. Il existait de fortes possibilités que ces renseignements, combinés à d’autres, permettent d’identifier des personnes précises. Le refus de Santé Canada d’entreprendre une analyse plus détaillée en vue de déterminer si d’autres renseignements auraient pu être prélevés et communiqués était raisonnable.

Motifs
1. Le ministre de la Santé était-il autorisé à refuser la communication des documents en cause en vertu du paragraphe 19(1) au motif qu’ils constituent des renseignements personnels?

La communication du deuxième ou du troisième caractère des codes postaux, ou du nom des villes, entraînerait de fortes possibilités de réidentification (selon le critère établi dans la décision Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258, au par. 34), et ainsi, ces renseignements correspondent à la définition de « renseignements personnels », à savoir des renseignements concernant un individu identifiable.

Le ministre a-t-il eu raison de refuser de prélever d’autres parties des documents au titre de l’article 25 de la LAI?

Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3 [Merck Frosst], la Cour suprême du Canada a confirmé que l’article 25 de la LAI impose une obligation aux institutions fédérales et qu’il incombe à l’institution de justifier pourquoi il n’est pas raisonnable de prélever certains renseignements afin de communiquer une partie d’un document. Pour ce faire, il faut effectuer une analyse sémantique ainsi qu’une analyse des coûts et des avantages. L’analyse sémantique « vise à établir si ce qu’il reste après que les renseignements soustraits à la divulgation ont été retranchés du document en cause a un sens » (Merck Frosst, au par. 237). En l’espèce, il est évident que la communication d’éléments supplémentaires des codes postaux fournirait des renseignements utiles. Cependant, les arguments en l’espèce sont axés sur l’aspect coûts-avantages, qui est traité au paragraphe 237 de l’arrêt Merck Frosst : « l’analyse des coûts et des avantages sert à déterminer si les avantages qu’il y a à prélever et divulguer les renseignements restants à la suite du processus d’expurgation justifient les efforts déployés par l’institution fédérale en vue d’expurger le document en cause. »

La question est de savoir si « l’effort » requis pour prélever davantage les documents est « raisonnablement proportionné à la qualité de l’accès qui s’ensuivrait ». Santé Canada avait déjà communiqué le premier caractère des RTA concernées, de sorte que l’emplacement général de la plupart des licences avait été révélé. La preuve démontre qu’il y a de fortes possibilités que la communication de données supplémentaires sur les codes postaux et/ou du nom des villes expose des renseignements de nature très délicate concernant des individus. De même, le fait d’exiger que Santé Canada effectue une analyse des risques pour chaque RTA séparément imposerait un fardeau disproportionné par rapport à la qualité de l’accès qui s’ensuivrait. De plus, le fait d’exiger de Santé Canada qu’il effectue une analyse des autres techniques de dépersonnalisation proposées par le commissaire à la protection de la vie privée et appuyées par la commissaire à l’information dans les circonstances de cette affaire, irait au-delà de ce qui est exigé par l’article 25 de la LAI.

Loi sur la protection des renseignements personnels

Il n’y a pas eu d’affaires notables devant la Cour fédérale concernant la loi sur la protection de la vie privée cette année.

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