Psychologie médico-légale

Politique et pratiques en milieu correctionnel

Michael C. King, Ph.D., ABPP

Travailler comme psychologue en milieu correctionnel pose des défis singuliers, car les exigences « techniques » sont grandes. Il faut savoir utiliser des méthodes d'évaluation scientifiquement validées et très diverses, savoir recueillir systématiquement des éléments d'information auprès de nombreuses sources et les évaluer à l'aide des meilleures méthodes cliniques et actuarielles pour pouvoir formuler des prévisions exactes et utiles. L'évaluation du psychologue des services correctionnels peut avoir de sérieuses conséquences non seulement pour le délinquant mais aussi pour la communauté pénitentiaire et l'ensemble de la société, dont il est le mandataire.

Dans leurs interventions thérapeutiques auprès de délinquants, les psychologues doivent composer avec une clientèle complexe et souvent réfractaire au traitement, une clientèle fort différente de leur pratique habituelle faite de personnes motivées qui viennent les consulter de plein gré. Il faut donc tempérer les objectifs du traitement en fonction des réalités de cette clientèle, de l'évolution constante des connaissances scientifiques sur les méthodes de traitement psychologique et des exigences multiples voire contradictoires auxquelles les psychologues doivent satisfaire parce qu'ils ont des obligations à la fois envers le délinquant, envers les autorités pénitentiaires et envers la société toute entière.

Pour les psychologues qui travaillent auprès de délinquants, les dilemmes moraux ne manquent pas, ni, d'ailleurs, les occasions d'exercer leur créativité dans la prise de décisions d'ordre éthique. Depuis toujours confrontes à la question fondamentale : « Qui est le client? », les psychologues trouvent plusieurs réponses dans le milieu correctionnel

Si, comme tout autre praticien, ils ont une responsabilité envers la personne à qui ils offrent directement leurs services, ils ont, en même temps, le devoir de ne pas compromettre la sécurité de l'établissement, ni celle de leurs collègues ou des autres détenus. Ils ont aussi des obligations envers la société, qui est directement intéressée par l'issue de leurs interventions auprès des détenus. Or, il arrive que les objectifs du traitement pour le délinquant soient incompatibles avec l'ordre et le bien-être de la société à laquelle il est appelé à se réintégrer. Tiraillés par une multitude d'attentes contradictoires, les psychologues qui travaillent en milieu correctionnel doivent constamment s'efforcer de les concilier.

Promouvoir l'autonomie du client et tout mettre en œuvre pour compenser l'inégalité du rapport de forces entre le client et l'intervenant sont des impératifs primordiaux dont il faut tenir compte dans la prise de décisions d'ordre éthique concernant la prestation de services psychologiques. Toute condition qui mine l'autonomie du client comme la restriction du caractère volontaire ou libre de la participation à une évaluation psychologique, à un traitement ou à une recherche rend le client « vulnérable » du point de vue éthique. Les psychologues appelés à intervenir auprès de clients vulnérables doivent être particulièrement conscients des dilemmes que cela pose sur le plan de l'éthique et appliquer des méthodes rigoureuses de prise de décision pour résoudre ces dilemmes de façon acceptable.

Enfin, à cause du paradoxe social et politique qui entoure tous les services offerts en milieu correctionnel, les psychologues et les autres professionnels qui travaillent dans les pénitenciers verront souvent leurs réussites passées sous silence mais leurs échecs – dont certains sont inévitables - vivement décriées.

Face à une tache aussi exigeante, la plupart des psychologues reconnaissent l'importance d'utiliser dans leur travail les données scientifiques les plus récentes sur l'exercice de leur profession et de suivre l'évolution des normes professionnelles et déontologiques. Cependant, il leur est difficile de le faire en raison de la complexité et du véritable foisonnement des résultats de recherches sur l'exercice de leur profession.

Les Lignes de conduite à l 'intention des psychologues élaborées par le Service correctionnel du Canada (SCC) sont un outil précieux qui aidera les praticiens à s'acquitter de leurs obligations de favoriser une évolution positive des délinquants, de réduire les risques et d'offrir des services plus efficaces dans le système correctionnel. Il s'agit du premier guide à regrouper sous une forme claire, accessible et complète tout ce que nous savons de l'exercice de la psychologie en milieu correctionnel et des moyens qui peuvent nous permettre d'étendre ces connaissances. Les Lignes de conduite reposent sur le principe que l'exercice de la psychologie doit s'inspirer de connaissances et de méthodes scientifiquement validées. Elles reconnaissent, cependant, que l'application de connaissances psychologiques à des fins cliniques nécessite forcement la prise de certaines décisions là où il n'y a pas de données sûres. Les Lignes de conduite traduisent un compromis avec cette réalité. Elles partent du principe que les psychologues chevronnés qui font appel aux connaissances les plus récentes et a des méthodes systématiques de collecte de données, qui exercent leur profession consciencieusement tout en étant attentifs aux besoins de leurs clients et qui assoient leurs décisions d'ordre éthique sur une démarche méthodique, sont le plus en mesure de s'acquitter de leurs responsabilités envers les nombreux clients du SCC.

Dès qu'il est question de Lignes de conduite concernant l'exercice d'une profession, on se demande s'il n'y a pas ingérence, si de telles consignes n'entravent pas le jugement clinique du psychologue. Les Lignes de conduite du SCC montrent qu'au contraire, loin de restreindre l'autonomie des praticiens, de telles consignes peuvent servir de levier et contribuer à relever la qualité des soins en incitant chaque psychologue, individuellement, et l'ensemble de la profession, à plus de rigueur. Elles énoncent des principes décisionnels qui ne remplacent pas le jugement clinique individuel mais le complètent.

Pour être utiles, les Lignes de conduite doivent nous révéler les lacunes de nos propres connaissances et interventions, puisque les omissions sont toujours plus difficiles à déceler que les autres erreurs. Les Lignes de conduite du SCC et les documents qui s'y rapportent indiquent clairement quelles données doivent être recueillies plus systématiquement.

Enfin, les Lignes de conduite qui régissent l'exercice de la profession ne sont pas des documents immuables. Elles sont constamment révisées, au fur et à mesure qu'évoluent nos connaissances sur la théorie et la pratique de la psychologie.

On trouvera au début de ce Guide les énoncés de politique pertinents; viennent ensuite des articles d'experts décrivant le contexte et les données qui conditionneront la mise en œuvre de cette politique. La Directive du Commissaire résume les responsabilités des psychologues dans leurs différents secteurs d'intervention au SCC; elle met en évidence les attentes et les obligations parfois opposées qui caractérisent le travail du psychologue auprès d'une clientèle carcérale.

Les Lignes de conduite décrivent les particularités des évaluations faites en milieu correctionnel et rappellent l'importance d'être sensible à certains facteurs comme l'origine ethnique et le sexe des délinquants auprès desquels on intervient. Les articles d'information générale sont une ressource précieuse pour les psychologues désireux de connaitre l'état de nos connaissances sur l'exercice de la psychologie en milieu correctionnel. Ce sont des ressources à la fois rigoureuses et pratiques qui intègrent nos connaissances de même que les normes et les méthodes qui ont cours; elles décrivent ce que nous savons de ce domaine et les zones grises qu'il reste à élucider.

Tous ceux et celles qui ont participé à l'élaboration de ce document ont rendu un service inestimable aux psychologues qui travaillent dans un contexte correctionnel ou un contexte d'expertise judiciaire. Les personnes qui souhaiteraient tracer des Lignes de conduite a l'intention des psychologues œuvrant dans d'autres domaines pourraient s'inspirer de ces Lignes de conduite et de la façon tout à fait exemplaire dont elles ont été élaborées.

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