Chapitre 7 - Maintien du Plan d'action global commun : menaces, défis et calculs de l'Iran

Depuis juillet 2015, l’Iran, le P5+1Note de bas de page 13 et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont chacun pris un certain nombre de mesures en vue de la mise en œuvre du Plan d’action global commun (PAGC). L’Iran a réduit des éléments clés de ses activités nucléaires sensibles et accordé un plus grand accès à l’AIEA afin de convaincre la communauté internationale qu’il utilise les matières nucléaires exclusivement à des fins pacifiques. Il a aussi fourni plus d’informations sur ses activités nucléaires passées afin de permettre à l’AIEA de clarifier les dimensions militaires possibles du programme nucléaire et la nature de ses activités antérieures de militarisation. Pour sa part, le P5+1 a amorcé la levée des sanctions et a accordé à l’Iran l’accès à ses actifs gelés à l’étranger. Ce processus et ses répercussions suscitent toutefois de la controverse. Le processus de mise en œuvre du PAGC se heurte à une difficulté de taille : il est important que l’Iran sente les effets de la levée des sanctions et n’en soit pas uniquement témoin.

(...) il est important que l'Iran sente les effets de la levée des sanctions et n'en soit pas uniquement témoin.

Aux États‑Unis, certains observateurs croient que Washington n’est pas tenu de faciliter la réintégration de l’Iran dans l’économie mondiale, alors que d’autres soutiennent que la viabilité du PAGC et l’avenir des relations entre les États‑Unis et l’Iran et entre l’Occident et l’Iran reposent sur la capacité de ce dernier de rebâtir son économieNote de bas de page 14. Pour sa part, l’AIEA a produit son rapport sur les dimensions militaires possibles du programme nucléaire iranien qui clarifie les activités passées de Téhéran. Ce rapport divise les activités nucléaires de l’Iran en trois principales périodes qui reflètent la progression des projets nucléaires du pays depuis 2002, lorsque le dossier nucléaire iranien a été mis au jour :

  1. Avant 2003 : L’Iran avait un solide programme d’armes nucléaires;
  2. De 2003 à 2009 : L’Iran a mené des activités de recherche‑développement en matière de militarisation;
  3. Depuis 2009 : Rien n’indique que l’Iran a un programme d’armement.

Bien qu’il ait suscité de la controverse aux États‑Unis, le rapport permet quand même d’obtenir une excellente idée des ambitions nucléaires de l’Iran et de sa façon de penser, et valide les conclusions de l’appareil du renseignement américain sur la question. L’AIEA a également commencé à produire des rapports d’étape sur la mise en œuvre du PAGC, qui confirment que, jusqu’à maintenant, l’Iran en respecte les modalités. Le présent document porte sur les intentions nucléaires de l’Iran après l’expiration du PAGC et aborde les difficultés associées à l’accord et à sa mise en œuvre, lesquelles pourraient modifier la politique actuelle de Téhéran sur le nucléaire.

Les armes nucléaires dans les calculs en matière de sécurité de l’Iran à la suite de l’expiration du PAGC

Le rapport sur les dimensions militaires possibles du programme nucléaire iranien confirme l’évaluation de l’appareil du renseignement des Nations Unies selon laquelle rien n’indique que depuis 2009, l’Iran poursuit un programme d’armes nucléaires. Avant l’adoption du PAGC, l’appareil du renseignement américain avait déterminé que même si Téhéran avait les moyens scientifiques, techniques et industriels de fabriquer une arme nucléaire, il n’avait pas pris la décision politique d’aller de l’avantNote de bas de page 15. Le rapport sur les dimensions militaires possibles du programme iranien renferme toutefois plus d’informations sur les ambitions nucléaires de l’Iran et brosse un tableau plus clair de ses activités de militarisation. Avant 2009, l’Iran jouait sur les deux tableaux, à l’instar du shah qui a intégré le programme nucléaire dans le projet « Atomes pour la paix » lancé dans les années 1950. Autrement dit, alors que le pays poursuivait un programme d’énergie nucléaire pour les motifs légitimes qu’il présentait à la communauté internationale (utilisation à des fins médicales et industrielles, pour la recherche et l’alimentation en électricité et à d’autres fins pacifiques), il menait également des activités de recherche‑développement sur la militarisation.

Avec l’actuel PAGC, il est beaucoup plus difficile pour Téhéran de continuer à jouer sur les deux tableaux, du moins tant que l’accord sera en vigueur. On ignore ce que fera l’Iran à l’expiration du PAGC. Il est d’ailleurs difficile de le prédire. Si l’accord est appliqué de façon adéquate, les activités de l’Iran se limiteront à celles autorisées dans le cadre du Traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires (TNP), de son accord de garanties et du protocole additionnel, et en vertu des modalités du PAGC. Par ailleurs, le processus de mise en œuvre jouera un rôle de premier plan dans l’orientation du programme nucléaire iranien et des intentions de Téhéran dans le dossier nucléaire : si elles constatent que le PAGC procure des avantages politiques, économiques et nucléaires à l’Iran, les instances dirigeantes seront plus susceptibles de continuer à se conformer aux obligations internationales. Autrement dit, si Téhéran peut poursuivre son programme nucléaire et reprendre une place sur la scène politique et économique mondiale, il sera plus susceptible de continuer à se conformer aux modalités de l’accord. Toutefois, si la levée des sanctions ne lui procure pas les avantages auxquels il s’attendait ou s’il se voit dans l’incapacité d’utiliser la filière d’approvisionnement, l’Iran risque de recommencer à jouer sur les deux tableaux, soit en trichant, soit en reniant les engagements pris dans le cadre du PAGC.

Difficultés associées à la mise en œuvre du PAGC

Trois principaux facteurs risquent de compliquer la mise en œuvre du PAGC : les activités liées à la défense de l’Iran, qui ne violent pas directement le Plan, mais le remettent en question; les activités iraniennes dans la région et l’impression de plus en plus nette qu’ont les Iraniens que le pays a été le grand perdant dans la négociation de l’accord.

Activités liées à la défense

Il est peu probable que l’Iran remette en question directement le PAGC si le statu quo persiste. Autrement dit, Téhéran ne risque pas d’en violer directement les modalités en reprenant des activités nucléaires interdites ou en renversant les mesures prises dans le cadre de l’accord. Il maintiendra probablement plutôt ses activités non nucléaires et risque même de les intensifier. Ces activités compliquent l’application du PAGC et créent un malaise en Occident, notamment aux États‑Unis, ainsi qu’au Moyen‑Orient, surtout en Israël et dans les pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Elles comprennent les essais de missiles balistiques, les cyberactivités (y compris les cyberattaques et le cyberespionnage) et le développement du programme spatial. Elles sont menées pour diverses raisons principalement sous la direction des Gardiens de la Révolution islamique (GRI). Premièrement, elles visent à compenser ce que bon nombre des membres des GRI et d’autres ultraconservateurs iraniens considèrent comme les concessions excessives faites par le gouvernement dans le cadre de l’accord. Ainsi, elles ont pour objet d’apaiser les détracteurs iraniens du PAGC ainsi que des politiques en matière de sécurité et de la politique étrangère de Rohani, qui sont considérées comme trop laxistes. Deuxièmement, ces activités constituent un moyen pour les GRI d’accroître la puissance matérielle du pays tout en lui permettant de projeter sa puissance et de montrer aux adversaires, dont les États‑Unis, Israël et l’Arabie saoudite, que l’Iran demeure une force non négligeable capable de repousser des frontières.

Activités dans la région

Les activités de l’Iran dans la région constituent depuis longtemps une source de préoccupation pour ses voisins et les puissances occidentales, notamment les États‑Unis, qui comptent un réseau d’alliés et des intérêts au Moyen‑Orient. Toutefois, depuis l’intervention des États‑Unis en Irak en 2003 et le printemps arabe, le CCG considère l’Iran comme son principal adversaire et la principale menace pour sa sécurité et ses intérêts. Actuellement, cette menace est plus grave que celle que représente Israël, l’Iran ayant remplacé cet ennemi traditionnel des pays arabes dans l’esprit des membres du CCGNote de bas de page 16. L’« expansion » et l’« influence » de l’Iran dans la région et son « ingérence dans les affaires arabes » les préoccupent sérieusement. Les États‑Unis considèrent aussi un Iran enhardi comme une menace importante pour leur sécurité nationale et leurs intérêts dans la région, mais voient en même temps de plus en plus de possibilités de collaboration (notamment en Irak et en Afghanistan) dans un contexte régional où Téhéran exerce une plus grande influence et où les intérêts des États membres du CCG ne cadrent pas nécessairement avec les leurs. Il s’agit d’une autre source d’inquiétude pour le CCGNote de bas de page 17. Pour sa part, l’Iran croit qu’il a besoin d’un réseau d’intermédiaires et d’autres alliés pour assurer sa sécurité et qu’à moins de maintenir une présence et de continuer d’exercer une influence dans diverses régions du Moyen‑Orient, où les gouvernements centraux soit se sont effondrés, soit se sont tellement affaiblis qu’ils sont sur le point de s’écrouler, il devra lutter contre diverses menaces sur son territoireNote de bas de page 18. Par conséquent, l’influence que l’Iran exerce dans la région suscite deux problèmes. Premièrement, certaines de ces activités nuisent directement ou indirectement aux intérêts américains ou les menacent. Deuxièmement, certains États membres du CCG craignent ce qu’ils considèrent comme une présence accrue de l’Iran dans la région, en plus de son éventuelle collaboration avec les États-Unis.

Les activités de l’Iran dans la région et la situation en Syrie, en Irak, au Yémen, au Liban et en Afghanistan n’étaient pas visées dans les négociations de l’accord nucléaire. Les États‑Unis et l’Iran plus particulièrement ont toutefois discuté de dossiers régionaux en marge des pourparlers (même s’ils l’ont nié publiquement), mais il n’a pas été question, dans le cadre des négociations entourant le PAGC, des activités de Téhéran dans la région et du soutien accordé par la mollarchie aux groupes terroristes. Pourtant, ces problèmes peuvent nuire à la mise en œuvre de l’accord. En fait, les États‑Unis sont de plus en plus appelés à intervenir (à la fois pour des raisons liées à leurs intérêts et aux intérêts nationaux et aux préoccupations de leurs alliés) afin de réduire l’influence que l’Iran continue d’exercer dans la région. Si une telle intervention se solde par plus de sanctions, l’Iran sentira encore moins les avantages de la levée des sanctions prévue dans le cadre du PAGC, ce qui ne fera que susciter une plus grande désillusion de sa part face à l’accord. Il importe aussi de signaler qu’alors qu’une bonne part des discussions internes à Washington depuis l’adoption de l’accord ont porté sur la façon de rassurer les alliés du CCG, rien n’indique clairement que les mesures que les États‑Unis seraient aptes ou disposés à prendre contribueront à dissiper ces craintesNote de bas de page 19. Ainsi, même si les sanctions liées aux activités régionales de l’Iran auront certainement une incidence sur la mise en œuvre du PAGC, elles sont peu susceptibles d’apaiser les inquiétudes des États membres du CCG. Elles pourraient même aller à l’encontre des intérêts financiers de la plupart de ces États, qui cherchent à accroître leurs liens économiques et commerciaux avec l’Iran.

Reprise économique

L’Iran avait espoir que la levée des sanctions favoriserait une reprise économique et ouvrirait la voie à sa réintégration dans l’économie mondiale et à son retour sur les marchés internationaux. Toutefois, cet espoir s’est presque entièrement envolé et a été remplacé par des préoccupations pressantes. Si la reprise économique à laquelle il s’attendait ne se concrétise pas, l’Iran sera moins susceptible de soutenir le PAGC et pourrait envisager de ne pas s’y conformer. Le processus de levée des sanctions contre l’Iran entraîne deux catégories de problèmes. Les premiers sont extérieurs à l’Iran et découlent de la politique intérieure des États‑Unis, de l’absence de directives claires de la part des principales institutions américaines et des autres sanctions. Les seconds découlent de la politique intérieure et de l’économie de l’Iran, y compris de la présence des GRI dans la plupart des principaux secteurs de l’économie, de la corruption et de la mauvaise gestion des ressources ainsi que d’un manque de continuité politique. Ces problèmes continuent de dissuader les entreprises d’investir en Iran. Au printemps 2016, l’Occident a tenté de rassurer les investisseurs et de les encourager à aller en Iran. Pour sa part, l’Iran est au courant de ses problèmes intérieurs et structurels et prend des mesures pour les réglerNote de bas de page 20. Il doit absolument le faire s’il veut attirer des investisseurs et des entreprises, qui ne reviendront que si les conditions au pays deviennent plus propices à l’investissement grâce à l’application continue du PAGC.

Bien que les divers blocs en Iran ne voient pas tous l’accord du même œil, ils s’entendent presque tous pour dire que l’investissement étranger et le commerce extérieur constituent des éléments positifs. Toutefois, les ultraconservateurs, notamment le Guide suprême Khamenei, croient qu’ils ont eu raison de dire que les sanctions ne seraient pas levées, que plus de sanctions seraient imposées et que les États‑Unis créeraient plus d’obstacles pour empêcher l’Iran d’atteindre ses objectifs politiques et économiques. Si le statu quo persiste, les ultraconservateurs ont tout à gagner de l’absence de progrès sur le plan de la levée des sanctions. Ils disposeront ainsi de plus d’arguments pour défaire Rohani en 2017.

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