Comment expliquer l’actuel antagonisme géopolitique entre l’Occident et la Chine?
Grâce à son essor économique, la Chine peut remettre en question la structure du pouvoir à l’échelle planétaire et les règles de l’ordre mondial. L’idéologie socialiste est importante pour consolider le pouvoir du Parti communiste chinois, mais c’est la volonté de Beijing de revendiquer le statut de grande puissance et sa détermination à exercer un pouvoir autoritaire qui orientent la politique étrangère. Alors que la Chine s’élève contre la domination des États‑Unis et qu’un nouvel ordre mondial bipolaire se dessine, d’autres acteurs peuvent s’opposer au type de pouvoir exercé par la Chine et à sa teneur.
Le pouvoir et l’idéologie semblent être les deux principaux fondements de l’antagonisme géopolitique entre la République populaire de Chine (RPC) et l’Occident et de leur peur réciproque. Les personnes qui ont une vision réaliste des relations internationales affirmeraient que l’essor de la RPC et, dans certains cas, le déplacement du pouvoir en sa faveur expliquent à eux seuls la rivalité croissante entre les deux principales économies mondiales, tandis que celles qui ont une vision libérale du monde verraient plutôt l’explication dans les différences entre les systèmes politiques, les idéologies et l’appréciation du monde.
Sans vouloir réconcilier ces deux écoles de pensée, il est juste de dire que la rivalité découle du pouvoir croissant de la Chine sur la scène internationale et des particularités de son système politique, à savoir un régime unipartite et de plus en plus dictatorial. Le discours politique anti‑occidental que tiennent les autorités chinoises sur diverses tribunes dans le monde alimente également cette rivalité.
Les autorités chinoises invoquent souvent les différences culturelles pour expliquer l’antagonisme entre l’Orient et l’Occident, ce qu’elles préfèrent qualifier d’« incompréhension ». Le bien‑fondé d’une telle explication incite toutefois à la réserve, car bon nombre de pays orientaux et même de pays confucianistes tels que le Japon et la Corée du Sud éprouvent une anxiété semblable à l’égard de la RPC. Cette forme de culturalisme, dont il sera question plus bas, est en fait l’un des arguments idéologiques que le Parti communiste chinois (PCC) avance régulièrement.
Pouvoir
La RPC a vu croître son pouvoir économique, diplomatique et militaire au cours de la dernière décennie, ce qui a fortement ébranlé les fondements mêmes de l’ordre mondial et de la politique à l’échelle planétaire. Son essor a changé considérablement la donne dans la période d’après-guerre froide, beaucoup plus que ne l’a fait l’émergence de nouvelles puissances économiques comme l’Inde et le Brésil. La RPC a tiré profit non seulement de la fin de la guerre froide et de la chute de l’Union soviétique, mais aussi de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en 2001 et, de façon générale, de son intégration dans l’économie mondiale et de la mondialisation continue de l’économie.
La Chine – qui a accédé au rang de deuxième économie mondiale en importance en 2010 et qui entend devancer les États‑Unis d’ici 2040 et peut‑être même 2030 – a commencé en toute logique à revendiquer un rôle accru dans les affaires internationales. Mise de côté graduellement pendant le règne de Hu Jintao, la diplomatie discrète (taoguang yanghui) que Deng Xiaoping avait commencé à pratiquer après les événements de Tiananmen pour réduire l’isolement du régime chinois a été abandonnée pour de bon lorsque Xi Jinping a pris le pouvoir en 2012. Aujourd’hui, Beijing souhaite accroître sa présence sur l’échiquier mondial, élargir son influence au sein des organisations internationales multilatérales, intensifier sa participation dans les affaires mondiales et augmenter le nombre de ses responsabilités à l’échelle internationale.
Depuis 1978, la RPC a réformé son économie dirigée, s’est ouverte sur le monde et a connu une évolution sans précédent. De tels changements ont jeté les bases d’une participation accrue dans le système des Nations Unies, d’une implication croissante dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, d’une hausse de la quote‑part dans le Fonds monétaire international et d’une participation enthousiaste aux sommets du G20. Ces mêmes changements ont aussi ouvert la voie à des initiatives internationales, dont le programme « Une Ceinture, une route » en 2013 et la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures en 2014.
Grâce à son essor économique, la RPC a également pu moderniser rapidement son armée, ce qui a grandement modifié l’équilibre des forces en Asie de l’Est et, en général, dans la région indopacifique. Cet essor permet en outre à Beijing de déployer davantage d’efforts pour réaliser ses ambitions de longue date, c’est‑à‑dire exercer un contrôle complet sur le bassin maritime qu’il revendique (un legs du régime politique précédent, la République de Chine), assurer la réunification avec Taïwan et offrir une meilleure protection à ses ressortissants à l’étranger. Bref, tout gouvernement chinois nationaliste disposant de moyens militaires semblables, peu importe sa nature ou son orientation politique, serait tenté de poursuivre les mêmes objectifs. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’Armée populaire de libération (APL) – aujourd’hui en mesure de faire la démonstration de son pouvoir même à grande distance des côtes du pays – tente d’imposer une nouvelle réalité par différents moyens : renforcement de sa présence navale et construction de plusieurs îles artificielles en mer de Chine méridionale; multiplication des opérations de ses forces aériennes et navales à des fins d’intimidation autour de l’île dans le détroit de Taïwan; contestation du contrôle par le Japon des eaux entourant les îles Senkaku (Diaoyu) en mer de Chine orientale; établissement d’une nouvelle zone d’identification de défense aérienne qui chevauche celle du Japon (et de la Corée du Sud). De même, la logique de grande puissance explique pourquoi la Chine a décidé en 2015 d’établir une base navale à Djibouti et peut‑être une autre à Gwadar, au Pakistan, un projet que Beijing niait catégoriquement jusqu’à tout récemment.
À de nombreux égards, la Chine semble fixer ses objectifs en s’inspirant des réalisations des États‑Unis et vouloir ainsi s’attribuer elle‑même les caractéristiques de l’ancienne « hyperpuissance » et aujourd’hui seule superpuissance du mondeNote de bas de page 1 . La Chine est le seul pays qui peut envisager de surpasser les États‑Unis grâce à son poids économique et à son influence diplomatique, même si l’APL aura probablement du retard sur l’armée américaine à long terme. Par son comportement, la Chine contribue à accroître la bipolarité structurelle de l’ordre mondial, bipolarité dont elle subit aussi les effets. Beijing préconise l’idée d’une transition pacifique du pouvoir, souhaitant éviter le piège de Thucydide et les autres obstacles évoqués dans les différentes théories en la matière. Toutefois, nombre d’analystes en Chine et à l’étranger doutent sérieusement que la transition se concrétise.
Beaucoup de dirigeants et d’experts chinois estiment que ce sont les grandes puissances (et les vainqueurs des guerres mondiales) qui fixent les normes internationales et les imposent aux autres pays. Selon eux, il est temps pour Beijing de modifier ces normes afin qu’elles favorisent les intérêts du pays. La Chine a d’ailleurs une interprétation révélatrice du droit de la mer (convention de Montego Bay). En effet, elle entend interdire à tout navire étranger les zones économiques exclusives qu’elle revendique et refuse de reconnaître la légitimité des mécanismes d’arbitrage établis conformément à ce droit.
En d’autres mots, l’antagonisme croissant entre la Chine d’une part et les États‑Unis et l’Occident en général d’autre part est une conséquence directe et logique de l’essor économique, diplomatique et militaire de Beijing, de ses ambitions croissantes ainsi que de sa rivalité structurelle, bien qu’asymétrique, avec Washington.
La RPC ne veut toutefois pas projeter la même image que les États‑Unis. Elle soutient qu’elle sera une grande puissance beaucoup plus juste que ses prédécesseurs et que ses compétiteurs et qu’elle ne versera jamais dans l’hégémonie ni dans l’impérialisme, compte tenu de son passé douloureux et de sa nature socialiste. À titre d’État socialiste moderne, d’économie méridionale en développement et de pays d’Asie, la Chine compte démontrer qu’elle saura faire mieux. Les paragraphes qui suivent abordent l’autre particularité importante de l’antagonisme entre la RPC et l’Occident : l’idéologie.
Idéologie
Dans quelle mesure la nature de son régime politique dicte‑t‑elle à la RPC ses objectifs et ses comportements à l’étranger? Il est moins facile qu’il n’y paraît de répondre à cette question. Il existe un précédent dans l’histoire. L’antagonisme de l’Union soviétique envers l’Occident était profondément ancré dans le projet socialiste, le régime unipartite, la nationalisation des modes de production ainsi que la volonté d’étendre le communisme à l’échelle planétaire et de vaincre le capitalisme occidental. L’Union soviétique jouissait par ailleurs du statut de grande puissance et disposait d’un impressionnant armement nucléaire et traditionnel.
En revanche, la Chine semble entretenir des objectifs très différents à de nombreux égards. Beaucoup plus diversifiée, sa structure économique permet aux entreprises privées de prospérer aux côtés d’un secteur public puissant. Son économie, nullement isolée de l’Occident, est de plus en plus intégrée à l’économie mondiale. Qui plus est, le PCC s’est grandement éloigné de ses objectifs initiaux, remplaçant le communisme par la prospérité commune et le marxisme‑léninisme par le nationalisme et le confucianisme. Beijing a cessé de vouloir révolutionner le monde depuis un certain moment déjà. Les autorités maintiennent le régime unipartite, mais n’hésitent pas à interagir avec d’autres types de régimes, dont des démocraties libérales, et coexistent en paix avec eux.
Cela dit, le PCC ne peut pas renoncer entièrement à ses principes idéologiques ni cesser de croire au socialisme ou de vouloir à tout prix demeurer le seul parti permettant de gravir les échelons politiques. Il doit donc réprimer toute voix dissidente qui préconise le constitutionnalisme et la démocratie au pays. Il privilégie le secteur public et tente de diriger le secteur privé, et il continuera vraisemblablement de restreindre l’accessibilité des marchés chinois aux étrangers. Le pouvoir croissant de la Chine permet au PCC non seulement de mieux protéger le régime, mais aussi de redoubler de vigueur sur la scène internationale. Depuis la tenue du 19e Congrès du Parti en octobre 2017, les réflexions de Xi Jinping et son propre statut témoignent clairement des ambitions de Beijing, ce qui amplifie directement l’antagonisme entre la Chine et l’Occident.
En conséquence, le principal objectif du PCC en matière de politique étrangère doit être de neutraliser toute force étrangère qui pourrait menacer sa stabilité, sa légitimité et sa longévité. Toute organisation non gouvernementale ou tout gouvernement occidental qui tenterait d’influencer la politique intérieure de la Chine et de l’inciter à se démocratiser se heurterait à un fort mouvement de résistance et de répression. Bon nombre des initiatives de Beijing à l’étranger consistent à étayer le discours du régime et, pour ce faire, à promouvoir la « démocratie socialiste », les particularités culturelles de la Chine ou son « exceptionnalisme », à critiquer la « démocratie occidentale » ou ce que les autorités appellent communément la « démocratie bourgeoise », à prétendre accorder la priorité aux droits économiques et sociaux plutôt qu’aux droits politiques, comme le faisait l’URSS, ainsi qu’à promouvoir activement le principe de « non‑ingérence » dans les affaires intérieures des autres pays.
Si la Chine soutient aussi fermement un ordre mondial westphalien où la souveraineté est intouchable et ne saurait être remise en question au nom des droits de la personne ou même de la responsabilité de protéger, c’est en grande partie parce que le PCC doit se défendre lui‑même contre toute ingérence étrangère malvenue, d’où la « complicité » qu’entretiennent les régimes autoritaires que sont la Chine et la Russie dans un grand nombre de dossiers, notamment les crises en Libye et ailleurs dans le monde.
Beijing profite de son pouvoir croissant sur les plans économique, diplomatique et militaire ainsi que des différents signes du déclin de l’Occident – crises financières, démocraties dysfonctionnelles et montée du populisme – pour élargir ses visées et redoubler d’ardeur dans sa bataille idéologique. Comme le pouvoir et l’idéologie sont liés de façon intrinsèque, Beijing et les intellectuels favorables au gouvernement préconisent sans relâche le modèle de croissance et de gouvernance de la Chine dans le but d’amener l’Occident et les pays de l’hémisphère Sud à se distancier des valeurs occidentales et des normes internationales fixées par l’Occident, tout particulièrement lorsqu’il s’agit des droits de la personne, des libertés individuelles et du respect de la vie privée.
Depuis 2008, et de façon encore plus marquée depuis 2012, la Chine emploie une stratégie offensive qui comporte une forte dimension idéologique. Par exemple, elle insiste continuellement sur les échecs et les vicissitudes des démocraties libérales, surtout dans les pays en développement, et salue toujours les réussites économiques des régimes autoritaires en voie de se moderniser, comme l’Éthiopie et le Rwanda. Autrement dit, tout Occidental qui ose critiquer le régime politique de la Chine se voit reprocher sa mentalité d’après‑guerre froide, tandis que Beijing mène ouvertement une guerre idéologique planétaire contre l’Occident afin d’affaiblir et de délégitimer la démocratie libérale.
Il existe manifestement une tension entre, d’une part, l’exceptionnalisme de la Chine et son désir d’exporter ses « solutions » et, d’autre part, sa volonté de jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale et d’aider à gérer et à résoudre les crises internationales. Cela dit, le PCC a, somme toute, réussi à empêcher que sa diplomatie s’empreigne d’idéologie, les comportements ou les gestes de ses diplomates étant souvent présentés comme l’expression des intérêts des pays de l’hémisphère Sud ou, si possible, de la majorité de la communauté internationale.
Cependant, plus que l’idéologie, c’est la crainte d’être isolé et l’obligation de présenter un front uni qui ont convaincu le gouvernement chinois de faire preuve de souplesse par rapport aux enjeux internationaux qui ne compromettent pas ses principaux intérêts. Le fait qu’elle souscrive partiellement au principe de la responsabilité de protéger – pour autant que les autorités du pays où ce principe est mis de l’avant l’appuient également – est un bon exemple d’un changement dans la politique étrangère de la Chine qui contribue à atténuer l’antagonisme géopolitique entre elle et l’Occident.
En outre, un régime dictatorial permet au PCC de mieux contrôler le nationalisme chinois. S’il est vrai que le Parti nourrit activement l’animosité envers les États-Unis et le Japon lorsqu’il en ressent le besoin, comme il l’a fait après le bombardement de l’ambassade de la RPC à Belgrade en 1999 et à la suite de la décision du Japon de renforcer son alliance avec les États-Unis en 2005, il s’avère aussi que les autorités chinoises se montrent plus efficaces que beaucoup de gouvernements démocratiques lorsqu’il s’agit de contenir et, dans l’ensemble, de prévenir les incidents nationalistes violents et les gestes d’animosité envers les étrangers, ce qui contribue également à réduire ou, du moins, à gérer les tensions de la Chine avec les pays limitrophes et l’Occident.
Est‑ce l’idéologie qui a incité la RPC à déplacer ses pièces sur l’échiquier avec plus de soin ou dans un plus grand secret? Des analystes ont invoqué des arguments culturels pour expliquer la propension de Beijing à recourir à la tromperie et sa réticence à déployer des moyens militaires contre Taïwan ou dans les mers de Chine orientale et méridionale. Or, il peut aussi être allégué que tous les stratèges emploient la tromperie de toute façon et que le « réalisme culturel » a déjà incité la Chine à entrer en guerre à des époques où elle se sentait suffisamment puissante. Grâce au PCC, la Chine peut manifestement allonger les périodes où elle peut cacher son jeu et manœuvrer en silence, comme lorsqu’elle a décidé d’installer une base navale à Djibouti. La Chine agit à l’instar de toutes les grandes puissances, à savoir établir des bases militaires partout sur la planète afin de favoriser ses propres intérêts. Aussi, elle tâche d’éviter toute confrontation directe avec un État plus puissant qu’elle et cherche à isoler l’Occident en entretenant des relations étroites avec tous les pays intéressés (comme la Russie), qu’ils soient développés ou en développement, une façon de faire qui s’inspire manifestement de l’ancien stratège militaire chinois Sun Zi (Sun Tsu). Les actions de Beijing en mer de Chine méridionale répondent à la même logique : bâtir des îles artificielles au lieu de déloger les autres États qui revendiquent leurs propres îles (à l’exception de l’atoll de Scarborough), utiliser les navires de la garde côtière plutôt que la Marine de l’APL et tolérer les opérations de libre navigation des États‑Unis dans le secteur. La façon dont Beijing perçoit son propre pouvoir et anticipe la réaction des autres pays oriente ses actions. En d’autres mots, les décisions de la Chine à ces égards n’ont ni dimension culturelle ni dimension idéologique forte et convaincante.
Pour résumer, à mesure que la Chine gagne en force, son idéologie contribue de plus en plus à aiguiser sa rivalité politique et géostratégique avec l’Occident. Toutefois, c’est en se distanciant de ses principes idéologiques que le gouvernement chinois a le plus de chance de trouver un terrain d’entente avec l’Occident pour résoudre ou, à tout le moins, gérer certaines crises internationales dans le monde.
Renversement des rôles
La RPC a longtemps semblé craindre l’Occident beaucoup plus que l’inverse. Ce n’est plus le cas. Il est vrai qu’elle estime toujours que les idées libérales de l’Occident, son influence politique, les alliances des États‑Unis et le déploiement militaire à venir dans la région de l’Asie‑Pacifique visent à l’affaiblir et à la tenir en échec. Cependant, l’Occident a commencé à redouter le pouvoir croissant de la Chine, son influence économique et militaire, ses ambitions à l’échelle internationale, sa volonté de modifier les normes internationales en sa faveur, son projet d’exporter, si ce n’est son modèle, du moins les solutions offertes par son régime autoritaire ainsi que sa capacité à influencer d’autres sociétés et à s’ingérer dans la vie politique d’autres pays. Cette anxiété est beaucoup plus marquée aux États‑Unis et parmi les alliés de Washington dans la région de l’Asie‑Pacifique – le Japon, l’Australie et la Nouvelle‑Zélande – que dans l’Union européenne, même si l’Allemagne et la France ont commencé à se préoccuper davantage des intentions de la Chine au cours des dernières années. Cette même anxiété a incité des alliés de Washington dans la région de l’Asie‑Pacifique à renforcer leur alliance avec les États‑Unis et à trouver de nouveaux partenaires stratégiques comme l’Inde ou le Vietnam afin de contrebalancer le pouvoir croissant de Beijing, ce qui alimente l’antagonisme entre la Chine et l’Occident.
Cela dit, il faut éviter de surestimer l’essor de la RPC et de croire que cette dernière a toute confiance en elle‑même. L’exceptionnalisme chinois et l’exceptionnalisme américain se distinguent principalement du fait que, outre le Vietnam et la Corée du Nord, peu de pays dans le monde partagent les valeurs politiques de Beijing. Qui plus est, le pouvoir accru dont dispose Xi Jinping peut être considéré à la fois comme un signe de faiblesse et comme un symbole de force, la Chine n’étant pas parvenue dans les deux dernières années à atteindre les objectifs de réforme qu’elle avait fixés en 2013. En d’autres mots, les doutes de plus en plus forts que l’Occident entretient à propos de beaucoup de décisions et d’actions de Beijing en matière de politique étrangère préoccupent peut‑être plus la Chine que ce qu’elle laisse paraître.
Conclusion
Le sentiment de peur et l’esprit de compétition qui opposent la RPC et l’Occident font désormais partie intégrante de la politique internationale. Une bipolarité asymétrique d’un genre nouveau se dessine entre Washington et Beijing, ce qui intensifie l’antagonisme géostratégique sino‑occidental déjà alimenté par le pouvoir croissant de la Chine et son idéologie antidémocratique. Cet antagonisme structurel devrait persister tant et aussi longtemps que la Chine se caractérisera par un régime unipartite, même s’il est vrai qu’un changement de régime ou mouvement de démocratisation ne saurait mettre fin à la lutte de pouvoir. À supposer que de tels changements aient lieu, la rivalité prendrait des formes moins aiguës, et les secteurs de collaboration entre la Chine et l’Occident pourraient se multiplier. Cependant, la Chine souhaiterait probablement toujours accéder au statut de grande puissance et, sur l’échiquier mondial, Beijing continuerait vraisemblablement de jouer un rôle correspondant à son pouvoir économique, diplomatique et militaire. Tout gouvernement chinois, quelles que soient ses convictions, resterait tout à fait conscient de son pouvoir ainsi que des points forts et des points faibles des autres grandes puissances, et saisirait toutes les occasions possibles pour protéger ou renforcer son propre statut de grande puissance.
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