Un nouveau chapitre : le Parti communiste chinois à l’issue du 19e Congrès

Le 19e Congrès national du Parti communiste chinois a confirmé la suprématie de Xi Jinping. Le Parti a enchâssé la pensée de Xi dans sa charte et a appuyé sa vision d’une Chine qui dominera les relations internationales dans 30 ans. Cet objectif, qui ne peut être atteint que si la Chine conserve son taux de croissance économique très élevé, n’est peut-être pas réaliste compte tenu de certaines lacunes structurelles persistantes de l’économie. Le leadership autoritaire de la Chine et sa vision irréaliste fondée sur des hypothèses douteuses pourraient entraîner la mise en œuvre de politiques mal avisées.

Xi Jinping a annoncé le début d’une nouvelle ère pour la Chine au 19e Congrès national du Parti communiste chinois (PCC), qui a eu lieu en octobre 2017. Sous Mao, la Chine a connu le totalitarisme puis, sous Deng, une période d’ouverture et de réforme. Xi a mis le point final à la stratégie de Deng, qui consistait à dissimuler les moyens de la Chine et à attendre le bon moment afin que la République populaire de Chine (RPC) puisse effectuer les réformes nécessaires et rattraper les autres pays. Xi ouvre pour la Chine une ère nouvelle, dans laquelle il s’efforcera de faire du PCC un mécanisme de contrôle léniniste efficace. Même s’il ne décourage pas le culte de sa personne, il ne cherche pas à faire renaître l’ère maoïste. À ses yeux, Mao était un mauvais léniniste qui a causé des ravages au sein du parti. Xi entend procéder de la façon inverse. C’est donc au Parti lui‑même qu’il a confié le rôle principal de direction de la RPC, et il exige de ses membres qu’ils deviennent de bons léninistes en corrigeant leurs actions et en développant une solide discipline de parti. Son approche ressemble à celle adoptée par Liu Shaoqi, l’adjoint de Mao, de 1945 jusqu’à ce qu’il soit écarté pendant la Révolution culturelle en 1967. Xi refuse toutefois de reconnaître cette similitude.

Dans la nouvelle ère de Xi, le PCC a pleine confiance en son modèle de développement socialiste. Il ne se tourne plus vers des sources d’inspiration extérieures. La Chine est toujours ouverte au commerce avec les pays étrangers, mais pas à leurs idées. Au contraire, elle rejette vigoureusement tous les modèles démocratiques ou occidentaux. Xi croit maintenant que la Chine léniniste doit s’affirmer. Au cours de la période qu’il a amorcée, il entend faire passer les intérêts de la Chine en premier, lui rendre sa grandeur et exiger des autres pays qu’ils témoignent à la RPC le respect qu’elle mérite.

L’aspect le plus marquant du 19e Congrès a été l’aplomb affiché par Xi. Il était confiant d’avoir bien en main tant l’appareil du Parti que l’avenir de la Chine, même s’il n’est toujours pas pleinement convaincu de l’ascendant exercé par le Parti sur le peuple. C’est pour cette raison qu’il a mis l’accent sur la mise en œuvre d’un système de crédit social qui permettra au Parti de maintenir la population sous son emprise. En mars 2018, Xi n’était pas encore venu à bout de toutes les résistances au sein de la classe dirigeante, mais il n’a pas eu à faire de concessions importantes pour accommoder les récalcitrants.

Nouvelle ligne politique à la tête du gouvernement de la Chine

Xi a réussi à faire en sorte que le Comité permanent du Bureau politique soit composé des sept membres de son choix. La composition de ce comité est habituellement un secret jalousement gardé jusqu’à la fin du Congrès, puisque la nomination d’un membre peut faire l’objet de négociations de dernière minute. Cette fois, il en est allé tout autrement. La liste définitive s’est retrouvée dans au moins deux médias à l’extérieur de la Chine continentale plusieurs jours avant l’annonce officielle. Le fait que personne n’a été puni pour cette fuite confirme que Xi a certainement, à tout le moins, donné son aval.

Cette liste donne à penser que, même si Xi avait d’abord envisagé de nommer son protégé Chen Min’er au Comité permanent, ce qui l’aurait désigné comme successeur possible, il a préféré mettre un terme aux spéculations à ce sujet. Or, en évitant de désigner un dauphin éventuel, Xi laisse entendre qu’il ne renoncera pas au pouvoir lors du 20e Congrès, qui aura lieu en 2022. Il a réduit la question de la succession à une question théorique, faisant fi des efforts déployés par le Parti depuis la fin de l’ère de Deng pour institutionnaliser le processus de succession. Il est évident qu’une partie de la classe dirigeante n’a pas vu cette démarche d’un bon œil, mais aucun dirigeant n’a osé mettre la tête sur le billot en manifestant son désaccord publiquement.

Même si Xi cherche à établir une solide emprise sur le Comité permanent du Bureau politique, il n’a pas jugé nécessaire d’y nommer uniquement ses protégés. Ainsi, la nomination de Wang Yang, qui a été étroitement lié à la Ligue de la jeunesse, et de Han Zheng, de Shanghai, laisse entrevoir que même des personnes qui n’ont pas déjà collaboré étroitement avec Xi peuvent espérer faire partie du cercle des initiés. Xi a cependant indiqué clairement que leur maintien en poste dépendait uniquement de son bon vouloir, et Han a tout de suite dû quitter son fief de Shanghai pour s’installer à Beijing. Quoiqu’ils en pensent réellement, Wang et Han n’ont d’autre choix que d’adhérer de façon stricte à la ligne politique tracée par Xi. Comme celui‑ci s’est arrangé pour humilier le premier ministre Li Keqiang en faisant circuler, avant le Congrès, une rumeur selon laquelle il se verrait retirer ses fonctions, le fait que Li reste en poste ne changera rien à l’ascendant exercé par Xi. Soulignons par ailleurs que Li a lui aussi entretenu des liens étroits avec la Ligue de la jeunesse. 

Les autres membres du Comité permanent du Bureau politique sont Li Zhanshu, Wang Huning et Zhao Leji, tous des fidèles de Xi. Li est un partisan de longue date de Xi, qui l’a choisi personnellement tout de suite après son arrivée au pouvoir en 2012 pour occuper le poste de chef du Bureau général du PCC. Quant à lui, Wang est un universitaire qui a gravi les échelons jusqu’à devenir le principal rédacteur fantôme de Xi sur les sujets idéologiques, même s’il avait d’abord été choisi par Jiang Zemin et qu’il a aussi servi sous  Hu Jintao. Comme il n’a pas de fief indépendant, il ne peut compter que sur sa loyauté envers Xi pour accéder à des postes élevés. Il ne fait aucun doute que Zhao, qui a été chef du Département de l’organisation du Parti pendant le premier mandat de Xi, a gagné la confiance de ce dernier. S’il n’avait pas pleinement confiance en lui, Xi n’aurait pas fait de Zhao son principal homme de main en remplacement de Wang Qishan, en le mettant officiellement à la tête de la Commission centrale de contrôle de la discipline. La répartition des portefeuilles garantit que chacun des responsables travaille au bon fonctionnement de l’appareil du parti léniniste et demeure loyal envers Xi.

Xi a changé la dynamique du pouvoir au sein du Comité permanent du Bureau politique. Contrairement à son prédécesseur Hu Jintao, Xi n’est pas premier parmi ses pairs, mais bien chef suprême. Comme Xi a fait en sorte que les six autres membres du Comité soient les hommes du secrétaire général, ceux‑ci se retrouvent dans une position où il leur est impossible de remettre Xi en question, à moins qu’il ne commette une erreur stratégique monumentale dont il ne pourrait rejeter la responsabilité sur personne d’autre et qui mettrait son autorité en très grave péril.

La « pensée » de Xi Jinping

Xi a aussi réussi quelque chose que personne n’était encore arrivé à faire : il est parvenu à enchâsser sa « pensée » dans la constitution du Parti, même si la formulation n’est pas exactement celle qu’il aurait privilégiée. Il est presque certain que la phrase intégrée dans la constitution, à savoir « La pensée de Xi Jinping sur l’économie socialiste à la chinoise de la nouvelle ère » est le résultat d’un compromis. Il s’agirait de la seule victoire importante remportée par les opposants de Xi. La modification de la constitution du Parti laisse croire que Xi occupe maintenant un rang inférieur à celui de Mao Zedong, mais supérieur à celui de Deng Xiaoping. Pour que Xi atteigne le niveau de Mao, il aurait fallu que la constitution fasse simplement état de « La pensée de Xi Jinping » sans y joindre une longue explication. Même si, avec le temps, tout le monde finira par parler seulement de « La pensée de Xi Jinping », c’est la forme longue qui sera utilisée dans les occasions et les documents officiels, ce qui ne manquera pas de rappeler au reste du Parti et à la Chine que Xi a dû faire cette concession au Congrès.

Néanmoins, comme son nom est maintenant enchâssé dans la constitution et qu’il est toujours au pouvoir, Xi est désormais en position d’accuser toute personne qui s’oppose à lui d’être un ennemi du Parti. De plus, même si sa puissance est maintenant supérieure à celle de Deng, il n’aura d’autre choix, pour conserver cette puissance, que d’exercer un contrôle plus serré sur le Parti. À titre de leader suprême, Xi suscite plus de peur que d’amour ou d’admiration au sein du Parti, même s’il bénéficie d’un appui bien plus grand à l’extérieur du PCC. Il est donc probable qu’il poursuive la rectification du parti, plus souvent décrite comme une campagne de lutte contre la corruption, qui a été l’un des principaux outils qu’il a utilisés pour renforcer sa position et son pouvoir pendant son premier mandat.

Quiconque parcourt attentivement la « Pensée de Xi Jinping » ne peut que constater qu’elle manque nettement de substance. Xi est un homme ambitieux qui est déterminé à laisser sa marque, ce qu’il entend faire en adoptant une réforme approfondie dont la nature exacte demeure cependant floue et qui n’a pas encore été énoncée clairement. Il semble que Wang Huning aura fort à faire au cours de la prochaine décennie pour mettre de la chair autour de l’os et étoffer la « pensée de Xi Jinping ».

Un aplomb renouvelé

L’aplomb dont Xi a fait preuve au Congrès du Parti a atteint des proportions inégalées lorsqu’il a présenté sa vision pour la RPC. Il a déclaré que dans 30 ans, l’augmentation spectaculaire de la puissance de la Chine en aura fait un pays moderne, évolué et magnifique. En d’autres mots, elle sera la plus grande puissance du monde et n’aura aucun égal.

Il s’agit d’une vision grandiose, qui ne peut se concrétiser que si la RPC poursuit la croissance rapide qu’elle a connue ces 30 dernières années, quitte à ce que ce soit à un rythme un peu moins effréné. La Chine a vu son PIB croître d’environ 10 % chaque année pendant les 30 dernières années, ce qui représente déjà une réalisation sans précédent. Pour réaliser les aspirations ambitieuses de Xi, la RPC devra conserver un taux de croissance annuel composé d’environ 6 à 7 % pendant 30 années de plus. Pour y arriver, la Chine devra éviter le moment MinskyNote de bas de page 2  , trouver une solution à l’augmentation rapide du fardeau de la dette, échapper au piège du revenu intermédiaire, gérer les conséquences du déficit démographique qui se dessine (contraction de la population active conjuguée au vieillissement accéléré de la population) et s’adapter au ralentissement de la croissance économique mondiale. La réalisation de ce rêve n’est peut‑être pas impossible, mais il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un projet extraordinairement ambitieux.

Xi semble croire qu’il saura surmonter toutes ces difficultés en revigorant  la nature léniniste et l’efficacité du Parti. Xi est convaincu qu’il permettra ainsi au PCC d’exercer son leadership et son contrôle dans l’ensemble du pays et dans toutes les sphères, de sorte qu’aucun obstacle ne pourra lui résister. Xi ne perçoit aucune contradiction inhérente entre la mondialisation économique et le resserrement du contrôle exercé par le Parti. En adoptant cette approche, il tente d’ouvrir la porte aux forces du marché pour leur permettre de jouer un rôle crucial, mais il exige aussi que les forces du marché aillent dans le sens des efforts du Parti pour qu’il atteigne son objectif.

L’ambition et la confiance dont témoigne Xi sont des plus impressionnantes. A‑t‑il donné à la Chine les assises solides dont elle a besoin pour atteindre les objectifs qu’il a fixés?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord prendre acte du fait que la puissance de Xi est maintenant telle que même ses lieutenants n’osent plus lui prodiguer des conseils en toute franchise, de crainte qu’il y voie un affront. La vision stupéfiante que Xi a décrite dans son discours d’ouverture était superflue, et son manque de réalisme pourrait exposer Xi au ridicule dans l’avenir. De plus, ce discours a sonné l’alarme dans la région et chez les autres grandes puissances. Il semble que les conseillers les plus hauts placés de Xi, qui comprennent la politique étrangère, l’économie, les données démographiques et l’histoire, ne soient pas arrivés à le convaincre de modérer ses ambitions visionnaires pour les 30 prochaines années, ou qu’ils aient renoncé à l’en dissuader; c’est un constat inquiétant. Si les conseillers de Xi et ses collègues du Comité permanent n’osent pas le contredire, il existe un risque grandissant que soient lancées de nouvelles politiques chinoises mal avisées, fondées sur des suppositions ou des calculs fautifs, qui bénéficieront pour leur mise en œuvre de l’appui de toute la force du Parti et de son aile militaire, l’Armée populaire de libération.

Répercussions dans le monde entier

Une Chine pleine d’assurance menée par un Xi Jinping tout‑puissant s’attendra à ce que le reste du monde lui rende hommage. Xi insistera pour que le programme « Une ceinture, une route » soit au cœur de la politique étrangère de la Chine dans ses rapports avec les régions stratégiques de son arrière‑pays et avec le reste du monde. Le gouvernement chinois, guidé par sa nature léniniste, souhaite plus que tout faire preuve de puissance douce, ce qui, ironiquement, ne manquera pas d’exacerber son penchant pour les méthodes coercitives.

Même si le gouvernement chinois a adopté une politique claire selon laquelle il n’entend pas exporter « le modèle chinois », il ne manquera pas d’appuyer les pays qui cherchent à reprendre la formule autoritaire qui a valu ses réussites spectaculaires. Plutôt que de se tourner vers l’étranger pour trouver des sources d’inspiration pour guider ses réformes et renforcer la Chine, comme dans l’ère de Deng, la RPC cherche maintenant, sous la gouverne de Xi, à être l’artisan de son propre destin et à croire en sa propre façon de faire. L’adoption de l’approche du front uni signifie que, même si les formulations employées par la Chine laissent croire que tout le monde sortira gagnant, son objectif est en fait d’éliminer un par un tous ses concurrents, en cherchant à convaincre le plus grand nombre d’observateurs indécis à la fois.

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