Sommaire

Se préparer à dominer

Le président Xi Jinping pilote une stratégie multidimensionnelle visant à amener la Chine à asseoir sa domination sur le monde. Cette stratégie combine une diplomatie très active, des ententes économiques asymétriques, de l’innovation technologique et des dépenses militaires toujours plus importantes. Déjà, une bonne partie de l’architecture sur laquelle repose la montée de la Chine est en place, et d’autres éléments apparaissent. L’essor de la Chine renforce l’autorité du Parti communiste chinois (PCC) sur la scène intérieure et, aux yeux des dirigeants, redonne au pays son statut historique d’empire du Milieu.

Sous la direction de Deng Xiaoping, la Chine a conçu un modèle capitaliste autoritaire qui a favorisé une croissance forte et soutenue de son produit intérieur brut (PIB). L’économie était dynamique, mais aussi entachée par des institutions de crédit laissant à désirer, des entreprises d’État sous-optimales et une grande vulnérabilité à la corruption. Des efforts constants sont déployés pour corriger ces faiblesses internes. Xi Jinping s’intéresse personnellement à la campagne anticorruption, qui est un des éléments de la mainmise croissante qu’il exerce sur le PCC.

Le partenaire rusé

La Chine a mis en place diverses stratégies de commerce extérieur afin de stimuler sa performance économique.

  • Alléchées par le potentiel de marché du pays et sa main-d’œuvre peu coûteuse, mais qualifiée, des sociétés d’économies avancées ont investi en Chine. Une fois installées, cependant, elles ont été obligées de créer des coentreprises avec des partenaires chinois. Beaucoup estiment avoir perdu le contrôle de leur entreprise, et de leur propriété intellectuelle, et avoir été évincées par ce partenaire sur les marchés chinois et étranger.
  • La Chine s’est servie de son énorme potentiel à titre de marché d’importation pour négocier des ententes commerciales asymétriques avec des pays développés. Elle revendique avec obstination des droits en matière d’investissement dans le pays partenaire qu’elle n’accorde pas à celui-ci sur son territoire.
  • Pour les pays en développement, Beijing a élaboré et financé le programme « Une ceinture, une route », qui le positionne au centre de six corridors économiques, ce qui lui permettra d’importer des matières premières et d’exporter des produits manufacturés. Ce programme, pour lequel la Chine a investi dans la construction de routes, de chemins de fer, de ports et de réseaux de fibres optiques, englobera en fin de compte des pays représentant les deux tiers de la population mondiale.
  • La Chine a mis sur pied un système de paiement international (le Cross Border Interbank Payment System) afin de favoriser l’utilisation de sa devise, le renminbi, et de réduire la domination du dollar américain dans les échanges commerciaux à l’échelle internationale.

Le partenaire envahissant

Les partenaires commerciaux de la Chine ont rapidement découvert qu’elle utilise son statut commercial et ses réseaux d’influence pour servir les objectifs du régime.

  • Qu’il s’agisse d’une société d’État ou d’une entreprise privée, un partenaire chinois entretiendra des liens étroits et de plus en plus explicites avec le PCC.
  • À moins que les ententes commerciales aient été soigneusement passées au crible afin de déceler toute répercussion sur la sécurité nationale, Beijing se servira de sa position commerciale pour obtenir accès aux entreprises, aux technologies et aux infrastructures qu’il lui sera possible d’exploiter pour atteindre ses objectifs sur le plan du renseignement ou, éventuellement, pour compromettre la sécurité d’un partenaire.
  • La Chine est prête à avoir recours à la menace et à la séduction pour amener les élites commerciales et politiques de son côté, et pour les pousser à défendre son point de vue dans des dossiers controversés, comme ceux du statut de Taïwan ou de la mer de Chine méridionale.
  • Beijing travaille activement à influencer les personnes d’origines culturelles chinoises à l’extérieur de ses frontières, ainsi que les étudiants chinois et les entreprises étrangères appartenant à des Chinois d’outre-mer, réduisant souvent leur liberté d’expression pour mettre de l’avant un discours favorable à ses opinions. En outre, il achète souvent le contrôle d’organes de presse locaux en langue chinoise.
  • Les universitaires et les journalistes qui remettent en question les activités de la Chine se font harceler par les diplomates chinois et les médias contrôlés par Beijing.

Renforcer l’autorité du Parti

Les pressions exercées sur les partenaires commerciaux pour les empêcher de critiquer la Chine n’ont rien à envier aux efforts intensifs déployés en Chine pour renforcer le contrôle du PCC.

  • En Chine, les structures gouvernementales sont subordonnées au Parti. Les fonctionnaires travaillent souvent en vase clos dans leurs ministères et en savent moins sur l’orientation globale que les cadres du PCC.
  • Le gouvernement mène des activités de collecte de données importantes et invasives sur le territoire chinois. Cet outil peu coûteux lui permet de connaître en détail les activités individuelles et collectives et ainsi d’exercer un contrôle social sur la population.
  • Comme ses relations économiques à l’étranger lui procurent des données de plus en plus détaillées, la Chine est également bien informée sur les personnes qui entrent sur son territoire. Ses projets d’établir des centres de données et des serveurs dans les pays participants au programme « Une ceinture, une route » permettront au PCC d’accroître encore cette influence.
  • Il est précisé dans la nouvelle Loi sur le renseignement national de la Chine que tous les citoyens chinois ont le devoir de faire respecter l’autorité du PCC et de communiquer de leur propre chef des informations sur tout ce qui pourrait menacer cette autorité.
  • Les citoyens chinois ont accès à certains sites Internet étrangers, mais le gouvernement a réussi à leur refuser l’accès aux informations sur les événements controversés.
  • Le PCC jouit toujours d’une grande légitimité en Chine, mais l’intérêt pour la théorie marxiste et la participation aux séances d’étude semblent décliner avec l’amélioration du statut économique des Chinois. L’élite commerciale a des intérêts disparates et pragmatiques, tandis que les paysans semblent, dans une large mesure, indifférents à l’idéologie officielle.

La Chine et l’ordre international

La Chine exerce une influence économique qui transparaît dans sa politique étrangère et ses programmes de défense. Elle persiste à contester les règles mondiales mises en place par des puissances qu’elle considère comme en déclin.

  • La Chine est à la fois un partenaire commercial et un rival stratégique des États-Unis. Pour le moment, Beijing ne cherche pas à supplanter Washington dans le rôle de police mondiale, mais il regarde avec attention les États-Unis débordés se démener pour maintenir leur influence.
  • L’armée chinoise grossit constamment et dispose de toujours plus de moyens. Elle contribue régulièrement à des missions de maintien de la paix, mais elle le fait davantage pour acquérir de l’expérience des opérations que pour atteindre des objectifs humanitaires. Elle a aussi besoin de se professionnaliser davantage et de pouvoir compter sur des soldats plus instruits et des dirigeants plus forts.
  • L’armée chinoise investit des sommes considérables dans la technologie, innovant afin de rivaliser avec les États-Unis dans les applications militaires de l’intelligence artificielle, les systèmes d’armes téléguidés, l’informatique quantique et les armes à énergie dirigée.

À l’horizon

La Chine a déjà fait des progrès considérables en réorganisant les chaînes d’approvisionnement mondiales. Elle est consciente des faiblesses de sa base économique nationale et semble déterminée à les corriger. Xi Jinping a renforcé l’emprise du PCC sur la vie des citoyens et vise la diaspora chinoise comme moyen d’accroître son influence à l’échelle internationale. Étant donné la diminution des contacts entre les citoyens chinois et les chercheurs étrangers, il est de plus en plus difficile de saisir les subtilités de la politique chinoise.

L’influence croissante de la Chine est un casse-tête délicat pour la communauté internationale, qui doit faire bon accueil à une puissance transformée sans consentir à la destruction de l’infrastructure diplomatique mondiale. La diplomatie très active de la Chine et son insistance sur le commerce asymétrique sont particulièrement difficiles à accepter pour des pays comme le Canada, qui cherchent à entretenir des relations commerciales mutuellement avantageuses.

Beijing a encore des obstacles considérables à surmonter. Maintenant qu’il a fait abolir la limite de deux mandats à la présidence, Xi Jinping guidera la Chine pour l’avenir prévisible. Un régime autoritaire facilite la prise de mesures décisives, mais peut se traduire par une diminution de la sensibilité aux critiques, une vulnérabilité à la corruption et une circulation restreinte des informations essentielles à la prise de décisions éclairées. L’entremêlement des entreprises économiques privées et publiques a entraîné une baisse d’efficacité et une corruption qui persistent. L’essor continu de la Chine est une des nombreuses variables qui définissent le nouveau système mondial, mais il n’est pas inévitable. La communauté internationale peut encore décider d’agir pour limiter et satisfaire ses ambitions. Pour le moment, toutefois, la stratégie de domination de la Chine semble implacable et irrésistible.

Détails de la page

Date de modification :