Lire la Chine de loin : le régime chinois devient il plus opaque?

Bon nombre de réformes du président Xi Jinping ont énormément compliqué la tâche des observateurs étrangers qui cherchent à comprendre la situation en Chine. Les mesures de contrôle du Parti, les changements institutionnels et les contraintes auxquelles doivent se plier les Chinois pour discuter avec des étrangers ont rendu le pays plus opaque qu’il ne l’était déjà. Les fonctionnaires, les citoyens et les membres du Parti eux‑mêmes éprouvent de la difficulté à connaître les décisions et à en comprendre les raisons. Les observateurs étrangers ont tout intérêt à recourir à des sources à l’extérieur de la Chine et à faire des voyages périodiques là‑bas.

Depuis 2012, il est particulièrement difficile d’analyser la politique intérieure en Chine. À la veille du 18e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) et de la nomination de Xi Jinping au poste de secrétaire général du Parti, les observateurs se demandaient quel type de dirigeant il serait. Les rares informations disponibles publiquement à son sujet et la stratégie de communication soigneusement coordonnée et surveillée de près ont soulevé une multitude de questions. Xi serait‑il de nature conservatrice ou réformiste? À l’époque, tout semblait possible. Il était plus ardu encore d’analyser son idéologie ou de dresser son profil psychologique. En quoi la Révolution culturelle avait‑elle forgé ses opinions politiques et idéologiques? Certains observateurs affirmaient qu’il serait un dirigeant « modéré » parce qu’il avait subi personnellement les contrecoups de l’extrémisme idéologique. En revanche, d’autres soutenaient qu’il était devenu « plus rouge que rouge » (selon un message diplomatique américain résultant d’une fuite) lors de la Révolution, alors qu’il avait dû adhérer à la ligne du Parti pour survivre.

La vitesse à laquelle Xi a restructuré les institutions et consolidé son pouvoir personnel après sa nomination ainsi que l’ampleur de sa campagne anticorruption ont suscité l’étonnement et sont allées à l’encontre des opinions de nombreux analystes, dont d’éminents spécialistes de la Chine. Il est beaucoup plus facile aujourd’hui d’analyser l’orientation politique et idéologique de Xi. Ses actions à titre de président témoignent de son conservatisme, une orientation qui devrait rester la même dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, des difficultés importantes subsistent. Par exemple, il était extrêmement ardu de prévoir les nominations avant le 19e Congrès du Parti (octobre 2017) et la séance annuelle de l’Assemblée populaire nationale (mars 2018).

Un manque de transparence croissant

Le manque de transparence du régime politique est beaucoup plus marqué depuis l’accession au pouvoir de Xi. Outre la crainte de longue date du PCC d’être infiltré par ce qu’il qualifie de forces occidentales hostiles, au moins trois facteurs expliquent ce manque de transparence croissant. Premièrement, étant donné la vitesse à laquelle Xi a restructuré bon nombre d’institutions centrales (civiles et militaires), il est difficile de se tenir au fait des tout derniers changements, de comprendre leurs répercussions sur le processus décisionnel et de déterminer les responsabilités propres à chaque institution. Deuxièmement, le renforcement de la discipline du Parti – qui prévoit des mesures de surveillance humaine mutuelle et de surveillance technologique – a accru considérablement le contrôle des communications individuelles et institutionnelles.

Le renforcement de la discipline du Parti passe notamment par le mouvement anticorruption, troisième facteur qui contribue pour beaucoup à l’opacité du régime politique. Ce mouvement a entraîné la prise de sanctions contre plus de 1,3 million de fonctionnaires depuis 2013, d’après les chiffres publiés par le gouvernement de la République populaire de Chine (RPC) en octobre 2017 (Commission centrale de contrôle de la discipline), et a semé la crainte parmi les cadres du Parti de même qu’au sein de l’Armée populaire de libération, des médias d’État, des sociétés d’État, des administrations locales et du gouvernement central. Le mouvement anticorruption a aussi eu une incidence sur les établissements de recherche, les universités et les think-tanks en Chine. Les chercheurs semblent plus prudents dans leurs communications qu’ils ne l’étaient à l’époque où Hu Jintao était au pouvoir et cherchent plus souvent à faire approuver les concepts, expressions et points de discussion officiels. Tous les acteurs affiliés au Parti et au gouvernement, dont les chercheurs, sont vivement encouragés à lire plusieurs fois les principaux discours et écrits de Xi (notamment son livre La gouvernance de la Chine) et à les apprendre, conformément au slogan « étudier deux fois, appliquer une fois » (两学一座). La tendance n’est pas nouvelle, mais elle a certainement gagné en force en 2014, quand Xi a dit préconiser l’émergence d’un nouveau type de think-tank adapté à la Chine qui, sous la direction du PCC, devrait suivre l’orientation appropriée et renforcer le pouvoir discret de la Chine (Xinhua, 27 octobre 2014).

Nombreux sont ceux qui, en RPC, préfèrent user de prudence à la suite de ces changements. En général, les Chinois sont moins enclins à prendre des risques et à communiquer avec des étrangers et même avec leurs compatriotes.

Recul de la transparence à plusieurs égards

Le recul de la transparence est manifeste à plusieurs égards. Il va sans dire que le régime politique chinois est opaque pour les observateurs étrangers, mais il l’est tout autant pour la population en général, pour qui l’accès à l’information est difficile depuis le renforcement du contrôle des médias (tant traditionnels que sociaux) au pays. Qui plus est, les fonctionnaires ont eux aussi de la difficulté à accéder à l’information, compte tenu de la hiérarchie rigide entre le Parti et le gouvernement. Par exemple, les diplomates du ministère des Affaires étrangères – une institution qui, parmi de nombreuses autres, est chargée d’appliquer la politique étrangère du pays – ont certainement moins d’informations à leur disposition et un aperçu plus restreint du processus décisionnel dans le secteur que les représentants des institutions affiliées au Parti, comme le Département international du PCC (中联部). Dans des dossiers comme celui du programme « Une ceinture, une route », le Département dispose toutefois d’informations moins détaillées que la Commission d’État pour le développement et la réforme, l’institution supra‑départementale qui supervise le programme. Aussi, très peu de fonctionnaires chinois peuvent prétendre bénéficier d’une vue d’ensemble des processus décisionnels en matière de politique intérieure ou étrangère puisque les institutions gouvernementales se caractérisent encore aujourd’hui par un cloisonnement strict. Enfin, il faut rappeler que l’accès à l’information est également difficile pour les membres du Parti, même s’ils occupent un poste de haut rang. Les décisions de Xi ces dernières années ont étonné tant les gouvernements et les observateurs étrangers que de nombreux cadres du Parti. En effet, beaucoup de cadres haut placés ne se doutaient pas de l’ampleur du mouvement anticorruption et ont été pris au dépourvu par tous les nouveaux règlements qui touchaient directement leur travail.

Les restrictions provoquent des échanges tendus avec les étrangers

Les mesures susmentionnées ont eu une grande incidence sur les analystes chinois et étrangers. En Chine, par exemple, l’intensification de la censure limite de beaucoup l’accès à l’information étrangère pour les diplomates et les chercheurs des think-tanks affiliés à l’État. Ainsi, un analyste de la politique étrangère qui s’intéresse à la France n’aura pas accès aux principaux médias français à partir de son lieu de travail.

En outre, il est maintenant beaucoup plus difficile pour les chercheurs étrangers de communiquer avec leurs collègues chinois. Les mesures anticorruption limitent les échanges et les dialogues avec des représentants d’autres pays lorsqu’il est question de politique étrangère. La durée et la fréquence des voyages des délégations chinoises à l’étranger sont dorénavant soumises à un contrôle. Dans le cas des conférences internationales ou d’autres types de rencontres à l’étranger, la procédure administrative d’autorisation des voyages est beaucoup plus stricte et beaucoup plus longue que sous le règne de Hu Jintao, ce qui entraîne souvent l’annulation ou le report des déplacements. Qui plus est, les membres des délégations occupent un rang hiérarchique moins élevé que par le passé, car ce sont les cadres de haut niveau qui subissent le plus de contraintes. Il y a souvent peu d’informations à tirer des échanges qui ont lieu malgré tout, car les représentants de la Chine ont tendance à répéter le même discours suivant une politique de diplomatie publique de mieux en mieux coordonnée.

Comprendre la Chine aujourd’hui

Peut‑on réaliser une analyse approfondie et éclairée de la RPC dans la donne actuelle? Dans l’affirmative, comment faut‑il s’y prendre?

Il est maintenant plus facile d’analyser la RPC de l’étranger que de l’intérieur même du pays. Le travail de terrain est toujours essentiel, mais il peut être contre‑productif de rester en Chine en tout temps puisqu’il est plus facile de trouver des sources depuis l’extérieur du pays. Dans le contexte actuel, un analyste peut avoir tout intérêt à s’y rendre périodiquement pour mener ses recherches.

Bien que les déclarations des représentants de la RPC soient truffées de jargon socialiste et de phrases vides, il y a lieu d’étudier avec soin les livres blancs, les plans d’action et les discours des grands dirigeants. Tant le style que la teneur de ces déclarations peuvent fournir des indices quant aux ambitions et aux intentions de Beijing. Par exemple, la reprise d’expressions populaires de l’ère maoïste (« campagne de ligne de masse » ou « dictature démocratique du peuple ») aide à interpréter les influences idéologiques de Xi. Pour ce qui est de la teneur des politiques, un examen approfondi de l’ouvrage officiel des autorités chinoises intitulé La Ceinture et la Route : conception et vision de la coopération maritime (paru en juin 2017) donne une idée des objectifs de la Chine dans le secteur maritime et de sa volonté de fixer les normes et d’établir les règles en la matière.

Le travail de terrain, les conférences et les échanges avec des think-tanks et des universités en Chine peuvent s’avérer des compléments utiles à une analyse détaillée des déclarations officielles, mais il convient de discuter à l’avance des attentes de chacun afin de permettre un véritable échange d’informations et d’idées. Pour l’heure, les membres de la plupart des délégations chinoises insistent pour que leurs collègues de l’étranger formulent en premier des commentaires et des suggestions sur les politiques, ce qui peut finalement alimenter leur propre réflexion stratégique, mais sont de plus en plus réticents à faire connaître eux‑mêmes leurs opinions.

L’analyse des documents officiels et les interactions avec des représentants de la RPC aident également à déterminer les grandes orientations que doivent suivre les politiques intérieures et étrangères de la RPC en raison du rôle central du Parti, de la coordination du processus décisionnel et de la nature très bureaucratique de celui‑ci. Dès qu’ils sont établis par le gouvernement, les concepts et les politiques sont mis en application sans relâche dans un certain nombre de pays et de secteurs. Comme Beijing a décidé d’investir dans les mécanismes de coopération régionale au début des années 2000, ces mêmes mécanismes ont donc été appliqués dans la plupart des régions du globe; il suffit de penser au forum sur la coopération sino‑africaine (2000), au forum sur la coopération sino‑arabe (2004), au forum sur la coopération entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale (aussi appelé « 16+1 ») (2012), au forum de la Chine et de la communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (2015) et au cadre de coopération Lancang‑Mékong (2015). L’analyse de ces mécanismes est certainement utile pour mieux connaître les grandes orientations et la méthodologie de la diplomatie chinoise ainsi que pour prévoir les nouvelles orientations que la Chine pourrait tenter d’appliquer ailleurs en Europe (notamment dans le Sud et le Nord de l’Europe) dans les années à venir.

Des approches pragmatiques de la sorte peuvent donner lieu à une analyse originale de la Chine malgré le peu de transparence des autorités, transparence qui pourrait diminuer encore davantage sous la présidence de Xi Jinping. Elles pourraient aussi permettre d’obtenir des informations plus détaillées sur le rôle central du Parti dans le processus décisionnel. Parce qu’ils sous‑estiment souvent le rôle du Parti, les acteurs étrangers importants des sphères politique et économique qui connaissent mal la situation en Chine ont tendance à sous‑évaluer les contraintes avec lesquelles leurs homologues chinois doivent composer.

Détails de la page

Date de modification :