Politiques étrangère et sécuritaire de l’Iran

Le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun et les nouvelles conditions de levée des sanctions, sans lien avec le programme nucléaire, sont venus compliquer davantage la politique étrangère de l’Iran. Ce dernier dépend donc de l’engagement de l’Union européenne à maintenir le traité et ses avantages économiques. La Chine et la Russie représentent des partenaires commerciaux utiles, mais opportunistes. Même si les dynamiques régionales évoluent quelque peu au profit de l’Iran, il se peut que des changements dans le personnel de l’administration américaine laissent le champ libre aux tenants de la ligne dure en Iran.

Le 8 mai 2018, après avoir longtemps critiqué l’entente sur le nucléaire parce qu’elle ne servait pas suffisamment les intérêts américains, le président Donald Trump a déclaré que les États‑Unis se retiraient du Plan d’action global commun (PAGC). Depuis, l’administration Trump a entrepris une campagne visant à exercer les pressions les plus fortes possible en vue de modifier le comportement de l’Iran, tant  à l’intérieur de ses frontières qu’à l’étranger. Cette campagne vise à amener le régime à revoir sa position dans treize secteurs, comme l’a expliqué le secrétaire d’État Michael Pompeo dans son discours de mai 2018 ainsi que dans un article publié dans Foreign Affairs le même moisNote de bas de page 72 . La liste est exhaustive et aborde autant les programmes de nucléarisation et de missiles de l’Iran que ses activités régionales et les violations des droits de la personne dont elle serait l’auteur.

Pour freiner davantage les ambitions régionales de l’Iran, l’administration américaine a annoncé un virage dans sa politique sur la Syrie, qui mettra désormais l’accent sur la maîtrise de TéhéranNote de bas de page 73  plutôt que sur la lutte contre DaechNote de bas de page 74 . La campagne menée par Washington a créé des tensions entre les États‑Unis, l’Union européenne (UE) et ses principaux pays membres. L’Europe a travaillé dur pour maintenir le PAGC, mais la politique de l’UE est difficile à adapter, et de présumés projets d’attentats de Téhéran en sol européenNote de bas de page 75  lui ont compliqué la tâche. De son côté, pour limiter l’effet des politiques américaines, le régime iranien s’est efforcé d’établir et d’entretenir des relations cruciales afin d’éviter que le pays ne se retrouve isolé et d’aider à stabiliser son économie.

Les relations internationales de l’Iran pourraient à la fois représenter sa planche de salut et le plus épineux de ses problèmes pour la suite des choses.

Comment l’Iran tire parti de ses relations internationales pour surmonter l’isolement

L’administration Trump a tenté de rallier l’Europe à sa politique à l’égard de l’Iran, mais elle a déclaré sans détour que l’appui de Bruxelles et des grandes capitales européennes n’était pas indispensable à la réussite de sa campagne de pression. Elle a choisi de privilégier une approche musclée, quitte à faire cavalier seul par rapport à l’Europe et au Canada à l’égard de cet enjeu et de certains autresNote de bas de page 76 .

L’Iran a essayé de tirer parti des divers points de tension entre les États-Unis et ses alliés traditionnels en soulignant la volonté (voire, dans certains cas, l’empressement) de l’administration Trump de se retirer des accords internationaux et d’imposer des tarifs douaniers et des sanctions aussi bien à ses amis qu’à ses adversairesNote de bas de page 77 . Le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Javad Zarif, a publié deux gazouillis à cet effet le 3 octobre 2018 : « Le plus haut tribunal des Nations Unies a déterminé que les États-Unis devaient respecter les obligations auxquelles ils ont contrevenu en réimposant les sanctions au peuple iranien lorsqu’ils se sont retirés du PAGC. Un autre échec pour le gouvernement des États-Unis, obsédé par les sanctions, et une victoire pour la primauté du droit. Il est impératif que la communauté internationale s’unisse pour contrer l’unilatéralisme malveillant des Américains. » Ce gazouillis a tout de suite été suivi par celui‑ci : « Les États-Unis ont abrogé le PAGC, un accord multilatéral consacré par la résolution 2231 des Nations Unies, sous prétexte qu’ils souhaitaient conclure un traité bilatéral avec l’Iran. Aujourd’hui, ils se sont retirés d’un tel accord après que la Cour internationale de justice leur a ordonné d’arrêter de contrevenir au traité en imposant des sanctions au peuple iranien. Le régime américain agit de façon illégaleNote de bas de page 78  ».

L’approche adoptée par l’Iran lui a été favorable. Les divergences d’opinions suscitées sont notamment ressorties en septembre 2018 à l’Assemblée générale des Nations Unies : les États-Unis n’ont pas obtenu l’appui de la majorité des représentants de la communauté internationale, y compris ses alliés cruciaux, pour condamner l’IranNote de bas de page 79 .

Les États‑Unis ont également tenté d’invoquer les activités ignobles menées par l’Iran pour rallier l’Europe à sa position contre Téhéran. Les administrations Bush et Obama ont déjà eu recours à cette technique entre 2005 et 2012Note de bas de page 80 . Or, en continuant d’appuyer le régime de Bachar el-Assad en Syrie, les houthistes au Yémen et plusieurs acteurs non étatiques comme le Hezbollah, Téhéran a facilité la tâche à Washington, qui s’est efforcé de dépeindre le régime comme hautement problématique. De présumés projets d’attentats terroristes en sol européen en 2018 ont terni davantage l’image de l’Iran pour les gouvernements européens. Néanmoins, ces derniers ont réitéré leur engagement à l’égard du PAGC et ont entrepris des démarches pour protéger l’accord, tandis que la Chine et la Russie sont demeurées plus passives.

La Russie et la Chine sont deux autres parties qui jouent un rôle crucial dans le processus de mise en œuvre du PAGC. Elles ont toutes deux exploité l’isolement de l’Iran à leur avantage en tissant des liens dans un grand nombre de secteursNote de bas de page 81 . Beijing et Moscou ont évité à l’Iran de se retrouver complètement coupé du monde au moment où les pressions et les sanctions exercées par les États-Unis étaient à leur paroxysme, une situation qui a fini par déboucher sur le PAGC. Une fois que les États-Unis se sont retirés de l’entente, ces deux grandes puissances sont redevenues des bouées de sauvetage  pour l’Iran. Cependant, elles ont toutes deux des politiques étrangères très compartimentées et essaient souvent de concilier des intérêts concurrents, en l’occurrence leurs relations avec Washington et Téhéran. Par exemple, Beijing et Moscou ont eu soin de ne pas ignorer de manière flagrante les sanctions américaines. Ils continuent de mener des activités en Iran tout en ménageant avec soin leurs intérêts et leurs liens avec les États-Unis, comme en témoigne le refus de Moscou de vendre le Superjet 100 de Sukhoï à l’Iran tant que l’appareil ne respecterait pas l’exigence des États‑Unis de ne pas renfermer plus de 10 % de composantes américainesNote de bas de page 82 . Par conséquent, même s’il a absolument besoin de Beijing et de Moscou pour résister aux pressions américaines, l’Iran ne s’en remet pas entièrement à ces deux puissances et continue de chercher à entretenir ses liens avec l’Union européenne. Le Guide suprême estime que ces liens sont essentiels pour que le pays soit en mesure de prendre des décisions dans ce contexteNote de bas de page 83 .

En dépit des tensions, les liens de l’Iran avec la Russie continuent de modeler le contexte sécuritaire au Moyen-Orient, et la récente réorganisation de la région est venue renforcer cette relationNote de bas de page 84 . Le virage dans la politique intérieure turque, le fossé qui s’est creusé dans le golfe Persique et les relations tendues entre l’Arabie saoudite et la Turquie ont contribué au rapprochement entre cette dernière et l’Iran. Ces deux pays collaborent désormais étroitement avec la RussieNote de bas de page 85 .

Les relations qui empêchent l’Iran de reprendre sa place sur l’échiquier mondial

Au cours des dernières années, l’Iran a intensifié ses activités à l’échelle régionale. Le pays entretient depuis longtemps des relations avec un certain nombre d’acteurs non étatiques, aussi bien en Afghanistan qu’au Liban et au Yémen. Le contrôle que l’Iran exerce réellement sur eux et l’appui qu’il leur offre varient grandement, mais l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan par les États‑Unis, le printemps arabe et la montée de Daech sont autant de facteurs qui ont permis au régime de s’assouplir et d’accroître son influence au‑delà de ses frontières. Néanmoins, le soutien qu’offre Téhéran à divers intervenants est à l’origine de tensions avec l’Europe, sans compter que l’administration Trump s’en sert pour justifier sa campagne de pression.

L’Iran récolte enfin les fruits de sa participation à la guerre civile en Syrie : celle-ci a aidé à asseoir solidement le régime d’Assad et a permis à l’Iran de s’enrichir en prenant part à la reconstruction. Cependant, la Russie, proche alliée de Téhéran, mine dans une certaine mesure les projets de reconstruction du régime en Syrie. Le conflit a permis aux troupes iraniennes d’acquérir de l’expérience sur le champ de bataille pour la première fois depuis la fin de la guerre contre l’Irak. Téhéran dispose donc désormais d’une force imposante composée de combattants prêts à être envoyés dans d’autres zones de conflit. Par contre, la guerre a nui à la réputation du régime.

L’exécution de Jamal Khashoggi par des assassins saoudiens en octobre 2018 a fait ressortir des tensions dans la relation entre les États‑Unis et l’Arabie saoudite et a généré un élan qui a amené les États‑Unis à se retirer de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite au YémenNote de bas de page 86 . Même si ce retrait ne signifie pas nécessairement que les États-Unis renonceront à participer à cette guerre, il contribue à nuire au principal adversaire régional de Téhéran dans un conflit qui semble s’éterniser. La présence iranienne au Yémen demeure toutefois un point de dissension au sein de la communauté internationale, puisqu’elle vient exacerber une situation humanitaire déjà catastrophique.

Perspectives

Un certain nombre d’événements susceptibles de se produire à court et à moyen terme pourraient provoquer une escalade des tensions entre les États‑Unis et l’Iran et jouer un rôle décisif dans la réussite ou l’échec du PAGC.

Les élections parlementaires en Iran auront lieu en 2020, juste au moment où la campagne électorale menant à la présidentielle américaine commencera à prendre de l’essor. La campagne électorale en Iran est plutôt courte, mais elle exacerbe souvent les tensions et les querelles intestines au sein du régime. Cette situation pourrait faire éclore des conflits, car les ultraconservateurs risquent d’exercer davantage de pressions sur les modérés, ce qui pourrait mettre le PAGC et l’économie au premier plan. De plus, la période de campagne est souvent marquée par une augmentation des activités déstabilisatrices, comme les essais de missiles balistiques et l’accroissement des pressions sur la société civile, notamment l’arrestation de titulaires d’une double nationalité.

Si le P4+1 et l’Iran arrivent à maintenir le PAGC jusque‑là, les élections américaines de 2020 pourraient bien être déterminantes pour l’avenir de l’accord. Si le président Trump est réélu, il leur sera beaucoup plus difficile de maintenir l’accord, surtout si les modérés perdent du terrain à la suite de la présidentielle en Iran en 2021. Si, au contraire, le président Trump perd l’élection, il se peut que les États‑Unis essaient de revitaliser le PAGC, surtout si c’est un démocrate prend le pouvoir.

Enfin, un dernier impondérable se doit d’être pris en compte dans l’équation : la possibilité d’escalade du conflit entre l’Iran et Israël en raison de l’instabilité en Syrie.

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