Sommaire
Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées par les participants et les exposants, de même que sur de courts articles offerts par les exposants à l’occasion d’un atelier organisé par le Service canadien du renseignement de sécurité dans le cadre de son programme de liaison-recherche. Le présent rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s’agit pas d’un document analytique et il ne représente la position officielle d’aucun des organismes participants. L’atelier s’est déroulé conformément à la règle de Chatham House; les intervenants ne sont donc pas cités et les noms des conférenciers et des participants ne sont pas révélés.
Les dirigeants de la République islamique doivent gérer un nombre impressionnant de menaces qui pèsent sur la stabilité et la prospérité du pays. L’hostilité des États-Unis et le rétablissement des sanctions ont porté un coup terrible à l’économie, et les manifestations populaires se sont multipliées. Les relations internationales évoluent au fil de l’imposition des sanctions, pourtant le régime se montre capable à la fois de s’adapter et de subir les chocs.
(In)stabilité du régime et troubles intérieurs
Les graves dissensions entre les partisans du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et l’administration du président Hassan Rohani discréditent les deux camps aux yeux d’une population exaspérée. Les dirigeants politiques de l’Iran sont fondamentalement divisés sur la façon de dynamiser la République islamique.
- Même si le régime est usé et si de nombreux Iraniens sont excédés par les divisions politiques, la mauvaise gestion et le marasme économique, aucune menace cohérente ne pèse sur la continuité de la République islamique.
- Ni les dirigeants religieux qui entourent le Guide suprême ni l’establishment politique présidentiel ne sont vus d’un bon œil par la majorité de la population. Beaucoup sont las de la théocratie et du conservatisme des religieux. L’incapacité du Plan d’action global commun (PAGC) d’apporter un soulagement économique a miné la crédibilité du président Rohani.
- Les religieux ont attaqué de front l’administration présidentielle en limogeant des ministres et en renvoyant des représentants de premier plan. Une nouvelle génération de conservateurs religieux radicaux exerce une influence limitée qui pourrait grandir si les problèmes économiques et les manifestations persistent, réduisant la marge de manœuvre dont le président Rohani dispose pour ses réformes.
- Le pouvoir autoritaire, la dépendance au pétrole et les répercussions des sanctions ont instauré une culture de corruption qui attise le mécontentement de la population face au régime.
Les manifestations ont pris de l’ampleur et se sont multipliées en Iran. D’après les sondages, la population compterait jusqu’à 75 % d’insatisfaits et 30 % de personnes convaincues que le régime ne peut pas être réformé. Les dirigeants ont changé d’attitude pour prendre acte des griefs légitimes, sans renoncer à brutaliser ceux qui sont arrêtés lorsque les manifestations sont considérées comme des émeutes.
- Les manifestations populaires de décembre 2017 ont été les plus importantes depuis 2009. Fait significatif, elles ont éclaté à l’extérieur de Téhéran, témoignant du mécontentement populaire généralisé. Le régime les a d’abord condamnées, mais il a par la suite modifié sa stratégie, a reconnu que les griefs étaient légitimes et s’est engagé à les résoudre. Ayant vu le jour à la suite de protestations dans les rues, la République islamique est sensible à la nécessité de gérer plutôt que d’étouffer les plaintes.
- La détérioration de la situation économique est au cœur de nombreux mouvements de protestation. L’inflation est élevée et la valeur du rial a chuté abruptement. Les perspectives économiques des jeunes Iraniens ont été anéanties. Les pénuries d’eau, la pollution, la corruption et les règles religieuses impopulaires, comme le port obligatoire du hijab, ont aussi fait descendre les gens dans la rue.
- Considérant que les mouvements de protestation des minorités ethniques et religieuses, et dans les régions frontalières, menaçaient davantage le régime que les manifestations populaires en général, les autorités y ont réagi plus impitoyablement.
- Le gouvernement a maintenant recours à des forces antiémeutes d’élite plutôt qu’aux milices pour réprimer les manifestants. Même si ces derniers sont écoutés avec plus de bienveillance que par le passé, ceux qui sont arrêtés et incarcérés peuvent se voir imposer de lourdes peines, risquant des sanctions brutales, voire la mort.
- Une des façons de réagir aux manifestations antigouvernementales a été d’organiser des contre-manifestations, en comptant sur le soutien indéfectible des principaux partisans du régime, qui représentent environ 20 % de la population.
Survivre économiquement malgré le rétablissement des sanctions
L’Iran a essayé de rebâtir son économie après la suspension des sanctions qui a découlé de la signature du PAGC. Le retrait des États-Unis de l’accord et la réintroduction des sanctions ont rétabli sa dépendance aux exportations pétrolières, qui représentent le tiers des revenus du gouvernement. Les sanctions précédentes ont eu des effets délétères permanents sur l’économie, parce qu’elles n’ont jamais été complètement levées. Les sanctions financières qui isolent un pays sont destructrices et, s’il est impossible d’y mettre vraiment fin, elles coupent l’envie de négocier.
- L’Union européenne cherche à maintenir le PAGC et à favoriser des liens économiques malgré le retrait des États-Unis. Les pays d’Europe mettent en place un « véhicule spécial » pour faciliter les relations avec l’Iran en matière de commerce et d’investissement.
- L’Iran défend le maintien du PAGC en insistant sur l’intégrité des accords et en faisant valoir que de nombreux pays ont intérêt à s’opposer à l’unilatéralisme américain, qui impose des sanctions économiques à ses amis comme à ses ennemis. De leur côté, les États-Unis parviennent à rallier d’autres pays à leur position à cause des activités que l’Iran mène en Syrie et au Yémen et de ses liens avec le Hezbollah. L’Iran est soupçonné de soutenir des projets d’attentat terroriste en Europe.
- La Russie, la Chine et l’Inde s’intéressent aussi aux relations économiques avec l’Iran. La Chine et l’Inde ont besoin de pétrole, et la Russie est un partenaire en matière de technologie nucléaire. La Chine et la Russie espèrent toutes les deux vendre des armes à l’Iran. Cependant, aucune ne veut totalement s’aliéner les États-Unis. L’Iran se méfie de la Russie et de la Chine et met surtout l’accent sur l’Union européenne comme alliée économique et diplomatique.
- Les sanctions imposées avant la signature du PAGC ont laissé le pays dépendant des exportations de pétrole et généré des pratiques corrompues, les facilitateurs se livrant à la recherche de profits et de solutions de rechange. Les Gardiens de la révolution islamique, qui étaient opposés au dialogue avec les États-Unis, ont gagné en influence pendant la période où les sanctions originales étaient en vigueur. Avec le rétablissement des sanctions, l’économie risque de nouveau d’être mise à mal, à court et à long terme. L’Iran n’a aucune raison de vouloir renégocier l’accord.
Réorientation des relations étrangères et des partenariats internationaux
La politique étrangère de l’Iran est dominée par la nécessité de préserver des marchés pour son pétrole et par son désir de projeter son influence dans tout le Moyen-Orient. Comme le pays occupe une part essentielle du pont continental entre l’Europe et l’Asie et est au cœur de nombreux affrontements au Moyen-Orient, ses partenaires commerciaux ont tous intérêt à favoriser sa stabilité.
- La nécessité de se concentrer sur les relations économiques et commerciales essentielles à son économie n’a pas empêché l’Iran d’intervenir énergiquement dans la géopolitique de la région. Sur le plan de l’influence, il est en concurrence avec l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen.
- La République islamique a réussi à soutenir le régime Assad en Syrie, mais ses plans de reconstruction n’ont pas l’appui de la Russie, et son rôle dans le conflit a miné sa réputation internationale.
- La position géopolitique du pays, entre l’Asie et l’Europe, rend sa stabilité sensible pour tous ses partenaires. Il constitue un élément essentiel du programme « Une ceinture, une route » de la Chine et est relié géographiquement à la région russe agitée du Caucase. Pour l’Inde, l’Iran est un point d’entrée aux territoires du Moyen-Orient et de l’Europe. L’Union européenne veut préserver le PAGC pour éviter une course à l’armement au Moyen‑Orient.
- Le retrait des États-Unis du PAGC a comme conséquence imprévue d’accroître l’influence de la Russie et de la Chine sur l’Iran, et sur le Moyen-Orient en général, et pourrait pousser le pays à adopter une orientation encore plus conservatrice et autoritaire.
Perspectives
Tant qu’il s’efforcera de maintenir le PAGC, l’Iran demeurera au centre de l’attention internationale. Rien n’indique à l’heure actuelle qu’il essaiera de relancer son programme d’armement nucléaire, mais un besoin désespéré d’améliorer sa position de négociation pourrait l’amener à envisager cette mesure. S’il se retirait effectivement de l’accord, l’Iran se retrouverait de nouveau avec pratiquement tous les pays alignés contre lui. Les divisions au sein du régime ainsi que les réputations entachées tant du dirigeant religieux que du président pourraient permettre à l’armée d’exercer plus d’influence. Plusieurs événements futurs pourraient avoir une incidence sur l’avenir de l’Iran.
- Le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, est maintenant âgé de 79 ans. Son décès et son remplacement influeront sur la dynamique politique interne et sur les relations extérieures. Il n’a pas de dauphin.
- Les célébrations du 40e anniversaire de la République islamique pourraient exacerber les antagonismes entre groupes rivaux.
- Les élections parlementaires prévues au début de 2020 attiseront de nouveau la concurrence entre forces conservatrices et réformistes. L’intensité du processus électoral pourrait amener des factions à poser des gestes provocateurs et déstabilisants. Les élections chevaucheront le cycle des primaires aux États-Unis.
- Les élections de 2020 aux États-Unis seront très importantes pour l’Iran, parce qu’elles reporteront au pouvoir une administration républicaine, qui a retiré les États-Unis du PAGC, ou donneront la victoire à une administration démocrate, qui pourrait ramener les États-Unis dans l’accord.
- Deux possibilités très différentes, mais envisageables, se dessinent pour l’Iran. Le renouvellement de l’adhésion des États-Unis au PAGC pourrait réduire l’isolement diplomatique du pays et permettre la reprise de l’économie. Un pas de plus vers le conservatisme religieux, qui pourrait être associé à un regain d’influence militaire, pourrait à terme faire de l’Iran un État-garnison sécurisé, radicalisé et pauvre.