Les premières années du CSARS (1984-1990) - Réflexions
Les premières années du CSARS (1984-1990)
Qu'est-ce que le CSARS?
Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est un organisme indépendant qui surveille de l'extérieur les opérations du Service canadien du renseignement de sécurité et en rend compte au Parlement du Canada. L'examen des activités du Service par le CSARS et les enquêtes qu'il effectue sur les plaintes lui permettent de fournir au Parlement l'assurance que le SCRS respecte la loi, les politiques et les instructions ministérielles.
Les législateurs avaient espéré que la transformation du service de renseignement de sécurité du Canada en organisme civil apporterait des améliorations immédiates, mais il a fallu du temps à la fois au CSARS et au SCRS pour s'orienter. Un problème est que le nouveau service canadien de renseignement a d'abord été composé principalement de fonctionnaires qui avaient choisi de passer du Service de sécurité de la GRC, alors dissous, au SCRS, emportant avec eux leurs vieilles façons de faire. Entre-temps, le CSARS en était à ses premiers pas. Sous la direction de son premier président, Ron Atkey, il ne faisait que commencer à exercer ses pouvoirs afin d'assurer que le SCRS agissait dans le respect de la loi et judicieusement en vue de protéger la sécurité nationale du Canada.
Résistance
Le premier directeur exécutif du CSARS, Maurice Archdeacon (1985-1999), a par la suite rappelé que le climat des premières rencontres entre le SCRS et le CSARS était loin d'être coopératif ou constructif. « Le SCRS résistait constamment à nos efforts... et, régulièrement, nous devions patienter longtemps avant d'obtenir des réponses à nos demandes. Il perpétuait la culture que le nouvel organisme était censé éliminer
». Néanmoins, quelques mois seulement après sa formation, le CSARS a préparé son premier rapport annuel destiné au Parlement. Ses membres se sont engagés à aborder leur travail avec « sincérité
» et « une véritable soif de connaître teintée d'une saine dose de scepticisme
».
Difficultés des débuts
Un auteur qui a documenté la création du SCRS en a résumé ainsi les premières années : « Ils [les anciens membres de la GRC] pouvaient attraper un voleur à la tire, terroriser un indicateur... ou repérer un terroriste portant une bombe dans un aéroport, mais ils ne pouvaient nommer les diverses factions libanaises belligérantes, et encore moins analyser les idées politiques ou prévoir un éventuel comportement futurNote de bas de page 14
».
Par qui les membres du CSARS sont-ils nommés?
Les membres sont nommés par le gouverneur en conseil après consultation entre le premier ministre et les chefs des partis de l'opposition. Ils doivent tous faire partie du Conseil privé, de sorte qu'ils ont pleinement accès aux renseignements d'un niveau de classification élevé, privilège dont la plupart des parlementaires ne jouissent pas.
Le CSARS devait aussi faire face à ses propres difficultés. Au fil des débats qui ont abouti à la promulgation de la Loi sur le SCRS et à la création du Comité, certains eurent tôt fait de rejeter le CSARS avant même qu'il se mette à l'œuvre, soutenant que son mandat était trop restreint et ses ressources, trop maigres. Le Comité a aussi reconnu qu'il lui faudrait trouver un équilibre délicat entre le besoin de savoir des Canadiens et l'obligation, que lui conférait la loi, de protéger la sécurité nationale et la vie privée. En revanche, cela influerait sur la confiance du public dans le nouvel organisme de surveillance.
Reddition de comptes exigée du SCRS
Le Comité a démontré sa fougue en faisant état publiquement de son intention de jouer pleinement le rôle qui lui était dévolu de par la Loi sur le SCRS. Dès 1985, le premier président du CSARS, Ron Atkey (1984-1989), donnait régulièrement des conférences de presse aux médias d'Ottawa. Il profitait de ces occasions pour signaler aux Canadiens, et au SCRS, que le CSARS était prêt à exercer pleinement les pouvoirs dont le Parlement l'avait investi.
Maurice Archdeacon rappelle que ces conférences de presse aidaient à transmettre un message important : « le CSARS était sérieux
». Ce message a été énoncé simplement dans le deuxième rapport annuel du Comité, sous la rubrique Attitude du SCRS face au processus d'examen : « Si le SCRS éprouve un malaise à l'égard de sa transformation en organisme civil, son malaise est encore plus grand à l'égard du processus d'examen indépendant
». Le mandat du CSARS consistant à examiner les plaintes était un domaine où le Comité comblait clairement la nécessité d'un système public de recours. En 1986, le Comité a déclaré avoir reçu « beaucoup plus de plaintes que nous ne nous y attendions
», soit plus de 600.
Quel est le mode de rémunération des membres du Comité?
Étant donné que les membres du CSARS siègent à temps partiel, leur rémunération est fondée sur un taux quotidien, selon les lignes directrices établies par le Bureau du Conseil privé.
Une découverte bouleversante
Selon l'article 42 de la Loi sur le SCRS, l'une des responsabilités du CSARS est d'enquêter sur les plaintes concernant le refus d'habilitations de sécurité dans l'administration fédérale. L'exercice de cette responsabilité a mis au jour un fait important au sujet du filtrage de sécurité au ministère de la Défense nationale (MDN). Le Comité a découvert que, jusqu'en 1985, on y refusait chaque année jusqu'à 500 Canadiens qui postulaient un emploi dans les Forces armées canadiennes et, dans certains cas, on renvoyait des membres en poste. Le problème était le filtrage de sécurité pratiqué au Ministère (qui effectuait encore à l'époque son propre filtrage des militaires en poste et des recrues possibles). Nombre de candidats étaient refusés (ou chassés), simplement à cause de leur orientation sexuelle et de leur mode de vie.
Dans cette affaire, le CSARS a œuvré en coulisse, présentant des observations directement au chef d'état-major de la Défense du Canada. On a manifestement tenu compte de ses observations, car le Comité a fait l'éloge de la Défense nationale dans son rapport annuel suivant : « Nous sommes heureux cette année de répéter publiquement ce que nous avons déjà dit en privé, c'est-à-dire que le MDN a fait preuve d'un véritable respect pour la dignité individuelle en révisant radicalement ses procédures relatives aux habilitations de sécurité
».
Pourquoi le CSARS a-t-il été créé?
La naissance du CSARS visait à donner suite aux recommandations de la Commission McDonald qui, dans son rapport final, s'était penchée sur les activités du Service de sécurité de la GRC. Le Comité a été créé en 1984 en vertu de la loi même qui a constitué le service civil de renseignement du Canada (le SCRS) et l'inspecteur général du SCRS. Le CSARS contribue à assurer que le Service ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés des Canadiens tout en remplissant son mandat, qui est de protéger des menaces à la sécurité nationale.
Les événements les plus sombres pour le Service
Par moments, la volonté du CSARS de mener à terme des dossiers difficiles ou épineux a eu de lourdes conséquences pour le Service. Par exemple, dans son rapport annuel de 1986-1987, le Comité a consacré un chapitre entier à la critique de nombreuses pratiques de la Direction de l'antisubversion du SCRS. Il y a exprimé ses craintes sans détours : « D'après les meilleures informations que nous avons pu recueillir, la Direction de l'antisubversion a probablement plus de 30 000 dossiers, au bas mot, sur des particuliers. Cela nous inquiète un peu : nous n'avons pas de chiffres exacts et nous ne pouvons pas en obtenir sans l'examen de milliers de dossiers. Des enquêtes actives ont été entreprises sur seulement un petit pourcentage de ceux-ci. Pour mettre davantage ces 30 000 dossiers en contexte, précisons que le SCRS dans son ensemble détient plus de 600 000 dossiers sur des particuliers
». Le CSARS a conclu que la Direction « s'ingère dans la vie de trop de Canadiens
» tout en polarisant ses efforts sur des cibles qui représentaient une menace minime pour le Canada.
Un appel supplémentaire au changement est venu en 1987 d'un arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans le dossier de Harjit Singh Atwal, individu accusé d'avoir trempé dans un attentat perpétré en Colombie-Britannique contre un ministre panjabi. La Cour a décidé que le SCRS avait présenté des demandes d'écoute électronique défectueuses dans son enquête sur Atwal. Cela a entraîné la démission immédiate du premier directeur du Service, Ted Finn. En outre, deux mois plus tard, le solliciteur général du Canada a publié un rapport d'une équipe consultative dirigée par l'ancien greffier du Conseil privé, Gordon Osbaldeston, qui a amené la dissolution de la Direction de l'antisubversion du SCRS.
Le président Ron Atkey et les membres du Comité ont reconnu cette série d'événements dans leur rapport annuel suivant (1987-1988), affirmant qu'en raison de cette affaire le « SCRS a fait face aux événements les plus sombres de son histoire
». Pourtant, ce fut aussi un important point tournant. Maurice Archdeacon a par la suite soutenu que cet événement et l'arrivée ultérieure de Reid Morden comme nouveau directeur du SCRS étaient « des événements décisifs
» qui avaient amélioré les relations entre le Service et le CSARS.
Voici d'autres événements importants survenus au cours des cinq premières années d'existence du Comité :
En quoi un organisme de contrôle diffère-t-il d'un organisme surveillance?
Entre autres responsabilités, un organisme de contrôle suit en permanence ce qui se passe au sein d'un service de renseignement et il a pour mandat d'évaluer les enquêtes en cours ou le travail « en temps réel
». Il peut aussi exercer une influence sur les politiques en voie d'élaboration et sur les budgets. Par ailleurs, au Canada, le Parlement a institué des organes de surveillance qui se penchent sur les opérations passées du Service. L'avantage de la surveillance par rapport au contrôle est que le CSARS peut évaluer pleinement le rendement passé du SCRS sans être mêlé d'aucune manière à ses décisions et activités courantes d'ordre opérationnel.
- Objections à l'utilisation du polygraphe par le SCRS — Le Comité a exprimé ses craintes à maintes reprises au sujet de l'utilisation du polygraphe par le SCRS (tests au détecteur de mensonge) comme outil de filtrage des employés. Ses objections étaient bien étayées par la recherche clinique selon laquelle de tels outils n'avaient pas grand valeur, étant trop peu fiables. Voici ce qu'affirme le CSARS dans son rapport annuel de 1986-1987 : «
Le SCRS a tenté de donner à son programme un vernis scientifique en le qualifiant de projet pilote, mais il s'agit là simplement d'un déguisement.
» Le SCRS continue de faire subir un examen polygraphique à ses candidats, mais les questions portent maintenant exclusivement sur des points entourant la loyauté. - Le SCRS et les Premières Nations — En 1989, en réponse à d'importants reportages sur la prétendue surveillance de groupes des Premières Nations par le SCRS dans tout le Canada, le CSARS a entrepris une étude de ce qu'il a appelé les «
enquêtes du SCRS sur les questions autochtones
». Le Comité a admis dans son rapport que la manière dont le Service avait mené ses enquêtes allait à l'encontre des règlements, mais il a aussi tenté de rétablir la vérité des faits en faveur du SCRS. «En fait, l'utilisation de l'expression
» Un second rapport, préparé à la suite d'incidents violents dans les collectivités des Premières Nations en 1989-1990, contenait des conclusions semblables.‹ enquête ›
pour décrire cette initiative... pourrait être trompeuse si elle suggère des activités du genre écoute électronique ou filature. Le SCRS a plutôt effectué une activité de recherche ou de collecte de données, s'appuyant principalement sur des sources ouvertes comme des reportages et des entrevues avec des personnes connaissant bien le milieu. - Examen quinquennal de la Loi sur le SCRS — La Loi sur le SCRS a fait l'objet d'un premier «
bulletin
» en 1990-1991 sous la forme d'un examen quinquennal par un comité parlementaire spécial que présidait le député Blaine Thacker. Le CSARS a formulé 31 recommandations que le comité Thacker a prises en considération dans la préparation de son rapport. Même si l'on n'a tenu aucun compte de la majeure partie des opinions du CSARS sur la manière d'améliorer la Loi, cette période a quand même marqué la fin d'une ère, couronnant la moitié d'une décennie d'importantes réalisations qui ont aidé à infléchir la croissance du nouveau service de renseignement.
Franchissement d'un cap
Vers la fin de son mandat à la présidence du CSARS, Ron Atkey a signalé avec optimisme que c'était l'aube d'une ère dont les historiens diraient peut-être un jour que le SCRS « a franchi le cap
» à ce moment-là et a vraiment commencé à devenir l'organisme civil que les législateurs avaient imaginé plus tôt. En effet, à la fin des années 80, les relations entre le SCRS et le CSARS étaient devenues beaucoup plus professionnelles et respectueuses, à l'image de la saine tension qui existe aujourd'hui entre les deux organismes.