2010-TSSTC-007

TSSTC-10-007

Référence : Pamela Townsend et Grant Leblanc c. Société canadienne des postes, 2010 TSSTC 7

Date: 2010-04-22

Décision nº: 2006-07
2006-19a
2006-19b

Rendue à : Ottawa

Entre:

Pamela Townsend et Grant Leblanc, appelants
et
Société canadienne des postes, intimée

Affaire :

  • Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail par des factrices et facteurs ruraux et suburbains à l’encontre d’une décision d’absence de danger d’un agent de santé et sécurité.
  • Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail par la Société canadienne des postes à l’encontre de deux instructions données à Postes Canada par un agent de santé et sécurité.

Décision :

  • La décision d’absence de danger concernant des questions ergonomiques est annulée et une instruction est donnée à la Société canadienne des postes.
  • La décision d’absence de danger concernant la circulation des véhicules est annulée et aucune instruction n’est donnée, car depuis, l’employeur a évalué et rectifié la situation et le danger qui reste constitue maintenant une condition normale d’emploi.

Décision rendue par : Richard Lafrance, agent d’appel

Langue de la décision : Traduction de l’anglais

Pour les appelants : David Bloom, avocat - Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyres et Cornish, s.r.l.

Pour l’intimée : Stephen Bird, avocat – Bird Richard

Motifs

[1] La présente décision vise trois appels interjetés en vertu du Code canadien du travail (le Code). À la demande des parties, ces appels ont été entendus conjointement, car les trois dossiers portent sur les mêmes questions et ont fait l’objet d’une enquête par le même agent de santé et sécurité.

[2] Les deux parties ont convenu que M. David Bloom, l’avocat des employés, agirait a titre d’appelants et que M. Stephen Bird, l’avocat de la Société canadienne des postes, agirait a titre d’intimée.

[3] Un appel (dossier nº 2006-07) a été interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code à l’encontre d’une décision d’absence de danger rendue par l’agente de santé et sécurité (l’ASS) Jane Shimono. Il a été interjeté par la factrice rurale et suburbaine (FRS) Pamela Townsend et par le facteur rural et suburbain (FRS) Grant Leblanc, qui sont des employés de la Société canadienne des postes à Newmarket, en Ontario. Ces employés ont fait valoir leur droit de refuser de travailler en invoquant des motifs fondés sur l’ergonomie et sur la circulation routière.

[4] Les deux autres appels (dossiers nºs 2006-19a et b) ont été interjetés par la Société canadienne des postes en vertu du paragraphe 146(1) du Code, le premier à l’encontre d’une instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code et le deuxième, à l’encontre d’une autre instruction donnée en vertu de l’alinéa 141(1)a) du Code par l’agente de santé et sécurité (l’ASS) J. Shimono dans le contexte des refus de travailler mentionnés précédemment.

Contexte

[5] La première convention collective conclue entre les factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) et la Société canadienne des postes (Postes Canada) a été ratifiée le 30 septembre 2003. Avant cette date, Postes Canada avait recours aux services des FFRS pour la livraison du courrier dans les régions rurales et suburbaines du Canada en concluant des contrats individuels de services. Ainsi, Postes Canada considérait les FFRS comme des entrepreneurs indépendants et autonomes.

[6] En janvier 2004, en conformité avec leur nouvelle convention collective, les FFRS sont devenus des employés de Postes Canada et sont donc, depuis, visés par la partie II du Code canadien du travail.

[7] Postes Canada a ensuite fait des démarches pour informer formellement les FFRS qu’elle ne tolérerait plus que les FFRS livrent du courrier dans les boîtes aux lettres rurales en conduisant du mauvais côté de la route. Par conséquent, ils ne seraient pas autorisés à livrer du courrier par la fenêtre côté conducteur de leurs véhicules de livraison. Jusque-là, la livraison du courrier de cette manière était considérée comme une pratique de livraison commune.

[8] À compter d’octobre 2005, un nombre croissant de FFRS de partout au Canada ont fait valoir leur droit de refuser de travailler en se fondant sur deux aspects de leur travail. Premièrement, ils ont fait valoir des questions « ergonomiques », une expression utilisée par les deux avocats pour décrire les mouvements répétitifs causés par des gestes d’étirement, de torsion et d’extension requis pour livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager des véhicules des FFRS.

[9] Deuxièmement, certains des FFRS ont également soulevé des « questions de circulation routière » comme les deux avocats les appellent, pour décrire les conditions défavorables créées par l’emplacement physique des boîtes aux lettres par rapport à la route, à l’accotement, au volume, au type et à la vitesse de la circulation des véhicules.

[10] Le 26 janvier 2006, P. Townsend et G. Leblanc ont refusé de livrer du courrier dans des boîtes aux lettres rurales (BLR) dans la région de Newmarket, située en Ontario. Ils ont prétendu qu’il était dangereux pour eux de s’arrêter afin de livrer du courrier sur des routes dont l’accotement n’était pas suffisamment large pour écarter complètement leur véhicule de la route. Ils ont également fait valoir les conditions de la circulation des véhicules, l’emplacement de certaines boîtes aux lettres rurales et la visibilité réduite en hiver.

[11] Ils ont en outre prétendu qu’ils ne pouvaient atteindre les boîtes aux lettres de leur position du côté du conducteur et que les mouvements répétitifs d’étirement, de torsion et d’atteinte déployés pour livrer du courrier par la fenêtre du côté du passager de leurs véhicules mettaient leur santé en danger.

[12] Postes Canada a fait enquête sur les refus de travailler. Comme l’employeur ne convenait pas de l’existence d’un danger et que les employés ont continué de refuser à travailler, une agente de santé et sécurité a été demandé pour enquêter sur les refus continus.

[13] L’agente de santé et sécurité (ASS) Jane Shimono a fait enquête sur les deux refus de travailler qui font l’objet de la présente décision, en présence des employés, d’un membre du comité de santé et de sécurité au travail, et d’un représentant de l’employeur. L’ASS Shimono a témoigné à l’audience et a soumis son rapport d’enquête en preuve.

[14] Se reportant aux déclarations sur le refus de travailler des employés, l’ASS Shimono a noté les détails suivants sur chacun des emplacements :

 

Adresse

Raison

 

Old Yonge St. au nord de Queensville Sideroad – Tous les appels.

 

 

Pas d’accotement, route très étroite, visibilité limitée, circulation intense à l’ouverture des terrains de golf

 

 

2e Concession, au nord de Queensville Sideroad

 

 

Pas d’accotement, gêne la circulation

 

 

2e Concession, entre Greenlane et Queensville Sideroad

 

 

Pas d’accotement, circulation intense, visibilité limitée

 

 

Main St. North, boîtes situées entre Old Main St. Greenlane, (5 appels)

 

 

Pas d’accotement, visibilité limitée, circulation intense

 

 

Yonge St. au nord de Greenlane

 

 

4 voies, vitesse élevée

 

 

Old Yonge St. (chemin de terre)

 

 

Pas d’accotement, route exposée au vent, visibilité limitée

 

 

Queensville Sideroad entre la 2e Concession et Old Yonge St.

 

 

Vitesse élevée (70 km), l’accotement devient plus étroit à Old Yonge St.

 

 

Hillcrest Dr. 173-89

 

 

Pas d’accotement

 

Toutes les boîtes ci-dessus ne peuvent être atteintes du siège du conducteur.

 

[15] Au cours de son enquête, l’ASS Shimono a découvert que l’employeur avait identifié le risque possible pour les FFRS de se faire frapper par des véhicules qui circulent et avait élaboré des procédures de protection contre ce danger. Elle a toutefois confirmé qu’il était impossible de respecter lesdites procédures dans de nombreux emplacements de boîtes postales rurales (BPR). Néanmoins, elle a conclu que les employés n’étaient pas exposés à un danger en raison de l’insuffisance de preuves selon lesquelles la situation pourrait définitivement occasionner une blessure à une personne qui y serait exposée avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Elle a en outre établi que l’employeur n’avait pas protégé les employés qui ont refusé de travailler contre le risque potentiel de se faire frapper par un véhicule qui circule et elle a donné une instruction à l’employeur.

[16] Le 26 janvier 2006, elle a donné instruction à Postes Canada de mettre fin à l’infraction suivante dans les termes qui suivent :

[Traduction]

« Article 124 du Code canadien du travail, partie II

L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de sécurité et de santé au travail :

Pour livrer/recevoir du courrier à partir des « boîtes postales rurales », les facteurs ruraux doivent stationner à maintes reprises leur véhicule du côté droit des voies publiques, dont l’accotement est insuffisant pour permettre aux facteurs d’enlever leurs véhicules de la chaussée et de les soustraire à la circulation. Ces positions de stationnement constituent un obstacle visuel et physique au reste de la circulation des véhicules et limitent les façons de s’assurer que leurs véhicules sont visibles sur la même route. Elles vont également à l’encontre des Procédures de travail sécuritaire des FFRS qui sont proposées par l’employeur, procédures qui prévoient ce qui suit [traduction] : « Assurez-vous que votre véhicule ne gêne pas la circulation lorsqu’il est écarté de la route pour desservir un point de livraison et que votre véhicule n’est pas arrêté au sommet d’une côte ou dans une courbe, où la vue d’un conducteur qui s’en vient peut être bloquée. » L’employeur a omis de protéger ces employés contre le risque potentiel de se faire frapper par un véhicule.

Par conséquent, il vous est Ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin immédiatement à l’infraction. »

[17] En ce qui concerne les questions d’ergonomie, l’ASS Shimono a reconnu que les employés qui refusent de travailler pourraient se trouver à maintes reprises dans des positions difficiles et effectuer des mouvements incommodes pour atteindre et trier le courrier sur le siège arrière des véhicules, manipuler le courrier qui est sur le siège arrière, et pour atteindre les boîtes aux lettres rurales. En raison du manque d’éléments de preuve suffisants, elle ne pouvait toutefois établir de manière concluante que cette tâche pouvait causer des blessures à une personne qui y était exposée avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Elle a par conséquent conclu que les employés n’étaient pas exposés à un danger.

[18] Toutefois, compte tenu de cette insuffisance de preuve, elle a donné l’instruction suivante à l’employeur :

[Traduction]

[…], je vous Ordonne par la présente, en vertu de l’alinéa 141(1)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de procéder à l’examen suivant :

En consultation avec le comité d’orientation et le comité local, l’employeur doit procéder à une évaluation des risques rattaché à la livraison et à la réception du courrier par l’employé par la fenêtre du côté passager de son véhicule là où il y a des boîtes aux lettres rurales. Cette évaluation doit notamment porter sur les risques potentiel d’adopter des positions répétitives et difficiles en se penchant et en posant des gestes de torsion pour atteindre et trier du courrier se trouvant sur le siège arrière du véhicule, pour manipuler du courrier qui est sur le siège du passager, et pour atteindre une boîte aux lettres rurale par la fenêtre du passager.

[19] Les deux FFRS ont interjeté appel des décisions d’absence de danger rendues par l’ASS Shimono sur les deux chefs. En outre, Postes Canada a interjeté appel des deux instructions.

[20] Comme deux questions distinctes doivent être tranchées dans le cadre de ces appels, à savoir les questions d’ergonomie et de circulation des véhicules, et comme ces deux questions sont de nature très technique, je les aborderai séparément.

Questions d’ergonomie

[21] En ce qui concerne l’appel des FFRS à l’encontre de la décision d’absence de danger touchant les questions d’ergonomie, je dois décider :

  1. si l’ASS Shimono a commis une erreur en concluant que les FFRS qui ont refusé de travailler n’étaient pas exposés à un danger en ayant à livrer le courrier a partir du siège du conducteur, par la fenêtre du côté du passager des véhicules de livraison;
  2. si, compte tenu du paragraphe qui précède, ce danger, s’il existe, constitue une condition normale d’emploi.

[22] En ce qui a trait à l’appel de Postes Canada à l’encontre de l’instruction de l’ASS Shimono, je dois décider si elle a commis une erreur en donnant une instruction en vertu de l’alinéa 141(1)a) du Code à Postes Canada.

La preuve

[23] Une visite des véhicules utilisés par les FFRS pour livrer le courrier aux BLR a eu lieu pendant l’audience.

[24] De nombreux documents ont été présentés en preuve par les deux parties, dont notamment le rapport EadyFootnote 1 et le rapport de Human Factors North/Ergonomie NordFootnote 2. Ces deux mêmes documents ont été présentés à l’agent d’appel soussigné dans les affaires D. Morrison et autres et C. McDonnell et autres. c. Postes CanadaFootnote 3, dans le cadre desquelles j’ai eu l’occasion de les étudier longuement. Les deux affaires portaient sur les deux mêmes questions qui sont soulevées dans la présente affaire et étaient de nature similaire en ce qui a trait aux refus de travailler.

[25] Le rapport Eady – En avril 2006, M. Christopher Eady, agent, Sécurité et ergonomie chez Postes Canada, a effectué une étude ergonomique de la livraison par les FFRS du courrier dans les boîtes postales rurales. L’évaluation a été réalisée peu après les premiers refus de travailler à Vaudreuil-Dorion, au Québec, qui sont survenus avant les refus de travailler qui nous intéressent en l’espèce.

[26] L’étude Eady avait pour objet d’analyser la sécurité ergonomique des FFRS qui effectuaient, dans leur véhicule, la livraison du courrier aux BLR, en fonction de trois techniques différentes, à savoir:

1) La livraison à partir du siège du passager (mouvement du siège du conducteur au siège du passager) dans un véhicule muni d’un banc, de sièges baquets sans console au centre ou de sièges baquets avec une console au centre.

2) La livraison du courrier du côté du conducteur, au moyen d’un dispositif que l’on fait passer par la fenêtre du passager.

3) La livraison par la fenêtre du côté du conducteur au moyen d’un véhicule doté d’une conduite à droite.

[27] Peu après l’étude Eady, une deuxième évaluation a été faite par Human Factors North/Ergonomie Nord Inc. (HFN), pour confirmer, d’après M. Jeff Fraser, gestionnaire du projet des FFRS de Postes Canada, les conclusions du rapport Eady. Ce rapport, daté du 15 décembre 2006, a été dressé à l’intention du Comité national mixte de santé et de sécurité de Postes Canada. Bien que les parties n’aient pas traité des détails des rapports à l’audience, la lecture de ceux-ci s’est révélée très profitable et très importante en ce qui touche la description des risques mentionnés par les FFRS. En outre, aucune preuve n’a été produite et aucun témoignage d’expert n’a été présenté pour contredire ces deux évaluations.

[28] Dans le cas de l’évaluation ergonomique effectuée par Human Factor North/Ergonomie Nord (HFN), le rapport indique que l’évaluation du risque ergonomique touche les fonctions essentielles des FFRS dans leur véhicule. L’évaluation comprenait :

  • Détacher et attacher sa ceinture de sécurité.
  • L’accès au courrier de l’intérieur du véhicule.
  • Se déplacer latéralement à l’intérieur du véhicule du siège/du côté du conducteur à celui du passager.
  • Livrer le courrier à partir du siège du passager par l’extérieur de la fenêtre du côté passager (assistant) ou à partir du côté du conducteur par la fenêtre du conducteur.

Témoins des appelants

[29] Le témoignage de la FRS P. Townsend portait sur la directive qu’elle a reçue de Postes Canada selon laquelle elle devait livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager. De plus, elle a longuement témoigné au sujet de ses itinéraires de livraison et du nombre d’emplacements physiques de BLR sur ses itinéraires. Au moment du refus, elle utilisait une camionnette munie d’une cabine allongée et de bancs. Elle a fini par utiliser une voiture intermédiaire dotée d’un siège divisé. D’après le sommaire de son itinéraire, elle livrait du courrier à 417 points de remise.

[30] Pendant la visite de son véhicule, P. Townsend a montré et expliqué les mouvements nécessaires pour livrer du courrier par la fenêtre située du côté passager du véhicule. Elle a témoigné des contusions et de la douleur subies lorsqu’elle tentait de livrer le courrier de cette manière.

[31] Pendant la visite de son véhicule, le FRS Grant Leblanc a illustré les mouvements nécessaires pour livrer du courrier par la fenêtre située du côté passager. Il a expliqué que bien qu’il n’a jamais livré de courrier de cette façon, il croit que la torsion répétée de la partie inférieure de son corps pour récupérer le courrier à l’arrière de son véhicule ainsi que le geste de s’étirer et de se pencher à l’extérieur de la fenêtre du côté du passager pour livrer le courrier représentent un risque considérable pour la santé dans l’immédiat et dans l’avenir. À l’époque, il utilisait une fourgonnette pour livrer le courrier à 835 points de remise, d’après le sommaire de l’itinéraire.

[32] Gail Bossenberry, représentante nationale en santé et sécurité au travail, STTP, a déclaré que ni le comité d’orientation ni les comités locaux n’avaient été consultés concernant l’élaboration des Procédures de travail sécuritaire de Postes Canada.

[33] Elle a ajouté que Postes Canada a omis :

  1. de demander au comité d’orientation ou au comité local de prendre part à l’étude Eady;
  2. d’informer les comités de l’impact de l’étude Eady;
  3. de fournir aux FFRS une liste des véhicules acceptables ou des configurations intérieures adéquates.

[34] G. Bossenberry a également déclaré qu’il (le syndicat) a demandé une évaluation plus concluante des questions d’ergonomie concernant le nombre de livraisons à l’heure et une enquête complémentaire sur les véhicules avec conduite à droite.

Témoins de l’intimée

[35] J. Fraser a mentionné que Postes Canada s’inscrit en faux contre l’affirmation selon laquelle il existait un danger. Toutefois, pour assurer le maintien des livraisons postales, Postes Canada a fourni des adjoints aux FFRS qui refusaient de travailler en invoquant des questions d’ergonomie. Il s’agissait d’une mesure provisoire, en place jusqu’à ce que les questions pertinentes puissent être réglées par un agent d’appel.

[36] En ce qui concerne les questions d’ergonomie, J. Fraser a témoigné que Postes Canada avait fait faire l’étude de Human Factors North/Ergonomie Nord (HFN) afin que soient pris en compte davantage de facteurs que ceux qui ont été examinés par l’étude Eady. L’étude de HFN a été faite de concert avec le syndicat. L’étude de HFN constitue la première phase et devrait se poursuivre par une étude sur les véhicules avec conduite à droite. Il a ajouté que l’étude de HFN n’établissait pas comment une personne pouvait livrer du courrier en toute sécurité à partir de la fenêtre côté passager d’un véhicule.

[37] Mme Pamela Reid, de Postes Canada, a témoigné que depuis 1995, année au cours de laquelle elle a été nommée surveillante, elle n’a jamais reçu de plainte sur des questions d’ergonomie.

Arguments des parties

Arguments des appelants

[38] Relativement aux questions d’ergonomie, D. Bloom a fait valoir que l’ASS Shimono a reconnu à juste titre la possibilité que des employés puissent se trouver à maintes reprises dans des positions difficiles et effectuer des mouvements incommodes pour atteindre et trier le courrier sur le siège arrière des véhicules, manipuler le courrier qui est sur le siège arrière, et pour atteindre les boîtes aux lettres rurales a partir du siège du côté du passager. Toutefois, elle a commis une erreur en concluant que la preuve n’établissait pas l’existence d’un danger.

[39] D’après l’avocat, la preuve révèle que les exigences physiques de la livraison par la fenêtre du côté du passager représentent un risque déraisonnable pour les employés et constituent un danger au sens du Code.

[40] Il a constaté que les Procédures de travail sécuritaire exigent de livrer le courrier seulement par la fenêtre du côté du passager. Ces procédures exigent que les FFRS se livrent à une série de mouvements répétitifs incommodes à cause de la configuration de leurs véhicules. Ces mouvements auraient vraisemblablement entraîné un inconfort physique et des blessures.

[41] D. Bloom a fait valoir que les véhicules utilisés par les FFRS ont fait l’objet d’une approbation expresse/tacite de la part de Postes Canada, car Postes Canada n’a jamais fourni de lignes directrices sur le choix de véhicules. Tel qu’il a été confirmé pendant la visite des véhicules, leur configuration rendait la livraison par la fenêtre du côté du passager physiquement difficile et pratiquement impossible sans blessure.

[42] D. Bloom a constaté que pour les deux FFRS, le rythme moyen de livraisons excédait largement les 12,5 livraisons à l’heure recommandées dans l’étude de HFN.

[43] Enfin, D. Bloom a demandé que l’agent d’appel annule la décision de l’ASS et statue que la livraison aux BLR par la fenêtre du côté du passager nécessite des positions et des mouvements répétitifs incommodes qui correspondent à un danger au sens du Code.

Arguments de l’intimée

[44] S. Bird a convenu que les faits suivants n’étaient pas contestés :

  1. Les questions d’ergonomie sont clairement soulevées dans chaque plainte.
  2. P. Townsend s’est plainte d’avoir à s’étirer et à se pencher, mais elle ne précise aucun mouvement à évaluer.
  3. Ni P. Townsend ni G. Leblanc ne s’est déjà plaint auparavant.
  4. Ni P. Townsend ni G. Leblanc n’a présenté une réclamation ou une demande d’indemnisation de la CAT.
  5. Les FFRS doivent trier et transporter le courrier jusqu’à leurs véhicules. Ces gestes exigent des mouvements ergonomiques de levée, de torsion, d’étirement et de flexion qui semblent ne présenter aucune conséquence apparente.
  6. Les deux FFRS livraient par la fenêtre du côté du conducteur avant le refus — ce qui, encore une fois, nécessite des mouvements d’atteinte, des flexions et des étirements à des degrés divers.

[45] S. Bird a fait valoir que l’ASS Shimono était justifiée de conclure qu’il n’existait pas de danger du point de vue des mouvements ergonomiques pour les motifs suivants :

  1. Les mouvements ergonomiques constituent une « condition normale d’emploi » et ne sont donc pas visés par la disposition sur le travail dangereux (alinéa 128(2)b)Footnote 4 du Code).
  2. Le milieu de travail, le positionnement du corps, et le type de mouvement ergonomique exécuté étaient entièrement à la discrétion des FFRS.
  3. L’incapacité des FFRS de livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager était causée par leurs caractéristiques personnelles.

[46] S. Bird a prétendu que les employés ont la responsabilité de fournir un véhicule « adapté à l’itinéraire ». Par conséquent, si les employés choisissent un véhicule défectueux ou inadapté à l’exécution de leurs fonctions, ils ne devraient pas avoir le droit de refuser de travailler. Bien qu’il ne retire pas à l’employeur ses obligations en matière de sécurité, le Code impose également aux employés des obligations en ce qui touche leur sécurité.

[47] L’avocat fait valoir que la jurisprudence établit qu’il est impossible de conclure à l’existence d’un danger lorsque la cause du problème est une caractéristique personnelle d’un employé. Il prétend que c’est en raison de leur stature que les FFRS Townsend et Leblanc ont des difficultés à livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager de leurs véhicules.

[48] Il a conclu que les rapports Eady et HFN n’ont identifié aucun mouvement en particulier comme problématique en ce qui a trait à la livraison aux BLR. Enfin, il a souligné que le rapport HFN met les lecteurs du rapport en garde que l’application des taux de livraison n’est pas favorisée.

[49] M. S. Bird a fait valoir qu’il n’y avait ni preuve ni fondement juridique appuyant l’exigence selon laquelle une évaluation ergonomique doit être effectuée. L’instruction était trop générale pour qu’il existe un lien rationnel avec les événements observés par l’ASS.

[50] S. Bird a demandé l’annulation des instructions au nom de Postes Canada.

Analyse

[51] Dans l’affaire Morrison, mentionnée précédemment, le soussigné a rendu une décision sur les mêmes questions d’ergonomie qui touchent la livraison de courrier faite par les FFRS par la fenêtre du côté du passager de leurs véhicules. Il convient de noter que les mêmes éléments de preuve ont été présentés et que les témoignages étaient essentiellement les mêmes que dans la présente affaire. Les arguments présentés par les deux avocats en l’espèce étaient également similaires à ceux qui ont été formulés dans l’affaire Morrison. Par conséquent, l’analyse qui suit repose sur l’analyse formulée dans l’affaire Morrison, tout en prenant en considération le témoignage des deux FFRS et les spécificités de la présente affaire.

[52] Toutefois, l’une des caractéristiques particulières de la présente affaire est que bien qu’une décision d’absence de danger a été rendue, une instruction en vertu de l’alinéa 141(1)a) a quand même été donnée. Par conséquent, je dois décider si l’ASS a commis une erreur en donnant une instruction à Postes Canada en ce qui concerne les questions d’ergonomie.

[53] Je dois déterminer si au moment des refus, les appelants étaient exposés à un « danger » au sens où l’entend ce terme au paragraphe 122(1) du Code.

[54] Le Code définit « danger » de la façon suivante :

122.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie. « danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats - , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance hasardeuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[55] Pour décider si les FFRS étaient exposés à un danger, l’ASS Shimono s’est fondée sur le principe que la tâche devait « causer de manière concluante » une blessure à une personne. Toutefois, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont décidé dans l’affaire MartinFootnote 5 que pour conclure à l’existence d’un « danger »:

  1. Il doit y avoir une situation ou une tâche susceptible de causer des blessures à une personne ou de la rendre malade, même si ses effets ne sont pas immédiats, avant que, selon le cas, la situation soit corrigée ou la tâche modifiée.
  2. La définition n’exige pas que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « could reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.
  3. Il n’est pas nécessaire d’établir avec précision à quel moment le risque, la situation ou la tâche surviendra, mais seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[56] En outre, Madame la juge Gauthier, dans la décision VervilleFootnote 6, de la Cour fédérale, a fait observer que :

La perspective raisonnable de blessures ne peut reposer sur des hypothèses ou des conjectures, mais si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition.

[57] Par conséquent, pour déterminer s’il existait un danger pour les FFRS ayant refusé de travailler, je dois me demander si les mouvements nécessaires pour livrer le courrier à partir du siège du conducteur par la fenêtre du côté du passager représentent une perspective raisonnable de blessure.

[58] Je constate que M. Bird a mentionné que les FFRS n’ont pas décrit un seul mouvement hasardeux pour leur santé et leur sécurité. Toutefois, il faut tenir compte de l’énoncé de Madame la Juge Dawson au paragraphe 88 de la décision PollardFootnote 7 :

[...] Obliger une employée à donner une description plus technique du mouvement dont elle affirme qu’il donne lieu à un danger serait faire reposer sur l’employée un fardeau excessif et, à mon avis, cela serait contraire à l’objectif de la partie II du Code.

[59] Outre la démonstration faite par les FFRS des mouvements requis pour livrer le courrier, je retiens également de leur témoignage que pour livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager, comme l’exigent les Procédures de travail sécuritaire de Postes Canada, les FFRS doivent :

Détacher leur ceinture de sécurité, se placer à côté de la fenêtre du côté du passager, ouvrir la fenêtre, s’étirer pour ouvrir la boîte aux lettres, sortir le courrier à livrer, placer le courrier à livrer dans un conteneur à lettres sur le siège arrière du véhicule, récupérer le courrier arrivant sur le siège arrière, s’étirer pour placer le courrier dans la boîte aux lettres, fermer le couvercle de la boîte aux lettres, relever le fanion, retourner du côté du conducteur, rattacher leur ceinture de sécurité, et conduire jusqu’à la prochaine boîte aux lettres.

[60] Par conséquent, je conclus que les FFRS ont très bien décrit les mouvements qui touchent les questions à régler dans les présents cas.

[61] Comme les PTS ne tiennent compte d’aucun élément ergonomique, mon analyse a reposé en partie sur l’opinion des FFRS, et en partie sur les rapports Eady et Human Factor North/Ergonomie Nord qui évaluaient tous deux les mouvements nécessaires pour livrer le courrier aux termes des PTS.

[62] Je ne vois pas pourquoi je n’accorderais pas un poids considérable aux témoignages des FFRS. Comme le mentionne Madame la Juge Gauthier dans Verville (précitée),

[51] Finalement, la Cour relève qu’il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus)

[63] Ainsi, les deux FFRS possèdent une longue expérience de leur travail, et je suis d’avis que dans le cadre de leur témoignage, ils s’en sont tenus aux faits et aux connaissances acquises grâce à cette expérience.

[64] En outre, j’accorde beaucoup de poids aux deux évaluations ergonomiques, car elles représentent la seule preuve soumise qui porte sur l’analyse du risque eu égard à la question de l’ergonomie. Aucune des parties n’a présenté de preuve contraire.

[65] Il convient de noter que ces deux évaluations n’étaient pas mises à la disposition de l’agente de la santé et de la sécurité au moment de son enquête. Toutefois, comme cet appel est un nouvel appel, je peux les prendre en considération.

[66] Les conclusions des deux évaluations étaient claires : le fait de livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager faisait courir aux FFRS un très grand risque de développer des blessures musculo-squelettiques.

[67] Dans le rapport d’évaluation ergonomique qui a été dressé par HFN, je constate que la plupart des blessures ergonomiques pourraient être classées comme troubles musculo-squelettiques. Les « troubles musculo-squelettiques » (TMS) ou lésions définis dans le rapport HFN sont des lésions et troubles des muscles, des nerfs, des tendons, des ligaments, des articulations, du cartilage et des disques vertébraux ; exemples : syndrome du canal carpien, tendinite de la coiffe des rotateurs et syndrome de la tension cervicale. Les TMS peuvent survenir après des heures, des jours, des mois, voire des années d’exposition. Les symptômes de ces troubles peuvent apparaître soudainement ou débuter lentement et se développer sur une longue période.

[68] Je comprends que ce sont des blessures et des troubles dont l’exposition à divers facteurs de risque présents dans le milieu de travail peut soit contribuer au développement du trouble soit agraver des états pathologiques préexistants. De plus, le rapport HFN mentionnait que bien que certains facteurs puissent accroître le risque de TMS, les principaux facteurs de risque des TMS sont la force, la répétition, et les postures fixes ou incommodes.

[69] Le rapport indique également que les problèmes liés aux TMS surviennent dans les milieux de travail dans lesquels les exigences du travail dépassent les capacités de la personne qui accomplit le travail. Il mentionne que certains emplois ne sont pas conçus pour divers travailleurs, qu’ils ne tiennent pas compte de ce que l’on sait des différences entre la taille, la force et l’endurance des gens, et que cette situation fait courir à certains travailleurs davantage de risques de subir des TMS qu’à d’autres. D’après le rapport, il est clair qu’il existe un lien marqué entre l’exposition à certains facteurs/risques physiques en milieu de travail et le développement de TMS. L’exposition à ces risques physiques peut occasionner des dommages aux muscles, aux tendons, aux nerfs, et ainsi de suite..

Peut-on raisonnablement s’attendre à ce que les mouvements exigés pour livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager en étant assis sur le siège du conducteur occasionnent des blessures?

[70] Compte tenu de la preuve reçue à l’audience, mon analyse de la question ergonomique sera essentiellement centrée sur les circonstances particulières qui entourent la tâche de livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager. Je traiterai d’abord des deux éléments que les rapports Eady et HFN ont désignés hasardeux pour la santé et la sécurité des employés, à savoir :

  1. la configuration intérieure des véhicules de livraison et
  2. le rythme et la fréquence des livraisons.

La configuration intérieure des véhicules de livraison

[71] Je retiens du rapport Eady que dans le cas des véhicules munis de sièges baquets et de consoles centrales, il s’agissait de la pire méthode de livraison, car l’importance des facteurs de risque ergonomique constituait un risque inacceptable pour la sécurité. Le rédacteur du rapport se dit très préoccupé par ces genres de véhicules, peu importe les rythmes de livraison aux BLR, en raison des positions extrêmes subies par la colonne lombaire.

[72] Je reconnais que HFN recommandait que les FFRS reçoivent une liste des caractéristiques de véhicule recommandées qui contribueraient à rendre leur travail plus confortable, efficace et sécuritaire. Ils recommandaient qu’une évaluation des risques rattachés aux véhicules à conduite à droite soit effectuée. Les véhicules à conduite à droite, qui ont été conçus pour livrer le courrier en position assise, sont munis d’une plus grande fenêtre du conducteur qui descend jusque sous le coude, ce qui permet une meilleure position de l’épaule. D’autres caractéristiques, comme un système de présentoir ou de table pour placer le courrier dans le véhicule, ainsi qu’une conception différente de la ceinture de sécurité, devraient également être évaluées.

[73] En ce qui concerne cette question, selon le rapport HFN, les conclusions de l’étude indiquent clairement que les FFRS ne disposent pas présentement du bon équipement (véhicule) pour exercer efficacement et en toute sécurité leur fonction principale qui consiste à livrer le courrier du véhicule aux BLR et qu’il est urgent de trouver une solution au problème.

[74] Je n’ai aucune raison de remettre en question le témoignage de P. Townsend selon lequel elle a subi des contusions et de la douleur en tentant de livrer du courrier par la fenêtre du côté du passager de son véhicule.

[75] Compte tenu de mes observations des FFRS dans leurs véhicules et des conclusions des deux évaluations ergonomiques, je suis persuadé que le fait de passer du siège du conducteur à la fenêtre du côté du passager requiert des mouvements extrêmement incommodes qui résulteront vraisemblablement en un type quelconque de TMS. De plus, j’en viens à la conclusion que les FFRS doivent réaliser des mouvements de torsion pour atteindre la banquette arrière afin de manipuler le courrier, puis s’étirer pour ouvrir et tenir le couvercle de la boîte aux lettres et manipuler le courrier, ce qui représente également de nombreux mouvements incommodes et extrêmes. En outre, il faut garder à l’esprit que tous ces mouvements sont effectués des centaines de fois par jour, 5 jours par semaine, pendant toute l’année.

[76] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, je conclus que la répétition continue des mouvements extrêmes et incommodes requis à l’intérieur des véhicules de livraison pour manipuler et livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager représente une perspective raisonnable de blessure pour les FFRS.

Les rythmes/la fréquence des livraisons

[77] En ce qui concerne le rythme de livraison aux BLR, je retiens du rapport HFN que des mouvements dynamiques de l’épaule à un rythme plus fréquent que 2,5 fois la minute constituent un risque élevé de développement de troubles musculo-squelettiques. De plus, je constate que ce seuil est modifié de nouveau, et considéré comme un risque très élevé en présence d’un certain nombre de facteurs, notamment une posture extrême, un travail répétitif de longue durée, une grande force externe, une charge statique importante et/ou un manque de formation. HFN a conclu que compte tenu d’un certain nombre de scénarios possibles, ils estiment que le nombre acceptable de livraisons varie de 12,5 à l’heure dans le cas de la méthode de livraison du conducteur qui livre par la fenêtre du côté du passager à 50 à l’heure dans le cas d’un assistant qui livre le courrier par la fenêtre du côté du passager.

[78] Les témoignages des FFRS ont établi qu’ils faisaient des livraisons au rythme moyen de 86 à 100 à l’heure, de 4,8 à 7,7 heures par jour, cinq jours par semaine, pendant toute l’année. En conséquence, ils livraient le courrier à des rythmes correspondant à 6 ou 7 fois le rythme acceptable des livraisons à l’heure.

[79] Le rythme de livraison sécuritaire recommandé par HFN se fonde sur ce qui est considéré comme un rythme acceptable qui représente le seuil excédant ce que l’on estimerait être un risque élevé de blessure à l’épaule pour un FRS.

[80] À la lecture du rapport, je conclus que HFN met les lecteurs en garde au sujet de l’utilisation de rythmes de livraison en raison des différentes variables possibles qui touchent la fréquence, la gravité et le nombre de postures des épaules à adopter pour accomplir la tâche de livrer le courrier de l’intérieur d’un véhicule. Ces variables comprennent les pratiques de travail, la répartition ou le nombre des BLR sur l’itinéraire (à savoir le regroupement et l’espacement des BLR le long de l’itinéraire de livraison). En outre, il conviendrait de tenir compte de la conception du véhicule, des données anthropométriques des FFRS et de la conception des BLR (y compris leur ermplacement et leur entretien) ainsi que des variations saisonnières.

[81] La possibilité de blessures musculo-squelettiques augmente du fait du rythme des livraisons et du design intérieur des véhicules, comme les sièges baquets, les consoles centrales et de la présence d’autres obstacles comme les boîtes de vitesse et les freins d’urgence. Pour se rendre compte que le fait d’avoir à enjamber une console, une boîte de vitesse et un frein à main des centaines de fois par jour dans un véhicule occasionnera des contusions et vraisemblablement une certaine forme de TMS, il ne faut pas nécessairement être un spécialiste. Il suffit de poser ces gestes plusieurs fois par jour.

[82] Néanmoins, je conclus que les mouvements répétitifs requis pour livrer le courrier à partir du siège du conducteur par la fenêtre du côté du passager à un rythme de livraison supérieur au rythme acceptable de 12,5 livraisons à l’heure peuvent constituer une perspective raisonnable de blessure pour les FFRS.

Conclusions

[83] Compte tenu des facteurs de risque importants rattachés à la tâche de livraison de l’intérieur d’un véhicule constatés par HFN dans son évaluation, HFN a recommandé que l’on règle la nature répétitive du travail et les postures incommodes et parfois extrêmes de l’épaule ainsi que les grandes variations dans les facteurs liés au travailleur, à l’emploi et au milieu de travail. Étant données les postures extrêmes et la longue durée des travaux répétitifs, on considère que les FFRS courent un très grand risque de subir des TMS.

[84] Je constate que des TMS peuvent survenir après des heures, des jours, des mois ou des années d’exposition. Les symptômes de ces troubles peuvent apparaître soudainement ou débuter lentement et se développer sur une longue période. Par conséquent, la preuve établit clairement que les blessures ne surviendront peut-être pas dès l’exposition, mais elle établit tout aussi clairement que ces mouvements répétitifs peuvent causer des blessures, quoique cela ne se produira pas nécessairement chaque fois.

[85] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il est raisonnable d’établir qu’il est plus que probable que les mouvements répétitifs des FFRS ayant refusé de travailler qui sont nécessaires pour livrer le courrier de la position du conducteur par la fenêtre du côté du passager puissent représenter des perspectives raisonnables de blessures musculo-squelettiques pour les FFRS.

[86] Je conclus que la situation hasardeuse occasionnée par une méthode de livraison qui nécessite des mouvements répétitifs incommodes en trop grand nombre causés par le design intérieur des véhicules, ainsi que par le recours à répétition de mouvements ergonomiques incorrects nécessaires pour livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager, est non seulement susceptible de se produire, mais survient effectivement.

[87] Enfin, et tel qu’il était énoncé auparavant, relativement à la configuration intérieure des véhicules de livraison, la preuve établit clairement que les livraisons effectuées au moyen de véhicules munis de consoles centrales et de sièges baquets représentent un risque pour la sécurité peu importe le rythme de livraison. La preuve établit en outre qu’en ce qui a trait à la fréquence des livraisons, les FFRS qui ont refusé de travailler doivent effectuer des livraisons à des rythmes bien supérieurs aux rythmes recommandés. L’une ou l’autre de ces deux circonstances, prise séparément, établit clairement un risque pour la santé et la sécurité des employés. Par conséquent, je suis convaincu que la fréquence de livraison et la configuration intérieure du véhicule de livraison peuvent donner lieu à une perspective raisonnable et certaine de blessures musculo-squelettiques pour les FFRS qui y sont exposés.

[88] Je conclus donc que les FFRS P. Townsend et G. Leblanc étaient exposés à un danger lorsqu’ils ont refusé de travailler.

[89] En ce qui concerne la question soulevée par M. Bird selon laquelle les employés ne peuvent refuser de travailler en raison de leurs caractéristiques personnelles, je conclus que le Code énonce à l’article 122.1 qu’il a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi. Par conséquent, même s’il est évident qu’il doit exister un lien entre la maladie et l’activité exercée dans le cadre de l’emploi, il n’y a ni exemptions ni restrictions aux obligations de l’employeur concernant la stature ou les caractéristiques corporelles d’un employé.

La sélection du véhicule

[90] En ce qui concerne la sélection des véhicules, S. Bird a fait valoir qu’il n’incombait pas à l’employeur de faire cette sélection. À cet égard, je conclus toutefois que bien que les employés soient tenus en vertu de l’alinéa 126. (1)c) du Code de prendre les mesures nécessaires pour assurer leur propre santé et leur propre sécurité lorsqu’ils sont au travail, l’employeur ne peut pas déléguer son obligation prévue à l’article 124 de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés ni être relevé de ladite obligation, comme l’indique le paragraphe 126(2) du Code

[91] De plus, en vertu de l’alinéa 125.(1)s) du Code, l’employeur doit veiller à ce que soient portés à l’attention de chaque employé les risques connus ou prévisibles que présente pour sa santé et sa sécurité l’endroit où il travaille.

[92] À cet effet, je conclus que les Procédures de travail sécuritaire couvrent très peu de risques possibles et ne couvrent pas les risques ergonomiques ou autres, actuels et éventuels, qui touchent les mouvements requis pour livrer le courrier par la fenêtre du côté du passager et/ou les obstacles causés par le design intérieur des véhicules de livraison.

[93] Globalement, j’estime que cela signifie qu’en définitive, un employeur est responsable de la santé et de la sécurité de ses employés et que cette responsabilité ne peut être déléguée aux employés. Je suis d’avis que si l’employeur exige d’un employé qu’il fournisse ses propres outils pour accomplir une tâche, comme dans le cas présent les FFRS doivent fournir leur propre véhicule pour effectuer des livraisons, l’employeur est alors tenu de veiller à ce que les outils permettent d’accomplir la tâche de façon sécuritaire, c’est-à-dire que l’employeur doit s’assurer que les véhicules utilisés par les FFRS sont fiables des points de vue mécanique et opérationnel, et qu’aucun des éléments de ces véhicules, comme le design intérieur, ne créera un risque ou un état pouvant blesser les employés. Dans les circonstances, je conclus qu’il incombe à Postes Canada de fournir aux employés des renseignements sur tous les risques pour la santé et la sécurité qui sont connus ou prévisibles et qui peuvent être causés par la configuration intérieure des véhicules, comme l’exige le Code.

[94] En l’espèce, je conclus que l’employeur n’a jamais avisé les employés des risques ergonomiques possibles, même s’il connaissait ces risques, car il y avait déjà eu de nombreux refus de travailler sur cette même question dernièrement. De plus, l’employeur, si ce n’est qu’il a formulé des lignes directrices sur l’espace de chargement, n’a jamais donné aux employés de lignes directrices concernant les véhicules de livraison, à savoir le type de véhicule, la configuration intérieure et les risques possibles qui sont liés aux divers types de véhicules en cause, comme il aurait dû le faire.

[95] En ce qui concerne la sélection d’autres modes de livraison par les FFRS, comme le fait valoir l’avocat Bird, je souscris à la position suivante : l’employeur n’est pas relevé de ses obligations en laissant entendre qu’il appartient aux employés de veiller à leur propre santé et sécurité. 

[96] Je conclus que l’employeur a fourni des « Procédures de travail sécuritaire » que les employés sont tenus de respecter en vertu de l’alinéa 126(1)b) du Code. À mon avis, il n’appartient pas aux employés d’élaborer ou de modifier les Procédures de travail sécuritaire; cette obligation incombe plutôt à l’employeur, qui est chargé, en vertu de l’article 124 du Code, de veiller à la santé et à la sécurité de tous ses employés, en conformité avec l’objet du Code, qui consiste à prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi (article 122.1).

Le danger est-il une condition normale d’emploi?

[97] Ayant établi qu’il existe un danger, je dois maintenant déterminer si ledit « danger » constitue une condition normale d’emploi et empêcherait par conséquent les employés de faire valoir leur droit de refuser de travailler conformément à l’alinéa 128(2)b) du Code.

[98] L’alinéa 128(2)b) du Code est ainsi rédigé :

128(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

(Je souligne.)

[99] En avril 2009, l’agent d’appel Cadieux, dans la décision Eric V. et autresFootnote 8, a complètement fait sienne l’interprétation de l’alinéa 128(2)b) du Code qui a été donnée par ce Tribunal dans la décision P&O PortsFootnote 9 et a ajouté à l’interprétation de la façon suivante :

[…]

[297] Dans une décision récente de la Cour fédérale dans P&O Ports Inc. et Western Stevedoring Co. Ltd. c. Le Syndicat International des débardeurs et des Magasiniers, Section Locale 500, 2008 CF 846, la Cour a maintenu l’interprétation de l’AA dans ce dossier concernant un danger qui constitue une condition normale d’emploi. Tout comme la Cour, je partage pleinement cette interprétation de l’AA qui avait interprété cette notion de la façon suivante:

[152] Je crois qu’avant qu’un employeur puisse affirmer qu’un danger est une condition de travail normale, il doit reconnaître chaque risque, existant et éventuel, et il doit, conformément au Code, mettre en place des mesures de sécurité visant à éliminer le risque, la situation ou l’activité; s’il ne peut l’éliminer, il doit élaborer des mesures visant à réduire et à contrôler le risque, la situation ou l’activité dans une mesure raisonnable de sécurité, et finalement, si le risque existant ou éventuel est toujours présent, il doit s’assurer que ses employés sont munis de l’équipement, des vêtements, des appareils et du matériel de protection personnelle nécessaires pour les protéger contre le risque, la situation ou l’activité. Ces règles s’appliquent évidemment, dans la présente affaire, au risque de chute ainsi qu’au risque de trébucher ou de glisser sur les panneaux de cale.

[153] Une fois toutes ces mesures suivies et toutes les mesures de sécurité mises en place, le risque « résiduel » qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition de travail normale. Toutefois, si des changements sont apportés à une condition de travail normale, une nouvelle analyse de ce changement doit avoir lieu en conjonction avec les conditions de travail normales.

[298] Les principes qui doivent guider l’employeur dans son motif d’intervention et dans la priorisation des mesures à prendre pour protéger les employés se retrouvent aux articles 122.1 et 122.2 du Code et l’obligation générale de l’employeur se retrouve à l’article 124 de cette même loi. Ces dispositions prévoient:

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[...]

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de sante et de sécurité au travail.

Le pendant anglais de cette dernière disposition se lit :

124. Every employer shall ensure that the health and safety at work of every person employed by the employer is protected.

[299] L’employeur qui intervient pour protéger ses employés doit d’abord être guidé dans son analyse par le but premier du Code, soit la prévention des accidents et des maladies liés à l’emploi (art.122.1). C’est ce but qui doit motiver l’employeur. Fort de cette motivation, l’employeur devrait par la suite déterminer s’il a appliqué l’ordre de priorité dans son intervention pour prévenir les accidents (art.122.2). Ainsi, l’employeur doit d’abord tenter d’éliminer le risque et si cela est impossible, il doit se concentrer à réduire le risque au minimum. Si l’employeur réussit à réduire le risque et même si cela s’avère impossible, il doit de surcroit mettre en place des mesures pour agir sur le risque en fournissant le matériel, l’équipement, les dispositifs ou les vêtements de protection qui vont assurer la sécurité des employés, dans ce cas-ci, les AC.

[300] Finalement, l’employeur doit considérer que sa responsabilité en vertu du Code est de veiller [en anglais …shall ensure…] à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail (art.124), un standard fort élevé qui oblige l’employeur à être rigoureux dans son analyse des risques pouvant affecter la santé et la sécurité des employés.

[301] Il est clair que l’employeur doit assurer la protection de ses employés au travail. Par conséquent, les mesures de protection mises en place par le SCC doivent être suffisantes pour protéger les AC contre toute situation susceptible de leur causer une blessure, que la blessure survienne ou non. Ainsi, plus la blessure susceptible de survenir est sérieuse et plus les mesures de protection devront être proportionnelles à cette blessure.

[302] Ainsi, affirmer comme l’ont fait Me Perron et l’ASS que faire des escortes est une condition normale d’emploi est une affirmation trompeuse. Il est vrai que faire des escortes est une condition normale d’emploi des AC, au sens où il s’agit d’une tâche normale de leur emploi. Cela est indiqué dans leurs descriptions de tâches. Il y a toutefois une distinction importante à faire entre une tâche, telle une escorte, et un danger qui fait partie de la tâche, i.e. la possibilité raisonnable qu’une blessure survienne lors de l’exécution de la tâche avant qu’il ne puisse y être remédié. Il y a aussi une autre distinction importante à faire entre ce danger et un danger qui constitue une condition normale d’emploi qui ne justifierait pas un refus de travail. Ce dernier danger présuppose que l’employeur a d’abord identifié la présence d’un danger lors d’escortes et que de ce fait, il a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger ses employés i.e. qu’il a identifié et contrôlé tous les facteurs qui ont une importante incidence négative sur la tâche de faire des escortes. À ce moment, rien de plus ne peut être fait par l’employeur pour protéger davantage les employés.

[303] Le danger résiduel qui persiste suite à toutes ces mesures de contrôle constitue, à mon avis, une condition normale d’emploi. Seul ce danger, lequel ne peut être contrôlé et pour lequel aucune instruction ne peut raisonnablement être émise en vertu du paragraphe 145(2) pour protéger davantage l’employé, ne justifie pas un employé de refuser de travailler parce que ce danger constitue une condition normale d’emploi. Dans tous les autres cas, une conclusion de danger s’impose et des instructions doivent être émises à l’employeur pour protéger les employés. Ainsi, le refus de travailler est justifié dans ces cas.

[…]

[100] En résumé, un danger qui constitue une condition normale d’emploi est de nature résiduelle, c’est-à-dire qu’il s’agit du danger qui subsiste une fois que l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour éliminer ou contrôler le risque, la situation ou la tâche.

[101] Il s’ensuit que pour qu’il soit jugé qu’un danger constitue une condition normale d’emploi, ce danger doit être tel qu’il ne peut être contrôlé au moyen des mesures de protection prévues par le Code. Un tel danger ne justifierait pas d’invoquer le droit de refus. Une analyse de la preuve devrait permettre au soussigné de décider si les mesures prises par l’employeur afin de protéger les FFRS ont atténué la possibilité raisonnable que survienne une blessure.

[102] Après un examen minutieux de l’ensemble de la preuve présentée, je ne peux conclure que Postes Canada a mis en œuvre des mesures de sécurité ou élaboré des mesures de réduction ou de contrôle du risque ergonomique.

[103] Je suis conscient que Postes Canada a fourni des assistants aux FFRS qui ont refusé de travailler et que cette mesure s’inscrit nettement dans l’esprit du Code. Toutefois, l’avocat de Postes Canada a précisé qu’il s’agissait d’une mesure provisoire qui visait à maintenir le niveau de service et qui ne reconnaissait pas l’existence d’un danger. Il convient également de souligner à ce stade que dans Pollard (précitée), la Cour fédérale a maintenu une décision de ce tribunal selon laquelle il existait un danger pour les FFRS en ce qui a trait aux questions ergonomiques

[104] Par conséquent, je conclus que le danger indiqué ci-dessus n’est pas une condition normale d’emploi visée par l’alinéa 128(2)b) du Code.

L’ASS Shimono a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a décidé de donner une instruction à Postes Canada en vertu de l’alinéa 141(1)a) du Code?

[105] L’instruction énonce ce qui suit :

[Traduction]

[…], je vous Ordonne par la présente, en vertu de l’alinéa 141(1)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de procéder à l’examen suivant :

En consultation avec le comité d’orientation et le comité local, l’employeur doit procéder à une évaluation des risques rattaché à la livraison et à la réception du courrier par l’employé par la fenêtre du côté passager de son véhicule là où il y a des boîtes aux lettres rurales. Cette évaluation doit notamment porter sur les risques potentiels d’adopter des positions répétitives et difficiles en se penchant et en posant des gestes de torsion pour atteindre et trier du courrier se trouvant sur le siège arrière du véhicule, pour manipuler du courrier qui est sur le siège du passager, et pour atteindre une boîte aux lettres rurale par la fenêtre du passager.

[106] Les agents de santé et de sécurité sont désignés par le ministre du Travail en vertu du paragraphe 141(1) du Code parce qu’ils sont qualifiés pour accomplir leurs fonctions en vertu du Code. Bien qu’ils doivent être qualifiés pour appliquer le Code, j’estime que le législateur ne voulait pas en faire des spécialistes dans tous les domaines visés par le Code. Dans les affaires dans lesquelles le champ de compétences va au-delà de leurs connaissances, les ASS peuvent être accompagnés ou assistés de toute personne dont ils jugent la présence nécessaire. De plus,en vertu de l’alinéa 141.(1)a), un agent de santé et sécurité possède également le pouvoir d’ordonner à un employeur d’effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections.

141.(1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, l’agent de santé et de sécurité peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail en général, il peut :

  1. effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections ou ordonner à l’employeur de les effectuer; […] (Je souligne.)

[107] Je conclus à ce titre que l’ASS Shimono, au moment de son enquête, était justifiée de donner une instruction. Elle possédait assez de connaissances pour reconnaître qu’un risque ergonomique potentiel existait et elle a bien utilisé ses pouvoirs d’agente de santé et sécurité pour ordonner à l’employeur d’effectuer un examen des questions ergonomiques soulevées par les FFRS.

Décision

[108] En ce qui concerne l’appel des FFRS à l’encontre de la décision d’absence de danger rendue par l’ASS Shimono pour les motifs énoncés précédemment, j’annule par la présente la décision d’absence de danger en ce qui touche les lieux de travail identifiés dans la présente affaire à Newmarket et je conclus qu’il est raisonnable de croire qu’une blessure pourrait survenir dans les circonstances et donc que les deux FFRS qui ont refusé de travailler étaient exposé à un danger au moment des refus.

[109] En conséquence, j’ordonne à la Société canadienne des postes de prendre immédiatement des mesures pour protéger les FFRS P. Townsend et G. Leblanc du danger décrit ci-haut selon les termes des instructions jointes de la présente décision.

[110] En ce qui a trait à l’appel interjeté par Postes Canada à l’encontre de l’instruction, pour les motifs énoncés précédemment, je confirme l’instruction donnée à Postes Canada par l’ASS Shimono en vue de procéder à un examen ergonomique. Je note toutefois que Postes Canada a mené depuis deux évaluations ergonomiques tel qu’il est indiqué précédemment; cependant, il ne m’appartient pas de formuler des commentaires sur l’observation de l’instruction par l’employeur.

La question de la circulation

[111] En ce qui concerne l’appel des FFRS à l’encontre de la décision d’absence de danger touchant la question de la circulation routière, je dois décider :

  1. si l’ASS Shimono a commis une erreur en concluant que les FFRS qui ont refusé de travailler n’étaient pas exposés à un danger en ayant à livrer le courrier sur des routes dont les accotements étaient insuffisants pour permettre aux employés de se retirer complètement de la route et d’enlever leurs véhicules de la circulation;
  2. si, compte tenu du paragraphe qui précède, ce danger, s’il existe, constitue une condition normale d’emploi.

[112] En ce qui a trait à l’appel de Postes Canada à l’encontre de l’instruction donnée par l’ASS Shimono, je dois décider si elle a commis une erreur en donnant une instruction en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code sur cette même question.

La preuve

[113] Un visionnement des itinéraires de livraison a été organisé et effectué en présence des deux parties.

[114] De plus, un certain nombre de documents ont été présentés en preuve par les deux parties. Ces documents comprenaient notamment :

  • Les Procédures de travail sécuritaire de Postes CanadaFootnote 10;
  • Review of Rural and Suburban Mail Carrier Operations by the National Research Council of Canada (NRC)Footnote 11;
  • Raison d’être de l’outil d’évaluation des BLRFootnote 1;
  • Traffic assessment of Rural Mail Boxes in the Newmarket areaFootnote 13.

Les Procédures de travail sécuritaire

[115] S. Bird a indiqué qu’après le premier refus de travailler dans la province de Québec, Postes Canada a élaboré et mis en œuvre les Procédures de travail sécuritaire (PTS).

[116] Dans la présente affaire, l’ASS a reçu une copie des Procédures de travail sécuritaire lorsqu’elle a fait enquête sur le refus de travailler. À l’audience, l’avocat de Postes Canada s’est servi des Procédures de travail sécuritaire pour établir que l’employeur disposait d’une procédure pour la livraison du courrier en toute sécurité.

[117] Les Procédures de travail sécuritaire traitent des questions suivantes :

  1. les règles générales de conduite sécuritaire;
  2. la maintenance du véhicule et l’état de fonctionnement sécuritaire des véhicules;
  3. les conditions atmosphériques défavorables;
  4. la conduite vers des points de livraison dans la circulation;
  5. se ranger sur l’accotement pour livrer le courrier aux BLR;
  6. servir la boîte aux lettres rurale;
  7. s’insérer de nouveau dans la circulation routière.

[118] Pour chacun de ces points, la procédure mentionne les risques possibles et les précautions à prendre en ce qui a trait à ces risques possibles.

Le document intitulé NRC Review of Rural and Suburban Mail Carrier Operations

[119] Cette étude constituait la première évaluation, menée pour Postes Canada, des opérations exécutées par les FFRS, dont la livraison, la visibilité du véhicule, l’emplacement des boîtes aux lettres, et l’aspect sécuritaire des procédures d’exploitation, les distances d’arrêt, la visibilité générale et la réglementation sur la circulation locale.

Outil d’évaluation de la sécurité routière (OÉSR)

[120] Cette évaluation a été présentée par l’employeur pour expliquer ce qu’ils faisaient pour évaluer toutes les BLR ainsi que les mesures qui sont prises pour corriger les situations dans lesquelles l’employeur croit que d’après l’évaluation de la sécurité routière, le risque d’un accident est inacceptable. Cette évaluation a été menée par la société ITrans Consulting qui, d’après son site Web, est l’un des plus grands cabinets canadiens d’experts-conseils spécialisé en planification du transport et en ingénierie de la circulation.

[121] Le passage qui suit provient d’un rapport sur la raison d’être de l’outil d’évaluation des BLR (« Rationale Behind the RMB Traffic Safety Tool ») qui résume bien ce qui a été pris en compte dans l’outil d’évaluation et pourquoi il en a été ainsi :

[Traduction] « Le groupe d’experts s’est penché sur les exigences rattachées à la conduite qui prennent naissance lorsqu’un FRS ralentit pour s’arrêter à une boîte aux lettres rurale et pour converger de nouveau dans la circulation. Les exigences particulières qui ont été considérées étaient les suivantes :

  • En ce qui concerne le FRS, le temps nécessaire pour converger dans la circulation lorsqu’il était auparavant arrêté, sur la chaussés ou non.
  • Dans le cas des autres conducteurs qui font face au véhicule d’un FRS arrêté, le temps nécessaire pour repérer le véhicule en question arrêté sur la chaussée et pour que les autres conducteurs réagissent adéquatement en arrêtant, en changeant de voie et en dépassant le véhicule arrêté, peut-être en faisant face aux véhicules venant en sens inverse.
  • On ne dispose pas de renseignements précis sur le temps dont un conducteur a besoin pour accepter l’écart entre véhicules dans la circulation à partie d’une position arrêtée sur le côté de la route. En conséquence, des renseignements fondés sur une situation analogue ont été utilisés pour indiquer le temps de convergence nécessaire. La situation analogue était un virage à droite à partie d’une position arrêtée. D’après les données existantes, il fallait 9 secondes pour tourner à droite dans 85 % des cas. En d’autres termes, lorsqu’un écart de 9 secondes était disponible, les conducteurs l’accepteraient dans 85 % des cas.
  • Il faut également déterminer combien de temps le FRS devra attendre pour obtenir d’un écart de 9 secondes qui convient. Plus le volume de la circulation est élevé, plus les conducteurs devront attendre longtemps pour obtenir un écart convenable. Les conducteurs qui doivent attendre pendant plus de 30 secondes commencent à prendre des risques en acceptant des écarts plus courts. Par conséquent, le groupe d’experts a tenu compte de l’impact du volume de circulation sur la disponibilité d’écarts de 9 secondes en reconnaissant que les FFRS, qui doivent converger plus souvent que le conducteur moyen, peuvent accepter des écarts plus courts. On a adopté un temps d’attente de 25 secondes comme mesure de conception qualitative appelée « niveau de service (NDS) C », le C indiquant généralement une condition de circulation acceptable à des fins de planification future.
  • On a également déterminé le temps dont les conducteurs qui approchent ont besoin pour réagir en toute sécurité à un FRS arrêté si le FRS obstrue partiellement ou complètement la route. Compte tenu de la recherche sur la détection et la reconnaissance, ainsi que de la prise de décision et de la réaction, une période d’écart de 11 secondes a été jugée raisonnable. Cela signifie que si le véhicule du FRS bloque partiellement une voie, le véhicule qui approche doit avoir une distance de visibilité d’anticipation qui équivaut à au moins 11 secondes devant la partie arrière de véhicule du FRS. Les 11 secondes donnent au conducteur du véhicule qui approche suffisamment de temps pour réagir adéquatement, que ce soit en arrêtant derrière le véhicule du FRS ou en changeant de voie pour le dépasser.
  • Le temps requis pour dépasser un véhicule arrêté a été établi à l’aide du modèle utilisé pour déterminer la distance de visibilité de dépassement sur les autoroutes à deux voies. En conclusion, le temps nécessaire pour dépasser le véhicule arrêté du FRS est de 14 secondes tout en offrant un niveau de sécurité similaire à celui qui s’applique aux valeurs limites de convergence (9 secondes) et au véhicule qui approche d’un véhicule arrêté dans la voie (11 secondes). »

[122] Les directivesFootnote 14  sur la façon d’utiliser l’OÉSR expliquent ce que signifie « un véhicule sur la route ». Un véhicule est considéré sur la routeFootnote 15 :

  • lorsque l’une ou l’autre des parties du véhicule empiète sur la route quand le véhicule est arrêté à la BLR;
  • lorsqu’aucune bande de guidage blanche n’est dessinée et qu’un véhicule se déplaçant dans la même direction doit changer de voie ou faire une embardée pour éviter une collision avec le véhicule du FRS qui est arrêté à la BLR;
  • lorsqu’aucune bande de guidage blanche n’est dessinée et que deux véhicules qui se déplacent dans des directions opposées doivent changer de voie ou ralentir pour dépasser le véhicule du FRS qui est arrêté à la BLR;
  • si le véhicule du FRS est arrêté sur une bande cyclable lorsqu’il est arrêté à une BLR.

[123] Pour interpréter les résultats de l’évaluation à l’une ou l’autre des BLR, la BLR évaluée doit satisfaire à tous les critères pour demeurer en place, sinon la BLR doit être déplacée en un endroit sécuritaire ou enlevée.

Document intitulé Traffic Assessment of Rural Mail Boxes in the Newmarket Area

[124] Ce document donne un aperçu du processus et de l’évaluation de 3 itinéraires de livraison du courrier d’intérêt dans cette affaire .

  • Sur un des itinéraires, 235 emplacements sur 244 étaient considérés se trouver sur la route. L’emplacement de 130 de ces BLR ont été « modifié » pour satisfaire aux critères de l’OÉSR.
  • Sur le deuxième itinéraire, 349 emplacements sur 365 étaient considérés se trouver sur la route. L’emplacement de 46 de ces BLR ont été « modifié » pour satisfaire aux critères de l’OÉSR.
  • Sur le dernier itinéraire, 254 emplacements sur 344 étaient considérés se trouver sur la route. L’emplacement de 180 de ces BLR ont été « modifié » pour satisfaire aux critères de l’OÉSR.

Témoins des appelants

[125] P. Townsend a expliqué le problème que pose la livraison du courrier à de nombreuses BLR. Sa crainte principale est que l’accotement est trop étroit en de nombreux emplacements et qu’elle ne peut stationner son véhicule en plaçant les quatres roues de celui-ci en dehors de la route. Elle croit que cela gêne la circulation et qu’elle pourrait s’exposer à un accident. En d’autres emplacements, les BLR sont trop proches d’une côte ou d’une courbe, ce qui fait que les voitures qui s’en viennent ne peuvent voir le véhicule des FFRS à temps et qu’une collision peut alors survenir.

[126] En outre, elle a expliqué qu’à certains emplacements, les BLR étaient trop rapprochées de fossés profonds et qu’il est difficile de voir le bord du fossé, en particulier l’hiver lorsque des bancs de neige dissimulent le bord du fossé. Par conséquent, elle pourrait facilement glisser dans ces fossés.

[127] Elle a toutefois confirmé qu’après son refus, son itinéraire de livraison a été évalué et que la plupart des BLR ont été déplacées vers des boîtes aux lettres groupées (BLG).

[128] Le FRS Grant Leblanc a témoigné qu’il a refusé de travailler parce qu’en de nombreux emplacements de son itinéraire de livraison, l’accotement est trop étroit pour que son véhicule puisse être complètement à l’écart de la route. De plus, il éprouvait certaines craintes au sujet de la densité et de la vitesse élevées de la circulation routière sur ses itinéraires.

[129] En se servant d’une carte de la région et d’une liste présentées à l’ASS pendant son enquête, il a expliqué la problématique des emplacements où l’accotement était étroit. Il a souligné que peu après le refus, son itinéraire a été évalué. Plus de 200 BLR ont été retirées de l’itinéraire et dans le cas des autres BLR, l’accotement était suffisamment large pour lui permettre d’être complètement à l’écart de la route.

[130] G. Bossenberry a commenté la difficulté qu’avait le syndicat avec l’OÉSR, soit la densité et la rapidité de la circulation routière. Le syndicat est d’avis que le comité local devrait prendre part à l’évaluation. De plus, G. Bossenberry estime que les variations saisonnières ne sont pas traitées adéquatement.

Témoins de l’intimée

[131] J. Fraser a expliqué comment et pourquoi ils en sont arrivés à l’OÉSR et ce que l’évaluation prenait en compte. Il a en outre expliqué qu’une fois l’OÉSR complété, si un FRS avait des plaintes à formuler, notamment en ce qui concerne des changements à la circulation causés par des variations saisonnières, une nouvelle évaluation était alors effectuée. En ce qui concerne la nécessité de placer les quatre roues du véhicule en dehors de la route, il a fait observer que l’OÉSR permet de laisser deux roues sur la route dans certaines situations.

[132] Il a également fourni des explications sur la condition routière de certaines parties de ces itinéraires de livraison où l’accotement est trop étroit pour permettre de placer quatre roues en dehors de la route.

[133] M. Harold Camilleri, agent du service de livraison de Postes Canada, a témoigné au sujet de l’Outil d’évaluation de la sécurité routière (OÉSR) qu’il a été formé à appliquer par iTrans. Il se servait de l’OÉSR lorsqu’il a évalué l’itinéraire de livraison de Newmarket après les refus de travailler et a parlé des différentes situations auxquelles il a été confronté pendant qu’il menait l’évaluation. Il a expliqué que lorsqu’une BLR échoue l’évaluation, soit la boîte doit être déplacée dans un emplacement plus sûr, soit elle doit être éliminée de la distribution, auquel cas la livraison est faite à une boîte aux lettres communautaire (BLC).

[134] Il a expliqué qu’en règle générale, depuis que l’OÉSR a commencé à être utilisé, environ 56 % des BLR ont échoué l’évaluation et ont dû être repositionnées ou retirées de la distribution.

[135] Mme Pamela Reid, superviseure, a expliqué la procédure de traitement des plaintes sur certaines boîtes formulées par des FFRS. Règle générale, si un problème est cerné, le client en est informé et la livraison est suspendue jusqu’à ce que le problème soit réglé. En ce qui concerne la rapidité de la circulation routière sur les itinéraires de livraison, elle a expliqué que les livraisons sont permises sur les itinéraires où la limite de vitesse maximale est de 80 km/h.

[136] P. Reid a expliqué qu’en réponse à l’instruction donnée par l’ASS sur la question de la circulation routière, Postes Canada a décidé de retirer toutes les boîtes se trouvant à des emplacements où les FFRS ne pouvaient placer les quatre roues de leur véhicule en dehors de la route aux fins de la livraison. Résultat, 1 100 des 1 200 boîtes du secteur ont été enlevées.

Arguments des parties

Arguments des appelants

[137] En ce qui concerne la question de la circulation routière, D. Bloom a fait valoir que l’ASS Shimono a conclu à juste titre que Postes Canada a enfreint l’article 124 en exigeant que la livraison soit faite aux BLR où il existait des risques importants pour la santé. Il a soutenu toutefois que l’ASS Shimono a commis une erreur en ne concluant pas que cette situation équivalait à un danger parce que la preuve était insuffisante pour confirmer que cette situation pourrait certes causer une blessure à une personne qui y était exposée avant que le risque ou la condition puisse être corrigé.

[138] L’avocat a fait valoir que la preuve établit que la livraison à certaines BLR constituait un danger en raison de leur emplacement et de leur état, de l’absence d’accotements et d’une visibilité limitée causée par des pentes et des virages. Il a fait observer qu’il était évident pendant l’observation du site qu’un nombre important de boîtes étaient placées en lieu non sécuritaire. En ce sens, l’évaluation de l’OÉSR faite sur ces sites a révélé qu’un grand nombre de ces boîtes ont échoué l’évaluation.

[139] Par conséquent, les appelants demandent que l’agent d’appel annule la décision de l’ASS Shimono selon laquelle il n’y avait pas de danger, et conclut que les risques pour la sécurité routière à l’égard de certaines BLR représentent un danger.

Plaidoirie de l’intimée

[140] Relativement à la question de la circulation routière, S. Bird a fait valoir que l’ASS Shimono était justifiée de conclure qu’il n’y avait pas de danger. Il a également fait valoir que les situations exposées par les employés ne répondent pas à la définition de danger, au sens du Code, pour les raisons suivantes :

  1. les BLR avaient fait l’objet de livraisons avant les refus;
  2. les travailleurs faisaient ces livraisons aux BLR par la fenêtre du côté du conducteur, et devaient par conséquent être plus proches des BLR, à savoir plus proches du bord;
  3. il existait une procédure bien connue de rapport et de traitement de ces boîtes, qui pouvait mener à une élimination de la livraison.

[141] S. Bird a soutenu que l’Outil d’évaluation de la sécurité routière (OÉSR) est le seul outil qui devrait être utilisé pour déterminer si une BLR en particulier est dangereuse, car :

  1. c’est un outil scientifique qui mesure le risque – en prenant des mesures élevées (opte pour la prudence)
  2. cet outil offre la meilleure méthodologie pour évaluer un risque relatif et acceptable;
  3. cet outil est généralement accepté par les parties, sous réserve de certaines questions spécifiques;
  4. c’était le meilleur outil disponible pour évaluer si une BLR devrait demeurer en service à son emplacement actuel;
  5. une boîte ayant réussi l’évaluation ne constitue pas un « danger »;
  6. l’OÉSR n’exige pas que les 4 roues soient en dehors de la route, quoique ce facteur fasse partie de l’évaluation.

[142] L’avocat a soutenu qu’une BLR qui ne réussit pas l’OÉSR ne correspond pas nécessairement à un « danger ». Postes Canada est d’avis qu’un échec à l’OÉSR indique un degré de risque à l’emplacement visé que Postes Canada ne veut pas accepter.

[143] L’avocat a fait valoir que l’instruction donnée par l’ASS Shimono sur la question de la circulation routière était inadéquate parce que Postes Canada a pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer de la santé et de la sécurité des FFRS. De plus, il a soutenu que l’exigence de placer les quatre roues en dehors de la route est trop générale.

Analyse

[144] Comme c’était le cas en ce qui concerne les questions ergonomiques, j’ai rendu une décision dans l’affaire D. Morrison et autres et C. McDonnell et autres c. Postes CanadaFootnote 16 sur les mêmes questions de la circulation routière qui touchent la livraison par les FFRS du courrier aux BLR. Il convient de noter que dans cette affaire, la preuve produite et les témoignages reçus étaient essentiellement les mêmes qu’en l’espèce. Les arguments des avocats étaient également similaires à ceux qui ont été présentés dans la décision Morrison. En conséquence, la présente analyse se fonde sur cette analyse antérieure tout en prenant en compte le témoignage des deux FFRS qui sont parties à l’espèce. Toutefois, dans la présente affaire, les FFRS craignaient en outre d’être impliqués dans un accident et de se blesser si un tel accident survenait parce qu’ils ne pourraient pas écarter complètement leurs véhicules de la partie aménagée de la route.

L’agente de santé et sécurité a-t-elle commis une erreur en concluant, relativement à la question de la circulation, que les deux FFRS qui ont refusé de travailler n’étaient pas exposés à un « danger »?

[145] L’ASS Shimono s’en est tenue à la même justification quant aux questions ergonomiques. Pour décider si les FFRS étaient exposés à un « danger », l’ASS Shimono a basé sa décision sur la prémisse selon laquelle la situation devait causer définitivement une blessure à une personne. Toutefois, tel qu’il a été mentionné dans la décision, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans les décisions Verville (précitée) et Martin (précitée), ont établi que pour conclure à l’existence d’un danger : « il doit y avoir une situation ou une tâche susceptible de causer des blessures à une personne ».

[146] La question de la circulation routière traite de l’emplacement des BLR le long d’itinéraires de livraison établis où se trouvent certaines BLR à proximité de virages sans visibilité, de pentes masquées, de fossés, d’accotements étroits ou inexistants, et tient compte du type, du volume et de la vitesse de la circulation sur lesdits itinéraires de livraison. À l’examen de la preuve, j’ai constaté que pour l’essentiel, comme dans l’affaire Morrison (précitée), les FFRS ont décrit des types de circonstances très similaires, liées à cette question de la « circulation », dans lesquelles ils et elles croyaient être exposé(e)s à un « danger »:

  1. la présence sur la route de matériel agricole et de gros camions;
  2. la présence de fossés profonds;
  3. enfin, l’emplacement des BLR se trouvant à proximité de pentes masquées et de virages sans visibilité ainsi que le nombre élevé de véhicules, la vitesse de la circulation routière et la largeur de la route et des accotements.

[147] Toutefois, dans la présente affaire, tel qu’il a été indiqué précédemment, se posait la question supplémentaire des FFRS craignant d’être impliqués dans un accident et se faisant blesser si un tel accident survenait parce qu’ils ne pouvaient pas retirer leurs véhicules complètement de la partie aménagée de la route. Leurs quatre roues n’étaient pas en dehors de la route.

Circonstance 1

La présence de matériel agricole et de gros camions.

[148] Comme dans l’affaire Morrison (précitée), bien que l’on puisse faire valoir qu’une telle présence sur la route pourrait être la cause d’un accident, qui entraînerait vraisemblablement des blessures à un FRS impliqué dans un tel accident, je conclus que l’employeur n’exerce aucun contrôle sur une telle situation.

[149] Il incombe à l’employeur, en vertu du Code, de protéger les employés s’il exerce un contrôle sur le lieu de travail et/ou sur les activités des employés. Toutefois, dans la situation actuelle, l’employeur n’exerce aucun contrôle sur les personnes, les objets, les endroits ou le moment où quelqu’un ou quelque chose se trouve sur la route. À mon avis, le Code ne renferme aucune disposition qui permettrait à un ASS ou à l’agent d’appel d’ordonner à un employeur de faire quelque chose pour protéger les employés contre un tel risque potentiel, si ce n’est de mettre fin à l’activité de livraison du courrier aux BLR. Les appelants ne m’ont présenté aucune preuve pour me convaincre du contraire.

Circonstance 2

La présence de fossés profonds.

[150] Comme dans l’affaire Morrison (précitée), je conviens qu’il existe une possibilité d’accident, à savoir un glissement dans le fossé, l’hiver ou l’été, et que le conducteur risque alors de se blesser. Toutefois, la conduite du véhicule demeure sous le contrôle du FRS, auquel il appartient de décider dans quelle mesure il peut approcher son véhicule du bord du fossé et de conduire en conséquence. La procédure de Postes Canada permet aux FFRS de ne pas livrer le courrier aux BLR qui, à leur avis, ne semblent pas sécuritaires. Je conclus que les FFRS exercent à cet égard un contrôle direct, c’est-à-dire qu’il incombe aux FFRS de déterminer à quel point ils peuvent s’approcher d’une boîte qui se trouve à proximité du bord d’un fossé et de décider d’effectuer ou non la livraison.

[151] Par conséquent, dans ces circonstances, je conclus que les FFRS peuvent se soustraire au « danger » en observant la procédure de l’employeur qui consiste à ne pas livrer de courrier à un emplacement qui pourrait être risqué et à le déclarer au gestionnaire. Le « danger » apparent peut donc être corrigé avant que l’accident puisse se produire. Par conséquent, cette situation ne correspond pas à la définition de « danger » et dans de tels cas, les FFRS ne sont pas exposés à un danger.

[152] En conséquence, je conclus que dans les circonstances décrites, les FFRS ne sont pas exposés à un « danger », car l’accident peut être évité en déclarant la condition hasardeuse avant qu’une blessure se produise.

Circonstance 3

L’emplacement des BLR se trouvant à proximité de pentes masquées et de virages sans visibilité ainsi que le nombre élevé de véhicules, la vitesse de la circulation et la largeur de la route et des accotements.

[153] Je conclus que l’élaboration de la justification qui sous-tend l’outil OÉSR reposait sur une approche basée sur le comportement du conducteur, à savoir l’intégration de la sécurité et des exigences relatives aux tâches de conducteur des FFRS, ainsi que la sécurité et les tâches de conduite des autres conducteurs qui rencontrent un véhicule de FFRS arrêté ou qui converge dans la circulation, dans le cas des routes sur lesquelles les FFRS opèrent. De plus, j’ai découvert que les restrictions juridiques pertinentes faisaient partie de l’outil d’évaluation.

[154] Tel qu’il est mentionné d’entrée de jeu, la nature de novo de l’instance permet au soussigné de recevoir et de prendre en compte toute la preuve, que cette preuve ait ou non été examinée ou mise à la disposition de l’ASS au moment de son enquête. Par conséquent, pour décider si les FFRS étaient exposés à un danger, j’ai accordé beaucoup de valeur probante au document de l’OÉSR, notamment dans la présente affaire, car les FFRS ne font valoir aucun argument contre l’OÉSR, si ce n’est que l’outil en question ne tient pas compte des changements saisonniers. Cet élément sera pris en compte ultérieurement dans la présente décision.

[155] Je retiens du document de l’OÉSR que pour qu’un emplacement réussisse l’évaluation, le conducteur du véhicule devait disposer d’une période acceptable pour réagir à la position des autres véhicules et/ou gestes posés par leur conducteur. Cette exigence se justifie, compte tenu du comportement des conducteurs, du fait qu’une personne doit avoir suffisamment de temps pour réagir lorsqu’elle fait face à un autre véhicule qui converge dans la circulation ou lorsqu’elle arrive subitement à la hauteur d’un véhicule arrêté qui bloque partiellement la route. Le conducteur a besoin de ce laps de temps pour décider s’il arrêtera ou s’il évitera le véhicule en le dépassant du côté gauche. Cette décision doit être prise en tenant compte du véhicule arrêté ou qui converge, de la circulation qui s’en vient, de la vitesse de circulation, de la vitesse des autres véhicules et du nombre de véhicules sur la route.

[156] De plus, le FRS qui est assis dans son véhicule doit disposer d’assez de temps pour décider de converger dans la circulation. L’on a découvert que la période pendant laquelle une personne attendra un espace adéquat pour converger dans la circulation est limitée. Une fois cette période écoulée, la personne accepte des intervalles de plus en plus courts pour revenir dans la circulation.

[157] À l’heure actuelle, la preuve révèle que les laps de temps établis par ITrans, ainsi que les autres critères utilisés pour évaluer un emplacement, sont des critères raisonnables, selon moi, pour évaluer les emplacements des BLR et pour s’assurer que le risque de collision est le plus possible atténué. Lorsqu’un emplacement réussit l’évaluation, le risque de collision dans les circonstances précédemment mentionnées est abaissé à un niveau acceptable. Je comprends toutefois que le risque de collision n’est pas complètement éliminé.

[158] À la lecture du document, je comprends que tous les critères de l’évaluation doivent être respectés pour qu’une BLR soit déclarée sécuritaire. S’il n’est pas satisfait à l’un des critères, l’emplacement de la BLR doit être modifié.Par conséquent, soit la BLR doit être déplacée en un endroit plus sécuritaire sur la route soit cet emplacement doit être purement et simplement éliminé.

[159] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, je conclus que les FFRS sont toujours exposés au risque d’une collision dans les circonstances décrites, qui n’est pas éventuel ou futur, mais qui est présent à divers degrés selon les emplacements particuliers des BLR.

[160] La situation créée par la livraison du courrier à des BLR dans les circonstances décrites, comme les angles morts, les accotements étroits et la vitesse de la circulation, représente dans un tel cas une exposition à une collision avec un autre véhicule avant que la situation puisse être rectifiée.

[161] La collision est définie dans le dictionnaireFootnote 17 comme [traduction] « un impact violent d’un objet en mouvement, en particulier un véhicule, avec un autre ou avec un objet fixe ». Je conclus qu’il est plus que susceptible que lorsqu’une personne est impliquée dans une collision, à savoir « un impact violent » entre deux véhicules, elle sera blessée. Compte tenu de ces circonstances, la collision surviendra vraisemblablement parce qu’il manquera de temps ou d’espace pour l’éviter; en d’autres termes, la situation ne peut être modifiée avant qu’une blessure se produise.

[162] Je conviens que toutes les collisions ne causent pas des blessures. Toutefois, comme l’a admis la juge Gauthier dans la décision Verville (précitée), il n’est pas nécessaire que la collision cause une blessure chaque fois que la personne est exposée au danger. Elle doit seulement pouvoir causer une blessure. Tel qu’il est indiqué précédemment, je conclus qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une collision entre véhicules causera une blessure à toute personne impliquée dans la collision.

[163] Étant donné ce qui précède, je suis d’avis que dans les circonstances exposées telles qu’elles existaient au moment des refus de travailler, il est logique et raisonnable de conclure que les FFRS sont plus que susceptibles d’être impliqués dans une collision à n’importe quel moment pendant la livraison de courrier à des BLR qui se trouvent aux endroits décrits par les FFRS.

[164] Tel qu’il est indiqué dans la décision Morrison (précitée), le risque de collision est toujours présent même s’il peut être faible. J’estime qu’il est raisonnable de conclure qu’advenant une collision entre deux véhicules, les conséquences peuvent être graves. En outre, j’estime qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les personnes qui se trouvent dans les véhicules subiront des blessures.

[165] En terminant, comme dans la décision Morrison (précitée), je conclus qu’au moment des refus, les FFRS de Newmarket qui ont refusé de travailler étaient exposés, dans les conditions décrites, à un danger tel qu’il est défini dans la partie II du Code.

[166] En ce qui concerne la question de ne pas placer les quatre roues en dehors de la route, j’ai découvert dans l’OÉSRFootnote 18  que dans certaines conditions, l’OÉSR accepte cette situation et permet que le véhicule soit arrêté sur la partie fréquentée de la route. J’ai découvert deux conditions dans l’OÉSR dans lesquelles il est accepté de ne pas avoir placé les quatre roues en dehors de la partie fréquentée de la route :

  1. Route à 2 voies :
    • aucune ligne jaune pleine double au centre,
    • dénombrement de moins de 40 véhicules en 15 minutes,
    • aucune colline ou courbe dans l’intervalle de 11 secondes derrière le véhicule,
    • aucune colline ou courbe dans l’intervalle de 14 secondes devant le véhicule,
  2. Route à 4 voies :
    • dénombrement de moins de 80 véhicules en 15 minutes,
    • aucune colline ou courbe dans l’intervalle de 11 secondes derrière le véhicule.

[167] Par conséquent, en ce qui a trait aux endroits où les véhicules des FFRS pourraient devoir être arrêtés sur la partie fréquentée de la route, s’il est établi après évaluation que tous les critères fixés par l’OÉSR sont respectés, je conclus que cette situation est tout aussi acceptable que les autres situations évaluées. En conséquence, je conclus qu’il n’est pas toujours nécessaire que les quatre roues se trouvent en dehors de la route si, compte tenu des autres circonstances dont il est question précédemment, le « danger » est une condition normale d’emploi.

[168] Au cours de leur témoignage, les FFRS ont identifié les emplacements qui pourraient être potentiellement hasardeuses pendant qu’ils exécutaient leurs itinéraires de livraison. Je ne crois pas qu’il est nécessaire de désigner ces emplacements précis à l’heure actuelle parce que ces itinéraires de livraison ont maintenant été évalués au moyen de l’OÉSR, et les emplacements hasardeux ont soit été éliminés soit été déplacés en un lieu plus sécuritaire.

Le danger est-il une condition normale d’emploi?

[169] Ayant établi l’existence d’un danger pour les FFRS qui ont refusé de travailler en raison de situations hasardeuses engendrées par les emplacements des BLR, je dois maintenant déterminer si ledit « danger » constitue une condition normale d’emploi et empêcherait par conséquent, en conformité avec l’alinéa 128(2)b) du Code, les employés d’invoquer leur droit de refuser de travailler.

[170] Pour en arriver à la conclusion qu’un danger est une condition normale d’emploi, il faut être convaincu que le danger est tel qu’il ne peut être contrôlé ni faire l’objet d’une instruction donnée en vertu du Code pour protéger davantage les employés. Tel qu’il est expliqué précédemment dans la décision Morrison (précitée), je suis d’avis que l’employeur doit s’être acquitté de tous ses devoirs en matière de contrôle ou d’élimination du « danger » avant de déterminer de manière définitive si le paragraphe 128(2) s’applique.

[171] J’ai commenté l’exception créée par l’alinéa 128. (2)b) et j’ai expliqué le critère utilisé par le Tribunal dans une analyse de ce qui constitue une condition normale d’emploi. Au moment des refus, la preuve établissait que l’employeur n’avait rien fait pour déterminer les risques liés à la question de la circulation routière, a fortiori éliminer ou atténuer le « danger ».

[172] Par conséquent, dans les circonstances décrites, au moment des refus de travailler, Postes Canada ne s’était pas acquitté de toutes ses obligations en ce qui concerne le contrôle ou l’élimination dudit « danger ». En conséquence, je conclus que l’exception énoncée à l’alinéa 128(2)b) du Code ne s’appliquait pas et que le danger n’était pas une condition normale d’emploi. 

[173] En règle générale, en décidant qu’il existe un danger au moment du (des) refus et que ce danger ne représente pas une condition normale d’emploi, je devrais donner une instruction à l’employeur afin de protéger les FFRS contre le danger en question.

[174] Toutefois, depuis les refus, la preuve produite à l’audience a établi que Postes Canada a évalué les BLR ayant fait l’objet des refus de travailler et aurait, semble-t-il, rectifié la situation des emplacements qui ont échoué l’évaluation.

[175] Compte tenu de ce qui précède, la seule conclusion à laquelle je peux en arriver, c’est que l’employeur, à l’heure actuelle, s’est acquitté de ses obligations et a désigné les emplacements dangereux, a corrigé ces emplacements en conséquence et a réduit le plus possible le danger.

[176] Comme l’employeur a maintenant mis en œuvre des mesures d’atténuation du danger dans la mesure raisonnablement possible, comme nous l’avons expliqué précédemment, tout danger qui peut subsister devient maintenant une condition normale d’emploi.

[177] Toutefois, tel qu’il est indiqué dans la décision Morrison (précitée), si les circonstances entourant l’emplacement d’une BLR devaient changer, il faudrait effectuer une nouvelle analyse de cet emplacement en tenant compte du changement qui est survenu sur cet itinéraire de livraison pour déterminer si cet emplacement répond toujours à tous les critères de l’OÉSR. Je conclus qu’une nouvelle évaluation doit être exécutée si, à un moment donné qui peut inclure des changements saisonniers, il se produit quelque chose qui pourrait affecter les résultats d’une évaluation OÉSR. Si l’un des critères de l’OÉSR n’est pas respecté, la condition du « danger » est de retour, et ledit « danger » ne constitute plus une condition normale d’emploi.

[178] Il semble, d’après les données colligées dans le document intitulé « Newmarket RMB assessment »Footnote 19, qu’un bon nombre des BLR qui ont été à l’origine du présent appel se trouvaient dans des emplacements où le véhicule des FFRS était sur la route, et non sur l’accotement. Compte tenu de ce fait, de nombreux emplacements ont échoué l’évaluation et on donc du être modifiés. Autrement dit, au départ, au moment des refus de travailler, bon nombre de ces boîtes étaient dans des emplacements qui exposaient les FFRS à un danger. Par conséquent, l’instruction donnée par l’ASS Shimono était fondée.

Décision

[179] En ce qui concerne l’appel interjeté par les FFRS à l’encontre de la décision d’absence de danger, pour les motifs énoncés précédemment, je conclus qu’au moment des refus de travailler, les FFRS étaient exposés à un danger, au sens où l’entend le Code, en raison des situations de risques créées par l’emplacement de certaines BLR. Il est raisonnable de conclure qu’un accident qui pourrait survenir serait plus que susceptible de causer une blessure dans les circonstances.

[180] Comme j’ai établi qu’il existait un « danger » au moment des refus, l’instruction donnée par l’ASS Shimono est annulée.

[181] Compte tenu d’une telle conclusion de « danger », une instruction devrait être donnée à Postes Canada, conformément à l’alinéa 145(2)a) du Code, de protéger immédiatement les deux FFRS du danger. Toutefois, étant donné que l’employeur a mis en œuvre, depuis, l’évaluation OÉSR et a pris des mesures pour limiter le plus possible le danger, je considère que tout danger qui reste aux emplacements identifiés en l’espèce constitue maintenant une condition normale d’emploi et que les employés sont donc empêchés d’invoquer leur droit de refuser de travailler qui est prévu à l’alinéa 128(2)b) du Code.

[182] En ce qui concerne l’appel de Postes Canada à l’encontre de l’instruction, même si j’ai conclu que l’instruction était fondée, j’annule cette instruction sur la base de la preuve que j’ai reçu pendant l’instance.

[183] L’annulation de cette instruction se justifie du fait qu’avec l’avènement de l’OÉSR et des mesures prises par l’employeur à la suite de l’évaluation, les véhicules des FFRS peuvent maintenant s’arrêter sur la partie fréquentée de la route tout en demeurant, d’après l’OÉSR, arrêtés dans une zone dans laquelle le danger « qui subsiste » est une condition normale d’emploi. Je suis d’avis que si je devais confirmer l’instruction, cette confirmation placerait Postes Canada dans une situation dans laquelle il lui serait impossible d’observer l’instruction autrement qu’en éliminant la livraison aux emplacements identifiés dans cette affaire.

Richard Lafrance
Agent d’appel

Appendice I

Référence : Pamela Townsend et Grant Leblanc c. Société canadienne des postes, 2010-07

Dossier nº: 2006-19b

Instruction donnée à la société canadienne des postes

Le 23 janvier 2006, l’agente de santé et sécurité Jane Shimono a mené une enquête sur le refus de travailler des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) P. Townsend et G. Leblanc, qui avaient a livrer du courrier à des boîtes aux lettres rurales (BLR) sur différentes routes rurales dans la région de Newmarket, en Ontario. Les deux FFRS étaient des employés de la Société canadienne des postes (SCP), un employeur visé par le Code canadien du travail, Partie II, faisant affaires au 190, promenade Mulock, à Newmarket (Ontario), L3Y 3Z0.

Les deux FFRS ont interjeté appel en vertu du paragraphe 129.(7) du Code canadien du travail, Partie II, de la décision d’absence de danger rendue par l’agente de santé et de sécurité Shimono après son enquête.

Après avoir examiné les circonstances entourant cette décision, je conclus que la livraison du courrier par les FFRS dans les BLR par la fenêtre avant du côté du conducteur dans les circonstances présentes au moment des refus de travailler constituait un danger pour les FFRS P. Townsend et G. Leblanc.

Par conséquent, je vous Ordonne par les présentes, conformément à l’alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, Partie II, de prendre les mesures appropriées et immédiates pour écarter les risques, corriger les situations ou modifier la tâche qui constituent le danger et pour protéger ces employés contre ce danger.

En outre, je vous Ordonne par les présentes, conformément à l’alinéa 145(2)b) du Code canadien du travail, Partie II, de mettre fin à la tâche de livraison en automobile dont s’acquittaient P. Townsend et G. Leblanc au moment des refus de travailler jusqu’à ce que vous vous soyez conformé à la présente instruction, ce qui ne vous dégage pas de l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en application la présente instruction.

Fait à Ottawa (Ontario) le 23 avril 2009.

Richard Lafrance
Agent d’appel

Société canadienne des postes
190, promenade Mulock
Newmarket (Ontario)
L3Y 3Z0

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