TSSTC-10-009

Référence : Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs de Montréal, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 375, 2010 TSSTC 9

Date: 2010-06-04

Dossier: 2009-22

Rendue à: Ottawa

Entre : 
Association des employeurs maritimes, Appelant
-et-
Syndicat des débardeurs de Montréal, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 375, Intimé

Affaire : Appel à l’encontre d’une instruction donnée par un agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 146(1) de la partie II du Code Canadien du travail

Décision : L’instruction est annulée

Décision rendue par : Mme  Katia Néron, agente d’appel

Langue de la décision : Français

Pour l’appelant : Me André C. Giroux, Ogilvy Renault

Pour l’intimé : Mme Édith Laperle, conseillère syndicale, Syndicat canadien de la fonction publique

Motifs de décision

[1] Il s’agit d’un appel déposé, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code), par M. Stéphane Saucier au nom de l’Association des employeurs maritimes (AEM) à l’encontre de l’instruction donnée le 22 juin 2009 par l’agent de santé et de sécurité (ASS) M. Denis Briffaud.

[2] Le 22 septembre 2009, je transmettais une lettre à M. Roger Carré, directeur général chez Termont Montréal Inc. (Termont) l’informant du présent appel et l’invitant à faire une demande d’adjonction comme partie dans l’affaire. Le 6 octobre 2009, M. Carré m’informait que Termont ne désirait pas intervenir comme partie dans l’affaire.

[3] Cette affaire a été entendue le 9 et 10 février 2010 à Montréal.

Contexte

[4] Ce qui suit a été tiré du témoignage de l’ASS Briffaud, de son rapport d’enquête et des documents s’y rattachant, des dix-sept autres documents soumis lors de l’audience ainsi que des témoignages de M. Guillaume Couture, conseiller en relations de travail à , M. Stéphane Saucier, directeur de la santé et de la sécurité à , M. Julien Dubreuil, directeur de projets chez Termont, M. Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail à , et M. Claude Denis, débardeur.

[5] Cette affaire origine des refus de travailler exercés dans la nuit du 22 juin 2009 par les débardeurs MM. Paul Chartrand et Michel Dupuis assignés alors en tant qu’opérateurs de grue portiqueFootnote 1 à la section 68 du port de Montréal, lieu de travail exploité par Termont. Selon les demandes en main d’œuvre de Termont et tel que prévu par la convention collectiveFootnote 2, P. Chartrand et M. Dupuis avaient été assignés à cette tâche pour le dernier quart de travail du 21 juin 2009, soit le quart de nuit débutant à minuit, afin de décharger des conteneurs du navire « MSC Hailey » et les charger sur des camions.

[6] L’opérateur d’une grue portique se trouvant à plusieurs mètres au-dessus des conteneurs à déplacer et ce dernier devant déposer chaque conteneur à quelques pouces près sur le camion, un grutier doit être attentif ainsi qu’avoir une bonne vision des manœuvres exécutées par la grue afin d’effectuer celles-ci correctement et en toute sécurité. Comme un grutier utilise ses deux mains pour manœuvrer son appareil, une bonne coordination de mouvements est également nécessaire. De plus, dû au fait que cela prend un certain temps pour accéder à la cabine de contrôle de sa grue ou d’en descendre, un grutier ne prend pas de pause de façon à ne pas interrompre les opérations sur de trop longues périodes. En tenant compte entre autres de ces considérations, un opérateur de grue portique est ainsi remplacé par un autre après avoir opérer sa grue pendant quatre heures.

[7] Chaque grutier travaille de plus avec un signaleur aidant au déplacement des conteneurs dans la cale du navire et une équipe de personnes se trouvant sur le quai aidant au chargement des conteneurs sur le camion. Pour communiquer avec ces personnes, le grutier utilise une radio. Bien que ces personnes ne se placent pas sous un conteneur en mouvement, elles se placent, à son approche, à environ un mètre de côté par rapport à celui-ci.

[8] Lors du chargement ou déchargement de conteneurs sur les navires cargos, tel le « MSC Hailey », les navires utilisent au moins une de leurs génératrices, parfois deux, ainsi que leurs chaudières. Ces appareils sont utilisés pour maintenir en fonction les installations électriques et la machinerie indispensables aux personnes habitant à bord mais également maintenir réfrigérés certains conteneurs. Les produits de combustion du carburant de ces appareils sont rejetés par la cheminée du navire.

[9] Au moment des refus de P. Chartrand et M. Dupuis, les vents soufflaient en direction nord-estFootnote 3. Sous ces conditions de vents, les fumées rejetées par la cheminée du navire étaient poussées vers l’avant du navire au-dessus de ce dernier parallèlement au quai. L’extrémité de la cheminée du « MSC Hailey » se trouvait de plus à la même hauteur que les mâts des grues sur lesquels se déplaçaient les cabines des grutiers.

[10] Les grues opérées cette nuit-là par P. Chartrand et M. Dupuis étaient les grues # 2 et # 3 appartenant à Termont. Ces grues placées sur des rails avaient été approchées au bord du quai près des camions, leurs mâts s’avançant au-dessus des cales du navire à environ 35 mètres du sol.

[11] Les cabines de P. Chartrand et M. Dupuis n’étaient pas munies d’un système de filtration d’air empêchant l’entrée dans ces cabines des substances présentes dans les fumées du navire. De plus, aucun moyen n’était fourni aux employés pour les aviser de la présence dans leur cabine de concentrations de ces substances à des niveaux susceptibles de nuire à leur santé.

[12] Dans ces conditions, P. Chartrand et M. Dupuis ont refusé de continuer à opérer leur grue pour les raisons qui suivent.

[13] Les fumées entrant dans leur cabine étaient incommodantes au point de causer des nausées et des irritations à la gorge. Sachant qu’un autre débardeur avait été intoxiqué par le passé en opérant une grue portique chez un autre employeur du port sous les mêmes conditions de vents et sans que la cabine de sa grue soit munie d’un système de filtration d’air, P. Chartrand et M. Dupuis croyaient qu’opérer leur grue dans ces conditions constituait un danger pour leur santé mais également pour la sécurité des personnes travaillant avec eux dans les cales du navire ou sur le quai.

[14] Avisé des refus de travailler des employés et constatant qu’éliminer les fumées rejetées par le navire ou l’exposition à celles-ci pour les grues # 2 et # 3 était impossible, M. Emrick Dutriaux, le surintendant en devoir chez Termont cette nuit-là, a communiqué avec pour obtenir de l’assistance. MM. G. Couture et Alexandre Gagnon, ce dernier agissant en tant que conseiller en santé et sécurité au travail à , sont arrivés sur les lieux vers 1h30.

[15] G. Couture a examiné avec E. Dutriaux, les employés et leurs représentants, les mesures essayées ou proposées aux employés pour tenter de régler la situation selon la procédure rédigée en février 2008 par intitulée « Procédure d’opération en cas d’inconfort par la fumée de navire ». Cette procédure se lit comme suit :

Compte tenu de la nature de leurs tâches, les travailleurs peuvent se retrouver incommodés par la fumée émanant de la cheminée des navires lors des opérations de chargement et déchargement. En vertu des différentes décisions rendues par les autorités de RHDSC et Transport Canada depuis plusieurs années, via l’Association des Employeurs Maritimes, les Terminaux portuaires se sont engagés à établir une procédure claire et uniforme à ce sujet.

Ainsi, dès qu’il est incommodé par la fumée du navire, le travailleur doit immédiatement le rapporter à son supérieur immédiat. La compagnie qui prend connaissance d’une telle situation doit par la suite faire enquête et, s’il y a lieu, éliminer au mieux la source d’inconfort.

Pour ce faire, la direction des opérations pourra si possible, sans pour autant s’y limiter, opter pour l’une et/ou l’autre des solutions suivantes :

  • réduire le régime des moteurs du navire;
  • éloigner la grue de la source de fumée;
  • déplacer le ou les employés incommodés à un autre poste de travail;
  • changement dans la rotation du relais des travailleurs afin de limiter l’exposition de ces derniers;
  • port d’un masque respirateur;
  • changer l’orientation du navire (proue vers l’est ou vers l’ouest);
  • toute autre solution visant à réduire l’exposition des travailleurs.

Dans tous les cas, soyez assurés que les terminaux portuaires et l’Association des Employeurs Maritimes mettent tout en œuvre afin d’offrir en tout temps un endroit sain et sécuritaire pour les travailleurs.

Il en va de votre santé et sécurité, pensez-y!

[16] G. Couture a constaté qu’aucune des mesures indiquées plus haut était soit efficace pour contrer à l’exposition des grutiers aux fumées du navire, soit applicable selon les représentants de Termont, soit acceptable selon les employés.

[17] Aucune évaluation de la nature des substances rejetées par la cheminée du « MSC Hailey » ni des niveaux d’exposition à ces substances pour les employés devant opérer les grues # 2 et # 3 ne fut effectuée. La météo prévoyait les mêmes conditions de vents pour les deux jours suivants.

[18] Les représentants de Termont et ceux de soutenant l’inexistence d’un danger pour les employés alors que P. Chartrand et M. Dupuis maintenaient leur refus, G. Couture a communiqué vers 2h30 avec Transport Canada - Marine pour qu’un agent de santé et de sécurité enquête sur la situation.

[19] En arrivant sur les lieux, l’ASS Briffaud a obtenu les raisons invoquées par P. Chartrand et M. Dupuis au soutien de leurs refus. G. Couture a par la suite déclaré à l’ASS Briffaud que, sur la base d’une étude effectuée en 2002, la position de Termont était que l’exposition aux substances rejetées par la cheminée du « MSC Hailey » constituait une situation de léger inconfort pour les opérateurs des grues portiques, non un danger. Le rapport de cette étude n’a pas été examiné par l’ASS Briffaud.

[20] Connaissant les problèmes de santé reliés à une exposition prolongée à certaines des substances présentes dans les produits de combustion du carburant utilisé dans les moteurs des génératrices et/ou chaudières d’un navire cargo, – ces produits contenant, selon l’ASS Briffaud, du monoxyde de carbone (CO), toutes sortes de composés aromatiques ainsi que des oxydes d’azote (NOx) et des oxydes de soufre (SOx) –, l’ASS Briffaud a conclu que l’exposition aux substances rejetées par la cheminée du « MSC Hailey » constituait, au sens du Code, un danger pour les employés.

[21] L’ASS Briffaud a soumis la fiche signalétique pour le produit dénommé « Bunker C », le terme « Bunker » étant le terme générique désignant les carburants de navires. Selon l’ASS Briffaud, le carburant utilisé dans les génératrices des navires cargos est un mélange de diesel et de « Bunker C - Nº 2 fuel oil » alors que celui utilisé pour leurs moteurs contient du diesel et du « Bunker C - Nº 6 fuel oil ». Le paragraphe intitulé « Hazardous combustion products » de la fiche signalétique se lit comme suit :

Produits de combustion dangereux

Monoxyde de carbone. Oxydes d’azote. PAHsFootnote 4  et autres hydrocarbures aromatiques. H2SFootnote 5 et dioxyde de soufre (SO2).

[je traduis]

[22] Malgré sa décision de l’existence d’un danger, l’ASS Briffaud n’a pas donné d’avis de danger sous le paragraphe 145(2) du Code. L’ASS Briffaud a déclaré, lors de son témoignage, qu’il aurait dû le faire compte tenu de sa décision de l’existence d’un danger pour les employés.

[23] Suite à cette décision, l’ASS Briffaud a plutôt décidé d’examiner les mesures qui avaient été tentées d’être appliquées ou proposées aux employés pour essayer de régler la situation.

[24] Ce qui suit sont la description de ces mesures ainsi que les raisons données par G. Couture à l’ASS Briffaud au moment de son enquête pour expliquer pourquoi ces mesures n’ont soit pas fonctionné bien qu’essayé, soit été refusées par les employés, soit n’ont pas été appliquées bien que suggérées dans la procédure citée plus haut.

[25] Tel que suggéré dans la procédure mentionnée plus haut, E. Dutriaux a d’abord demandé à l’officier en charge du navire de réduire le régime des machines du navire. Tel que l’a déclaré G. Couture, ces machines demeurant cependant en marche, les fumées continuaient à être rejetées par la cheminée du navire puis poussées par les vents vers les cabines de contrôle des grues.

[26] E. Dutriaux a alors tenté d’éloigner les grues de la cheminée du navire. Pour ce faire, le plan de déchargement du « MSC Hailey » a été examiné. Tel qu’expliqué par G. Couture, étant rendu à décharger le navire près de ses accommodationsFootnote 6 situées près de sa cheminée et les grues comportant des limites de déplacement, il fut toutefois constaté, même après avoir essayé de repositionner les grues, que les cabines de contrôle des grues # 2 et # 3 resteraient exposées aux fumées lors des opérations.

[27] Tel qu’également déclaré par G. Couture, E. Dutriaux a alors proposé aux employés de changer le temps de relais de quatre heures pour une période de travail plus courte, soit de changer d’opérateur après 60 minutes de travail. P. Chartrand et M. Dupuis ont refusé alléguant que les opérateurs des grues # 2 et # 3 resteraient exposés aux fumées.

[28] E. Dutriaux a de plus proposé aux employés de porter un masque en caoutchouc couvrant le nez et la bouche et muni de cartouches. P. Chartrand et M. Dupuis ont refusé alléguant que le port de ce masque diminuait la vision du grutier et l’empêchait de communiquer avec les travailleurs se trouvant dans les cales du navire ou sur le quai.

[29] Quant à changer l’orientation du navire, cette solution n’était pas envisageable à la section 68 du port de Montréal pour les représentants de Termont.

[30] Suite à cet examen, l’ASS Briffaud a donné le 22 juin 2009 un avis de contravention sous le paragraphe 145(1) du Code. C’est cette instruction qui fait l’objet du présent appel. Cette instruction se lit comme suit :

Le 22 juin 2009, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à [une] enquête en vertu de l’article 129.(1) dans le lieu de travail exploité par ___________________________, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au Terminal Termont A/S AEM le dit lieu étant parfois connu sous le nom de ____________________.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail sont enfreintes :

125.(1)(n) & 124

& Non respect de la procédure d’opération en cas d’inconfort par la fumée émanant du navire MSC Hailey datée février 2008.

Par conséquent, il vous est Ordonné par les présentes, en vertu du paragraphe 145.(1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 22 juin 2009. […]

[31] L’ASS Briffaud a déclaré que la présence de substances dangereuses dans les cabines des grues # 2 et # 3 dû à l’absence d’un système d’aération dans celles-ci contrevenait, selon lui, à l’alinéa 125(1)n) du Code. Quant à la mention de l’article 124 du Code dans son instruction, l’ASS Briffaud a déclaré avoir fait cette mention car de ne pas avoir tenté de changer l’orientation du navire ou de ne pas avoir opté d’offrir un autre type masque aux employés, cela ne respectait pas, selon lui, ni cette disposition du Code ni la procédure de et adoptée par Termont pour parer au risque auquel était alors exposé les employés.

[32] L’ASS Briffaud a déclaré qu’il a mentionné le « Terminal Termont » dans son instruction car, pour lui, celle-ci s’adressait d’abord à Termont. Quant à la mention « A/S AEM », cela signifie au soin de . L’ASS Briffaud a déclaré avoir fait cette mention parce qu’il a décidé de remettre son instruction aux représentants de alors présents sur les lieux, ceux-ci ayant procédé avec E. Dutriaux, au nom de Termont, à l’enquête sur les refus de travailler des employés tout comme c’est G. Couture qui a répondu à la majorité de ses questions lors de son enquête.

Question en litige

[33] L’instruction donnée sous le paragraphe 145(1) du Code le 22 juin 2009 par l’ASS Briffaud était-elle bien fondée?

Arguments des parties

A) Arguments de l’appelant

[34] Me Giroux, au nom de l’appelant, soutient qu’aucun danger n’existait pour les employés dans la nuit du 22 juin 2009 tout comme aucune violation à l’alinéa 125(1)n) ou l’article 124 du Code, tel qu’indiqué par l’ASS Briffaud dans son instruction, n’avait été commise par Termont ou cette nuit-là. Suite à mes questions lors de l’audience sur cette disposition du Code, Me Giroux soutient également qu’aucune violation n’avait alors été commise par Termont ou à l’égard de l’alinéa 125.1a) du Code. Au soutien de cette thèse, Me Giroux a fait témoigner S. Saucier et J. Dubreuil. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages à l’égard de ces questions.

[35] J. Dubreuil a déclaré que les courants de l’eau sont plus forts au bord du quai situé à la section 68 du port de Montréal comparativement à certaines autres sections de ce port, cette section du port étant directement située au bord du fleuve alors que d’autres sections de ce port sont dans des bassins. Pour assurer la stabilité du navire lors des opérations, un navire est ainsi amarré à ce quai le nez face au courant. C’est pourquoi, selon J. Dubreuil, le changement de l’orientation du « MSC Hailey » n’était pas envisageable à la section 68 du port. En le faisant, cela aurait pu avoir des répercussions sur la stabilité du navire causant un risque pour la sécurité des opérations en cours.

[36] S. Saucier a déclaré que les plaintes reliées à l’exposition aux fumées des navires lorsque les vents poussaient ces fumées dans la cabine d’un grutier existaient depuis de nombreuses années; en fait, depuis que les employeurs utilisent des grues portiques pour le chargement ou déchargement de conteneurs au port de Montréal. C’est pourquoi , au nom des employeurs de ce port, a élaboré la procédure citée plus haut. S. Saucier a déclaré que pour établir cette procédure s’est basée sur les méthodes développées par ces entreprises au cours des années pour tenter de limiter l’exposition des grutiers aux fumées.

[37] S. Saucier a soumis le rapport de l’enquête effectuée en 2002 dont a fait référence G. Couture au soutien de l’inexistence d’un danger au moment de l’enquête de l’ASS Briffaud. Ce rapport est intitulé « Étude sur la qualité de l’air: Fumée de cheminée de bateau dans la cabine d’une grue pour le chargement et le déchargement de conteneurs au port de Montréal à la compagnie Racine ». Ce document est signé par le président de la firme consultante qui a mené cette étude, un bachelier en Sciences chimie.

[38] Au deuxième paragraphe de la page 1 du rapport, l’auteur écrit:

L’objectif de l’étude est d’évaluer la qualité de l’air dans la grue lorsqu’on simule une situation de pire cas. […]

[39] Tel qu’expliqué au troisième paragraphe de la page 1 du rapport et tel que l’a déclaré S. Saucier, pour simuler une situation de pire cas, la cabine de contrôle d’une grue portique fut installée dans la trajectoire des fumées d’un navire à environ huit mètres de sa cheminée, soit le plus près possible de celle-ci. De plus, le régime des moteurs a été augmenté au maximum. La fenêtre de la cabine face à la cheminée a été ouverte au complet tandis que celle directement de l’autre côté a été ouverte de 4 cm. Un grutier prenant environ 90 secondes pour ramasser ou déposer un conteneur et ce dernier, pour décharger les conteneurs ou les charger sur un navire, faisant un va-et-vient entre le navire et le quai au-dessus duquel les fumées ne sont pas présentes, cela représentait, de l’avis de S. Saucier, le pire cas d’une exposition d’un grutier aux fumées rejetées par un navire.

[40] Au troisième paragraphe de la page 1 du rapport, le choix d’effectuer des mesures de monoxyde de carbone (CO) ainsi que des composés organiques volatils totaux (COVs) est expliqué comme suit :

Des mesures de paramètres chimiques importants pour la qualité de l’air ont été effectuées […]

[41] Au point 2.1 des pages 2 et 3 du rapport intitulé « Monoxyde de carbone » sous lequel on retrouve la méthodologie utilisée ainsi que les résultats obtenus pour le CO, sept lectures pour le CO ont été prises aux dix minutes pendant une heure à l’intérieur de la cabine.

[42] Au point 2.1 de la page 2 du rapport, les problèmes de santé reliés à l’exposition au CO sont décrits comme suit :

Le monoxyde de carbone (CO) est un gaz asphyxiant qui interfère avec le mécanisme de la respiration en détruisant les globules rouges. À faible concentration, il peut causer des maux de tête et des nausées. À plus haute concentration, il peut causer des difficultés de respiration et des problèmes cardiaques, ce qui peut entraîner la mort par asphyxie. […]

[43] Au point 2.2 de la page 4 du rapport intitulé « Composés organiques volatils », il est indiqué qu’un échantillon dans l’air des vapeurs organiques totales (COVs) a été prélevé pendant une heure à l’intérieur de la cabine.

[44] S. Saucier a déclaré qu’il y a une panoplie de polluants dans les hydrocarbures rejetés par le « Bunker », soit, tel qu’indiqué par S. Saucier et l’ASS Briffaud avant lui, le carburant utilisé pour les navires. Selon S. Saucier et l’auteur de l’étude de 2002, l’ « American Conference of Governmental Industrial HygienistsFootnote 7 » (ACGIH) n’ayant pas établi de normes pour ces mélanges complexes d’hydrocarbures, c’est la raison pour laquelle les composés organiques volatils totaux (COVs), représentant l’ensemble de ces polluants, ont été évalués.

[45] À la page 6 du rapport, son auteur conclut:

Quoique les concentrations mesurées de monoxyde de carbone et de composés organiques volatils de la fumée ne devraient pas présenter de danger pour la santé, le fait que des opérateurs de grue aient eu des nausées et des maux de tête à cause de la fumée de bateau est un motif suffisant pour vouloir améliorer la situation. Ceci […] peut nuire à leur travail et augmenter le risque d’accident. Aussi, d’autres composantes de la fumée qui n’ont pas été étudiées pourraient changer notre évaluation de la dangerosité de la fumée. Par exemple, […] d’autres polluants peuvent se retrouver dans la fumée de bateau comme les oxydes de soufre et les oxydes d’azote selon la composition du carburant.

[46] S. Saucier a soumis trois documents indiquant les valeurs limites d’exposition (TLVs) de l’ACGIH pour le CO, l’oxyde d’azote (NO) et le dioxyde de soufre (SO2) ainsi que leurs effets possibles sur la santé d’une personne qui y est exposée. Ces documents se lisent comme suit :

Monoxyde de carbone
[…]

American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) Valeur limite d’exposition (TLV) : 25 ppmFootnote 8 TWAFootnote 9 […]

Symptômes potentiels: Maux de tête; tachypnée; nausées; faiblesse, vertiges, confusion, hallucinations; cyanose; […]; angine de poitrine; syncope

Effets sur la santé: asphyxie, anoxieFootnote 10 chimique […]

Oxyde d’azote
[…]

American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) Valeur limite d’exposition (TLV): 25 ppm TWA

[…]

Symptômes potentiels: Irritation des yeux, du nez, de la gorge, de la peau; après délai : toux, difficultés respiratoires, œdème pulmonaire; méthémoglobinémieFootnote 11, cyanose; mal de tête; douleur abdominale, nausées; confusion mentale, somnolence, convulsions, perte de conscience.

Effets sur la santé: Irritation des yeux, du nez, de la gorge, […]; Méthémoglobinémie […]; effets sur le système nerveux central […]; dommage aux poumons retardé […]

Dioxyde de soufre

[…]

American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) Valeurs limites d’exposition (TLV) : 2 ppm TWA; 5 ppm STELFootnote 12;

[…]

Symptômes potentiels: Irritation des yeux, du nez, de la gorge; rhinorrhée, saignements du nez; suffocation, toux, dyspnéeFootnote 13, douleurs thoraciques, œdème pulmonaire, cyanose; bronchoconstriction; corrosion des yeux, de la peau; […] asthme; bronchite chronique.

Effets sur la santé: Irritation des yeux, du nez, de la gorge, […]; effets sur le système respiratoire - Bronchoconstriction, œdème pulmonaire, syndrome de dysfonction des voies respiratoires […]; effets sur le système reproducteur suspectés […] [je traduis]

[47] S. Saucier a déclaré que conscients que les fumées des navires causaient des nausées aux opérateurs des grues portiques, les employeurs maritimes du port de Montréal, dont Termont, ont convenu de réduire l’exposition des travailleurs à ces fumées, entre autres en adoptant la procédure rédigée par mais également en entreprenant de munir les cabines de contrôle de leurs grues de systèmes de filtration d’air à pression positive.

[48] Tel que l’a déclaré S. Saucier, aucun cas d’inconfort n’a été recensé ni aucun opérateur de grue portique n’a exercé de refus de travailler en raison de fumées rejetées par les navires depuis que ces systèmes sont en place.

[49] S. Saucier a déclaré qu’aujourd’hui les cabines de contrôle des 15 grues portiques utilisées au port de Montréal sont munies d’un système de filtration d’air. S. Saucier a de plus déclaré que la procédure rédigée par en 2008 citée plus haut n’est plus utilisée.

[50] Sur la base de ce qui précède, Me Giroux soutient que, dans cette affaire, il ne revenait pas à de démontrer qu’il n’y avait pas de danger pour les employés au sens du Code dans la nuit du 22 juin 2009 ou que Termont ou n’avait pas commis de violation au Code cette nuit-là. L’enquête menée par un agent d’appel étant de novo, c’est à moi, de l’avis de Me Giroux, d’examiner les circonstances reliées à cette affaire pour rendre ensuite ma décision. À l’appui de cet argument, Me Giroux s’est référé à l’arrêt de la Cour fédérale dans l’affaire Canadian Freightways Ltd c. Canada (Procureur général)Footnote 14. Aux paragraphes 26 et 27 de sa décision dans cette affaire, M. Le Juge Dawson écrit:

26 Ces arrêts faisant autorité donnent à entendre que l’audience, dans un appel d’un pouvoir discrétionnaire, est de la nature d’une nouvelle audience, l’agent d’appel devant examiner toutes les circonstances et rendre ensuite une décision.

27 En l’espèce, l’agent d’appel s’est fondé sur une disposition non pertinente pour exiger que la demanderesse assume la charge de prouver qu’il n’y a pas eu contravention au Règlement. Ce faisant, l’agent a commis une erreur […].

[51] Me Giroux soutient que je me dois de n’examiner que la preuve administrée devant moi pour rendre ma décision. Se basant sur les résultats de l’étude menée en 2002 et sur le fait que, dans la nuit du 22 juin 2009, ni la nature des produits de combustion rejetés par la cheminée du « MSC Hailey » ni les niveaux de concentrations de ces substances dans les cabines des grues # 2 et # 3 n’ont été déterminés, Me Giroux soutient que l’ASS Briffaud n’avait rien pour conclure qu’il y avait un danger pour les employés ni qu’il y avait une quelconque violation au Code cette nuit-là comme je n’ai rien aujourd’hui pour le conclure.

[52] Pour ces raisons, Me Giroux allègue que l’instruction d’avis de contravention de l’ASS Briffaud n’aurait pas dû être émise et que je devrais l’annuler.

[53] Si, malgré ce qui précède, je décidais qu’un danger existait pour les employés ou que des violations au Code avaient été commises dans la nuit du 22 juin 2009, Me Giroux soutient que je dois alors déterminer qui de Termont ou devait recevoir une instruction sous le Code.

[54] Pour décider sur cette question, Me Giroux m’a référée à l’arrêt de M. Le Juge Yves de Montigny de la Cour fédérale dans l’affaire Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375Footnote 15 ainsi qu’à la décision de M. Le Juge Robert Décary de la Cour d’appel fédérale dans la même causeFootnote 16. Sur la base de ces arrêts, admettant que est considérée, en tant qu’organisation patronale, comme un « employeur » au sens de la définition de ce terme sous le paragraphe 122(1) de la partie II du Code et peut être assujettie à certaines de ses obligations par exemple lorsqu’elle agit à l’égard de l’une d’entre elles pour le compte d’un des employeurs maritimes qu’elle représente, Me Giroux soutient que, pour trancher cette question, je dois ainsi déterminer qui de Termont ou assumait les obligations d’un « employeur » sous le Code dans la nuit du 22 juin 2009.

[55] Me Giroux soutient que c’est Termont qui assumait en l’instance ces obligations, non , et qu’ainsi seule Termont aurait pu recevoir une instruction sous le Code. Au soutien de cette thèse, Me Giroux a fait témoigner J. Dubreuil, G. Couture et M. Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail à l’AEM. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages ainsi que du document soumis à l’égard de cette question.

[56] G. Couture a déclaré qu’il a été appelé par E. Dutriaux dans la nuit du 22 juin 2009 pour venir l’assister et le soutenir dans son enquête sur les refus de P. Chartrand et M. Dupuis.

[57] J. Dubreuil a déclaré qu’avant d’être directeur de projets chez Termont, il en était le surintendant, fonction qu’il a aussi occupée chez LogistecFootnote 17 pendant plusieurs années.

[58] J. Dubreuil a déclaré que le rôle du surintendant est de gérer les opérations de chargement et déchargement des navires au nom de l’entreprise.

[59] J. Dubreuil a déclaré que c’est le surintendant qui décide quel équipement ou appareil doit être utilisé ainsi que la méthode de travail devant être suivie pour l’exécution des opérations.

[60] J. Dubreuil a déclaré que les surintendants des entreprises du port de Montréal ont recours aux représentants de pour les assister et conseiller sur, entre autres, des questions touchant les refus de travailler des débardeurs tel que cela a été fait dans la nuit du 22 juin 2009.

[61] J. Dubreuil a déclaré que toutefois seuls les surintendants de ces entreprises décidaient d’appliquer ou non les solutions proposées dans la procédure rédigée par citée plus haut. J. Dubreuil a, par exemple, référé au fait que c’est E. Dutriaux, le surintendant agissant alors au nom de Termont, qui a demandé au navire de baisser le régime des moteurs, qui a fait déplacer les grues pour tenter de les éloigner du panache des fumées, qui aurait pu décider de changer l’orientation du navire ou encore proposer aux employés de modifier leur temps de travail ou de les déplacer à un autre poste de travail tout comme c’est Termont qui fournissait les masques offerts aux employés.

[62] J.-P. Langlois a soumis la convention collective qui lie les employeurs du port de Montréal ainsi que l’organisation patronale dont ils sont membres, , aux débardeurs membres du Syndicat des débardeurs, Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 375, dont sont membres P. Chartrand et M. Dupuis.

[63] Selon son article 1.02, cette convention a été négociée, au nom de ces employeurs, par l’AEM. J.-P. Langlois a déclaré que cela a été fait ainsi à la suite d’une décision du Conseil canadien des relations du travailFootnote 18 qui, tel que l’y autorise l’article 34 du CodeFootnote 19, a désigné comme représentant patronal des employeurs maritimes œuvrant entre autres dans le port de Montréal pour négocier, en leur nom, les conventions collectives avec les différents syndicats des débardeurs qui sont à leur emploi.

[64] Ainsi, selon les articles 1.04, 1.05 et 1.06 de la convention collective, les débardeurs membres du syndicat mentionné plus haut sont employés, conformément aux clauses de la convention, par les employeurs maritimes œuvrant dans l’ensemble du territoire géographique du port de Montréal pour le chargement et le déchargement de navires.

[65] Selon l’article 8.04 de la convention collective et tel que l’a déclaré J.-P. Langlois, c’est par contre qui voit, par le biais de son centre de déploiement et selon les dispositions prévues par la convention, à assigner chaque débardeur dans les différents lieux de travail des employeurs maritimes du port selon leurs demandes en main d’œuvre faites quotidiennement et en suivant les clauses prévues à cet effet par la convention.

[66] Selon l’article 3 de cette convention, la direction et l’exploitation des installations, des machines et de l’outillage ainsi que la direction des opérations est la responsabilité de chacun des employeurs maritimes. Sur la base de cet article, J.-P. Langlois a déclaré que ces employeurs veillent non seulement au contrôle de leur lieu de travail et des opérations ou tâches exécutées par les débardeurs mais également à l’entretien des équipements, appareils, tels les grues portiques, ou outils utilisés par ceux-ci. Ce sont de plus ces employeurs qui en contrôlent leur utilisation une fois les débardeurs déployés dans leur lieu de travail.

[67] Sur la base de cette preuve, Me Giroux soutient que, dans la nuit du 22 juin 2009, seule Termont qui employait à ce moment-là dans son lieu de travail P. Chartrand et M. Dupuis, ainsi que les personnes agissant en son nom, tel son surintendant, avaient autorité sur la tâche devant être accomplie par ces employés ainsi que sur les grues qu’ils utilisaient. Me Giroux soutient de plus que la situation qui prévalait le 22 juin 2009 n’était pas une situation où , agissant alors au nom de Termont, assumait une quelconque obligation prescrite par le Code. De l’avis de Me Giroux, seule Termont pouvait intervenir dans l’opération en cause et décider d’apporter les modifications jugées appropriées dans un tel contexte.

B) Arguments de l’intimé

[68] Bien qu’admettant que ne contrôle pas les lieux de travail du port, Mme Laperle, au nom de l’intimé, soutient que ne peut se soustraire des obligations prescrites pour un employeur par le Code. De l’avis de Mme Laperle, ces obligations doivent être assumées conjointement et solidairement entre les employeurs maritimes et l’AEM. Au soutien de cette thèse, Mme Laperle s’est référée à l’arrêt de la Cour fédérale dans l’affaire Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375 citée plus haut ainsi qu’à la définition du terme « employeur » au paragraphe 122(1) du Code. Mme Laperle s’est également référée au fait que les représentants de interviennent lorsque des décisions sont prises à l’égard de la santé et de la sécurité des débardeurs tel que cela s’est produit lors des refus de P. Chartrand et M. Dupuis le 22 juin 2009.

[69] Au soutien des refus de P. Chartrand et M. Dupuis de porter le masque muni de cartouches ou de continuer à opérer leurs grues dans la nuit du 22 juin 2009, même en alternance avec d’autres grutiers, Mme Laperle a fait témoigner C. Denis. Je retiens ce qui suit de son témoignage.

[70] C. Denis a déclaré qu’il est débardeur au port de Montréal depuis 1986. Au cours de cette période, il a été opérateur de grue portique pendant 8 ans et a également occupé la fonction de signaleur.

[71] C. Denis a déclaré avoir essayé, pendant qu’il opérait une grue, le type de masque avec cartouches offert à P. Chartrand et M. Dupuis le 22 juin 2009. C. Denis a déclaré qu’en portant ce masque, dû à la présence des cartouches et le masque recouvrant tout le bas du visage, il perdait de vue le conteneur en mouvement et que le signaleur n’entendait plus rien de ce qu’il essayait de lui dire par radio. Ne voyant plus correctement les manœuvres qu’il exécutait et ne pouvant plus communiquer avec les personnes travaillant avec lui dans la cale du navire ou sur le quai alors que cette communication est essentielle pour l’exécution en toute sécurité de la tâche d’un grutier, C. Denis a refusé de continuer à porter ce masque.

[72] C. Denis a de plus déclaré qu’un opérateur de grue portique se sert de la fenêtre située à ses pieds dans sa cabine pour voir, environ 35 mètres plus bas, au déplacement et au positionnement corrects de chaque conteneur dans la cale du navire ou sur le camion. Le grutier se trouvant à plusieurs mètres au-dessus des conteneurs à déplacer alors que chaque conteneur doit être déposé à quelques pouces près sur le camion, ce dernier doit ainsi maintenir toute son attention et avoir une bonne vision sur les manœuvres qu’il exécute. C. Denis a en outre déclaré que pour manœuvrer les commandes d’une grue portique, un grutier se sert de ses deux mains. C’est pourquoi, selon C. Denis, une bonne coordination dans ses mouvements est essentielle. C. Denis a déclaré que, pour ces raisons, ce n’est pas responsable de la part d’un grutier d’opérer une grue en ayant des maux de tête, des nausées, des tremblements. De l’avis de C. Denis, l’ayant vécu lui-même, lorsqu’un grutier commence à ressentir ces symptômes, il ne se sent vraiment pas bien et n’est déjà plus en mesure ni de se concentrer ni d’opérer son appareil en toute sécurité. Même si un tel accident, à sa connaissance, n’est pas survenu lorsque les fumées d’un navire entraient dans la cabine d’un grutier, travailler dans de telles conditions crée, de l’avis de C. Denis, un risque que le grutier ressente ces symptômes et qu’il manœuvre alors mal son appareil, ce qui peut causer des blessures aux personnes se trouvant dans la cale du navire ou sur le quai, par exemple lorsque le conteneur s’approche à environ 1 mètre de ces personnes ou parce que les conteneurs pourraient être mal emboîtés par le grutier sur le navire ou sur le camion.

[73] S’appuyant sur cette preuve et le fait que les fumées du « MSC Hailey » entraient dans la cabine des grutiers, Mme Laperle soutient que, même en prétendant que les symptômes dits être ressentis par P. Chartrand et M. Dupuis au moment de leurs refus n’auraient pas eu d’effet à long terme sur leur santé, ces travailleurs ont agi de façon responsable en refusant d’opérer leur grue dans ces conditions. De l’avis de Mme Laperle, en le faisant, cela permettait d’éviter que leurs réflexes soient altérés et, de ce fait, que des blessures ne surviennent aux personnes travaillant dans les cales du navire ou sur le quai.

[74] Pour ces raisons, Mme Laperle soutient que l’instruction donnée par l’ASS Briffaud le 22 juin 2009 devrait être maintenue et devrait viser Termont et .

Réplique de l’appelant

[75] En réplique à l’argumentation de Mme Laperle à l’effet que Termont et doivent être tenues conjointement et solidairement responsables à l’égard des obligations d’un employeur sous le Code, Me Giroux soutient, en se référant à l’arrêt de la Cour fédérale dans l’affaire Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375 déjà citée, que M. Le Juge de Montigny a plutôt établi que cette question doit être déterminée au cas par cas.

[76] Quant au risque d’accident pour les personnes travaillant dans les cales du navire ou sur le quai, aucun accident n’étant survenu dû à la présence dans la cabine d’un grutier des fumées d’un navire, aucune preuve ne vient soutenir, de l’avis de Me Giroux, qu’un tel risque existait.

Analyse

[77] Pour trancher cette affaire, je dois répondre à la question suivante:

  • Était-il bien-fondé de donner une instruction d’avis de contravention sous le paragraphe 145(1) du Code en regard de son alinéa 125(1)n) et son article 124 pour le motif d’un non respect de la procédure visant à contrôler l’exposition des travailleurs aux fumées du « MSC Hailey » dans la nuit du 22 juin 2009?

[78] Lors de son témoignage, l’ASS Briffaud a admis qu’il aurait dû émettre une instruction d’avis de danger le 22 juin 2009 puisqu’il avait décidé de l’existence d’un danger pour les employés. Les paragraphes 145(2) et (3) à l’égard d’un avis de danger pouvant être donné sous le Code se lisent comme suit :

145(2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent:

a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans un délai qu’il précise, à la prise de mesures propres:

[…]

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

b) peut en outre, s’il estime qu’il est impossible dans l’immédiat de prendre les mesures prévues à l’alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l’employeur, l’utilisation […] de la machine […] en cause jusqu’à ce que ses instructions aient été exécutées, […]le présent alinéa n’ayant pas toutefois pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des instructions.

[…]

145(3) L’agent qui formule des instructions au titre de l’alinéa (2)a) appose ou fait apposer dans le lieu, sur la machine ou sur la chose en cause, ou à proximité de ceux-ci ou à l’endroit ou s’accomplit la tâche visée, un avis […] [c’est moi qui souligne]

[79] Puisque le 22 juin 2009 l’ASS Briffaud avait décidé de la présence d’un danger pour les employés, je suis d’avis qu’il aurait dû donner une instruction sous les paragraphes 145(2) et (3) du Code.

[80] Quant à déterminer quels auraient pu être son contenu et son destinataire, les évènements reliés à cette affaire s’étant produits il y a plus de 11 mois et la situation apparaissant comme étant maintenant réglée, il ne me semble plus utile d’examiner aujourd’hui de telles questions.

[81] Les questions dans cette affaire traitent plutôt, à mon sens, de l’application des alinéas 125(1)n) ou 125.1a) du Code ainsi que de son article 124 dans la nuit du 22 juin 2009, à savoir si ces dispositions du Code ont été enfreintes cette nuit-là. C’est donc sur ces questions que portera mon analyse dans cette affaire.

[82] L’alinéa 125(1)n) du Code traite d’une des obligations spécifiques pour un employeur de voir à ce que l’aération dans un lieu de travail placé sous son entière autorité soit conforme aux normes réglementaires. Cet alinéa se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité […]

n) de veiller à ce que l’aération, l’éclairage, la température, l’humidité, le bruit et les vibrations soient conformes aux normes réglementaires. [c’est moi qui souligne]

[83] Pour décider si l’alinéa 125(1)n) du Code s’appliquait en l’instance, je dois me référer aux normes réglementaires.

[84] Pour ce faire, je dois d’abord déterminer quel était le règlement, parmi ceux pris en vertu du Code, qui s’appliquait aux circonstances de la présente affaire.

[85] En faisant une lecture de l’ensemble de ces règlements, j’en conclus que c’est le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (navires) (RSST-navires) qui s’appliquait aux opérations en cause devant être exécutées dans la nuit du 22 juin 2009.

[86] En effet, d’une part, l’alinéa 1.4c) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (RCSST) stipule que ce règlement ne s’applique pas à des « employés travaillant à bord de navires »; alors que, d’autre part, l’alinéa 1.3c) du RSST-navires stipule que ce règlement s’applique à l’égard « des employés travaillant au chargement et au déchargement d’un navire ».

[87] Or, dans la nuit du 22 juin 2009, la tâche de P. Chartrand et M. Dupuis ainsi que des signaleurs se trouvant à bord du navire et des autres travailleurs se trouvant au bord du quai était précisément d’effectuer le déchargement du « MSC Hailey ».

[88] Je me référerai ainsi au RSST-navires quant aux dispositions réglementaires qui s’appliquaient en l’instance à l’égard de l’alinéa 125(1)n) du Code.

[89] On retrouve sous l’alinéa 8.7a) de la partie VIII du RSST-navires les dispositions quant au système d’aération devant être fourni lorsqu’un employé est exposé à une substance dangereuse. Cet alinéa se lit comme suit :

8.7 Tout système d’aération utilisé pour contrôler la concentration d’une substance hasardeuse dans l’air doit être conçu, fabriqué et installé de manière que:

a) si la substance hasardeuse est un agent chimique, sa concentration n’excède pas les limites et les pourcentages prévus aux articles 8.22 et 8. 23; […]

[c’est moi qui souligne]

[90] L’alinéa 8.22(1)a) de la partie VIII du RSST-navires se lit de plus comme suit :

8.22(1) Aucun employé ne doit être exposé à:

a) une concentration d’un agent chimique dans l’air […] qui excède la valeur d’exposition à cet agent chimique retenue par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists et précisée dans sa publication intitulée Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices for 1986-1987;

[…] [c’est moi qui souligne]

[91] J’en comprends que lorsqu’un système d’aération est installé pour contrôler la concentration d’une substance dangereuse présente dans l’air d’un lieu de travail, ce système doit être conçu, fabriqué et installé de manière que les valeurs limites d’exposition établies par les normes de l’ACGIH à l’égard de cette substance ne soient pas dépassées.

[92] Or, aucun système d’aération n’était présent dans les cabines des grues en cause dans la nuit du 22 juin 2009.

[93] Sur la base de ce fait, je suis d’avis que l’ASS Briffaud a erré en indiquant dans son instruction que l’alinéa 125(1)n) du Code avait été enfreint dans la nuit du 22 juin 2009. En effet, sans la présence d’un système d’aération dans les cabines des grues en cause, les exigences réglementaires rattachées à cette disposition n’étaient pas vérifiables.

[94] Il existe deux autres obligations pour un employeur sous le Code quant au contrôle devant être fait à l’égard de substances dangereuses se trouvant dans un lieu de travail. Ces dispositions se retrouvent sous les alinéas 125.1a) et 125.1f) du Code. Ces alinéas se lisent comme suit :

125.1 Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124 et des obligations spécifiques prévues à l’article 125, mais sous réserve des exceptions qui peuvent être prévues, l’employeur est tenu en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève:

a) de veiller à ce que les concentrations des substances dangereuses se trouvant dans le lieu de travail soient contrôlées conformément aux normes réglementaires;

[…]

f) dans le cas où des employés peuvent être exposés à des substances dangereuses, d’enquêter sur cette exposition et d’apprécier celle-ci selon les modalités réglementaires […]

[c’est moi qui souligne]

[95] J’en comprends que lorsque des employés sont exposés à des substances dangereuses se trouvant dans un lieu de travail, celles-ci doivent être contrôlées conformément aux normes réglementaires et qu’une évaluation à l’égard de l’exposition des employés à ces substances doit être effectuée et appréciée selon les modalités exigées par les règlements.

[96] Sur la base des résultats de l’étude effectuée en 2002, Me Giroux soutient qu’aucune de ces dispositions du Code n’était enfreinte dans la nuit du 22 juin 2009.

[97] Pour comprendre les normes et modalités réglementaires rattachées aux alinéas 125.1a) et 125.1f) du Code, je me référerai, pour les mêmes motifs mentionnés plus haut, au RSST-navires.

[98] Les articles 8.3 et 8.4 de la partie VIII du RSST-navires se lisent comme suit :

8.3 (1) Lorsque la sécurité ou la santé d’un employé risque d’être compromise par l’exposition à une substance hasardeuse présente dans le lieu de travail, l’employeur doit sans délai:

  1. d’une part, nommer un chimiste de la marineFootnote 20 ou une autre personne qualifiéeFootnote 21 pour faire enquête;
  2. d’autre part, aviser le comité de sécurité et de santé ou le représentant en matière de sécurité et de santé, si l’un ou l’autre existe, qu’il y aura enquête et lui communiquer le nom du chimiste de la marine ou de toute autre personne qualifiée nommé pour faire enquête.

(2) Au cours de l’enquête visée au paragraphe (1), les facteurs suivants doivent être pris en considération:

  1. les propriétés chimiques, biologiques et physiques de la substance hasardeuse;
  2. les voies par lesquelles la substance hasardeuse pénètre dans le corps;
  3. les effets que produit l’exposition à la substance hasardeuse sur la santé;
  4. l’état, la concentration et la quantité de substance hasardeuse qui est manipulée;
  5. la manière de manipuler la substance hasardeuse;
  6. les méthodes de contrôle utilisées pour éliminer ou réduire l’exposition de l’employé à la substance hasardeuse;
  7. la valeur, le niveau ou le pourcentage de la substance hasardeuse auquel l’employé risque d’être exposé;
  8. la possibilité que la valeur, le niveau ou le pourcentage visé à l’alinéa g) :
    1. excède ceux prévus aux articles 8.22 ou 8.23 ou à la partie V,
    2. soit inférieur à ceux prévus à la partie IV.

8.4 Une fois qu’il a terminé l’enquête visée au paragraphe 8.3(1), le chimiste de la marine ou la personne qualifiée doit, après avoir consulté le comité de sécurité et de santé ou le représentant en matière de sécurité et de santé, si l’un ou l’autre existe, dresser un rapport écrit qu’il signe et dans le quel il inscrit:

  1. ses observations concernant les facteurs pris en considération conformément au paragraphe 8.3(2);
  2. ses recommandations quant à la façon de respecter les exigences des articles 8.6 à 8.25.

[c’est moi qui souligne]

[99] J’en comprends que lorsque des substances chimiques dangereuses sont présentes dans un lieu de travail et qu’elles sont susceptibles de causer des risques pour la sécurité et la santé d’un employé, tel que cela était précisément le fondement des refus exercés par P. Chartrand et M. Dupuis dans la nuit du 22 juin 2009, l’employeur doit veiller, sans délai, à ce qu’un chimiste de la marine ou une personne qualifiée effectue une enquête à l’égard de l’exposition des employés à ces substances et en apprécie celle-ci conformément aux exigences mentionnées plus haut et aux normes établies par l’ACGIH dans sa publication « Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices for 1986-1987 ».

[100] Je souligne toutefois que les connaissances à l’égard des effets adverses sur la santé d’un travailleur pouvant être exposé aux différentes substances dangereuses évaluées jusqu’à ce jour par l’ACGIH ont évolué depuis 1987 et que les normes établies par ces experts ont été modifiées pour tenir compte de ces changements. C’est pourquoi l’ACGIH a publié, au fil des ans, de nouvelles éditions de sa publication « Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices ».

[101] Pour ne donner qu’un exemple, le monoxyde de carbone avait, en 1986, une valeur limite à ne pas dépasser « TLV-TWA » de 50 ppm ainsi qu’une valeur limite à ne pas dépasser « TLV-STEL » de 400 ppm. Aujourd’hui, il n’existe plus de valeur « TLV-STEL » pour cette substance, alors que sa valeur « TLV-TWA » a été diminuée de moitié, passant de 50 à 25 ppmFootnote 22. Pour plus de clarté, je rappelle, tel que déjà indiqué, que l’abréviation « TLV-TWA » signifie « Threshold Limit Value - Time Weighted Average », soit la concentration moyenne pondérée ou devant tenir compte du temps de travail à laquelle presque tous les travailleurs peuvent être exposés, jour après jour, pour une journée normale de travail (8 heures par jour), une semaine normale de 5 jours (40 heures par semaine), sans que leur santé en subisse d’effet adverse; alors que l’abréviation « TLV-STEL » signifie « Threshold Limit Value – Short Term Exposure Limit », soit la concentration maximale à laquelle un travailleur peut être exposé de façon continue pour une période allant jusqu’à 15 minutes.

[102] Le RCSST a été modifié pour tenir compte de ces changements, ce qui n’a pas encore été fait dans le RSST-navires. En effet, l’alinéa 10.19(1)a) de la partie X du RCSST et l’alinéa 8.22 (1)a) du RSST-navires sous lesquels on retrouve les dispositions quant au contrôle devant être fait à l’égard de substances dangereuses présentes dans un lieu de travail se lisent comme suit :

RCSST

10.19 (1) Aucun employé ne doit être exposé à:

  1. une concentration d’un agent chimique dans l’air […] qui excède la valeur établie pour cet agent chimique par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists dans sa publication intitulée Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices, publiée en 1994-1995, compte tenu de ses modifications successives;

RSST-navires

8.22(1) Aucun employé ne doit être exposé à:

  1. une concentration d’un agent chimique dans l’air […] qui excède la valeur d’exposition à cet agent chimique retenue par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists et précisée dans sa publication intitulée Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices for 1986-1987;

[c’est moi qui souligne]

[103] Ces deux dispositions sont en tous points identiques à la différence près que le RCSST, dont la dernière mise-à-jour remonte à 2002, utilise la technique de rédaction par renvoi qui incorpore les modifications subséquentes d’un document de référence.

[104] Les deux dispositions étant identiques et poursuivant le même objectif, on peut facilement penser que le gouverneur en conseil profitera d’un prochain exercice de mise-à-jour du RSST-navires, dont la dernière modification remonte à 1995, pour procéder à son uniformisation avec le règlement général.

[105] Pour les fins de mon analyse pour apprécier l’étude menée en 2002, je choisirai donc d’appliquer les normes établies par les experts de l’ACGIH dans sa dernière publication « Threshold Limit Values and Biological Exposure Indices » publiée au moment des évènements en cause, soit celle publiée en 2008.

[106] Aux pages 18, 34, 43, 44 et 53 de cette publication, les valeurs limites d’exposition à ne jamais dépasser pour le monoxyde de carbone, le dioxyde de soufre, l’oxyde d’azote, le dioxyde d’azote et le sulfure d’hydrogène ainsi que les effets adverses pour lesquels ces valeurs ont été adoptées, les « TLV® BasisFootnote 23 », se lisent comme suit :

Substance Valeurs limites adoptées TLV® Basis
TWA STEL
Monoxyde de carbone 25 ppm CarboxyhémoglobinémieFootnote 24
Dioxyde de soufre (2 ppm)Footnote 26 (5 ppm) Irritation des voies respiratoires supérieures et inférieures
Oxyde d’azote 25 ppm HypoxieFootnote 26[…]; forme de la « nitrosylhemoglobin » dans le sang; irritation des voies respiratoires supérieures
Dioxyde d’azote 3 ppm 5 ppm Irritation des voies respiratoires supérieures et inférieures
Sulfure d’hydrogène (10 ppm) (15 ppm) ( )

[je traduis]

[107] Si l’ACGIH a établi ces normes pour ces substances, c’est, à mon sens, que le niveau d’exposition d’un travailleur pour chacune de celles-ci est mesurable.

[108] Selon le tableau indiqué plus haut, je note de plus que le dioxyde de soufre et le dioxyde d’azote ont des valeurs « STEL » à ne jamais dépasser peu élevées, soit 5 ppm.

[109] Selon les explications données à la page 4 de la publication de l’ACGIH, cette concentration maximale pour 15 minutes d’exposition à ces substances est applicable à condition: 1) de ne pas autoriser plus de quatre dépassements par jour de travail; 2) d’imposer un délai d’au moins 60 minutes entre ces périodes d’exposition; 3) de ne pas dépasser les valeurs « TLV-TWA » établies pour ces substances.

[110] J’ajoute que, selon les dispositions prévues à la page 84 de cette même publication, sous le paragraphe intitulé « Application of the Additive Mixture Formula », lorsque deux ou plusieurs substances ont des effets toxicologiques similaires sur le même organe ou système du corps humain, les experts de l’ACGIH ont établi une formule qui vient changer l’appréciation des niveaux de concentrations des substances prélevées dans l’air.

[111] Or, tel que le tableau présenté ci-haut ainsi que les documents soumis par S. Saucier le démontrent, le dioxyde de soufre (SO2) et le dioxyde d’azote (NO2) tout comme l’oxyde d’azote (NO) ont des effets similaires sur les voies respiratoires supérieures alors que les valeurs limites d’exposition pour ces deux substances sont peu élevées. De plus, le CO et le NO ont tous deux des effets sur l’hémoglobine diminuant sa capacité de fixer l’oxygène dans le sang.

[112] Selon la page 107 de la publication de l’ACGIH, les hydrocarbures polycycliques aromatiques (PAHS) ont également des valeurs adoptées pour des indices biologiques.

[113] En me basant sur la fiche signalétique produite par l’ASS Briffaud, les symptômes ressentis par les grutiers exposés aux fumées d’un navire depuis toutes ces années ainsi que les effets possibles sur la santé à l’égard de ces substances, j’en conclus que P. Chartrand et M. Dupuis étaient susceptibles, dans la nuit du 22 juin 2009, d’être exposés à l’ensemble des substances dangereuses présentées dans le tableau ci-haut en plus des hydrocarbures polycycliques aromatiques (PAHS) et autres hydrocarbures aromatiques.

[114] Or, la preuve est à l’effet que seuls des mesures pour le CO et un prélèvement pour les composés organiques volatils totaux (COVs) ont été prélevés lors de l’étude menée en 2002.

[115] Sur cette base et en me référant au paragraphe 8.3(2) du RSST-navires citée plus haut ainsi qu’au contenu du rapport de l’étude menée en 2002, je suis d’avis que cette étude aurait dû déterminer si, après 15 minutes d’exposition, les « STEL » établies par l’ACGIH pour le dioxyde de soufre ou le dioxyde d’azote étaient dépassées tout comme cette étude aurait dû tenir compte des effets toxicologiques similaires des substances dangereuses pouvant être présentes dans les fumées d’un navire et les apprécier tel que le prévoient les normes de l’ACGIH, ce qui n’a pas été fait.

[116] Je suis ainsi loin d’être convaincue que quelques mesures ponctuelles de CO et un prélèvement dans l’air pour les composés organiques volatils totaux (COVs) prélevés à l’intérieur d’une seule période d’une heure, sans considération de tous les facteurs à considérer décrits plus haut selon les experts de l’ACGIH, était représentatif de l’exposition des grutiers à l’ensemble des substances dangereuses rejetées par la cheminée du « MSC Hailey » dans la nuit du 22 juin 2009.

[117] La preuve présentée devant moi est plutôt que, dans la nuit du 22 juin 2009, aucune évaluation de la nature des substances dangereuses rejetées par la cheminée du « MSC Hailey » ni des niveaux d’exposition à ces substances pour les employés devant opérer les grues # 2 et # 3 n’a été effectuée.

[118] Compte tenu de cette preuve mais également des plaintes des grutiers depuis toutes ces années qui ont travaillé dans les mêmes circonstances que celles qui prévalaient dans la nuit du 22 juin 2009, je suis d’avis que ce sont les alinéas 125.1a) et 125.1f) du Code ainsi que les paragraphes 8.3(1) et 8.3(2) de la partie VIII du RSST-navires cités plus haut qui étaient enfreints au moment de l’enquête de l’ASS Briffaud, non l’alinéa 125(1)n) du Code.

[119] Lors de son témoignage, l’ASS Briffaud a de plus déclaré qu’il était d’avis que l’article 124 du Code avait été contrevenu dans la nuit du 22 juin 2009 parce que le changement de l’orientation du « MSC Hailey » n’avait pas été tenté ou qu’un autre type masque n’avait pas été offert aux employés ce qui ne respectaient pas, à son avis, la procédure élaborée par et adoptée par Termont pour parer à l’exposition des grutiers aux substances dangereuses rejetées par la cheminé d’un navire.

[120] L’article 124 du Code traite de l’obligation générale pour un employeur de voir à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés. Cet article se lit comme suit :

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[121] Selon le témoignage de J. Dubreuil, le changement de l’orientation du « MSC Hailey » était inapplicable à la section 68 du port de Montréal dû aux forts courants de l’eau à cet endroit du port. J. Dubreuil a de plus déclaré que, pour cette raison, si cette mesure avait été tentée, cela aurait pu avoir des répercussions sur la stabilité du navire causant un risque pour la sécurité des opérations en cours.

[122] Sur la base de cette preuve, je suis d’avis que l’ASS Briffaud a erré en donnant un avis de contravention à l’article 124 du Code pour le motif que le changement de l’orientation du « MSC Hailey » n’a pas été tenté.

[123] Je suis par contre d’avis que cette mesure de prévention n’aurait pas dû être inscrite dans la procédure rédigée par et adoptée par Termont.

[124] À mon sens, des mesures de prévention visant à parer à un risque pour la santé et la sécurité des employés ne peuvent pas être suggestives. Ces mesures doivent, au contraire, être précises et avoir été décidées après avoir, au préalable, recensé et évalué les risques connus ou prévisibles reliés aux opérations devant être exécutées visées par ces mesures en considération des particularités de chacun des lieux de travail où ces opérations sont effectuées et être basées sur des essais ou une expérience tangible ayant démontré leur efficacité.

[125] Or, non seulement le changement de l’orientation d’un navire amarré à la section 68 du port lors de l’exécution de leur chargement ou déchargement n’était pas envisageable dans ce lieu de travail car cela constituait un risque pour la sécurité des opérations mais également ni la réduction du régime des moteurs du « MSC Hailey » ni le repositionnement des grues en cause se sont avérés efficaces ou applicables pour éliminer ou contrôler adéquatement l’exposition des grutiers aux fumées rejetées par le « MSC Hailey » dans la nuit du 22 juin 2009.

[126] Quant au fait qu’aucun autre type de masque que le masque avec cartouches n’a été offert à P. Chartrand et M. Dupuis pour contrôler leur exposition aux fumées entrant dans leur cabine, le témoignage de C. Denis m’a convaincue que le masque avec cartouches diminuait le champ de vision sur les conteneurs en mouvement pour un grutier tout comme cela l’empêchait de communiquer, de façon audible, avec les personnes travaillant à environ 35 mètres plus bas dans les cales du navire ou sur le quai.

[127] La question est de savoir si un autre type de masque aurait dû être offert aux employés dans la nuit du 22 juin 2009.

[128] L’alinéa 125(1)l) du Code se lit comme suit :

125(1) […]

l) de fournir le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui il permet l’accès du lieu de travail; [c’est moi qui souligne]

[129] Pour les raisons déjà indiquées, je me référerai, en l’instance, au RSST-navires pour comprendre les exigences réglementaires reliées à cette disposition du Code.

[130] Les articles 10.1 et 10.2 de la partie X du RSST-navires quant aux dispositifs de protection devant être fournis aux employés se lit comme suit :

10.1 Toute personne à qui est permis l’accès au lieu de travail doit utiliser l’équipement de protection prévu par la présente partie lorsque:

  1. d’une part, il est en pratique impossible d’éliminer ou de restreindre à un niveau sécuritaire le risque que le lieu de travail présente pour la sécurité ou la santé;
  2. d’autre part, l’utilisation de l’équipement de protection peut empêcher les blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravité.

10.2 L’équipement de protection doit à la fois :

  1. être conçu pour protéger la personne contre le risque pour lequel il est fourni;
  2. ne pas présenter de risque en soi.

[c’est moi qui souligne]

[131] J’en conclus qu’un équipement de protection doit être fourni aux employés lorsqu’il est impossible d’éliminer ou de restreindre à un niveau sécuritaire le risque pour la sécurité ou la santé auquel un employé est exposé dans son lieu de travail ou lorsque cet équipement peut empêcher des blessures pouvant résulter de ce risque ou en diminuer la gravité. De plus, lorsqu’un équipement de protection est fourni, cet équipement ne doit pas présenter de risque en soi.

[132] Or, selon les conclusions du rapport soumis par S. Saucier concernant l’étude menée en 2002, l’exposition d’un grutier aux substances dangereuses rejetées par la cheminée d’un navire présentait un risque que ceux-ci ressentent des nausées voire des maux de tête, ce qui pouvait non seulement nuire à leur travail mais également augmenter, aux dires mêmes de l’auteur de cette étude, le risque d’accident lors des opérations. Le témoignage de C. Denis, un grutier d’expérience, appuie d’ailleurs cette affirmation.

[133] De plus, aucun moyen n’était fourni aux employés pour les aviser de la présence dans leur cabine de concentrations de ces substances à des niveaux susceptibles de nuire à leur santé.

[134] En outre, tel que cela a été proposé à P. Chartrand et M. Dupuis par les représentants de Termont le 22 juin 2009, la procédure rédigée par et adoptée par Termont suggérait d’offrir aux grutiers de travailler sur des périodes plus courtes que 4 heures en alternance avec d’autres employés sans qu’aucune évaluation n’ait été faite pour déterminer si, au cours de cette période, des nausées ou des maux de têtes pouvaient survenir à ces personnes alors qu’ils opéraient leur grue.

[135] Tel que l’a déclaré l’ASS Briffaud lors de son témoignage et puisqu’aucune évaluation n’avait été faite à l’égard de l’exposition des travailleurs aux substances dangereuses alors présentes dans leur cabine, il m’apparaît ainsi sensé que l’option d’offrir un autre type de masque aurait dû être examinée par les représentants de Termont dans la nuit du 22 juin 2009 et ce, en considération de la nécessité pour les grutiers de maintenir une bonne vision sur les conteneurs en mouvement ainsi qu’une bonne communication avec les personnes travaillant dans les cales du navire et sur le quai.

[136] Je suis par contre d’avis qu’en ne le faisant pas, cela était davantage contraire, pour les raisons indiquées plus haut, à l’alinéa 125(1)l) du Code ainsi qu’aux dispositions réglementaires du RSST-navires s’y rattachant citées plus haut qu’à l’article 124.

[137] J’ajoute que, compte tenu des exigences de ces dispositions ainsi que des plaintes des grutiers depuis toutes ces années, le choix d’un tel équipement de protection aurait dû être examiné bien avant le 22 juin 2009 et que le type d’équipement choisi aurait dû être précisé dans une procédure claire de prévention, sans toutefois oublier de considérer des moyens techniques de contrôle tels les systèmes d’aération qui sont aujourd’hui installés dans les cabines tout comme des systèmes automatiques d’avertissement ou de détection qui, je le souligne, sont prescrits sous l’article 8.8 de la partie VIII du RSST-navires.

[138] Puisque maintenant les 15 grues portiques utilisées au port de Montréal sont munies d’un système d’aération qui semble avoir réglé la situation et que la procédure rédigée par n’est plus utilisée, il m’apparaît toutefois inutile de modifier aujourd’hui l’instruction donnée le 22 juin 2009 par l’ASS Briffaud pour qu’elle reflète ce qui est dit plus haut.

[139] Je suggère par contre fortement aux employeurs maritimes du port de Montréal qui ont des grues portiques de voir à ce que les systèmes d’aération installés dans les cabines des grues leur appartenant soient vérifiés par une personne qualifiée pour s’assurer que ces systèmes rencontrent les exigences de l’alinéa 8.7a) de la partie VIII du RSST-navires.

[140] Je leur suggère de plus qu’à l’avenir, avant d’adopter une procédure visant la protection de la santé et de la sécurité des débardeurs à leur emploi, ils s’assurent que cette procédure respecte les dispositions prévues par le Code ainsi que les modalités réglementaires s’y rattachant.

[141] Je leur suggère en outre qu’avant de décider de mettre en œuvre des mesures de prévention touchant la santé et la sécurité des débardeurs, des essais aient été faits, au préalable, pour en vérifier leur efficacité.

[142] Quant à , je lui suggère de voir à ne plus élaborer de mesures de prévention sans veiller, au préalable, à ce que les risques connus ou prévisibles pour la santé et la sécurité des débardeurs à l’égard des opérations visées par ces mesures aient été recensés et évalués tout en tenant compte des particularités des différents lieux de travail où ces opérations sont exécutées et ce, dans le respect des dispositions du Code et de ses modalités réglementaires.

Décision

[143] Pour ces motifs, l’instruction de l’ASS Briffaud donnée le 22 juin 2009 sous le paragraphe 145(1) du Code est annulée.

Katia Néron
Agente d’appel

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