2013 TSSTC 16

Date : 2013-05-02

Dossier : 2010-35

Rendue à : Ottawa

Entre :

Service correctionnel du Canada, appelant

Et

Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN, intimé

Version caviardée

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité.

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Mme Caroline Engmann, avocate, Services juridiques du Secrétariat du Conseil du Trésor

Pour l’intimée : Mme Peggy E. Smith, avocate

Motifs de la décision

[1] Le présent appel a été déposé par le Service correctionnel du Canada en application du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (Code) et à l’encontre d’une instruction émise le 15 septembre 2010 par l’agent de santé et sécurité (l’agent de SST) Bob Tomlin, le tout conformément à l’alinéa 145(2)a) du Code. Cette instruction ordonnait à l’employeur de l’appelant de prendre des mesures pour écarter le risque ou corriger la situation qui, selon l’agent de SST, constituait un danger. On parle donc ici, selon l’expression consacrée, d’une [traduction] « instruction relative à un danger ». Ladite instruction a été émise par l’agent de SST Tomlin à l’issue de l’enquête qu’il a effectuée au sujet d’une plainte faite par une agente de Service correctionnel du Canada (Kerri Ludlow) en application du paragraphe 127.1 (1) du Code et relativement à certaines situations ayant cours à l’établissement à sécurité moyenne de Fenbrook.

[2] Le processus interne de règlement des plaintes prévu à l’article 127.1 du Code et appliqué dans le cas de la plainte déposée n’a pas donné de bons résultats selon l’AC Ludlow, qui avait ensuite demandé que l’affaire fasse l’objet d’une enquête qui serait effectuée par un agent de santé et sécurité. Le passage de l’instruction où est décrit la situation constituant un « danger », même s’il est passablement long, doit être cité au complet, car il fait état de façon assez exhaustive des conclusions de l’agent de SST en ce qui a trait aux circonstances factuelles ayant rendu nécessaire l’émission d’une [traduction] « instruction relative à un danger ». L’agent de SST Tomlin décrit comme suit la ou les situations constituant un danger pour une employée, l’AC Ludlow, en l’occurrence, lorsqu’elle est en fonction à l’Établissement de Fenbrook :

Les détenus peuvent sortir de leur chambre et de leur rangée dans au moins [texte caviardé] unités résidentielles sans se faire contrôler et on sait qu’ils sont actifs à toute heure. [Texte caviardé] agents qui effectuent les dénombrements et les patrouilles durant le quart du matin [texte caviardé]. La méthode utilisée pour effectuer les dénombrements et patrouilles lors du quart du matin exige que [texte caviardé]. De plus, un deuxième événement nécessitant une intervention d’urgence, telle qu’une alerte provenant d’une cellule, pourrait survenir après que l’on ait entrepris une première intervention. [Texte caviardé].
En outre, Service correctionnel Canada a constaté que le profil de la population de détenus avait changé, tel que mentionné dans un rapport interne de 2009 publié par le groupe de travail national sur les établissements à sécurité moyenne. On peut lire dans ce rapport que l’on retrouve au sein de cette population un nombre croissant de détenus ayant des antécédents criminels violents. En juin 2009, le Commissaire a fait une déposition devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, et a précisé que le profil des délinquants avait beaucoup changé et que cela posait de graves problèmes au Service. Il y a beaucoup plus de détenus ayant une cote modérée d’adaptation à l’établissement, de détenus affiliés à des gangs et de détenus admis en isolement à Fenbrook. Je comprends que cet établissement a été conçu pour accueillir des détenus ayant une bonne cote d’adaptation à l’établissement, en raison de son milieu ouvert et de son régime de sortie non contrôlée. Ajoutons à cela que le manque de lits est un problème qui s’aggrave dans la région, ce qui implique que la norme de la double occupation devrait continuer de se répandre.

[3] La conclusion de l’agent de SST était donc fondée sur deux principaux facteurs, à savoir les activités liées à la sécurité (dénombrements et patrouilles) dans un milieu où les sorties ne sont pas contrôlées durant le soi-disant quart du matin ou quart de minuit, et les changements dans le profil de la population de l’Établissement tels qu’ils découlent du caractère imprévisible du comportement des détenus. Compte tenu des multiples éléments recensés par l’agent de SST Tomlin et résumés plus haut en dans le corps de l’instruction, il a émis son [traduction] « instruction relative à un danger » en s’appuyant sur l’obligation générale conférée à l’employeur par l’article 124 du Code et parce qu’il jugeait, à l’évidence, que cette obligation n’avait pas été remplie. Chaque employeur visé par le Code doit veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

Contexte

[4] Les renseignements de base dont on doit disposer pour comprendre l’ensemble des circonstances liées à l’affaire en cause et des conclusions auxquelles est arrivé l’agent de SST Tomlin peuvent être tirés des témoignages faits par les nombreux témoins cités tant par l’appelant que l’intimé. Bien que j’aie tenu compte de l’information abondante fournie dans le cadre de ces témoignages, le rapport décrivant les affectations qui a été préparé par l’agent de SST Tomlin fournit une description complète grâce à laquelle le soussigné dispose maintenant des renseignements de base nécessaires et même si ces passages sont plutôt longs, je crois utile de les citer au complet ici. Pour l’essentiel, la plaignante, soit l’AC Ludlow, avait recensé les trois questions litigieuses suivantes, lesquelles, à son avis, ont une incidence négative sur la santé et la sécurité des employés à l’Établissement de Fenbrook :

  • Le profil des délinquants de l’Établissement de Fenbrook a considérablement changé et ne convient plus du tout à l’aménagement de cet établissement;
  • Durant le quart du matin, qui débute [texte caviardé];
  • [Texte caviardé].

Voici ce que l’employeur appelant a dit essentiellement au sujet de ces questions litigieuses :

  • l’Établissement de Fenbrook déploie des employés en conformité avec les Normes nationales de déploiement des agents de correction;
  • Les données statistiques en ce qui a trait au profil des détenus de l’Établissement démontrent que celui-ci n’a pas beaucoup changé et que cette question n’a donc pas d’incidence sur la sécurité des employés ou des détenus;
  • Les détenus peuvent être contraints de se conformer à divers niveaux de mobilité au niveau des cellules et des rangées dans chaque unité selon l’aménagement de leur propre cellule, et tous les détenus peuvent être confinés à leur unité.

[5] L’agent de SST Tomlin fonde ses conclusions sur les éléments catégorisés qui sont énumérés ci-après. Ces éléments sont repris, pour l’essentiel, dans la preuve présentée au soussigné par les parties à l’appel, ainsi que dans le rapport du comité de la santé et la sécurité se rapportant à l’enquête sur la plainte déposée par l’AC Ludlow en application de l’article 127 du Code. En ce qui a trait au premier élément, soit les changements dans le profil des délinquants, l’agent de SST a retenu les renseignements énoncés ci-après. Ayant ouvert ses portes en 1998, Fenbrook est un établissement à sécurité moyenne conçu pour accueillir les détenus qui démontrent ou ont démontré qu’ils avaient la capacité de vivre dans un milieu à peu près complètement ouvert ou à sortie non contrôlée, et qui sont donc prêts à combler les attentes correspondantes en matière de comportement. Il comprend [texte caviardé] unités d’habitation ou résidentielles comportant [texte caviardé] rangées, y compris [texte caviardé] rangées pour les personnes invalides [texte caviardé] cellules d’isolement. [texte caviardé] unités sont faites [texte caviardé] et sont de style typiquement résidentiel; on les qualifie d’unités [traduction][texte caviardé] est désignée comme l’unité sécurisée de l’Établissement étant donné que les détenus peuvent y être confinés à leur rangée ou leur unité. Tel qu’on le verra plus loin et que l’a noté l’agent de SST, une intervention d’urgence, en particulier une intervention d’urgence en cas d’incendie, n’est pas effectuée de la même façon dans l’unité sécurisée. À l’époque de l’enquête de l’agent de SST, Fenbrook hébergeait environ 422 détenus. Fenbrook a ouvert ses portes en 1998 et est située à Gravenhurst, en Ontario. À cause de son emplacement isolé, les employés habitent généralement à une certaine distance de l’établissement. Certaines preuves révèlent que ces distances peuvent varier [texte caviardé], un fait que l’agent de SST Tomlin semble avoir pris en considération dans une certaine mesure lorsqu’il a évalué la capacité de faire venir d’autres employés quand il y a une situation d’urgence et qu’il faut rappeler des employés au travail.

[6] Lorsque Fenbrook a ouvert ses portes, on s’entendait généralement pour dire que cet établissement accueillerait des délinquants démontrant la capacité de vivre dans un milieu ouvert et qu’il accepterait donc les délinquants présentant un risque moyen pour la sécurité et ayant « une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible », ce qui implique que leur casier judiciaire révèlerait peu ou pas de démêlés avec le système de justice pénale, qu’ils auraient commis des infractions ayant causé peu ou pas de tort à la société en général et à leurs victimes en particulier, et qu’ils n’auraient commis aucune infraction de nature sexuelle, ou que des infractions bénignes de ce genre. Ces modalités sont énoncées comme suit dans le profil de la population de détenus de Fenbrook :

Délinquants présentant un risque moyen pour la sécurité, ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible, présentant un risque d’évasion modéré ainsi qu’un risque modéré pour la sécurité du public. On estime qu’il est nécessaire d’insister sur la cote d’adaptation à l’établissement de risque faible en raison du milieu ouvert de l’Établissement et du fait que les détenus devront être relativement capables de s’autogérer en ce qui concerne leur emploi du temps, leurs tâches ménagères et leurs finances. On juge aussi que les détenus ayant une très mauvaise cote en ce qui concerne la sécurité du public présentent un risque non gérable tant pour les employés que les autres détenus étant donné que le milieu est relativement dépourvu de structure.

Si l’on se fie à la directive CD 710-6 du Commissaire (Réévaluation de la cote de sécurité des détenus), les cotes d’adaptation à l’établissement de risque faible impliquent que le délinquant a manifesté :

  1. a) un schème d’adaptation satisfaisante à l’établissement; aucune intervention particulière n’est requise pour gérer le cas
  2. b) la capacité d’interagir de manière efficace et responsable avec les autres, individuellement et en groupe, avec peu ou pas de surveillance, et la motivation pour avoir de telles interactions
  3. c) la motivation pour s’améliorer en participant activement à l’exécution du Plan correctionnel conçu pour agir sur ses facteurs dynamiques, et notamment sur ceux dont l’amélioration facilitera sa réinsertion sociale.

[7] Quoi qu’il en soit, selon l’agent de SST Tomlin, on semblait s’entendre à l’époque de l’enquête du comité, soit durant la période allant de 2008 à 2010, qu’il y avait eu une augmentation documentée du nombre de détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré, ce nombre étant passé de 66 en septembre 2008 à 140 en juillet 2010. Une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré est attribuée à tout délinquant ayant manifesté :

  1. a) certaines difficultés qui lui ont causé des problèmes modérés d’adaptation à l’établissement et ont nécessité un certain degré d’intervention pour gérer le cas
  2. b) la capacité d’interagir de manière efficace avec les autres, individuellement et en groupes assez structurés, mais sous surveillance régulière et souvent directe
  3. c) la volonté de participer activement à l’exécution du Plan correctionnel conçu pour agir sur ses facteurs dynamiques, et notamment sur ceux dont l’amélioration mènerait à un transfèrement dans un milieu moins structuré et, finalement, à sa réinsertion dans la société

[8] De plus, l’agent de SST Tomlin note qu’en comparaison, à l’époque de son enquête, il y avait environ [texte caviardé] détenus affiliés à des gangs à Fenbrook alors que dans deux autres établissements à sécurité moyenne (Warkworth et Joyceville) [texte caviardé], il y avait, respectivement, [texte caviardé] détenus de ce type. Les membres de la direction, en revanche, ont soumis à l’agent de SST de l’information statistique révélant qu’il y avait eu des changements minimes dans le profil des délinquants en ce qui concerne leur âge, la durée de leur peine, leur faible potentiel de réinsertion et les cas à haut risque, même si entre juin 2007 et août 2009, le nombre d’admissions dans des unités d’isolement avait sensiblement augmenté, [texte caviardé]. En ce qui a trait à la question des changements dans le profil des délinquants, l’agent de SST Tomlin semble avoir adhéré dans une forte mesure aux conclusions énoncées non seulement dans la déclaration faite en 2009 par le Commissaire de SCC au Comité permanent de la sécurité publique et nationale et qui voulait que [traduction] « durant la dernière décennie, en raison de plusieurs facteurs, le profil de la population de détenus de Fenbrook a beaucoup changé et cette réalité pose de graves problèmes au Service correctionnel », mais aussi dans le rapport de 2009 du Groupe de travail conjoint SACC-SCC (soit le rapport du Groupe national de travail sur les établissements à sécurité moyenne), dans lequel on peut lire ce qui suit : [traduction] « (...) ces dernières années, on retrouve au sein de la population carcérale de plus en plus de délinquants qui ont de lourds antécédents en matière de violence et de crimes violents, qui ont été reconnus coupables d’infractions dans leur jeunesse ou à l’âge adulte, qui sont affiliés à des gangs ou au crime organisé, qui souffrent depuis longtemps de graves problèmes de toxicomanie ou qui ont d’importants troubles de santé mentale. »

[9] De plus, l’agent de SST fait aussi mention du rapport publié en octobre 2007 par le comité d’examen du Service correctionnel du Canada dans lequel on peut lire que l’évolution du profil des délinquants implique que le SCC [traduction] « doit maintenant composer avec une population de délinquants plus violente pour laquelle il faudra faire plus d’interventions ou, peut-être, des interventions de types différents, qui devront être effectuées dans un délai encore plus court que par le passé. » Le rapport d’enquête de l’agent de SST permet de déduire que ces documents sont de nature générale et qu’ils ne concernent pas expressément ou exclusivement l’Établissement de Fenbrook.

[10] Le deuxième élément pris en considération par l’agent de SST pour en arriver à la conclusion que l’on sait concernait une intervention d’urgence. L’agent de SST Tomlin note [texte caviardé] et que les détenus logeant dans ces unités peuvent utiliser un téléphone dans l’aire de la cuisine pour joindre un agent correctionnel (AC) s’ils ont besoin d’aide. De plus, [texte caviardé], les détenus peuvent sortir sans se faire contrôler au niveau des rangées et des cellules afin d’évacuer les lieux. [Texte caviardé]. À cet égard, l’agent de SST Tomlin note que [texte caviardé] qui finissent habituellement par être affectés à un poste dont le titulaire est en congé et qui ne sont donc pas réellement des employés supplémentaires mobilisés pour gérer des urgences.

[11] En ce qui concerne la situation précise de l’Établissement de Fenbrook, l’agent de SST Tomlin en est arrivé à la conclusion que l’on n’avait pas envisagé, dans un document de la Direction générale de la sécurité de Service correctionnel publié en août 2008, de mobiliser des agents de sécurité pour le quart du matin afin de réaliser une intervention relative à un incendie dans un tel établissement à sortie non contrôlée et [texte caviardé], et que même s’il était indiqué dans ce document qu’il fallait réagir dans les 120 secondes suivant le déclenchement d’une alarme, il appert qu’à Fenbrook, cet objectif ne pourrait pas être atteint si une deuxième situation d’urgence survenait.

[12] [Texte caviardé]. Cette norme a été adoptée en avril 2009 en consultation avec le Comité national des politiques, des comités locaux et les syndicats concernés, même si à l’époque de l’enquête de l’agent de SST Tomlin, il y avait apparemment plusieurs questions au sujet desquelles on ne s’était pas entendus. Quoi qu’il en soit, l’agent de SST Tomlin avait cru comprendre qu’en raison de l’approche générale liée à la NND, chaque établissement pourrait demander qu’une évaluation de la sécurité soit effectuée afin de s’assurer que son effectif d’AC répondait aux exigences établies. [Texte caviardé]. Il est indiqué dans le rapport de l’agent de SST que la liste d’appel pour le quart du matin à Fenbrook fait mention de [texte caviardé] postes, y compris [texte caviardé] et [texte caviardé] agents de relève; par conséquent, si tout le monde se présente au travail, il y aurait [texte caviardé] employés pour faire fonctionner l’Établissement durant le quart du matin.

[13] L’agent de SST mentionne toutefois que toutes les parties ont reconnu que les agents de relève sont habituellement mobilisés pour remplacer des employés et qu’ils ne peuvent donc pas agir à titre d’employés supplémentaires. Bien que les détenus peuvent sortir de leur cellule et, dans au moins [texte caviardé], de leur rangée [texte caviardé]. Durant le quart du matin à l’Établissement de Fenbrook, la méthode utilisée pour les patrouilles de sécurité est [texte caviardé].

[14] L’agent de SST Tomlin relève également les renseignements généraux suivants :

  • les membres de la direction à Fenbrook ont mentionné que les employés sont très compétents quand vient le moment d’appliquer le principe de la sécurité dynamique et que cela avait eu pour effet de réduire le nombre d’incidents liés à des comportements agressifs de la part de détenus;
  • on s’attend à ce que les détenus restent dans leur chambre durant le quart du matin/quart de minuit. Cela dit, ils sont libres de sortir de leur chambre et de leur rangée à tout moment. Des agents correctionnels ont indiqué que des détenus sont actifs à toute heure;
  • [texte caviardé];
  • les pressions liées au manque de lits augmentent dans toute la région de l’Ontario, ce qui a mené à l’adoption du régime de la double occupation à Fenbrook, et rien ne s’arrange à cet égard.

[15] Compte tenu de tout ce qui précède, la conclusion de l’agent de SST Tomlin comporte deux volets. Premièrement, en ce qui a trait à la question des changements dans le profil des délinquants et de l’agressivité accrue des détenus, il en est arrivé à la conclusion que le principal risque observé à l’Établissement est celui lié aux comportements imprévisibles des détenus et que ce risque a augmenté en raison de l’évolution du profil des délinquants; de plus, on n’a pas tenu compte des situations associées au quart du matin dans l’évaluation du risque pour la sécurité. Cela a amené l’agent de SST à conclure que SCC n’avait pas démontré qu’il avait tenu compte de l’efficacité de son programme de prévention des risques pour ledit quart du matin. Deuxièmement, l’agent de SST Tomlin en est arrivé à la conclusion que l’incapacité de l’équipe du quart du matin à réagir à temps à une deuxième situation d’urgence, [texte caviardé] et les contraintes qui sont censées persister en ce qui concerne la disponibilité de lits, sont autant de facteurs constituant des dangers aux termes du Code.

[16] Le soussigné a ordonné à l’agent de SST Tomlin de témoigner à l’audience et ce dernier s’est aussi fait contre-interroger par l’avocate des deux parties. De façon générale, son témoignage était en accord avec ce qui est indiqué dans son rapport d’enquête. Mais il ajoute que les statistiques de l’Établissement démontrent qu’il y a eu moins d’incidents ces dernières années, et qu’il en avait fait peu de cas étant donné qu’à son avis, ces statistiques tendent à fluctuer d’une année à l’autre. De plus, même s’il connaît les outils mis à la disposition des AC (matraque, vaporisateur, équipement de protection personnelle [EPP], etc.), sans compter que ces employés reçoivent aussi de la formation, il considère que ces outils permettent de réagir à une agression, alors qu’il estime pour sa part qu’il faut surtout penser en termes de prévention.

[17] [Texte caviardé]. Il note à nouveau que l’Établissement de Fenbrook se distingue par le fait que les détenus qui y résident ne peuvent être confinés à leur cellule ou chambre et que les détenus faisant partie de la population active peuvent être éveillés et circuler à tout moment, une caractéristique qui a pesé lourd dans l’établissement de ses conclusions.

Question(s) en litige

[18] Tel que mentionné plus haut, l’instruction émise par l’agent de SST Tomlin était fondée sur sa conclusion voulant que les circonstances factuelles de l’affaire en cause, lesquelles, doit-on rappeler, correspondent aux circonstances concernant exclusivement le quart du matin (aussi appelé le quart de minuit) à l’Établissement de Fenbrook bien qu’un système de trois quarts (jour, soir et nuit) y soit en vigueur, démontrent que l’appelant ne s’est pas acquitté de l’obligation générale conférée aux employeurs par l’article 124 du Code et qu’il a donc créé un danger pour les employés affectés à ce quart.

[19] Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir si, en date de la plainte de l’AC Ludlow et de l’enquête et de l’instruction de l’agent de SST Tomlin, les circonstances factuelles justifiaient un constat de danger de manière telle qu’une instruction aurait pu être émise en application du paragraphe 145(2) du Code. Afin de rendre une décision à ce sujet, j’ai pris en considération la preuve présentée par les deux parties sous forme de témoignages et de pièces, dont je rappellerai brièvement le contenu aux fins de l’examen des observations de chacune des parties.

Observations des parties

A) Observations de l’appelant

[20] L’appelant fonde ses observations sur les nombreux documents reçus à titre de pièces ainsi que sur le témoignage de six personnes, soit le directeur du déploiement des normes et de l’établissement des horaires et le directeur du programme de sécurité-incendie deux postes de l’Administration centrale de SCC, et le directeur, le directeur adjoint (services de gestion), le gestionnaire des opérations correctionnelles et un gestionnaire correctionnel de Fenbrook. Tout cela a été pris en considération aux fins de la formulation de la présente décision et a permis d’obtenir une foule de détails sur la structure et le fonctionnement de l’Établissement et sur les principales aires de sécurité tels que les postes de commande et de sécurité et le secteur en forme de fer à cheval, la composition de sa population et les interactions avec les employés correctionnels, et le déploiement d’employés pour divers quarts et fonctions, y compris, en particulier, les dénombrements et patrouilles, les interventions d’urgence et les rajustements opérationnels, les mesures prises en réaction à des incidents et l’application du principe de la sécurité dynamique.

[21] L’affectation ou la répartition des employés requis pour faire fonctionner un établissement correctionnel et un quart de travail se fonde sur l’application de normes qui ont une portée nationale (afin d’assurer leur cohérence) et qui sont destinées à s’appliquer de façon générale tout en demeurant modifiables selon les particularités de chaque établissement. Ces normes, soit les Normes nationales de déploiement des agents de correction, et les niveaux de déploiement par établissement établis en conformité avec celles-ci, résultent de l’application d’une méthodologie ayant permis de recenser les normes utilisées dans chaque établissement afin d’établir un modèle théorique qui a ensuite été mis à l’essai à l’échelle locale. Des rajustements ont ensuite été faits, toujours à l’échelle locale, afin de tenir compte de la situation propre à chaque établissement. Il existe donc maintenant une norme de déploiement générique pour les établissements à sécurité moyenne ainsi qu’une norme ayant été rajustée pour Fenbrook selon les caractéristiques de cet établissement, dont, en particulier, le régime de sortie non contrôlée des [texte caviardé] unités de responsabilité.

[22] Selon un témoin, M. Velichka, qui est directeur des normes de déploiement et qui a dirigé le groupe de travail à qui l’on doit les normes nationales visant à assurer la cohérence qui faisait auparavant défaut au niveau local, les [texte caviardé] employés du quart du matin à Fenbrook ne répondent pas, à plusieurs égards, à la NND et cela est imputable à la prise en considération des particularités de cet établissement, dans la mesure où le taux de mobilité des détenus y est plus élevé ([texte caviardé] unités et régime de sortie non contrôlée dans les rangées lors du quart de minuit) que dans les autres établissements à sécurité moyenne. Il est intéressant de noter qu’aux termes de la NND, dans les établissements où les détenus peuvent circuler seulement [texte caviardé], alors que dans les établissements où les détenus peuvent aussi circuler [texte caviardé].

[23] En ce qui concerne la capacité d’intervention d’urgence, il semblerait que la norme générale à SCC a toujours été de pouvoir compter sur assez d’employés pour gérer un incident [texte caviardé]. Selon le témoin Velichka, le déploiement d’employés pour le quart du matin à Fenbrook répond à cette norme et assure donc une capacité d’intervention suffisante avec ou sans la mobilisation éventuelle d’agents d’autres unités, grâce à la présence d’agents multifonctionnels sur lesquels Fenbrook peut compter en raison du degré de mobilité de ses détenus. Même si l’agent de SST Tomlin en est peut-être arrivé à la conclusion que le profil des détenus avait changé à Fenbrook, il appert que cela n’a pas été un facteur ayant mené à l’application des normes de déploiement propres à cet établissement, puisqu’il existe une marge de manœuvre pour des rajustements au niveau local. Lorsque cette norme a été établie, il semblerait que dans le cas de l’Établissement de Fenbrook, on ait tenu compte des caractéristiques générales d’un établissement à sécurité moyenne de sorte qu’un effectif normal a été affecté à Fenbrook, qui a aussi pu profiter de ressources supplémentaires en raison de sa structure particulière même si cet établissement a été conçu pour héberger une population moins difficile à gérer.

[24] En ce qui a trait à la capacité d’intervention d’urgence, des preuves ont été déposées relativement aux interventions d’urgence en cas d’incendie à Fenbrook. Tel qu’exigé, l’Établissement a un plan de sécurité-incendie complet qui a été établi en application des modalités du Manuel de sécurité-incendie de SCC et qui répond aux exigences découlant de son Programme de sécurité-incendie, lesquelles ont été élaborées en conformité avec la Directive 345 du commissaire ainsi que le Code national de prévention des incendies et le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. Cela étant dit, il appert, de façon générale, qu’aucun incendie n’a été signalé à Fenbrook avant 2005 et, en particulier, qu’aucun incendie n’a été signalé à ce jour durant le quart du matin, et que la plupart et peut-être même la totalité des incendies qui sont survenus étaient accidentels et avaient été déclenchés dans les unités d’isolement. Lorsqu’ils entrent en fonction à SCC, les AC reçoivent une formation en gestion des incendies, plus particulièrement en ce qui concerne la sécurité-incendie de base, la suppression des incendies, les procédures d’urgence en cas d’incendie et l’utilisation d’appareils de protection respiratoire autonomes (APRA). On offre aussi à Fenbrook une formation en orientation dans le milieu, du recyclage annuel et continu, des exercices d’évacuation en cas d’incendie et des activités spéciales telles que la semaine de prévention des incendies. En raison du caractère particulier de Fenbrook, [texte caviardé], le plan de sécurité-incendie prévoit une utilisation limitée d’APRA par les AC et l’évacuation des unités voire l’évacuation complète de l’immeuble en cas d’incendie.

[25] Le témoin Randy Gaw, directeur des programmes de sécurité-incendie à l’Administration centrale de SCC, a indiqué que les AC ne reçoivent pas de formation complète de pompier, ni ne sont initiés à la lutte contre les incendies structurels. En ce qui a trait à la situation de l’Établissement de Fenbrook, M. Gaw a précisé qu’il ne la connaissait pas vraiment et qu’il pouvait seulement parler des interventions en cas d’incendie à l’Établissement de façon générale, bien qu’il estime, globalement, que le plan de sécurité-incendie de Fenbrook est conforme aux objectifs de base d’un bon plan du genre et qu’il semble y avoir suffisamment d’employés affectés à ces interventions dans cet établissement. Le plan de sécurité-incendie de l’établissement à sécurité moyenne de Fenbrook (ESMF) prévoit que durant les périodes de dotation minimum en personnel, si un incendie se déclare dans l’Établissement, on peut mobiliser des ressources supplémentaires en appliquant [texte caviardé].

[26] Cela dit, la preuve a révélé des positions ouvertement contradictoires en ce qui a trait à la capacité d’effectuer une évacuation sécuritaire en cas d’incendie dans l’unité [texte caviardé] durant le quart du matin. À la suite d’un exercice d’évacuation complète de l’unité [texte caviardé] effectué durant l’heure du lunch avec le concours d’un effectif de [texte caviardé] employés (celui du quart du matin ayant été porté à [texte caviardé]), mais après avoir simulé un tel exercice durant le quart du matin et en avoir informé d’avance les détenus et les employés, le chef des pompiers de l’établissement, L. Duern, qui n’a pas témoigné à la présente audience, a déclaré dans une note de service qu’il estimait que les employés du quart du matin pourraient [traduction] « procéder à une évacuation d’urgence et maintenir la sécurité dans l’Établissement [texte caviardé] », et ce, bien que J. L. Chamaillard, un instructeur en sécurité-incendie et en intervention d’urgence à Fenbrook (qui n’était pas présent durant la simulation) ait déclaré lors de son témoignage qu’un effectif de [texte caviardé] agents [texte caviardé] et qu’on avait eu besoin de [texte caviardé] agents pour réaliser une telle évacuation de manière sécuritaire.

[27] La plainte déposée par l’AC Ludlow et l’enquête subséquente effectuée par l’agent de SST Tomlin ainsi que le présent appel sont tous liés, pour l’essentiel, à la question de l’évolution de la population de détenus de l’Établissement de Fenbrook, qui avait été conçu pour accueillir des détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible dans des unités à sortie non contrôlée. Le directeur Tempest reconnaît d’emblée que ces dernières années, il y a eu des changements dans le profil de la population de détenus de Fenbrook. La preuve de l’appelant le confirme elle aussi de façon générale et est en accord avec celle de l’intimé.

[28] Lorsque Fenbrook a ouvert ses portes en 1998, le modèle de responsabilité qui avait été prévu pour cet établissement et pour une population de détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible, était fondé sur le principe selon lequel les détenus allaient être en mesure de fonctionner quotidiennement dans un milieu à circulation libre dépourvu de barrières, et qu’ils allaient donc devoir se montrer prêts à respecter les règles. Les détenus pourraient aller à l’épicerie, faire cuire leurs propres aliments et accomplir une série de tâches courantes afin de fonctionner le plus possible comme s’ils étaient dans la collectivité, l’objectif final étant d’atteindre l’étape de la réinsertion. Cela ne signifiait pas qu’il n’y aurait pas d’employés correctionnels ou que l’on n’appliquerait aucune mesure de sécurité, mais qu’il y aurait moins d’interventions à effectuer auprès de ces détenus motivés et bien disposés qui allaient participer à divers programmes.

[29] Au début, on souhaitait emmener à Fenbrook des détenus qui allaient favoriser l’établissement d’une culture de base positive qui permettrait de fixer les normes qui s’appliqueraient aux détenus qui arriveraient par la suite. Selon le directeur Tempest, le maintien de cette culture passe toujours par la sélection de détenus obéissants et motivés. Toutefois, ce qui a changé à cause de cette culture établie, c’est la capacité de l’Établissement à accueillir d’autres détenus n’ayant qu’une cote modérée d’adaptation à l’établissement et qui pourraient éventuellement démontrer qu’ils se sont bien adaptés à leur milieu carcéral. C’est donc dans cette optique que le directeur note qu’il est d’accord avec l’agent de SST Tomlin lorsque celui-ci affirme que le profil des délinquants a quelque peu changé à Fenbrook, et que l’admission d’un plus grand nombre de détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré oblige les employés à intervenir plus souvent (counseling, motivation, gestion de cas, isolement). Cependant, le directeur Tempest estime que ce changement est de nature administrative plutôt que correctionnelle, et qu’il n’a donc pas eu d’effets détectables sauf, encore une fois, sur le plan administratif, et qu’il n’a pas influencé négativement la culture d’obéissance de l’Établissement.

[30] Le directeur appuie ses dires en citant des statistiques institutionnelles provenant du Système de gestion des délinquants. Pour ce qui est des transferts dans un établissement de niveau inférieur, supérieur ou égal en ce qui concerne la sécurité, il appert que parmi les cinq établissements à sécurité moyenne de l’Ontario, Fenbrook est celui où le plus grand nombre de détenus ont été transférés dans des établissements de niveau inférieur (sécurité minimum) durant les cinq dernières années, alors qu’il a enregistré durant la même période le nombre le moins élevé de transferts dans des établissements de niveau supérieur. En ce qui concerne le nombre d’incidents enregistrés touchant à la sécurité, il a atteint [texte caviardé] durant une période de neuf ans à Fenbrook pour ce qui est du quart de minuit/quart du matin. Les incidents ayant eu le plus de répercussions sur la sécurité des employés sont les agressions contre des employés ou des détenus; or [texte caviardé] agression contre des employés et [texte caviardé] contre des détenus ont été signalées durant la même période pour le même quart. Comparativement, pour la même période de neuf ans, le nombre total d’incidents de sécurité enregistrés pour le cycle de 24 heures est de 2620, et seulement [texte caviardé] de ces incidents sont survenus durant ledit quart du matin. Comme Fenbrook est l’établissement accueillant le plus grand nombre de détenus transférés dans des établissements à sécurité minimum au pays et le plus faible ou deuxième plus faible nombre de détenus provenant d’établissements à sécurité maximum, cela confirme que Fenbrook héberge plus de détenus ayant une bonne cote d’adaptation à l’établissement et présentant un faible risque d’évasion et un faible risque pour la sécurité du public.

[31] La description de tâches d’un agent correctionnel de niveau 1 (CX- 01) a aussi été admise en preuve. On y trouve une longue énumération des risques auxquels un AC pourrait être confronté et dont l’existence a été confirmée par l’AC Ludlow. Même si elle fait partie du dossier, la liste partielle suivante a néanmoins été citée par l’avocate de l’appelant :

  • prévention active et interventions relatives aux disputes entre détenus, employés ou membres du public, qui peuvent mettre à contribution des tactiques visant à intimider des employés;
  • rapports directs et quotidiens avec des détenus parfois agités, qui peuvent avoir des comportements imprévisibles ou refuser de coopérer, ou qui peuvent tenter de recourir à l’intimidation ou la violence;
  • des menaces peuvent être faites contre le titulaire, sa famille, d’autres employés, des détenus ou des visiteurs.

[32] Même si cette liste fait le survol d’autres types de risques inhérents au travail et qui ont paru plus graves au soussigné, ceux qui ont été cités plus haut l’ont été dans le but manifeste de préciser les compétences et les connaissances que doivent posséder les AC pour accomplir leurs tâches. La description de tâches prévoit donc que l’AC doit :

  • connaître les pratiques d’évaluation et de gestion des menaces pour la sécurité, y compris l’utilisation d’équipement servant à assurer la sécurité du public, des employés et des détenus;
  • connaître la population de détenus et ses valeurs et codes ainsi que sa dynamique de groupe afin d’être en mesure de détecter les activités inhabituelles ou suspectes, de reconnaître la mentalité de gang, la sous-culture des détenus, la diversité culturelle, les problèmes de santé mentale et les comportements criminels;
  • avoir les compétences pour détecter les risques et gérer activement des situations en recourant aux techniques d’intervention les plus sécuritaires et les plus raisonnables pour régler ces situations en conformité avec les politiques et lois applicables, y compris le modèle de gestion de crise et le modèle de gestion de situations;
  • avoir les compétences pour utiliser les techniques d’intervention les plus sécuritaires et les plus raisonnables en conformité avec le modèle approuvé de gestion de crise afin d’immobiliser et de maîtriser les détenus qui agissent de manière violente et menaçante.

[33] De nombreux témoins ont affirmé que de la formation relative à tout ce qui précède était offerte et suivie, y compris des séances annuelles de recyclage d’un jour sur la sécurité personnelle. Cette formation est prodiguée à 95,68 % des agents de Fenbrook et elle porte principalement sur l’autodéfense, les tactiques défensives, les techniques générales d’arrestation et les techniques de maîtrise et d’immobilisation, qui sont toutes essentielles pour exécuter les tâches liées au maintien de la sécurité (patrouilles et dénombrements) durant l’ensemble des quarts.

[34] Compte tenu de tout ce qui précède, l’avocate de l’appelant a établi une argumentation élaborée afin d’étayer la position de l’employeur appelant, et elle a abondamment cité le droit et la jurisprudence, tout cela ayant été pris en considération par le soussigné. Cette argumentation est plus ou moins résumée dans les lignes qui suivent.

[35] Dans la mesure où le présent appel peut avoir pour effet de remettre en question la NDD mise en œuvre par l’employeur en 2009, l’appelant estime que la présente affaire ne saurait être jugée adéquatement par un agent de santé et sécurité ni par un agent d’appel, compte tenu des dispositions du Code. Si l’on s’en fie à l’appelant, le déploiement d’employés dans une entreprise demeure un droit exclusif dont l’exercice relève des membres de la direction, et un appel déposé aux termes du Code ou une enquête effectuée par un agent de SST ne doivent pas viser à remettre en question la politique de l’employeur. Lesdites normes de déploiement ont été mises en œuvre afin d’effectuer le déploiement efficace d’AC à chaque niveau de sécurité et dans chaque type d’établissement afin d’uniformiser les niveaux de sécurité tout en assurant des interactions et des interventions efficaces auprès des détenus en ce qui a trait à la sécurité dynamique.

[36] Les normes prévoient de façon uniforme des niveaux de dotation en personnel minimaux généraux sous réserve de rajustements mineurs pouvant devoir être effectués afin de tenir compte de particularités locales, et à condition que le niveau rajusté n’empêche pas la réalisation des éléments essentiels des tâches liées au maintien de la sécurité. Dans le cas de Fenbrook, SCC a rajusté le niveau de déploiement standard pour le quart du matin/quart de minuit afin de tenir compte de son milieu unique (unités à sortie non contrôlée), et affecté [texte caviardé] AC aux [texte caviardé] unités à sortie non contrôlée et [texte caviardé] AC aux unités sécurisées pour le quart du matin. L’appelant rejette donc la position exprimée par l’intimé et par l’agent de SST Tomlin, à savoir qu’un tel niveau de dotation pour ce quart est insuffisant à Fenbrook si l’on veut pouvoir accomplir de manière sécuritaire des tâches courantes tels que les dénombrements et les patrouilles, et gérer plus qu’une situation d’urgence.

[37] L’appelant estime que le quart du matin/quart de minuit à Fenbrook est suffisamment doté en personnel pour assurer l’exécution sécuritaire de ces tâches. Les situations d’urgence dans les pénitenciers sont gérées en conformité avec une combinaison de politiques pertinentes de SCC. Compte tenu de ce que prévoient la directive du commissaire sur la gestion des cas d’urgence et celle se rapportant à la gestion des incidents de sécurité, le niveau de dotation en personnel à Fenbrook pour le quart du matin est suffisant, de l’avis de l’appelant, pour permettre que soit effectuée une intervention initiale visant à gérer une ou plusieurs situations d’urgence. L’appelant considère que la position défendue tant par l’intimé que l’agent de SST soulève la simple question de savoir si dans le contexte d’un milieu à sortie non contrôlée, des changements importants sont survenus dans le profil de la population de détenus de Fenbrook de façon telle que cela nuirait à la capacité des employés d’intervenir de manière sécuritaire et efficace pour gérer des situations d’urgence durant le quart du matin/quart de minuit. À cet égard, l’appelant a soutenu au départ que le profil de la population de détenus de Fenbrook n’avait pas sensiblement changé durant les trois dernières années. Et tout changement qui serait survenu n’a pas nui à la capacité des employés d’intervenir de manière sécuritaire et efficace pour gérer des situations d’urgence durant le quart du matin/quart de minuit.

[38] De plus, même si Fenbrook a été conçu pour accueillir des délinquants ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible, il n’y a pas d’interaction néfaste entre le concept de milieu ouvert ou de sortie non contrôlée à Fenbrook et l’hébergement de délinquants ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré. L’appelant croit qu’aucune disposition de la politique de SCC ne corrobore la supposition voulant que les délinquants ayant une telle cote ne peuvent résider à Fenbrook. De plus, la cote d’adaptation à l’établissement reflète plusieurs facteurs, tels que le risque d’évasion et le risque pour la sécurité du public, qui servent à déterminer, à l’aide d’une échelle de classement par niveau de sécurité, si un délinquant devrait être hébergé dans un établissement à sécurité minimum, moyenne ou maximum.

[39] L’appelant note que l’agent de SST Tomlin a recensé deux risques pour justifier l’émission de son instruction. Or la preuve ne confirme pas l’existence du premier de ces deux risques, à savoir qu’il n’y aurait pas assez d’employés en poste pour gérer plusieurs situations d’urgence durant le quart du matin, et de plus, si l’on s’en fie à l’avocate, même si un tel risque ou danger existait, aucune preuve déposée ne donne à penser qu’un tel cas pourrait raisonnablement se matérialiser. En fait, l’appelant maintient qu’à Fenbrook, l’expérience nous montre que peu d’incidents surviennent durant le quart du matin/quart de minuit lorsqu’une intervention secondaire doit être effectuée et qu’il n’est jamais arrivé non plus qu’une situation nécessitant une telle intervention survienne durant ce quart. Les incidents de sécurité s’étant produits durant ce quart ont rarement entraîné des situations d’urgence multiples ou simultanées, et Fenbrook a un plan bien établi pour gérer les cas d’urgence, tel que le prévoient de son plan d’urgence et les politiques pertinentes de SCC.

[40] L’autre risque cité par l’agent de SST Tomlin concerne les changements dans le profil des délinquants et le caractère imprévisible du comportement humain dans le milieu à sortie non contrôlée de Fenbrook. La position de l’appelant veut que le fait d’être exposé à de la violence potentielle de la part des détenus ainsi qu’à un degré d’imprévisibilité du comportement humain constitue un élément inhérent aux fonctions des AC affectés à des unités. Cela dit, l’employeur fait tout ce qu’il peut pour assurer la sécurité des employés en leur donnant de la formation, en leur fournissant de l’équipement de sécurité et en adoptant des procédures et lignes directrices institutionnelles telles que le modèle de gestion de situations (MGS) cité dans la directive 567 du commissaire.

[41] Selon l’avocate de l’appelant, les AC affectés aux unités ont donc la formation, les outils et les méthodes nécessaires pour se protéger, ce qui fait en sorte que tout risque persistant qui découle de l’imprévisibilité du comportement des délinquants constitue une condition normale d’emploi qui ne peut pas être éliminée ni atténuée par le biais de la révision du niveau de dotation en personnel du quart en cause. L’appelant en arrive donc à la conclusion que la NND de Fenbrook pour le quart du matin/quart de minuit prévoit suffisamment de ressources pour l’exécution des patrouilles et dénombrements courants ainsi que pour les interventions d’urgence, et que la santé et la sécurité au travail des AC affectés aux unités durant le quart du matin est préservée en tout temps grâce à combinaison de mesures opérationnelles, physiques et de sécurité. Rien ne fonde donc la conclusion de l’agent de SST voulant que l’article 124 du Code ait été violé et que, par conséquent, l’appel devrait être accueilli et l’instruction, annulée.

B) Observations de l’intimé

[42] Les observations de l’intimé s’inspirent du témoignage et de la preuve déjà présentés par l’appelant et aussi de ceux déjà soumis par sept témoins, dont six travaillent à Fenbrook en tant qu’AC ou CX, le seul témoin de l’extérieur étant un employé du pénitencier de Millhaven où il travaille comme CO-2. Ce dernier témoin est vice-président de la région de l’Ontario pour le SACC et il a aussi été membre du groupe de travail national sur les établissements à sécurité moyenne qui a publié un rapport en 2009; on confirme dans ce rapport que la population de délinquants est en train de changer et qu’elle comprend maintenant des délinquants qui ont de lourds antécédents en matière de violence et de crimes violents, qui ont été reconnus coupables d’infractions dans leur jeunesse ou à l’âge adulte, qui sont affiliés à des gangs ou au crime organisé, qui souffrent depuis longtemps de graves problèmes de toxicomanie ou qui ont d’importants troubles de santé mentale, tous ces délinquants posant d’importants problèmes de sécurité à SCC. En plus des dépositions de ces témoins, de nombreux documents ont été produits en sus des documents de référence déposés à titre de preuves par l’appelant, et la jurisprudence a été abondamment citée. J’ai pris en considération toute cette information afin de rendre la décision énoncée plus loin. Voici le résumé des principaux points classés sous les six rubriques suivantes :

  • méthode utilisée pour les patrouilles de sécurité;
  • sécuriser le poste de contrôle;
  • dotation en personnel pour une intervention relative à un deuxième incident concernant la sécurité;
  • exercices d’évacuation en cas d’incendie durant le quart de minuit/quart du matin;
  • changements dans les conditions de travail;
  • changements dans le profil des délinquants.
Méthode utilisée pour les patrouilles de sécurité

[43] Les conditions de travail des AC, telles qu’elles sont énoncées dans la description de tâches des CO-1, fondent l’affirmation selon laquelle les agents affectés au quart de minuit sont exposés à des dangers tous les jours étant donné que leurs principales tâches sont axées sur le maintien de la sécurité. Ces AC sont responsables des tâches primaires liées au maintien de la sécurité, y compris la supervision des détenus dans divers secteurs de l’établissement. Plus précisément, des AC (de niveaux 1 et 2) supervisent habituellement les patrouilles, les dénombrements, les fouilles et les mouvements des détenus durant ce quart-là, [texte caviardé].

[44] Depuis que Fenbrook a ouvert ses portes en 1998, [texte caviardé] agents ont été affectés aux rondes de surveillance et aux patrouilles du quart de minuit. Lorsqu’on a commencé à appliquer la NND relative aux établissements à sécurité moyenne en 2009, y compris à Fenbrook, la dotation en personnel du quart de minuit s’effectuait au niveau local en fonction d’un milieu à sortie non contrôlée et pour des détenus qui avaient obtenu une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible. Lorsque les normes nationales ont été adoptées, la norme pour le quart de minuit est passée à [texte caviardé] par unité (alors que [texte caviardé] agents sont affectés aux quarts de jour et de soirée). Quoi qu’il en soit, en raison du milieu à sortie non contrôlée qui est propre à Fenbrook, [texte caviardé] a été affecté à chacune des [texte caviardé] unités de responsabilité, de sorte que la norme traditionnelle a ainsi été maintenue et qu’un agent multifonctionnel et un agent de patrouille mobile supplémentaire ont été ajoutés, ce qui a porté le nombre total d’employés [texte caviardé]. Il n’y a aucun de ces postes dont le nombre peut être rajusté à des fins opérationnelles.

[45] Les patrouilles de sécurité des quarts de jour et de soir sont effectuées [texte caviardé] demeure au poste de contrôle. L’AC Ludlow a déclaré lors de son témoignage que les agents n’ont pas reçu de formation qui leur permettrait d’effectuer des patrouilles seuls. [Texte caviardé]. Le préposé à l’entrée doit être en mesure [texte caviardé]. Des témoins ont déclaré que le corridor dans le secteur [texte caviardé].

[46] [Texte caviardé].

Sécuriser le poste de contrôle

[47] De nombreux témoins ont fait allusion au [traduction] « poste de contrôle » de l’unité. Il est situé au rez-de-chaussée de l’unité dans un secteur appelé le [traduction] « fer à cheval » et derrière lequel se trouvent diverses pièces servant de bureaux (gestionnaires de cas, gestionnaires d’unités, agents de libération conditionnelle, aire de travail pour les AC, etc.) ainsi qu’à d’autres fins, et auxquelles les détenus peuvent accéder après s’être fait fouiller. [Texte caviardé].

[48] [Texte caviardé].

Dotation en personnel pour une intervention relative à un deuxième incident touchant à la sécurité

[49] La preuve fournie par l’employeur appelant veut qu’il y a très peu d’incidents de sécurité durant le quart du matin/quart de minuit, ce qui explique pourquoi Fenbrook dispose pour ce quart d’un effectif ayant la capacité de gérer [texte caviardé] incident de ce genre. En revanche, une preuve sous forme de témoignage a été établie par le directeur adjoint Allen pour le compte de l’appelant relativement à une augmentation de l’effectif du quart du matin qui visait à s’assurer qu’il y aurait assez d’employés dans l’établissement pour réagir à des cas d’urgence. Le témoignage fait pour l’employeur par le directeur adjoint Allen veut que l’effectif venait de passer à [texte caviardé] employés ([texte caviardé] postes [ce nombre ne pouvait pas être rajusté à des fins opérationnelles] et [texte caviardé] postes d’agents substituts [alors qu’il n’y en avait que [texte caviardé]] auxquels furent ajoutés [texte caviardé] postes d’escortes médicales [ce nombre pouvait être rajusté à des fins opérationnelles]), ce qui garantissait qu’il y aurait toujours assez d’employés pour doter les [texte caviardé] postes dont le nombre ne pouvait pas être rajusté à des fins opérationnelles. Cela implique qu’à compter du moment où l’on avait appelé tous les agents substituts inscrits sur la liste durant le quart du matin, des agents multifonctionnels devaient être appelés en renfort. La déposition de l’intimé veut, en revanche, que les agents de relève ou agents substituts sont habituellement mobilisés pour pourvoir des postes laissés vacants par des employés en congé de maladie, en vacances ou absents pour une autre raison, ce qui signifie que durant le quart de nuit, il y avait la plupart du temps [traduction] « juste assez d’employés » pour doter les postes et que l’on devait donc appeler un ou des agents multifonctionnels en renfort.

[50] Si un deuxième incident se produisait, il faudrait enclencher le processus de rappel au travail pour accroître l’effectif. Au besoin, d’autres employés travaillant dans d’autres unités peuvent être mobilisés, ce qui aura pour effet de réduire temporairement l’effectif d’une unité à [texte caviardé] AC. Comme tous les postes sont des postes dont le nombre ne peut être rajusté à des fins opérationnelles, l’agent du PPCC devra téléphoner à des employés pour qu’ils viennent pourvoir le ou les postes vacants. Si un incident survient et met en péril la sécurité [texte caviardé].

[51] [Texte caviardé].

[52] Le directeur a fait une déposition selon laquelle la liste de rappel a été établie en fonction des employés qui habitent le plus près de l’Établissement, mais il affirme qu’il ne sait pas combien de temps il faudrait aux employés appelés en renfort pour se présenter à l’établissement. Selon son estimation, la moitié des agents peuvent se rendre en voiture à l’Établissement [texte caviardé]. Quant à la présentation de la liste de rappel, la déposition du directeur a été contredite par plus d’un témoin, et certains ont affirmé que les noms qui y figuraient étaient classés en ordre alphabétique. L’agent Foster, qui est affecté au PPCC (où la liste est conservée afin d’être utilisée pour rappeler des employés au travail), a quant à lui soutenu que ladite liste est loin d’être exacte. En tant que tel, il a déclaré lors de son témoignage que même si la liste alphabétique contient le nom, le numéro, la catégorie de poste et le numéro de téléphone de l’employé, il en est arrivé à la conclusion qu’elle était inexacte les deux fois où il l’a examinée. Il a parcouru cette liste pour la première fois à l’automne 2011 et il avait alors constaté qu’elle contenait le nom de [texte caviardé] employés qui ne travaillaient plus à l’Établissement ou qui étaient décédés. Lorsqu’il l’a examiné une autre fois le 5 mars 2012, le nom de [texte caviardé] employés qui ne travaillaient plus à l’Établissement ou qui étaient décédés y figurait toujours et un grand nombre de nouveaux employés n’y étaient pas inscrits.

Exercices d'évacuation en cas d'incendie durant le quart de minuit

[53] La déposition de l’intimé sur cette question fait mention de documents déposés à titre de pièce E-2 par l’appelant, soit le manuel de sécurité-incendie de SCC et un document relatif aux considérations à faire avant d’effectuer une intervention APRA minimum, le tout afin de faire ressortir des parties de la déposition de l’appelant et d’établir ce qui suit : les incendies sont monnaie courante en milieu carcéral et une forte proportion visent à [texte caviardé]; [traduction] « le fait de ne pas évacuer promptement les lieux en raison d’un climat de confusion et de retarder le déverrouillage des sorties est la cause première de tragédies »; [traduction] « il faut faire des exercices d’évacuation de façon régulière dans tous les établissements et tous les secteurs occupés de ces établissements (ou, s’il y a lieu, répéter de tels exercices), tel qu’exigé dans le manuel de santé et sécurité au travail du Conseil du Trésor (…). Il faut tenir assez d’exercices pour permettre à toutes les équipes de quarts de s’y adonner à la fréquence prévue (…). » Il est utile de noter que le manuel de sécurité-incendie de SCC fait mention de la fréquence à laquelle il faut effectuer des exercices d’évacuation. Pour ce qui est des établissements à sécurité moyenne, ces exercices doivent être effectués [texte caviardé]. [[Soulignement ajouté]]

[54] L’AC Ludlow a déclaré lors de son témoignage en faveur de l’intimé qu’aucune évacuation complète n’avait encore été effectuée durant le quart de minuit. En 2009, un exercice sur papier a été réalisé en déclenchant un incendie dans une poubelle dans l’unité [texte caviardé] (à sortie non contrôlée) durant le quart de minuit. À la suite de cet exercice et après avoir discuté avec les employés de ce qui devrait être fait pour effectuer une évacuation complète et du nombre d’employés dont on aurait besoin à cette fin, le témoin a commencé à croire qu’il n’y avait pas suffisamment d’employés durant le quart de minuit pour réagir à un incendie de grande ampleur. Après qu’elle eut fait une plainte visée par l’article 127, un exercice d’évacuation a été simulé (tout comme s’il avait été minuit) [texte caviardé] durant le quart de jour avec le concours de [texte caviardé] employés. [Texte caviardé]. Les employés et les détenus avaient été prévenus et tous les détenus évacués sont passés par la porte avant. Après cet exercice, une note de service transmise au directeur adjoint Allen par le chef des pompiers Duern faisait état de plusieurs problèmes signalés par diverses personnes. L’AC Ludlow a indiqué qu’il fallait [texte caviardé] minutes aux employés CX pour mettre un APRA et se préparer à entrer dans la rangée appropriée, et que durant l’exercice, des employés ont manqué d’air et réclamaient APRA. Aucune directive n’a été donnée aux détenus, enfin, pour leur dire où ils seraient évacués et où ils devraient aller. Le directeur adjoint Allen rapporte des commentaires formulés dans une note de service, à savoir que des mesures devaient être prises plus rapidement, que certains employés n’étaient pas à l’aise pour accomplir les tâches prévues et qu’il fallait faire plus d’exercices.

[55] En ce qui concerne l’agente de la sécurité de l’environnement J. Sutey, qui n’a pas témoigné relativement au présent cas, elle aurait supposément indiqué que les employés n’avaient donné aucune directive au sujet des évacuations, [texte caviardé], que l’un des CX désignés pour utiliser un APRA [texte caviardé] et qu’un CX non muni d’un APRA voyait à garder ouverte la porte de la rangée où l’incendie s’était déclaré, ce qui, dans des conditions réelles, aurait provoqué de l’exposition à de la fumée ainsi que la propagation de fumée par l’entrée principale. Dans cette même note de service, bien que le chef du service d’incendie affirme que les employés du quart du matin pourraient procéder à une évacuation d’urgence et maintenir la sécurité jusqu’à l’arrivée des employés rappelés au travail, il cite aussi des problèmes plus graves correspondant essentiellement à ceux signalés par les employés désignés dans ladite note de service. Il importe de noter que le chef du service d’incendie, M. Duern, n’a pas été cité comme témoin.

[56] L’AC Ludlow rejette cette conclusion. Il est indiqué dans la section de la pièce E-2 où figurent des considérations relatives à une intervention APRA minimum que le délai d’intervention après que l’alarme a sonné est de [texte caviardé], une marge d’erreur [texte caviardé] étant prévue en raison du fait que le niveau de fumée lié à un incendie dans une rangée chutera à un rythme tel que la zone de respiration de cinq pieds sera créée en [texte caviardé] minutes. La déposition faite pour le compte de l’intimé par J.-L. Chamaillard, qui est instructeur à Fenbrook ([texte caviardé], APRA, personnel de la sécurité, monoxyde de carbone et agents chimiques), a révélé qu’on avait besoin non pas [texte caviardé] pour procéder à l’évacuation complète de l’unité [texte caviardé] (moins dans le cas des [texte caviardé] unités à sortie non contrôlée) en cas d’incendie durant le quart du matin/quart de minuit. L’AC Ludlow a déclaré lors de son témoignage que durant ce quart, les détenus de l’unité [texte caviardé] ne peuvent utiliser que leur [texte caviardé] pour sortir de la rangée à certaines heures. À tout autre moment, si un détenu veut sortir de la rangée, un employé doit lui ouvrir la porte. [Texte caviardé]. L’AC Ludlow a aussi déclaré lors de son témoignage que si un incendie survient dans une cellule, deux agents doivent être disponibles pour vérifier l’ampleur de l’incendie et comme [texte caviardé] agents sont affectés au quart du matin, il faudrait aussi appeler un [texte caviardé] agent pour qu’il vienne à l’unité s’occuper du secteur en forme de fer à cheval jusqu’à ce que la vérification et l’intervention soient terminées. À l’audience, l’AC Ludlow a conclu son témoignage en affirmant qu’aucun autre exercice n’avait été effectué après cet exercice d’évacuation simulé.

Changements dans les conditions de travail

[57] En ce qui concerne cette question, une grande partie des éléments de preuve présentés par l’intimé sont identiques à d’autres éléments de preuve déjà présentés ou les mettant en relief. L’information qui suit porte essentiellement sur de nouveaux éléments ou sur des éléments présentés sous un nouvel angle. Lorsque Fenbrook a ouvert ses portes, les établissements correctionnels à sécurité minimum, moyenne ou maximum étaient classés dans des sous-catégories allant de S-1 à S-7 et les catégories S-3 à S-5 correspondaient aux établissements à sécurité moyenne. Parmi ces trois catégories, les établissements S-3 ont été désignés comme établissements à sécurité moyenne dotés d’un périmètre à double clôture et d’une capacité d’intervention armée dans le périmètre, et caractérisés par des contraintes physiques internes minimales. Il était peu probable que les employés et les détenus soient exposés à des conditions d’émeute ou de danger. Les unités d’habitation d’un établissement S-3 s’inspirent d’un modèle résidentiel à sortie non contrôlée et sont dotées d’orifices munis d’alarmes servant à détecter les sorties non autorisées. Les [texte caviardé] immeubles de responsabilité [texte caviardé] à Fenbrook entrent dans [texte caviardé].

[58] Dans des installations S-4, les unités d’habitation sont aménagées selon un modèle résidentiel à sortie restreinte au niveau des [traduction] « appartements » et à sortie non contrôlée au niveau des chambres individuelles. L’unité [texte caviardé] à Fenbrook, qui peut être sécurisée au niveau des rangées, est l’unité S-4. En 2008, les griefs des détenus ont incité SCC à adopter une politique plus stricte et il n’a donc plus été possible pour l’Établissement de Fenbrook de sélectionner les détenus qui avaient de meilleures cotes d’adaptation à l’établissement, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de détenus ayant une cote de risque modéré en cette matière. L’unité [texte caviardé] était une unité de réception ou d’accueil à l’époque où la NND a été élaborée. Elle servait généralement à accueillir des détenus nouvellement transférés aux fins de leur évaluation initiale et de la détermination de leurs besoins et des problèmes qui n’avaient pas encore été recensés; un lit leur était ensuite attribué dans [texte caviardé] unités à sortie non contrôlée [texte caviardé]. La rangée [texte caviardé] de l’unité [texte caviardé] hébergeait elle aussi en général plus de détenus dont le cas était problématique, particulièrement ceux qui avaient des problèmes [texte caviardé]. Le directeur Tempest avait déclaré lors de son témoignage qu’en raison des pressions liées au manque de lits, les nouveaux détenus transférés ne sont plus automatiquement évalués dans l’unité [texte caviardé] et on leur attribue plutôt un lit disponible dans l’une des unités. Les témoins Mike Dafoe et Mike Ainger ont déclaré lors de leur témoignage en faveur de l’intimé que cela avait été une source des problèmes et ils ont cité à titre d’exemple le cas [texte caviardé] qui s’était [traduction] « évadé »; [texte caviardé] son placement n’avait pas été approuvé par l’équipe de gestion de cas; on l’avait donc renvoyé dans l’unité en vertu de la mesure provisoire qui était en vigueur et aussi en raison de la plainte de l’AC Ludlow, [texte caviardé]. Toujours à titre d’exemple, [texte caviardé] qui avait été placé directement s’est fait attaquer et poignarder presque sur-le-champ, [texte caviardé].

[59] Comme elle est liée aux changements dans les conditions de travail, la question des changements dans le profil des délinquants hébergés à l’Établissement se retrouve au cœur du présent cas, et ces changements ont été confirmés dans la preuve de l’appelant, en particulier lors du témoignage du directeur Tempest, lequel témoignage visait à établir, entre autres, que Fenbrook peut héberger des détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré pourvu que cette cote supérieure n’en fasse pas des détenus qui mettront la sécurité en péril. La preuve présentée par l’intimé allait dans le même sens et il n’est donc pas nécessaire que je répète ici ce que je considère comme des choses déjà établies. Cela dit, plusieurs clarifications ont été faites par des témoins de l’intimé et doivent être reprises ici.

[60] En vertu de la description générale des changements dans le profil des délinquants, l’accroissement de la population de l’Établissement est une question ayant été traitée dans le cadre des témoignages et aussi dans des pièces déposées en preuve. En 2010, il y avait 420 détenus et ce chiffre avait été considéré comme étant correspondant à la pleine capacité de l’Établissement. En octobre 2011, ce nombre est passé à 457, puis il a légèrement chuté et s’établissait à 450 en mars 2012. Durant la même période, l’adoption du système de double occupation a fait passer la capacité totale des unités individuelles à 12 détenus, soit [texte caviardé] détenus de plus. Cette mesure a été introduite pour gérer les pressions projetées aux échelles nationale et régionale en ce qui concerne le nombre de lits qui seront disponibles durant la prochaine décennie, et il en est résulté que le nombre de détenus dans chaque rangée a augmenté de 10 %; or si l’on s’en fie à M. Ainger, un témoin, cela a eu une incidence sur la capacité d’appliquer le principe de la sécurité dynamique ainsi que sur la dynamique des rangées.

[61] L’AC Ludlow a déclaré lors de son témoignage que depuis l’adoption du régime de la double occupation, la frustration dans les rangées s’est accrue et il y a plus de détenus qui cuisinent dans l’aire commune et qui y restent durant le quart de soir. À cet égard, l’avocate de l’intimé fait allusion au rapport sur les établissements à sécurité moyenne préparé par le Groupe national, qui a été déposé en tant que pièce par l’appelant et dans lequel on peut lire que l’architecture des divers établissements à sécurité moyenne au Canada est un élément qui influe sur la capacité de bien gérer une population de détenus changeante. En ce qui concerne l’architecture de Fenbrook, la conclusion énoncée dans ce rapport est la suivante : [traduction] « Il est évident que pour gérer sécuritairement 400 détenus à Fenbrook, il faut que la population soit composée de détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement qui est de risque relativement faible. » Le nombre de détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré a progressivement augmenté depuis septembre 2008, alors qu’il s’établissait à 66 avant de passer à 152 en mars 2012 et de plafonner à 184 en novembre 2011. Ces détenus pour lesquels, selon le directeur Tempest, [traduction] « il faut faire plus d’interventions » et qui [traduction] « mobilisent donc davantage nos employés », représentent maintenant environ le tiers de la population totale de l’Établissement.

[62] La preuve présentée par l’intimé par l’entremise des témoins Ludlow, Foster et Ainger confirme plus ou moins ces changements et elle est elle-même confirmée dans une grande mesure par la preuve déposée par l’appelant. Il y est indiqué que depuis 2009, les AC ont noté une augmentation progressive du nombre de détenus éveillés et actifs de diverses façons tard le soir. Ces détenus résistent aux agents, verbalement et autrement, et le nombre d’incidents a augmenté. Si l’on s’en fie aux chiffres établis par divers AC en juillet et août 2010, le nombre de détenus actifs durant la nuit varie, mais en règle générale, environ la moitié des détenus sont éveillés lors du dénombrement [texte caviardé], cette proportion chutant graduellement pour atteindre 10 % à [texte caviardé] et elle commence à remonter à [texte caviardé]. La preuve correspondante des deux parties veut que les détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré sont plus difficiles à gérer sur une base quotidienne.

[63] En ce qui concerne les incidents mineurs et majeurs, la preuve fournie tant par le directeur Tempest que Mike Ainger au nom de l’intimé est essentiellement la même. En tant que tel, pour la période 2008-2011, le nombre total d’incidents a fortement progressé en 2008 ([texte caviardé] incidents mineurs et [texte caviardé] incidents majeurs), brièvement diminué en 2009, graduellement augmenté en 2010 et considérablement chuté en 2011. Si l’on s’en fie à M. Ainger, en 2011, [texte caviardé] accusations ont été portées relativement à des incidents mineurs et [texte caviardé] relativement à des incidents majeurs, ce qui représentait une forte augmentation du niveau d’activité des détenus par rapport à 2008. Selon les témoins Ainger et Foster, cela révèle que la culture des détenus a changé et que ceux-ci sont moins disposés à obéir à des ordres; il y a plus de détenus qui résistent verbalement ou qui se battent entre eux depuis l’avènement du régime de la double occupation. Le témoin Ainger avance que ces attitudes et cette culture sont plus axées sur la [traduction] « confrontation ».

[64] Compte tenu de tout ce qui précède, l’avocate a formulé une longue argumentation qui s’appuie abondamment sur la jurisprudence et le droit. Même si j’ai examiné l’ensemble de cette argumentation, seuls les principaux points sont présentés ci-après. La conclusion générale énoncée par l’avocate veut que l’AC Ludlow est exposée à un danger durant le quart du matin/quart de minuit, et ce, au sens du Code. Cette conclusion se fonde sur plusieurs éléments.

[65] Premièrement, en ce qui concerne les comportements imprévisibles des détenus, l’avocate note que la description de tâches de l’AC Ludlow et d’autres agents confirme la conclusion selon laquelle les AC à Fenbrook sont exposés à un risque de blessure lié à ces comportements imprévisibles, étant donné qu’ils ont des rapports quotidiens avec les détenus et qu’ils doivent intervenir pour désamorcer les situations violentes. Le MGS de SCC confirme que le comportement humain est imprévisible et bien que les détenus peuvent à l’occasion se montrer coopératifs, ils peuvent aussi blesser grièvement quelqu’un et même le tuer d’un seul coup, et ce, sans avertissement. Ce principe est reconnu par la Cour fédérale dans Verville c. Canada (Service correctionel) 2004 CF 767, tel que visé par la définition de « danger », et on peut lire dans cette décision que le critère servant à déterminer l’existence d’un « danger » doit être appliqué à des éléments de preuve pertinents et reconnus comme une description de tâches, des incidents antérieurs isolés, etc., sans égard aux conséquences recensées et à l’équipement de protection fourni aux employés.

[66] L’avocate estime que les documents de l’employeur peuvent servir à démontrer que ledit employeur a pris acte des risques et dangers, et que le soussigné peut inférer des faits établis à l’aide de ces documents que la population changeante et grandissante de l’Établissement de Fenbrook présente un niveau de risque plus élevé et qu’il est donc raisonnable de penser que l’AC Ludlow pourrait subir des blessures dans le futur en raison de ce niveau de risque accru, ce point de vue étant confirmé par des preuves concernant des incidents antérieurs et des renseignements additionnels fournis par d’autres AC ayant l’expérience nécessaire.

[67] L’avocate soutient aussi que les preuves obtenues dans une large part auprès d’agents qui peuvent mieux juger de la situation en raison du fait qu’ils connaissent bien le contexte actuel et les changements en cours ainsi que les détenus, étayent le point de vue voulant que les changements dans le profil de la population et dans les pratiques de l’Établissement ont aussi beaucoup influencé une culture au sein de laquelle on demande aux AC d’accomplir leurs tâches liées au maintien de la sécurité durant le quart de minuit/quart du matin, ces changements ayant engendré un niveau de risque et de préjudice plus élevé.

[68] Entre autres choses, la preuve veut que les détenus, dont un grand nombre ont maintenant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré, sont plus agressifs, plus réticents, moins disposés à se conformer aux ordres verbaux, de moins en moins réceptifs au régime de sécurité dynamique, et plus actifs et agressifs durant le quart de soir. En ce qui a trait à l’exécution des patrouilles de sécurité, l’intimé reconnaît que la NND est adéquate quand vient le moment d’évaluer la question du danger étant donné que la méthode utilisée pour effectuer ces patrouilles durant le quart de minuit/quart du matin est fondée sur cette norme, laquelle prévoit [texte caviardé], les agents travaillant [texte caviardé] durant tous les autres quarts.

[69] Cependant, l’intimé ne remet pas en question le droit de la direction de fixer les niveaux de dotation en personnel et est plutôt préoccupé par le fait que la population de détenus changeante et les modifications apportées à la politique d’habitation de SCC ont fait augmenter le niveau de risque ainsi que les tensions entre les détenus et gardiens, et que ce risque devrait être évalué dans le contexte de ce que l’on attend de l’AC Ludlow lorsqu’elle exécute ses fonctions. L’avocate estime donc que l’ensemble de la preuve démontre qu’on ne pense pas de façon théorique ni hypothétique lorsqu’on affirme qu’un AC travaillant durant le quart de minuit pourrait se faire blesser dans le futur pendant qu’il effectue une patrouille de sécurité ou qu’il effectue une intervention liée à un incendie ou à un incident concernant la sécurité.

[70] L’appelant fonde l’essentiel de sa position sur l’affirmation voulant que le risque ou le danger invoqué par l’intimé constitue une condition normale d’emploi, puisque des mesures prises à la faveur de la mise en œuvre de la NND, telle qu’adaptée à Fenbrook et selon d’autres politiques, ainsi que des mesures d’atténuation telles que l’utilisation d’équipement et la formation permettraient de réduire le niveau de risque en cause et d’en faire, du même coup, une condition normale d’emploi. À cet égard, l’intimé soutient que l’on reconnaît dans la jurisprudence qu’une condition normale d’emploi n’englobe pas un risque lié à la méthode utilisée pour accomplir un travail.

[71] En l’espèce, les conditions d’emploi ont beaucoup changé dans la foulée de l’évolution de la vocation et de la population de l’Établissement et de changements recensés par les témoins, y compris le directeur Tempest, et aussi en raison de la mise en application de documents de SCC, et ces facteurs ont fortement influencé les niveaux de responsabilité. À cet égard, même si l’appelant affirme, relativement à la question des conditions normales d’emploi, qu’il n’est pas tenu de prendre d’autres mesures (demande visant à faire modifier [en permanence] les normes de déploiement, etc.) en ce qui concerne la situation décrite par l’AC Ludlow, il n’est pas parvenu à établir qu’il avait évalué correctement les risques liés aux changements dans la vocation et la population de l’Établissement, et aucune preuve n’a été non plus présentée pour démontrer que cette évaluation avait été effectuée de façon convenable. Cela serait la première condition à remplir avant d’établir qu’il avait pris les trois mesures exigées aux termes de l’article 122.2 du Code pour atténuer le danger, la partie restante de ce danger pouvant ensuite être reconnue comme étant une condition normale d’emploi.

[72] L’avocate répète que le danger recensé en l’espèce est lié au caractère imprévisible des comportements des détenus. En tant que telle, la première mesure décrite dans le Code, l’élimination des risques, est considérée dans la jurisprudence comme une mesure impossible à prendre en milieu correctionnel étant donné qu’il faudrait isoler complètement les détenus si on voulait éliminer tout contact physique entre eux et les AC.

[73] En ce qui a trait à la deuxième mesure, la réduction des risques, l’avocate soutient que plusieurs options ont été recensées, dont, notamment, l’ajout permanent [texte caviardé] à chaque unité, ce qui permettrait aux agents du quart de minuit d’accomplir différemment leurs tâches liées au maintien de la sécurité et de pouvoir compter sur des ressources suffisantes si un [texte caviardé] incident survenait ou s’il devenait nécessaire d’évacuer l’unité [texte caviardé] au complet en cas d’incendie. L’avocate note que le directeur a déclaré lors de son témoignage que cela pourrait être une possibilité intéressante, mais qu’il faudrait faire [traduction] « une étude de cas », en d’autres mots, une évaluation, pour le confirmer, ce qui n’a pas été fait. Toujours selon l’avocate, les politiques, directives et normes de SCC, y compris la NND, n’ont pas préséance sur le Code canadien du travail, que l’on parle d’un refus de travailler ou d’un cas comme celui qui nous occupe, et à cet égard, le rôle d’un l’agent d’appel n’est pas de vérifier la conformité, mais plutôt de déterminer si un danger, au sens du Code, est présent. En accord avec l’obligation de réduire le danger, le principe voulant que [traduction] « si la fréquence est faible, le risque est élevé » s’applique ici. En d’autres mots, même s’il n’arrive pas souvent que des AC se fassent blesser, et cela a été démontré, si un détenu commet une agression, quelqu’un pourrait se faire tuer ou subir de graves blessures.

[74] La fourniture d’équipement de protection, enfin, constitue la troisième et dernière mesure qu’un employeur peut prendre aux termes de l’article 122.2 du Code avant de statuer qu’un risque constitue une condition normale d’emploi. L’intimé reconnaît que l’équipement de protection nécessaire a été fourni aux AC. Il soutient, cela dit, que cela ne signifie pas que d’autres mesures d’atténuation ne devraient pas et ne pourraient pas être envisagées et mises en œuvre afin de réduire davantage le risque de blessure correspondant à un danger mentionné dans la description de tâches. Le fait que l’appelant/l’employeur a démontré qu’il avait fourni de l’équipement de protection confirme l’existence ou la présence d’un danger. Quoi qu’il en soit, l’intimé affirme qu’en raison du fait que l’appelant n’avait pas donné suite aux dispositions relatives aux deux premières mesures ou raisons énoncées dans le Code, l’appelant ne peut pas maintenant invoquer la fourniture d’équipement de protection pour appuyer son affirmation voulant que la situation entre les détenus et les AC, qui se caractérise, a-t-on dit, par des tensions importantes, est une condition normale d’emploi.

[75] En ce qui concerne la position de l’appelant sur la compétence d’un agent d’appel pour ce qui est de la politique de l’employeur et, plus particulièrement, ses normes de déploiement, l’avocate soutient que l’intimé ne demande pas à l’agent d’appel d’analyser cette politique, mais plutôt d’examiner la question de savoir si son application est un facteur pertinent au regard de la préservation de la santé et de la sécurité des AC durant le quart de minuit/quart du matin et, le cas échéant, de donner des directives pour que le danger en cause soit éliminé.

Réponse

[76] L’appelant a longuement répliqué aux observations de l’intimé. Cette réponse s’appuie sur la déclaration selon laquelle [traduction] « l’employeur souscrit à ses observations antérieures et se fie à celles-ci. » Cette prémisse est importante, car après avoir examiné à fond ladite réponse, ce qui en ressort, c’est que l’appelant a tenté, pour l’essentiel, de faire trois choses pour répliquer, à savoir indiquer de façon appuyée qu’il rejetait la preuve présentée par l’intimé ou remettre en cause l’interprétation qu’a fait ledit intimé de sa preuve ou le poids qui devrait lui être accordé, préciser de la même façon, et à répétition, qu’il ne souscrit pas, encore une fois, à l’interprétation que l’intimé fait de sa preuve (celle de l’appelant) dans ses propres observations ou exprimer ce qui selon lui devrait en être la bonne interprétation ou encore préciser le poids qu’on devrait lui accorder et, enfin, introduire de nouveaux éléments de preuve ou tenter de clarifier la preuve qu’il avait déjà présentée et exprimer son intention de demander qu’on lui permette de présenter d’autres éléments preuve ou de clarifier sa contre-preuve sur des questions ou des points qu’il n’avait pas jugés importants ou pertinents au départ, mais qui avaient été abordés par l’intimé, le tout au cas où l’agent d’appel finirait par considérer que ces éléments de preuve sont essentiels aux fins de la décision qu’il doit rendre.

[77] Cela dit, lorsque j’ai examiné ces contre-observations, je me suis attardé à deux commentaires faits par l’avocate de l’appelant. Le premier concerne la question du niveau de dotation en personnel requis pour gérer un deuxième incident de sécurité, relativement à laquelle l’intimé a parlé avec une certaine insistance de l’emplacement isolé de l’Établissement et du temps qu’il faut aux employés rappelés au travail pour se rendre à l’Établissement. L’avocate note donc qu’[traduction] « il faut établir clairement qu’en cas d’urgence, les normes de déploiement et la question de savoir si un nombre de postes peut être rajusté à des fins opérationnelles deviennent purement théoriques. La gestion de la situation d’urgence devient la première préoccupation du directeur de l’établissement et il peut ordonner aux employés de gérer cette situation. » L’avocate a constaté que les paragraphes 18 et 19 des lignes directrices de SCC en matière de rajustement à des fins opérationnelles corroboraient ce principe, comme suit :

En situation d’urgence, les agents correctionnels peuvent être réaffectés à une autre tâche liée au maintien de la sécurité afin d’aider d’autres employés à isoler, à contenir, à gérer et à résoudre un incident (...) le redéploiement d’agents correctionnels lors de situations d’urgence peut faire intervenir les tâches suivantes en ce qui concerne le maintien de la sécurité : agents d’unités.

[78] Le deuxième commentaire concerne la preuve fournie par le directeur Tempest relativement au cas de l’appelant. Même si ce commentaire met en relief le fait que l’avocate de l’appelant estime qu’une telle preuve devrait être sérieusement prise en considération, il sert aussi à illustrer la façon dont l’appelant perçoit les actions de l’AC Ludlow en l’espèce. Encore une fois, ces commentaires sont en accord avec le point de vue voulant que [traduction] « la preuve du directeur Tempest était claire et convaincante, et que l’on doit accorder plus de poids à ses opinions qu’à celles des agents. Les opinions du directeur se fondent sur l’ensemble des rapports soumis par les agents eux-mêmes ainsi que sur une analyse des faits. Il assiste aux réunions concernant les opérations tous les jours; lors de ces réunions, tous les rapports sont examinés et les agents du renseignement sur la sécurité remplissent les rapports correspondants. Il examine les rapports sur la sécurité établis aux niveaux régional et national et portant sur des problèmes associés à l’ESMF, (et) il acquiert donc une vision des choses qui est plus holistique que celle de l’AC Ludlow, dont l’opinion se fonde sur de l’information non obtenue de première main et sur à peu près aucune analyse rigoureuse. Dans Service correctionnel Canada et John Carpenter UCCO/SACC/CSN décision no 05-012, l’agent d’appel souscrit à l’opinion des agents en ce qui concerne l’ambiance régnant à l’Établissement, à savoir que « la tension était montée au sein des unités » après qu’une émeute soit survenue 48 heures après le refus de travailler et moins de 24 heures après la réalisation de l’enquête de l’agent de SST; des détenus avaient aussi proféré des menaces à l’endroit d’employés, ce qui accentué le sentiment de tension. Aucune situation de ce genre ne s’est produite à l’ESMF. La plainte de l’AC Ludlow se fonde en entier sur une lubie et des spéculations, et cela n’a pas changé durant toute cette période.

Analyse

[79] La présentation du cas faite par les deux parties fait en sorte que, le soussigné dispose d’une grande quantité de renseignements, factuels et autres, qui tendent à compliquer à l’excès une question qui paraissait beaucoup plus simple lorsqu’elle avait été présentée pour la première fois dans le cadre de la plainte visée par l’article 127 qu’avait déposée l’AC Ludlow et qu’elle avait ensuite été examinée par l’agent de SST Tomlin. Or le nœud du problème, selon moi, c’est tout simplement la question de la dotation en personnel ou, plutôt, du nombre d’employés et, particulièrement, d’AC dont un établissement correctionnel a besoin pour que ces agents puissent exécuter de manière sécuritaire, au sens du Code, certaines tâches associées au quart du matin/quart de minuit, à savoir des patrouilles et des dénombrements, et aussi gérer une deuxième situation d’urgence. Ces tâches doivent être exécutées à l’établissement à sécurité moyenne de Fenbrook, un pénitencier où les détenus peuvent circuler beaucoup plus librement qu’ailleurs et évoluer dans un milieu à sortie non contrôlée, cet établissement ayant été conçu au départ pour loger environ 400 détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque faible.

[80] Comme les deux parties ont parlé des comportements imprévisibles des détenus et des conditions normales d’emploi, les deux volets de la question ont été présentés de façon passablement claire par l’avocate de l’appelant dans le cadre de ses observations lorsqu’elle a déclaré que l’intimé soutient [traduction] « que le nombre d’AC déployés durant le quart du matin à l’ESMF est insuffisant pour que l’on puisse (et ici, je considère que l’on parle du personnel correctionnel) accomplir de manière sécuritaire les tâches courantes liées au maintien de la sécurité tels que les dénombrements et les patrouilles, et gérer plus qu’une situation d’urgence. » L’avocate mentionne que l’appelant à une position contraire en ce qui a trait à la dotation en personnel du quart du matin, qui est le seul quart pris en considération aux fins du présent appel, cette position étant que :

le quart du matin à l’ESMF est suffisamment doté en personnel pour que les tâches nécessaires liées au maintien de la sécurité puissent être accomplies. Les situations d’urgence dans les pénitenciers sont gérées en conformité avec une combinaison de politiques pertinentes de SCC, dont, au premier chef, la directive du commissaire relative à la gestion des cas d’urgences (DC 600) et celle se rapportant à la gestion des incidents de sécurité (DC 567). Conformément à la politique de SCC, le niveau de dotation en personnel à l’ESMF durant le quart du matin est suffisant pour permettre aux employés d’assumer la gestion initiale d’une ou plusieurs situations d’urgence.

Il s’ensuit que la position défendue par l’employeur de l’appelant s’appuie sur la validité de ses politiques, de ses normes (de déploiement et autres) et de ses statistiques, lesquelles, soutient-il, confirment que la sécurité peut être maintenue dans les conditions factuelles connues ou prévues.

[81] En revanche, l’intimé a fondé sa position sur des circonstances factuelles imprévisibles ou variables dans le but de soutenir que même si les modèles (théoriques) fonctionnent lorsqu’on les applique à ces circonstances sous-tendant leur formulation et leurs fondements, la situation peut différer grandement lorsqu’une situation non prévue ou constituant une variante se produit, tel qu’il peut être démontré ou étayé par l’acceptation du principe voulant que les comportements des détenus peuvent être imprévisibles, ce qui fait par ailleurs intervenir la question de savoir si des éléments qui ne font pas partie du modèle se sont concrétisés, à tout le moins suffisamment, pour justifier une intervention de la part de l’agent de SST ou du soussigné.

[82] La prise en considération de l’ensemble de la preuve et des arguments présentés par les deux parties a aussi amené le soussigné à se rendre compte que le jugement du présent appel sera essentiellement déterminé par l’évaluation des faits et circonstances qui existent à l’ESMF ou présentés comme tels en ce qui concerne ce que j’appellerais un modèle consistant en divers systèmes, politiques et pratiques mis en oeuvre de façon générale et particulière par l’appelant; en ce qui concerne, du reste, une grande partie de ces éléments, les deux parties s’entendent dans une grande mesure, les questions litigieuses étant peu nombreuses. Avant de passer à ces questions, plusieurs observations et commentaires doivent être faits.

[83] L’avocate de l’appelant soutient que la contravention prévue à l’article 124 du Code, qui est celle visée par l’instruction de l’agent de SST Tomlin, donne lieu à une [traduction] « allégation très grave » et que les tribunaux exigent que l’on s’acquitte d’un lourd fardeau de preuve [traduction] « au-delà de tout doute raisonnable » dans le cas d’une poursuite concernant une telle contravention. L’article 124 du Code exprime de façon générale l’obligation qu’a l’employeur de veiller à la protection de la santé et la sécurité de ses employés lorsqu’ils sont au travail et à ce titre, c’est un article important étant donné que sa formulation générale permet d’élargir son champ d’application au-delà de celui associé à des obligations formulées de manière plus précise dans d’autres dispositions de la loi. En l’espèce, cependant, il faut souligner le fait qu’un appel déposé en application de l’article 146 du Code ne constitue pas une poursuite et qu’il n’est pas nécessaire de se décharger d’un fardeau de preuve pour gérer un tel cas, hormis l’obligation qu’a l’agent d’appel de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, tout comme cela est le cas en l’espèce, si le danger recensé par l’agent de SST Tomlin existe bel et bien. Cela serait le cas non seulement du présent appel, mais aussi de tout appel institué aux termes du Code et j’ajouterai à ce sujet qu’une violation alléguée de l’article 124 du Code n’est pas plus grave qu’une violation alléguée de toute autre disposition de la loi.

[84]L’avocate de l’appelant soutient également, relativement à la NND de SCC, que je n’ai pas la compétence suffisante pour [traduction] « remettre en question » la politique de l’employeur, et elle s’appuie à cette fin sur la décision rendue par le juge Desjardins de la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Fletcher 2002 CAF 424, laquelle décision veut qu’un appel comme celui visé ici « n’est pas destiné à constituer une tribune pour l’analyse de la politique d’un employeur. » Selon l’avocate, le déploiement d’employés dans une entreprise demeure un droit exclusif dont l’exercice relève des membres de la direction.

[85] L’avocate de l’intimé soutient quant à elle que le Code a préséance sur la SLCMSC et toute politique ou directive de SCC comme les normes de déploiement. Même si elle faisait allusion à un refus de travailler pour étayer cette opinion, le fait est qu’en appel, je ne ferais aucune distinction entre ce que je peux ou ne peux pas examiner, qu’il s’agisse d’un refus de travailler ou une plainte m’ayant été renvoyée en application de l’article 127. Quoi qu’il en soit, c’est une décision rendue par un agent de santé et sécurité qui a été présentée au soussigné. L’avocate soutient donc que même si SCC affirme que le niveau de dotation en personnel du quart du matin à l’Établissement de Fenbrook a été fixé selon ses normes de déploiement, l’intimé ne demande pas au soussigné d’analyser la politique de l’employeur, mais plutôt d’[traduction] « examiner comme il faut la question de savoir si l’application de cette politique est un facteur pertinent au regard de la préservation de la santé et de la sécurité des AC durant le quart de minuit », et si je statue que tel est le cas, j’aurais le pouvoir d’ordonner que le danger en cause soit éliminé.

[86] Il est clairement établi dans la jurisprudence qu’un agent d’appel travaille dans un contexte de novo, ce qui signifie que le soussigné peut tenir compte de toute l’information pertinente se rapportant à la question dont il est saisi, peu importe si cette information était disponible ou non au moment où l’agent de SST a effectué son enquête, la seule restriction étant, encore une fois, de s’appuyer sur l’information pertinente. En même temps, ma compétence ne s’étend pas au pouvoir d’un employeur ni à sa prérogative d’établir ou d’appliquer des politiques, mais plutôt à la question de savoir si l’application de ces politiques, en tant qu’élément de preuve, engendre un danger pour un employé. Si je statue que tel est le cas, je n’ai d’autre choix que de prendre des mesures pour protéger le ou les employés et à ce titre, conformément au pouvoir conféré par le paragraphe 145(2) du Code, je peux ordonner « la prise de mesures propres soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche, soit à protéger l’employé contre ce danger. » J’ajouterais donc à ce sujet que l’application, par l’employeur, de sa ou ses politiques correctement établies n’entraîne pas automatiquement qu’il a rempli son obligation de préserver la santé et la sécurité de ses employés.

[87] Les deux avocates ont aussi traité de la question des « conditions normales d’emploi ». Dans le cas de l’appelant, il affirme qu’à compter du moment où ses politiques et mesures ont été mises en œuvre, ce qui aura permis de réduire au minimum les risques associés aux tâches de ses AC, à qui on aura fourni l’EPP nécessaire, les risques qui subsistent doivent être considérés comme des conditions normales d’emploi ne pouvant justifier l’émission d’une instruction comme celle examinée dans le cadre de la présente affaire. En l’espèce, les contacts fréquents avec les détenus doivent être considérés comme un élément essentiel et immuable des attributions de l’AC et ne devraient donc pas être soumis à l’évaluation, puisqu’ils constituent une condition normale d’emploi (contrairement, par exemple, à la méthode utilisée pour exécuter une tâche ou une fonction).

[88] En revanche, l’intimé soutient que l’appelant n’a pas pris de mesures adéquates et suffisantes pour atténuer les risques associés aux tâches des employés de sorte que même si on a fourni l’EPP nécessaire auxdits employés, les risques qui subsistent ne peuvent être considérés comme des conditions normales d’emploi.

[89] Cette question est fondamentale ici et elle a par ailleurs été fréquemment interprétée dans des décisions du Tribunal et d’autres cours. Aux termes du Code, cette notion découle de l’application de l’article 122.2, lequel, même s’il porte sur les mesures de prévention, a toujours été considéré comme celui fixant la hiérarchie des mesures de prévention étant donné qu’il établit un ordre de priorité dans le but de gérer les risques liés à une fonction ou tâche donnée. Conformément à l’objet général de la loi, qui est de prévenir les accidents et les maladies survenant liées à l’occupation d’un emploi et auxquels le Code s’applique, l’article 122.2 prévoit ce qui suit :

La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

Il est intéressant de noter à cet égard que les deux parties semblent plus ou moins reconnaître que dans un milieu correctionnel, l’élimination complète des risques liés aux interactions courantes avec les détenus n’est pas toujours possible en raison du fait que c’est le caractère imprévisible de la nature humaine qui se retrouve au cœur du problème. Elles s’appuient toutes deux sur la décision rendue par mon collègue Lafrance dans l’affaire Glaister et Canada (Service correctionnel) [2007] D.A.A.C.C.T. no 11, où l’on peut lire ce qui suit au paragraphe 81 :

Il est utopique de penser qu’on peut éliminer totalement le risque d’agression dans les circonstances actuelles. La seule façon d’atteindre cet objectif serait d’isoler totalement les détenus des AC afin qu’il n’y ait plus aucun contact physique entre eux. Comme C. Blanchette l’a observé, l’Établissement Mission est une prison à sécurité moyenne où le milieu est très ouvert, car rien ne sépare le personnel et les détenus. Il reste que des mesures de contrôle doivent exister pour s’assurer que le risque se situe dans des limites sécuritaires.

[90] Dans Stone c. SCC (Établissement de Springhill), décision TSSTC no 02-019, l’agent d’appel Cadieux tient un discours semblable, comme suit :

[49] Dans un établissement à sécurité moyenne, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’on puisse veiller à la protection de tous les employés en tout temps. Il va sans dire que le confinement des détenus à leur cellule 24 heures par jour n’est pas une option. Évaluer le risque posé par les détenus constitue une des mesures adoptées par le Service correctionnel du Canada pour se conformer aux prescriptions générales du Code (…). Il faut tenir compte de nombreux éléments lorsqu’on évalue les risques posés par les détenus et les meilleures mesures à adopter pour composer avec ces risques. Il n’existe toutefois aucune mesure unique susceptible de garantir la santé et la sécurité des employés.

[50] Les détenus sont des êtres humains dotés de libre arbitre et, en tant que tel, ils peuvent décider à n’importe quel moment, et ce, sans préavis, d’agresser un membre du personnel. Ce fait découle de l’imprévisibilité du comportement humain dont j’ai parlé au paragraphe 155 de la décision Parcs Canada, supra, où j’affirme ce qui suit  :
155. Il ressort clairement de ce qui précède que l’on ne peut savoir de façon tant soit peu fiable si un contrevenant va ou non blesser un agent faisant appliquer la loi. Dans les affaires de ce genre, d’importants critères sont nécessaires pour pouvoir déterminer objectivement la probabilité d’une blessure et, par conséquent, d’un danger, c.-à-d. qu’il faut savoir de qui et de quoi il s’agit, à quel endroit on se trouve et dans quelles circonstances. Il est évident que le concept de « danger » tel que le Code l’a défini n’est pas en harmonie avec l’imprévisibilité du comportement humain, caractéristique inhérente aux fonctions d’application de la loi. Dans les professions où l’« intentionnalité » est un élément dominant du travail, c’est une gageure en soi de chercher à établir sur des faits qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. En l’absence de faits précis éliminant l’aspect d’imprévisibilité du comportement humain, l’agent de santé et de sécurité conclura probablement à l’inexistence d’un « danger » au sens où l’entend le Code, puisqu’il se trouvera, à proprement parler, en présence d’un cas hypothétique ou théorique.

[91] J’ajouterai ici que je souscris entièrement aux déclarations figurant plus haut. De plus, en ce qui a trait au caractère imprévisible du comportement des détenus, lequel ne peut être dissocié de la possibilité raisonnable de blessure en tant que condition normale d’emploi, j’estime qu’on ne peut pas faire de grief en se fondant sur une hypothèse ou des conjectures ou sur une déclaration d’un agent de SST, si celles-ci ne sont pas étayées par des renseignements pertinents et concluants. Il faut aussi tenir compte du fait que la jurisprudence du Tribunal et de la Cour fédérale permet d’établir clairement qu’un danger ne peut pas être évalué hors de tout contexte ou sur la foi d’affirmations hypothétiques ou théoriques. C’est pourquoi, à mon avis, on ne peut déterminer l’existence d’un danger ou évaluer le caractère normal d’une situation sans tenir compte des caractéristiques du milieu de travail des employés. Il faudrait donc examiner soigneusement les statistiques relatives au quart du matin.

[92] Tel qu’il est mentionné plus haut, j’ai constaté que les parties ont des points de vue très semblables sur plusieurs éléments

  • Fenbrook est un établissement à sécurité moyenne qui devait héberger au départ quelque 400 détenus ayant des cotes d’adaptation à l’établissement de risque faible, et dont l’effectif allait être rajusté aux termes de la NND afin de tenir compte de ce genre de milieu non conventionnel. Il est situé dans une localité quelque peu isolée et ses employés résident à divers endroits, ce qui laisse entendre qu’il faut plus de temps à certains d’entre eux pour s’y rendre lorsqu’on leur demande de revenir au travail pour participer à une intervention d’urgence. On s’entend toutefois pour dire qu’en règle générale, les employés du quart du matin seraient en mesure de gérer une première situation d’urgence sans que l’on doive rappeler des employés au travail. Et si l’on doit effectivement rappeler des employés au travail pour quelque raison que ce soit, les parties confirment qu’il existe une liste de rappel, même si elles ne s’entendent pas sur la qualité de cette liste. Il y a un désaccord quant à la question de savoir si l’équipe de quart aurait la capacité de gérer une deuxième d’urgence, même avec l’aide d’agents de relève ou d’agents multifonctionnels, et l’intimé soutient à cet égard que ces employés supplémentaires sont habituellement affectés au remplacement des employés réguliers absents, ce qui signifie que l’effectif serait [traduction] « juste suffisant ». L’appelant, en revanche, affirme que certains employés peuvent quitter temporairement leur poste sans risque jusqu’à l’arrivée des employés rappelés au travail, même si en pareil cas, cela entraînerait une sous-dotation. Aucune preuve n’a été présentée relativement à la fréquence de telles situations ou, plus précisément, pour démontrer qu’il est extrêmement rare qu’une deuxième situation d’urgence survienne durant le quart du matin.
  • La description de tâches des AC fait état, dans une longue liste d’éléments, de la possibilité de subir des menaces ou une agression pouvant entraîner des blessures ou la mort, ou d’être exposé au comportement agressif de certains détenus; de la nécessité d’intervenir dans diverses situations auprès des détenus, des employés ou du public, cela comportant un risque réel de subir des blessures; et du fait que l’AC doit transiger tous les jours avec des détenus parfois agités, au comportement imprévisible, ou qui peuvent refuser de coopérer ou tenter de recourir à l’intimidation ou à la violence. L’exactitude de cette description de tâches n’a pas été contestée.
  • En 1998, lorsque l’ESMF a ouvert ses portes, il était prévu qu’il accueillerait une population d’environ 400 détenus ayant des cotes d’adaptation à l’établissement de risque faible, soit des détenus plus faciles à gérer et plus obéissants. Cette population est demeurée la même durant plusieurs années et vers 2008, alors que l’on a commencé à accueillir un groupe différent de détenus ayant des cotes d’adaptation à l’établissement de risque faible, la population totale s’est mise à augmenter, principalement à cause de la double occupation et du nombre de détenus ayant une cote d’adaptation à l’établissement de risque modéré, soit des détenus imposant plus de travail aux employés correctionnels et plus d’interventions de leur part. Par conséquent, avant le recours à la double occupation en 2010 ou vers cette année-là, il y avait à peu près 420 détenus à l’ESMF, alors qu’en octobre 2011, date à laquelle on avait tenu une audience relativement au présent cas, cet établissement hébergeait 457 détenus. Ce chiffre s’élevait à 450 au 5 mars 2012 lorsque cette audience a repris. Fenbrook peut héberger des détenus ayant une cote d’adaptation de risque faible pourvu que les comportements ayant justifié l’attribution de cette cote plus basse ne compromettent pas la sécurité. Le nombre de détenus ayant une telle cote n’a pas cessé d’augmenter depuis 2008 et il est passé de 66, cette année-là, à 109 en avril 2009, à 132 en avril 2010, à 140 en juillet 2010 et à 152 en mars 2012, ayant plafonné à 184 en novembre 2011, et ces détenus comptent maintenant pour environ le tiers de la population de l’ESMF.
  • Les deux parties s’entendent pour dire que cet accroissement de la population et les changements dans le profil des détenus ont eu comme principal effet d’obliger les employés correctionnels à réaliser un plus grand nombre d’interventions, ce qui est révélé par l’évolution de la nature des infractions disciplinaires en établissement et la multiplication de celles-ci, ainsi que par les types de transferts de sortie qui doivent être effectués. La déposition non contestée du directeur Tempest veut cependant que parmi les cinq établissements à sécurité moyenne de l’Ontario, l’ESMF est celui où l’on retrouve le plus grand nombre de détenus ayant été transférés dans des établissements de niveau inférieur (sécurité minimum) durant les cinq derniers exercices financiers, même s’il a enregistré le deuxième nombre le moins élevé de transferts dans des établissements de niveau supérieur (sécurité maximum). Dans le même temps, des statistiques non contestées sur des incidents touchant à la sécurité révèlent que durant la période de neuf ans remontant à l’exercice 2003-2004, on a enregistré au total 2 620 incidents de ce genre à l’ESMF pour le cycle de 24 heures, dont seulement [texte caviardé] sont survenus durant le quart de minuit, lequel est visé au premier chef ici. On a par ailleurs recensé [texte caviardé] agression contre des employés, [texte caviardé] contre des détenus, [texte caviardé] urgences médicales et aucun incendie durant cette même période.
  • Les parties s’entendent pour dire que les AC reçoivent une formation initiale structurée, y compris relativement aux stratégies pertinentes en matière de gestion des délinquants, à la sécurité personnelle et aux interventions et exercices d’évacuation associés aux incendies, que des cours de recyclage sont suivis tous les ans par presque tous les AC et que l’on fournit aux agents tout l’arsenal nécessaire de pièces d’équipement de protection personnelle. Dans le même temps, en ce qui concerne les patrouilles et les dénombrements effectués durant le quart du matin, on ne nie pas que les agents circulant dans les rangées peuvent [texte caviardé].

[93] Hormis ce qui précède, j’ai pris en considération tous les éléments de preuve présentés par les deux parties et j’ai examiné dans le détail toutes les observations formulées par écrit par les avocates et qui font partie du dossier. Il est bien connu en droit que la notion de « danger » et la présence éventuelle d’un danger ne peuvent pas être évaluées hors de tout contexte ni établies en fonction de spéculations ou d’hypothèses. De plus, les risques évoqués pour fonder un éventuel constat de danger doivent être évalués selon leur vraie nature, sauf en présence d’un élément ou d’une caractéristique exceptionnel. Dans le présent cas, tel que je l’ai déclaré plus haut, l’appelant a bien appuyé ses dires en présentant des preuves qui étayent son raisonnement concernant la dotation en personnel et les mesures prises dans ce domaine, y compris les mesures de dotation spéciales et les mesures d’ajout d’employés prises pour répondre aux exigences liées au milieu de travail particulier propre à l’ESMF et, plus récemment, la nécessité éventuelle de traiter des cas d’urgence médicale, mais aussi en présentant et en expliquant dans le détail le concept et le fonctionnement de l’ESMF, ainsi que ce qui me semble correspondre aux éléments qui le distinguent d’autres établissements à sécurité moyenne. L’appelant décrit aussi le nouveau profil de la population de cet établissement. En même temps et à l’aide de données statistiques, il a fourni au soussigné ce que j’appellerais un aperçu historique, pour chaque quart, des divers événements pouvant ponctuer ou influencer le cours des choses à l’Établissement, le tout sur une base annuelle. Je n’ai pas été surpris de constater que l’intimé rejette la conclusion à laquelle, selon l’appelant, je devrais arriver, et en plus de présenter une solide argumentation fondée sur de la jurisprudence du Tribunal et d’autres tribunaux, il a fourni au soussigné plusieurs exemples d’événements survenus à l’Établissement et qui, à ses yeux, devraient m’inciter à conclure à la présence d’un danger non compris dans les conditions normales de travail quant aux deux séries d’éléments citées par l’agent de SST Tomlin dans son instruction à SCC.

[94] En plus de reconnaître qu’un « danger » ne peut pas être évalué [traduction] « hors de tout contexte » et que sa présence ne peut être établie en fonction de situations hypothétiques ou théoriques, je m’appuie aussi sur le critère correspondant, tel que fréquemment appliqué dans des décisions et tel que cité par les deux Cours fédérales dans la décision Société canadienne des postes c. Pollard 2007 CF 1362, où l’on peut lire que les faits invoqués pour conclure à l’existence d’un « danger » doivent permettre d’établir ce qui suit :

  • la situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel – en question se présentera probablement;
  • un employé sera exposé à la situation, à la tâche ou au risque quand il se présentera;
  • l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer une blessure ou une maladie à l’employé à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois;
  • la blessure ou la maladie se produira sans doute avant que la situation ou le risque puisse être corrigé, ou la tâche modifiée.

[95] J’ajouterai à cela que tout en reconnaissant qu’un danger ne peut pas être évalué hors de tout contexte, j’estime que lorsqu’on effectue une telle évaluation relativement à un certain type de tâche ou de travail, on se doit aussi de tenir compte de la nature intrinsèque de cette tâche ou de ce travail ainsi que du milieu personnel ou physique où ils sont accomplis. Bref, j’estime qu’on ne peut pas s’attendre à ce que la nature du travail en cause soit modifiée en profondeur dans le but de minimiser les risques auxquels un employé est exposé. En termes plutôt simplistes, un milieu pénitentiaire n’est pas un bureau et il faut tenir compte de cela lorsqu’on évalue un danger et le caractère normal d’une situation.

[96] Cela se rapporterait donc, à mon avis, à l’essence de ce que l’on appelle des conditions normales d’emploi. De plus, même si le fait de tenter de minimiser ou d’éliminer les risques associés à une tâche constitue un exercice prospectif, selon moi, on ne saurait y arriver sans s’appuyer sur des antécédents et même sur des données actuelles. À cet égard, je souscris aussi aux points de vue exprimés par le juge Rothstein dans Martin c. Procureur général du Canada 2005 CAF 156, comme suit :

Je conviens qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais, lorsqu’on cherche à déterminer si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l’avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard.
[[Soulignement ajouté]]

[97] Bien que l’agent de SST Tomlin ait indiqué dans le cadre de son témoignage qu’il s’intéressait à la prévention et non pas à des événements passés, j’ose prétendre que le critère mentionné plus haut s’appliquerait aussi à une décision rendue par un agent de SST. Tel que je l’affirme plus haut, l’avocate de l’intimé a fourni au soussigné des preuves concernant de nombreux incidents et bien qu’elles soient plus ou moins interreliées lorsqu’on tient compte de la période mise en cause, on pourrait les considérer comme des éléments portant à conclure à l’existence d’un « danger », même lorsqu’on les aborde une à la fois. Je dois aussi ajouter que cette considération ne peut pas être faite sans tenir compte de l’information fournie par l’appelant, qui a été rapportée comme suit par l’avocate :

[traduction] « (...) de même, dans le présent cas, l’aspect sensationnel des changements survenus dans l’ensemble du profil des délinquants et la double occupation ne doivent pas occulter la véritable nature du danger ou du risque mis en cause. Si l’on se fie au témoignage pertinent, les patrouilles et les dénombrements [texte caviardé]. Il n’est pas rare que des détenus soient éveillés passé minuit, cela est le cas depuis longtemps et n’est pas associé à des risques ou des problèmes en matière de sécurité. Rien ne prouve que les détenus se comportent de façon plus agressive ou nuisible parce qu’ils sont plus actifs durant le quart du matin. (…) De plus, Mme Ludlow a déclaré lors de son témoignage qu’elle n’avait jamais été contrainte de déclencher son alarme portative durant le quart du matin. »

Encore une fois, il est important de noter ici que le présent appel concerne exclusivement le quart du matin, ou quart de minuit, qui est mis en cause par l’agent de SST Tomlin dans son instruction.

[98] Même si je reconnais que le profil de la population de détenus de l’Établissement a changé au moins dans la mesure mentionnée plus haut et que cela a entraîné des changements d’attitude chez certains détenus et, du même coup, des problèmes plus difficiles à gérer pour les AC, la preuve présentée à cet égard n’a pas suffi à convaincre le soussigné que [traduction] « quelque chose finira par arriver » à Fenbrook. En même temps, en ce qui concerne la capacité des employés à réagir à une deuxième situation d’urgence durant le quart du matin, la preuve accumulée n’est certainement pas suffisante pour me convaincre qu’un tel scénario n’est pas que purement hypothétique. Je ne vois pas non plus de raison de ne pas souscrire à la position du directeur Tempest voulant que l’on a constaté que les changements survenus dans le profil de la population de détenus de Fenbrook sont essentiellement de nature administrative et n’ont pas eu d’effets réels sur le fonctionnement quotidien de l’établissement, y compris en ce qui a trait au travail des AC, contrairement à ce que l’intimé affirme en invoquant des incidents survenus au fil du temps et qui, à mes yeux, sont peu nombreux, et en s’appuyant sur une description générale de l’attitude des détenus.

[99] Tout cela étant dit, j’ai tenu compte de la preuve déposée en ce qui a trait aux deux éléments visés par l’instruction, à savoir l’exécution des patrouilles et des dénombrements lors du quart du matin et aussi la capacité des employés de l’établissement à réagir à une deuxième situation d’urgence, y compris à une urgence médicale durant ce même quart, et j’ai aussi pris en considération les changements non contestés dans le profil de la population de détenus à l’ESMF ainsi que le type de milieu de travail. En conclusion, j’ai constaté que dans son ensemble, et tel qu’il est indiqué plus haut, la preuve établie n’étaye pas un constat de danger.

Décision

[100] Pour ces motifs, l’appel est accueilli et l’instruction émise à Service correctionnel du Canada par l’agent de SST Tomlin le 15 septembre 2010 est annulée.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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