2013 TSSTC 22

Date : 2013-07-31

Dossier : 2011-49

Rendue à : Ottawa

Entre :

Patrick Weagant, appelant

Et

Service correctionnel du Canada, intimé

Version caviardée

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par un agent de santé et de sécurité.

Décision : La décision attestant de l’absence de danger est confirmée.

Décision rendue par : M. Michael McDermott, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Mme Sheryl Ferguson, conseillère, Syndicat des agents correctionnels du Canada, CSN

Pour l’intimé : Mme Christine Langill, avocate, Services juridiques du Conseil du Trésor, Justice Canada

Motifs de la décision

[1] La présente décision concerne un appel déposé aux termes du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’un constat d’absence de danger fait par l’agent de santé et de sécurité (agent de SST) Lewis A. Jenkins. Il est indiqué dans le dossier que la décision a été communiquée verbalement aux parties le 30 août 2011 et confirmée par M. Jenkins dans sa décision et son rapport d’enquête écrits publiés à Kingston (Ontario) le 14 septembre 2011. L’appelant est M. Patrick Weagant et l’intimé est Service correctionnel du Canada (SCC). Une audience a été tenue à Kingston (Ontario) du 7 au 11 janvier 2013 et une visite de l’unité des nouveaux venus de l’Établissement de Warkworth a eu lieu le premier matin.

Contexte

[2] L’agent de SST a fait son constat à la suite d’une enquête sur un refus de travailler visé par le paragraphe 128(1) du Code et exprimé par M. Weagant le 25 août 2011. M. Weagant est un agent correctionnel de niveau 2 (CX- 2) et il a passé la majeure partie de sa carrière à l’Établissement de Warkworth, à Campbellford, en Ontario. Il était censé travailler à l’unité des nouveaux venus (UNV) de l’Établissement le jour même où cette unité est devenue fonctionnelle. Le refus de l’appelant, qui est survenu avant l’arrivée prévue des détenus transférés à Warkworth, renvoyait au départ à trois questions litigieuses qui le préoccupaient, à savoir la dotation en personnel inadéquate de l’unité, un engagement relatif à une voie d’évacuation que l’on n’avait pas fini d’aménager, et l’insuffisance de la formation relative aux procédures d’évacuation d’urgence et au fonctionnement de l’unité. Dans la demande d’appel déposée par M. Weagant le 6 septembre 2011, l’objet dudit appel se limite [traduction] « expressément au niveau de dotation en personnel de l’unité ». Le niveau de dotation en personnel contesté est celui conformément auquel l’employeur affecte deux agents correctionnels à l’UNV lors des quarts de jour et de soir. L’appelant affirme que ce niveau de dotation en personnel entraîne un danger pour lui et que l’effectif spécialisé devrait être composé de trois agents.

[3] Au début, le présent appel était joint à un appel déposé par SCC en application du paragraphe 146(1) du Code et à l’encontre d’une direction émise par l’agent de SST le 30 août 2011, en conformité avec le paragraphe 145(1) et relativement à une contravention prévue à l’article 124 du Code. Cette contravention concernait le fait qu’il n’y avait pas de barrière pour assurer le transfert sécuritaire des détenus se trouvant dans la cour de l’UNV vers l’édifice des programmes de l’Établissement. [Texte caviardé]. Un avis de retrait de cet appel a été transmis par l’avocate de l’employeur dès le début de l’audience l’après-midi du 7 janvier 2013 et a été confirmé par écrit à la même date au registraire du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal).

[4] L’agent de SST Jenkins a indiqué au dossier que le refus avait été exprimé à midi le 25 août 2011 et qu’il avait reçu un avis à ce sujet à 15 h 30 alors qu’il se trouvait au bureau du Programme du travail de Ressources humaines et développement social Canada. Il a entrepris son enquête à 18 h 30 le même jour. Même si, tel que cela deviendra évident, les parties ne s’entendent pas au sujet de certaines déclarations et conclusions énoncées dans le rapport d’enquête, celui-ci contient de l’information de base qui, jumelée à des témoignages non contestés, permet de résumer la vocation de l’Établissement de Warkworth et ses activités, et d’esquisser son aménagement. Warkworth est classé comme établissement pour hommes à sécurité moyenne et aux termes de l’extrait du règlement pertinent, cet établissement héberge les détenus qui, selon l’évaluation de SCC, « (i) soit présente[nt] un risque d’évasion de faible à moyen et, en cas d’évasion, constituerai[en]t une menace moyenne pour la sécurité du public, (ii) soit exige[nt] un degré moyen de surveillance et de contrôle à l’intérieur du pénitencier (...). » L’Établissement se trouve à l’intérieur de démarcations sécuritaires, y compris une clôture de périmètre. La majorité des presque 600 détenus logent dans quatre unités résidentielles principales pouvant héberger de 80 à environ 120 personnes, dont certaines dans des cellules à occupation double ou partagée. On m’a expliqué qu’une cinquième unité résidentielle permettait de loger les détenus ayant des besoins spéciaux (détenus âgés, à mobilité réduite, etc.), et qu’elle pouvait héberger 96 détenus au maximum. L’Établissement applique le modèle de sécurité active de SCC pour les employés qui ont des interactions directes avec les détenus; ce modèle a été conçu pour promouvoir le maintien d’un milieu sécuritaire pour les employés, les détenus et le public.

[5] Un plan de l’Établissement a été présenté lors de l’audience. [Texte caviardé]. L’effectif à Warkworth comprend environ 250 agents correctionnels et, selon une estimation, 200 autres employés, tels que des infirmiers, des psychologues, des préposés à l’entretien, des instructeurs et des gestionnaires et administrateurs. Des agents de libération conditionnelle, des aumôniers et d’autres conseillers viennent aussi à l’Établissement. Les employés correctionnels travaillent en moyenne 40 heures par semaine et leur horaire leur permet d’accumuler un plus grand nombre d’heures durant une semaine donnée, pourvu que la moyenne de 40 heures soit maintenue au fil du temps. Les employés sont affectés à des quarts de jour, de soir et de matin, ce dernier type de quart correspondant au quart de nuit.

[6] [Texte caviardé] dont la plupart ont été conçues pour la double occupation, les quelques-unes qui restent étant réservées à l’occupation partagée. [Texte caviardé]. Lorsque toutes les cellules de l’immeuble sont occupées, elles hébergent 56 détenus. [Texte caviardé]. Cependant, ils ne participent pas aux déplacements de détenus isolés, cela incombant plutôt aux agents affectés à l’unité d’isolement principale.

[7] Durant une ronde de surveillance des rangées, si les détenus de l’UNV ne sont pas confinés à leur cellule ou absents de leur unité, ils doivent se tenir à l’écart de la barrière de l’unité des cellules servant à gérer le dépassement de capacité de l’unité d’isolement au moment où l’agent ouvre cette barrière, y compris lorsqu’on leur ordonne de le faire. À l’époque où l’appelant a refusé de travailler, il y avait une ligne rouge qui marquait la limite que les détenus ne devaient pas franchir en pareilles circonstances. Cette ligne n’était plus là durant la visite de l’Établissement, mais des avis faisaient état de l’interdiction de franchir la limite en question. L’UNV a fonctionné du 25 août 2011 à septembre 2012. [Texte caviardé]. Le plan semble viser à restaurer l’UNV même si ce scénario n’était censé se réaliser qu’au moins deux ans plus tard au moment de l’audience.

[8] Le rapport de l’agent de SST fait 251 pages et le rapport d’enquête et la décision y figurent deux fois, soit aux pages 191 à 195 et à nouveau aux pages 196 à 200. Dans la section du rapport d’enquête intitulée [traduction] « Faits établis par l’agent de santé et sécurité au travail », on confirme le niveau d’occupation maximum de l’édifice de l’UNV et il y est aussi indiqué qu’au moment du refus, 11 détenus (devaient être transférés) à l’UNV et dix autres étaient hébergés dans les cellules servant à gérer le dépassement de capacité de l’unité d’isolement. On mentionne aussi dans ce rapport, en ce qui concerne l’UNV, que [traduction] « les procédures d’évaluation de la menace et des risques, d’analyse des risques liés à l’emploi et d’exploitation de l’établissement ont été mises en oeuvre et révèlent une dotation [texte caviardé] » Il semble avoir une [traduction] « coquille » ici et le quart mentionné à la fin de cette phrase devrait être celui du matin, c’est-à-dire le quart de nuit. On peut lire dans la même section que les agents correctionnels sont initiés aux normes de base de SCC et qu’ils ont [traduction] « la capacité de gérer l’environnement de l’unité résidentielle »; des exemples sont aussi fournis à ce sujet. En cas de perturbation dans l’unité, l’agent de SST note que les agents peuvent appeler à l’aide et qu’il [traduction] « ne faut que quelques secondes pour repérer deux agents dans d’autres parties de l’Établissement et les mobiliser. »

[9] Tel qu’il est indiqué au paragraphe deux plus haut, le problème de dotation en personnel relevé par l’appelant dans sa demande d’appel concerne le fait qu’il prétend qu’un effectif de [texte caviardé] agents correctionnels pour l’UNV lors des quarts de jour et de soir n’est pas suffisant et que cela engendre un danger au sens du Code. En effet, l’appelant conteste la façon dont SCC applique les politiques de dotation en personnel (en conformité avec la directive du commissaire sur les Normes nationales de déploiement des agents de correction) au regard des circonstances propres à l’UNV de l’Établissement de Warkworth. En tant que tel et avant d’examiner les témoignages et arguments des parties, il est utile de décrire brièvement la directive et ses annexes pertinentes.

[10] Cette directive, que l’on appelle aussi la DC 004, a été émise par le commissaire du SCC le 8 juin 2009. Elle vise, de façon générale, à accroître la sécurité du public, des employés et des détenus par le biais de la mise en œuvre des Normes nationales de déploiement des agents de correction, le tout aux fins du déploiement cohérent et efficace des agents correctionnels à divers niveaux de sécurité et dans divers types d’établissements. Parmi les objectifs prévus, citons la rationalisation et la normalisation des pratiques de gestion s’appliquant au déploiement des agents correctionnels, les exceptions se limitant [traduction] « aux dérogation jugées objectivement justifiées comme importantes et justifiées. » Les principes découlant de la directive exigent que l’on déploie des agents correctionnels de manière à [traduction] « témoigner de pratiques courantes uniforme à l’échelle du SCC », l’approbation des exceptions relevant de l’Administration centrale. Lorsqu’il faut effectuer un examen officiel d’un milieu opérationnel, une évaluation de la menace et des risques (EMR) devra être comprise dans ce processus.

[11] Les procédures et processus liés à la DC 004 servent surtout à déterminer des niveaux de déploiement dans les établissements en établissant dans un document la liste détaillée et quantifiée de l’application des normes à chaque établissement. L’annexe B de la DC 004 présente en détail les Normes nationales de déploiement des agents de correction et traite des niveaux de déploiement d’agents correctionnels pour les unités résidentielles des établissements à sécurité moyenne (voir la page 30). C’est la norme établie pour les unités conçues pour accueillir moins de 80 détenus qui est la plus pertinente au regard des questions litigieuses liées à l’appel. Cette norme prévoit un effectif spécialisé formé [texte caviardé] CX- 1 et [texte caviardé] CX-2 tant pour le quart de jour que le quart de soir. Des révisions s’appliquant aux Normes nationales de déploiement des agents de correction ont été publiées le 29 juillet 2011, mais elles n’ont pas eu pour effet de modifier les niveaux de déploiement pour les unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus.

[12] Il est établi dans la directive que certaines circonstances peuvent dicter que l’on examine les niveaux de déploiement pour chaque établissement, et que le Comité sur les normes de déploiement des agents de correction (CNDAC) supervise les demandes d’exceptions ou de modification des normes. L’annexe A de la DC 004, qui se trouve dans l’onglet 4 en tant que pièce 2, fait état des attributions du Comité. Le sous-commissaire principal préside le Comité, lequel est composé, suivant un système de rotation, de deux sous-commissaires régionaux et trois sous-commissaires adjoints responsables des opérations en établissement. Les demandes de modification de normes doivent être parrainées par un membre du CNDAC et étayées par une étude de cas et une évaluation des conséquences. Aucun syndicat n’est représenté au sein du Comité, mais le parrain doit consulter le syndicat concerné et les résultats de cette démarche doivent être notés dans toute présentation soumise au Comité. Les recommandations faites par le CNDAC sont présentées au commissaire, qui rend une décision finale à leur sujet.

Question en litige

[13] La principale question en litige liée à cet appel est celle de savoir s’il y avait lieu de constater l’absence de danger au sens du Code à l’UNV de l’Établissement de Warkworth le 25 août 2011, soit la date à laquelle on a enquêté au sujet du refus de travailler exprimé par M. Weagant plus tôt ce jour-là.

Résumé de la preuve

A) Témoins de l’appelant

[14] L’appelant a cité les trois témoins suivants en plus du témoignage qu’il a fait lui-même : M. Scott Huizinga, un agent correctionnel de niveau 1 (CX- 1) à Warkworth, qui agit également à l’heure actuelle comme co-président du comité local de santé et de sécurité, lequel sera désigné ci-après par l’acronyme utilisé à l’Établissement, soit « CMSSTE »; M. Mike Ainger, qui travaille comme CX- 1 à l’Établissement de Fenbrook, à Gravenhurst (Ontario); et M. Jordan Schmahl, un CX- 1 de Warkworth qui était co-président du CMSSTE au moment du refus et qui est actuellement président de la section locale du Syndicat des agents correctionnels du Canada - Union of Canadian Correctionnal Officers - CSN (UCCO-SACC-CSN).

[15] Le témoignage en direct fait par M. Weagant corrobore dans une large part le raisonnement narratif se rapportant au refus de travailler exprimé le 25 août 2011 et dont l’énoncé était joint à son formulaire d’enregistrement d’un refus de travailler portant la même date. M. Weagant considère que l’effectif prévu pour l’UNV, soit seulement [texte caviardé] agents pour les quarts de jour et de soir, créerait un danger au sens du Code. Il fait allusion à l’aménagement de l’immeuble de l’UNV et maintient qu’il pourrait arriver que des agents correctionnels effectuant la ronde de surveillance des rangées [texte caviardé]. Il s’inquiète aussi de la possibilité qu’une intervention faisant suite à un appel à l’aide reçu sur l’avertisseur portatif personnel (APP) d’un agent soit retardée en raison du fait [texte caviardé], et il remet en question la décision de la direction de ne pas valider une EMR dans la foulée de laquelle on avait établi qu’un effectif spécialisé formé de [texte caviardé] agents devait être affecté à l’UNV.

[16] M. Huizinga agissait comme représentant de M. Weagant lorsque l’agent de SST enquêtait au sujet du refus. Lui et M. Schmahl collaboraient de près avec le CMSSTE de Warkworth. Ils ont parlé de l’EMR et du fait qu’on y mentionnait un effectif de [texte caviardé] agents pour l’UNV, et ils ont ajouté qu’ils n’avaient jamais vu de version mise à jour dans laquelle il était question d’un effectif de [texte caviardé] agents. M. Huizinga affirme qu’il n’avait jamais vu non plus l’analyse des risques liés à l’emploi (ARE) avant l’audience, et M. Schmahl ne se souvenait pas quand il l’avait vue pour la première fois. Leur témoignage traitait des tâches courantes et des horaires à l’Établissement et mettait en doute le caractère adéquat des délais d’intervention faisant suite à des appels reçus sur un APP. M. Huizinga indique que le SACC-UCCO-CSN n’approuvait pas les niveaux de dotation en personnel prévus pour les unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus, et que lui non plus il ne les cautionnait pas. M. Schmahl décrit des demandes qu’il a faites par l’entremise de la Région pour que l’on effectue un examen des problèmes de dotation en personnel à Warkworth, le tout sous les auspices du CNDAC. Il a déclaré lors de son témoignage que deux demandes de ce genre avaient été faites, la première ayant mené à la production d’un rapport non concluant alors qu’aucun rapport n’a encore été publié pour la deuxième.

[17] M. Ainger est l’auteur de « Examen critiqué de la pratique de la double occupation des cellules dans les services correctionnels », une étude réalisée en 2009 et 2010, qu’il a entreprise à la demande de SACC-UCCO-CSN et qu’il décrit comme [traduction] « une métaanalyse » fondée sur des écrits universitaires publiés et certaines publications gouvernementales plutôt que sur ses propres recherches. Le contenu de ces documents y est aussi résumé. (Le texte complet figure dans le rapport de l’agent de SST, aux pages 60 à 75). M. Ainger affirme que cette étude, qu’il a aussi décrit comme un [traduction] « document où il prend position », a été effectuée dans la foulée de modifications apportées à la directive du commissaire sur le logement des détenus (la DC 550) et grâce auxquelles il serait possible d’augmenter les niveaux de double occupation. Même si cette étude a permis d’établir, de façon générale, que la double occupation a des effets néfastes sur la sécurité des établissements et sur la santé et la sécurité au travail des employés correctionnels et des détenus, y compris un accroissement de la violence en établissement, elle fait aussi état de points de vue contraires.

B) Témoins de l’intimé

[18] L’intimé a cité quatre témoins, soit M. Mike Velichka, responsable des normes de déploiement, qui travaille à Ottawa, Mme Janice Sandeson, directrice adjointe, Opérations, à Warkworth, M. Thomas Rittwage, gestionnaire correctionnel (CX-4) à Warkworth, et Mme Christine Cairns, sous-directrice à Warkworth.

[19] Le bureau de M. Velichka se trouve à la Direction générale de la sécurité à l’Administration nationale à Ottawa. Il est devenu évident durant son témoignage qu’il a joué un rôle important dans l’élaboration des Normes nationales de déploiement des agents de correction, qui sont citées pour la première fois aux paragraphes 10 et 11 plus haut, où elles sont aussi résumées. Il a aussi déclaré lors de son témoignage qu’il a dirigé un groupe de travail à compter de 2004 et que ce groupe avait comme mandat d’effectuer un examen approfondi de tout le système, ce qui a mené à la publication de la DC 004 en 2009. Il a fait allusion à des consultations avec des agents négociateurs et il a précisé que des rencontres avaient aussi eu lieu avec des agents nationaux et régionaux de haut niveau du SACC-UCCO-CSN durant trois jours à Montréal. Après avoir établi des normes, on a demandé au représentant de chaque établissement de communiquer les résultats applicables au CMSSTE local afin qu’il fasse des commentaires au sujet d’éventuels problèmes de santé et sécurité au travail.

[20] M. Velichka continue d’assumer des responsabilités relativement à l’application des normes et à la mise à jour de la politique, ce qui revient, selon lui, à participer aux processus qui permettent de déterminer le nombre d’agents correctionnels affectés à diverses tâches liées au maintien de la sécurité, ainsi que leur rang, leurs attributions et leurs quarts de travail dans des établissements à sécurité minimum, moyenne ou maximum. Il confirme que la politique s’applique à tous les établissements de SCC et que les gestionnaires sont tenus de respecter ses dispositions, mais il indique aussi qu’il existe des procédures pour demander que des modifications soient apportées aux normes pour des motifs valides. Il a déclaré lors de son témoignage que la DC 004 fait actuellement l’objet d’un examen et que des consultations ont été tenues auprès des syndicats et des directions locales et régionales. Les membres du Comité national des politiques en matière de santé et sécurité au travail ont aussi participé à ces processus. Lorsqu’on leur a expressément demandé si les représentants du SACC-UCCO-CSN avaient soulevé un problème de dotation en personnel relativement aux unités hébergeant moins de 80 détenus, M. Velichka a répondu par la négative.

[21] Mme Sandeson est directrice adjointe, Opérations, à l’Établissement de Warkworth, un poste qu’elle occupait au moment du refus de travailler. Elle a témoigné au sujet de l’utilité de l’UNV quand vient le moment d’orienter les détenus pour qu’ils accomplissent des tâches courantes à Warkworth et de son aspect pratique pour ce qui est de la réalisation d’évaluations de soins de santé et d’autres types d’évaluations, tout en notant que le processus d’évaluation débute avant que les détenus arrivent à l’Établissement. Elle a parlé de consultations menées auprès d’employés, y compris des représentants du SACC-UCCO-CSN, des plans relatifs à la double occupation dans l’unité, et elle a reconnu que ces consultations ne mènent pas toujours à une entente. En ce qui concerne l’effectif des quarts de jour et de soir à l’UNV, elle a maintenu que la norme de déploiement est de [texte caviardé] agents, mais qu’en raison de la possibilité que du financement additionnel devienne disponible, on a envisagé de recourir à un effectif spécialisé composé de [texte caviardé] agents. Elle aussi a témoigné au sujet de la formation prodiguée aux agents relativement aux normes professionnelles de SCC, du pouvoir qu’ont les agents de donner des ordres aux détenus, et de l’équipement de protection personnelle fourni aux agents. Elle a décrit les exigences en matière de déclaration d’incident, et elle a affirmé dans le cadre de son témoignage qu’il n’y avait pas eu de prises d’otages ni d’agressions contre des employés à l’UNV pendant que celle-ci était en exploitation.

[22] M. Rittwage est un gestionnaire correctionnel. Il était en poste à l’UNV le jour où l’appelant a refusé de travailler. Il a déclaré lors de son témoignage qu’aucun incident ou problème de comportement chez les détenus n’avait été signalé par l’équipe de transport régionale qui emmène à l’Établissement les nouveaux détenus provenant de l’unité d’évaluation de Millhaven. De même, il a affirmé [texte caviardé] les services de sécurité et du renseignement de Warkworth à la suite de l’examen des profils de détenus stockés dans le Système de gestion des délinquants et que M. Weagant n’avait pas exprimé d’inquiétudes au sujet de quelque détenu que ce soit. Il a parlé d’un modèle d’évaluation désigné par l’acronyme [texte caviardé] et d’agents à qui l’on apprend à garder le contrôle d’une unité et à toujours penser à observer, à comprendre et à évaluer ce qui se passe de manière à pouvoir prendre les bonnes décisions. La preuve comprenait des allusions aux tâches quotidiennes des détenus, à l’équipement protecteur des agents, aux délais d’intervention relatifs aux appels reçus sur un APP, à la nécessité d’affecter [texte caviardé] agent [texte caviardé] et à la ligne démarquant les endroits hors limites dans l’unité. Il a aussi déclaré lors de son témoignage qu’il n’y avait pas eu de prises d’otages ni d’agressions envers des employés à l’UNV.

[23] Mme Cairns est la sous-directrice à Warkworth, un poste qu’elle détenait au moment du refus. Elle a témoigné au sujet des évaluations de détenus et décrit en détail les ressources professionnelles affectées à ces évaluations en plus d’insister sur leur caractère continu (les détenus se font évaluer à partir du moment où leur peine est déterminée ainsi que durant et après la période où ils purgent cette peine). Mme Cairns a aussi expliqué dans le cadre de son témoignage en quoi consistaient les niveaux de sécurité associés aux détenus, et elle a mentionné à cet égard que les détenus qui marchent autour de l’Établissement se verraient attribuer un niveau de sécurité moyen. Lorsqu’elle a fait une déposition au sujet de la création de l’UNV, elle a affirmé qu’il y avait eu des rencontres avec des employés et des partenaires syndicaux, dont le SACC-UCCO-CSN, ainsi que des consultations avec le comité des détenus, ce qui avait permis de dégager un consensus acceptable sur l’utilité d’un processus de centralisation des détenus nouvellement arrivés. En ce qui concerne les délais d’intervention associés à des appels reçus sur un APP, Mme Cairns a mentionné que [texte caviardé]. Son témoignage sur la possibilité qu[texte caviardé] agent spécialisé soit affecté à l’UNV s’apparentait à celui de ses collègues, à savoir que cela serait souhaitable, mais entraînerait un dépassement de la norme de déploiement. Elle a aussi noté que du financement additionnel avait permis d’accroître les capacités en matière de fourniture de services de santé mentale et de programmes à Warkworth, et elle a mentionné qu’elle était heureuse de constater qu’environ 40 détenus avaient obtenu un diplôme d’études secondaires l’année précédente et que l’on prévoyait atteindre à peu près le même chiffre pour l’année en cours.

Argument

a) Observations écrites de l’appelant

[24] L’appelant confirme que la question en litige visée par l’appel est celle de la dotation en personnel à l’UNV de Warkworth. Il soutient que les [texte caviardé] agents actuellement affectés aux quarts de jour et de soir ne peuvent accomplir toutes les tâches prévues, et que ce problème persiste même si l’unité héberge maintenant des détenus de la population générale et qu’elle ne sert plus d’UNV. Les problèmes cités se rapportent au [texte caviardé].

[25] [Texte caviardé]. De même, on soutient qu’il est indiqué dans l’ARE que l’effectif de l’UNV est composé de trois agents. La directrice adjointe, Opérations, a laissé entendre lors de son témoignage que l’expression [traduction] « agent de deuxième ronde » (pages 3 et 4 de l’ARE) laissait entendre qu’il y avait [texte caviardé] agents dans l’unité et non pas que [texte caviardé] agents étaient disponibles pour faire des rondes de surveillance de rangées, et cela a été réfuté. Le procès-verbal de la réunion tenue par le CMSSTE le 18 mai 2011 fait mention du dénommé  [traduction] « P.  Gottlieb [et cela a permis] de clarifier le fait que [texte caviardé] agents seront en poste dans l’UNV, [texte caviardé] et cette information a été citée à l’appui de cette présentation, tout comme le fait que M. Gottlieb est l’auteur de l’ARE.

[26] Après avoir mentionné qu’il n’avait pas remis en question le processus d’évaluation des détenus à l’époque où il avait refusé de travailler, l’appelant affirme que l’évaluation initiale à Warkworth est effectuée par un gestionnaire correctionnel et non pas par un psychologue ou un clinicien formé. En ce qui concerne la double occupation, l’intimé soutient, tel que révélé par son témoignage, que cette question n’a pas été soulevée par l’appelant lorsqu’il a exprimé son refus, et on a contesté cette affirmation en s’appuyant sur le compte rendu narratif de M. Weagant qui accompagnait l’enregistrement de son refus de travailler et sur le rapport d’enquête de l’agent de SST (pages 225 et 197, respectivement). Ces deux documents font mention de la double occupation. Quant à la question en litige elle-même, on soutient que la double occupation occasionne du stress aux détenus, que le fait de loger deux personnes dans un espace prévu pour une seule causera des tensions et que ce surpeuplement fait augmenter les risques auxquels sont exposés les employés.

[27] On affirme que la directive nationale pour le déploiement des agents de correction (la DC 004) est un document de l’employeur dont les modalités ne sont ni négociées avec le SACC-UCCO-CSN, ni approuvées par lui. L’appelant soutient qu’au moment où l’on a réalisé l’étude ayant mené à l’établissement de la Directive, l’UNV n’était pas en exploitation et que l’on n’avait donc pas tenu compte des exigences qui lui sont propres. L’unité de transition qui se trouvait alors dans l’immeuble hébergeait moins de détenus (d’un autre groupe) et ses procédures opérationnelles étaient différentes. En tant que tel, on affirme que l’approche consistant à établir une politique normalisée pour la dotation en personnel a été mise au point pour l’unité de transition et ne devrait pas être appliquée à l’UNV. Notant que M. Velichka, qui a dirigé l’étude sur le déploiement, avait déclaré lors de son témoignage qu’il n’était pas au courant que l’on avait demandé qu’un examen du processus de déploiement d’agents soit effectué à Warkworth, l’appelant met en cause la haute direction de l’Établissement en affirmant qu’une étude de cas à la suite de laquelle on avait recommandé que [texte caviardé] agents soient affectés à l’UNV avait été présentée à la Région, mais que l’Administration centrale avait finalement rejeté cette recommandation.

[28] L’appelant conteste l’affirmation de l’intimé voulant que l’affaire visée par l’appel ne soit que purement théorique et il ajoute à cet égard que le problème de dotation en personnel persiste à l’unité telle qu’elle est utilisée actuellement. [Texte caviardé].

[29] Une liste de sept décisions, dont cinq rendues par des agents d’appel, une par la Cour fédérale et l’autre par la Cour d’appel fédérale, a été fournie à l’appui des observations de l’appelant, mais aucun argument précis n’a été présenté en ce qui concerne la façon dont la jurisprudence établie dans ces décisions pourrait s’appliquer au présent appel. J’ai examiné tous les cas cités, mais j’ai dû tenter de déduire quels étaient les éléments de ces décisions dont l’appelant voulait que je tienne compte. Je note que les faits liés à deux des cas impliquant SCC concernent la décision de ne pas armer les agents affectés à des opérations d’escorte à l’extérieur de l’établissement, mais cette question n’a pas été soulevée dans le cadre du présent appel. On allègue aussi, dans une autre de ces décisions, que l’on n’a pas appliqué un niveau de dotation en personnel établi par SCC, alors que dans le cas du présent appel, c’est le mode de mise en œuvre de la politique de déploiement de l’employeur qui est contesté. Il me reste à mentionner que dans les cas cités, on trouve des renvois à de la jurisprudence reconnue comprenant des décisions telles que Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767 (expressément citée dans les contre-observations de l’appelant), Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF156, et Société canadienne des postes c. Carolyn Pollard, 2008 CAF 305.

B) Observations écrites de l’intimé

[30] L’intimé commence par présenter ses observations en examinant les faits liés au présent cas et il note que l’appel vise expressément les niveaux de dotation en personnel de l’UNV. Il confirme que Warkworth est un établissement à sécurité moyenne pour les détenus de sexe masculin et il fournit une description de ce type d’établissement selon sa classification, le tout en accord avec ce qui est énoncé plus haut. Il précise la capacité de l’UNV et des cellules adjacentes servant à gérer le dépassement de capacité de l’unité d’isolement, et il affirme que, conformément à la politique de déploiement nationale s’appliquant aux unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus, [texte caviardé] CX- 1 est affecté au quart du matin (nuit) et [texte caviardé] CX- 1 et [texte caviardé] CX- 2 sont affectés aux quarts de jour et de soir. Il ajoute que le témoignage de trois membres de la haute direction révèle qu’on ne prévoit pas que l’UNV sera exposée à d’autres risques.

[31] Après avoir mentionné que l’appelant était toujours CX- 2 à tous les moments mis en cause et qu’il l’est toujours, l’intimé soutient que lors de son contre-interrogatoire, il a confirmé qu’il connaissait les risques et les conditions de travail décrits dans les descriptions de tâches pertinentes, y compris les modalités suivantes :

Le travail est accompli dans un établissement à accès contrôlé doté de plusieurs barrières et dispositifs de contrôle de la sécurité, lesquels peuvent engendrer chez les détenus le sentiment d’être isolés ou de manquer d’intimité. Tous les jours, on peut voir, sentir ou entendre des choses désagréables dans l’établissement.

On y voit aussi des détenus agités qui se comportent de façon imprévisible ou qui ne coopèrent pas, ou encore qui peuvent tenter de faire de l’intimidation ou de recourir à la violence.

[32] En ce qui concerne la loi telle qu’elle définit le danger, l’intimé cite d’abord l’article 128 du Code (refus de travailler en cas de danger) et la définition de « danger » figurant au paragraphe 122(1). (Le texte de ces dispositions législatives figure plus loin dans la section relative à l’analyse.) L’intimé décrit un critère comportant quatre points qui est utilisé pour établir la présence d’un danger et qui est décrit au paragraphe 66 de la décision rendue par la juge Dawson dans l’affaire Société canadienne des postes c. Pollard, 2007 CF 1362, une décision qui, toujours selon l’intimé, a été confirmée par la Cour d’appel fédérale Pollard (supra). Le critère cité est en accord, pour l’essentiel, avec la jurisprudence reconnue pour ce qui est de déterminer les circonstances qui constituent un danger au sens du Code.

[33] Citant les paragraphes 36 et 37 de la décision rendue par la juge Gauthier relativement à l’affaire Verville (supra), l’intimé affirme que la définition de la notion de danger exige que l’on démontre que les circonstances liées à un éventuel risque, situation ou tâche pourraient se matérialiser et que cela n’est pas [traduction] « qu’une simple possibilité, mais plutôt possibilité raisonnable. » L’intimé soutient que le critère qui s’applique donc dans le cas de l’appel est une [traduction] « possibilité raisonnable » et non pas une [traduction] « simple possibilité ». À cet égard, il affirme aussi que même si [traduction] « le côté imprévisible du comportement humain implique qu’il est toujours possible qu’une agression ou un autre incident survienne », cela [traduction] « ne change rien au fait que les problèmes soulevés par M. Weagant relève de la spéculation, c’est-à-dire de la “simple possibilité”. » L’intimé soutient que les diverses mesures de sécurité prises par SCC et la formation professionnelle donnée aux agents permettent de gérer de tels risques spéculatifs.

[34] Après avoir soulevé deux questions litigieuses préliminaires, l’intimé commence par soutenir que l’appel est purement théorique et devrait être rejeté. Citant la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Borowski c. Canada (AG), [1989] 1 R.C.S. 342, l’intimé affirme, en accord avec ce qui a été confirmé par l’appelant, que l’appel [traduction] « porte précisément sur le niveau de dotation en personnel de l’unité des nouveaux venus » et sur le changement de fonction de cette unité, qui a commencé à accueillir des détenus de la population générale après avoir servi d’unité des nouveaux venus, et que cela a pour effet de rendre l’affaire en cause purement théorique, de sorte que l’agent d’appel pourrait refuser d’entendre cet appel. La deuxième question litigieuse préliminaire citée par l’intimé comporte deux éléments, à savoir la double occupation et les délais d’intervention associés à des appels reçus sur un APP, soit des questions qui, selon lui, ont été soulevées pour la première fois en appel. On affirme que même si [traduction] « ces questions litigieuses ont été brièvement citées au moment où (l’appelant) a exprimé son refus, elles ne constituaient pas, quoi qu’il en soit, l’objet premier de ce refus ni n’ont été mentionnées dans la demande d’appel. » En tant que tel, l’intimé soutient que l’appelant ne devrait pas être autorisé à citer ces questions litigieuses lors de l’audience.

[35] Citant la jurisprudence et le témoignage verbal de ses témoins, l’intimé affirme que la période pertinente associée à l’appel est le 25 août 2011, soit le jour où l’agent de SST a effectué son enquête. Il ajoute que le droit de refuser prévu dans le Code est considéré comme une mesure d’urgence ne visant pas à régler des problèmes de longue date et il soutient à cet égard que la preuve donne à penser qu’il ne se passait rien d’inhabituel à Warkworth le jour où l’appelant a refusé de travailler et que tout [traduction] « danger qui existait peut-être à ce moment-là était une condition de travail normale pour un agent correctionnel. » L’intimé donne des exemples de tâches qui devaient être accomplies le 25 août 2011 afin de recevoir les onze détenus qui devaient arriver à l’UNV ce jour-là, y compris les évaluations des besoins immédiats des détenus et de la possibilité de placer certains d’entre eux en double occupation, telles que l’exigent les directives pertinentes et telles qu’elles sont effectuées par le gestionnaire correctionnel. On affirme que ces évaluations des détenus réalisées avant leur transfert à Warkworth ont révélé qu’[traduction] « aucun risque exceptionnel ou inhabituel » n’existait au moment du refus ou à l’époque de l’enquête réalisée par l’agent de SST. On affirme aussi que l’appelant [traduction] « [aurait] accès à l’information sur les détenus et leurs évaluations, qui se trouve dans les plans correctionnels de ces mêmes détenus » et qu’[traduction]« il a confirmé lors de son contre-interrogatoire qu’il n’avait exprimé aucune préoccupation au sujet d’un détenu en particulier. »

[36] L’intimé affirme que le témoignage fait par deux témoins cités par l’appelant et qui proviennent de Warkworth a surtout porté sur leur rôle au sein du CMSSTE et sur le fait qu’ils savaient peu de choses au sujet du refus de travailler exercé à l’UNV le 25 août 2011, et il soutient que cela contraste avec le témoignage des témoins de cette unité qui [traduction] « ont parlé ouvertement du travail qui était accompli à l’UNV en août 2011 et qui a été réalisé par la suite. » Alors, a-t-on soutenu, que M. Schmahl et M. Huizinga avaient travaillé seulement quelques fois à l’UNV, M. Rittwage y avait travaillé comme gestionnaire correctionnel et Mme Sandeson avait quant à elle réagi, en sa qualité de directrice adjointe, Opérations, à des problèmes qui avaient cours à l’UNV, dont certains avaient été soulevés par M. Weagant. De même, la sous-directrice Cairns était au courant de ces problèmes et M. Velichka avait confirmé que les niveaux de dotation en personnel de l’unité étaient conformes à la politique nationale. On affirme que les faits et circonstances observés à l’UNV le 25 août 2011 ne fondent pas le constat de danger.

[37] L’intimé soutient que [traduction] « le refus de travailler [exprimé par l’appelant] n’était pas fondé sur des inquiétudes relatives à un détenu ou à une certaine situation qui avait cours l’UNV lors du jour en cause. Il trouve plutôt son origine dans le fait que M. Weagant avait jugé qu’un plus grand nombre d’agents auraient dû être affectés à l’unité résidentielle en cause durant les quarts de jour et de soir. » Il affirme que les problèmes qu’il a soulevés à l’audience et relatif à la dotation en personnel [texte caviardé], sont semblables à ceux allégués dans C. Byfield et Service correctionnel du Canada, décision no 03-007, paragraphes 33 et 35 (décision du Tribunal archivé en 2003).

[38] En ce qui concerne la décision Byfield (supra), l’intimé soutient que l’agent d’appel en est arrivé à la conclusion que le « refus de travailler n’était fondé sur aucun incident spécifique s’étant produit ou devant se produire à l’EVS. Il était plutôt fondé sur les niveaux de dotation à l’EVS et sa conviction que ses nombreuses préoccupations de santé et de sécurité confirmaient l’existence d’un danger. On a constaté que le refus de Byfield n’était pas validé par la définition de danger et la jurisprudence, dans lesquelles il est établi que la seule existence d’un risque, d’une situation ou d’une tâche n’a pas pour effet de confirmer automatiquement l’existence d’un danger. » L’intimé affirme que, hormis ce qui est déjà considéré comme faisant partie des conditions normales d’emploi d’un agent correctionnel, les problèmes cités par l’appelant sont hypothétiques et de nature spéculative.

[39] En ce qui concerne les trois déclarations ou rapports sur des observations d’agents se rapportant au comportement du détenu et ayant été consignés par l’appelant, l’intimé note qu’ils sont tous ultérieurs à la date du refus de travailler. Quoi qu’il en soit, on soutient que les circonstances liées à ces rapports sont des exemples de problèmes auxquels les agents correctionnels sont souvent confrontés lorsqu’ils ont affaire à des détenus en général, que ces problèmes ne sont pas propres à l’UNV et que les agents sont formés pour les gérer, tel que le démontre la gestion efficace des incidents.

[40] Après qu’on eut affirmé qu’[traduction] « aucun incident grave n’était survenu à l’UNV et que cela démontrait (...) l’efficacité des mesures de sécurité préventives appliquées à Warkworth », on a dressé la liste de ces mesures. Elles comprennent les suivantes : [texte caviardé]. En ce qui a trait à cette dernière question, on prend note du dossier de formation personnel de l’appelant.

[41] En ce qui concerne les inquiétudes exprimées par l’appelant au sujet des détenus qui s’automutilent, l’intimé affirme que la preuve démontre que le dernier incident du genre (y compris un suicide) survenu à Warkworth remonte à plus de trois ans et qu’il n’impliquait pas l’UNV, ce qui étaye l’affirmation voulant qu’il n’y a pas de problèmes inhabituels ou de dangers présumés lorsque des agents travaillent dans l’UNV comparativement à d’autres unités résidentielles plus peuplées. En ce qui a trait aux délais d’intervention associés à des appels reçus sur un APP, l’intimé soutient que [texte caviardé], et qu’il arrivait parfois, du reste, que des intervenants autres que les intervenants désignés se trouvent à proximité de l’UNV et qu’ils puissent fournir de l’aide.

[42] En ce qui concerne l’EMR relative à l’UNV, l’intimé note que, tel qu’il est indiqué dans le rapport d’enquête de l’agent de SST, l’employeur lui a mentionné que [traduction] [texte caviardé] On affirme que l’appelant est bien mal venu de s’appuyer sur une EMR effectuée dans un contexte où l’augmentation prévue de la population de détenus ne s’est pas matérialisée. L’intimé soutient que la jurisprudence permet d’établir clairement qu’il est nécessaire de démontrer qu’un danger constitue quelque chose qui n’est pas qu’hypothétique et spéculatif, et que l’appelant n’a pas su le faire. Après avoir affirmé que les témoins de l’intimé avaient indiqué qu’aucun rapport d’enquête sur une situation dangereuse n’avait été soumis relativement à l’UNV au moment du refus et qu’aucun n’avait été reçu depuis, on précise que la preuve requise pour démontrer qu’il était plus que probable que les dangers déclarés par l’appelant allaient survenir n’avait toujours pas été fournie.

[43] Citant la jurisprudence, dont notamment le paragraphe 27 de la décision Canada (PG) c. Lavoie, (1998) FCJ no 1285, et le paragraphe 38 de la décision Canada (PG) c. Fletcher, 2002 CAF 424, où il est confirmé que le Code n’est pas le texte de loi approprié pour régler des différends liés à des politiques de dotation en personnel, l’intimé affirme que les questions soulevées par l’appelant se rapportent à des problèmes de dotation en personnel de longue date qui, bien qu’ils soient litigieux, ne peuvent fonder un refus de travailler aux termes du Code. On fait allusion au témoignage de M. Velichka et au travail qui a été entrepris pour établir les normes de déploiement national. On affirme qu’il existe un processus pour soulever des questions litigieuses et pour tenir des consultations sur le contenu des normes, et que M. Velichka a confirmé que le SACC-UCCO-CSN, l’agent négociateur agréé des agents correctionnels, n’avait pas mentionné de problèmes de dotation en personnel en ce qui concerne les unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus dans le cadre de consultations récentes. L’intimé conclut ses observations en affirmant qu’il n’y avait pas vraiment de danger à l’UNV en août 2011 et que [traduction] « la véritable origine de ce refus de travailler est un désaccord global avec une politique. » Il demande donc que l’appel soit rejeté.

C) Contre-observations de l’appelant

[44] En ce qui concerne les niveaux de dotation en personnel, l’appelant affirme d’abord que l’étude ayant mené à l’adoption de la DC 004 a été entreprise avant que l’UNV ne devienne fonctionnelle et alors que l’immeuble était occupé par une unité de transition qui hébergeait des détenus au profil différent et qui fonctionnait aussi de manière différente. L’appelant soutient aussi que tant l’ARE que l’EMR relatives à l’UNV prévoient que [texte caviardé] agents devraient être affectés aux quarts de jour et de soir et qu’aucune preuve n’a été soumise pour confirmer que ces documents avaient été mis à jour ou qu’ils ne sont plus valides.

[45] On conteste l’observation de l’intimé voulant que l’appel soit maintenant purement théorique. On soutient que le problème de dotation en personnel persiste depuis que l’unité héberge des détenus de la population générale. On a aussi réfuté l’affirmation de l’intimé voulant que l’appelant n’a pas parlé de la double occupation ni des délais d’intervention associés à des appels reçus sur un APP au moment après avoir exprimé un refus de travailler. On affirme que la preuve révèle que l’unité est la seule à Warkworth qui est entièrement aménagée pour permettre la double occupation.

[46] L’appelant affirme que les niveaux de dotation en personnel à l’UNV peuvent avoir des conséquences dangereuses et que [traduction] « ce danger est devenu réel à compter du moment où l’on a dû admettre des détenus à l’unité. » Il soutient que la présence de jusqu’à 46 détenus dans une rangée surveillée par [texte caviardé] [traduction] « entraîne une possibilité raisonnable que ce danger se concrétise. » De plus, [traduction] « [l]es risques ne sont pas de nature spéculative et il y avait [une] possibilité raisonnable que quelque chose survienne à un certain moment dans le futur. » Une preuve présentée à l’audience et montrant des détenus qui ne ferment pas leur cellule lorsqu’un agent leur demande de leur faire, qui obstruent la vue de l’agent de la salle de contrôle de l’UNV ou qui ne se tiennent pas derrière la ligne rouge pendant qu’une ronde de surveillance est en cours, est citée en appui à la position de l’appelant. On affirme que ce danger n’est pas une condition normale d’emploi et le fait d’énumérer les risques auxquels les agents pourraient être exposés dans leur description de tâches ne transforme pas ledit risque en une condition normale d’emploi.

[47] S’exprimant au sujet des évaluations de détenus, l’appelant soutient ce qui suit : [traduction] « Le processus utilisé par l’employeur pour évaluer les risques liés aux détenus et le placement de ces derniers n’est pas l’objet premier de la présente plainte; la question en litige est la dotation en personnel dans l’aire en cause au regard du nombre de détenus (jusqu’à 46) et du nombre d’agents se trouvant dans l’unité lorsque les détenus ne sont pas confinés à l’aire de cellules. »

[48] Quant à la jurisprudence, le paragraphe 34 de la décision Verville (supra) est expressément cité. Les dispositions d’application générale de ce paragraphe semblent être les suivantes : « (...) la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu’elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée. » L’appelant affirme qu’une situation grave se produira dans l’unité si l’on ne finit pas par y affecter plus d’employés. On mentionne que les intervenants utilisant des APP ne sont pas toujours disponibles. Citant aussi Verville, l’appelant soutient que [traduction] « les niveaux de dotation en personnel actuels n’entraîneront pas nécessairement toujours des risques de blessures. La dotation en personnel réduite dans l’aire en cause pourrait occasionner des blessures à des employés à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois. »

[49] L’appelant en arrive à la conclusion suivante : [traduction] « Il est raisonnable de dire, au regard des circonstances liées à l’affaire en cause, qu’à un certain moment dans le futur, surviendra une situation où un agent se blessera dans l’aire de l’UNV à cause du caractère imprévisible du comportement humain et plus précisément, du comportement d’un ou plusieurs détenus, et que cela sera imputable au niveau de dotation en personnel actuel. » Un constat de danger dans l’UNV est demandé.

Analyse

Questions litigieuses préliminaires

[50] Deux questions litigieuses préliminaires soulevées dans le cadre des observations faites par l’intimé, soit le caractère théorique de l’appel et l’inclusion de la double occupation et des délais d’intervention associés à des appels reçus sur un APP dans les motifs du refus, doivent être traitées, et j’aborderai aussi deux autres questions à ce stade-ci, même s’il ne s’agit pas de questions préliminaires à proprement parler.

[51] En ce qui concerne le caractère théorique de l’appel, j’abonde dans le même sens que l’appelant lorsqu’il affirme que le problème de dotation en personnel se trouvant à l’origine du refus de travailler demeure le même. La principale nouveauté en ce qui a trait à l’unité résidentielle, c’est qu’elle héberge maintenant des détenus de la population générale plutôt que des nouveaux venus. L’aménagement physique de l’immeuble demeure le même, sa capacité, qui est de 46 détenus, auxquels s’ajoutent 10 détenus logeant dans la section adjacente des cellules servant à gérer le dépassement de capacité de l’unité d’isolement, n’a pas changé non plus, et l’effectif d’agents spécialisés continue d’être formé [texte caviardé] CX-1 et [texte caviardé] CX- 2 pour les quarts de jour et de soir et [texte caviardé] CX-1 pour le quart du matin, ou quart de nuit. Le niveau de dotation en personnel de l’UNV, et non pas le fait que ses détenus étaient [traduction] « de nouveaux venus », a été le déclencheur du refus de travailler. Pour paraphraser une partie du paragraphe 15 de la décision Borowski (supra), les ingrédients essentiels qui étaient réunis au moment du refus et de l’enquête de l’agent de SST sont toujours présents et les questions qui infirment le constat de l’agent de SST n’ont pas encore été résolues. Je n’estime pas que l’appel est purement théorique.

[52] En ce qui concerne la question de savoir si la double occupation et les délais d’intervention associés à des appels reçus sur un APP faisaient partie des motifs que l’appelant a cités pour justifier son refus de travailler, j’en arrive à la conclusion que le raisonnement narratif préparé par M. Weagant le 25 août 2011 fait mention de ces deux facteurs. On peut y lire, par exemple, qu’en cas d’incident, [traduction] « [l]es agents seraient tenus d’attendre les intervenants joints par APP et qu’il faudrait donc beaucoup plus de temps à ces derniers pour intervenir par rapport à ce que ce délai aurait été s’ils s’étaient trouvés dans les principales unités résidentielles. » De plus, [traduction] « [i]l est connu que la double occupation cause en soi des tensions entre les détenus. » Je confirme que ni l’un ni l’autre de ces facteurs n’est mentionné sur le formulaire d’enregistrement d’un refus de travailler portant la même date, mais le témoignage de Mme Sandeson a révélé que le résumé de problèmes à trois volets qui figurait sur le formulaire avait été suggéré par l’agent de SST dans le but de préciser la plainte.

[53] Le fait de citer ces éléments dans le contexte du refus ne permet pas de les pondérer aux fins du jugement de l’appel. À ce stade-ci, je me bornerai à commenter la question de la double occupation. Même si j’estime que l’énoncé de position de M. Ainger a été bien préparé et qu’il constitue hors de tout doute une contribution utile à un débat exhaustif à l’échelle de tout le système, je ne considère pas que le présent appel vise à évaluer l’intérêt éventuel de la double occupation. Tant l’énoncé de position que les documents présentés par l’intimé révèlent des divergences d’opinion en ce qui concerne le rôle direct potentiel de la double occupation dans l’augmentation du nombre d’infractions au code de discipline, d’agressions entre détenus ou d’agressions perpétrées par des détenus contre des employés dans des pénitenciers. Tel qu’il est mentionné dans l’énoncé de position de M. Ainger, on peut aussi lire dans le bulletin des politiques de SCC que la double occupation [traduction] « n’est pas appropriée en tant que mesure de logement permanente pour offrir des bons services correctionnels. » Le témoignage et les pièces présentés à ce sujet me confirment ce que les gens pensent intuitivement, à savoir que la double occupation mène à l’augmentation de la population dans une unité et cela entraîne généralement un accroissement proportionnel du volume de travail.

[54] Tel qu’il est indiqué, il conviendrait, selon moi, d’examiner deux autres questions à ce stade-ci. La première concerne l’affirmation de l’intimé voulant qu’[traduction] « un appel ne devrait pas être déposé dans le but de contester des décisions concernant des politiques de haut niveau de SCC. » Les motifs concordants énoncés par le juge Desjardins au paragraphe 38 de la décision Fletcher (supra) étayent ce point de vue et se lisent comme suit :

Par ailleurs, ni l’agent de sécurité ni la Commission n’avaient le pouvoir de considérer la « politique de dotation minimale ». Le mécanisme prévu par le Code prévoit une méthode particulière d’établissement des faits pour régler une situation particulière. Il n’est pas destiné à constituer une tribune pour l’analyse de la politique d’un employeur.

Je reconnais qu’il est nécessaire de tenir une enquête afin de constater des faits avant d’instituer une procédure visée par l’article 128, mais à mes yeux, cette citation ne s’oppose pas totalement à ce que l’on tienne compte des effets de la politique d’un employeur. À cet égard, je considère comme pertinente la déclaration faite par l’agent d’appel au paragraphe 291 de la décision Eric V. et autres et Service correctionnel du Canada (TSSTC-09-009) dans le but de réfuter une affirmation selon laquelle il n’a pas le pouvoir d’examiner les politiques de l’employeur. La version française se lit comme suit : « Si ces politiques ignorent ou mettent à risque la sécurité des AC, le tribunal n’aura d’autre choix que de prendre les actions qui s’imposent pour protéger les employés. » Même si je suis d’accord pour dire qu’il ne suffit pas d’affirmer qu’un niveau de dotation en personnel est inadéquat pour justifier un refus, je ne crois pas que cette remise en question de la politique correspondante de l’employeur empêche a priori que le processus soit mis en œuvre.

[55] L’autre question dont je veux traiter à ce stade-ci concerne les positions respectives des parties sur la pertinence de l’EMR et de l’ébauche d’ARE préparées en prévision de la mise en exploitation de l’UNV. L’appelant accorde beaucoup d’importance au fait qu’il est mentionné dans l’EMR que l’effectif des quarts de jour et de soir de l’UNV devrait être formé de [texte caviardé] agents. De même, il cite à l’appui de sa position les renvois à [traduction] [texte caviardé] dans l’ARE et le fait que son auteur, M. Gottlieb, [traduction] « a clairement établi que [texte caviardé] agents seraient en poste à l’UNV » lors de la réunion tenue par le CMSSTE le 18 mai 2011. L’appelant soutient que l’on n’a pas démontré qu’une EMR ou une ARE à jour avait été présentée et que la dernière version demeure valide. Les observations de l’intimé mettent l’accent sur le fait qu’EMR a été préparée [traduction] « dans le contexte du projet de loi C-25 » en prévision d’une augmentation connexe de la population de détenus et du financement supplémentaire lié à l’adoption de la loi qui pourrait servir à absorber le coût d’embauche d’un troisième agent pour l’unité. L’intimé note que l’augmentation prévue de la population de détenus ne s’est pas matérialisée et qu’il est par ailleurs indiqué dans l’EMR que [traduction] « les normes de déploiement actuelles prévoient que [texte caviardé] agents correctionnels doivent être affectés à l’unité des nouveaux venus. »

[56] Lorsqu’on effectue un examen des normes de déploiement d’agents, la DC 004 exige qu’une EMR soit préparée, et si, finalement, le processus se poursuit, les résultats doivent être communiqués au CNDAC. Je reconnais que l’EMR a été préparée dans un tel contexte alors que l’on prévoyait avoir accès à du financement supplémentaire pour défrayer l’embauche d’un [texte caviardé] agent à l’UNV. Même si les témoins de la direction ont déclaré lors de leur témoignage que le maintien d’un effectif de [texte caviardé] agents dans l’unité n’entraînerait pas de risque accru, la directrice adjointe Sandeson croit qu’il n’y aurait pas de mal à réclamer les services d’un [texte caviardé] agent et la sous-directrice Cairns a indiqué quant à elle qu’un tel effectif dépasserait la norme de déploiement, mais serait le bienvenu. Malgré cet appui de la part des dirigeants de Warkworth, l’intérêt manifesté au départ au niveau de la Région ne s’est pas maintenu et tel que M. Velichka, qui est le fonctionnaire qui aurait reçu toute proposition officielle au niveau national, l’a déclaré lors de son témoignage, ce dossier ne s’est jamais retrouvé sur son bureau. Je suis un peu surpris de voir que ni Mme Sandeson ni Mme Cairns ne savaient qui était l’auteur de l’EMR. Mme Sandeson croyait qu’il s’agissait de Mme Cairns, laquelle a déclaré lors de son témoignage qu’elle n’avait ni rédigé ni approuvé cette évaluation et qu’elle ne l’avait pas vue avant l’audience. Mme Cairns a confirmé qu’elle avait participé à une étude de cas concernant l’embauche éventuelle d’un [texte caviardé] agent. Aucune étude de cas n’a été présentée à l’audience même si l’EMR s’apparente parfois à un tel document de promotion. Quoi qu’il en soit, j’en conclus que la mention, dans l’EMR, de l’embauche éventuelle [texte caviardé] agent à l’UNV n’est pas déterminante au regard du présent appel.

[57] Un bref commentaire au sujet de l’ARE : il y est clairement indiqué qu’il ne s’agit que d’un [traduction] « document provisoire » daté du 11 mai 2011, soit tout juste une semaine avant qu’il ne soit distribué lors d’une réunion du CMSSTE. L’appelant précise que la mention d’un [traduction] [texte caviardé] aux pages trois et quatre du document renvoie au fait que [texte caviardé]. Lors de son témoignage, Mme Sandeson a émis l’hypothèse voulant que cette expression renvoie tout simplement à un effectif de [texte caviardé] agents. La formulation en cause est quelque peu ambiguë et le demeure en partie lorsqu’on lit à la page 10 que [traduction] « [texte caviardé] employés sont toujours présents dans l’unité quand les détenus ne sont pas dans leur cellule. » Dans l’ensemble, je souscris à l’interprétation de l’appelant. Cela dit, le témoignage de Mme Sandeson révèle que l’ARE n’a pas été approuvée par le directeur et il s’agit donc toujours d’une version provisoire. Il n’a effectivement jamais été validé. Si l’on s’en fie à la preuve et au témoignage, l’ARE semble avoir été préparée, pour l’essentiel, dans le même contexte que l’EMR, à savoir que l’on attendait du financement supplémentaire et que l’on avait approuvé l’affectation [texte caviardé] agent, mais cela n’avait pas eu de suites. Par conséquent, je considère que cette analyse a elle aussi peu de valeur aux fins de l’appel.

La principale question en litige

[58] En ce qui concerne la principale question en litige associée au présent appel, à savoir la validité éventuelle de la décision de l’agent de SST, il est utile de citer les dispositions pertinentes du Code.

Article 128 - Refus de travailler en cas de danger

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

  1. a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
  2. b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
  3. c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

  1. a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;
  2. b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

Article 122(1) (définition de la notion de danger)

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;

[59] Les parties semblent s’entendre sur deux questions d’ordre général, à savoir que l’appel se rapporte expressément au niveau de dotation en personnel de l’UNV et que le travail d’un agent correctionnel comporte des risques. Au-delà de ces généralités, les parties divergent d’opinion. L’appelant prétend en effet que l’effectif spécialisé affecté aux quarts de jour et de soir à l’UNV est insuffisant, ce qui engendre un niveau de risque constituant un danger au sens du Code. L’intimé affirme que le niveau de dotation en personnel à l’UNV est en accord avec les normes nationales de déploiement et il soutient qu’il n’entraîne pas de danger ni de niveau risque plus élevé que celui prévu en vertu des conditions de travail normales d’un agent correctionnel. Ces points de vue divergents et la preuve présentée à leur appui doivent être évalués.

[60] Dans le raisonnement narratif de l’appelant qui accompagnait l’enregistrement du refus exprimé le 25 août 2011, ledit appelant parle moins des risques pour sa sécurité que de ses préoccupations relatives au bien-être d’un détenu qui pourrait être en détresse et qu’il ne pourrait aider avant qu’un autre agent arrive étant donné que seulement [texte caviardé] agents sont en poste à l’unité. Cela révèle quelque chose de très positif au sujet de la façon dont M. Weagant conçoit son travail, mais, tel que l’intimé l’affirme carrément et, je crois, avec exactitude, [traduction] « la jurisprudence établit clairement qu’un refus de travailler peut seulement être exprimé par un employé et non pas pour des blessures qu’auraient prétendument subies un autre employé ou un détenu. » En tant que tel, je n’estime pas que l’exercice d’un droit de refus aux termes de l’article 128 puisse se trouver directement à l’origine du fait qu’une intervention auprès d’un détenu a été retardée.

[61] La mention, dans le compte rendu narratif, des risques éventuels auxquels l’appelant pourrait, selon ses propres dires, être exposé et à cause desquels il pourrait s’infliger des blessures, a été bonifiée dans son témoignage afin d’étayer l’observation selon laquelle [traduction] « l’agent subira des blessures du fait du niveau de dotation en personnel actuel. » L’intimé soutient que ce point de vue est hypothétique et relève de la spéculation.

[62] Afin d’évaluer les préoccupations de l’appelant, j’ai d’abord consulté le dossier, dans lequel j’ai appris que le juge Rothstein déclare, au paragraphe 37 de la décision Martin (supra), que « [l]es tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. » Évidemment, il n’y avait pas de dossier concernant l’UNV au moment du refus ou de l’enquête réalisée par l’agent de SST, puisque l’unité venait d’entrer en exploitation. Cependant, tel qu’il est noté plus haut, Mme Cairns a fait allusion à une agression contre un membre du personnel qui était survenue dans l’ancienne unité, soit l’unité de transition, environ un an et demi avant l’ouverture de l’UNV. Il est admis que l’unité hébergeait moins de détenus, mais que ceux-ci appartenaient à une autre catégorie. Hormis cet incident, on ne m’en a signalé aucun autre qui serait survenu dans l’immeuble. De plus, même si j’ai indiqué plus haut que je considère que certains éléments de l’EMR s’appliquent de façon limitée aux fins de l’appel, l’information factuelle figurant dans la section 2.2 du texte révèle qu’il y a eu moins d’incidents violents de façon générale à Warkworth en 2010-2011, y compris des agressions et des menaces envers des employés.

[63] En ce qui concerne les mesures visant à gérer les risques qui, selon les deux parties, sont inhérents au travail correctionnel et qui étaient en vigueur au moment du refus, je commencerai par citer les Normes nationales de déploiement des agents de correction, soit la DC 004. Ces normes sont résumées plus haut, mais il est utile de citer des extraits de l’objectif de la politique figurant au premier paragraphe ainsi que les buts énoncés au deuxième paragraphe.

Objectif de la politique

1. Améliorer la sécurité du public, du personnel et des détenus par la mise en application de Normes nationales pour le déploiement efficace des agents de correction (...) créant ainsi des niveaux de sûreté et de sécurité uniformes tout en permettant une interaction et des interventions efficaces et dynamiques avec les détenus.

Buts

2. Rationaliser et normaliser les pratiques de gestion du SCC relatives au déploiement des agents de correction (...) sur lesquelles reposent la sécurité et le bien-être du personnel, des visiteurs et des détenus.

[…]

Dans son témoignage, M. Velichka décrit d’une façon relativement détaillée le contenu de la directive et précise qu’il a fallu presque cinq ans pour la préparer. Il fait mention d’examens de pratiques de déploiement effectués pour chaque établissement, chaque quart, chaque poste et chaque activité de maintien de la sécurité. Il confirme que l’on s’est rendu dans tous les établissements de SCC, qu’il faisait partie de l’équipe qui a visité Warkworth et que l’UNV n’existait pas au moment de cette visite. Il indique qu’en dépit de variations, on a établi que les unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus misaient pour la plupart sur un effectif de [texte caviardé] agents pour les quarts de jour et de soir, et que ce niveau de dotation n’avait pas engendré de problèmes de sécurité.

[64] L’appelant affirme que la DC 004 est une politique de l’employeur qui n’est pas négociée avec le SACC-UCCO-CSN ni approuvée par lui. M. Velichka a toutefois déclaré lors de son témoignage que des consultations avaient été menées auprès du SACC-UCCO-CSN lorsque cette politique a été élaborée, et il a précisé que des rencontres avec des représentants régionaux et nationaux de haut niveau du SACC-UCCO-CSN avaient eu lieu durant trois jours à Montréal. Il a aussi indiqué qu’on avait consulté plus récemment des représentants du SACC, toujours au niveau national ainsi qu’à d’autres niveaux élevés, au sujet d’éventuelles modifications à la directive, et qu’ils n’étaient pas préoccupés par le fait que l’effectif des unités hébergeant moins de 80 détenus ne comportait que [texte caviardé] agents.

[65] L’appelant est fortement préoccupé par le fait qu’au moment où l’on a réalisé l’examen initial concernant la DC 004 à Warkworth, il n’y avait pas d’UNV dans cet établissement et l'on n’avait donc pas tenu compte des exigences qui lui sont propres. Hormis [texte caviardé] aucune explication n’a été fournie quant à la question de savoir en quoi ces exigences diffèrent de celles des autres unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus. Tel qu’on peut le lire dans la description de tâches des CX- 2, les établissements correctionnels sont dotés de barrières et la preuve démontre que les détenus isolés seraient confinés à leur cellule durant les rondes de surveillance de rangées. En dernière analyse, l’unité de dépannage a une capacité maximum de 56 détenus, soit la même capacité que l’ancienne UNV, et la section actuellement réservée à cette même UNV a une capacité de 46 détenus. Dans un cas comme dans l’autre, c’est beaucoup moins que le seuil de 80 occupants prévus dans les Normes nationales de déploiement des agents de correction, qui tient compte de la nécessité d’assurer la sécurité des employés, des visiteurs et des détenus.

[66] En ce qui concerne le processus d’évaluation des détenus, l’appelant affirme que l’évaluation initiale à Warkworth consiste [traduction] « en un rapport produit par le détenu lui-même, et elle est documentée par un gestionnaire correctionnel, et non pas un psychologue, ou un clinicien formé. » J’estime que cela constitue un résumé fort incomplet de la description fournie par M. Rittwage. Premièrement, et cela est évident, M. Rittwage n’est pas le seul fournisseur d’évaluations et je considère que sa formation et son expérience sont suffisants pour assumer le rôle qui lui a été confié. L’évaluation qu’il a décrite et effectuée comprend une entrevue relative aux besoins immédiats du détenu qui, conformément à la DC 705 (processus d’évaluation initiale), doit être réalisée dans les 24 heures suivant l’arrivée du détenu concernée à l’Établissement. Il ajoute que les évaluations concernant le risque de suicide et la compatibilité pour la double occupation sont effectuées à ce stade-là, et que l’information recueillie est contre-vérifiée à l’aide des dossiers d’évaluation établis avant l’arrivée du détenu à Warkworth. Ces dossiers contiennent des profils de détenus et sont conservés dans le Système de gestion des délinquants auquel les employés de l’Établissement ont accès, ce qui comprend les agents de sécurité et du renseignement, les gestionnaires correctionnels et les agents correctionnels de niveau CX-2. M. Rittwage affirme que cette information est partagée avec des employés environ une semaine avant l’arrivée des nouveaux venus et que M. Weagant n’avait pas exprimé de réserves au sujet des détenus qui devaient arriver le 25 août 2011, mais qu’il s’était inquiété, ce jour-là, de sa propre sécurité et du niveau de dotation en personnel de l’UNV.

[67] Le paragraphe 17 de la DC 705 se lit comme suit :

La collecte de renseignements commence dès le prononcé de la sentence et se poursuit tout au long de la peine du délinquant.

La sous-directrice Cairns décrit de manière succincte les évaluations de détenus qui sont continuellement effectuées en conformité avec ces modalités. Elle a déclaré lors de son témoignage qu’en principe, les détenus qui entrent dans le système correctionnel fédéral ont déjà commencé à se faire évaluer lorsqu’ils séjournaient dans des établissements provinciaux. Ils vont ensuite à l’unité d’évaluation de Millhaven où ils sont soumis à un examen exhaustif, et l’on tient alors compte de renseignements fournis par la police et de données psychologiques et familiales durant une période d’au plus 90 jours. Les évaluations permettent d’établir des plans correctionnels. On y indique les besoins des détenus et les risques leur étant associés, ainsi qu’un niveau de sécurité (minimum, moyen ou maximum). La preuve démontre la nature de ces processus continus. En ce qui a trait à la sécurité, le travail des agents de sécurité et du renseignement et le processus d’établissement des Rapports d’Observation ou de déclaration d’un agent (RODA) sont d’une grande utilité, tout comme les évaluations de la santé mentale des détenus. Quant à l’aspect correctionnel et aux mesures visant à favoriser la réinsertion sociale des détenus, les agents de programmes, les travailleurs sociaux et les psychologues jouent un rôle important dans la mise en œuvre de ces activités. Entre ces deux pôles, on retrouve le modèle de sécurité active et son modèle d’interaction entre employés et détenus, qui remplissent à la fois des fonctions correctionnelles et de sécurité.

[68] Je prête de la crédibilité aux observations de l’intimé sur l’efficacité de la formation donnée aux agents correctionnels et des mesures et de l’équipement de sécurité préventifs apparemment mis en œuvre à Warkworth. Le résumé de la formation suivie par M. Weagant est un exemple raisonnable de la grande variété de cours offerts et souvent exigés. En ce qui a trait à la sécurité physique, des sujets tels que la gestion du risque, la sécurité personnelle, le recours à la force et l’utilisation d’agents chimiques semblent être pertinents pour ce qui est de la sécurité de M. Weagant et ses collègues. Les compétences acquises dans le cadre de la formation en premiers soins, à la faveur de l’utilisation d’équipement de lutte contre les incendies et lors des cours relatifs aux programmes pour les délinquants pourraient profiter tant aux employés qu’aux détenus. En plus de leur formation et tel que la preuve le démontre, les agents correctionnels ont le pouvoir d’ordonner aux détenus de bouger ou de reculer, et à l’UNV, il y a une ligne démarquant les secteurs hors limites. Si un détenu ne se conforme pas à de telles directives, il s’expose à des accusations et des sanctions. Lorsqu’ils sont en fonction, les agents [texte caviardé].

[69] Les délais d’intervention relatifs à des appels reçus sur un APP ont fait l’objet de plusieurs débats à l’audience. Tant M. Huizinga que M. Schmahl ont fait écho aux préoccupations exprimées par M. Weagant relativement au fait [texte caviardé]. Dans ses observations écrites, l’appelant traite en détail des problèmes liés [texte caviardé] et il soutient qu’on ne peut pas compter sur l’aide des intervenants non désignés et que celle-ci ne serait pas toujours disponible. Cependant, on ne m’a pas présenté de preuve convaincante qui m’aurait démontré que l’on n’a pas donné suite de façon adéquate à des appels reçus sur un APP à Warkworth.

[70] L’intimé maintient que [texte caviardé] l’APP [texte caviardé]. M. Rittwage a déclaré lors de son témoignage qu’à sa connaissance, les délais d’intervention faisant suite à des appels reçus sur un APP sont passablement courts à Warkworth, que les agents et les préposés aux soins de santé non désignés interviennent lorsqu’ils sont disponibles et que les gestionnaires correctionnels tentent de réagir au plus grand nombre d’appels possible. Mme Sandeson confirme que les gestionnaires correctionnels donnent habituellement suite aux appels reçus sur un APP.

[71] Lorsque je tiens compte de l’ensemble des mesures décrites plus haut, j’en arrive à la conclusion qu’elles permettent de gérer la majeure partie des risques que les deux parties considèrent comme inhérents au travail des agents correctionnels. Je conviens que les normes de déploiement énoncées dans la DC 004 ont été élaborées dans la foulée d’un examen national exhaustif et de longue durée aux fins duquel des agents négociateurs ont été consultés. Aucune preuve ne m’a été présentée qui aurait donné à penser que, contrairement aux objectifs et au but de la politique, la sécurité et le bien-être des employés n’ont pas été pris en considération aux fins de l’examen initial ou de l’examen plus récent pour lequel des agents négociateurs ont aussi été consultés. En ce qui concerne ce dernier examen, la preuve démontre que les agents nationaux du SACC-UCCO-CSN n’ont exprimé aucune réserve au sujet de la norme de deux agents correctionnels pour les unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus.

[72] De même, j’en arrive à la conclusion que le processus d’évaluation des détenus est exhaustif et rigoureux. La preuve démontre que l’évaluation commence dès le prononcé de la sentence et se poursuit durant la période d’incarcération et après celle-ci. Le témoignage de Mme Cairns révèle qu’un financement accru accordé dans la foulée de l’adoption du projet de loi C-25 avait été utilisé pour augmenter l’effectif des services de santé mentale et de soins psychologiques de Warkworth, une initiative qui pourrait avoir des répercussions positives sur les capacités d’évaluation. De plus, le modèle de sécurité active utilisé à SCC permet d’obtenir des commentaires en temps opportun à tous les niveaux. Dans Verville (supra), toujours au paragraphe 41, on soutient que « le sens courant d’une situation ou d’un risque “éventuel” (ou en anglais “potential”) n’exclut pas un risque ou une situation qui peut ou non se produire, eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain. » Cela ne revient pas à nier à mon avis l’utilité et l’intérêt d’un processus qui peut aider à évaluer le comportement probable ou prévisible d’un détenu.

[73] L’intimé soutient que le fait qu’il n’y a pas eu d’incidents graves pendant que l’UNV était fonctionnelle témoigne de l’efficacité des mesures préventives appliquées à Warkworth, y compris la formation des agents et les pouvoirs attribués à ces mêmes agents. J’ai déjà cité plus haut le paragraphe 37 de la décision Martin, mais il est utile de citer intégralement à ce stade-ci les propos qu’y tient le juge Rothstein.

Je conviens qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais, lorsqu’on cherche à déterminer si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l’avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard.

L’agent de SST ne pouvait s’appuyer sur des antécédents en ce qui concerne l’UNV. Cela dit, à titre de novo, je peux tenir compte du dossier de l’incident survenu dans l’UNV durant la période où cette unité était en fonction. Les trois RODA inscrits par l’appelant font état d’incidents dans l’unité, mais j’accepte l’observation de l’intimé voulant que ces incidents n’avaient rien d’extraordinaire dans le contexte d’un établissement pénal et qu’ils avaient été gérés sans intervention majeure.

[74] À part ces cas, les témoins de l’appelant ont quelque peu hésité lorsqu’ils ont parlé des expériences vécues à l’UNV. M. Weagant pensait qu’un incident très grave comme une prise d’otages était survenu, mais il ne souvenait pas si cet incident s’était produit à l’époque où l’immeuble était utilisé comme UNV. Lorsqu’on l’a interrogé à propos de fouilles d’urgence dans l’unité, il a dit qu’il n’avait pas lui-même participé à de telles opérations. M. Huizinga ne se souvient pas que quelqu’un ait refusé de travailler ou reçu un appel sur son APP durant les quarts où il travaillait dans l’UNV. Quant à M. Schmahl, il n’y a pas eu, qu’il sache, de perturbations graves, d’émeutes ou de prises d’otages dans l’unité durant la période d’un peu plus d’un an où elle était en fonction. On lui a mentionné qu’un agent avait été victime d’une agression durant cette période-là, mais il ne sait pas si elle a eu lieu dans l’UNV. Agissant pour l’intimé, Mme Cairns a déclaré lors de son témoignage qu’il n’y avait assurément pas eu d’incidents à l’UNV relativement auxquels on avait dû tenir une enquête de situation comportant des risques, ni d’incidents ayant occasionné de blessures à un agent, ni non plus d’actes violents à l’endroit d’agents. Bien que je sache que le fait qu’il n’y a pas eu d’incidents dans le passé ne laisse pas entendre qu’il n’y en aura pas dans le futur, j’en arrive à la conclusion qu’il est raisonnable de tenir compte du dossier lorsqu’on examine la question de savoir s’il est probable ou non qu’il y ait des incidents dans le futur.

[75] Toujours en m’appuyant sur la décision Martin (supra), je dois trancher la question de savoir s’il y a plus de chances que les événements décrits par l’appelant surviennent dans le futur que de chances qu’ils ne se produisent pas. La question en litige est celle de savoir si, en raison du niveau de dotation en personnel de l’UNV, il y a une possibilité raisonnable que l’appelant est susceptible de se faire agresser ou de subir une blessure, lesquelles circonstances constitueraient un danger au sens du Code. Après avoir tenu compte de l’ensemble des témoignages et de la preuve entendus à l’audience ainsi que des observations des parties, j’en arrive à la conclusion que les affirmations de l’appelant relevaient, pour paraphraser l’intimé, de la pure spéculation. Tel qu’il est démontré plus haut, le niveau de dotation en personnel des unités résidentielles hébergeant moins de 80 détenus a été établi dans la foulée d’un examen exhaustif des normes de déploiement d’agents aux fins duquel on a tenu compte de la sécurité du personnel. Le processus d’évaluation complet permet de dresser le profil des détenus et d’obtenir de l’information sur leurs traits de comportement. Les évaluations continues et le modèle de sécurité active fondé sur les interactions entre les agents et les détenus facilitent la vie aux professionnels quand vient le moment d’apprécier le [traduction] « climat » qui règne dans l’unité, ce qui permet aux agents de déterminer le degré de prudence à observer lorsqu’ils exercent leurs fonctions. Les agents ont le pouvoir d’ordonner aux détenus de faire certaines choses, de ne pas bouger ou de retourner dans leurs cellules. Ils ont reçu de la formation et disposent d’équipement qui leur permettent d’intervenir en cas d’incident. Bien qu’il ne soit pas déterminant, le fait que les problèmes soulevés par l’appelant ne se sont pas matérialisés durant la période où l’UNV était en fonction permet de croire raisonnablement que les mesures appliquées sont efficaces.

[76] Madame la juge Tremblay-Lamer soutient, au paragraphe 56 de la décision Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158, que la définition de danger [traduction] « [englobe toujours] le concept de l’attente raisonnable, qui exclut les situations spéculatives », ce constat n’étant pas remis en question au paragraphe 36 de la décision Verville (supra), dans lequel on en arrive à la conclusion que « la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront à l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable. » Les mots « simple » et « raisonnable » sont tous deux des adjectifs exprimant un degré ou une valeur, et le poids de la preuve disponible doit être évalué afin de déterminer la démarcation qui les sépare.

[77] L’affectation de [texte caviardé] agents correctionnels aux quarts de jour et de soir dans les unités résidentielles à sécurité moyenne hébergeant moins de 80 détenus est une norme ayant été établie à la suite d’un examen ayant comporté des visites dans tous les établissements de SCC. On ne m’a pas présenté de preuve convaincante pour me démontrer que l’application de cette norme à l’immeuble de l’UNV à Warkworth avait engendré un danger au sens du Code. Dans l’ensemble, lorsque je tiens compte de ce qui est démontré par la preuve et le témoignage, à savoir qu’il est peu probable que la situation comportant des risques dénoncée par l’appelant se matérialise, j’en arrive à la conclusion que la possibilité qu’une blessure soit causée à l’appelant dans le futur n’est qu’une simple possibilité plutôt qu’une possibilité raisonnable.

Décision

[78] Pour les motifs précités, j’en arrive à la conclusion que la définition de la notion de danger figurant au paragraphe 122(1) du Code ne s’applique pas en l’espèce et que conformément à l’alinéa 146.1(1)a), la décision confirmant l’absence de danger rendue par l’agent de SST Jenkins est confirmée. L’appel est rejeté.

Michael McDermott
Agent d’appel

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