2013 TSSTC 6

Référence : Canada (Ressources humaines et Développement des compétences) c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, 2013 TSSTC 6

Date : 2013-01-31
Dossier : 2012-26
Rendue à : Ottawa

Entre :

Ressources humaines et Développement des compétences Canada, appelant

et

Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, intimé

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité.

Décision : L’instruction est modifiée.

Décision rendue par : M. Michael McDermott, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Caroline Engmann, avocate, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Pour l’intimé : Jean-Rodrigue Yoboua, agent de représentation, Alliance de la Fonction publique du Canada

MOTIFS

[1]             La présente décision concerne un appel déposé aux termes du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise par l’agente de santé et de sécurité Kelly Parkin le 28 mars 2012, le tout en application des alinéas 145(2)a) et b) du Code. L’appelant est Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) et l’intimé est le Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC), une composante de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC).

Contexte

[2]             L’instruction a été émise par l’agente de santé et de sécurité (l’agente de SST) à la suite d’une enquête sur un accident survenu dans le lieu de travail le 23 mars 2012 et ayant occasionné des blessures à un employé du centre de gestion de dossiers de Service Canada situé au 17412 – 116 Avenue, Edmonton, en Alberta, ce qui a aussi entraîné son hospitalisation. Même si l’agente de SST identifie cet employé par son nom dans son rapport narratif, l’appelant le désigne comme M. « A », car il veut protéger sa vie privée et j’ai adopté la même approche dans la présente décision.

[3]             L’accident est survenu à l’endroit où se trouve un système électrique mobile de compartiments de classement de dossiers à haute densité qui permet d’économiser de l’espace grâce à ses rangées de rayons que l’on peut refermer ensemble un peu à la manière d’un accordéon et qui peuvent être rouvertes séparément lorsqu’on cherche certains dossiers. Selon le synopsis de la situation comportant des risques établi par l’agente de SST, le 23 mars 2012, vers 9 h 30, M. « A » [traduction] « se déplaçait dans une allée de compartiments de classement de dossiers lorsqu’un autre employé a fermé cette allée afin d’accéder à un autre chariot à compartiments de classement de dossiers. » M. « A » a réussi à attirer l’attention de cet employé en frappant sur le compartiment de classement de dossiers qui se refermait sur lui. D’autres employés l’ont entendu frapper, ils sont sortis en courant et ils ont tenté en vain, à l’aide du mécanisme de commande, d’empêcher que l’allée de compartiments se referme sur « M. A » et le coince. Après que le chariot à compartiments de classement de dossiers se soit refermé, on a utilisé le mécanisme de commande pour rouvrir l’allée. M. « A » se trouvait à peu près au milieu de cette allée. Il était conscient et il a mentionné qu’il s’était accroupi au niveau du plancher, mais que les chariots à compartiments de classement de dossiers s’étaient refermés à 20 centimètres les uns des autres. Il s’est plaint de douleurs aux côtes sur son flanc gauche et il a demandé que l’on fasse venir une ambulance. On l’a transporté à l’hôpital et vers 13 h 30 le vendredi 23 mars 2012, on a indiqué à l’employeur que M. « A » avait des ecchymoses, mais pas d’os de fracturés. Vers 15 h le lundi 26 mars 2012, l’employeur a déclaré que M. « A » était resté à l’hôpital durant le week-end et qu’il était maintenant décédé.

[4]             Le 26 mars 2012, l’agente de SST Parkin, qui travaille à Calgary, a été informée de la situation par le directeur régional de la santé et de la sécurité au travail, qui lui a dit que M. « A » était maintenant décédé après que l’on eut établi, le 23 mars 2012, qu’il souffrait de blessures invalidantes. L’agente de SST s’est rendu à Edmonton avec une collègue pour y effectuer une enquête qui a débuté l’après-midi du 27 mars 2012. Le 28 mars 2012, après avoir recensé des contraventions prévues au Code et conclu que l’accomplissement d’une certaine tâche constituait un danger dans le lieu de travail, l’agente de SST Parkin a émis une instruction verbale à l’employeur aux termes de l’alinéa 145(2)a) du Code afin de l’enjoindre à modifier cette tâche sur-le-champ, et de lui interdire, aux termes de l’alinéa 145(2)b), d’utiliser les rayons mobiles jusqu’à ce que cette instruction ait été exécutée. L’instruction verbale a été confirmée par écrit le 28 mars 2012 et elle était jointe à une lettre de couverture remise par l’agente de SST au représentant de l’employeur le 29 mars 2012. Au même moment, une mise en garde relative au danger en cause a été affichée à l’entrée de l’aire de gestion des compartiments de classement de dossiers. L’instruction se lit comme suit :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION DONNÉE À L’EMPLOYEUR AUX TERMES DES ALINÉAS 145(2)a) et b)

Le 28 mars 2012, l’agente de santé et de sécurité soussignée a effectué une enquête sur une situation comportant des risques ayant entraîné le décès d’un employé dans le lieu de travail utilisé par Ressources humaines et Développement des compétences Canada, qui est un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail et dont l’adresse est 17412 – 116 Avenue, Edmonton, Alberta, T5S 2X2, ledit lieu de travail étant parfois désigné comme le centre de gestion de dossiers de Service Canada.

Ladite agente de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une certaine tâche constitue un danger pour un employé au travail :

Le 23 mars 2012, un employé s’est retrouvé coincé entre des rayons mobiles et a dû être hospitalisé en raison de ses blessures. Le 26 mars 2012, cet employé est décédé.

L’employeur a omis de s’assurer que la santé et la sécurité des employés étaient préservées lorsqu’ils utilisaient les rayons mobiles du centre de gestion de dossiers. L’employeur n’a pas recensé ni évalué les dangers; il n’a pas non plus mis en œuvre de mesures de contrôle adéquates pour gérer les dangers évalués; et il a omis d’effectuer une analyse de la sécurité opérationnelle des activités de travail, y compris l’élaboration de procédures de travail sécuritaires relatives aux rayons mobiles ou d’un programme de formation documenté pour les employés.

Il vous est donc ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en application de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de modifier sur-le-champ l’activité qui constitue un danger.

Il vous est AUSSI ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en application de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas utiliser les rayons mobiles jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée, l’avis de danger no 2284 ayant été apposé à ce sujet en application du paragraphe 145(3).

Fait à Edmonton, ce 28e jour de mars 2012.

Signature

Kelly Parkin
Agente de santé et de sécurité

[5]             Pour expliquer l’instruction, l’agente de SST indique dans son rapport que son [traduction] « enquête a révélé que l’employeur n’avait aucune procédure ou politique documentée pour indiquer aux personnes ayant accès aux compartiments de classement de dossiers la marche à suivre pour détecter et gérer les dangers existants ou prévisibles. » Il est indiqué dans ce rapport qu’il n’existe [traduction] « aucun dossier de formation documenté qui pourrait servir à prouver que de la formation avait été donnée pour initier les employés au fonctionnement (du système de classement) et pour les sensibiliser aux dangers connus. » De plus, même si de l’information, documentée ou non, a été fournie à l’agente de SST durant son enquête [traduction] « relativement à des incidents liés au déménagement de chariots à compartiments de classement de dossiers et à des allées qui s’étaient refermées sur des employés qui travaillaient dans cette salle (...), il n’y avait pas de documents d’enquête relatifs à ces incidents. »

Question en litige

[6]             Dans le cadre de son appel, l’appelant demande qu’une modification soit apportée au premier paragraphe de l’instruction de manière à ce que les mots [traduction] « ayant entraîné le décès d’un employé » y soient supprimés. La question en litige est donc celle de savoir si la demande de l’appelant est justifiée ou non.

Observations des parties

Remarque : Dans sa réponse initiale datée du 1er août 2012, l’appelant demande que l’affaire soit jugée dans le cadre d’une audience sur dossier. Le 3 août 2012, le Tribunal a indiqué aux parties que l’on avait opté pour l’approche mettant à contribution des observations écrites.

Observations de l’appelant

[7]             Dans sa réponse initiale datée du 1er août, l’appelant affirme [traduction] « [qu’]il n’y avait aucune preuve médicale qui permettait d’établir de façon définitive la cause du décès et c’est pourquoi l’affirmation voulant que la situation comportant des risques "a entraîné le décès d’un employé" n’est pas étayée par les faits recensés par l’agente de SST. » Après avoir fait mention des pouvoirs d’enquête exhaustifs énumérés au paragraphe 141(1) du Code et cité les paragraphes 141(4) et 145(1) et (2), l’appelant en est arrivé à la conclusion que [traduction] « l’agente de SST n’est pas habilitée à faire des constats de responsabilité civile ou criminelle. » Aux yeux de l’appelant, les mots contestés figurant dans le premier paragraphe de l’instruction mènent à une conclusion d’ordre juridique en ce qui concerne la responsabilité, qui est une question sur laquelle l’agente de SST n’est pas habilitée à se prononcer, et l’instruction devrait donc être modifié à l’avenant.

[8]             Dans une autre réponse datée du 20 août 2012, l’appelant reformule sa position comme suit :

La question en litige à trancher dans le présent appel est celle de savoir si un agent de santé et de sécurité (« agent de SST ») désigné aux termes de la partie II du Code canadien du travail (« CCT ») a le pouvoir de faire des constats de responsabilité civile ou criminelle. Nous affirmons respectueusement que l’agent de SST n’a pas le pouvoir de faire des constats de causalité ou de responsabilité, que ce soit directement ou indirectement. Dans la mesure où l’instruction de l’agente de SST visait, dans ce cas, à établir un lien de causalité, elle comportait une erreur et aurait dû être rectifiée.

[9]             Afin d’expliciter ce point de vue, l’appelant soutient que « le rôle de l’agent de SST au regard de l’esprit du Code consiste à réaliser des enquêtes factuelles, à faire des constats factuels et à émettre au besoin des instructions et des ordonnances afin de rectifier des conditions de travail nocives ou dangereuses; cela dit, l’agent de SST n’est pas légalement habilité à faire des constats de responsabilité civile ou criminelle. » On a avancé que la deuxième partie de cette phrase est étayée par les dispositions du paragraphe 144(1) du Code, lequel prévoit que l’on ne peut contraindre l’agent de SST à témoigner dans un procès civil en ce qui concerne l’information qu’il a recueillie dans l’exercice de ses fonctions, à moins d’avoir obtenu la permission écrite du ministre à cette fin. L’appelant prétend que sa position est aussi corroborée par le paragraphe 26 de Gaignard c. CanadaFootnote 1,dans le passage où le juge déclare, en s’appuyant sur l’article 131 du Code, que la loi n’habilite par les agents de SST à accorder des indemnités aux employés qui ont subi des blessures. L’agent d’appel mentionne, enfin, au paragraphe 39 de la décision Employés et Syndicat uni du transport c. Laidlaw Transit Ltd.Footnote 2, que le Code n’autorise pas les agents de SST à obliger les employés à subir des examens médicaux ou à consulter des médecins, et ce commentaire vise à confirmer que l’agent de SST n’a pas le pouvoir de faire des constats de responsabilité ou de causalité.

Observations de l’intimé

[10]             D’entrée de jeu, on a avancé que l’agente de SST avait le pouvoir de constater que la situation comportant des risques dans laquelle M. « A » avait été impliqué avait entraîné son décès. Afin de fonder cette position, l’intimé cite la décision rendue par l’agent d’appel dans Banque Royale du CanadaFootnote 3 (Banque Royale), ainsi que la formulation et l’esprit du paragraphe 141(4) du Code et de l’article 15.5 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement). En vertu du paragraphe 141(4) du Code, l’agent de SST est tenu de « [faire] enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances. » L’article 15.5 du Règlement prévoit que l’employeur doit faire rapport à un agent de SST des détails relatifs à tout accident, maladie professionnelle ou autre situation entraînant certaines conséquences, dont, au premier chef, le décès d’un employé. L’intimé soutient que [traduction] « ces deux articles, considérés ensemble, ont pour effet de permettre à un agent de SST d’être avisé d’un décès dans un lieu de travail, d’enquêter au sujet de ce décès et de trancher la question de savoir s’il était lié à la situation comportant des risques. » Le paragraphe 27 de la décision Banque Royale est cité abondamment, car il confirme cette séquence de procédures. La première phrase de la citation se lit comme suit :

L’esprit du Code et son objet imposent à l’Agent de SST l’obligation d’essayer de déterminer la cause du décès, de décider si elle soulève des préoccupations sur le plan de la santé et de la sécurité au travail, et si c’est le cas, de recommander des mesures correctives appropriées.

[11]             En ce qui concerne les mots que l’appelant veut faire supprimer dans l’instruction, l’intimé maintient que l’agente de SST dit juste lorsqu’elle affirme qu’elle [traduction] « a effectué une enquête sur une situation comportant des risques ayant entraîné le décès d’un employé dans le lieu de travail .» On a avancé que l’agente de SST [traduction] « a tout simplement énoncé des faits » et que [traduction] « ces faits ne permettent pas d’établir le niveau de responsabilité de l’employeur ni de déterminer si le décès (de M. « A ») a été causé directement ou indirectement par l’accident. » Fondamentalement, l’intimé soutient qu’on ne peut tirer aucune conclusion de cet énoncé quant à la responsabilité.

[12]             L’intimé fait allusion à la nature de novo du travail accompli par les agents d’appel et il cite à ce sujet la décision Martin v. Canada[HTML_MAGIC_TAG_FOOTNOTE]Footnote 4(Martin) ainsi que d’autres décisions marquantes pertinentes. L’intimé soutient qu’il ne suffit pas d’effectuer un examen fondé exclusivement sur les renseignements recueillis par un agent de SST et qu’en l’espèce, on ne sait pas si les renseignements figurant dans le rapport de l’agente de SST étaient les seuls qu’elle avait colligés dans le cadre de son enquête. L’intimé affirme qu’en raison du fait qu’un décès est survenu, tout examen des conclusions de l’agente de SST devrait être effectué en tenant compte de l’ensemble des documents relatifs à ce décès, y compris ceux qui n’étaient pas à la disposition de cette agente de SST lorsqu’elle a fait son enquête.

[13]             L’intimé conclut ses observations en soutenant que l’agent d’appel n’est pas habilité à entendre l’appel, puisque [traduction] « l’appelant ne conteste pas les instructions elles-mêmes, mais leur préambule. » Après avoir noté que l’employeur avait indiqué à l’agente de SST, dans une lettre qu’il lui a transmise le 17 mai 2012, qu’il s’était conformé à l’instruction, et après avoir aussi cité le paragraphe 146(1) du Code, l’intimé affirme que ce paragraphe prévoit explicitement que seule une partie qui se sent lésée par des instructions données par un agent de SST peut interjeter appel à l’encontre de celles-ci. La décision rendue par la Cour fédérale relativement à l’affaire Sachs c. Air CanadaFootnote 5 est citée ici en ce qui a trait à « l’absence de droit d’appel implicite ». L’intimé soutient que les mots que l’appelant veut faire supprimer ne font pas partie de l’instruction étant donné qu’ils n’ont pas pour effet de contraindre l’appelant à faire quoi que ce soit en ce qui concerne le risque dans le lieu de travail. Afin d’appuyer ses dires, l’intimé cite le Concise Oxford Dictionary, dans lequel le mot [traduction] « directive » est défini comme suit : [traduction ] « un ordre ou une instruction ».

Contre-observations de l’appelant

[14]             L’appelant réfute l’argument de l’intimé voulant que l’agente de SST n’avait pas outrepassé sa compétence lorsqu’elle avait conclu que la situation comportant des risques à laquelle l’employé avait été exposé avait entraîné son décès. L’appelant soutient que cette déclaration de l’agente de SST équivaut à un constat de responsabilité civile constituant par ailleurs une conclusion juridique qu’elle n’était pas habilitée à tirer et qui n’est donc pas valide. L’appelant affirme que l’intimé n’était pas fondé à citer à titre d’obiter dictum la décision Banque Royale, puisque [traduction] « les faits et les questions en cause se distinguent clairement de ceux liés à l’appel sous-jacent. » Il maintient que la décision Banque Royale traite des exigences en matière de déclaration qui découlent du Code, lesquelles exigences ont été respectées par l’employeur, et qu’on n’y examine aucun constat important qui aurait été fait par l’agente de SST.

[15]             L’appelant affirme que [traduction] « l’objet premier d’une enquête réalisée par un agent de SST au sujet d’une situation comportant des risques existant dans un lieu de travail devrait être la santé et la sécurité des employés dans ce lieu de travail et les mesures de redressement requises pour éliminer les dangers en cause. » Citant Swinimer v. CanadaFootnote 6 (Swinimer), l’appelant note que le Parlement reconnaît que les circonstances examinées par un agent de SST peuvent aussi fonder une action au civil, et il suggère donc que l’on tienne également compte des dispositions des paragraphes 144(1) et (2) du Code. Ces paragraphes prévoient que l’on ne peut obliger les agents de SST et les agents d’appel à témoigner dans un procès civil relativement à l’information qu’ils ont obtenue dans le cadre de leur travail. Dans Canadian Freightways Ltd. c. CanadaFootnote 7, la Cour fédérale en arrive à la conclusion qu’une défense fondée sur le principe de la diligence raisonnable n’est pas pertinente aux fins d’un appel à l’encontre d’une instruction émise par un agent de SST, alors qu’elle le serait aux fins d’une poursuite au criminel déposée en vertu du Code, et l’appelant cite cette conclusion afin d’illustrer les différences qui existent, selon lui, entre ces processus. Dans la même optique, la décision Gilmore v. Canadian National RailwayFootnote 8 a été citée relativement aux restrictions qui s’appliquent aux pouvoirs d’un agent de sécurité en ce qui concerne, dans le cas qui nous occupe, les pouvoirs d’intervention insuffisants dont dispose un agent de SST pour réagir à des mesures disciplinaires ayant été prises par un employeur supposément parce qu’un employé a exercé des droits aux termes de la partie II du Code. L’appelant affirme que cette décision et d’autres causes citées étayent la conclusion logique voulant que [traduction] « l’agente de SST n’est pas habilitée à faire des constats de responsabilité civile ou criminelle aux termes de la loi. »

[16]             Toujours afin d’appuyer ses dires, l’appelant avance que [traduction] « si l’on s’en tient à l’objet et au contexte des articles de la loi, l’agent de SST n’est pas autorisé par le législateur à faire des constats de responsabilité civile. » Cet argument est illustré par une description des aspects complexes de toute poursuite civile visant potentiellement plusieurs parties et qui pourrait faire intervenir plusieurs questions, cette description impliquant qu’un agent de SST ne pourrait s’occuper d’une telle poursuite ni être tenu de le faire. La décision Employés et Syndicat uni du transport c. Laidlaw Transit Ltd. (voir le paragraphe 9 plus haut) est citée à titre d’exemple. L’agent d’appel en est arrivé à la conclusion que le Code n’habilite pas les agents de SST à contraindre des employés à se soumettre à des examens médicaux ou à consulter un médecin ou un spécialiste de la médecine de la santé et de la sécurité au travail ou de la sécurité et de l’hygiène du milieu dans le but de confirmer qu’une maladie est liée à leur lieu de travail.

[17]             En ce qui concerne notamment l’argument de l’intimé voulant que l’agente de SST ait tout simplement énoncé des faits ne permettant pas d’imputer un degré de responsabilité quelconque à l’employeur (voir le paragraphe 11 plus haut), l’appelant soutient que ladite agente de SST a fait un constat. Dans le Oxford English Dictionary, le verbe [traduction] « résulter » est défini comme suit : [traduction] « survenir en tant que conséquence, effet ou résultat d’une action, d’un processus ou d’une intention; survenir en tant que résultat; terminer ou conclure d’une certaine manière »; c’est pourquoi on affirme que la déclaration de l’agente de SST [traduction] « indique au lecteur que le ‘décès’ est survenu en tant que conséquence, effet ou résultat de la situation dangereuse. »

[18]             En ce qui concerne la tenue d’une nouvelle audience, l’appelant affirme au départ que les facteurs qui, selon lui, devraient empêcher un agent de SST de faire un constat de responsabilité civile s’appliquent aussi au pouvoir dont jouit un agent d’appel. Toujours pour appuyer ses dires, l’appelant avance que la mesure réparatoire demandée permettrait de préserver l’essence de l’instruction de l’agente de SST, et qu’en raison de la nature sommaire du processus d’appel décrit au paragraphe 146.1(1), il n’est pas nécessaire de tenir une audience en bonne et due forme.

[19]             L’appelant affirme que l’argument de l’intimé voulant que l’agent d’appel ne soit pas habilité à entendre son appel est sans fondement, et il ajoute que si le préambule ne fait pas partie de l’instruction, tel que l’intimé le maintient, il n’a pas d’utilité réelle et on ne devrait donc pas s’opposer à sa suppression complète. S’appuyant sur les paragraphes 90 et 91 de la décision rendue par l’agent d’appel dans l’affaire Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et Affaires indiennes et du Nord Canada,Footnote 9 (Travaux publics), dans lesquels il est indiqué qu’une instruction a été modifiée par l’entremise du remplacement du renvoi législatif [traduction] « sans que cela n’ait la moindre incidence sur l’essence de l’instruction », l’appelant affirme qu’il demande un recours comparable à celui qui est en cause dans cette décision et que les mots « ayant entraîné le décès d’un l’employé » pourraient et devraient être supprimés du préambule.

Analyse

[20]             Au paragraphe 6 ci-dessus, je formule la question en litige qui doit être tranchée de façon littérale, à savoir que je dois déterminer si l’appelant est fondé à demander que les mots « ayant entraîné le décès d’un employé » soient supprimés de l’instruction. Cette demande et les arguments des parties qui la justifient ou l’invalident soulèvent des questions que je dois examiner pour rendre ma décision. Voici les questions que l’on doit trancher, selon moi :

  • · Compétence : l’agent d’appel est-il habilité à entendre l’appel?
  • · Pouvoir : l’agente de SST a-t-elle le pouvoir de faire un constat en ce a trait aux conséquences de l’incident comportant un risque au sujet duquel elle a enquêté en mars 2012?
  • · Justification : le résultat, tel qu’il est établi par l’agente de SST, est-il démontré par les preuves recueillies ou qui se trouvaient à sa disposition avant que l’instruction soit émise?

Compétence

[21]             L’intimé soutient que la phrase contestée [traduction] « ne fait pas partie de l’instruction, puisqu’elle ne contraint pas l’appelant à faire quoi que ce soit en ce qui a trait au risque dans le lieu de travail. » Il affirme que le paragraphe 146(1) prévoit que seule une instruction d’un agent de SST peut faire l’objet d’un appel et que cela implique que ce qui ne fait pas partie de cette instruction ne peut donc pas être visé par un appel. Tel qu’il est indiqué au paragraphe 13 plus haut, la décision Sachs c. Air Canada a été citée afin de confirmer « l’absence de droit d’appel implicite ». L’appelant considère que l’intimé a tort d’affirmer que si le préambule ne fait pas partie de l’instruction, il n’a pas d’utilité réelle et qu’on ne devrait donc pas s’opposer à sa suppression. L’appelant mentionne que le paragraphe 146.1(1) habilite l’agent d’appel à modifier une l’instruction émise par un agent de SST et il cite à cet égard la décision Travaux publics (voir le paragraphe 19 ci-dessus). Ce paragraphe se lit comme suit :

146(1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.

146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[22]             Même si je sais gré aux parties de m’avoir fourni de la jurisprudence pertinente, j’estime que le contexte factuel des décisions en cause diffère de celui de l’affaire en cause. Par exemple, la décision Sachs v. Air Canada traite du cas d’une instruction qui n’avait pas été émise par un agent de SST et d’une tentative d’en appeler d’une promesse de conformité volontaire ou PCV. Le verdict de l’agent d’appel voulant qu’il n’existât pas de droit d’appel en pareil cas a été confirmé par la Cour fédérale. Or, dans le présent cas, l’agente de SST a bel et bien émis une instruction. L’affaire Travaux publics se rapporte à l’instruction émise par un agent de SST en application du paragraphe 145(2) du Code et à l’égard de laquelle l’agent d’appel en est arrivé à la conclusion qu’elle aurait plutôt dû être émise aux termes du paragraphe 145(1). L’agent d’appel a modifié les renvois législatifs, mais comme l’appelant l’a mentionné, il n’a pas remanié le reste du texte de l’instruction.

[23]             Les instructions prévues dans le Code ne sont pas définies dans la loi. L’intimé cite le Concise Oxford Dictionary, dans lequel le mot [traduction] « directive » est défini comme suit : [traduction] « un ordre ou une instruction ». Je ne rejette pas cette définition, mais je note également que le Collins English Dictionary (troisième édition à jour publiée en 1994) offre une deuxième définition du mot « directive », à savoir : [traduction] « gestion, contrôle ou encadrement ». À mes yeux, le dernier de ces trois mots s’applique particulièrement bien aux instructions émises par l’agente de SST et il est en accord avec l’objet du Code tel qu’il est énoncé à l’article 122.1, comme suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[24]             Même si une instruction peut certainement avoir comme objet, entre autres, de mettre fin à une contravention ou de la rectifier, j’estime que l’esprit et l’objet du Code prêtent aussi aux instructions un caractère informatif et éducatif visant à faire de la prévention. Selon moi, le paragraphe 145(5) est en accord avec cette façon de concevoir les dispositions du Code traitant de son objet.

145(5) Dès que l’agent donne les instructions écrites visées aux paragraphes (1) ou (2) ou adresse un rapport écrit à un employeur sur un sujet quelconque dans le cadre de la présente partie, l’employeur est tenu :

a) d’en faire afficher une ou plusieurs copies selon les modalités précisées par l’agent;

b) d’en transmettre copie au comité d’orientation et au comité local ou au représentant, selon le cas.

Ce paragraphe vise à faire en sorte que les parties concernées soient informées des contraventions et des situations comportant des risques de manière à leur permettre de prendre des mesures d’encadrement et de prévention pour le futur. Tel que le révèle le dossier, la lettre de couverture de l’agente de SST datée du 29 mars 2012, à laquelle l’instruction de la veille était jointe, fait mention du paragraphe 145(5).

[25]             En ce qui concerne, de façon plus générale, l’émission d’instructions, j’estime qu’il est raisonnable de penser qu’un contexte devrait être précisé dans une instruction et que l’agent de SST jouit d’un pouvoir discrétionnaire raisonnable pour déterminer les éléments qui devraient faire partie de ce contexte. Si l’on va à l’extrême, ce qui, selon moi, n’était pas l’intention de l’intimé, une ordonnance sommaire comme celle énoncée en application de l’alinéa 145(2)a) dans l’instruction émise par l’agente de Parkin le 28 mars 2012 a tout simplement pour effet d’obliger l’employeur « à modifier sur-le-champ l’activité qui constitue un danger. » L’employeur et ceux qui étaient impliqués dans la situation ayant entraîné l’émission de l’instruction pourraient considérer que cela suffit pour déterminer les mesures de redressement nécessaires. Cela dit, pourquoi prêter le flanc à un malentendu? D’autres personnes, y compris les employés de l’employeur qui sont impliqués de façon moins directe dans cette situation, mais qui n’ont pas moins un intérêt justifié dans l’affaire en cause, seront peut-être déroutées par le manque de détail et cela pourrait compromettre les aspects informatif, éducatif et préventif de l’instruction. Pour comprendre une telle ordonnance, il faut un contexte, et j’estime que ce contexte devrait raisonnablement comprendre, pour les cas de ce genre, une description de la situation comportant des risques et le moment et l’endroit où elle est survenue, ainsi que les détails factuels fiables que l’agente de SST est en mesure d’obtenir en ce qui concerne la cause et les conséquences de cette situation et, enfin, une description narrative des contraventions visées par l’instruction. En tant que tel, j’en arrive à la conclusion que l’ensemble du texte de l’instruction émise par l’agente de SST Parkin le 28 mars 2012 constitue une instruction pouvant faire l’objet d’un appel aux termes du paragraphe 146(1) et que l’agent d’appel affecté à ce cas a la compétence nécessaire pour entendre cet appel.

Pouvoir

[26]             L’argument de base de l’appelant est résumé dans la citation figurant dans ses observations écrites du 20 août 2012, qui est reproduite au paragraphe 8 ci-dessus. L’appelant soutient qu’un agent de SST n’est pas habilité en vertu du Code à faire des constats de responsabilité civile ou criminelle et que l’agente de SST concernée [traduction] « n’a pas le pouvoir de faire des constats de causalité ou de responsabilité de manière directe ou indirecte. Dans la mesure où l’instruction de l’agente de SST visait, dans ce cas, à établir un lien de causalité, elle comportait une erreur et aurait dû être rectifiée. » L’appelant fonde sa position sur le paragraphe 144(1) du Code, qui prévoit que les agents de santé et de sécurité ne peuvent être contraints à témoigner dans un procès civil; sur les articles 142 et 143, lesquels prévoient que les personnes se trouvant dans le lieu de travail doivent prêter à l’agent de SST toute l’assistance possible dans l’exercice de ses fonctions, et qu’il est par ailleurs interdit de gêner ou d’entraver l’action de l’agent de SST ou de lui faire une fausse déclaration; et sur les importants pouvoirs d’enquête conférés à l’agent de par le paragraphe 141(1). L’appelant affirme que ces articles [traduction] « corroborent le point de vue selon lequel l’agent de SST n’est pas appelé à faire des constats ayant trait à la responsabilité civile. » La jurisprudence citée dans les observations finales et les contre-observations de l’appelant et résumée plus haut est présentée en tant qu’élément étayant ses arguments de façon comparable.

[27]             L’affirmation de l’intimé voulant que l’agente de SST fût habilitée à faire le constat contesté s’appuie en partie sur la décision rendue par l’agent d’appel dans l’affaire Banque Royale et aussi sur l’esprit du paragraphe 141(4) du Code et de l’article 15.5 du Règlement, qui, selon lui, est confirmé par cette décision.

141(4) L’agent fait enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances.

15.5 L’employeur doit faire rapport à un agent de santé et de sécurité, par téléphone ou par télex, de la date, de l’heure, du lieu et de la nature de tout accident, maladie professionnelle ou autre situation comportant des risques visé à l’article 15.4 le plus tôt possible dans les 24 heures après avoir pris connaissance de la situation, si celle-ci a entraîné l’une des conséquences suivantes :

a) le décès d’un employé;

Aux yeux de l’intimé, ces deux articles, considérés ensemble, ont pour effet de permettre à un agent de SST d’enquêter au sujet d’un décès survenu dans le lieu de travail d’un employé ou associé à ce lieu de travail, et aussi de l’habiliter à faire les constats énoncés dans l’instruction. En ce qui concerne ces derniers constats et, particulièrement, les mots que l’appelant tente de faire supprimer, l’intimé soutient qu’ils ne permettent pas d’établir un degré de responsabilité et que l’agente de SST [traduction] « a tout simplement énoncé les faits qu’elle a observés. »

[28]             J’ai examiné les observations des parties se rapportant à cette affaire et cela m’amène à souscrire à l’affirmation de l’appelant voulant qu’un agent de SST ne soit pas autorisé à faire un constat de responsabilité civile. Quoi qu’il en soit, j’établis une distinction entre la responsabilité et la causalité, alors que l’appelant semble considérer que ces deux mots sont synonymes dans le passage cité aux paragraphes 8 et 26 ci-dessus, où il affirme que [traduction] « l’agent de SST n’a pas le pouvoir de faire des constats de causalité ou de responsabilité, que ce soit directement ou indirectement. » (C’est moi qui souligne). J’estime que le contre-argument de l’intimé à cet égard n’est pas sans fondement. Tel qu’il est indiqué au paragraphe 27 ci-dessus, l’intimé soutient que le paragraphe 141(4) du Code et l’article 15.5 du Règlement habilitent l’agent de SST à faire des constats de cause et effet. L’intimé ajoute qu’en raison de ce pouvoir, l’agente de SST était justifiée d’inclure la formulation contestée dans son instruction et d’affirmer que cette formulation [traduction] « rendait tout simplement compte des faits. » Je vais revenir plus loin sur ce dernier aspect et je me bornerai par ailleurs à traiter du principe qui est en cause ici.

[29]             En vertu des termes performatifs du paragraphe 141(4), l’agent de SST doit faire enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail, et ce qui est plus pertinent dans cette affaire, « ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances. » (C’est moi qui souligne). En accord avec l’exigence découlant de l’article 15.5 du Règlement, l’employeur a informé un agent de SST du décès de « M. A » et a fait appliquer l’exigence voulant qu’un agent de SST enquête au sujet des circonstances liées à ce décès. En plus de citer la loi, l’intimé cite également le paragraphe 27 de la décision Banque Royale presque intégralement. La première phrase de cette citation, qui est reproduite au paragraphe 10 plus haut, justifie la tenue de l’enquête dans la mesure où elle prévoit que [traduction] « (...) l’Agent de SST [a] l’obligation d’essayer de déterminer la cause du décès, de décider si elle soulève des préoccupations sur le plan de la santé et de la sécurité au travail, et si c’est le cas, de recommander des mesures correctives appropriées. »

[30]             C’est moi qui ai rendu la décision Banque Royale et je l’ai relue. Même si je reconnais que le contexte factuel de cette affaire est différent, j’estime que mes conclusions relatives à l’objet et au fondement du paragraphe 141(4) du Code et de l’article 15.5 sont pertinentes au regard du présent appel. La loi obligeait l’agente de SST Parkin à enquêter sur les circonstances liées au décès de « M. A », sans égard à la question de savoir si elle ou une collègue avait déjà l’intention d’enquêter au sujet de la situation comportant des risques qui avait occasionné des blessures à M. A et qui avait entraîné son hospitalisation. En accord avec le raisonnement énoncé dans la décision Banque Royale, l’agente de SST avait le pouvoir d’enquêter sur la cause du décès et sur la question de savoir si ce décès résultait d’une situation comportant des risques survenue dans le lieu de travail ou pendant que l’employé travaillait.

[31]             Conformément à l’objet et à l’esprit du Code, il arrive fréquemment que les résultats des enquêtes doivent être communiqués par l’entremise d’un rapport et mis à la disposition de quiconque veut les utiliser en vertu des pouvoirs conférés par ce même Code. Le paragraphe 141(6) prévoit expressément que l’agent de SST doit transmettre des copies de tout rapport écrit à l’employeur et au comité local ou au représentant de la santé et la sécurité au travail, et ce, dans les dix jours suivant l’achèvement de ce rapport. Si l’on restreint l’inclusion de constats de cause et de conséquences valides dans le contenu d’un rapport ou d’instruction provenant d’un agent de SST , cela compromettra leur utilité aux termes du Code et s’opposera aux objectifs éducatifs et préventifs qui découlent implicitement de la loi. Une situation comportant des risques peut survenir, tel que cela est le cas en l’espèce, alors que des tâches essentiellement courantes sont exécutées. En consignant les conséquences de ces situations, on pourra mettre les employés en garde contre tout danger potentiel lié à des tâches tout à fait routinières et promouvoir la vigilance et la prévention. Bref, je considère que le régime législatif sous-tendant le Code habilite l’agent de SST à faire des constats de cause et de conséquence en ce qui a trait à la situation comportant des risques au sujet de laquelle elle a enquêté à la fin de mars 2012.

Justification

[32]             Être habilité à faire des constats quant à la cause ou aux conséquences ne fait pas en sorte que l’on est nécessairement en mesure de les justifier. Durant son enquête sur la situation comportant des risques survenue le 23 mars 2012, l’agente de SST Parkin a obtenu des preuves factuelles auprès de personnes qui avaient été témoins de l’incident ou qui connaissaient bien ses conséquences. Par exemple, on lui a mentionné que « M. A » avait dit à des collègues qu’il ressentait de la douleur au niveau des côtes sur son flanc gauche et qu’il leur avait demandé de faire venir une ambulance. On lui a aussi dit qu’il était resté à l’hôpital durant le week-end et qu’il était décédé avant d’en sortir. Cependant, rien n’indique qu’elle avait obtenu des renseignements concluants quant à la cause de ce décès et aucune information n’a été consignée relativement à un examen de la possibilité que d’autres causes primaires ou secondaires aient joué un rôle dans ce dénouement. Compte tenu du court laps de temps qui s’est écoulé entre le moment où la situation comportant des risques est survenue et le moment du décès, il semblerait, tel que certains pourraient le soutenir, que l’agente de SST ait établi un lien de causalité logique. Cela dit, peu importe si cette hypothèse est logique ou non, aucune preuve concluante ne la corrobore.

[33]             Dans l’affaire Banque Royale, par exemple, l’agent de SST a fait des démarches administratives passablement compliquées pour obtenir le rapport de police sur le décès soudain d’un employé, et ce rapport contenait des évaluations médicales relatives aux causes de ce décès. Il a aussi fait un suivi de l’affaire auprès du Bureau du coroner, où on lui a refusé l’accès au rapport de ce même coroner avant de lui indiquer verbalement avec réticence que le décès était lié à un problème médical. Rien n’indique que l’agente de SST Parkin ait fait d’autres démarches de ce genre ou qu’elle ait demandé l’avis ou le verdict de spécialistes quant à la cause du décès avant de rendre d’urgence sa décision verbale et d’émettre une instruction écrite connexe le 28 mars 2012. En tant que tel, je considère qu’elle n’a pas bien expliqué pourquoi elle avait mentionné dans l’instruction que le décès était imputable à la situation comportant des risques. Cependant, tel qu’il est indiqué dans le paragraphe précédent, elle avait obtenu des preuves valables en ce qui concerne la situation comportant des risques et le fait que celle-ci avait occasionné des blessures à « M. A » et entraîné son hospitalisation, et je tiendrai compte de ces facteurs pour établir s’il y a lieu de modifier l’instruction et, le cas échéant, pour déterminer en quoi consistera cette modification.

[34]             À la fin de mars 2012, l’agente de SST a constaté qu’il y avait de graves problèmes liés à la sécurité des employés et cela explique pourquoi elle a agi d’urgence pour gérer cette situation qu’elle considérait comme dangereuse alors que l’enquête se poursuivait, tel que cela est indiqué dans le rapport. J’ai par ailleurs tenu compte de l’utilité de la procédure d’enquête supplémentaire que j’ai instituée pour examiner la cause du décès de « M. A ». Le présent appel vise l’instruction émise par l’agente de SST le 28 mars 2012. L’appelant a demandé qu’on y supprime certains mots et j’estime pour ma part, à la lumière des preuves accumulées ou qui auraient pu être facilement obtenues à l’époque, que l’emploi de ces mots n’était pas justifié. Tel que l’a soutenu l’appelant, même si on effectuait la modification demandée, le contenu de l’instruction demeurerait pour l’essentiel inchangé. L’emplacement et la nature de la situation comportant des risques et la date à laquelle elle est survenue ont été consignés. Le détail de l’activité qui constitue un danger a aussi été consigné. Le fait que les blessures subies par l’employé ont entraîné son hospitalisation a été relevé, tout comme le fait que peu de temps s’est écoulé entre le moment où la situation comportant des risques est survenue et le moment où l’employé est décédé. L’appelant ne conteste pas ces éléments du texte de l’instruction et il ne remet pas non plus en cause les mesures de redressement prescrites. Bref, même si je faisais des démarches pour obtenir de l’information et que j’arrivais à recueillir des renseignements concluants qui confirmeraient ou infirmeraient la formulation contestée, cela ne changerait en rien l’esprit fondamental de l’instruction ni l’objet du Code, soit la préservation de la sécurité des employés et la prévention des accidents et des blessures.

Conclusion

[35]             J’en suis arrivé à la conclusion que l’agente de SST disposait de preuves et de renseignements abondants pour déterminer que la situation comportant des risques avait occasionné des blessures à l’employé. Je détiens la même information et je la prendrai en considération pour établir la modification que j’ordonnerai.

Décision

[36]             Pour les motifs précités et en application de l’alinéa 146.1(1)a) du Code, je modifie par les présentes l’instruction émise par l’agente de santé et de sécurité le 28 mars 2012 en y supprimant les mots « ayant entraîné le décès d’un employé » figurant à la deuxième ligne du premier paragraphe et en les remplaçant par les mots « ayant occasionné des blessures à un employé ».

Michael McDermott

Agent d’appel

ANNEXE

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION DONNÉE À L’EMPLOYEUR AUX TERMES DES ALINÉAS 145(2)a) et b)

Le 28 mars 2012, l’agente de santé et de sécurité Kelly Parkin a effectué une enquête sur une situation comportant des risques ayant occasionné des blessures à un employé dans le lieu de travail utilisé par Ressources humaines et Développement des compétences Canada, qui est un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail et dont l’adresse est 17412 – 116 Avenue, Edmonton, Alberta, T5S 2X2, ledit lieu de travail étant parfois désigné comme le centre de gestion de dossiers de Service Canada.

Ladite agente de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une certaine tâche constitue un danger pour un employé au travail :

Le 23 mars 2012, un employé s’est retrouvé coincé entre des rayons mobiles et a dû être hospitalisé en raison de ses blessures. Le 26 mars 2012, cet employé est décédé.

L’employeur a omis de s’assurer que la santé et la sécurité des employés étaient préservées lorsqu’ils utilisaient les rayons mobiles du centre de gestion de dossiers. L’employeur n’a pas recensé ni évalué les dangers; il n’a pas non plus mis en œuvre de mesures de contrôle adéquates pour gérer les dangers évalués; et il a omis d’effectuer une analyse de la sécurité opérationnelle des activités de travail, y compris l’élaboration de procédures de travail sécuritaires relatives aux rayons mobiles ou d’un programme de formation documenté pour les employés.

Il vous est donc ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en application de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de modifier sur-le-champ l’activité qui constitue un danger.

Il vous est AUSSI ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en application de l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, de ne pas utiliser les rayons mobiles jusqu’à ce que la présente instruction ait été exécutée, l’avis de danger no 2284 ayant été apposé à ce sujet en application du paragraphe 145(3).

Modifié conformément au texte souligné figurant plus haut, à Ottawa (Ontario), ce 31e jour de janvier 2013.

Michael McDermott
Agent d’appel

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