2013 TSSTC 7

Référence : Rogers Communications Inc., 2013 TSSTC 7

Date : 2013-02-06
Dossiers : 2011-54 et 2011-58
Rendue à : Ottawa

Entre :

Rogers Communications Inc., appelante

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail de deux instructions émises par un agent de santé et de sécurité.

Décision : Les instructions sont annulées.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : William Duvall et Thora Sigurdson, avocats, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             Il s’agit d’un appel déposé conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) contre deux instructions émises à l’endroit de Rogers par l’agente de santé et de sécurité (l’agente de SST) Betty Ryan le 22 septembre et le 28 octobre 2011. Les deux instructions ont été émises à l’endroit de Rogers en vertu du paragraphe 145(1) du Code pour une infraction aux alinéas 125(1)l), w) et z.14) du Code et aux dispositions pertinentes du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail du Canada (le Règlement).

[2]             Les instructions faisaient suite à l’enquête de l’agente de SST au sujet d’un accident de travail survenu le 8 septembre 2011, alors qu’un employé de Luktor Contracting Inc. (Luktor), entreprise de construction embauchée par l’appelante pour installer de l’équipement sur le toit d’un immeuble situé au 206, 206 East 49th Avenue, Vancouver (Colombie-Britannique), où se trouvait déjà de l’équipement de communication de Rogers, a été blessé en raison d’une chute du côté de l’immeuble.

[3]             L’appelante a interjeté appel séparément des deux instructions, mais Rogers a demandé à ce que les deux appels soient regroupés pour l’audience et la décision, puisque les deux instructions étaient fondées sur les mêmes faits et circonstances. Cette demande a été acceptée par l’agent d’appel Michael Wiwchar le 29 novembre 2011.

[4]             Il n’y a pas eu d’audience en personne pour le présent appel, qui est donc décidé en se fondant uniquement sur le rapport d’enquête de l’agente de SST Ryan, sur la preuve présentée par l’appelante par un affidavit d’Alex Vlach, coordonnateur de projets civils de Rogers, affidavit appuyé par 44 documents, sur l’information obtenue de l’agente de SST Ryan lors d’une conférence téléphonique avec moi et les avocats de l’appelante le 11 avril 2012 et sur les observations présentées par les avocats de l’appelante. Aucune partie ne conteste ces appels.

Contexte

[5]             Bien que les problèmes soulevés par ces appels puissent sembler complexes, les faits qui forment le contexte de l’affaire sont simples et directs. Comme il a déjà été mentionné, le 8 septembre 2011, M. René Landry, travailleur employé de Luktor Contracting Inc., était en train d’installer un câble sur le côté de l’immeuble se trouvant au 206 East 49th Avenue, à Vancouver, dans le cadre des tâches indiquées sur un ordre de travail entre Luktor et Rogers visant l’installation d’une tour de télécommunication sur le toit de cet immeuble.

[6]             Selon le rapport de l’agente de SST, neuf personnes travaillaient sur le site au moment de l’accident, mais aucun n’était employé de Rogers. L’accident est survenu lorsqu’un travailleur se trouvant sur le toit qui utilisait un [Traduction] « broyeur pour insérer un câble dans un conduit » a accidentellement coupé le câble qui tenait la chaise de gabier dans laquelle se trouvait M. Landry sur le côté de l’immeuble pour installer le câble. Il semblerait également que l’entrepreneur (Luktor) avait omis d’ancrer de façon sécuritaire la corde qui devait assurer la sécurité de M. Landry ou de lui donner un cordage de sécurité distinct. Par conséquent, M. Landry est tombé d’une hauteur d’environ 30 pieds et a été blessé.

[7]             Les deux agents de santé et de sécurité (Montrose et Bhullar) sont arrivés sur les lieux vers 14 h 30 le lendemain de l’accident (le 9 septembre) pour commencer leur enquête. Ils ont rencontré deux agents de sécurité au travail de la Colombie-Britannique (les agents de SST provinciaux) qui avaient déjà commencé leur propre enquête sur l’événement, puisque Luktor, qui exerce ses activités dans le domaine de la construction, semblait relever de la compétence provinciale.

[8]             Les deux agents de SST en vertu du Code canadien du travail (Montrose et Bhullar) ont seulement obtenu des déclarations des agents provinciaux. Les agents provinciaux leur ont permis de se rendre sur le toit de l’immeuble, là où l’accident est survenu; ils ont pris des photos et ont écouté leur description de l’événement. Dans les jours qui ont suivi, l’agente de SST Ryan a pris part au dossier et, avec l’agent de SST Bhullar, a mené une enquête sur la juridiction dont relevait Luktor Contracting Inc.

[9]             Dans une lettre à l’intention de Luktor, datée du 19 septembre 2011, l’agente de SST Ryan a affirmé que Luktor n’était pas assujettie à la compétence fédérale aux fins de la législation sur le travail et donc que le Code ne s’appliquait pas à elle. L’agente de SST a justifié quelque peu sa conclusion :

[Traduction] Le travail d’installation qu’effectue votre société à ce moment n’est pas considéré comme une partie intégrante des activités d’une société de télécommunication. Si vos services prennent de l’ampleur ou changent de façon importante ultérieurement, cette compétence peut changer. Actuellement, les lois provinciales en matière de santé et de sécurité au travail s’appliquent à votre société parce qu’elle exerce des activités de construction qui relèvent de la compétence provinciale en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867.

[10]             Compte tenu de la dernière phrase des justifications de l’agente de SST présentées précédemment, il semblerait que l’agente de SST Ryan a suivi la règle générale tirée de la séparation des pouvoirs présentée dans la Loi constitutionnelle de 1867 (aussi appelée l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867), qui considère que les travaux de construction relèvent de la compétence provinciale générale sur les droits de propriété et les droits civils, plutôt que des catégories particulières de la compétence fédérale énumérées à l’article 91 de cette loi, ce qui accorde du crédit au principe généralement reconnu que, en matière de relations de travail, dont font partie la santé et la sécurité au travail, la compétence provinciale est la règle et la compétence fédérale est l’exception à cette règle.

[11]             Dans son rapport sur l’instruction émise le 22 septembre 2011, l’agente de SST Ryan a mentionné que les agents de SST provinciaux rencontrés par ses collègues sur les lieux de l’accident n’étaient pas prêts à donner des détails sur l’accident. Toutefois, ils ont fait part de leurs préoccupations au sujet de l’insuffisance des points d’ancrage choisis, du fait que les employés de Luktor travaillaient sur le bord du toit sans équipement de protection contre les chutes et du fait que l’employé travaillait dans une chaise de gabier sans cordage de sécurité indépendant. Cela étant dit, le rapport de l’agente Ryan indiquait qu’elle avait mené son enquête dans le but d’évaluer si Rogers répondait aux obligations du Code pour [Traduction] « toute personne qui avait accès au lieu de travail », ce qui constituerait le fondement des obligations faisant l’objet de l’infraction relevée par l’agente Ryan.

[12]             L’agente de SST Ryan en est arrivée à un certain nombre de conclusions, notamment en nommant Rogers Communications Inc. comme l’employeur, sans toutefois préciser de qui l’entreprise est l’employeur, du moins dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe.

[13]             Selon l’agente de SST, de nombreuses entités, passées et présentes, ont des intérêts dans les travaux exécutés par les entrepreneurs et dans le lieu de travail où est survenu l’accident. Ainsi, au sujet de l’emplacement sur le toit, Microcell Connexions était signataire du bail initial conclu par les propriétaires de l’immeuble. Microcell est ensuite devenue Fido, qui fait maintenant partie du groupe de sociétés de Rogers Communications. Cela fait de Rogers la société mère, avec un intérêt dans les diverses filiales. Le rapport de l’agente de SST Ryan mentionne à ce sujet que, étonnamment compte tenu du fait que l’instruction et l’enquête portaient sur un seul événement, un seul entrepreneur et un seul site, le but de l’instruction initiale est de veiller à ce que toutes les entités de compétence fédérale (vraisemblablement liées à Rogers) soient conformes puisque, pour reprendre les mots de l’agente de SST Ryan, [Traduction] « les insuffisances (des contrôles en cours) ne semblaient pas se limiter à ce projet ni à cet entrepreneur ».

[14]             L’enquête effectuée, qui portait principalement sur la question de l’accès au toit ayant mené à la découverte de cinq infractions supplémentaires et à l’émission d’une deuxième instruction (28 octobre 2011), a permis à l’agente de SST Ryan de formuler d’autres conclusions. Elle a découvert que Rogers ne disposait pas de contrôles suffisants pour répondre à toutes ses obligations en vertu du Code relativement à l’entrepreneur et à ses employés qui travaillaient sur le toit de l’immeuble situé au 206 East 49th Avenue, à Vancouver.

[15]             Le programme de sécurité des entrepreneurs de Rogers se limitait à recueillir de l’information de l’entrepreneur au moment de son embauche, sans faire de suivi. Les entrepreneurs étaient informés qu’ils devaient respecter les exigences en matière de santé et de sécurité fédérales et provinciales dans chaque projet. Toutefois, selon les dires de l’agente de SST, aucun détail n’était donné et aucune information n’était transmise à l’entrepreneur au sujet de la sécurité sur ce site en particulier. Elle a toutefois noté que de l’information très précise était donnée à propos de l’accès au site. À ce sujet, le rapport de l’agente de SST comprend un document, une simple page intitulée « Site Directions », au sujet de l’immeuble où l’accident est survenu. L’agente de SST Ryan a affirmé que ce document avait été transmis à l’entrepreneur, et que des documents semblables étaient donnés à d’autres entrepreneurs pour d’autres sites, et qu’il donne des instructions très précises sur la façon de se rendre à l’immeuble à travers les rues de la ville, puis sur le toit de l’immeuble à partir de différentes parties de l’immeuble.

[16]             Ce document laisse clairement entendre qu’aucun employé de Rogers ne serait sur les lieux pour accueillir l’entrepreneur et ses employés, ce qui explique tous les détails qui y sont donnés. L’agente de SST a également noté que Rogers ne surveillait pas du tout le programme de l’entrepreneur, ses dossiers de formation ni les dossiers sur son équipement, et que, bien que Rogers possède des spécialistes sur la mise en œuvre dont la responsabilité est de superviser les projets, ils ne reçoivent pas de formation sur la reconnaissance du danger et leur description de tâche ne comprend pas de responsabilité au sujet de la sécurité sur le projet.

[17]             De plus, l’agente de SST Ryan a mentionné que Rogers ne surveillait pas l’entrepreneur au sujet de la santé et de la sécurité au travail, ne fournissait pas d’équipement de protection contre les chutes, ne s’assurait pas qu’un tel équipement était utilisé et ne donnait pas d’instruction au sujet du choix ou de l’utilisation des points d’ancrage. En outre, toujours selon les dires de l’agente de SST Ryan, Rogers ne veillait pas à ce que l’équipement de protection individuelle soit entretenu, inspecté et testé conformément aux normes prescrites.

[18]             Comme il est mentionné précédemment, j’ai convoqué une conférence téléphonique avec l’agente de SST Ryan et les avocats de l’appelante. Le but de cette conférence, qui s’est tenue le 11 avril 2012, était de permettre à l’agente de SST Ryan d’expliquer les conclusions de son rapport et possiblement de préciser les opinions qu’elle avait exprimées sur certains sujets pertinents à la présente affaire. Cette conférence téléphonique visait à remplacer la comparution habituelle de l’agente de SST à titre de témoin au cours de l’audience habituelle. Dans cette affaire, je souhaitais entendre l’agente de SST Ryan au sujet des notions d’« employeur », d’« accès » et d’« autorité » relativement à Rogers et au site de l’accident.

[19]             Au sujet de la notion d’« employeur », terme défini dans le Code, l’agente de SST Ryan a reconnu que Rogers n’était pas l’employeur du personnel de Luktor Contracting Inc. qui participait aux travaux menés sur les lieux de l’accident, mais elle a soutenu que Rogers, entreprise fédérale possédant des employés, était perçue comme telle, puisqu’elle était l’employeur qui donnait accès au site aux employés de Luktor, même s’il n’y avait pas d’employé de Rogers sur les lieux le jour de l’accident. Elle a toutefois affirmé qu’il aurait pu y avoir des employés de Rogers sur les lieux pendant la mise en œuvre du projet. Elle a cependant souligné qu’elle n’avait pas visité le site ni n’avait rencontré de personne qui aurait pu être sur les lieux à ce moment. Elle a aussi répété sa conclusion que Luktor relevait de la compétence provinciale en raison de la nature des travaux auxquelles elle participait, qui n’étaient ni cruciaux ni essentiels aux activités de Rogers, et du fait qu’elle ne participait pas en tout temps à des travaux de communication.

[20]             Sur la question de l’« accès » au site ou au lieu de travail, elle a simplement répété sa conclusion que Rogers, à titre d’« employeur », avait donné accès aux employés de Luktor. Lorsqu’on lui a demandé quelles seraient les conséquences sur les obligations applicables à la fois à la réglementation fédérale et à la réglementation provinciale, soit lorsqu’un employeur relevant de la compétence provinciale est tenu de respecter des règles fédérales, puisqu’il a accès à un site « exploité » par un employeur relevant de la compétence fédérale, l’agente de SST Ryan a affirmé sans s’expliquer qu’il y aurait des différences entre les deux systèmes juridiques applicables et qu’elle ne trouverait pas de faute si Rogers, bien qu’elle relève des exigences fédérales au sujet de la santé et de la sécurité, demandait ou acceptait la conformité à des normes supérieures (les normes provinciales) aux normes fédérales.

[21]             L’agente Ryan a toutefois souligné qu’elle ne savait pas si Rogers ou ses employés avaient librement accès au toit de l’immeuble où l’accident est survenu. Elle a toutefois noté que, lorsqu’une personne demande l’accès au toit, elle doit suivre un processus, soit les instructions très précises au sujet des rues à prendre, de l’endroit où il faut se rendre, des portes par lesquelles il faut passer, des escaliers à suivre et des échelles à utiliser ainsi que de l’endroit où les employés de Rogers pouvaient obtenir les clés, etc., comme il a déjà été mentionné. Bien que l’agente Ryan a mentionné au départ qu’elle ne savait pas si les employés de Rogers avaient librement accès au toit de l’immeuble en question, elle a ensuite affirmé que ces employés ainsi que d’autres parties (les entrepreneurs ou les employés d’autres entités qui ont de l’équipement sur le toit) devaient suivre ce processus et respecter les conditions indiquées dans la convention d’emprise conclue avec les propriétaires de l’immeuble.

[22]             Enfin, au sujet de la question de l’« autorité » sur le site qu’elle décrit comme un lieu de travail, l’agente de SST Ryan a affirmé que la législation doit être interprétée de façon large et que par conséquent, compte tenu de la convention d’emprise conclue avec les propriétaires, du fait que Rogers est la partie qui donne l’ordre de travail à l’entrepreneur, du fait que Rogers agit en réalité comme un gestionnaire de projet, puisque ses employés inspectent les travaux achevés même s’ils sont absents pendant les travaux et enfin du fait que Rogers donne l’information ou les instructions sur la façon d’accéder au toit et prend des arrangements avec le propriétaire ou le gérant de l’immeuble afin de donner ou d’obtenir l’accès à l’immeuble et au toit, elle a affirmé que Rogers exerçait une certaine autorité qui semblait satisfaire à l’exigence d’autorité sur le lieu de travail indiquée dans le préambule de l’article 125 du Code.

Question(s) en litige

[23]             De façon générale, la seule question devant être évaluée est celle de savoir si, aux termes du Code, il existait un fondement juridique pour émettre les deux instructions faisant l’objet de l’appel. Toutefois, puisque les instructions ont été émises en vertu du paragraphe 145(1) du Code sur la base des infractions nommées par l’agente de SST touchant un certain nombre de dispositions du Code et de son règlement d’application par Rogers, il incombe d’être plus précis et de nommer les problèmes constituant des infractions au Code. Puisque l’agente de SST Ryan a affirmé que les infractions visaient le paragraphe 125(1) du Code, il faut donc d’abord évaluer la question de l’« autorité » et, si nécessaire, celle de la « permission d’accès » au lieu de travail et les conséquences au sujet de la législation applicable.

Observations de l’appelante

[24]             Comme il a déjà été mentionné, toute la preuve présentée par l’appelante pour appuyer sa position se trouve dans un affidavit (comportant 44 documents de soutien) présenté sous serment par un employé de l’appelante, Alex Vlach, qui était le coordonnateur de projets civils du projet dont il est question dans l’affaire qui nous occupe. Compte tenu du fait que cette audience n’est faite que par des observations écrites, mise à part la conférence téléphonique avec l’agente de SST Ryan mentionnée précédemment, la preuve tirée de l’affidavit de M. Vlach ne fait pas l’objet d’un contre-interrogatoire. Les avocats de l’appelante ont résumé les faits pouvant être tirés de ce long document, en commençant par un résumé de la position de l’appelante dans l’appel.

[25]             Ainsi, l’appelante considère que la question à laquelle il faut répondre dans cette affaire est la portée éventuelle des obligations de Rogers en vertu du paragraphe 125(1) du Code et des règlements connexes dans des circonstances où, en général :

  • un employeur de compétence fédérale (Rogers) possède un droit de passage non exclusif à des fins limitées à une partie du toit d’un immeuble lorsqu’elle embauche un entrepreneur pour des travaux à cet endroit;
  • cet employeur de compétence fédérale possède une licence non exclusive pour accéder au toit;
  • les propriétaires de l’immeuble, qui ne sont pas Rogers, et d’autres personnes ont accès au toit;
  • l’appelante, Rogers, se rend parfois sur le toit;
  • l’appelante a embauché une société de compétence provinciale pour exécuter des travaux relevant de son expertise et pour lesquels l’appelante n’a pas d’expertise;
  • la société de compétence provinciale a posé des gestes constituant une infraction en matière de santé et de sécurité ayant causé directement l’accident survenu sur le toit;
  • l’autorité de réglementation provinciale a effectué une enquête et imposé des ordonnances à la société de compétence provinciale pour les infractions qui ont causé l’accident;
  • les infractions alléguées au Code et aux règlements connexes relèvent d’obligations réglementaires qui obligeraient l’appelante, Rogers, à intervenir dans les activités de compétence provinciale de l’entrepreneur et dans ses relations avec ses employés.

[26]             Dans ce contexte, les avocats de l’appelante ont indiqué que leurs arguments reposent sur les trois points suivants :d’abord, l’appelante a souligné que l’article 122.1 du Code affirme que le but de la législation est de prévenir les accidents liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. L’appelante a soutenu que la situation qui nous occupe ne répond pas à cette affirmation, puisque la blessure est survenue dans le cadre d’un emploi auquel le code provincial, la Workers’ Compensation Act de la C.-B., s’applique et que, par conséquent, les instructions de l’agente de SST Ryan imposent des obligations à une entité de compétence fédérale sur des questions qui relèvent directement ou indirectement de la compétence provinciale.

[27]             L’argument des avocats reposait essentiellement sur le fait que les lois doivent être interprétées en respectant la division des pouvoirs présentée dans la constitution et qu’il est clairement établi que, dans le cas des relations de travail, ce qui comprend la santé et la sécurité au travail, la compétence provinciale exclusive est la règle et la compétence fédérale en est l’exception. Ces principes généraux de droit constitutionnel influent donc nécessairement sur l’interprétation du paragraphe 125(1) du Code et font en sorte que s’applique à la présente affaire le principe d’interprétation atténuée, qui exige que l’interprétation du paragraphe 125(1) soit réduite afin d’exclure les applications qui, bien que possible sur le plan grammatical, violeraient les normes constitutionnelles. Bref, les avocats considéraient que le paragraphe 125(1) devrait être atténué afin qu’il ne n’oblige pas l’appelante à s’immiscer entre une société provinciale et ses employés.

[28]             L’appelante a affirmé que, pour se trouver dans la portée du paragraphe 125(1), elle devait avoir l’« autorité » ou, pour reprendre les mots de la version française du Code, « l’entière autorité » sur le toit où est survenu l’accident, ce qui n’est pas le cas, puisque Rogers avait simplement un droit d’emprise non exclusif pour accéder au toit et placer de l’équipement à micro-ondes et de l’équipement connexe sur la partie du toit où elle avait un droit d’emprise.

[29]             L’appelante a de plus noté qu’elle n’avait pas l’autorité, puisque la version française du paragraphe 125(1) du Code exige l’« entière autorité », ce qui constitue une exigence plus stricte et restreinte que l’exigence de « contrôle » (control) qui se trouve dans la version anglaise de la disposition. Compte tenu du principe d’interprétation bilingue des règlements, l’appelante a indiqué que, lorsqu’une des deux versions est plus vague que l’autre, le sens plus restreint ou limité doit s’appliquer, ce qui signifie que l’appelante n’avait pas l’« entière autorité » ni même d’ « autorité » sur le toit.

[30]             L’appelante a de plus souligné qu’elle n’avait pas l’autorité, puisque l’interprétation du paragraphe 125(1) adoptée par l’agente de SST menait à un résultat absurde, ce qui violait la règle d’interprétation voulant que les interprétations menant à des résultats « absurdes » devaient être évités. L’interprétation de cette disposition d’une façon qui force l’appelante à être responsable de questions sur lesquelles elle n’avait pas de droit ni de pouvoir d’autorité est une interprétation absurde devant être évitée.

[31]             L’agente de SST Ryan avait conclu que Rogers avait violé le Code en omettant de fournir aux employés de Luktor du matériel, de l’équipement, des appareils et des vêtements de sécurité alors que Rogers n’avait pas la compétence d’intervenir dans la relation de travail de Luktor avec ses employés ni l’expertise nécessaire pour décider quel matériel ou équipement ou quels appareils ou vêtements seraient pertinents.

[32]             En outre, les exigences sur l’équipement précis dans le Code ne sont pas identiques aux exigences en vertu de la législation provinciale qui s’appliquent à l’entrepreneur. Les instructions de l’agente de SST Ryan imposeraient donc deux ensembles d’exigences différents et potentiellement incompatibles au sujet de l’équipement à utiliser par l’entrepreneur provincial, alors que cela devait relever de la responsabilité de l’entrepreneur embauché par l’appelante, puisqu’il possédait l’expertise au sujet du matériel pertinent pour ses employés.

[33]             Si je ne retenais pas les arguments précédents, l’appelante soutenait qu’elle avait agi de façon diligente et qu’elle avait respecté les alinéas du paragraphe 125(1) et les règlements cités par l’agente de SST Ryan dans ses instructions. La position de l’appelante était que les faits de l’affaire appuyaient les arguments mentionnés précédemment et elle décrit ces faits en détail dans ses observations écrites.

[34]             Bien que j’aie eu l’occasion de les lire et de me familiariser avec ces descriptions, il n’est pas nécessaire de les répéter en entier aux présentes. Toutefois, ce qui suit est tiré de la preuve présentée par l’appelante et constitue une description aussi précise que nécessaire pour que j’en vienne à une conclusion compte tenu des arguments formulés par les avocats.

[35]             L’appelante, Rogers Communications Inc., fournit des services de télécommunication sans fil et par ligne terrestre à sa clientèle partout au Canada. Elle n’a toutefois pas l’expertise nécessaire pour installer de l’équipement de télécommunication sans fil et par ligne terrestre et elle n’exerce pas de telles activités. Rogers possède de l’équipement de télécommunication sur le toit de l’immeuble situé au 206 East 49th Avenue, à Vancouver, où l’accident est survenu, ainsi que dans 3 982 tours et sur 1 675 autres toits d’immeubles partout au Canada.

[36]             Luktor Contracting Inc., employeur du travailleur blessé, a été embauchée pour installer une tour de communication sur le toit de l’immeuble susmentionné, comme cela a été souvent fait par le passé. Bien que l’appelante n’ait pas eu connaissance de problèmes de sécurité par le passé impliquant cette partie, dans le cas qui nous occupe, elle et l’agente de SST ont établi séparément que l’omission d’ancrer de façon sécuritaire la corde qui soutenait le travailleur et la coupe accidentelle de cette corde par un autre travailleur ont causé la chute du travailleur blessé.

[37]             L’immeuble où l’accident est survenu n’appartient pas à l’appelante. Il s’agit d’un immeuble de quatre étages à usage résidentiel et commercial. Au rez-de-chaussée se trouvent divers commerces et les trois étages supérieurs accueillent des logements en copropriété. L’appelante a accès à deux sections de l’immeuble, soit une partie du rez-de-chaussée, pour entreposer de l’équipement, et le toit, ou une partie de celui-ci, où ses tours sont installées aux termes d’une convention d’emprise conclue avec les propriétaires de l’immeuble.

[38]             Selon l’affidavit d’Alex Vlach, l’appelante n’a pas l’usage et l’accès exclusifs au toit de l’immeuble ni la capacité de contrôler l’usage ou l’accès au toit et elle n’accède au toit que rarement pour faciliter l’installation ou l’entretien de son équipement. De leur côté, les entrepreneurs, comme Luktor, embauchés par Rogers pour fournir des services sur le toit, ont un accès indépendant au toit puisque l’appelante leur fournit des instructions écrites sur la façon de se rendre à l’immeuble et sur le toit ainsi qu’une clé pour accéder au toit, comme il a déjà été mentionné. Leurs services à Rogers sont toutefois fournis sans qu’un employé ou un représentant de Rogers ne se trouve sur les lieux.

[39]             Sur le toit se trouvent d’autre matériel de communication par satellite qui n’appartient pas à l’appelante. D’autres tâches y sont aussi effectuées, comme l’entretien du toit, le nettoyage des puits de lumière et le lavage des vitres, ce qui signifie que d’autres personnes que les employés ou les représentants de l’appelante y ont accès.

[40]             L’appelante a accès au toit de l’immeuble pour installer et entretenir des antennes et d’autre matériel de télécommunication. Des lignes de transmission sont connectées à l’équipement sur le toit et passent par les escaliers de l’immeuble pour atteindre une zone de mise à la terre décrite comme étant l’enceinte clôturée nord ainsi qu’une plateforme suspendue à l’arrière de l’immeuble. Le nombre de fois que les employés de Rogers se rendent sur le toit au cours d’une année est très faible. D’une part, des techniciens d’exploitation travaillent sur l’équipement radio de l’appelante en cas de problème et pour l’entretien de routine. Ils s’y rendent habituellement deux à trois fois par année et leur visite sur le toit ou au rez-de-chaussée dure généralement de une à trois heures.

[41]             D’autre part, les coordonnateurs de projets civils (ou spécialistes de projets civils) de Rogers, comme M. Vlach, coordonnent l’installation et la construction au civil de l’équipement pour cet immeuble, soit en gérant les entrepreneurs qui s’y rendent ou en coordonnant l’installation ou la construction au civil de l’équipement avec un coordonnateur de projet technique, qui fait le lien avec les entrepreneurs qui effectuent les installations techniques. Ces employés se rendent sur le site environ deux à trois fois par année pour évaluer les conditions du site ou se familiariser avec l’installation que doit faire un entrepreneur. Une telle visite dure généralement une heure.

[42]             Donc, au total, il semblerait que les employés de Rogers se trouvent sur le toit entre quatre à douze heures et au rez-de-chaussée entre 16 à 54 heures par année. L’accès à l’immeuble par l’appelante en général et dans ces zones précises du rez-de-chaussée et du toit est régi par le droit d’emprise contractuel accordé par les propriétaires de l’immeuble, qui donnait initialement à l’appelante un accès sans restriction à une zone précise ainsi qu’un permis d’entrée et de sortie pour les raisons décrites dans la convention, en contrepartie de frais annuels précis. Ce droit d’emprise a été modifié au fil des ans, mais il régit toujours essentiellement l’accès, l’entrée et la sortie visant un certain nombre de zones précises, y compris sur le côté de l’immeuble, et la zone sur le toit représente moins de cinquante pour cent (50 %) de la superficie du toit de l’immeuble.

[43]             Bien qu’elle soit partie à la convention d’emprise avec les propriétaires de l’immeuble, la preuve a aussi indiqué que, lorsque l’appelante souhaite que des travaux d’installation ou de construction soient effectués par des entrepreneurs sur le toit, elle doit d’abord demander et obtenir l’approbation des propriétaires relativement au type de travaux à effectuer, à la nature de l’équipement à installer, à la portion du toit permise aux termes de cette convention d’emprise qui devrait être affectée et s’il faut la modifier, à la durée des travaux, à l’incidence de ces travaux sur l’immeuble et ses occupants, à l’identité des parties mandatées par l’appelante pour ces tâches et, lorsque les circonstances l’exigent, aux paiements supplémentaires à verser aux propriétaires pour certaines de ces tâches.

[44]             Les entrepreneurs embauchés par l’appelante pour faire des travaux sur le toit de l’immeuble fournissent d’autres services au besoin, par exemple des services d’installation et d’entretien de l’équipement et des services de dépannage et de restauration de cet équipement. Le souscripteur d’affidavit Vlach estime de façon très approximative qu’au cours d’une année environ cinq à dix entrepreneurs sont embauchés pour faire des travaux sur le toit pour Rogers et que la durée de leurs visites, de façon cumulative ou séparément, peut dépasser les heures qu’y passent réellement les employés de Rogers.

[45]             Dans le cas de l’entrepreneur Luktor embauché pour l’installation de matériel sans fil et d’une tour, il a été embauché pour la première fois en 2007 et il a donné à ce moment à l’appelante des documents visant à prouver sa capacité à effectuer les travaux de façon sécuritaire. Ces documents comprenaient une lettre de permission de travail de WorkSafeBC, des dossiers sur une formation au sujet de la protection contre les chutes donnée par Hazmasters à ses employés, un programme de formation terminé en matière de santé et de sécurité et la politique de l’entrepreneur en matière de santé et de sécurité au travail.

[46]             Le 1er novembre 2008, Rogers et Luktor ont conclu une convention cadre de services de construction et de mise en œuvre visant à embaucher Luktor, à titre d’entrepreneur, pour fournir certains services de construction à Rogers, plus particulièrement pour fournir [Traduction] « à Rogers et aux membres du même groupe que lui des services de construction et de mise en œuvre, y compris l’installation d’équipement sans fil ». Bien que la convention soit assez détaillée, certaines dispositions sont davantage pertinentes à la position de l’appelante dans l’affaire qui nous occupe. Ainsi, le paragraphe 3.6 de cette convention mentionne que seul l’entrepreneur est responsable de la façon dont les travaux sont effectués.

[47]             Le paragraphe 3.6 se lit comme suit :

[Traduction] [N]i Rogers, ni le spécialiste de la construction [employé de Rogers] ne sont responsables du contrôle ou de la direction des travaux effectués par l’entrepreneur, c’est-à-dire ses moyens, ses méthodes, ses techniques, la séquence ou la procédure ou encore les précautions et programmes de sécurité nécessaires pour la prestation des services conformément à la législation applicable en matière de sécurité des chantiers, à d’autres règlements ou aux pratiques générales en matière de construction. Ni Rogers ni son spécialiste de la construction ne sont responsables des gestes ou des omissions de l’entrepreneur, du sous-traitant, des fournisseurs, de leurs mandataires ou employés respectifs ou de toute autre personne qui fournit une partie des services, ni n’ont le contrôle ou la direction de ces actes ou omissions.

[48]             Au sujet de la sécurité, la convention prévoit que Luktor est responsable de la sécurité des chantiers et doit se conformer à l’ensemble de la législation en matière de santé et de sécurité. Une partie du paragraphe 7.3 nous intéresse particulièrement à ce sujet :

[Traduction] [l]’entrepreneur est l’unique responsable de la sécurité des travaux sur le site et du respect de l’ensemble des règles, règlements, politiques, pratiques et lignes directrices en vertu de la législation applicable en matière de santé et de sécurité dans le domaine de la construction et des agences ou organismes gouvernementaux visant le site [notamment] (3) s’assurer que sont protégées la santé et la sécurité de tous les travailleurs qui fournissent des services [...] et (5) diriger et contrôler tous les services de façon sécuritaire.

[49]             C’est aux termes de cette convention que Rogers a embauché Luktor dans le cadre d’un plan de mise à jour de la technologie au printemps 2011 afin qu’elle installe de l’équipement de technologie LTE dans environ 343 emplacements existants en Colombie-Britannique. Les services de l’entrepreneur ont été obtenus par une commande en cours de Rogers visant la main-d’œuvre et le matériel. Ce bon de commande, daté initialement du 20 juin 2011 et modifié par la suite à quelques reprises en fonction de l’évaluation du site, des travaux et de l’équipement effectuée par l’entrepreneur conformément au processus d’approbation mis en place par Rogers, prévoyait à l’article 7.0, [Traduction] « Santé et sécurité », que [Traduction] « Le vendeur et ses représentants fournissent les services à Rogers de façon sécuritaire et conformément à la législation applicable en matière de santé et de sécurité. »

[50]             Afin de faciliter la prestation des services demandés aux termes du bon de commande initial (et modifié par la suite), l’appelante a produit un ordre de travail du domaine de l’immobilier, soit le document dont se sert le service de l’immobilier de l’appelante pour obtenir les approbations applicables des propriétaires de l’immeuble pour que les travaux soient approuvés.

[51]             À cette fin, l’appelante obtient également la vérification du site effectuée par l’entrepreneur des travaux à effectuer sur le toit. Aux termes de la convention cadre de services de construction et de mise en œuvre mentionnée précédemment au paragraphe 15, l’entrepreneur embauché pour effectuer des travaux à un emplacement donné doit effectuer une vérification du site avant de commencer les travaux à cet endroit.

[52]             Pour faire cette vérification, l’entrepreneur effectue une évaluation complète du site, y compris l’inventaire de l’équipement et son emplacement, la capacité énergétique, l’espace disponible, l’intégrité structurale du site des antennes existantes, etc. L’entrepreneur prend aussi des photos du site.

[53]             De plus, pendant cette vérification, l’entrepreneur doit demander à un électricien et à un ingénieur de structures de visiter le site pour évaluer sa capacité et savoir si l’entrepreneur est en mesure de s’occuper de l’installation de l’équipement. La vérification du site dans l’affaire qui nous occupe a été effectuée par Luktor tel que prévu, mais l’appelante n’y a pas assisté.

[54]             Les autres mesures prises par l’appelante aux termes du bon de commande initial comprennent l’envoi à l’entrepreneur d’ordres de travail civil et d’ordres de travail visant le matériel à micro-ondes, l’envoi du matériel (antennes, radios, câbles, etc.) à l’entrepreneur pour leur installation et une demande à l’entrepreneur de fournir un calendrier des travaux afin de pouvoir informer à l’avance les propriétaires de l’immeuble de l’exécution des travaux.

[55]             L’entrepreneur a commencé l’installation de l’équipement sur le toit de l’immeuble après le 31 août 2011. Le 30 août 2011, Alex Vlach, coordonnateur de projets civils, a toutefois informé le représentant du propriétaire de l’immeuble de ce qui suit :

[Traduction] La présente vise à vous informer de notre calendrier pour la prochaine semaine. Notre entrepreneur autorisé est « Luktor Contracting Inc. ». Il sera sur le site à partir de 9 h le mardi 6 septembre et devrait avoir terminé les travaux le lundi 12 septembre. Les heures de travail sont de 9 h à 17 h, y compris la fin de semaine des 10 et 11 septembre […].

[56]             Comme il a déjà été mentionné, l’accident est survenu le 8 septembre 2011. L’entrepreneur n’a pas effectué de travaux dans l’immeuble ou sur le toit de l’immeuble depuis. Le 9 septembre 2011, soit le lendemain de l’accident et avant l’enquête des agents de SST d’EDSC, Luktor a reçu des ordonnances de WorkSafeBC relativement à l’accident sur le lieu de travail. Plus particulièrement, on a jugé que Luktor était l’entrepreneur principal pour les travaux qu’il effectuait sur le toit de l’immeuble et les agents de santé et de sécurité provinciaux lui ont donné onze ordonnances, la plupart au sujet de l’omission de l’entrepreneur liée au dispositif de protection contre les chutes.

[57]             La preuve de l’appelante au sujet de sa participation à l’exécution des travaux aux termes du contrat indiquait que l’appelante ne supervise pas les travaux d’installation civils dans des situations comme celle de l’affaire qui nous occupe et que Rogers ne supervisait pas les travaux exécutés sur le toit de l’immeuble.

[58]             L’appelante a également soutenu que le coordonnateur de projets civils Vlach était le seul représentant de l’appelante qui se rendait réellement dans l’immeuble relativement aux services fournis par Luktor. Il s’est rendu deux fois sur le site. Vers le 13 avril 2011, soit avant le début des travaux par Luktor, il s’y est rendu pour confirmer l’emplacement de certains équipements (Inukshuk); cette visite a duré environ 15 minutes. La deuxième fois, vers le 26 août 2011, encore une fois avant le début des travaux sur le site, il a rencontré le représentant des propriétaires et le contremaître de l’entrepreneur pour discuter de l’emplacement d’un chemin de câbles; cette rencontre a duré environ une heure.

[59]             Au sujet de sa participation à l’exécution des travaux aux termes du contrat, l’appelante a ajouté qu’un employé de l’appelante ne s’est jamais rendu sur le toit ou le côté de l’immeuble pour y installer de l’équipement ni n’a eu à le faire. Ces travaux sont effectués pour l’appelante par des entrepreneurs comme Luktor.

[60]             En outre, l’appelante a affirmé que l’immeuble et le toit de l’immeuble servaient à plusieurs fins et que ces fins ne sont pas toutes liées à l’appelante. Il y a de l’équipement satellite sur le site qui n’appartient pas à l’appelante ainsi que plusieurs puits de lumière sur le toit de l’immeuble.

[61]             L’appelante a aussi mentionné que cet équipement satellite n’avait pas été installé par elle; il a donc sûrement été installé par d’autres personnes et on présume qu’il est entretenu par elles. De même, les puits de lumière sont lavés régulièrement par d’autres personnes. Toutes ces autres sociétés et leurs travailleurs ont donc besoin d’avoir accès au toit à ces fins, sans aviser l’appelante ni demander sa permission. Pour leur part, les propriétaires de l’immeuble disposent d’un accès sans restriction au site, comme il leur convient, sans aviser l’appelante ni demander sa permission. L’appelante n’a donc pas de droits exclusifs envers le site ou le lieu de travail.

[62]             Les éléments de preuve mentionnés précédemment ont amené l’appelante à argüer que les instructions émises par l’agente de SST Ryan devraient être annulées. L’appelante a suggéré que je devrais en venir à cette conclusion grâce à certains facteurs, le premier étant les questions d’ordre constitutionnel ayant une incidence sur l’interprétation devant être faite des dispositions du Code.

[63]             Les avocats de l’appelante m’ont aussi présenté une longue observation au sujet de l’article 122.1 du Code, qui affirme que l’objet du Code est de prévenir les accidents « liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ». L’appelante a soutenu que cela reflète l’impératif constitutionnel voulant que la législation fédérale s’applique aux entreprises fédérales et non aux questions de compétence provinciale, sauf peut-être à titre incident ou, comme cela a été établi par la jurisprudence bien établie en matière constitutionnelle, que dans les questions liées aux relations de travail, comme la santé et la sécurité au travail, la compétence provinciale est la règle et la compétence fédérale en est l’exception lorsqu’on interprète correctement la division des pouvoirs présentée dans les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1982 (ou l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867).

[64]             Dans l’affaire qui nous occupe, l’appelante a noté que la blessure est survenue dans le cadre d’un emploi auquel s’applique la législation provinciale et non le Code. Donc, bien qu’il n’y ait pas de doute pour l’appelante que ses activités sont assujetties au Code, puisqu’elles touchent un pouvoir fédéral constitutionnel en vertu de l’article 91, le Code ne s’applique pas aux questions qui sont clairement de compétence provinciale.

[65]             L’appelante a aussi souligné le principe bien établi que les lois doivent être interprétées conformément à la division des pouvoirs présentée dans la constitution, puisque la loi constitutionnelle a préséance sur toutes les autres sources de droit. Par conséquent, compte tenu de la hiérarchie de la législation au Canada, les lois « inférieures », soit la législation (les lois et les mesures législatives subordonnées), la common law et le droit international (les conventions internationales et le droit coutumier), doivent être interprétées conformément à celles qui sont supérieures dans la hiérarchie.

[66]             L’appelante a donc soutenu que, lorsqu’on considère le sens des mots « tout lieu de travail placé sous [l’]entière autorité [de l’employeur] » présents dans le paragraphe constituant le préambule du paragraphe 125(1) du Code, disposition qui constitue le fondement des infractions allégées par l’agente de SST Ryan dans ses instructions, je dois tenir compte de la division des pouvoirs et interpréter l’expression « lieu de travail » sous l’autorité de l’employeur, dans ce cas l’appelante, à la lumière du contexte constitutionnel de la réglementation du travail, de l’emploi et de la santé et sécurité au travail, ce qui signifie que le Code doit être interprété conformément à la constitution.

[67]             Pour ce qui est des circonstances de l’affaire qui nous occupe, l’appelante a affirmé que l’entrepreneur, Luktor, exerçait ses activités sous compétence provinciale, puisque ses travaux de construction et d’installation relèvent de la compétence provinciale et ne font pas partie intégrante de la rubrique de compétence fédérale dont font partie les activités de l’appelante, Rogers.

[68]             Il faudrait donc, dans les circonstances de l’affaire, limiter la législation fédérale, ou plutôt son application, à la portée permise en vertu de la constitution, afin d’éviter les interférences causées par les questions de compétence provinciale et ainsi l’incertitude qui en découle.

[69]             Selon les avocats de l’appelante, si les instructions de la présente affaire demeuraient en vigueur, l’intervention du gouvernement fédéral dans les affaires d’entrepreneurs provinciaux mènerait à une mosaïque de règlements et causerait une grande incertitude quant aux normes devant être respectées et appliquées aux travaux menés dans une province. Cela ferait en sorte que la direction de certains lieux de travail serait assujettie à la fois à la compétence fédérale et à la compétence provinciale, risquant ainsi de faire l’objet d’instructions et de processus incompatibles.

[70]             Par exemple, l’appelante a mentionné que l’agente de SST Ryan a trouvé qu’elle, dans un lieu de travail sous son entière autorité, contrevenait à l’alinéa 125(1)(l) du Code pour avoir omis « de fournir le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui [l’employeur (l’appelante)] permet l’accès du lieu de travail ». Si cette disposition est interprétée de façon à exiger que l’appelante donne de l’équipement de sécurité à chaque employé de Luktor, il existe un risque réel de confusion sur le lieu de travail, puisque les deux employeurs peuvent avoir des opinions différentes au sujet de l’équipement à fournir et il existe une possibilité que les autorités provinciales et fédérales prennent des décisions différentes ou que les employeurs soient assujettis à des exigences législatives différentes au sujet de l’équipement requis.

[71]             Bref, le fait d’assujettir les travaux de construction comme ceux de Luktor à la réglementation fédérale ou provinciale, ou les deux, en fonction du client de Luktor ce jour-là ne permet pas d’appliquer la constitution avec continuité ou stabilité.

[72]             L’appelante est donc d’avis que le contexte constitutionnel mentionné précédemment appuie les observations suivantes de l’appelante. Puisque les travaux de Luktor relèvent de la compétence provinciale, la législation fédérale ne devrait pas être interprétée de façon à permettre ou exiger qu’un employeur de compétence fédérale intervienne dans des relations de travail provinciales. Ainsi, les mots « tout lieu de travail placé sous [l’]entière autorité [de l’employeur] », dans la législation fédérale que constitue le Code, ne devraient pas être interprétés de façon si large qu’ils s’appliquent à des affaires de compétence provinciale. Ils devraient s’appliquer uniquement aux activités des employés de l’appelante ou aux biens détenus ou clairement contrôlés par l’appelante pour lesquels il ne fait aucun doute que le lieu ainsi que les travaux qui y sont effectués et les employés qui y travaillent constituent une entreprise fédérale et font « partie intégrante » de l’entreprise fédérale de l’appelante.

[73]             Même s’il n’y a aucun doute que l’appelante est assujettie au Code pour ses propres employés, la question qui nous occupe est celle de savoir si la compétence doit être élargie pour y inclure les activités exercées par des entrepreneurs provinciaux pour son compte. Les instructions émises par l’agente de SST Ryan exigent que l’appelante, entre autres, donne à chaque personne qui a accès au site certaines pièces d’équipement et s’assure que chaque personne qui a accès au site connaisse le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires (prescrits par les règlements pris en application du Code) et les utilise dans les circonstances et de la façon prescrite (par les règlements pris en application du Code).

[74]             De l’avis de l’appelante, « s’assurer » signifie veiller à ce qu’une chose se produise, le garantir; pour ce faire, la personne qui « s’assure » doit avoir une autorité sur l’employé. Les instructions de l’agente de SST présument que l’appelante a l’autorité de travailler avec les employés de l’entrepreneur et de leur donner des directives. Ce n’est pas le cas. Il est inconcevable et irréalisable de demander à Rogers d’intervenir dans les questions liées à la main-d’œuvre de Luktor et les questions de santé et de sécurité de ses employés. En fait, les avocats de l’appelante ont soutenu qu’il peut être dangereux d’exiger d’un employeur qui n’a aucune expertise dans le domaine qu’il choisisse l’équipement de sécurité pertinent et oblige les travailleurs à l’utiliser.

[75]             De plus, pour évaluer les mots « tout lieu de travail placé sous [l’]entière autorité [de l’employeur] », il faut tenir compte du cadre constitutionnel mentionné par l’appelante pour faciliter l’interprétation et le résultat doit le respecter. L’application de la compétence fédérale aux activités d’entrepreneurs provinciaux embauchés par une entité de compétence fédérale ne peut être considérée comme une partie intégrante de la compétence exclusive du Parlement sur cette entité.

[76]             Comme il a déjà été mentionné, l’appelante a appuyé ses arguments sur un corpus bien établi de précédents et d’écrits en matière de constitution, en grande partie fondés sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Construction Montcalm Inc. c. Com. Sal. Min., [1979] 1 R.C.S. 754, et particulièrement sur la déclaration du juge Beetz, à la page 776 :

Il arrive fréquemment que les entrepreneurs et leurs employés travaillent successivement ou simultanément à plusieurs chantiers qui n’ont rien ou très peu en commun. Ils peuvent travailler sur une piste d’atterrissage, une autoroute, des trottoirs, une cour, pour le secteur public, fédéral ou provincial, ou pour le secteur privé. Personne ne dira qu’ils exploitent une entreprise de construction de pistes d’atterrissage parce que pendant quelque temps, ils construisent une piste d’atterrissage, ou qu’ils se lancent dans une entreprise de construction d’autoroutes parce qu’ils entreprennent la construction d’un tronçon d’autoroute provinciale. Leur activité ordinaire est la construction. Ce qu’ils construisent est accessoire. Et leur activité ordinaire n’a rien de spécifiquement fédéral.

[77]             L’appelante était d’avis que la solution ou le remède au problème créé d’abord par les instructions, mais en réalité par la formulation du Code, est de s’en remettre à la règle d’interprétation atténuée de la réglementation afin d’éviter les résultats inacceptables causés par les instructions. Selon l’ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., page 465 :

[Traduction] Les tribunaux s’appuient souvent sur la théorie de l’interprétation atténuée pour donner effet à la présomption de conformité. Dans la théorie de l’interprétation atténuée, la portée potentielle de la législation est réduite afin d’exclure les applications qui sont possibles du point de vue grammatical, mais considérées comme étant inacceptables pour une raison ou une autre parce qu’elles dépassent le but de la législation, contredisent une autre législation ou contreviennent à une limite ou à une norme constitutionnelle [...]. [C’est moi qui souligne.]

[78]             À ce sujet, l’appelante a également cité M. Hogg, dans l’ouvrage Constitutional Law of Canada, qui affirme la même chose que la citation précédente; il n’est donc pas nécessaire de le citer ici. De l’avis de l’appelante, la doctrine de l’interprétation atténuée constitue simplement la façon de ne pas appliquer les dispositions sur lesquelles les instructions sont fondées aux travailleurs assujettis à la compétence provinciale ou lorsque le respect de ces dispositions obligerait un employeur de compétence fédérale à s’immiscer auprès de travailleurs de compétence provinciale.

[79]             La deuxième partie des arguments de l’appelante portait sur la signification des mots « entière autorité » qui se trouvent, comme il a déjà été mentionné, dans le préambule du paragraphe 125(1) du Code. L’appelante a affirmé qu’elle n’a pas d’autorité sur le toit, qu’elle considérait comme le lieu de travail et que, si cela était jugé véridique, cela permettrait de conclure qu’aucune des instructions émises données par l’agente de SST Ryan n’a de fondement juridique. L’appelante a affirmé que la version française du paragraphe 125(1) indique clairement que le lieu de travail n’était pas un lieu de travail sous l’autorité de l’appelante en vertu du Code.

[80]             Cet argument était fondé sur le texte bilingue de la législation, particulièrement le paragraphe 125(1), qui énumère les devoirs précis de l’employeur, et sur l’affirmation de l’appelante que, là où la version anglaise utilise le mot control, la version française parle d’« entière autorité », que les avocats de l’appelante ont traduite littéralement par entire authority.

[81]             L’appelante a consulté le Multidictionnaire de la langue française pour définir le mot « autorité » : « pouvoir ou droit de commander » ou « ascendant par lequel une personne se fait obéir »; donc, sans offrir la définition du mot anglais control, elle s’est dit d’avis que la portée des versions anglaise et française du paragraphe 125(1) est différente, c’est-à-dire que la portée de la version anglaise est plus large, puisqu’elle exige un control sur le lieu de travail, tandis que la portée de la version française est plus étroite, puisqu’elle exige « l’entière autorité » sur le lieu de travail.

[82]             Citant l’arrêt Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, dans lequel le tribunal a affirmé que : « [d]e plus, lorsqu’une des deux versions possède un sens plus large que l’autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité », ainsi que l’arrêt R c. Daoust, 2004 CSC 6, dans lequel le juge Bastarache a affirmé que : « [s]i aucune des deux versions n’est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive » et, citant un auteur, a ajouté : « Dans un troisième type de situation, l’une des deux versions a un sens plus large que l’autre, elle renvoie à un concept d’une plus grande extension. Le sens commun aux deux versions est alors celui du texte ayant le sens le plus restreint. », les avocats ont résumé leur argument de la façon suivante.

[83]             Dans l’affaire qui nous occupe, la version française, qui crée l’obligation de l’employeur pour tout lieu de travail qui se trouve sous l’entière autorité de l’employeur, est plus claire et plus restrictive que la version anglaise, « work place controlled » par l’employeur. Selon les principes d’interprétation de la réglementation bilingue, la version française reflète mieux l’intention du législateur dans les deux versions : Le lieu de travail dans cette affaire n’est pas sous l’« entière autorité » de l’appelante.

[84]             L’appelante a un accès non exclusif au toit et le droit d’installer des antennes et d’autre matériel de télécommunication sur le site. D’autres personnes, comme des entrepreneurs, les propriétaires de l’immeuble et des fournisseurs de services d’entretien, peuvent accéder au site sans en aviser l’appelante et sans obtenir sa permission. L’intérêt limité et non exclusif de l’appelante ne peut être décrit comme « l’entière autorité ».

[85]             En effet, cela ne peut être considéré comme une « autorité » sur le site. Puisque la situation ne répond pas à l’exigence de control ou d’« entière autorité » en vertu du paragraphe 125(1) du Code, l’appelante était d’avis que les instructions sont non fondées et devraient être annulées.

[86]             Pour conclure son argument, l’appelante a affirmé que, pour accepter l’interprétation à la base des instructions de l’agente de SST Ryan, il faudrait accepter un résultat absurde et qu’une interprétation de la législation visant à éviter les résultats absurdes est conforme au concept d’interprétation visant à promouvoir le but législatif du Code.

[87]             L’appelante a énuméré des absurdités pouvant découler d’une interprétation littérale de la législation et devant être évitées, puisqu’elles créent des conséquences involontaires, comme les contradictions, le manque de cohérence interne, les inconvénients inutiles et les préjudices démesurés et elle a cité l’ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. :

[Traduction] les conséquences jugées utiles sont présumées volontaires et sont généralement considérées comme une partie de l’objectif législatif Les conséquences qui sont jugées contraires aux normes acceptées de justice ou de raisonnabilité sont considérées comme étant absurdes et sont présumées involontaires. Si l’adoption d’une interprétation cause une absurdité, les tribunaux peuvent rejeter une interprétation et choisir une solution plausible afin d’éviter l’absurdité.

[88]             Au sujet des diverses instructions de l’agente de SST Ryan, qui sont toutes fondées sur l’autorité sur le lieu de travail et obligent l’employeur à prendre un certain nombre de mesures relativement aux personnes qui ont accès au lieu de travail et ne relèvent pas de la portée du Code, l’appelante a déclaré brièvement qu’une instruction l’obligeant à prendre des mesures pour lesquelles elle n’a aucune autorité, comme donner des directives aux employés de Luktor ou fournir de l’équipement à des travailleurs qui relèvent d’un autre employeur ou qui ne sont pas de compétence fédérale, constitue une absurdité qui ne doit pas être appuyée. De même, une instruction contredisant la législation ou des exigences réglementaires provinciales constitue également une absurdité à éviter.

[89]             Somme toute, l’appelante a résumé comme suit. On ne peut contester le fait que, au sujet de l’incident qui a donné lieu aux deux instructions de l’agente de SST Ryan, l’appelante n’était assujettie au paragraphe 125(1) que s’il est démontré qu’elle avait l’autorité (« l’entière autorité ») du lieu de travail. Cela s’explique par le fait que l’incident ne résultait pas de tâches exécutées par un employé de l’appelante. L’incident résultait plutôt de tâches exécutées par l’entrepreneur et ses travailleurs et sous l’autorité de l’entrepreneur.

[90]             Par conséquent, la question à se poser est celle à savoir si l’appelante avait « l’entière autorité » sur le lieu de travail comme l’exige le paragraphe 125(1) du Code ou, selon la version anglaise de la législation, si l’appelante avait le contrôle sur le lieu de travail. Pour répondre à cette question, l’appelante a fondé son argument sur le fait que la version anglaise était moins exigeante, en utilisant le terme control et qu’il est donc plus difficile pour l’appelante de répondre à ce critère, même si à son avis la version française « entière autorité » a préséance. Bref, si l’appelante pouvait démontrer qu’elle n’avait pas le contrôle, il était évident qu’elle n’avait pas « l’entière autorité ».

[91]             L’appelante a affirmé qu’elle n’avait pas l’autorité sur le lieu de travail, comme l’exige le paragraphe 125(1), et donc qu’elle ne répondait pas aux exigences de cette disposition et que toutes les infractions alléguées dans les deux instructions de l’agente de SST devaient être écartées, puisqu’elles dépendaient du fait que l’appelante soit assujettie au paragraphe 125(1), alors que ce n’est pas le cas. Subsidiairement, si les instructions de l’agente de SST obligeaient l’appelante à s’immiscer dans les relations de l’entrepreneur avec ses employés, cette interprétation est contraire à l’article « Objet » (122.1) du Code et à la règle sur l’interprétation constitutionnelle et crée des [Traduction] « résultats absurdes » qui font en sorte que les instructions doivent être annulées.

Analyse

[92]             Pour les raisons que je décrirai plus loin, je suis convaincu que Rogers n’avait pas l’autorité sur le toit en question. Compte tenu du fait que je suis d’avis que l’employeur n’avait pas l’autorité sur le toit dans les circonstances qui ont mené au présent appel, ma décision finale est que les instructions de l’agente de SST ne sont pas fondées.

[93]             Selon la formulation du paragraphe principal du paragraphe 125(1), il est évident que le fait que l’employeur doit avoir l’autorité sur le lieu de travail constitue une condition essentielle pour qu’il y ait infraction en vertu de ce paragraphe. La disposition se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève [C’est moi qui souligne.]

[94]             Dans les circonstances de la présente affaire, l’appelante a soulevé la question de l’autorité. Pour prendre une décision à ce sujet, il me suffit d’évaluer les faits et les circonstances de l’affaire.

[95]             Je suis d’accord avec l’appelante que la question de l’« autorité » est primordiale et que, puisque Rogers n’avait pas l’« autorité » sur le toit, que l’appelante désigne comme le lieu de travail, excluant ainsi les autres parties de l’immeuble où les événements sont survenus et où elle avait de l’équipement, ce qui constitue une définition restreinte que j’ai quelque difficulté à accepter, les obligations à la base des instructions sont sans fondement et donc ne peuvent être appliquées.

[96]             L’argument de l’appelante qu’elle n’avait pas d’autorité sur le lieu de travail soulève la question du texte bilingue de la loi, plus particulièrement du paragraphe 125(1). Elle affirme que la portée de la version française, qui utilise les mots « entière autorité » alors que la version anglaise utilise le mot control, est plus restrictive que la version anglaise et que, en appliquant les faits de l’affaire au critère de la version française, l’appelante ne peut être réputée avoir « l’entière autorité » sur le lieu de travail. En fait, l’appelante était d’avis que, compte tenu des faits, elle ne répond même pas au critère de control de la version anglaise.

[97]             Je ne suis pas d’accord avec l’opinion de l’appelante que les versions anglaise et française de la législation ont un sens différent au sujet de l’autorité. La position exprimée ici par l’appelante est fondée sur une seule définition du dictionnaire, soit celle du mot « autorité », qui a ensuite été traduit littéralement par le mot anglais authority, auquel a été attaché le qualificatif entire pour rendre le mot « entière » de la version française. Cette définition, tirée du Multidictionnaire de la langue française, affirme que l’« autorité » est le « pouvoir ou droit de commander » (« l’autorité du patron », qui est traduit en anglais par employer’s authority) ou l’« ascendant par lequel une personne se fait obéir », que l’appelante traduit littéralement, sans interprétation, par « power or right to command others » et « power over other persons or ability to get them to obey ».

[98]             Cependant, l’appelante n’a pas donné de définition du mot control de la version anglaise. Cette façon de procéder ignore le fait que la législation est rédigée parallèlement, et non par la traduction d’un texte pour obtenir l’autre texte, et que l’interprétation correcte du texte de la réglementation se fait par l’évaluation du texte dans son ensemble et par l’obtention de la signification correcte de deux textes de valeur égale, sans contradiction ou incohérence évidente.

[99]             Dans le cas des mots control et « entière autorité », je suis d’avis que, s’il existe une différence entre leur signification, elle est négligeable et sans importance. Quoi qu’il en soit, bien que mon avis à ce sujet ne soit pas nécessaire, j’ai néanmoins vérifié la définition du dictionnaire des deux termes, ce qui m’a conforté dans mon opinion.

[100]             Dans le même dictionnaire utilisé par l’appelante, le mot « contrôle » est défini comme « le fait de diriger, de dominer ». Fait intéressant, le dictionnaire mentionne que ce sens est tiré de l’anglais et fait maintenant partie de l’usage. Le Canadian Oxford Dictionary définit le mot control par [Traduction] « pouvoir de diriger, de commander » et authority par [Traduction] « pouvoir ou droit de demander l’obéissance », essentiellement le pouvoir de l’employeur d’embaucher et de congédier.

[101]             Somme toute, il faut en venir à la conclusion que, peu importe si les mêmes mots sont utilisés, la différence qui peut être notée entre les deux versions du Code est si minime qu’elle devient négligeable et sans importance.

[102]             Pour résumer le tout, contrairement à l’opinion de l’appelante, je suis d’avis que les versions française et anglaise du Code ont le même sens.

[103]             Cela étant dit, le paragraphe 125(1) du Code mentionne deux types d’autorité. D’abord, l’autorité de l’employeur sur le lieu de travail et, dans certaines circonstances, l’autorité sur toute tâche accomplie par ses employés dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité.

[104]             Dans le cas qui nous occupe, comme le prouvent les instructions émises par l’agente de SST Ryan, son opinion ainsi que les observations de l’appelante, nous examinons uniquement l’autorité sur le lieu de travail, puisque la preuve démontre sans conteste que, au moment de l’accident, aucun employé de l’appelante n’était présent et qu’il n’y a donc aucune activité de l’appelante à évaluer. L’article 12 de la Loi d’interprétation a déjà été cité; il n’est donc pas nécessaire de le faire de nouveau, mais on peut répéter que ces dispositions demandent une interprétation équitable et large pour répondre aux objectifs du Code. Cependant, une autre disposition de cette loi est pertinente pour notre décision.

[105]             L’article 10 de la Loi d’interprétation mentionne que « [l]a règle de droit a vocation permanente » et qu’il faut que « le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet ». Le Code a pour objectif de protéger les personnes physiques qui exercent leur travail dans un lieu physique. Donc, l’« autorité » ne peut être considérée comme un concept théorique, puisqu’elle doit être exercée sur des lieux de travail ou des activités exercées par des personnes physiques. Pour être réelle, cette « autorité » doit donc être exercée par des mesures, des actions ou des gestes touchant le lieu de travail. Toutefois, ils n’ont pas à être pris ou posés exclusivement par des personnes physiques. Ils peuvent avoir la forme de directives transmises par divers médias, y compris des personnes. Cela étant dit, il faut noter un certain nombre de faits faisant partie de la preuve pour décider si l’appelante avait l’autorité sur le site de l’accident.

[106]             Parmi les faits mentionnés précédemment, il faut répéter que, en général, l’appelante ne supervise pas les travaux d’installation civils effectués dans une situation comme celle qui nous occupe et qu’elle ne supervisait pas les travaux exécutés par Luktor au moment de l’accident par l’entremise de ses employés.

[107]             En plus de cela, et plus important encore : l’immeuble où l’accident est survenu, et donc la partie du toit et les autres zones où Rogers a installé de l’équipement, n’appartient pas à Rogers et son accès à ces zones, particulièrement le toit, la zone importante dans l’affaire qui nous occupe, est contrôlé aux termes d’une convention d’emprise (en contrepartie d’un paiement) conclue avec les propriétaires réels de cet immeuble à plusieurs fonctions.

[108]             Cette convention régit l’accès et l’utilisation adéquats de l’espace accordé à Rogers et exige qu’elle soumette l’installation, l’exploitation, l’entretien et le remplacement de l’équipement de Rogers à l’approbation préalable des propriétaires, dans certains cas contre paiement. Cette approbation est aussi requise lorsque des modifications de l’espace utilisé sur le site sont demandées ou nécessaires. Il a été mentionné plusieurs fois précédemment que Rogers n’effectue pas elle-même le type de travail pour lequel elle a embauché Luktor.

[109]             Puisqu’elle a recours à des entrepreneurs, leur présence et celle de leurs employés sur le site, les travaux à effectuer sur l’immeuble ainsi que le moment et la durée de ces travaux doivent être signalés aux propriétaires à l’avance. On pourrait donc penser que cela n’est pas fait uniquement pour informer les propriétaires, mais aussi pour leur donner l’occasion de s’y opposer, de présenter un refus ou d’imposer d’autres conditions.

[110]             La convention d’emprise n’accorde pas à Rogers l’accès exclusif au toit et elle ne dispose pas d’un tel accès. Rogers n’a pas non plus la capacité de contrôler l’accès d’autres personnes au toit et, j’ajouterais, aux autres zones de l’immeuble couvertes par la convention d’emprise.

[111]             La présence des employés de l’appelante sur les lieux est aussi un élément dont il faut tenir compte pour évaluer la question de l’autorité sur le lieu de travail, parce que, à mon avis, au-delà des conditions ou des obligations pouvant être formulées dans les conventions écrites, lorsqu’il est question de la santé et de la sécurité des personnes au travail, comment l’autorité sur le lieu de travail peut-elle être exercée si ce n’est par la présence et l’intervention de personnes.

[112]             Dans l’affaire qui nous occupe, puisque la question est celle de l’autorité de l’appelante, il faut que des personnes parlent et agissent en son nom. À ce sujet, on ne peut donc pas parler de la présence des employés de l’appelante sur le lieu de travail parce qu’ils ne sont présents que très rarement pour leurs propres tâches pour le compte de l’appelante et qu’ils étaient complètement absents dans le cas du contrat avec Luktor.

[113]             Sur ce point, la preuve présentée par l’appelante, que l’information obtenue dans le rapport d’enquête de l’agente de SST ne conteste pas, démontre que les employés de Rogers ne sont présents que très rarement sur le site. Cette information est d’autant plus importante lorsqu’on sait que l’appelante possède de l’équipement dans 3 982 tours et sur 1 675 toits partout au Canada.

[114]             Quant à l’immeuble visé par l’affaire qui nous occupe, les employés de l’appelante qui se rendent à cet immeuble, que ce soit au rez-de-chaussée ou sur le toit, les deux zones où l’appelante a installé de l’équipement, sont les coordonnateurs de projets techniques, les techniciens d’exploitation et les coordonnateurs de projets civils, comme M. Vlach, dont l’affidavit constitue la principale source de preuve.

[115]             Au cours d’une année typique, le nombre total d’heures passées au rez-de-chaussée par ces employés de l’appelante varie entre 16 et 54, alors que le nombre d’heures qu’ils passent sur le toit de l’immeuble varie entre 4 et 12. En fait, au cours d’une année donnée, environ cinq à dix entrepreneurs peuvent être appelés à faire des travaux pour Rogers sur le toit de cet immeuble et la durée de leur présence, séparément ou au total, peut dépasser les heures qu’y passent les employés de Rogers.

[116]             Le Code définit le « lieu de travail » comme « Tout lieu où l’employé exécute un travail pour le compte de son employeur. » et donc, pour le temps qu’y passent les employés de Rogers, l’immeuble répond à la définition de « lieu de travail » de compétence fédérale dans le Code.

[117]             On peut toutefois débattre de la question de savoir si, compte tenu de l’intention générale du Code de régir les lieux de travail de compétence fédérale et la santé et la sécurité des travailleurs de compétence fédérale qui y travaillent, l’immeuble ou les zones de l’immeuble auxquelles la convention d’emprise s’applique conservent ce titre, ce qui ferait en sorte que le Code s’applique lorsqu’aucun employé de Rogers n’y travaille, compte tenu de l’objet et du but du Code et de son interprétation équitable et large.

[118]             Cependant, l’appelante n’a pas soulevé cet argument. Au sujet de la question de la présence ou de l’absence des employés de Rogers et de la question de l’autorité, il incombe de soulever trois points. D’abord, en ce qui concerne l’accès à l’immeuble par les entrepreneurs qui fournissent des services à Rogers, y compris Luktor, il semblerait qu’ils ont un accès indépendant, puisqu’ils reçoivent une clé de Rogers, si l’on accepte l’affirmation de M. Vlach dans son affidavit, ou des instructions écrites, comme le mentionne le rapport de l’agente de SST Ryan, portant sur la façon de se rendre à l’immeuble (son adresse) et de circuler autour de l’immeuble et dans l’immeuble pour atteindre l’équipement au rez-de-chaussée et sur le toit.

[119]             Fait à noter, aucun représentant de Rogers ne semble être présent pour faciliter l’accès. Comme pour les autres éléments, cela permet de démontrer que les entrepreneurs sont en mesure de fournir leurs services en l’absence des employés ou représentants de Rogers et qu’ils le font. Deuxièmement, le processus adopté par Rogers pour les travaux des entrepreneurs sur les différents sites prévoit que ces entrepreneurs reçoivent un ordre de travail du domaine de l’immobilier, document dont se sert le service de l’immobilier de l’appelante pour obtenir les approbations applicables des propriétaires de l’immeuble, et que l’entrepreneur effectue ensuite une vérification du site des travaux pour évaluer ce qui doit être fait, la façon de le faire, les matériaux nécessaires, si le site en sera affecté et si des arrangements ou des modifications seront nécessaires relativement au droit d’emprise.

[120]             La preuve démontre que cette vérification a été effectuée par Luktor sans la participation ou la présence d’employés de Rogers. Troisièmement, la preuve indique que, pendant que Luktor et ses employés exerçaient leurs activités sur le site, aucun représentant de Rogers ne s’est présenté.

[121]             En résumé, on peut conclure que, aux fins générales de Rogers, la présence de ses employés ou représentants sur le site est minime et, relativement à l’exécution des travaux aux termes du contrat avec Luktor, nulle.

[122]             Bien que Rogers ait de l’équipement installé sur les lieux, soit au rez-de-chaussée ou sur le toit, l’appelante n’est absolument pas le seul occupant de ces espaces. Elle les partage en effet avec d’autres personnes,et certaines d’entre elles exercent des activités similaires et possèdent de l’équipement semblable sur les lieux. D’autres personnes, comme du personnel d’entretien, peuvent aussi avoir été embauchées par les propriétaires de l’immeuble.

[123]             En outre, bien que cela ne soit pas mentionné dans les observations de l’appelante, les propriétaires de l’immeuble ont sûrement eu besoin de limiter l’accès au site. Par conséquent, même si Rogers profite de son accès grâce à une convention d’emprise conclue avec les propriétaires de l’immeuble visant des zones particulières, on ne peut que conclure que cet accès est partagé, à la fois par l’équipement et par les personnes, ce qui signifie que d’autres personnes peuvent accéder au site et aux zones sans que Rogers soit au courant ou donne sa permission.

[124]             J’ai évalué tous les éléments cités précédemment. Séparément, ces éléments pourraient être insuffisants pour que je sois d’accord avec la conclusion demandée par l’appelante. Toutefois, leur effet cumulatif me porte à conclure que l’appelante n’avait pas l’autorité prévue par le Code sur les zones décrites comme un « lieu de travail » pour lesquelles les propriétaires de l’immeuble ont accordé un accès aux termes de la convention d’emprise.

[125]             Ainsi, conformément aux arguments de l’appelante, je juge que les instructions émises à l’endroit de l’appelante par l’agente de SST Ryan pour des infractions aux alinéas 125(1)l), w) et z.14) sont sans fondement.

[126]             Même si je prends la décision au sujet de cet appel uniquement en me fondant sur mes conclusions à l’égard de la question de l’autorité de l’employeur sur le toit de l’immeuble dont il est question dans l’appel, j’aimerais parler des autres arguments de l’appelante au sujet du bien-fondé des instructions émises .

[127]             Le principal argument de l’appelante pour contester les deux instructions émises par l’agente de SST Ryan porte sur des questions liées à l’application du Code canadien du travail. L’appelante soulevait ces questions en se fondant sur une interprétation choisie de l’article présentant l’objet du Code (122.1) et qui m’était présentée comme étant l’interprétation appropriée de cet article.

[128]             Compte tenu de l’interprétation par l’appelante de l’article 122.1 présentant l’objet du Code, elle argüait que les instructions, si elles demeuraient, permettraient plus ou moins une invasion de la compétence provinciale sur les relations de travail en général et sur la santé et la sécurité au travail en particulier par un employeur de compétence fédérale, soit l’appelante, Rogers Communications Inc.

[129]             Le point principal de l’argument de l’appelante porte sur la Loi constitutionnelle de 1982 (Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867) et la division acceptée des pouvoirs fédéraux et provinciaux qui s’y trouve, qui a été interprétée et sur laquelle est fondé le principe établi et généralement reconnu que, sur les questions liées aux relations de travail en général et la santé et la sécurité au travail en particulier, la compétence provinciale est la règle et la compétence fédérale en est l’exception.

[130]             Pour l’appelante, l’application de ce principe au Code en général et à son objet présenté à l’article 122.1 doit mener à l’annulation des deux instructions pour éviter que l’appelante soit forcée de s’immiscer entre l’entrepreneur Luktor et ses employés d’une façon qui équivaudrait à agir selon la compétence provinciale et donc en dehors de son domaine de compétence fédérale en dirigeant des travailleurs de compétence provinciale et leur employeur pour qu’ils respectent des règles fédérales de santé et de sécurité au travail.

[131]             L’appelante a aussi appuyé son argument en soulignant qu’il existe au Canada une hiérarchie dans la législation, un peu comme un ordre d’importance parmi les textes législatifs, et que la constitution et sa division des pouvoirs ont préséance sur tous les autres textes réglementaires, qui doivent être interprétés conformément aux lois supérieures.

[132]             Il n’y a pas de doute que l’appelante, Rogers, exerce des activités ou exploite une entreprise de compétence fédérale. Par conséquent, le Code, et particulièrement la partie II pour l’affaire qui nous occupe, s’applique à l’appelante, qui est alors liée par les obligations de l’employeur énoncées dans le Code et par les restrictions contenues dans le Code ou tirées de son texte qui peuvent avoir une incidence sur la portée de leur application.

[133]             L’article 122.1 du Code est au cœur des arguments présentés par l’appelante. Cet article affirme que l’objet de la partie II du Code est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ». En se fondant en partie sur les questions qu’elle soulève dans ses observations, l’appelante a affirmé que les instructions devaient être annulées parce qu’elles auraient une incidence, en raison des obligations imposées à l’employeur de compétence fédérale qu’est Rogers, sur un emploi auquel la partie II du Code ne s’applique pas, puisque les employés de Luktor, y compris l’employé blessé, relèvent de la législation provinciale parce que Luktor, comme l’a reconnu l’agente de SST Ryan, en raison de ses activités courantes, est un employeur de compétence provinciale dont les obligations envers ses employés relevant de la législation provinciale pertinente peuvent être différentes de celles de l’appelante en vertu du Code.

[134]             Les dispositions de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. l-21) doivent aussi être prises en compte pour répondre aux questions soulevées par l’appelante au sujet de l’interprétation des dispositions du Code pertinentes à la présente affaire.

[135]             D’abord, l’article 12 de cette loi prévoit que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet », qui est généralement présenté dans l’article du Code comme étant la prévention des accidents et des maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par la partie II du Code, soit un emploi auprès d’un employeur de compétence fédérale de l’avis de l’appelante, avis que je partage.

[136]             Il va donc de soi une fois de plus que l’interprétation adéquate de cette disposition est celle qui suit ce que prévoit la constitution. Cela étant dit, les mots « emploi régi par ses dispositions » présentés à l’article 122.1 indiquent un but général d’application dans une situation où cet emploi demande qu’il y ait un « employeur » et un « employé », deux mots qui sont présents dans l’interprétation du paragraphe 122(1) du Code. Je mentionne cela parce que, dans les deux cas, ces mots ou concepts sont bien définis partout dans le Code comme visant des « personnes ».

[137]             Le mot « employeur » est défini comme une « [p]ersonne qui emploie un ou plusieurs employés », alors que le mot « employé » est défini comme une « [p]ersonne au service d’un employeur », les deux définitions soulignant le fait qu’on parle de « personnes », mais ce sont leur titre d’« employeur » ou d’« employé » qui ont préséance dans le texte de la législation.

[138]             Bien qu’en général le Code impose des obligations à la fois à l’employeur et à l’employé et que l’article 125 du Code énumère les devoirs précis de l’employeur envers ses employés, quelques dispositions du Code ont recours au concept ou à la notion de « personne ». C’est le cas des dispositions du Code sur lesquelles l’agente de SST Ryan a fondé ses instructions. Le mot « personne » est au cœur des obligations d’un employeur envers une « personne » à qui il permet l’accès du lieu de travail. Cette différence dans la terminologie peut porter à se demander si le législateur avait l’intention de créer une exception à la relation générale entre l’employeur et l’employé et aux obligations qui en découlent dans ces quelques obligations présentées aux alinéas 125(1)w), l) ou z.14).

[139]             Cette distinction constitue vraiment le nœud du problème dans l’affaire qui nous occupe, soit la question de savoir si les instructions de l’agente de SST sont fondées sur une application élargie du Code dans ces quelques dispositions et donc si cette législation s’applique à toute personne, relevant ou non de la compétence fédérale, et si, d’autre part, conformément à la position de l’appelante, le Code s’applique uniquement aux personnes, qu’elles soient ou non des employés de l’appelante, exerçant des activités relevant uniquement de la compétence fédérale. Compte tenu de ce qui précède, l’article 15 de la Loi d’interprétation devient également pertinent. Il se lit comme suit :

15(1) Les définitions ou les règles d’interprétation d’un texte s’appliquent tant aux dispositions où elles figurent qu’au reste du texte.

(2) Les dispositions définitoires ou interprétatives d’un texte :

a) n’ont d’application qu’à défaut d’indication contraire;

[140]             Il convient donc de se demander si les mots « personne à qui il permet l’accès du lieu de travail » devraient être interprétés de sorte qu’ils s’appliquent uniquement aux personnes qui relèvent de la compétence fédérale, ou non, en cas d’exception. À mon avis, la position de l’agente de SST Ryan au moment de l’émission des instructions semble fondée sur une définition sans restriction des mots « personne à qui il permet l’accès du lieu de travail », ce qui ouvre la porte à la situation décrite par l’appelante menant à un élargissement possible de l’application du Code à un autre secteur de compétence, ne respectant pas par le fait même la primauté des dispositions constitutionnelles et de leur interprétation, soit un employeur de compétence fédérale exerçant une autorité sur des employés de compétence provinciale et leur employeur, approche à laquelle s’opposait l’appelante.

[141]             Même si j’ai déjà pris ma décision au sujet de l’appel en me fondant sur le critère d’autorité, je souhaitais répondre aux autres arguments présentés par l’appelante dans ses observations écrites parce qu’ils soulèvent une question qui se reproduit.

[142]             L’agente de SST Ryan a affirmé lors de la conférence téléphonique avec moi et l’appelante que l’organisme fédéral d’application du Code ne [Traduction] ne « verra pas de mal » à ce qu’un employeur de compétence fédérale ne respecte pas les dispositions du Code en se fondant sur les instructions qui nous occupent, par exemple dans une situation où un employeur ou employé de compétence provinciale suit ses règles et exigences provinciales, puisqu’elles sont supérieures aux obligations fédérales en vertu du Code et de ses règlements, qu’un agent de SST chercherait normalement à appliquer en vertu des dispositions au sujet d’une « personne à qui il permet l’accès du lieu de travail ».

[143]             Cette déclaration a laissé entière la question de l’autorité de l’employeur de compétence fédérale envers un employeur de compétence provinciale et ses employés, peu importe si les exigences devant être suivies sont supérieures ou inférieures aux exigences fédérales. Toutefois, il va sans dire, un peu simplement peut-être, qu’une partie qui va au-delà des obligations prescrites pourrait affirmer qu’elle respecte ces obligations.

[144]             Cependant, comme il a déjà été mentionné, même si je considérais qu’il était important de traiter des arguments de l’appelante au sujet de l’application du Code aux circonstances de la présente affaire, j’ai pris ma décision au sujet de l’appel uniquement sur ma conclusion que l’employeur appelant n’avait pas le contrôle du toit en question. Puisque j’ai jugé que l’appelante n’avait pas l’autorité et que l’autorité est un élément requis pour appuyer une décision éventuelle que les instructions faisant l’objet de l’appel sont fondées, je suis d’avis que les instructions doivent être annulées.

Décision

[145]             Pour ces motifs, les instructions émises à Rogers Communications Inc. par l’agente de santé et de sécurité Ryan le 22 septembre 2011 et le 28 octobre 2011 sont annulées.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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