2013 TSSTC 8

Référence : Damian Azeez et Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TSSTC 8

Date : 2013-02-06
Dossier : 2011-27
Rendue à : Ottawa

Entre :

Damian G. Azeez, appelant

et

Agence des services frontaliers du Canada, intimée

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l’encontre d’une décision rendue par un agent de santé et de sécurité

Décision : La décision quant à l’absence de danger est confirmée.

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : M. Damian G. Azeez

Pour l’intimée : Me Sean Gaudet, avocat, ministère de la Justice du Canada

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             La présente affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une décision rendue par M. Domenico Iacobellis, agent de santé et de sécurité (agent de SST), Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), Programme du travail, le 29 mars 2011.

Contexte

[2]             Au milieu du mois de mars 2011, un tremblement de terre a provoqué un tsunami qui a déferlé sur la côte est du Japon, causant des dommages importants à la centrale nucléaire Fukushima Daiichi, ce qui a entraîné une série de défaillances et la fusion de réacteurs nucléaires. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, les matières radioactives rejetées par la centrale nucléaire ont forcé les autorités japonaises à ordonner l’évacuation de la zone touchée.

[3]             Le 24 mars 2011, des agents des services frontaliers de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) travaillant à l’aérogare Vista Cargo (centre de courrier Vista) à Mississauga (Ontario) ont remarqué que du courrier en provenance du Japon avait été placé sur la bande de triage aux fins de contrôle. Craignant que les événements survenus au Japon aient pu causer une contamination du courrier par rayonnement, l’appelant et un autre collègue ont invoqué leur droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code. L’appelant croyait que le fait de trier du courrier provenant du Japon posait un danger pour sa santé parce qu’il n’avait pas été contrôlé et qu’on n’avait pas fourni à l’appelant le matériel nécessaire pour détecter le rayonnement. L’appelant soutenait également que l’employeur possédait du matériel de détection du rayonnement, mais que ce matériel n’avait pas été utilisé.

[4]             Le 25 mars 2011, l’agent de SST Iacobellis s’est rendu au lieu de travail pour mener une enquête.

[5]             Le 27 mars 2011, l’agent de SST Iacobellis a rendu sa décision selon laquelle il n’existait pas de danger justifiant le refus de travailler des employés au centre de courrier Vista. Il a expliqué ainsi sa décision dans son rapport :

[Traduction] « J’ai examiné toute l’information accessible au moment du refus auprès des organismes fédéraux et internationaux qui interviennent et qui font rapport sur les questions liées à la contamination par rayonnement, tant au Canada et qu’à l’étranger. Dans le cadre de mes recherches, je n’ai trouvé aucune donnée qui appuie le point de vue des employés selon lequel le courrier en provenance du Japon pouvait être contaminé par des particules radionucléides et donc poser un danger pour leur santé et leur sécurité. Je considère que les experts en la matière sont les organismes gouvernementaux et internationaux mentionnés ci-dessus et, pour l’heure, aucun avertissement ni aucune donnée récente sur la contamination du courrier ne justifient une attention particulière, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale.

Compte tenu de l’information susmentionnée et de la nature continue de l’information fournie par les divers organismes fédéraux et internationaux, je ne crois pas à l’existence d’un danger au sens de la Partie II du Code canadien du travail. » [L’agent de SST souligne.]

[6]             Le 6 avril 2011, l’appelant a interjeté appel devant ce Tribunal de la décision de l’agent de SST. Une audience d’appel a été tenue à Toronto du 13 au 15 mars 2012.

Questions en litige

[7]             Je dois rendre une décision à l’égard des questions suivantes :

i) L’appelant était-il exposé à un danger selon la définition du Code au moment où il a exercé son droit de refuser de travailler?

ii) Si un danger existait, ce danger constituait-il une condition normale d’emploi, de manière à empêcher l’appelant d’exercer son droit de refuser de travailler en vertu du Code?

Observations des parties

[8]             Les parties ont déposé leurs observations finales le 14 mai 2012.

Observations de l’appelant

[9]             Le dossier de l’appelant était constitué du témoignage de M. Azeez, et aucun autre témoin n’a été appelé à témoigner.

[10]             Dans ses observations, l’appelant a d’abord fait valoir que les témoignages et les preuves présentés par l’intimée ne prouvaient pas que l’employeur avait réduit, éliminé ou atténué le danger à l’origine du refus de travailler, soit le risque d’exposition au rayonnement émis par le courrier en provenance du Japon. L’appelant a affirmé que les circonstances entourant son refus de travailler respectaient la définition de « danger » figurant dans la Partie II du Code, en ceci que tout niveau de rayonnement reçu par les agents des services frontaliers dans le cadre du tri postal sans outil ni dispositif de protection pouvait représenter un danger, comme l’apparition d’une maladie chronique.

[11]             L’appelant a mentionné la section introductive du Manuel sur les mesures d’urgence – une approche globale de l’employeur, qui – il citait le manuel – fait directement référence au danger posé par les matières radioactives :

[Traduction] Cette section vise à aider les employés de l’ASFC à prendre conscience des menaces CBRNE et à intervenir en cas d’incident. Ces menaces peuvent être le résultat d’un acte terroriste ou d’un accident involontaire. Les activités terroristes sont préoccupantes; toutefois, chaque jour, des expéditions de marchandises dangereuses sont transportées par rail, eau et air à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. Certaines de ces marchandises sont des produits dont les Canadiens se servent dans leur vie de tous les jours, comme l’essence et l’huile moteur. Il peut également s’agir de marchandises potentiellement dangereuses comme des explosifs, des pesticides, des matières radioactives et des gaz. Les agents travaillant aux ports d’entrée du Canada doivent être à l’affût des incidents potentiels qui pourraient nuire à leur santé ou à celle du public en général.

[12]             Selon l’appelant, la section ci-dessus démontre que l’employeur reconnaît que le rayonnement constitue une menace pour les agents des services frontaliers, même à la suite d’un accident involontaire comme celui survenu au Japon, et que, chaque jour, des marchandises dangereuses (y compris des matières radioactives) sont transportées à l’intérieur et à l’extérieur du Canada par l’intermédiaire des centres postaux.

[13]             Toujours selon l’appelant, il a été établi pendant l’audience devant ce Tribunal que le rayonnement pouvait constituer une menace pour la santé humaine. Il a indiqué que l’exposition au rayonnement était cumulative, ce qui signifie qu’une exposition répétée peut représenter un danger si les limites de dose acceptables sont dépassées. Le rayonnement, a-t-il ajouté, peut provoquer différents types de danger, dont le cancer.

[14]             L’appelant a indiqué qu’à la date du refus de travailler, il était impossible de savoir si le courrier provenant du Japon avait été contaminé par rayonnement, et qu’on ne lui avait pas fourni le matériel nécessaire (détecteur de rayonnement GR135 et dosimètre personnel) pour réduire ce risque, matériel que possédait pourtant l’employeur. L’appelant a déclaré que, contrairement à d’autres dangers courants dans la filière postale, comme les explosifs et les matières chimiques ou biologiques, le rayonnement n’est pas détectable à l’œil; il faut un équipement spécial comme le GR135 et les dosimètres personnels. Il a indiqué que cela était confirmé par le Manuel sur les mesures d’urgence – une approche globale de l’ASFC, qui indique, à la section Menaces radiologiques :

Radiologique

[Traduction] Sans équipement scientifique et aide spécialisée, il est pratiquement impossible de reconnaître les matières radioactives. L’apparition de symptômes liés à un rejet radiologique prend des jours, voire des semaines, et il n’y a généralement pas de signe caractéristique. Les matières radiologiques ne sont pas détectables par les sens; elles sont incolores et inodores. Il faut un équipement de détection spécialisé pour évaluer l’importance de la zone atteinte et le risque immédiat ou à long terme que peut présenter le niveau de radioactivité pour la santé.

[15]             D’après l’appelant, l’employeur n’a rien fait pour agir avec diligence raisonnable lorsqu’il est devenu apparent que la situation au Japon s’était considérablement aggravée. À son avis, la diligence raisonnable de l’employeur s’est résumée à l’envoi de courriels et à la participation à plusieurs conférences téléphoniques avec Santé Canada et d’autres organismes gouvernementaux.

[16]             Selon l’appelant, l’information recueillie et utilisée par l’ASFC, Santé Canada et RHDCC était de nature très générale et ne mentionnait que les risques et dangers auxquels étaient exposés les citoyens canadiens, et non ceux courus particulièrement par les agents des services frontaliers. Il a soutenu que les agents des services frontaliers qui examinaient le courrier en provenance du Japon étaient beaucoup plus exposés au rayonnement émis par le courrier que le public en général.

[17]             L’appelant a indiqué que l’ASFC n’a jamais évalué la situation au centre de courrier Vista, que ce soit en menant un examen, en effectuant des contrôles ou en utilisant des outils de détection, comme le GR135 et les dosimètres, afin de bien évaluer le danger posé par des niveaux élevés de rayonnement dans le courrier provenant du Japon.

[18]             L’appelant a cité dans ses observations un rapport daté du 29 mars 2006 de Recherche et développement pour la défense Canada, qui portait sur un exercice de simulation d’incident radiologique auquel l’ASFC avait participé, où il est dit que :

[Traduction] L’ASFC investit dans la technologie pour détecter les expéditions illicites de matières radiologiques et nucléaires entrant au Canada. L’utilisation de cette technologie permettra de réduire le risque que des matières dangereuses soient introduites en contrebande au Canada. Pour assurer la sécurité de ses agents, l’ASFC a remis à ceux-ci des dosimètres électroniques qui émettent un signal sonore lorsque le rayonnement dépasse une limite préétablie, et qui surveillent l’exposition totale au rayonnement. Les agents ont également reçu un dispositif de détection du rayonnement portatif (GR135), qui permet de repérer précisément les sources de rayonnement et de déterminer le type de rayonnement ayant causé l’alarme. [L’appelant souligne.]

[19]             Selon l’appelant, ce document établit clairement que les dosimètres fournis par l’ASFC visent à protéger ses agents contre les dangers que représentent les matières radiologiques et nucléaires qui entrent au Canada. Il a ajouté que le document ne dit pas qu’il n’y a « aucun risque », mais plutôt qu’il y a un risque qui peut être réduit; le matériel est là pour détecter le danger potentiel, et il appartient ensuite aux agents des services frontaliers et à l’employeur d’évaluer la situation et de prendre une décision éclairée quant au danger que représente ou non l’expédition.

[20]             Dans ses observations, l’appelant contestait l’allégation faite par l’employeur selon laquelle les niveaux de rayonnement n’étaient pas assez élevés pour constituer un danger, puisqu’aucune lecture n’avait été faite à l’égard du courrier provenant du Japon au centre de courrier Vista. Il a soutenu que toutes les lectures qui avaient été faites et estimées sans danger par Santé Canada n’avaient pas été faites pour le courrier comme tel, mais pour l’ensemble du secteur. Il a poursuivi en indiquant qu’il était impossible que du matériel de détection du rayonnement de Santé Canada situé sur la côte ouest canadienne ou des lectures faites autour de l’aéroport de Narita aient pu détecter les niveaux de rayonnement présents sur du courrier provenant du Japon situé dans la soute d’un avion.

[21]             L’appelant a fait référence à un courriel envoyé le 31 mars 2011 par le témoin de l’employeur, le Dr Moir, à M. Maheux. L’appelant a souligné que, dans ce courriel, le Dr Moir qualifiait de « peu probable » le risque couru par les agents des services frontaliers. Selon l’appelant, ce courriel indiquait que Santé Canada faisait des hypothèses fondées sur la probabilité statistique que quelque chose survienne plutôt que d’évaluer la situation en surveillant l’emplacement en cause. Il a également fait remarquer que dans ce même courriel, le Dr Moir avait suggéré à l’ASFC de demander aux agents des services frontaliers de porter des dosimètres pour les alerter de tout risque de rayonnement au lieu de travail.

[22]             L’appelant a ensuite émis des doutes sur les motivations de Santé Canada à fournir à l’ASFC des données générales sur le rayonnement dans le cadre de l’évaluation de la situation au centre de courrier Vista. Il a expliqué en vouloir pour preuve un courriel envoyé le 31 mars 2011 par le Dr Moir à Mme Schopf et à M. Stewart, tous deux de Santé Canada. L’appelant a fait remarquer que, dans ce courriel, le Dr Moir évoquait la possibilité d’établir une limite de dose (de rayonnement) pour les employés fédéraux, pour que Santé Canada puisse revenir à l’ASFC en disant que jamais on n’atteindrait une concentration susceptible de poser un risque. L’appelant a également cité un extrait du courriel du Dr Moir, où elle dit :

[Traduction] Quand j’aurai obtenu plus de précisions, je pense que nous serons en mesure d’établir une limite de dose et de fournir l’information nécessaire pour montrer que personne ne recevrait jamais une dose supérieure à cette limite, ce qui devrait suffire à « forcer » les gens à retourner au travail.

[23]             D’après l’appelant, il ressort du courriel du Dr Moir que le but était de fixer une limite de dose acceptable pour l’ASFC pour que Santé Canada puisse aider l’ASFC à « forcer » les agents des services frontaliers à retourner au travail. Cette intention, selon l’appelant, remet en cause l’intégrité et les motivations de Santé Canada et de l’ASFC, qui semblent plus soucieux de forcer un retour au travail que de produire des données objectives en vue de protéger les agents des services frontaliers qui exercent leur droit de refuser de travailler dans des conditions dangereuses conformément au Code.

[24]             L’appelant a mentionné une décision passée de ce Tribunal concernant une décision d’absence de danger par un agent de SST à un lieu de travail exploité par l’ASFC, où l’agent d’appel affirmait ce qui suit :

29 Pour ce motif, j’annule la décision de l’agente de santé et de sécurité Karen Malcolm qui a conclu à une absence de danger et je donne une instruction à l’employeur en raison de l’existence d’un « danger ». Par conséquent, j’ordonne à l’employeur de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les employés respectent la procédure de sécurité de l’employeur et utilisent tout matériel, équipement, dispositif et vêtement de sécurité destiné à la protection des employés en tout temps pendant l’inspection des paquets au centre principal d’acheminement.

30 Pour les motifs énoncés précédemment, j’annule la décision de l’agente de santé et de sécurité Karen Malcolm qui a conclu à une absence de danger. Par conséquent, en vertu de l’alinéa 145.(2)a) du Code, j’ordonne à l’employeur de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour protéger toute personne contre le danger en assurant la mise en œuvre et le suivi de la procédure de sécurité et d’urgence de l’employeur et l’utilisation par les employés de tout matériel, équipement, dispositif et vêtement de sécurité destiné à la protection des employés en tout temps pendant l’inspection des paquets au centre principal d’acheminement.

[…]

32 Depuis ce refus de travailler, la nouvelle partie XIX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, intitulée Programme de prévention des risques, est entrée en vigueur en novembre 2005. Je suis persuadé que l’ASFC se conforme à ces nouvelles dispositions réglementaires et à toutes ses sections, telles que : Recensement et évaluation des risques; Mesures de prévention; Formation des employés et la dernière mais non la moindre, Évaluation du programme. Je laisse à un agent de santé et sécurité le soin de vérifier la conformité à ce règlement.Footnote 1

[25]             L’appelant a soutenu que, depuis cette décision de l’agent d’appel Lafrance, l’employeur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour protéger les agents des services frontaliers contre les dangers posés par une exposition au rayonnement et qu’il n’a pas mis à la disposition des agents le matériel destiné à la protection de leur santé et sécurité contre le rayonnement possible lorsqu’ils inspectent des paquets dans la filière postale.

[26]             En conclusion, l’appelant a demandé à ce Tribunal de conclure qu’un danger existait au lieu de travail et d’ordonner à l’ASFC d’apporter les modifications nécessaires aux procédures, de mettre à la disposition des agents des services frontaliers le matériel de protection/détection radiologique nécessaire et, enfin, d’adopter les protocoles relatifs à la protection des agents des services frontaliers contre les dangers radiologiques auxquels ils sont exposés lorsqu’ils examinent du courrier ou des articles en provenance du Japon dans la filière postale canadienne.

Observations de l’intimée

[27]             Le dossier de l’intimée était constitué des témoignages des trois témoins suivants : Mme T. Edwards, ancienne directrice de la Division de la santé et de la sécurité au travail de l’ASFC, Mme B. Pacheco, surintendante, Centre de courrier Vista au moment du refus de travailler, et le Dr D. Moir, chef de l’unité d’évaluation de la radioprotection, Santé Canada.

[28]             Mme Edwards a témoigné sur sa participation au refus de travailler et les circonstances l’entourant, ainsi que le processus décisionnel qu’a suivi l’employeur pour déterminer le niveau de risque auquel étaient exposés les agents au centre de courrier Vista. Mme Edwards a également témoigné au sujet des consultations qu’elle a eues avec des experts de Santé Canada tout au long de cette période.

[29]             Mme Pacheco a fourni des preuves concernant l’installation et les activités au centre de courrier Vista en général et expliqué les circonstances qui prévalaient au moment du refus de travailler et sa participation.

[30]             L’intimée a demandé que le Dr Moir soit entendue comme témoin expert à la suite des questions posées sur son curriculum vitae, demande que l’appelant n’a pas contestée. Le Dr Moir a pu fournir un témoignage d’expert sur les effets possibles sur la santé du rayonnement au lieu de travail occupé par M. Azeez au moment de son refus de travailler. Le Dr Moir a également fait part de son opinion professionnelle à l’ASFC et à ses employés en tant que fonctionnaire représentant le Bureau de la radioprotection de Santé Canada tout au long du refus de travailler, et elle a également présenté des éléments de preuve à cet égard.

[31]             Dans ses observations, l’intimée a d’abord soutenu que certains des documents sur lesquels l’appelant s’était fondé dans ses observations n’avaient pas été présentés en preuve à l’audience devant le Tribunal, et que l’appelant n’avait pas fourni de copie de ces documents. L’intimée a demandé au Tribunal de ne pas tenir compte des passages suivants des observations de l’appelant dans ses délibérations : le Manuel sur les mesures d’urgence – une approche globale; et un rapport qui aurait été préparé par Recherche et développement pour la défense Canada daté du 29 mars 2006.

[32]             Concernant la définition de « danger » que l’on trouve dans le Code, l’intimée a déclaré que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans Verville c. CanadaFootnote 2 et Martin c. Canada (Procureur général)Footnote 3avaient établi que, pour conclure à l’existence d’un « danger » :

  • Il doit y avoir un risque, une situation ou une tâche susceptible de causer des blessures à un employé ou de le rendre malade, même si les effets ne sont pas immédiats, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.
  • La définition n’exige pas que le « danger » cause une blessure chaque fois que le risque, la situation ou la tâche se produit. L'expression « susceptible de causer » dans la version française indique que la situation, la tâche ou le risque pourrait causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois.
  • Il n’est pas nécessaire d’établir avec précision à quel moment le risque, la situation ou la tâche surviendra, mais seulement que l’on constate dans quelles circonstances le risque, la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront à l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[33]             L’intimée a également mentionné que Madame la Juge Gauthier, dans la décision Verville de la Cour fédérale, avait fait remarquer ce qui suit :

  • La perspective raisonnable de blessures ne peut reposer sur des hypothèses ou des conjectures, mais si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition.
  • Il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’une personne a été blessée dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise.
  • La perspective raisonnable de blessures pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[34]             L’intimée a fait valoir que l’appelant n’avait appelé aucun autre témoin que lui-même pour témoigner devant le Tribunal. De plus, elle a indiqué que l’appelant n’avait présenté aucune preuve lors de l’audience pour justifier sa crainte d’être exposé à des niveaux dangereux de rayonnement en raison de la manipulation du courrier en provenance du Japon. De l’avis de l’intimée, le refus de travailler de l’appelant reposait sur sa crainte d’être exposé à des niveaux dangereux de rayonnement, qui se reflétait dans ses observations :

[Traduction] Au moment du refus de travailler, je n’avais aucun moyen de savoir ce qui avait ou n’avait pas été exposé au rayonnement dans le courrier provenant du Japon, et encore moins la limite d’exposition acceptable maximale pour ma santé et mon bien-être.

[35]             L’intimée a soutenu que l’appelant n’avait présenté aucune preuve médicale ni scientifique au sujet des niveaux d’exposition au rayonnement nécessaires pour causer une blessure ou une maladie, pas plus qu’il n’avait fourni de preuve médicale à l’appui d’une quelconque maladie ou blessure qu’il aurait subie à la suite de l’exposition au rayonnement émis par le courrier en provenance du Japon.

[36]             L’intimée a poursuivi en citant le témoignage du Dr Moir, faisant remarquer que celle-ci avait indiqué que les limites de dose de rayonnement qui sont fixées par la Commission canadienne de sûreté nucléaire pour les travailleurs du secteur nucléaire sont de 50 mSv (millisievert) par année, alors que la limite annuelle pour le public en général est de 1 mSv. Le Dr Moir a également souligné que tout le monde était constamment exposé au rayonnement dans sa vie de tous les jours, que ce soit par les voyages en avion, les rayons x, le rayonnement émis par le sol, et que tous ces facteurs variaient selon le mode de vie de la personne, si bien qu’il est impossible de réglementer le niveau d’exposition au rayonnement qu'une personne particulière reçoit.

[37]             Le Dr Moir a également témoigné que le Bureau de la radioprotection était responsable de surveiller la situation après l’incident à la centrale nucléaire de Fukushima afin d’évaluer les incidences sur la santé des Canadiens à la suite d’une exposition possible au rayonnement, y compris les effets possibles sur les Canadiens vivant ou voyageant au Japon, ainsi que les effets possibles au Canada. Le Dr Moir a participé activement à cet exercice d’évaluation des risques mené en collaboration avec le Centre de mesures et d’interventions d’urgence de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), qui évaluait les risques pour les Canadiens au Japon et au Canada à l’aide de données fournies par des stations de surveillance situées un peu partout au pays, ainsi que par un logiciel de modélisation. L’ASPC a fourni des rapports réguliers sur la situation au Japon.

[38]             Le Dr Moir a témoigné qu’elle avait remis des évaluations quotidiennes au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international sur les risques pour la santé des Canadiens au Japon. Elle a témoigné que les niveaux de rayonnement auxquels les Canadiens étaient exposés au Japon étaient inférieurs à 0,2 mSv par année (200 microsieverts). Le 30 mars 2011, le rapport de situation de l’ASPC indiquait que, selon la Commission canadienne de sûreté nucléaire le 29 mars 2011, les stations de surveillance au Japon avaient enregistré de faibles doses ambiantes à Tokyo et dans d’autres villes japonaises qui n’étaient pas considérées dangereuses pour la santé humaine, et qu’il ne restait aucun risque pour les Canadiens au Canada.

[39]             L’intimée a affirmé que, vers le 25 mars 2011, le Dr Chernin de Santé Canada avait demandé au Dr Moir de déterminer s’il existait un risque pour la santé pour les employés qui manipulaient du courrier en provenance du Japon à la suite du refus de travailler de l’appelant. Le Dr Moir a confirmé qu’il n’y avait aucun risque pour la santé des employés qui manipulaient du courrier en provenance du Japon. Le 29 mars 2011, des employés de l’ASFC à Vancouver ont demandé de l’information sur les risques pour la santé liés à une possible exposition au rayonnement lorsqu’ils examinaient les cargaisons provenant du Japon. L’explication du Dr Moir relativement à l’absence de risque pour la santé lié à une possible exposition au rayonnement émis par du courrier du Japon est fournie dans le courriel reproduit ci-dessous, qui confirme son témoignage à l’audience :

[Traduction] Selon les valeurs des retombées de radioactivité cumulatives types pour Tokyo et d’autres parties du Japon, je peux vous dire que la dose annuelle estimée pour une personne à Tokyo en date d’aujourd’hui est évaluée à environ 140 microSv, soit un dixième de la limite de dose publique de 1 mSv/a. Et je peux vous dire que toute contamination du courrier ou d’autres marchandises en provenance du Japon serait très, très inférieure à ce niveau, puisque la dose annuelle estimée de 140 microSv est fondée sur le rayonnement naturel (le rayonnement normal auquel nous sommes tous exposés) et le rayonnement produit par la centrale de Fukushima au cours des 19 derniers jours, à moins que le courrier ne soit resté dehors pendant cette période, il est absolument impossible qu’il ait accumulé une radioactivité suffisante 24 heures sur 24 pendant toute une année (365 jours); ce n’est pas un scénario probable pour les travailleurs de l’ASFC. Je dirais donc qu’aucun employé fédéral ni aucun membre du public ne devraient avoir peur de manipuler du courrier en provenance du Japon. [L’intimée souligne.]

[40]             À l’audience, le Dr Moir a affirmé qu’il aurait fallu qu’un employé de l’ASFC soit en contact physique constant, 24 heures sur 24, avec du courrier en provenance du Japon, pour être exposé à la dose estimée de 140 microSv par année, qui ne correspond qu’à qu’environ 14 % de la limite de dose de rayonnement annuelle de 1 mSv établie par la Commission canadienne de sûreté nucléaire pour le public en général. Ce niveau d’exposition potentielle ne peut [traduction] « risquer vraisemblablement de causer une blessure ou une maladie à une personne exposée » et ne constitue pas un « danger ». L’intimée a affirmé qu’aucune preuve présentée par l’appelant à l’audience n’avait contredit le témoignage du Dr Moir à ce sujet.

[41]             Dans un autre ordre d’idées, l’intimée a soutenu que le renvoi de l’appelant à la décision du Tribunal dans l’affaire Emerson Waugh n’aidait pas le Tribunal à répondre à la question qui lui était soumise dans cet appel. L’incident à l’origine du refus de travailler dans cette affaire était la découverte d’une grenade dans un paquet sur la bande de triage, ce qui avait mené à l’évacuation des lieux. Dans ces circonstances, le Tribunal avait conclu qu’il y avait un danger et ordonné à l’ASFC de s’assurer que les employés suivent les procédures de sécurité existantes et utilisent le matériel de sécurité. L’intimée a fait valoir qu’il n'y avait eu aucune constatation de danger lié à l’exposition possible au rayonnement par l’examen du courrier en provenance du Japon.

[42]             L’intimée a conclu que l’appelant n’avait pas prouvé l’existence d’un « danger » au sens du Code. L’affirmation de M. Azeez concernant une possible exposition au rayonnement émis par le courrier provenant du Japon à la suite de l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima se fondait uniquement sur des hypothèses et des conjectures. Il n’avait présenté aucune preuve à l’audience de son appel pour étayer l’existence d’une perspective raisonnable de blessures ou de maladie en raison de l’examen du courrier en provenance du Japon. Au contraire, selon le témoignage d’expert livré par le Dr Moir, la manipulation de courrier en provenance du Japon ne présentait aucun risque pour la santé, même si un employé comme l’appelant était en contact avec le courrier 24 heures sur 24, tous les jours de l’année.

Réponse de l’appelant

[43]             Dans sa réponse, l’appelant a fait remarquer que les renvois de l’intimée à la définition de « danger » contenue dans le Code et à des affaires précédentes portées devant la Cour fédérale laissaient entendre que, pour qu’on établisse l’existence d’un danger, il devait y avoir une probabilité raisonnable de blessure, et pas simplement une possibilité.

[44]             Sur ce point, l’appelant a contesté la conclusion de l’intimée selon laquelle il n’avait pas pu fournir le minimum de preuves exigé dans cette affaire. Au contraire, l’appelant croit que toute personne raisonnable ayant à décider si le courrier en provenance du Japon après la catastrophe nucléaire présentait un danger pour les travailleurs utiliserait les dosimètres, le GR135, et balayerait tout le courrier entrant du Japon pendant la durée de la crise. Selon l’appelant, l’employeur n’a pas déployé les efforts raisonnables nécessaires pour prouver que le courrier ne présentait pas de danger. Il a répété que l’employeur et l’agent de SST avaient plutôt choisi de se fier aux données statistiques pour arriver à la conclusion que le courrier ne présentait pas de danger pour les agents de l’ASFC.

[45]             Pour contrer le renvoi de l’intimée à la définition de « danger » dans le Code, l’appelant a affirmé que le site Web de RHDCC offrait une autre définition, qui se lit comme suit :

 

Le danger correspond à une situation, réelle ou potentielle, qui exige que l’employé soit immédiatement protégé contre une situation, une tâche ou un risque pour prévenir une blessure ou une maladie probable.Footnote 4

[46]             L’appelant a soutenu qu’il y avait un risque de danger dans ce cas parce qu’il n’était pas immédiatement protégé par l’employeur contre le risque (le rayonnement) pendant l’activité (l’examen et la manipulation du courrier en provenance du Japon), ce qui présentait un danger de blessure ou de maladie.

[47]             De plus, l’appelant a indiqué que l’employeur n’avait pris aucune mesure efficace d’atténuation des risques autre que des relevés et des données qui n’étaient pas directement liés au courrier en question, mais qu’il s’était plutôt tourné vers des fonctionnaires qui n’étaient pas sur place et qui n’avaient pas évalué directement les articles en cause à l’aide des dispositifs de détection du rayonnement appropriés. La gravité du risque était également bien connue dans le monde entier. La situation représentait un danger important de maladie ou de blessure pour les personnes exposées au rayonnement ne disposant pas des outils de détection nécessaires pour évaluer correctement le danger.

[48]             Par conséquent, l’appelant a soutenu qu’on pouvait raisonnablement conclure que, comme les sens ne permettent pas de détecter le rayonnement, lequel est une cause connue de maladie grave et de décès, on devait utiliser tous les dispositifs de détection raisonnables afin de bien évaluer le danger et d’en arriver à une conclusion éclairée sur l’existence d’un danger.

[49]             L’appelant estimait que les remarques de l’intimée sur le fait que l’appelant avait été son seul témoin étaient préjudiciables et qu’elles ne devaient pas être prises en considération dans cette décision. Il a ajouté que, en se représentant lui-même, il ne bénéficiait pas des mêmes avantages que l’intimée, comme celui d’avoir un avocat payé par le gouvernement, ainsi que les frais applicable, l’accès complet aux témoins et aux témoins experts, la capacité de rembourser leurs frais de déplacement et la capacité de payer pour que des observateurs/conseillers de l’employeur assistent à l’audience.

[50]             L’appelant s’est également objecté aux commentaires de l’intimée voulant qu’aucune preuve médicale n’ait été présentée pour établir la maladie. Il a indiqué que même, s’il avait consulté un médecin, il aurait été impossible à celui-ci d’évaluer le niveau d’exposition au rayonnement et de formuler des conclusions médicales sur son état de santé. Selon l’appelant, cela était attribuable au fait que l’employeur n’avait pas fourni de dispositifs de détection du rayonnement aux agents des services frontaliers, qui auraient donné au médecin les données nécessaires pour effectuer une évaluation médicale en bonne et due forme de l’état d’un agent.

[51]             Dans sa réponse, l’appelant a fait valoir que le mandat du Bureau de la radioprotection de Santé Canada était de protéger la population canadienne en général. Toutefois, il ne protège pas contre les risques de rayonnement auxquels sont exposés les agents des services frontaliers en particulier. L’appelant a soutenu que cette responsabilité relevait de l’employeur en vertu de la Partie II du Code, qui énonce de façon précise ce qui suit :

Obligation générale

124 L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

Obligations spécifiques

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

l) de fournir le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui il permet l’accès du lieu de travail;

q) d’offrir à chaque employé, selon les modalités réglementaires, l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité;

[52]             Selon l’appelant, comme il incombe à l’employeur d’offrir aux agents des services frontaliers l’information, la formation et l’équipement nécessaires, la pertinence du Bureau de la radioprotection dans cet appel devait être rejetée. Il a indiqué que le Bureau de la radioprotection ne s’était pas rendu sur place pour évaluer les circonstances du refus de travailler, et que les données qu’il avait utilisées et sa contribution à l’employeur étaient strictement statistiques et fondées sur la probabilité pour la population en général, et non sur les faits présents à l’installation de traitement du courrier de Vista. L’appelant a soutenu que cela valait aussi pour le témoignage du Dr Moir, en affirmant que ses données reposaient sur des estimations et des hypothèses et que l’information qu’elle avait fournie n’avait pas de lien direct avec le courrier en provenance du Japon présent à l’installation de Vista.

[53]             L’appelant a répondu à la déclaration du Dr Moir comme quoi il était impossible de réglementer le niveau de rayonnement auquel une personne était exposée en affirmant que l’ASFC avait déjà, dans le passé, utilisé des dispositifs de détection du rayonnement afin de réduire les dangers représentés par le rayonnement pour ses employés. Il a ajouté que, comme l’existence d’un danger avait été établie au cours des inspections des douanes (lorsque des dispositifs de détection du rayonnement sont utilisés), l’employeur ne pouvait interdire aux agents des services frontaliers l’accès au même matériel de détection lorsqu’ils accomplissaient exactement les mêmes tâches.

[54]             En réponse à l’observation de l’intimée selon laquelle la décision Emerson Waugh n’était pas pertinente aux fins de cette affaire, l’appelant a soutenu que la décision indiquait clairement qu’un danger existait et ordonnait à l’employeur de protéger les agents des services frontaliers contre tous les dangers présents au lieu de travail. Comme l’employeur possédait et utilisait du matériel de détection du rayonnement dans la région, il était tenu de suivre l’instruction donnée dans Emerson Waugh. L’appelant a indiqué que, jusqu’ici, l’employeur n’avait rien fait pour réduire, atténuer ou éliminer les dangers représentés par le rayonnement au lieu de travail.

Analyse

[55]             Dans mon analyse, je devrai d’abord déterminer si l’appelant a été exposé à un danger lorsqu’il a exercé son droit de refuser de travailler le 24 mars 2011. Ensuite, si je constate qu’un danger existait effectivement, je devrai déterminer si ce danger était une condition normale d’emploi et si, en conséquence, il était interdit à l’appelant d’exercer son droit de refus aux termes du Code. Enfin, si je détermine que le danger n’était pas une condition normale d’emploi, je devrai déterminer s’il est justifié d’émettre une instruction de danger en vertu du paragraphe 145(2) du Code.

[56]             Avant de commencer mon analyse, je dois répondre aux inquiétudes de l’appelant concernant le fait qu’il n’était pas représenté par un avocat dans cette affaire et qu’il ne devrait pas être désavantagé par son manque d’expérience à l’égard de ce type d’affaire. J’aimerais souligner que les parties non représentées à un appel bénéficient toujours d’une grande souplesse procédurale, et que j’ai reçu les observations de l’appelant avec cette souplesse lorsque cela était justifié.

L’appelant était-il exposé à un danger selon la définition du Code au moment où il a exercé son droit de refuser de travailler?

[57]             Le paragraphe 122(1) du Code définit « danger » comme suit :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;

[58]             Dans sa réponse, l’appelant a fait référence à une autre définition de « danger » proposée sur le site Web de RHDCC. Néanmoins, je dois insister sur le fait que le droit de l’appelant d’en appeler de la décision sur l’absence de danger rendue par un agent de SST découle strictement du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail. Par conséquent, je dois m’en tenir à la définition de « danger » énoncée dans le Code, ainsi qu’à son interprétation par les tribunaux, pour déterminer si un danger existait le jour du refus de travailler de l’appelant.

[59]             Pour mieux cerner la portée de la définition de « danger » contenue dans le Code, je retiendrai l’interprétation donnée dans Verville c. CanadaFootnote 5 et Martin c. Canada (Procureur général)Footnote 6, où la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont déterminé que, pour conclure à l’existence d’un « danger » :

  • Il doit y avoir un risque, une situation ou une tâche susceptible de causer des blessures à un employé ou de le rendre malade, même si les effets ne sont pas immédiats, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.
  • La définition n’exige pas que le « danger » cause une blessure chaque fois que le risque, la situation ou la tâche se produit. L'expression « susceptible de causer » dans la version française indique que la situation, la tâche ou le risque pourrait causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois.
  • Il n’est pas nécessaire d’établir avec précision à quel moment le risque, la situation ou la tâche surviendra, mais seulement que l’on constate dans quelles circonstances le risque, la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront à l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[60]             De plus, Madame la Juge Gauthier, dans la décision Verville de la Cour fédérale, a fait remarquer que :

  • La perspective raisonnable de blessures ne peut reposer sur des hypothèses ou des conjectures, mais si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition.
  • Il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’une personne a été blessée dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise.
  • La perspective raisonnable de blessures pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[61]             Pour déterminer si un danger existait pour l’appelant le jour du refus, je dois me demander si l’on pouvait raisonnablement croire que le danger potentiel d’être exposé à du courrier provenant du Japon à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima pouvait causer une blessure ou une maladie aux employés du centre de courrier Vista.

[62]             Chacun sait que l’exposition au rayonnement peut avoir des effets nuisibles sur le corps humain. Toutefois, ce qu’il est primordial de distinguer dans l’affaire qui nous occupe n’est pas s’il existait, au moment du refus, un risque que l’appelant soit exposé au rayonnement du courrier provenant du Japon, mais si les niveaux de rayonnement émanant de ce courrier étaient suffisamment élevés pour être considérés dangereux pour l’appelant.

[63]             Je suis convaincu, d’après la preuve qui m’a été présentée, qu’il est impossible d’éviter un certain niveau d’exposition au rayonnement dans notre vie de tous les jours et que ce niveau peut varier selon notre occupation ou nos activités. Il s’ensuit donc que l’exposition au rayonnement ne représente pas nécessairement un risque pour la santé et que certains niveaux d’exposition ne sont pas considérés nuisibles pour la santé humaine. Je reconnais également qu’il est impossible d’évaluer et de prédire avec exactitude le niveau de rayonnement auquel une personne sera exposée à tout moment donné.

[64]             J’aimerais aborder l’argument de l’intimée au sujet du fait qu'aucun document médical n'a été présenté par l'appelant prouvant l’allégation selon laquelle il aurait pu avoir été en contact avec des niveaux de rayonnement dangereux par la manipulation de courrier en provenance du Japon. Je suis en partie d’accord pour dire que ce fait n’était pas pertinent dans l’affaire qui nous occupe, non pas parce que les employés n’avaient pas de matériel de détection, comme l’appelant l’a fait valoir, mais parce que les effets d’une exposition à des niveaux nuisibles de rayonnement peuvent prendre beaucoup de temps avant de se manifester et qu'il est peu probable qu’un médecin aurait pu établir un diagnostic approprié pour l’appelant.

[65]             L’appelant a soutenu que l’ASFC s’était fiée à l’information fournie par Santé Canada pour déterminer si les employés du centre de courrier Vista risquaient d’être exposés à des niveaux de rayonnement dangereux en manipulant du courrier provenant du Japon. De plus, comme l’information fournie par Santé Canada mentionnait les risques et les dangers auxquels étaient exposés les citoyens canadiens, mais pas les agents des services frontaliers du centre de courrier Vista en particulier, l’appelant a affirmé que l’employeur n’avait pas agi avec diligence raisonnable.

[66]             À ce sujet, la preuve qui m’a été présentée m’a convaincu que Santé Canada avait établi des lignes directrices strictes afin de limiter le niveau d’exposition au rayonnement permis au cours d’une année donnée pour les personnes dont le travail risquait de les exposer à des niveaux de rayonnement supérieurs à la moyenne. Santé Canada est l’autorité reconnue en la matière dans ce pays, et aucune preuve ne m’a été présentée qui m’amène à douter de l’efficacité des normes que l’organisme a instaurées pour prévenir les blessures ou les maladies découlant d’une exposition au rayonnement.

[67]             Dans la période entourant le refus de travailler de l’appelant, le Bureau de la radioprotection devait surveiller la situation à la centrale nucléaire de Fukushima et évaluer les effets sur la santé des Canadiens au Japon et au Canada liés à une possible exposition au rayonnement. Le Centre de mesures et d’interventions d’urgence de l’ASPC évaluait ces risques en s’appuyant sur les données produites par les stations de surveillance un peu partout au pays, ainsi que par un logiciel de modélisation, et envoyait régulièrement des rapports sur la situation au Japon. Je n’ai entendu aucune preuve qui indique que les données et les méthodes utilisées par ces organismes étaient inadéquates ou insuffisantes pour évaluer correctement la menace que représentait l’exposition au rayonnement pour des Canadiens au Japon ou au Canada.

[68]             De plus, le Dr Moir a témoigné que le niveau de rayonnement auquel les Canadiens étaient exposés au Japon après l’accident était inférieur à 0,2 mSv par année, niveau qui n’est pas considéré dangereux pour la santé humaine. L'explication du Dr Moir pour l’absence de risque pour la santé à la suite d’une possible exposition au rayonnement émis par du courrier provenant du Japon sur les employés de l’ASFC à Vancouver était que la « dose annuelle pour une personne à Tokyo en date d’aujourd’hui est évaluée à environ 140 microSv », soit un dixième de la limite de dose publique de 1 mSv par année. Elle a ajouté que « toute contamination du courrier ou d’autres marchandises en provenance du Japon serait très, très inférieure à ce niveau » et que, « à moins que le courrier ne soit resté dehors pendant cette période (19 jours), il est absolument impossible qu’il ait accumulé une radioactivité suffisante 24 heures sur 24 pendant toute une année (365 jours). » Encore une fois, on ne m’a présenté aucune preuve qui contredise ces déclarations, et je ne vois aucune raison de douter de leur bien-fondé.

[69]             L’appelant a fait de nombreuses allégations comme quoi l’ASFC et Santé Canada s’appuyaient uniquement sur des données statistiques et des hypothèses pour évaluer la situation sur le terrain au Japon et le risque d’exposition au rayonnement pour des personnes au Canada. Sur ce point, je crois qu’il ne faudrait pas confondre les méthodes utilisées par les scientifiques pour recueillir des données et faire des évaluations dans ce genre de situation avec de simples hypothèses ou conjectures. Les preuves qui m’ont été présentées pendant l’audience ont clairement démontré que les évaluations fournies à la fois par Santé Canada et le Bureau de la radioprotection reposaient sur des normes scientifiques reconnues, et que l’ASFC et l’agent de SST Iacobellis pouvaient s’y fier pour évaluer le risque présent au centre de courrier Vista.

[70]             Par conséquent, sachant que les niveaux de rayonnement présents sur le terrain au Japon n’étaient pas suffisamment élevés pour contaminer un objet envoyé au Canada avec des niveaux de rayonnement dangereux, j’estime qu’il était tout à fait raisonnable de conclure que le courrier provenant du Japon ne représentait pas de risque pour l’appelant et les autres employés du centre de courrier Vista. S’il est vrai que le rayonnement pose un risque différent d’un danger d’origine biologique ou chimique étant donné l’absence de signes habituels associés à une substance dangereuse, comme une odeur ou une indication visuelle, le fait est que, au moment du refus de travailler, aucune donnée ne portait à croire que des niveaux dangereux de radioactivité pouvaient être présents dans le courrier provenant du Japon. Au contraire, toutes les données fournies par Santé Canada et le Bureau de la radioprotection indiquaient que les niveaux de rayonnement au Japon et en provenance du Japon étaient largement inférieurs aux niveaux acceptables établis pour une personne pendant toute une année.

[71]             En ce qui concerne les préoccupations exprimées par l’appelant sur le but présumé de Santé Canada et de l’ASFC de forcer le retour au travail des agents des services frontaliers plutôt que d’assurer leur protection, je n’ai reçu aucune preuve convaincante à l’appui de cette allégation autre que l’interprétation que l’appelant a faite du commentaire du Dr Moir dans son courriel adressé à Santé Canada. Dans tous les cas, cette allégation ne change rien au fait que les données fournies par Santé Canada à l’ASFC indiquaient clairement que les niveaux de rayonnement qui pouvaient atteindre le Canada, par courrier du Japon ou autrement, n’étaient pas considérés dangereux pour la santé humaine.

[72]             À la lumière de ces faits, je crois qu’il est juste de conclure qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le niveau d’exposition possible au rayonnement émis par le courrier en provenance du Japon au centre de courrier Vista cause une blessure ou une maladie à l’appelant au moment de son refus de travailler, et, par conséquent, la situation ne respecte pas la définition de « danger » contenue dans le Code.

Décision

[73]             Pour ces raisons, je confirme la décision d’absence de danger rendue par l’agent de SST Iacobellis le 27 mars 2011.

Michael Wiwchar
Agent d’appel

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