2013 TSSTC 10

Référence : Société canadienne des postes et George Stout, 2013 TSSTC 10

 Date : 2013-02-14
Dossier : 2013-05
Rendue à : Ottawa

Entre :

Société canadienne des postes, demanderesse

et

George Stout, défendeur

 Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction

 Décision : La suspension de la mise en œuvre de l’instruction est refusée

 Décision rendue par : M. Pierre Hamel, Agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour la demanderesse : M. Stephen Bird, avocat, Bird, Richard

 Pour le défendeur : M. Gerry Deveau, directeur national, Région de l’Ontario, SSTP

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             Les motifs de la présente décision ont trait à une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise le 21 décembre 2012 par l’agente de santé et de sécurité (l’agente de SST) Mme Marjorie Roelofsen. Au moyen d’une lettre déposée auprès du tribunal le 10 janvier 2013 par son avocat, M. Stephen Bird, la Société canadienne des postes (« l’employeur ») interjette appel de l’instruction et demande également une suspension de la mise en œuvre de l’instruction jusqu’à l’issue de l’appel.

[2]             La demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction est prévue par le paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code). Le paragraphe 146(2) se lit comme suit :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

Contexte

[3]             La présente affaire découle de circonstances relatives à l’exercice du droit de refuser d’exécuter un travail dangereux en vertu de l’article 128 du Code, droit qui a été exercé par M. George Stout, un employé de la Société canadienne des postes, le 14 octobre 2012. Ce jour-là, M. Stout s’était présenté au travail, à la demande de son employeur, après une longue période d’absence due à une affection dorsale débilitante. À son arrivée au lieu de travail et après avoir été informé de son plan de retour au travail, il a informé l’employeur qu’il refusait de travailler, invoquant la protection prévue par l’article 128 du Code. M. Stout a finalement été renvoyé à la maison plus tard durant la journée et l’employeur a entrepris de mener son enquête, tel que le requiert le Code, au cours des jours qui ont suivi. À l’issue de son enquête, l’employeur était d’avis que M. Stout était en mesure d’effectuer une partie du travail qui devait lui être assigné et que son refus de travailler n’était pas fondé, une conclusion avec laquelle l’employé n’était pas d’accord. En conséquence, M. Stout a maintenu son refus.

[4]             Les agents de santé et de sécurité Roelofsen, Danton et Sterling ont finalement visité le lieu de travail à plusieurs reprises, soit les 7 et 27 novembre et les 5 et 12 décembre 2012, dans le but de mener une enquête sur les circonstances qui ont mené au refus continu de travailler de M. Stout. L’agente de SST Marjorie Roelofsen a conclu qu’il était dangereux pour M. Stout de travailler dans ce lieu et par conséquent, elle a émis une instruction à l’employeur le 21 décembre 2012. L’instruction se lit comme suit :

[traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)

Les 7 et 27 novembre et les 5 et 12 décembre 2012, l’agente de santé et de sécurité soussignée a procédé à une enquête à la suite d'un refus de travailler exercé par George Stout dans le lieu de travail exploité par LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et situé au 951 Highbury Avenue, Centre de traitement de courrier, London (Ontario), N5Y 1B0, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom Postes Canada. – London (CTC).

 L’exercice des fonctions du poste d’un employé des postes présente un danger pour George Stout, puisqu'il maintient, avec l’appui de son médecin de famille, qu’il n’est pas en mesure d’effectuer quelque tâche que ce soit reliée au poste en question pour quelque durée que ce soit. Cette enquête a révélé qu’il y a eu des facteurs contributifs qui ont mené au refus de travailler qui ont été pris en considération pour rendre la présente décision.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, partie II, de protéger immédiatement cet employé du danger.

Fait à London, ce 21e jour de décembre 2012.

Marjorie Roelofsen

Agente de santé et de sécurité

[5]             Une audience par voie de téléconférence a eu lieu le 23 janvier 2013, pour entendre les observations des représentants des parties quant à la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction.

Observations des parties

Pour la demanderesse

[6]             M. Bird, l’avocat de la demanderesse, a d’abord évoqué les trois éléments du critère appliqué par les agents d’appel pour déterminer si la suspension de la mise en œuvre devrait être accordée, et m’a renvoyé à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51. Cette décision est, de l’avis de l’avocat, fondée sur des circonstances qui sont identiques à celles de l’espèce, et défend le principe que les dispositions de l’article 128 ne s’appliquent tout simplement pas lorsque l'état de santé personnel d'un employé est mis en question. Cette décision n’a pas été considérée par l’agente de SST Roelofsen lorsqu’elle a émis son instruction. Pourtant, selon l’avocat, elle était liée par cette cause et l’agent d’appel l’est tout autant, et à ce titre, la cause montre non seulement que la question à traiter est sérieuse, mais que l’employeur subira un préjudice important s’il devait être tenu de se conformer à une telle instruction mal fondée en droit.

[7]             M. Bird a également fait valoir que l’employeur subira un préjudice important en ce que l’instruction est ambiguë et presque inintelligible, à un point tel qu’il n’est pas possible pour l’employeur de savoir quelles mesures il doit prendre pour protéger l’employé contre le danger dont Mme Roelofsen a reconnu l’existence, autrement que de placer tout simplement l’employé en congé pour une durée indéterminée. L’avocat a ajouté que l’instruction, telle qu’elle est rédigée, a pour effet de contrecarrer la capacité de l’employeur à exercer les obligations qui lui incombent en vertu de plusieurs lois, notamment la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (LIAE), la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (LSPACAT) et la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), ainsi que la convention collective applicable entre l’employeur et le STTP. L’instruction a pour effet de permettre à M. Stout de ne pas travailler pendant une période de temps indéterminée, indépendamment du fait que son état pourrait bien évoluer pour le mieux à l’avenir. À ce titre, l’instruction contredit la définition de « danger » prévue au Code, et empêche l’employeur d’envisager un plan de travail modifié ou le regroupement de tâches précises qui pourraient être attribuées à l’employé à titre de mesures visant à faciliter sa réintégration dans le lieu de travail.

[8]             En ce qui concerne le troisième élément du critère, qui est la protection de la santé et de la sécurité de l’employé pendant que l’instruction est sous appel, l’avocat a précisé que, tandis que l’état de santé de M. Stout continuerait d’être surveillé au fur et à mesure que les choses évoluent, l’employeur ne lui imposerait pas de tâche qu’il ne se sent pas capable d’exécuter à ce moment-là.

Pour le défendeur

[9]             Le représentant syndical, M. Deveau, a d’abord souligné de nombreuses distinctions entre les faits dans l’arrêt Saumier (précitée) et la cause qui nous intéresse. À son avis, l’arrêt Saumier ne s’applique pas et l’agente de SST avait raison d’examiner la décision rendue dans Pearce c. Jazz Air, 2011 TSSTC 14, comme étant le précédent approprié à appliquer en l’espèce.

[10]             Il a ajouté qu’à son avis, l’employeur lit l’instruction de façon trop restrictive et rien dans son libellé n’empêche l’employeur de donner effet aux obligations qui lui incombent en vertu de la LIAE ou de la LSPACAT. L’instruction n'empêche aucunement d'envisager des tâches modifiées ou des mesures qui seraient compatibles avec une preuve médicale concluante en ce qui concerne la situation de M. Stout, telle qu’elle peut évoluer, et de sa capacité à réintégrer le lieu de travail. La lettre envoyée à l’employé le 11 octobre 2012 ne prévoyait pas un plan de travail modifié ni même des tâches modifiées qui auraient pu convenir à la situation de M. Stout : l’instruction ne faisait que modifier les heures de travail de M. Stout, et non ses tâches en tant que commis aux postes, et ces mesures étaient insuffisantes et déraisonnables dans les circonstances.

[11]             M. Deveau fait valoir en outre que c’est M. Stout qui subirait le préjudice le plus important si l’instruction devait être suspendue, une situation qui lui ferait perdre la protection du Code. Il a attiré mon attention sur le rapport intitulé [traduction] « Examen médical indépendant - Évaluation des capacités fonctionnelles de deux jours » préparé par Canassess Assessment Specialists, dont les services ont été retenus par l’employeur pour évaluer l’ampleur des limitations de M. Stout, dans lequel il est dit ce qui suit, à la page 12 :

[traduction] Selon les résultats de l’évaluation des capacités fonctionnelles effectuée aujourd'hui, de l’analyse des exigences physiques, des renseignements médicaux fournis, et des rapports subjectifs du demandeur, l’équipe d’évaluation est d’avis que les capacités physiques démontrées de M. Stout ne sont pas suffisantes pour répondre aux exigences d’un commis aux postes, notamment au tri d’acheminement de lettres courtes et longues. M. Stout a été incapable de démontrer l’une ou l’autre exigence essentielle de l’emploi au cours des deux jours d’essai et a refusé de participer à quelques-unes des tâches énoncées dans une simulation de travail au cours de la deuxième journée de rapports d’essai, éprouvant trop de douleurs.

Cette déclaration étaye la conclusion que M. Stout ne peut exercer les fonctions de commis aux postes à l’heure actuelle et que la mise en œuvre de l’instruction devrait être maintenue en attendant l’audition de l’appel.

Analyse

[12]             Le paragraphe 146(2) du Code accorde à un agent d’appel le pouvoir de suspendre l’effet d’une instruction. Le Code ne précise pas les conditions ou facteurs dont un agent d’appel doit tenir compte dans l’exercice de ce pouvoir. Il est bien établi que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’appel ne doit pas être arbitrairement exercé et doit être conforme à l’objectif du Code qui est énoncé à l'article 122.1. Il est clair que le législateur voulait que les instructions émises en vertu du Code entrent en vigueur au moment où elles sont émises, malgré un appel, à moins que l’agent d’appel n'ait de raisons impérieuses d’en décider autrement. Cela est particulièrement vrai dans une situation comme celle-ci où une instruction a été émise après qu’une agente de SST eut tiré une conclusion selon laquelle une condition dans le lieu de travail présentait un danger pour un employé.

[13]             Les agents d’appel ont mis au point un critère à trois volets pour fournir un cadre dans lequel exercer leur pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 146(2). Les volets de ce critère sont les suivants :

1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.

2) Le demandeur doit démontrer que le refus de suspendre l’application de l’instruction lui causera un préjudice important.

3) Le demandeur doit démontrer que si une suspension est accordée, des mesures seront mises en place pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise dans le lieu de travail.

[14]             Le 25 janvier 2013, j’ai rendu ma décision de rejeter la demande et les parties en ont été informées par écrit ce jour-là. Voici les motifs à l’appui de ma décision.

La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[15]             Je suis d’avis que la question soulevée par l’appel est sérieuse, plutôt que frivole, vexatoire ou autrement dilatoire. L’employeur conteste le fondement juridique et la pertinence de l’instruction dans des circonstances où le danger pour la santé de M. Stout pourrait sans doute être attribué à une condition personnelle plutôt que provoquée par le lieu de travail en soi. Cela remet en question l’applicabilité de l’article 128 du Code à la situation décrite ci-dessus dans les présents motifs, et l’employeur a renvoyé à une jurisprudence en la matière qui devra être prise en compte dans l’analyse de la question sur le fond. De plus, il faut se demander si l’instruction peut entraver l’exercice par l’employeur de droits juridiques découlant d’autres lois. Enfin, il semble y avoir des preuves médicales contradictoires concernant l’état et la capacité de l’employé qui devront être soigneusement évaluées dans le cadre de l’appel. Le seuil pour le premier critère à respecter est certes assez bas et je suis convaincu qu’il a été satisfait.

Le demandeur subirait-il un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue?

[16]             Le fait que le fondement juridique de l’instruction en l’espèce soit une question sérieuse à trancher ne permet pas d’établir en soi que cela cause un préjudice important à l’employeur. Une grande partie de l’argument de l’employeur a porté sur la validité juridique de l’instruction et sur ses effets contraignants présumés sur les droits et obligations juridiques de l’employeur. À ce stade de la procédure, la question qui est en jeu n’est pas la validité de l’instruction, mais plutôt de savoir si la mise en œuvre de l’instruction avant que l’appel ne soit entendu sur le fond cause un préjudice important à l’employeur. Le préjudice doit être réel et il doit pouvoir être démontré. L’inconvénient ou la difficulté lié à la mise en œuvre de l’instruction ne respecte pas cet élément du critère. Même si l’argument juridique de l’employeur s’avérait fondé, cela ne prouve pas qu’il subirait un préjudice important si l’instruction était maintenue en attendant l’audition de l’appel.

[17]             L’employeur a aussi fait remarquer qu’il est impossible de se conformer à l’instruction, car celle-ci est rédigée en termes ambigus et que, par conséquent, il est difficile de déterminer ce que l’employeur doit faire pour la mettre en œuvre. À mon avis, une instruction doit être rédigée en des termes suffisamment clairs pour exprimer ce en quoi consiste la source du problème - en l’espèce, la condition qui constitue un danger pour l’employé - et ce que l’employeur devrait corriger. L’instruction ne doit pas, à mon avis, être trop normative quant aux mesures que l’employeur doit mettre en place pour résoudre le problème. L’employeur devrait pouvoir disposer d’une certaine marge de manœuvre dans la détermination de la nature des mesures qui permettront d’éliminer le danger, et convaincre l’agent de SST qu’il s’est conformé à l’instruction. Bien que l’instruction dans le présent cas puisse ne pas être un modèle de clarté, je suis d’avis que, lorsqu’elle est lue dans le contexte des événements qui ont donné lieu à l’enquête, elle est intelligible et susceptible d’être respectée. Je constate que l’agente de SST Roelofsen, dans sa lettre du 21 décembre 2012, a exigé de l’employeur une confirmation écrite des mesures prises pour se conformer à l’instruction. S’il y a ambiguïté, comme le prétend l’employeur, je suis sûr qu’elle peut être résolue par le dialogue entre l’agente de SST et les représentants des parties quant au caractère suffisant des mesures prises.

[18]             L’employeur a également soutenu que, en plus de son caractère ambigu, l’instruction empêche l’employeur de s’acquitter de ses diverses obligations en vertu de la LIAE, la LSPACAT ou la LCDP et de la convention collective, en ce qui a trait au fait d'accomoder M. Stout en fonction de sa condition et de faciliter sa réinsertion dans le lieu de travail. Je suis d’accord avec M. Deveau que la lecture que fait l’employeur de l’instruction est trop restrictive. Lorsque l’instruction est lue dans le contexte des circonstances qui ont mené au refus, telles qu’elles sont décrites dans le rapport de l’agente de SST, je ne vois aucune raison de conclure que l’employeur est pour toujours empêché de surveiller et d’évaluer l’état de M. Stout, tel qu'il peut évoluer à l’avenir, ou d’examiner les options concernant l’emploi de M. Stout qui peuvent être offertes et admissibles en vertu d’un tel cadre juridique et contractuel. Il me semble que l’instruction porte sur la situation telle qu’elle existait au moment du refus, à savoir que l’exercice de ses fonctions en tant que commis aux postes présentait un danger pour la santé de M. Stout, compte tenu de son affection dorsale. Que l’agente de SST Roelofsen ait eu raison de faire une telle constatation est une question qui porte sur le bien-fondé de l’appel et je ne tire aucune conclusion sur celle-ci.

[19]             Cela dit, je vais ajouter que même si l’employeur a raison de dire que l’effet pratique de l’instruction est de cristalliser le statu quo indéfiniment, je serais toujours d’avis que l’employeur n’a pas démontré en quoi une telle situation provoque un préjudice important à tel point que la mise en œuvre de l’instruction devrait être suspendue en attendant une décision sur le fond de l’appel. Le fait qu'une instruction peut restreindre les droits ou obligations légales de l’employeur n’est pas un événement rare et la pertinence et la validité de l’instruction, dans toutes les circonstances, seront dûment déterminées par l’appel sur le fond.

[20]             Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’employeur subira un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue.

Quelles mesures seront mises en place pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise sur le lieu de travail si la suspension est accordée?

[21]             Compte tenu de ma conclusion que l’employeur n’a pas établi qu’il subirait un préjudice important si la suspension n’est pas accordée, je n’ai pas besoin d’examiner ce troisième critère.

Décision

[22]             Pour les motifs susmentionnés, la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction donnée par l’agente de SST Marjorie Roelofsen le 21 décembre 2012 est refusée.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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