2013 TSSTC 14

Référence : Lower Lakes Towing Ltd., 2013 TSSTC 14

 Date : 2013-04-09
Dossier : 2012-89
Rendue à : Ottawa

 Entre :

Lower Lakes Towing Ltd, demanderesse

 Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction

 Décision : La suspension de la mise en œuvre de l’instruction est refusée

 Décision rendue par : M. Michael McDermott, agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour le demandeur : M. Walter Stewart, surintendant des mécaniciens, Lower Lakes Shipping Ltd.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             Il s’agit d’une demande déposée conformément au paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code) en vue de la suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par l’agent de santé et de sécurité David Louden (agent de SST) le 23 novembre 2012, conformément au paragraphe 145(1) du Code. La demanderesse est Lower Lakes Towing Ltd. de Port Dover (Ontario). Il n’y a pas de défendeur.

Contexte

[2]             L’instruction visée a été émise par l’agent de SST suite à une enquête d’un lieu de travail exploité par l’employeur demandeur. Plus précisément, le lieu de travail est le navire à moteur (MS) Manitoba accosté au moment de l’inspection à un terminal céréalier à Thunder Bay (Ontario). L’agent de SST a conclu que certaines dispositions du Code avaient été violées et conformément à l’alinéa 145(1)a), il a ordonné à l’employeur de cesser les contraventions au plus tard le 15 mars 2013.

[3]             Seule la deuxième des trois parties que compte l’instruction a été portée en appel. Cette contravention se lit comme suit :

 Alinéa 125(1)a) du Code, partie II, paragraphe 10(b) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime (RSSTMM) et le paragraphe 224(1) du Règlement sur la construction de coques, partie X

Les locaux d’habitation de l’équipage sur le pont de gaillard ne disposent pas des deux moyens d’évacuation distincts requis. L’escalier enlevé entre le pont de gaillard et le pont porteur principal doit être réinstallé, ou une mesure de remplacement installée. L’utilisation de hublots comme moyen d’évacuation ne répond pas aux exigences de la réglementation.

Aux fins de renvoi, l’alinéa 125(1)a) du Code se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

(a) de veiller à ce que tous les ouvrages et bâtiments permanents et temporaires soient conformes aux normes réglementaires;

L’alinéa 10b) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime (RSSTMM), en vertu du pouvoir réglementaire prévu par la Code, se lit comme suit :

10. L’employeur veille à ce que la conception et la construction de toutes les structures d’un bâtiment respectent les exigences énoncées dans au moins un des règlements suivants :

(b) le Règlement sur la construction de coques;

Le paragraphe 224(1) du Règlement sur la construction de coques (RCC) se lit ainsi :

224(1) Les locaux d’habitation et les locaux où l’équipage est normalement appelé à travailler, à l’exception des locaux des machines, doivent comporter au niveau de chaque pont au moins deux moyens distincts d’évacuation conformes aux exigences suivantes :

(a) les deux moyens d’évacuation doivent être séparés le plus possible l’un de l’autre afin d’empêcher qu’ils soient bloqués tous les deux en même temps au moment d’un incident;

(b) au moins un des moyens d’évacuation ne doit pas exiger le passage par des portes étanches;

(c) au-dessous du pont continu le plus élevé, l’un des moyens d’évacuation doit être un escalier et l’autre doit être soit un puits, soit un escalier, et les deux moyens doivent donner directement accès à un autre moyen sur le pont situé au-dessus;

(d) au-dessus du pont continu le plus élevé et sur ce pont, chaque moyen d’évacuation doit être un escalier, une porte ou une combinaison des deux, et il doit donner directement accès à un pont découvert et, de là, aux embarcations ou aux radeaux de sauvetage; et

(e) lorsque des escaliers font partie du moyen d’évacuation, ils doivent être suffisamment larges pour convenir au nombre de personnes qui les empruntent en cas d’urgence.

[4]             Le MS Manitoba est décrit comme étant un navire de charge des Grands Lacs construit en 1966 et ayant déjà été en service sous différents noms et différents propriétaires depuis ce temps. Apparemment, Rand Logistics a acquis le navire en 2011 et l’exploite dans le cadre de sa filiale Lower Lakes Towing Ltd, l’employeur aux fins du Code. Les questions précises qui ont conduit l’agent de SST à émettre donner l’instruction faisant l’objet de l’appel concernent le pont de gaillard qui donne accès par une porte extérieure aux locaux d’habitation, aux cabines et aux dortoirs de l’équipage, où il signale qu’il a trouvé « des signes qu’un escalier intérieur avait été installé, menant sur le pont porteur principal (le Texas deck). Voyant l’escalier retiré, l’agent de SST a conclu que le pont de gaillard n’avait plus les deux moyens d’évacuation requis. C’est cet escalier qui, selon l’instruction portée en appel « doit être réinstallé ou une mesure de remplacement installée ». II semble que l’agent de SST Louden a d’abord soulevé la question auprès des représentants de l’employeur suite à la visite d’inspection sur le navire en novembre et décembre 2011, et que les discussions concernant les promesses de conformité volontaire n’ont pas porté leurs fruits en ce qui concerne la question relative aux moyens d’évacuation. C’est après une visite d’inspection ultérieure, le 22 novembre 2012, au cours de laquelle l’agent de SST a conclu que les hublots étaient de diamètre insuffisant pour servir de moyens d’évacuation, que l’instruction a été émise.

[5]             L’instruction a été portée en appel le 19 décembre 2012, dans le délai de trente (30) jours pour présenter une demande conformément au paragraphe 146(1) du Code. Toutefois, la demande d’appel n’était pas accompagnée d’une demande de suspension et cette dernière n’a pas été reçue par le Tribunal avant le 28 mars 2013, soit après la date fixée par l’agent de SST pour le respect de l’instruction. Malgré une indication claire dans la lettre de l’agent de SST qui accompagnait l’instruction qu’un appel ne dispense pas l’appelant de se conformer à une instruction, sauf sur ordonnance par un agent d’appel en vertu du paragraphe 146(2), il semble que l’employeur ait supposé qu’une suspension était automatique une fois que l’appel était déposé. En tout état de cause, le greffier du Tribunal a répondu à la demande en fournissant immédiatement à l’employeur des détails sur les critères utilisés par les agents d’appel dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension à la mise en œuvre d’une instruction. Les trois critères sont les suivants :

1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.

2) Le demandeur doit démontrer que le refus de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causera un préjudice important.

3) Le demandeur doit démontrer que dans l’éventualité où une suspension serait accordée, des mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

[6]             Une audience par voie de conférence téléphonique sur la demande a eu lieu le jeudi 4 avril 2013. M. Walter Stewart représentait l’employeur. J’ai demandé à l’agent de SST Louden de participer à l’appel et d’être disposé à aider si des éclaircissements étaient nécessaires. J’ai souligné que l’audience par voie de téléconférence portait sur la demande de suspension et n’abordait pas le fond de l’appel.

Observations de la demanderesse

[7]             Les principaux points de M. Stewart portaient essentiellement sur le fait que le navire avait subi avec succès les inspections annuelles de sécurité et reçu l’approbation d’exploitation chaque saison de navigation. Il a renvoyé en particulier à un rapport d’inspection concernant le MS Manitoba remis à Lower Lakes Towing par la direction de la Sécurité maritime de Transports Canada, région de l’Ontario, le 29 août 2012. À ma demande, M. Stewart a fourni une copie du document. Il s’agit en fait d’une réponse à une demande des propriétaires du MS Manitoba pour l’inscription au Programme de délégation des inspections obligatoires de Transports Canada (PDIO) qui, selon ce qu’il soutient, n’aurait pas été acceptée si des problèmes non réglés liés à la sécurité avaient été décelés. M. Stewart cite également la correspondance qu’il a eue avec M. Michael Dua, le fonctionnaire qui a signé la lettre du PDIO. Répondant le 30 janvier 2012 à la demande par courriel faite le 23 janvier 2012 par M. Stewart pour obtenir des conseils, M. Dua a indiqué ce qui suit : « [L] e navire a été examiné en mai 1982 pour vérifier la conformité à l’annexe B des recommandations visant le Cartiercliffe Hall. À cette époque, Transports Canada avait ordonné aux propriétaires d’installer des barres d’appui à la hauteur des fenêtres latérales des cabines qui devaient être utilisées comme second moyen d’évacuation. Cet élément peut être retiré de l’avis de défaut. » Ces rapports d’inspection et promesses ont amené M. Stewart à conclure que l’employeur est « appelé à défendre un dossier qui a déjà été résolu il y a 30 ans et vérifié de nouveau il y a un an à peine. »

[8]             Une courte explication des recommandations visant le Cartiercliffe Hall est peut-être nécessaire. Je comprends que le renvoi se rapporte aux recommandations formulées dans le cadre d’une enquête sur un incendie en 1979 à bord du vraquier des Grands Lacs, le Cartiercliffe Hall, qui a détruit les locaux d’habitation de l’équipage et a entraîné la mort de plusieurs personnes.

[9]             En ce qui concerne le préjudice important qui pourrait être subi par l’employeur si une suspension n’est pas accordée, on a fait valoir que la réponse à l’instruction supposerait des modifications complexes comportant d’importants coûts de construction qu’il, dans le cas où l’appel interjeté par l’employeur était accueilli, n’auraient pas été nécessaires engager. De plus, avec l’ouverture de la saison de navigation, le navire ne serait pas en mesure de fonctionner et il y aurait perte de revenus.

[10]             Quant au troisième critère, la position de l’employeur reflète l’information décrite au paragraphe sept ci-dessus. Il soutient que le navire a été certifié comme étant sûr et apte à la navigation pour un certain nombre d’années et que la question des moyens d’évacuation secondaires n’avait pas été soulevée depuis l’enquête de 1982 mentionnée dans la correspondance avec M. Dua jusqu’à ce que l’agent de SST Louden l’ait soulevé en 2011. En effet, l’employeur fait valoir que, si la suspension est accordée, des mesures visant à protéger la santé et la sécurité sont déjà en place et qu’aucune des mesures supplémentaires n’est nécessaire.

Analyse

[11]             Je n’ai aucune difficulté à convenir que cette demande n’est ni frivole ni vexatoire. L’employeur estime qu’il n’a pas enfreint le Code, le RSSTMM ou le RCC en ce qui concerne la question des moyens d’évacuation du MS Manitoba. À juste titre, il a été rassuré par les conseils reçus de la direction de la Sécurité maritime de Transports Canada, région de l’Ontario, que la question pouvait être retirée de l’avis de défaut. Il est clairement apparu au cours de l’audience téléphonique que M. Stewart n’avait été mis au courant que tout récemment des échanges poursuivis au sein de Transports Canada sur l’applicabilité des dispositions citées du RSSTMM et du RCC aux navires ayant le même âge que le MS Manitoba. Une certaine considération avait été donnée à l’existence ou à l’absence d’une disposition relative au maintien de droits acquis. À la suite de ces discussions, il semble juste de dire que les conseils donnés antérieurement à l’employeur sont maintenant à tout le moins remis en question.

[12]             Je reconnais également que l’employeur subira un préjudice important du point de vue des coûts et des pertes de recettes d’exploitation si une suspension n’est pas accordée. Je note également que certains emplois seraient probablement touchés. Il est regrettable que la demande de suspension n’ait pas été faite plus tôt, lorsque les mois d’hiver auraient permis que le processus soit entamé au cours de la mise en rade.

[13]             C’est le troisième critère qui me préoccupe dans la présente demande. Quel que soit ou quel qu’ait été l’état des discussions internes à Transports Canada, l’agent de SST n’a donné aucune indication qu’il considérait les conclusions de son inspection et l’instruction consécutive à l’employeur comme ayant été tirées ou émises par erreur. L’instruction tient toujours. J’ai examiné les résultats du rapport du PDIO envoyé par la direction de la Sécurité maritime à Lower Lakes Towing le 29 août 2012. Si je comprends bien, les inspections concernées sont celles qui sont exercées en vertu du pouvoir général de la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC) et ses règlements pertinents. Elles ne sont pas effectuées en vertu du pouvoir du Code ou du RSSTMM. Bien qu’elles traitent dans une certaine mesure de la pertinence et du bon fonctionnement de la prévention et de la détection des incendies et de l’équipement des sapeurs-pompiers qui ont évidemment des conséquences sur la sécurité des employés, elles ne répondent pas aux exigences du RSSTMM et du RCC à l’égard des locaux d’habitation de l’équipage et des moyens d’évacuation.

[14]             Le paragraphe 146(2) du Code est une mesure exceptionnelle. Le texte se lit comme suit :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

Parmi les critères appliqués par les agents d’appel lors de l’examen des demandes de suspension, c’est le troisième critère qui concerne plus spécifiquement l’objet du Code, soit la prévention des accidents et des blessures liés à l’occupation d’un emploi. Dans ce contexte, je ne crois pas que le fait de s’appuyer sur les inspections fondées sur la Loi sur la marine marchande, aussi positives soient-elles, donne la garantie suffisante que, si une suspension est accordée, les mesures mises en place permettront de protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne qui s’est vu accorder l’accès au lieu de travail en ce qui concerne la question des moyens d’évacuation qui est en cause dans le présent appel. Mis à part le fait qu’il prétend en réalité que cette protection est déjà fournie, l’employeur n’a pas présenté d’autres mesures d’atténuation et ne semble pas avoir exploré les mesures de remplacement que l’on peut déduire du libellé de l’instruction.

[15]             Je ne peux pas accepter à ce stade-ci une garantie générale que tout va bien à l’égard de cette question en présence d’une décision à l’effet contraire d’un agent de santé et de sécurité dûment désigné. Cette décision reflète la constatation que les employés n’auraient pas accès aux autres moyens d’évacuation qui devraient leur être fournis conformément aux règlements. L’applicabilité des dispositions désignées par l’agent de SST aux circonstances du MS Manitoba et la validité de ses conclusions sont des questions de fait et de bien-fondé. En effet, l’agent de SST a soulevé une contravention du Code et de ses règlements pertinents qui, selon ce que maintient l’employeur, est injustifiée, une différence qui doit être entendue sur le fond dans le cadre d’une instruction approfondie.

Décision

[16]             Les trois critères décrits au paragraphe cinq ci-dessus doivent être remplis avant que soit accordée une suspension de la mise en œuvre d’une instruction. J’ai conclu que le troisième critère n’a pas été respecté. La demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par l’agent de SST le 23 novembre 2012 est rejetée.

Michael McDermott
Agent d’appel

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