2013 TSSTC 15

Référence : Les transports nationaux du Canada Limitée, 2013 TSSTC 15

Date : 2013-04-29
Dossier : 2012-24
Rendue à : Ottawa

Entre : Les transports nationaux du Canada Limitée, demanderesse

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction

Décision : La suspension de la mise en œuvre de l’instruction est accordée

Décision rendue par : M. Pierre Hamel, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour le demandeur : Me Simon-Pierre Paquette, avocat, contentieux, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             Les motifs de la présente décision ont trait à une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise le 23 mars 2012 par M. Sylvain Renaud, agent de santé et de sécurité (agent de SST) auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) à Montréal. La demande a été déposée auprès du Tribunal le 22 mars 2013 par Me Simon-Pierre Paquette pour le compte de Les transports nationaux du Canada Limitée (ci-après « TNCL » ou « la société »). La société demande ce qui suit :

(i) la suspension de la mise en œuvre de l’instruction « jusqu’à ce que le tribunal rende une décision sur le fond de l’appel »;

(ii) une prolongation de la durée de la mise en œuvre de l’instruction « pour une autre période de soixante (60) jours suivant la décision sur le fond ou la suspension du caractère exécutoire de l’instruction du Tribunal pour une période de soixante (60) jours suivant la date de délivrance dans le cas où le Tribunal n’annule pas l’instruction émise le 23 mars 2012 par l’agent de SST Renaud ».

[2]             La société interjette également appel de l’instruction et a déposé son appel le 20 avril 2012, dans le délai de 30 jours prévu à l’article 146 du Code canadien du travail (le Code). Il n’y a pas de défendeur dans la présente affaire.

Contexte

[3]             Afin de remettre la présente demande dans son contexte et de mieux comprendre le moment choisi pour la déposer, il est utile de citer l’instruction émise le 23 mars 2012 par l’agent de SST Sylvain Renaud :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU

DU PARAGRAPHE 145(1)a)

Le 23 mars 2012, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une inspection dans le lieu de travail exploité par Canadien National Transport limité, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 935, rue de la Gauchetière Ouest, Montréal, Québec, H3B2M9, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de CNTL.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que l’article135 (1) de la partie II du Code canadien du travail est enfreint.

No. /N° : 1

145.(1) – Partie II du Code canadien du travail, -

L’employeur n’a pas constitué pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement au moins vingt employés, un comité local chargé d’examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 23 mars 2013.

Fait à Montréal ce 23ème jour de mars 2012.

(s) Sylvain Renaud

Agent de santé et de sécurité

[4]             L’instruction a été donnée à Me Simon-Pierre Paquette, l’avocat de la Société, à la date de sa délivrance. Il est à noter que l’agent de SST Renaud a donné à la société une période d’un an, soit jusqu’au 23 mars 2013, pour établir un comité local de santé et de sécurité. Le point central de désaccord soulevé par la société dans son appel interjeté à l’encontre de l’instruction est que les personnes à l’égard desquelles l’agent de SST a ordonné la mise en place d’un comité local de santé et de sécurité ne sont pas des « employés » au sens de la partie II du Code. La société exerce ses activités dans le domaine des services en courtage de camionnage. Ses clients font appel à ses services pour organiser le transport des biens à destination et en provenance des gares de triage du CN sur de longues distances par l’intermédiaire du réseau ferroviaire du CN. Le litige porte sur la qualification appropriée de la relation juridique entre un groupe d’environ 80 camionneurs, communément appelés les « courtiers de Montréal » (ou les « entrepreneurs »), qui, selon la société, sont des entrepreneurs indépendants, qui possèdent leurs propres semi-remorques et qui ont conclu des contrats de services avec TNCL en vue de transporter des marchandises, plutôt que d’être employés par la société. La société est d’avis que puisqu’il n’y a pas de relation employeur-employé avec les camionneurs, il n’y a pas d’obligation en vertu du paragraphe 135(1) du Code d’établir un comité local de santé et de sécurité pour ces personnes.

[5]             Le 12 août 2012, le Tribunal a informé la société que l’appel serait traité par voie d’observations écrites et à partir des documents versés au dossier du Tribunal, sans qu’il soit nécessaire de tenir une audience compte tenu de la nature de la question soulevée par l’appel. La société a finalement déposé ses observations écrites le 5 novembre 2012. Comme le délai dans lequel on a ordonné à la société d’établir un comité local de santé et de sécurité était sur le point de prendre fin, et qu’aucune décision n’avait encore été rendue par le Tribunal concernant l’appel, la société a déposé sa demande de suspension le jour avant l’expiration de ce délai, soit le 22 mars 2013.

[6]             Une téléconférence a eu lieu le 2 avril 2013 au cours de laquelle l’avocat de la société a présenté les points saillants de ses arguments à l’appui de sa demande. L’agent de SST Sylvain Renaud a pris part à la téléconférence et on lui a donné l’occasion de formuler des observations sur la position de la société et sur la base factuelle de la demande.

Arguments en faveur de la demanderesse

[7]             Les arguments de la société à l’appui de la demande peuvent se résumer ainsi : premièrement, l’appel soulève une question sérieuse et complexe liée à la qualification juridique correcte de la relation entre TNCL et ses propriétaires-exploitants. L’enquête initiale par RHDCC qui a finalement mené à la délivrance de l’instruction en mars 2012 remonte à la fin de 2008, à la suite d’un accident mortel impliquant un camionneur substitut, M. Albert Foucher. Il y a eu plusieurs réunions et communications entre TNCL et un certain nombre d’agents de santé et de sécurité de RHDCC au cours de cette période de quatre ans pour établir les faits. La société souligne qu’aucun problème ni préoccupation visant la santé et la sécurité des camionneurs n’a été signalé par les agents de santé et de sécurité ou communiqué à TNCL à quelque moment que ce soit au cours de cette période. La société fait valoir qu’il n’y a pas d’urgence à mettre en place un comité local de santé et de sécurité dans ce contexte. L’instruction faisant l’objet de l’étude concerne la mise en place d’une structure de comité, par opposition à la correction d’une infraction plus grave au Code ou à l’une de ses exigences réglementaires qui pourraient mettre en danger la santé et la sécurité des employés. L’avocat souligne que l’agent de SST Renaud, qui était bien au courant du désaccord de TNCL quant à sa conclusion voulant qu’une relation de travail eut existé et de l’intention de celle-ci d’interjeter appel de son instruction, a accordé à la société une période d’un an pour se conformer à son instruction, en posant l’hypothèse que l’appel de la société devant le Tribunal serait instruite et jugée durant cette période.

[8]             L’avocat de la société a également fait valoir que les ententes contractuelles avec les propriétaires-exploitants sont en place depuis 1995 et la société subirait un préjudice important si ce modèle d’affaires devait être complètement changé, avec toutes ses ramifications telles que l’élaboration de nouvelles politiques et procédures pour les entrepreneurs, sans compter les coûts qui en découleraient et les perturbations qui s’ensuivraient, sachant que le Tribunal est susceptible de rendre sa décision sur le fond dans un avenir très proche. Si cette décision devait accueillir l’appel, la société serait tenue de défaire le comité après avoir engagé des coûts importants et inutiles. La société subirait donc un préjudice important si elle devait établir le comité local de santé et de sécurité prévu au paragraphe 135(1) du Code pour les propriétaires-exploitants, « alors que ni TNCL, ni les entrepreneurs ou les TCA, n’ont jamais considéré que les entrepreneurs étaient engagés dans une relation de travail avec TNCL ».

[9]             Enfin, la société soutient qu’elle a mis en place toutes les règles et lignes directrices internes en matière de sécurité qui s’appliquent à toutes les personnes qui ont accès à la propriété de TNCL et du CN. Ces règles s’appliquent aux entrepreneurs quand ils entrent dans ces locaux pour cueillir ou déposer des conteneurs multimodaux. En outre, TNCL fait la promotion de messages de sécurité visant à partager avec les entrepreneurs de l’information concernant la conduite sécuritaire. L’avocat a également souligné l’environnement très réglementé dans lequel les camionneurs exercent leurs activités, qu’ils doivent respecter dans le cadre de leurs ententes contractuelles avec TNCL, et qui vise à assurer la santé et la sécurité des camionneurs.

Décision

[10]             Le 3 avril 2013, j’ai rendu ma décision d’accorder la demande de suspension et le Tribunal en a informé la société et l’agent de SST le même jour. Je vais maintenant exposer les motifs à l’appui de ma décision dans les pages suivantes.

Analyse

[11]             Le pouvoir d’un agent d’appel d’accorder une suspension découle du paragraphe 146(2) du Code, qui se lit comme suit :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[12]             Le Code ne précise pas les conditions ou facteurs dont un agent d’appel doit tenir compte dans l’exercice de ces pouvoirs. Il est bien établi que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’appel ne doit pas être arbitrairement exercé et doit être conforme à l’objectif du Code qui est énoncé au paragraphe 122.1, qui a pour objet de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ». Il est clair que le législateur voulait que les instructions émises en vertu du Code entrent en vigueur lors de leur remise, malgré un appel, à moins que l’agent d’appel ait eu des raisons impérieuses d’en décider autrement, compte tenu des circonstances de chaque affaire.

[13]             Les agents d’appel ont mis au point un critère à trois volets pour fournir un cadre dans lequel exercer leur pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 146(2). Les volets de ce critère sont les suivants :

1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.

2) Le demandeur doit démontrer que le refus de suspendre l’application de l’instruction lui causera un préjudice important.

3) Le demandeur doit démontrer que si une suspension est accordée, des mesures seront mises en place pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise dans le lieu de travail.

La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[14]             Lors de la téléconférence, j’ai indiqué au demandeur qu’à partir de mon évaluation initiale de la présente cause, j’étais d’avis que la question qui devait être tranchée était sérieuse. La qualification appropriée de la relation juridique entre la société et les camionneurs dans la présente cause n’est pas une tâche facile et nécessite une analyse approfondie d’un certain nombre de facteurs élaborés au fil des ans par les tribunaux judiciaires et quasi-judiciaires. Le dossier montre que même les agents de santé et de sécurité impliqués dans cette affaire entre 2008 et 2012 ont conclu qu’une telle détermination présentait de multiples difficultés. La société et les agents de santé et de sécurité de RHDCC ont eu de nombreux échanges et discussions concernant le statut juridique des entrepreneurs sur une période de plus de trois ans, avant qu’une instruction soit finalement émise. La question soulevée par cet appel n’est en aucune façon frivole, vexatoire ou dilatoire. Au contraire, si l’on reprend l’objet du Code indiqué au paragraphe 122.1, il s’agit d’une question préliminaire qui renvoie à l’applicabilité du Code à ces parties.

[15]             Par conséquent, je suis convaincu que les exigences du premier critère ont été satisfaites.

Le demandeur subirait-il un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue?

[16]             La société fait valoir qu’elle subirait des inconvénients et devrait engager des dépenses au titre des ressources qui pourraient se révéler en dernier ressort inutiles, lui causant ainsi un préjudice important, si l’instruction était maintenue jusqu’à la conclusion définitive de l’appel. Elle insiste sur le fait que la relation de « contrat de prestation de services » avec les entrepreneurs existe depuis 1995 et qu’elle est le « modèle d’affaires » qui a régi leur relation depuis cette date. Ces ententes n’ont rencontré aucune opposition de la part des camionneurs eux-mêmes, ni de l’agent de négociation qui les représente aux fins de la partie I du Code. L’instruction visant la mise en place d’une structure de comité fondée sur une relation de travail présumée est incompatible avec la réalité de ces ententes de longue date conclues en tant qu’entrepreneurs indépendants et exigerait l’élaboration de politiques, de procédures et de processus communs, lesquels pourraient se révéler inutiles dans le cas où la décision du Tribunal, attendue sous peu, accueillerait l’appel de la société sur le fond.

[17]             Les agents d’appel ont déclaré dans le passé que les coûts financiers ou de simples inconvénients découlant de l’obligation de se conformer à une instruction ne répondent pas en soi au critère du préjudice important. Le libellé du paragraphe 146(2) du Code montre l’intention du législateur voulant que l’instruction, une fois émise , entre en vigueur en dépit d’un appel, tout en donnant à un agent d’appel un certain pouvoir discrétionnaire pour évaluer toutes les circonstances dans une affaire donnée, et de rendre une toute autre ordonnance, sans compromettre la réalisation des objectifs du Code. Si la demande de la société, sauf le respect que je lui dois, avait été fondée uniquement sur des considérations financières et sur les inconvénients que le respect de l’instruction entraînerait, je ne lui aurais pas accordée.

[18]             Cependant, à mon avis, il y a plus que cela dans la présente cause. J’accepte l’argument de la société que l’effet de l’instruction, dans notre contexte, comporte plus que des inconvénients ou des dépenses monétaires. En effet, l’instruction a pour effet de transformer la nature de la relation entre les parties, qui est en place depuis 1995. Je suis d’accord avec l’avocat de la société qu’à première vue, les interactions habituelles et quotidiennes entre la société et les camionneurs sont compatibles avec la notion selon laquelle ils sont des « entrepreneurs indépendants ». La société m’a renvoyé à une décision de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario datée du 27 juillet 2009, qui déclare que les camionneurs de TNCL (les entrepreneurs) sont des « exploitants indépendants » qui ne sont pas engagés dans une relation employeur-travailleur aux fins de la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail. Cela ne veut pas dire qu’une telle conclusion par une autre autorité est déterminante du bien-fondé du présent appel : ce n’est pas le cas. Cependant, aux fins de la présente demande, des résultats contradictoires relatifs au statut juridique des camionneurs de TNCL ne sont pas souhaitables et devraient être évités. Ce facteur, ainsi que la déclaration prévue à l’article 2.05 du « contrat-type » (l’intention mutuelle des parties de ne pas créer une relation employeur-employé) soutiennent la thèse de l’employeur selon laquelle les parties fonctionnent depuis une période significative en partant du principe que les camionneurs sont des entrepreneurs indépendants. Dans un tel contexte, le statut juridique des camionneurs et les conséquences découlant de ce statut devraient, à mon avis, être déterminés de façon plus appropriée en temps utile selon le bien-fondé de l’appel.

[19]             L’avocat de la société a renvoyé à l’affaire Bell Canada, 2011 TSSTC 1, à l’appui de son argument voulant que le maintien du statu quo soit approprié dans certaines circonstances. Dans sa décision d’accorder la suspension dans cette cause, l’agent d’appel a écrit ce qui suit :

. . .

[9] Quant au second critère, Mme Tremblay a soutenu que, si l’instruction n’est pas suspendue, Bell Canada devrait fondamentalement modifier la structure du Comité que le syndicat a acceptée et qui est en place depuis plus de dix ans sans qu’il y ait eu de plaintes. Pour se conformer à l’instruction, Bell Canada devra créer d’autres comités ou nommer d’autres représentants (il lui faudra nommer au moins huit nouveaux membres de comités ou représentants). En outre, les services en cause devraient assurer la disponibilité d’un nombre additionnel de substituts spécialisés.

[10] Apporter de tels changements à la structure établie, pour possiblement en revenir à la structure originale si l’appel de l’instruction devait être accueilli, représenterait pour Bell Canada des inconvénients importants et inutiles.

[11] À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que Bell Canada subirait un préjudice considérable si la mise en œuvre de l’instruction n’était pas suspendue.

[20]             La nature de l’instruction et les faits décrits dans l’extrait ci-dessus sont similaires aux circonstances de la présente affaire. Bien que les mesures que l’employeur aurait dû prendre dans le cas de Bell puissent sembler excessivement onéreuses, soit le fait de passer du comité unique existant à huit comités locaux, la société est confrontée ici à l’obligation de créer un comité là où il n’en existe pas actuellement, pour les raisons exposées précédemment dans les présents motifs. Il suffit de lire le paragraphe 135(7) pour comprendre l’étendue des exigences légales que la création et le fonctionnement d’un comité local comportent. Contrairement à la situation dans Bell, la question sous-jacente en l’espèce est de savoir si cette disposition s’applique même à la société et aux entrepreneurs en premier lieu. Comme je l’ai mentionné ci-dessus dans les présents motifs, il s’agit d’une question préliminaire, qui milite en faveur du maintien du statu quo en attendant une décision sur le fond.

[21]             La société fait également remarquer que les agents de santé et de sécurité n’ont jamais soulevé de préoccupations en matière de santé ou de sécurité dans le passé, pas même pendant la période significative au cours de laquelle l’enquête sur la relation juridique entre les entrepreneurs et la société était menée activement. La société fait également valoir qu’il n’y a pas d’urgence en la matière et que cela a été confirmé par l’agent de santé et de sécurité lui-même, qui a intentionnellement rédigé son instruction de telle manière qu’elle n’est devenue « exécutoire » qu’un an après sa délivrance, en posant l’hypothèse que le différend serait réglé par le Tribunal avant l’expiration de ce délai. Je signale que l’agent de santé et de sécurité a confirmé l’exactitude de ces déclarations lors de la téléconférence du 2 avril 2013.

[22]             Le statut juridique des camionneurs a en effet été au centre des discussions entre RHDCC et la société pendant plus de trois ans. Le dossier montre que de nombreuses communications ont été échangées entre les fonctionnaires de RHDCC et TNCL au cours de cette période relativement au statut juridique des camionneurs. Mais surtout, à mon avis, le dossier révèle que l’agent de santé et de sécurité qui a émis l’instruction lui-même ne voit pas l’urgence de se conformer immédiatement à l’instruction. Il a conçu son instruction de façon à donner à la société une période d’un an pour s’y conformer, précisément parce qu’il ne voyait aucune urgence à agir autrement et en partant du principe que la décision du Tribunal clarifierait probablement la question d’ici là. À mon avis, il s’agissait là d’une approche sensible eu égard à l’historique du présent dossier, et surtout, du fait que, à aucun moment, un agent de santé et de sécurité visé par la présente affaire n’a exprimé de préoccupation quant aux situations potentiellement dangereuses ou, plus généralement, la santé et la sécurité des camionneurs. L’agent de SST Sylvain Renaud n’a pas soulevé de motifs ou de préoccupations qui justifieraient la conformité immédiate à l’instruction qu’il a émise . Il a adopté une approche appropriée de coopération avec la société et je suis d’avis que l’octroi de la suspension en l’espèce est compatible avec une telle approche et ne porte pas atteinte à la santé et à la sécurité des entrepreneurs. J’estime que ces circonstances militent en faveur de l’octroi de la suspension.

[23]             Le but de l’instruction est également un facteur dont je tiens compte dans ma décision d’accorder la suspension en l’espèce. Nous avons affaire à une instruction qui exige que la société établisse un comité local de santé et de sécurité, par opposition à une instruction émise en présence d’une situation dangereuse ou visant à corriger une violation du Code ou de ses règlements qui peuvent mettre en danger la santé et la sécurité des travailleurs. Dans ces derniers cas, je suis d’avis qu’une suspension ne devrait être accordée que pour des raisons impérieuses et exceptionnelles. Cela étant dit, je ne veux pas réduire l’importance des comités locaux de santé et de sécurité et je reconnais que la participation des employés dans des questions liées à la santé et à la sécurité dans leur lieu de travail est l’un des piliers du régime conçu en vertu du Code. Cependant, je crois que la gravité relative de l’infraction et de ses conséquences est un facteur pertinent à prendre en compte pour évaluer le préjudice causé aux parties et exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 146(2). Dans la décision NuStar Terminals Canada Partnership (Re), 2013 TSSTC 1, l’agent d’appel a accordé une suspension de la mise en œuvre d’une instruction dans une situation où l’employeur prétendait qu’il n’était pas une « entreprise fédérale » au sens du Code et qu’il n’avait pas l’obligation légale d’accorder à un agent de santé et de sécurité de RHDCC l’accès à ses locaux. L’agent d’appel a écrit ce qui suit, aux paragraphes 13 et 14 :

. . .

[13] Me Durnford a également indiqué qu’il ne s’agit pas d’une situation où une circonstance particulière s’est produite qui nécessiterait que certaines mesures soient mises en place pour éliminer un danger. Au début de la téléconférence, j’ai demandé à M. Gallant si sa visite du lieu de travail de NuStar était en réponse à une situation particulière ou s’il s’agissait tout simplement d’une inspection de routine. Il a confirmé que le but de sa visite était de procéder uniquement à une inspection de routine.

[14] Sur ce point, il est clair pour moi que l’objet même de l’instruction n’était pas de traiter d’une infraction à une obligation en matière de santé et de sécurité au travail énoncée dans le Code et dans ses règlements. Étant donné qu’il s’agit d’une question d’accès au lieu de travail, et compte tenu du fait que l’agent de SST Gallant a confirmé que sa visite avait tout simplement pour but de mener une inspection de routine et non de répondre à un incident particulier, j’estime que des mesures supplémentaires ne sont pas justifiées dans le contexte de la présente intervention.

. . .

[24]             Dans l’affaire Shaw Satellite Services and Shaw Satellite G.P., 2011 TSSTC 12, l’agent d’appel a également estimé, au paragraphe 14, que l’instruction « [...] ne se rapportait pas à une violation particulière du Code relativement à la santé et à la sécurité des employés. Elle portait plutôt sur la production des documents dont l’Ag.SST avait besoin pour mener à bien son enquête […] ».

[25]             Par conséquent, si l’on considère l’ensemble des circonstances qui ont mené à la délivrance de l’instruction, les délais en cause, l’objet de l’instruction et l’approche adoptée par l’agent de SST, je suis d’avis qu’une suspension est appropriée en l’espèce. Lorsque ces facteurs sont comparés aux conséquences d’une conformité immédiate de la société à ce moment-ci, avec une décision qui est sur le point d’être rendue sur le fond de l’appel, je suis d’avis que TNCL subirait un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue. Je suis donc convaincu que le deuxième critère a été respecté compte tenu des circonstances de l’espèce.

Quelles mesures seront mises en place pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise sur le lieu de travail si la suspension est accordée?

[26]             En ce qui concerne le troisième critère, je suis convaincu par l’affirmation de l’employeur qu’une suspension ne porterait pas atteinte à la santé et à la sécurité des camionneurs en l’espèce. Ils travaillent avec un minimum de supervision de la part de TNCL et les questions relatives à leur santé et leur sécurité sont principalement régies par les lois et les règlements applicables à l’industrie du camionnage. Les camionneurs sont responsables de s’assurer que leurs véhicules sont conformes aux lois et règlements en vigueur, et que leur conduite respecte également ces lois et règlements (art. 2.04. du « contrat-type »). Ils doivent se conformer à plusieurs obligations en matière de sécurité énoncées tout au long de l’article 2 du « contrat-type ». Le dossier, y compris les rapports de l’agent de SST de 2010 et 2012, ne révèle pas une situation préoccupante en ce qui concerne la santé et la sécurité des camionneurs. Je suis donc persuadé que ces obligations contractuelles et l’ensemble des lois et règlements auxquels le dossier renvoie offrent un cadre adéquat pour la protection de la santé et de la sécurité des camionneurs quand ils sont sur la route dans le cadre de leur activité de livraison.

[27]             Par nécessité, les camionneurs sont appelés à entrer sur les propriétés de TNCL et du CN pour y cueillir ou y déposer des conteneurs multimodaux. Il n’est pas contesté que lorsqu’ils exercent cette activité, ils sont assujettis aux règlements et aux procédures internes en matière de santé et de sécurité de TNCL et du CN. On ne m’a donné aucune raison de douter de l’affirmation selon laquelle CNTL et le CN continueront de veiller rigoureusement à ce que toute personne qui a accès à leur propriété respecte les règlements et les politiques de sécurité en vigueur.

[28]             Pour ces motifs, je suis convaincu que le troisième critère est rempli.

Autres ordonnances sollicitées

[29]             La société demande que l’instruction soit suspendue jusqu’à la décision sur le fond de l’appel et c’est que je j’ai ordonné dans ma décision « sommaire » communiquée aux parties le 3 avril 2013. La société demande également que la suspension soit prolongée de soixante (60) jours suivant la décision sur le fond, ou que le caractère exécutoire de l’instruction soit suspendu pour une période de soixante (60) jours dans le cas où l’agent d’appel n’annule pas l’instruction. La société souhaite, à juste titre, s’assurer qu’elle disposera d’un délai raisonnable pour mettre en œuvre l’instruction, si celle-ci devait être confirmée par l’agent d’appel.

[30]             Je suis d’avis qu’il est prématuré d’envisager de telles ordonnances à ce stade-ci, et elles sont par les présentes rejetées. Les ordonnances demandées sont de nature spéculative et ne peuvent être invoquées que dans le cas où l’instruction est confirmée par l’agent d’appel. La question a trait davantage aux modalités de la décision qui sera rendue sur le fond de l’appel. À mon avis, il est plus approprié que ces ordonnances soient traitées, le cas échéant, par l’agent d’appel lors de l’appel sur le fond.

Décision

[31]             La demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction émise par l’agent de SST Sylvain Renaud le 23 mars 2012 est accordée jusqu’à l’issue de l’appel sur le fond.

Pierre Hamel
Agent d’appel

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