2013 TSSTC 17

Référence : Affaires étrangères et Commerce international - Passeport Canada et Alliance de la fonction publique du Canada, 2013 TSSTC 17

Date : 2013-05-06
Dossier : 2012-65
Rendue à : Ottawa

Entre :

Affaires étrangères et Commerce international Canada - Passeport Canada, appelant

et

Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité

Décision : L’instruction est confirmée

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Mme Lesa Brown, avocate, Service juridique, Secrétariat du Conseil du Trésor

Pour l’intimée : M. Todd Woytiuk, représentant régional, Alliance de la Fonction publique du Canada

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             La présente décision concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise par Mme Michelle Sterling, agente de santé et de sécurité (agente de SST), Programme du travail, Ressources humaines et Développement des compétences Canada, le 24 septembre 2012, conformément au paragraphe 145(1) du Code, à l’employeur, Affaires étrangères et Commerce international Canada (Affaires étrangères). L’appel était accompagné d’une demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction conformément au paragraphe 146(2) du Code.

Contexte

[2]             Le 17 août 2012, deux agents de SST, dont l’un était l’agente Sterling, ont mené une enquête en milieu de travail au bureau de Passeport Canada, Affaires étrangères à London (Ontario).

[3]             Durant l’enquête, l’agente de SST Sterling a été informée qu’une évaluation ergonomique a été menée dans le même lieu de travail le 18 juin 2012, suivant un Rapport d’enquête de situation comportant des risques déposé le 2 avril 2012 par une employée au bureau de Passeport Canada. L’employée a subi des blessures invalidantes qui ont été par la suite déterminées comme étant liées au travail. L’évaluation ergonomique a été menée par Workplace Safety and Prevention Services, une société d’experts-conseils privée dont les services ont été retenus par l’employeur.

[4]             L’évaluation ergonomique finalisée, qui comprend des recommandations pour empêcher que se reproduisent des blessures de ce genre, a été reçue par l’employeur le 26 juin 2012. Cependant, il a été révélé lors de l’enquête que l’employeur n’avait pas diffusé l’évaluation ergonomique au comité local de santé et de sécurité pour des raisons de protection des renseignements personnels.

[5]             Le 24 septembre 2012, l’agente de SST Sterling a émis une instruction en vertu du paragraphe 145(1) du Code citant une contravention à l’alinéa 125(1)z.11) du Code. L’instruction se lit comme suit :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 17 août 2012, l’agente de santé et sécurité soussignée a procédé à une enquête relativement à une situation comportant des risques dans le lieu de travail exploité par Affaires étrangères et Commerce international, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et dont l’adresse est le 301 Oxford St. Ouest, bureau 76, London (Ontario), N6H 1S6, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Affaires étrangères (Bureau de Passeport Canada) - London.

Ladite agente de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante du Code canadien du travail, partie II, a été enfreinte :

No. /N° : 1

Alinéa 125(1)z.11) – Code canadien du travail, partie II

Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève : de fournir au comité d’orientation, ainsi qu’au comité local ou au représentant, copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation;

L’employeur n’a pas fourni une copie de l’évaluation ergonomique intégrale, qui a été réalisée en raison de la situation comportant des risques du 2 avril 2012 (à l’exclusion de tout dossier médical dans lequel le consentement de la personne concernée n’a pas été obtenu), au comité local de santé et de sécurité.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code canadien du travail, partie II, de cesser toute contravention au plus tard le 10 octobre 2012.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par l’agent de santé et sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Fait à London, ce 24e jour de septembre 2012.

[signature originale]

Michelle Sterling

Agente de santé et de sécurité

[6]             Une téléconférence pour entendre la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction a eu lieu le 10 octobre 2012, devant l’agent d’appel Pierre Guénette. Une suspension de la mise en œuvre de l’instruction a été accordée le 11 octobre 2012, dont les motifs ont été rendus le 2 novembre 2012. La suspension a été accordée à la condition que l’employeur remette une version caviardée de l’évaluation ergonomique qui exclut toute référence aux renseignements personnels relatifs aux antécédents médicaux de tout employé quel qu’il soit.

Question en litige

[7]             La question sur laquelle je dois me prononcer en l’espèce est de savoir si l’agente de SST Sterling a commis une erreur en émettant une instruction en vertu de l’alinéa 125(1)z.11), compte tenu des circonstances décrites dans ladite instruction.

Observations des parties

Observations de l’appelant

[8]             L’appelant a soutenu que, conformément à l’alinéa 125(1)z.11) du Code, l’employeur doit fournir au comité local de santé et de sécurité (le comité local) une copie de tout rapport sur ​​les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation. Il fait valoir que l’évaluation ergonomique de l’employé n’est pas un rapport ou une évaluation aux fins de l’alinéa 125(1)z.11) ou aux fins de l’application du paragraphe 135(9) du Code.

[9]             L’appelant est d’avis que le Code ne définit pas ce qui constitue un « rapport de l’employeur ». Il cite à cet effet la décision Air Canada et Le Syndicat canadien de la fonction publique, élément Air CanadaFootnote 1  (Air Canada) comme étant une décision de principe quant à savoir si un document est un rapport de l’employeur aux fins de l’application du paragraphe 135(9) du Code. Il a été déterminé dans cette cause qu’un « rapport sur la sécurité aérienne » (RSA), document volontairement dressé par un pilote après un incident ou un événement lié à la sécurité, était un rapport de l’employeur aux fins de l’application du paragraphe 135(9). L’agent d’appel dans la décision Air Canada a tenu compte des facteurs suivants :

a) Les RSA faisaient partie intégrante de la ligne de conduite en matière de rapport d’Air Canada;

b) Le formulaire lui-même a été fourni par Air Canada et affiche son logo;

c) Air Canada a déterminé les éléments que le formulaire comportait et par conséquent le contenu du RSA;

d) Même s’ils ont été déposés sur une base volontaire, les RSA existaient surtout au profit d’Air Canada;

e) La Air Safety Reports Immunity Policy d’Air Canada (ligne de conduite en matière d’immunité des rapports d’Air Canada) incluait explicitement les RSA.

[10]             L’appelant soutient que l’agent d’appel dans cette cause a également constaté que les renseignements contenus dans le RSA « pourraient se révéler très utiles » pour le comité local de sécurité dans l’accomplissement de son mandat de s’assurer que les employés sont informés des « dangers connus ou prévisibles et de participer à l’identification et à la rectification des préoccupations en matière de santé et de sécurité au travail ».

[11]             L’appelant estime, suivant ce raisonnement, que l’évaluation ergonomique de l’employée ne respecte pas les critères établis dans Air Canada:

a) Une évaluation ergonomique ne fait pas partie intégrante de la ligne de conduite en matière de rapport de Passeport Canada traitant de situations dangereuses sur le lieu de travail;

b) L’évaluation ergonomique n’a pas été menée par Passeport Canada. Passeport Canada a embauché un expert-conseil, Workplace Safety and Prevention Services, pour mener cette évaluation;

c) Passeport Canada n’a pas participé à la conception de l’évaluation qui avait pour but de déterminer le contenu de l’évaluation;

d) L’évaluation ergonomique existait surtout au profit de l’employée.

[12]             En outre, l’appelant a soutenu que l’article 125 du Code n’exige pas la production de tous les rapports, mais limite cette obligation aux rapports sur « les risques dans le lieu de travail ». Le but de l’évaluation ergonomique de l’employée n’était pas d’évaluer les risques dans le lieu de travail; son objectif était plutôt d’évaluer l’employée eu égard aux tâches qui lui incombaient et aux limitations physiques qu’il aurait pu avoir à ce moment-là.

[13]             L’appelant a soutenu que, dans le cadre de l’examen de l’alinéa 125(1)z.11) du Code, il est important de noter que cette disposition oblige l’employeur à partager « tout rapport sur les risques dans le lieu de travail », avec non seulement le comité local, mais également avec le comité d’orientation, le cas échéant. Il a ajouté que l’article 134.1 du Code énonce clairement que le comité d’orientation a la responsabilité globale de coordonner l’activité du comité local. De l’avis de l’appelant, il serait difficile d’imaginer que le législateur a voulu que chaque évaluation ergonomique réalisée pour un employé au sein d’une organisation particulière soit communiquée au comité local de celle-ci.

[14]             L’appelant a soutenu que l’évaluation ergonomique de l’employée n’est pas un « rapport » au sens de l’alinéa 125(1)z.11) du Code et, à ce titre, l’appelant n’était pas tenu de communiquer l’évaluation au comité local. D’autre part, il a fait valoir que, même si le Tribunal devait conclure que l’évaluation ergonomique se conforme à la définition d’un rapport « sur les risques dans le lieu de travail », conformément à l’alinéa 125(1)z.11) du Code, il faut examiner quelles parties de ce rapport correspondent à la définition.

[15]             Conformément à l’article 125 du Code, la présentation de rapports au comité local a pour but de s’assurer que ces comités sont informés des dangers qui peuvent exister dans leur lieu de travail.

[16]             L’appelant a soutenu que l’évaluation ergonomique pour l’employée contenait ses renseignements personnels, y compris des renseignements relatifs à son apparence physique, son dossier d’absentéisme, ses antécédents médicaux et des renseignements concernant les mesures d’adaptation liées à son retour au travail. Cela ne constitue pas une « évaluation des risques » ou des « renseignements relatifs aux risques dans le lieu de travail » ou un « rapport sur ​​les risques dans le lieu de travail ».

[17]             Les renseignements personnels de l’employée n’apportent aucun éclaircissement sur l’existence de risques dans le lieu de travail ni ne fournissent d’information susceptible d’aider le comité local à mener une évaluation d’un risque. À ce titre, l’appelant a soutenu que le comité local n’a pas besoin des parties du rapport contenant des renseignements personnels de l’employée pour lui permettre de s’acquitter de son mandat en vertu de l’article 135 du Code.

[18]             Le paragraphe 135(9) du Code définit les limites du droit dont dispose le comité local d’avoir accès à l’information, y compris les rapports, études et analyses :

135(9) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué, a accès sans restriction aux rapports, études et analyses de l’État et de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés, ou aux parties de ces documents concernant la santé et la sécurité des employés, l’accès aux dossiers médicaux étant toutefois subordonné au consentement de l’intéressé.

[19]             Ce paragraphe prévoit, selon l’appelant, que le comité local aura accès aux rapports, aux études et aux analyses de l’État et de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés. Toutefois, si seule une partie du rapport, de l’étude ou de l’analyse concerne la santé et la sécurité des employés, selon cette disposition, le comité local n’aurait accès qu’à cette partie.

[20]             L’appelant a soutenu que l’employeur ne peut être tenu de fournir au comité local que les parties d’un rapport auxquelles le comité aurait le droit d’accéder vertu du paragraphe 135(9). Le législateur ne peut pas avoir eu comme intention d’exiger de l’employeur de fournir au comité local des rapports auxquels celui-ci n’avait pas le droit d’accéder en vertu du paragraphe 135(9).

[21]             De l’avis de l’appelant, si le comité local n’est pas autorisé à accéder aux parties du rapport qui ne se rapportent pas à la santé et à la sécurité des employés, l’employeur ne peut être tenu de fournir ces renseignements. En outre, le rapport qui doit être fourni par l’employeur en vertu de l’alinéa 125(1) z.11) du Code doit être un « rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation ».

[22]             L’appelant a fait valoir que les renseignements personnels de l’employée ne se rapportent pas à la santé et à la sécurité des employés dans le lieu de travail. Les renseignements qui se rapportent à la sécurité des employés, plus précisément les renseignements sur les risques décelés et les recommandations pour remédier à ces risques, ont été remis au comité local. Pour ces motifs, l’appelant demande que l’agent d’appel déclare qu’il n’y a pas eu violation de l’alinéa 125(1)z.11) du Code.

Observations de l’intimée

[23]             L’intimée a commencé en faisant valoir que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) ne peut pas présenter des observations complètes en ce qui concerne le bien-fondé du présent appel sans avoir accès à une version non caviardée du rapport ergonomique. Elle a fait valoir que l’agent d’appel devrait exercer son pouvoir d’ordonner à l’appelant de fournir à l’intimée une copie non caviardée du rapport afin d’assurer que l’intimée est dûment informée de la nature des arguments de l’employeur et qu’elle connaît la preuve contre laquelle elle doit se défendre.

[24]             En outre, l’intimée se réserve le droit de présenter des observations complètes en ce qui concerne la légalité du caviardage jusqu’à ce que l’appelant divulgue l’évaluation non caviardée et que l’intimée ait eu amplement le temps de l’examiner.

[25]             L’intimée a soutenu que la position de l’appelant viole un principe fondamental du système de responsabilité interne. Conformément au paragraphe 135(7) du Code, les membres du comité local de sécurité recueillent des renseignements et les préoccupations des employés en matière de santé et de sécurité du lieu de travail. Ils effectuent également des inspections des lieux de travail et enquêtent sur les plaintes et les accidents. Ils sont responsables du maintien de documents d’archives sur les problèmes de santé et de sécurité dans le lieu de travail, et ils ont des responsabilités en matière de supervision pour mettre en œuvre les modifications et procéder à des inspections mensuelles.

[26]             L’intimée a soutenu que le travail du comité est la clé de voûte d’un système de responsabilité interne, car il constitue le forum approprié pour le règlement des différends dans le domaine de la santé et de la sécurité. Il s’agit d’un système autonome qui n’est pas entravé par les relations de travail ou le traitement des griefs. Elle ajoute que la législation sur la santé et la sécurité est considérée par les tribunaux comme une loi sur le bien-être public et le Code a créé un rôle pour le comité pour faciliter le règlement rapide et efficace des différends.

[27]             De l’avis de l’intimée, pour soutenir le travail du comité, les paragraphes 135(8) et (9) fournissent un accès presque illimité aux renseignements :

135(8) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué, peut exiger de l’employeur les renseignements qu’il juge nécessaires afin de recenser les risques réels ou potentiels que peuvent présenter les matériaux, les méthodes de travail ou l’équipement qui y sont utilisés ou les tâches qui s’y accomplissent.

135(9) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué, a accès sans restriction aux rapports, études et analyses de l’État et de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés, ou aux parties de ces documents concernant la santé et la sécurité des employés, l’accès aux dossiers médicaux étant toutefois subordonné au consentement de l’intéressé.

[28]             L’intimée a soutenu que, selon l’article 135 du Code, la seule restriction qui s’applique au droit à l’information est lorsqu’un employé n’a pas consenti à donner accès à ses dossiers médicaux.

[29]             À cet égard, l’intimée a fait deux observations. Premièrement, l’employée a consenti à la divulgation d’une version non caviardée de son évaluation médicale. Ce consentement a été fourni par l’intimée dans une lettre de l’employée jointe en annexe des observations de l’intimée.

[30]             Deuxièmement, l’intimée n’a pas vu une version non caviardée de l’évaluation. Par conséquent, il ne peut pas déterminer si ce qui a été expurgé constitue un document médical. L’intimée se réserve le droit de présenter des observations supplémentaires sur le contenu de ce document, une fois que la version non caviardée aura été fournie.

[31]             L’intimée a confirmé qu’une évaluation ergonomique n’est pas, en soi, un dossier médical. Elle a affirmé que l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (l’Ordre) prévoit une description claire de ce qui constitue un dossier médical dans sa politique sur la collecte et la conservation des dossiers médicaux. La politique de l’Ordre énonce ce qui suit :

Le dossier médical est un outil puissant qui permet au médecin traitant de suivre les antécédents médicaux du patient et de déceler les problèmes ou les tendances qui peuvent aider à déterminer la meilleure voie à suivre dans la prestation des soins de santé.

Le dossier médical a pour objectif principal de permettre aux médecins de fournir des soins de santé de qualité à leurs patients. Il s’agit d’un document évolutif qui raconte l’histoire du patient et facilite chaque rencontre qu’il a avec les professionnels de la santé qui participent à ses soins.

[…]

L’Ordre s’attend à ce que chaque médecin conserve des dossiers médicaux qui sont compatibles avec ses obligations légales et les attentes énoncées dans la présente politique.

[32]             Selon l’intimée, il est clair que pour qu’un document soit désigné comme étant un dossier médical, il doit être rédigé par un médecin du patient ou un chirurgien. Dans la présente cause, l’auteur de l’évaluation ergonomique n’était pas le médecin ou le chirurgien de l’employée, mais plutôt un expert-conseil de Workplace Safety and Prevention Services.

[33]             L’intimé a soutenu que le Code ne contient aucune disposition législative sur le caviardage des documents fournis au comité local de santé et de sécurité. La seule limitation dans la loi a trait à la production des dossiers médicaux.

[34]             L’intimée souligne que le travail du comité local de santé et de sécurité est de déceler les risques systémiques dans le lieu de travail, d’informer l’employeur au sujet de ces risques, et de formuler des recommandations visant à tenir compte des dangers dans le lieu de travail. À son avis, étant donné que le travail du comité est à ce point fondamental, le refus de dévoiler des renseignements au comité doit être justifié par un texte législatif clair. En d’autres termes, selon elle, ce droit légal n’existe pas. À ce titre, l’intimée a soutenu que les observations de l’appelant concernant l’opinion selon laquelle l’employeur est en droit de supprimer toutes les parties de l’évaluation ergonomique sont dépourvues de fondement selon le Code.

[35]             L’intimée a soutenu que même la Loi sur la protection des renseignements personnels ne justifie pas le caviardage de cette information. Le paragraphe 8(1) et l’alinéa 8(2)b) disposent que :

8(1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;

[36]             L’intimée a affirmé qu’il ressort clairement de cet article de la Loi sur la protection des renseignements personnels que la divulgation de ces renseignements doit être déterminée par la disposition du Code qui a généré le document en premier lieu. Cette disposition se trouve à l’alinéa 125(1)z.11) du Code, qui se lit ainsi :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

z.11) de fournir au comité d’orientation, ainsi qu’au comité local ou au représentant, copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation;

[37]             L’intimée a déclaré qu’il s’agit là de la source pour le comité de son droit à l’évaluation ergonomique en question. Elle a ajouté qu’il n’y a pas de restriction dans cet article à fournir l’intégralité de l’évaluation ergonomique au comité. L’intimée a fait remarquer que même si l’appelant a invoqué, dans sa demande de suspension, des violations de la Loi sur la protection des renseignements personnels comme raison pour accorder la suspension, aucune disposition précise de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’a été citée dans la décision d’accorder la suspension et l’appelant n’a pas soutenu dans ses observations écrites du 7 décembre 2012 qu’il continue d’y avoir des violations de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le cadre de la divulgation de cette information.

Réponse de l’appelant aux observations

[38]             Dans sa réponse, l’appelant a soutenu que l’affirmation de l’intimée selon laquelle elle ne peut pas faire d’observations complètes sur l’appel sans avoir accès à une version non caviardée de l’évaluation ergonomique est non valable et que ses demandes voulant que l’agent d’appel ordonne la production de la version non caviardée de l’évaluation devraient être rejetées.

[39]             L’appelant a fait valoir que l’examen des observations de l’intimée indique une incompréhension fondamentale de la nature du présent appel. Il ne s’agit pas d’un appel interjeté par l’AFPC alléguant une violation du Code par l’employeur. En outre, la question du caviardage des documents fournis au comité local n’est pas en cause dans le présent pourvoi. L’appelant a soutenu, en fait, que le comité local n’a même jamais demandé une copie de l’évaluation en question.

[40]             Au lieu de cela, la présente cause constitue l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de l’instruction émise par l’agente de SST Sterling au motif que l’instruction dépasse le champ d’application de l’alinéa 125(1)z.11) du Code. L’appelant a soutenu que, conformément à cette disposition, les obligations de l’employeur se limitent à fournir des copies des « rapports sur ​​les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation » au comité local.

[41]             Comme elle l’a déclaré dans ses observations initiales, l’appelant a fait valoir que l’évaluation ergonomique ne relève pas du type de rapport visé à l’alinéa 125(1)z.11). Sinon, même si l’évaluation est jugée constituer un tel rapport, les parties de l’évaluation contenant les renseignements médicaux et personnels d’un employé ne répondent pas aux exigences de l’alinéa 125(1)z.11). L’appelant affirme que l’intimée n’a pas besoin de l’évaluation non caviardée pour répondre à ces questions.

[42]             L’appelant est d’avis que la lettre de consentement signée par l’employée et jointe en annexe des observations de l’intimée n’a aucune pertinence pour les questions en appel. Plus précisément, la lettre indique que l’employée consent à la divulgation de l’évaluation ergonomique au Tribunal de santé et sécurité au travail Canada. La lettre ne contient aucune référence à la divulgation de l’évaluation à l’intimée ou au comité local.

[43]             Compte tenu de qui précède, l’appelant a demandé que la demande de l’intimée pour la production de l’évaluation ergonomique non caviardée soit refusée.

[44]             En réponse à l’argument de l’intimée voulant que l’évaluation ergonomique ne soit pas, en soi, un dossier médical, l’appelant a souligné que, dans ses observations initiales, il n’a pas assimilé une évaluation ergonomique à un dossier médical. Il a plutôt fait valoir que si une évaluation ergonomique contient des renseignements médicaux, les parties de l’évaluation contenant les renseignements médicaux et personnels d’un employé ne répondent pas aux exigences de l’alinéa 125(1)z.11. De plus, l’appelant est d’avis que la définition de « dossiers médicaux » fournie par l’intimée n’est aucunement pertinente pour l’interprétation de l’alinéa 125(1)z.11) du Code.

Analyse

[45]             Je dois d’abord commencer mon analyse en déterminant la portée de l’obligation imposée à l’employeur en vertu de l’alinéa 125(1)z.11) du Code. Comme il a été mentionné ci-dessus, cette disposition oblige l’employeur à « fournir au comité d’orientation, ainsi qu’au comité local ou au représentant, copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation ». [Soulignement ajouté]

[46]             Sur cette question, l’appelant a soutenu que l’évaluation ergonomique exigée par l’employeur et préparée par Workplace Safety and Prevention Services ne doit pas être considérée comme un rapport conformément à l’alinéa 125(1)z.11) du Code. Pour étayer son point de vue, l’appelant a renvoyé à la décision Air Canada, où l’agent d’appel a examiné une série de facteurs pour déterminer si un document devrait être considéré comme un rapport.

[47]             Bien que j’estime que les critères utilisés par l’agent d’appel dans la décision Air Canada peuvent être très utiles pour déterminer si un document doit être considéré comme un rapport conformément à l’alinéa 125(1)z.11), je ne crois pas qu’ils soient exhaustifs. La nature d’un document relatif à la santé et la sécurité sur le lieu de travail devrait toujours être évaluée au cas par cas et en fonction du contexte de sa production.

[48]             Néanmoins, même si je suis d’accord avec l’appelant que l’évaluation ergonomique ne fait pas partie intégrante de la ligne de conduite en matière de rapport de l’employeur pour les situations comportant des risques et que l’employeur n’a pas participé à la conception de l’évaluation ou de son contenu, je ne trouve pas pertinent, en l’espèce, que l’évaluation ait été menée par un expert-conseil qui a été engagé, plutôt que par l’employeur directement. Comme il a été clairement mentionné dans le rapport narratif de l’agent de SST Sterling, l’évaluation ergonomique du 18 juin 2012 a été commandée par l’employeur en réponse directe au rapport d’enquête de situation comportant des risques déposé le 2 avril 2012 par un employé. De plus, l’alinéa 125(1)z.11) du Code n’exige pas qu’un rapport soit produit directement par l’employeur pour être assujetti à une divulgation en vertu de cette disposition.

[49]             À mon avis, la nature de l’évaluation ergonomique réalisée le 18 juin 2012 ne doit pas être déterminée en évaluant le document de façon isolée. Au contraire, elle doit être considérée comme une conséquence directe du rapport d’enquête sur une situation comportant des risques déposé par l’employée le 2 avril 2012. Étant donné que le rapport d’enquête sur une situation compotant des risques se qualifie incontestablement, à mon avis, en tant que rapport sur les risques dans le lieu de travail, il va de soi que l’évaluation ergonomique est une évaluation des risques dans le lieu de travail en vertu de l’alinéa 125(1)z.11) du Code, car il a été commandé par l’employeur dans ce but précis.

[50]             En outre, après avoir établi que l’évaluation ergonomique constitue en fait une évaluation des risques dans le lieu de travail en vertu du Code, je dois répondre à la question soulevée par l’appelant quant à savoir quelle partie de l’évaluation doit être divulguée au comité local.

[51]             En vue d’établir la portée d’une disposition particulière de la partie II du Code, il est utile de se tourner vers la disposition de déclaration d’objet énoncée à l’article 122.1 qui se lit comme suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[52]             À mon avis, une interprétation large des dispositions portant sur le partage et la diffusion de renseignements entre les employeurs et les comités locaux de santé et de sécurité, et ce, pour assurer une transparence suffisante pour empêcher toute atteinte à la santé et la sécurité des employés tout en évitant d’empiéter sur le droit à la vie privée des employés, cadre bien avec l’objet de la partie II du Code et de sa disposition de déclaration d’objet.

[53]             Cela étant dit, l’exigence énoncée à l’alinéa 125(1)z.11) du Code ne mentionne aucune exception en ce qui concerne les parties d’un rapport que l’employeur doit fournir au comité. Tout ce qui est mentionné est l’obligation de fournir une « copie » d’un rapport ou d’une évaluation d’un risque dans le lieu de travail, ce qui semble indiquer que le rapport doit être fourni intégralement. Comme il a été mentionné par les deux parties, la seule restriction dans le Code en ce qui concerne la diffusion de renseignements au comité local est indiquée au paragraphe 135(9), où il est précisé que le comité doit avoir accès à toutes les études et analyses relatives à la santé et la sécurité des employés, à l’exception des dossiers médicaux d’une personne, sauf si la personne consent à leur diffusion.

[54]             Sur ce point, le Code n’offre pas de définition de « dossiers médicaux ». Par conséquent, afin de déterminer ce qui constitue en réalité un dossier médical, je dois me reporter à l’interprétation qu’ont faite les tribunaux du concept. L’une des décisions de principe à ce sujet est l’arrêt de la Cour suprême du Canada McInerney c. MacDonaldFootnote 2 , où une patiente a demandé l’accès au contenu de son dossier médical complet. En définissant ce qui constitue un dossier médical, la Cour a conclu qu’en l’absence de législation, un patient peut avoir accès à tous les renseignements figurant dans son dossier médical dont le médecin a tenu compte pour donner des conseils ou prescrire un traitement, y compris les dossiers préparés par d’autres médecins que le médecin traitant pourrait avoir reçus. La Cour a également déclaré que l’accès du patient « ne vise pas les renseignements obtenus en dehors de la relation médecin-patient ». [Soulignement ajouté]

[55]             La position de la Cour dans McInerney indique clairement que l’étendue du contrôle d’un individu sur les renseignements de nature médicale se limite à l’information que le médecin obtient en fournissant un traitement et exclut les renseignements obtenus en dehors de la relation médecin-patient. Bien qu’il soit inévitable qu’une évaluation ergonomique contienne des renseignements relatifs à la santé de la personne concernée, il semble que, à la lumière de l’interprétation de la Cour suprême, ces renseignements ne devraient pas être considérés comme faisant partie du dossier médical de la personne à moins qu’ils soient recueillis par un médecin dans le cadre d’une relation médecin-patient.

[56]             En l’espèce, l’évaluation ergonomique a été réalisée par un expert-conseil/ergonome employé par Workplace Safety and Prevention Services. Bien que cet expert-conseil puisse posséder une expertise dans le domaine de l’ergonomie, cela ne fait pas de lui un médecin avec qui l’employée aurait tiré profit d’une relation médecin-patient. Par conséquent, l’information obtenue par l’expert-conseil pendant l’évaluation ergonomique du 18 juin 2012 ne fait pas partie du dossier médical de l’employée et l’employeur n’est pas tenu d’obtenir le consentement de l’employée en vertu du paragraphe 135(9) du Code afin de fournir l’évaluation au comité local.

[57]             En conclusion, je suis d’accord avec l’intimée que la diffusion de l’évaluation ergonomique en vertu de l’alinéa 125(1)z.11) du Code n’est pas limitée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui indique sans ambiguïté à l’alinéa 8(2)b) que la communication de renseignements personnels est autorisée aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales qui autorisent cette communication.

Décision

[58]             Pour les motifs susmentionnés, je confirme par les présentes l’instruction émise par l’agente de SST Sterling le 24 septembre 2012.

Michael Wiwchar
Agent d’appel

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