2013 TSSTC 21

Référence : Énergie atomique du Canada limitée, 2013 TSSTC 21

Date : 2013-07-24
Dossiers : 2012-04
Rendue à : Ottawa

Entre :

Énergie atomique du Canada limitée, appelante

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité.

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Cheryl A. Edwards, avocate, Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté par Énergie atomique du Canada limitée (EACL) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) contre une instruction émise par l’agente de santé et de sécurité (l’agente de SST) Suzanne Arsenault le 15 décembre 2011. Cette instruction a été émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code parce que l’employeur appelant avait contrevenu à l’alinéa 125(1)l) du Code et au paragraphe 12.7(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement).

[2]             L’instruction affirmait que l’employeur, dans les différents lieux de travail qu’il exploite et donc contrôle, avait omis de se conformer à son obligation de fournir à ses employés le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité règlementaires; toutefois, l’instruction utilise la terminologie plus générale de la législation, soit « à toute personne à qui il permet l’accès du lieu de travail ». Les précisions requises au sujet de l’obligation faisant l’objet du manquement se trouvent au paragraphe 12.7(1) du Règlement, qui se lit comme suit :

Lorsqu’il y a risque de présence, dans le lieu de travail, d’air contenant des substances dangereuses ou d’air à faible teneur en oxygène, l’employeur doit fournir un dispositif de protection des voies respiratoires qui figure dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List publiée le 13 février 1998 par le National Institute for Occupational Safety and HealthFootnote 1, compte tenu de ses modifications successives, et qui protège les voies respiratoires contre ces substances dangereuses ou le manque d’oxygène, selon le cas.

[3]             En se fondant sur le texte présenté ci-dessus ainsi que sur le paragraphe 125(1)l) du Code, on remarque que l’agente de SST Arsenault n’affirme pas dans son instruction que l’employeur avait omis de fournir des dispositifs de protection des voies respiratoires aux personnes à qui il permet l’accès du lieu de travail ni qu’il avait omis de se conformer au paragraphe 12.7(2) du Règlement, qui doit être lu à la lumière du paragraphe 12.7(1) afin de bien comprendre l’obligation du paragraphe 12.7(1) et qui porte sur le choix, l’utilisation, l’entretien et l’ajustement du dispositif de protection des voies respiratoires conformément à la norme Z94.4-M1982 de l’Association canadienne de normalisation (CSA), en sa version modifiée.

[4]             L’agent de SST a simplement décrit de façon concise et précise que la contravention de l’appelante était que [Traduction] « l’employeur a omis de fournir des dispositifs de protection des voies respiratoires qui figurent dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List ». Donc, on peut décrire plus précisément que la contravention vise essentiellement le paragraphe 12.7(1) du Règlement, mais ce paragraphe ne peut être utilisé isolément et il doit être complété par une disposition du Code.

Contexte

[5]             Au moment du dépôt de son appel, le 13 janvier 2012, l’employeur appelant a indiqué au Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) que le dépôt d’un appel contre cette instruction avait été porté à l’attention des coprésidents pour la direction et les employés des comités de santé et de sécurité (au travail) locaux et du comité d’orientation en matière de santé et de sécurité de l’employeur ainsi qu’à l’attention des treize syndicats représentant les employés participant aux travaux de laboratoire d’EACL. Dans les jours qui ont suivi le dépôt de l’appel par EACL, le registraire du Tribunal a communiqué avec tous ces syndicats pour savoir si l’un d’entre eux souhaitait participer à l’audience afin de s’opposer à l’appel d’EACL à titre d’intimé. Aucun n’a mentionné qu’il souhaitait participer à l’audience à titre d’intimé ni n’a fait part de son opposition à cet appel.

[6]             En fait, la preuve présentée à l’audience contient une lettre (E-15) datée du 9 mai 2012 et envoyée au directeur de la santé et de la sécurité au travail d’EACL. Cette lettre est signée par les deux coprésidents du comité d’orientation en matière de santé et de sécurité et elle vient préciser les raisons pour lesquelles aucune partie n’a choisi d’être intimée dans les procédures qui nous occupent. Voici un extrait de cette lettre :

[Traduction] Le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité (le COSS) d’EACL a tenu une réunion par téléconférence le 4 mai 2012 (…). Il a aussi été question des audiences imminentes du Tribunal de la santé et de la sécurité au sujet de l’utilisation chez EACL des appareils respiratoires certifiés par le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH).

(…)

Selon l’information examinée au cours de la réunion, la position du COSS d’EACL au sujet de l’audience imminente du Tribunal de la santé et de la sécurité au sujet de l’utilisation chez EACL des appareils respiratoires certifiés par le NIOSH est la suivante :

a) Le COSS d’EACL accepterait la décision d’un tribunal annulant l’instruction donnée à EACL l’obligeant [Traduction] « à utiliser uniquement des appareils respiratoires qui se trouvent sur la liste d’équipement certifié par le NIOSH ». De plus, le COSS d’EACL appuie les efforts déployés par EACL visant à modifier le paragraphe 12.7 de la partie XII du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail pour permettre de choisir des appareils respiratoires pertinents et reconnus pour l’utilisation prévue.

b) Compte tenu du fait que le NIOSH ne dispose pas de processus de certification pour les appareils respiratoires devant être utilisés contre les dangers associés aux gaz et à la vapeur radiologiques gérés couramment chez EACL, le COSS d’EACL trouverait préoccupante une décision du tribunal obligeant EACL à n’utiliser que les appareils respiratoires certifiés par le NIOSH. De plus, les membres du comité ont noté que les solutions à adduction d’air remplaçant les appareils respiratoires à épuration d’air ne sont pas adaptées aux travaux courants chez EACL et que l’appareil respiratoire à masque « C4 » utilisé chez EACL depuis plusieurs années est pleinement adapté à son utilisation prévue et présente de nombreux avantages de sécurité, notamment un excellent ajustement grâce à la large gamme de tailles offertes.

(…)

L’audience au sujet du présent appel a donc commencé sans intimé. Par conséquent, à l’exception du témoignage de l’agente de SST et de celui d’Eva Karpinski, ingénieure en hygiène industrielle travaillant pour le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), qui a participé à la décision de l’agente de SST d’émettre l’instruction, la décision au sujet de l’appel sera prise uniquement en fonction de la preuve et des observations de l’appelante, bien qu’il constitue un processus de novo.

[7]             Au moment du dépôt de l’appel contre l’instruction de l’agente de SST Arsenault, l’appelante a aussi demandé la suspension de l’application de l’instruction jusqu’à la résolution de l’appel. Pour appuyer cette demande, l’appelante a présenté des arguments qui, de l’avis du soussigné, satisfaisaient les trois volets du critère appliqué par le Tribunal pour étudier une telle demande. En substance, l’appelante a convaincu le soussigné que le présent appel portait sur une question sérieuse qui n’est ni frivole ni vexatoire, qu’elle possède et continuerait de posséder, si la suspension était accordée, des politiques et procédures de protection des voies respiratoires importantes qui empêchent depuis des années les travailleurs de souffrir d’effets nocifs sur la santé grâce aux appareils respiratoires actuellement utilisés, et enfin que, si la suspension n’était pas accordée, l’appelante subirait un préjudice grave si elle devait déployer les efforts et engager les dépenses nécessaires pour remplacer les appareils respiratoires, sans augmentation de la sécurité ou en ajoutant des dangers qui n’existent pas actuellement et qui pourraient compromettre le permis que lui a accordé la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN). Le soussigné a pris en compte les arguments présentés par l’appelante et, le 25 janvier 2012, il a suspendu l’application de l’instruction en attendant la résolution de la question visée par l’appel.

[8]             Au moment du dépôt de l’appel, le registraire du Tribunal a contacté l’agente de SST Arsenault pour qu’elle lui envoie [Traduction] « un exemplaire de [son] rapport et tous les autres documents utilisés et consultés dans le cadre de [son] enquête dans cette affaire (…) ». En réponse à cette demande, l’agente de SST Arsenault a transmis le 16 janvier 2012, uniquement au Tribunal, des communications électroniques (des courriels avec des pièces jointes) envoyées entre le 5 et le 15 décembre 2011, soit la date à laquelle l’instruction visée par l’appel a été émise. La plupart de ces communications étaient entre l’agente de SST Arsenault, l’ingénieure de l’EDSC (Programme du travail) Karpinski, et le personnel du CCSN, principalement Kimberley Campbell, agente principale au programme de réglementation. Il semble que ces communications visaient à préparer une réunion avec le personnel d’EACL devant avoir lieu la veille de la date à laquelle l’instruction a été émise et à laquelle il devait être question de l’utilisation par EACL d’un appareil respiratoire à épuration d’air (masque C4) ne se trouvant pas sur la liste des appareils certifiés par le NIOSH et de la conformité d’EACL au paragraphe 12.7(1) du Règlement.

[9]             Voici ce qu’on peut tirer de ces communications :

[10]             EACL alléguait qu’il n’existait pas d’appareil respiratoire à épuration d’air certifié par le NIOSH pour l’utilisation prévue dans ses lieux de travail permettant de protéger contre le gaz et la vapeur radiologiques.

[11]             L’ingénieure Karpinski avait obtenu et fourni une liste des appareils respiratoires à épuration d’air CBRN (chimique, biologique, radiologique et nucléaire) approuvés par le NIOSH, mais elle ne savait pas et ne pouvait affirmer s’ils fournissaient une protection adéquate contre l’iode, l’iodométhane, l’iode radioactif et d’autres gaz radiologiques, soit le gaz et la vapeur contre lesquels il faut fournir une protection chez EACL. Elle a mentionné que, sans une confirmation de leur suffisance obtenue du service d’approbation du NIOSH ou des fabricants de ces appareils, EACL devrait demander une dispense pour continuer d’utiliser les masques respiratoires C4 qu’elle utilisait depuis des années ou tout autre appareil respiratoire n’ayant pas été approuvé par le NIOSH. Toutefois, on allait plus tard l’informer dans une communication que le Code ne prévoit pas de processus de dispense et que, pour qu’une partie évite de contrevenir à une disposition réglementaire générale comme le paragraphe 12.7(1), alors qu’il est presque impossible de s’y conformer parce qu’il n’existe pas d’appareil respiratoire à épuration d’air certifié par le NIOSH pour le gaz et la vapeur radiologiques, il faut demander une modification de la disposition réglementaire.

[12]             Le personnel de la CCSN (K. Campbell) ne pouvait pas non plus affirmer s’il existait un équipement approuvé par le NIOSH dont EACL pourrait se servir au lieu de ses masques C4 qui n’ont pas été approuvés par le NIOSH pour l’utilisation prévue. Il a exprimé l’opinion qu’il n’incombait pas à la CCSN, mais plutôt à EDSC de communiquer avec le NIOSH afin de préciser cette question. Le courriel du 6 décembre 2011 à l’intention de l’ingénieure Karpinski est assez instructif à ce sujet :

[Traduction] « Je suis assez préoccupée par le fait que EDSC pourrait demander à EACL de cesser d’utiliser les masques C4 parce qu’ils ne se trouvent pas sur la liste de l’équipement approuvé par le NIOSH alors que nous ne comprenons pas entièrement s’il existe des appareils approuvés par le NIOSH sur le marché qu’EACL pourrait utiliser pour protéger ses travailleurs contre l’iode radioactif ou les gaz radiologiques. Je reconnais et comprends que le Code exige que les institutions sous réglementation fédérale utilisent l’équipement approuvé par le NIOSH, mais nous devons indiquer clairement s’il existe une autre solution dont elles peuvent se servir pour être conformes ou indiquer clairement s’il n’y en a pas et si EACL doit donc demander une dispense.

De plus, je ne crois pas qu’il incombe au CCSN de communiquer avec le NIOSH pour obtenir cette information. Puisque la protection des voies respiratoires relève de la compétence de EDSC, je crois qu’il incombe à EDSC de vérifier cette information avant notre rencontre avec EACL, le 14. Je sais qu’EACL (R. Kwan) sera prête à défendre l’utilisation des masques C4. EACL a écrit une lettre à la CCSN indiquant que la liste du NIOSH ne contient pas d’équipement approuvé pour la protection des voies respiratoires contre l’iode radioactif ou les gaz radiologiques. EACL continue donc d’utiliser les masques C4 pour protéger les personnes se trouvant dans l’environnement de travail d’EACL contre ce type de danger. »

[13]             L’ingénieure Karpinski n’a pas reconnu qu’EDSC devait vérifier cette information, mais elle a indiqué qu’il incombait à EACL, par l’entremise de son représentant qualifié (R. Kwan) dans le cadre du processus de sélection, de procéder à cette vérification et que, [Traduction] « sur le plan juridique », EACL avait omis de communiquer à EDSC qu’il n’existait pas d’appareil respiratoire approuvé par le NIOSH pour son utilisation prévue.

[14]             Dans une communication datée du 8 décembre 2011 à l’agente de SST Arsenault, l’ingénieure Karpinski a fait un commentaire surprenant voulant qu’EACL n’avait pas à démontrer à EDSC qu’il n’existait pas d’appareil respiratoire approuvé par le NIOSH contre les gaz radioactifs, puisque le simple fait qu’elle utilisait des appareils respiratoires non certifiés par le NIOSH alors que le Règlement exigeait qu’elle utilise des appareils certifiés justifiait l’émission de l’instruction et que, si EACL avait raison et qu’il n’existait pas d’appareil respiratoire pour son utilisation prévue, elle pouvait simplement interjeter appel de l’instruction. Elle a également commenté que, si EACL s’était prévalue du processus d’examen réglementaire d’EDSC en vigueur, elle ne se trouverait pas dans cette situation difficile. Encore une fois, la formulation est assez instructive :

[Traduction] « À ce stade-ci, elle n’a même pas à nous donner la preuve qu’il n’existe pas d’appareil respiratoire approuvé par le NIOSH pour protéger contre les gaz radioactifs. Les instructions doivent être émises en fonction du fait qu’elle utilise des appareils respiratoires qui ne sont pas approuvés par le NIOSH. Ce qui me fâche, c’est que, s’ils avaient porté la question à notre attention pendant notre récente révision de la partie XII, comme l’a fait le MDN ou la GRC, nous aurions pu modifier notre règlement pour tenir compte de cette question. Autrement, cela devient très difficile puisque, si je comprends bien, il n’existe aucun mécanisme en vertu de la partie II du Code canadien du travail qui permet à notre service d’accorder une dispense des exigences du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail au sujet des appareils de protection des voies respiratoires. Bien sûr, le Règlement permettant l’utilisation des appareils de protection des voies respiratoires permis, en général ou visant le personnel civil, pourrait être modifié en vertu du paragraphe 157(4) du Code, qui permet l’application des règlements en général, à des catégories d’emploi ou à des lieux de travail. Dans le cas qui nous occupe, l’employeur devrait porter la question à l’attention du comité d’examen réglementaire par l’entremise du représentant du Conseil du Trésor.

S’il n’existe pas d’appareil respiratoire approuvé par le NIOSH contre les gaz radioactifs en question, ils devront interjeter appel de notre instruction au sujet de l’utilisation des masques C4. Par la suite, la recherche complète devra être effectuée et, s’il n’existe aucun appareil approuvé par le NIOSH équivalent au masque C4, ils devront chercher un permis qui leur permet de l’utiliser. »

[…]

[15]             Il faut noter ici qu’il existe un processus d’examen réglementaire (le comité d’examen réglementaire) au sein d’EDSC au sujet des règlements pris en application de la partie II du Code et que ce processus est pertinent aux commentaires présentés précédemment au sujet du fait qu’EACL ne s’est pas prévalue de ce processus afin d’éviter d’être jugée non conforme au Règlement au sujet de l’utilisation d’appareils respiratoires non approuvés par le NIOSH. La preuve à ce sujet a été présentée par EACL, sous forme d’affidavit signé le 23 mars 2012 par Julie-Anne Claudine Lise Cardinal, avocate-salariée de Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL. Cet affidavit affirme que les 1er et 8 mars 2012 EACL a été informée par l’intermédiaire de son avocat qu’un processus d’examen réglementaire était en cours depuis deux ans évaluant la possibilité de modifier la partie XII du Règlement, qui contient le paragraphe 12.7(1). Il mentionne également qu’aucun avis officiel n’avait été envoyé aux employeurs pour les informer de l’existence du comité d’examen réglementaire, de ses efforts ou du fait qu’EDSC envisageait une modification de la partie XII du Règlement. EDSC n’aurait donné cette information qu’à ETCOF (l’association Employeurs des transports et communications de régie fédérale) et il s’attendait à ce que l’association avise ses membres employeurs, dont EACL ne fait pas partie, de la possibilité que des modifications soient apportées.

[16]             La preuve indique donc, grâce à cet affidavit, qu’EACL n’a pas été informée du processus d’examen réglementaire ni de l’existence et des activités du comité d’examen réglementaire. De plus, dans cette même preuve, il est établi qu’EACL a depuis réussi à faire rouvrir le processus d’examen du comité, qui était achevé, pour permettre à EACL de présenter des observations au sujet des ajustements au paragraphe 12.7(1) du Règlement dont elle a besoin afin qu’il tienne compte du fait qu’EACL ne peut se conformer à cette disposition, soit la question au cœur du présent appel. L’analyste des politiques de l’unité sur les politiques de santé et de sécurité au travail d’EDSC (S. Kendall), a reconnu qu’il était au courant de la situation d’EACL relativement au paragraphe 12.7(1). De plus, au cours du processus précédent la présente affaire, le comité avait spécifiquement demandé à EDSC si l’exigence au sujet de la certification du NIOSH au paragraphe 12.7(1) continuait de s’appliquer à tous les lieux de travail au Canada et s’il y avait des cas où cette certification posait problème. Selon cette même preuve, il semblerait qu’un seul cas ait été porté à l’attention du comité par EDSC. Il s’agissait de l’impossibilité d’utiliser les appareils respiratoires certifiés par le NIOSH lorsqu’il y a émission dans l’air de produits chimiques, biologiques, radioactifs ou nucléaires dans une zone de guerre et en cas d’attaque terroriste. Le comité avait alors proposé les modifications nécessaires à l’article 12.7 du Règlement.

[17]             Parmi les communications entre l’agente de SST, l’ingénieure Karpinski et le personnel de la CCSN se trouve un courriel envoyé à l’agente de SST Arsenault par l’ingénieure Karpinski le 12 décembre 2011, soit 3 jours avant l’émission de l’instruction, indiquant que, contrairement à la position d’EACL, il existait un appareil respiratoire approuvé par le NIOSH qui pouvait protéger contre l’iode et l’iodométhane. Le courriel mentionnait également que l’ingénieure Karpinski avait [Traduction] « apporté certains ajustements à la formulation du règlement à venir qui seront envoyés aux rédacteurs pour que le règlement futur sur la protection des voies respiratoires (“possiblement en vigueur en 2013”) couvre EACL. » Il est possiblement question du processus alors clos du comité d’examen réglementaire, dont EACL n’avait pas connaissance et auquel elle a pu présenter des observations peu après l’émission de l’instruction, comme il est mentionné précédemment.

[18]             Ce courriel concluait toutefois que l’agente de SST Arsenault allait néanmoins [Traduction] « devoir émettre une ou des instructions puisqu’elle ne respecte pas le règlement actuel (…) ». Cette communication est particulièrement importante puisqu’elle précède une autre (en date du 14 décembre 2011) du fabricant (MSA) de l’appareil respiratoire que l’ingénieure Karpinski a décrit dans son courriel à l’agente de SST comme un appareil approuvé par le NIOSH contre la vapeur et les matières particulaires organiques comme l’iodométhane. Le courriel du fabricant affirme : [Traduction] « Les doubles cartouches MSA GMI-P100 sont approuvées par le NIOSH contre la vapeur et les matières particulaires organiques et sont efficaces contre l’iodométhane. De même, la boîte filtrante pour mentonnière industrielle Organic Vapor/P100 est approuvée par le NIOSH pour les appareils OV/P100 et est efficace contre l’iodométhane. Nous ne recommandons pas l’utilisation des boîtes filtrantes MSA CBRN pour une protection contre l’iodométhane. » Cela ne constitue pas une approbation par le NIOSH.

[19]             Le commentaire de l’ingénieure Karpinski à l’agente de SST Arsenault affirmant qu’elle avait appris l’existence d’un appareil respiratoire approuvé par le NIOSH renvoie possiblement à une communication de Simon Smith, représentant de la société 3M Canada, qui semble avoir été interprétée par l’ingénieure Karpinski comme une preuve de l’existence d’un tel appareil respiratoire. Compte tenu de son importance, cette communication est reproduite en grande partie ci-après. Une lecture attentive permet toutefois d’en venir à une autre conclusion que celle à laquelle est venue l’ingénieure Karpinski. Bien qu’elle indique que 3M offre un appareil composé d’une pièce faciale et d’un filtre pouvant avoir été approuvé par le NIOSH, cette approbation ne vise que les gaz autres que l’iode radioactif et l’iodométhane, même si le filtre peut offrir une protection contre ces gaz :

[Traduction] 3M fabrique un certain nombre de systèmes de protection des voies respiratoires qui sont approuvés par le NIOSH pour les gaz industriels ou pour la gamme de normes « CBRN ». Bien qu’il n’existe pas de tests pour obtenir une approbation du NIOSH contre l’iode radioactif et l’iodométhane, nous avons effectué des essais à l’interne afin de vérifier le rendement de certains de nos produits CBRN et industriels et nous pouvons confirmer la capacité du filtre. (…)

Nous n’avons pas connaissance que l’approbation par le NIOSH d’un système intégrant le masque C4 (pièce faciale) a été demandée indépendamment par une autre société. Il semble donc qu’il n’existe pas de système d’appareil respiratoire intégrant le masque C4 dont on peut affirmer qu’il est approuvé par le NIOSH.

Quant aux solutions :

Si l’approbation du NIOSH est obligatoire : Vous pourriez utiliser un appareil composé d’une pièce faciale et d’un filtre 3M approuvé par le NIOSH avec un filtre approuvé pour d’autres gaz, mais qui retire également l’iode radioactif et l’iodométhane. Les systèmes intégrant le filtre 60928 (masque complet avec doubles cartouches) ou un de nos systèmes CBRN « FR » ou « RBE » CBRN offrent une telle protection. (…)

À titre de solution, il peut être démontré en comparant les spécifications et les données sur le rendement du masque C4 aux exigences du NIOSH que le rendement du masque C4 dépasse les exigences de NIOSH visant les appareils respiratoires dans la plupart des domaines importants. Grâce à la formule du charbon utilisé dans la boîte filtrante C7A, nous savons qu’elle peut retirer l’iode radioactif et l’iodométhane. Cette information peut donc être donnée aux groupes d’utilisateurs afin de démontrer la capacité du masque C4/C7A pour cette utilisation, sans l’approbation officielle du NIOSH.

[20]             Les témoignages de l’agente de SST Arsenault et de l’ingénieure Karpinski à l’audience ont confirmé en grande partie l’information constituant le contexte pouvant être tirée des diverses communications mentionnées précédemment. L’agente de SST Arsenault a confirmé que, lorsqu’elle a commencé à travailler sur le dossier, elle a communiqué avec EACL et a rencontré son directeur de la santé et de la sécurité au travail (R. Belair) et les membres du comité de santé et de sécurité après une discussion téléphonique avec K. Campbell de la CCSN au sujet de l’utilisation par EACL d’appareils respiratoires à épuration d’air à masque C4 qui n’étaient pas approuvés ni certifiés par le NIOSH. Son objectif était surtout de connaître les recherches qui avaient été effectuées par EACL au sujet de l’existence d’appareils respiratoires approuvés par le NIOSH avant d’adopter les appareils non approuvés.

[21]             Elle a aussi affirmé que, puisqu’elle ne connaissait pas ce domaine, elle était accompagnée, assistée et conseillée pendant le processus dans toutes les réunions et les communications par l’ingénieure Karpinski, qu’elle a décrite comme une experte au sujet des appareils respiratoires. Ces réunions et communications visaient principalement à établir l’existence de tels appareils respiratoires et à préparer la réunion avec EACL devant avoir lieu le 14 décembre 2011, dont l’objectif principal était d’obtenir de la société la preuve de la recherche qu’elle aurait effectuée et la justification de sa décision d’utiliser des appareils respiratoires non certifiés par le NIOSH.

[22]             Au sujet des divers échanges par courriel entre elle, l’ingénieure Karpinski et K. Campbell, l’agente de SST Arsenault a reconnu qu’elles ne savaient pas s’il existait un appareil respiratoire certifié par le NIOSH pouvant répondre aux besoins d’EACL, mais qu’il n’incombait pas à elle ni à l’ingénieure Karpinski d’établir l’existence d’un tel appareil. Cela explique pourquoi elle avait demandé à EACL de rassembler l’information provenant de NIOSH au sujet de la certification des appareils respiratoires et de prouver les efforts qu’EACL avait déployés pour savoir s’il existait des appareils respiratoires pouvant répondre aux exigences du paragraphe 12.7(1) du Règlement.

[23]             L’ingénieure Karpinski l’avait informée le 12 décembre 2011 qu’elle avait obtenu de l’information du fabricant 3M au sujet de l’existence d’un tel système de protection des voies respiratoires, que l’expéditeur qualifiait d’efficace. L’agente de SST Arsenault a confirmé que le procès-verbal de la réunion du 14 décembre 2011 avec EACL (E-3) rendait bien compte des discussions qui ont eu lieu. EACL continuait de soutenir qu’il n’existait pas d’appareil respiratoire approuvé par le NIOSH pour les conditions particulières sur son lieu de travail, puisque [Traduction] « les appareils respiratoires se trouvant sur la liste d’équipement approuvé par le NIOSH protègent contre les matières particulaires radioactives, mais aucun n’est approuvé pour la vapeur et les gaz (radiologiques) ».

[24]             EACL a encore une fois affirmé qu’elle avait reçu en 1977 une dispense de l’obligation d’utiliser les appareils respiratoires approuvés par le NIOSH, mais ni EACL ni la CCSN n’a pu trouver cette lettre. L’agente de SST Arsenault a mentionné à la réunion qu’elle vérifierait les archives d’EDSC pour trouver cette lettre de dispense. EACL a été informée par l’ingénieure Karpinski de la communication du fabricant 3M affirmant qu’il existait un tel système respiratoire et EACL devait communiquer avec le fabricant et avec d’autres fabricants d’appareils respiratoires pour vérifier s’il existait une approbation du NIOSH qui répondrait aux besoins spéciaux de EACL. Toutefois, l’agente de SST Arsenault avait compris que l’ingénieure Karpinski suggérait à EACL d’utiliser un système respiratoire jugé efficace (même sans approbation du NIOSH) alors qu’EACL croyait qu’elle ne pouvait pas le faire sans approbation du NIOSH.

[25]             À la réunion, il a été question du processus grâce auquel EACL pouvait informer les autorités pertinentes de ses préoccupations au sujet du fait qu’elle ne pouvait pas répondre aux exigences du Code et l’agente de SST a mentionné à l’appelante qu’elle devait envoyer une lettre officielle à EDSC avant le 23 janvier 2012 mentionnant le fait qu’il n’existait pas d’appareil respiratoire approuvé par le NIOSH répondant à ses besoins spéciaux et qu’elle avait donc besoin d’utiliser des appareils respiratoires non approuvés. EACL devait joindre cette lettre et la preuve reçue des fabricants à ce sujet.

[26]             Le directeur de la santé et de la sécurité au travail d’EACL s’est engagé à envoyer cette lettre à EDSC avant la date mentionnée, mais l’agente de SST a émis l’instruction faisant l’objet du présent examen à EACL le 15 décembre 2011. De plus, l’agente de SST Arsenault a mentionné que la décision d’émettre l’instruction était uniquement la sienne, bien que ses divers échanges avec l’ingénieure Karpinski avant le 15 décembre 2011 parlaient à plusieurs reprises d’une instruction à venir.

[27]             L’ingénieure Karpinski, qui travaille pour EDSC, est titulaire d’une maîtrise en génie chimique de l’École polytechnique de Wroclaw (Pologne) et est hygiéniste industrielle agréée par l’Institut de médecine du travail de Lublin (Pologne). Elle a également effectué le programme de certificat en santé et sécurité au travail de l’Université du Manitoba et est membre de l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario depuis 1991. Elle est aussi membre de divers comités techniques de la CSA, notamment parmi les plus importants pour l’affaire qui nous occupe, les comités sur la norme Z94.4 (Choix, utilisation et entretien des appareils de protection respiratoire), Z180.1 (Air comprimé respirable et systèmes connexes) et Z1610 (Protection des premiers intervenants en cas d’incidents chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN)).

[28]             Bien que personne n’ait cherché à obtenir le statut d’expert pour ce témoin à l’audience, le soussigné reconnaît qu’elle possède des connaissances importantes et une grande expérience sur l’objet de la présente affaire. Elle a témoigné qu’elle conseillait souvent des dirigeants en matière de santé et de sécurité au sujet de l’application des normes de protection respiratoire susmentionnées et qu’elle avait participé au processus d’examen réglementaire à propos de la partie XII du Règlement qui s’applique entre autres à la protection des voies respiratoires. Afin de fournir son aide, elle a offert d’effectuer une recherche sur les systèmes de protection respiratoire ayant reçu la certification du NIOSH. Elle était au courant du fait que le NIOSH avait accordé sa certification à un certain nombre de systèmes respiratoires CBRN et que la liste de ces appareils, qui avait été dressée au départ en 1970, avait depuis été allongée. Compte tenu de la position d’EACL, elle voulait savoir si l’appelante avait revu cette liste récemment et si, dans les années 1970, EACL avait suivi un processus pour choisir ces appareils respiratoires. Elle n’a pu trouver de documentation prouvant qu’un tel processus avait été suivi ni des efforts récents visant à tenter de satisfaire aux exigences du Règlement.

[29]             Puisqu’il n’est pas possible d’obtenir une dispense en vertu du Code, EACL ne pouvait éviter d’avoir à respecter l’exigence de certification du NIOSH qu’à l’aide d’une modification de la réglementation. Le masque C4 utilisé par EACL dans ses systèmes et ses appareils respiratoires à épuration d’air n’est pas un équipement certifié par le NIOSH. EACL le savait et, lorsque l’agente de SST a été informée du fait que le masque C4 n’était pas certifié, elle n’a eu d’autre choix que d’émettre l’instruction en question, de l’avis de l’ingénieure Karpinski. Elle avait communiqué avec un certain nombre de fabricants et avait trouvé qu’au moins deux d’entre eux, 3M et MSA, offraient des systèmes de protection des voies respiratoires qui répondaient efficacement aux exigences d’EACL, même s’ils n’étaient pas certifiés par le NIOSH.

[30]             Pour ce qui est de la réunion du 14 décembre 2011 chez EACL à laquelle elle a assisté avec l’agente de SST, l’ingénieure Karpinski s’attendait à y recevoir la preuve qu’il n’existait pas d’approbation de NIOSH pour les masques C4 et la boîte filtrante C2A1 utilisés dans les appareils ou systèmes respiratoires à épuration d’air utilisés chez EACL. Toutefois, elles n’ont pas reçu de documentation établissant qu’EACL avait suivi un processus relatif au choix, mais elle a reconnu qu’il était possible que personne n’ait demandé à l’appelante de fournir la documentation à ce sujet.

[31]             Alors que certains systèmes respiratoires, comme ceux de 3M et de MSA, peuvent être considérés comme efficaces pour l’utilisation prévue d’EACL, l’ingénieure Karpinski a confirmé que le NIOSH ne certifie pas les appareils respiratoires CBRN protégeant contre le gaz et la vapeur radiologiques. Elle a également confirmé que le processus d’examen réglementaire portant sur la partie XII durait depuis deux ans, qu’ils étaient encore loin de le terminer à ce moment et qu’aucune publicité n’avait été faite au sujet de ce processus. Lorsqu’elle a été informée que l’appelante allait convoquer Mme Eva Frances Gudgin Dickson, Ph D. du Département de Chimie et génie chimique du Collège militaire royal du Canada à titre de témoin expert sur la question, l’ingénieure Karpinski a reconnu l’expertise du témoin.

[32]             Cela étant dit, et compte tenu du fait que ce qui précède représente généralement la portée de l’information pouvant être tirée de la documentation fournie au soussigné par l’agente de SST Arsenault, l’appelante a fourni à l’agent d’appel beaucoup d’information pouvant aussi être considérée comme de l’information sur le contexte. Bien que cette information ait été donnée par écrit, ne soit pas contestée puisqu’il n’y a pas d’intimé et fasse partie du dossier, et qu’il ne soit pas nécessaire de la revoir en entier, il y a tout de même certains éléments qui doivent être mentionnés pour mieux comprendre la question.

[33]             EACL est un laboratoire de science et de technologie nucléaires qui élabore des applications pacifiques et innovatrices de la technologie nucléaire grâce à son expertise en physique, en métallurgie, en chimie, en biologie et en ingénierie. Elle constitue le plus grand laboratoire de science et de technologie nucléaires du Canada depuis plus de 50 ans. À ce titre, elle compte plus de 3 100 travailleurs, dont 700 scientifiques et ingénieurs, dans deux installations où sont utilisés environ 3 000 appareils respiratoires à épuration d’air du type ayant donné lieu à l’instruction qui nous occupe. La première de ces installations, et probablement celle qui est visée par l’instruction, est celle des laboratoires de Chalk River (LCR) situés à Chalk River, en Ontario. Le site compte plus de 100 immeubles. Les activités exercées à LCR incluent la production d’isotopes, la fabrication de carburant et la recherche et développement à ce sujet, le traitement du tritium et la gestion et le traitement des déchets. Il compte deux réacteurs nucléaires et de nombreux laboratoires « radioactifs ».

[34]             Le second site pouvant être touché par la décision prise au sujet du présent appel est le site similaire à LCR, celui des laboratoires de Whiteshell. Cette installation est située à 100 km au nord-est de Winnipeg, au Manitoba. Elle a été utilisée de 1961 à 1997, mais elle est actuellement déclassée, processus qui devrait prendre plusieurs décennies. EACL compte 400 travailleurs sur ce site.

[35]             EACL est titulaire d’un permis de la CCSN, qui régit l’utilisation de l’énergie et des matières nucléaires au Canada en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires (L.C. 1997, ch. 9). À titre d’autorité de réglementation du nucléaire au Canada, la CCSN octroie des permis d’exploitation aux sociétés et installations comme EACL et elle effectue des inspections en matière de sécurité afin de veiller à la conformité aux lois et règlements fédéraux applicables. Le personnel de la CCSN surveille le programme de santé et de sécurité à LCR, mais l’administration et l’application de la sécurité sont laissées aux autorités pertinentes en matière de santé et de sécurité au travail. EACL doit se conformer en tout temps à son permis et à la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et aux règlements pris en application de cette loi.

[36]             Il existe un certain nombre de contaminants qui peuvent créer des risques touchant les voies respiratoires ou d’autres risques pour les travailleurs d’EACL; les plus importants sont les contaminants radiologiques. Les matières nucléaires utilisées dans les activités d’EACL sont radioactives. Lorsqu’elles se retrouvent dans l’air, elles peuvent poser un danger considérable aux voies respiratoires du personnel. Les matières nucléaires comprennent l’uranium, les produits d’activation neutronique et le produit de la fission de l’uranium et du plutonium. L’iode radioactif et le tritium ou la vapeur d’eau tritiée font aussi partie des grands dangers pour les voies respiratoires pendant les opérations courantes dans l’environnement nucléaire des laboratoires d’EACL. Dans le cadre de l’évaluation des dangers aux fins de la protection des voies respiratoires, l’iode radioactif est présumé présent dans l’environnement nucléaire.

[37]             Un certain nombre de programmes sont en vigueur chez EACL visant à contrôler les dangers pour les voies respiratoires et à prévenir l’exposition des personnes aux dangers CBRN. On n’utilise pas automatiquement les appareils respiratoires pour assurer leur protection. D’abord, lorsque cela est possible, on contrôle les dangers pour les voies respiratoires à la source, par la conception et les méthodes d’ingénierie, comme l’isolation de certaines activités dangereuses dans les locaux et l’installation de la ventilation de tirage ou par dilution. Toutefois, lorsque les mesures d’ingénierie ne sont pas pratiques ou peuvent manquer d’efficacité, on utilise les appareils respiratoires.

[38]             EACL possède d’importantes procédures de protection applicables à toutes les activités dans les installations nucléaires. Les procédures contiennent des pratiques, des processus et des procédures, y compris des procédures opérationnelles normalisées offrant des instructions sur l’utilisation des appareils respiratoires, des processus de surveillance de l’environnement de travail et d’évaluation des dangers pour les voies respiratoires auxquels les travailleurs peuvent être exposés, des méthodes d’essai d’ajustement, des détails sur la fréquence de la formation et son contenu, des processus d’inspection, d’essai, d’entretien et de réparation de l’équipement respiratoire et une liste détaillée des appareils respiratoires approuvés par EACL. Les employés subissent des examens médicaux, des essais d’ajustement et une formation complète avant d’utiliser les appareils respiratoires. Tous les douze mois, de nouveaux essais d’ajustement sont effectués pour tous les employés qui doivent bénéficier de la protection des voies respiratoires et de nouvelles instructions et formations leur sont données. Ces employés ne doivent utiliser que les appareils respiratoires se trouvant sur la liste des appareils approuvés par EACL et ils doivent suivre les instructions fournies au sujet de leur utilisation et des restrictions. De nombreux critères guident le choix d’appareils respiratoires convenables et adéquats. Ces critères portent sur la nature des tâches accomplies, l’emplacement de l’employé dans l’environnement de laboratoire, le type et la concentration des substances radiologiques dangereuses dans l’air auxquelles la personne peut être exposée ainsi que la durée et la fréquence des tâches accomplies, l’accessibilité de l’équipement respiratoire dans les espaces clos et des facteurs ergonomiques comme la capacité d’un travailleur d’effectuer des tâches en utilisant un certain type d’appareil respiratoire et le poids de l’appareil au cours de la journée de travail.

[39]             Deux types généraux d’appareils respiratoires sont utilisés dans l’environnement nucléaire d’EACL. Le premier type contient les appareils respiratoires à adduction d’air, qui comprennent les appareils de protection respiratoire autonomes (APRA) avec réservoir d’adduction d’air indépendant et les appareils de protection respiratoire à adduction d’air avec conduit d’air fixe et systèmes de conduits. L’autre type contient les appareils respiratoires à épuration d’air, qui filtrent les matières particulaires ou peuvent absorber le gaz et la vapeur, ou les deux. En général, les appareils respiratoires à épuration d’air sont choisis pour les tâches où l’adduction d’air n’est pas possible ou pour les activités qui exigent une grande mobilité. Les appareils respiratoires à épuration d’air sont choisis pour de nombreuses activités, particulièrement pour les activités de transfert et la manipulation des matières nucléaires d’un endroit à un autre dans les installations ou d’une installation à une autre dans l’environnement nucléaire, y compris les zones de gestion des déchets.

[40]             Les appareils respiratoires à adduction d’air offrent une protection contre les contaminants radiologiques et ils sont utilisés automatiquement lorsque l’adduction d’air est possible sur le lieu de travail. Leur utilisation exige de la planification et l’installation de collecteur de ventilation pour l’adduction d’air et des systèmes de conduits de distribution. Ils sont pertinents lorsque les activités sont effectuées à un seul endroit, puisque les conduits d’air limitent la mobilité. Le choix de ces appareils respiratoires à adduction d’air est également limité aux activités effectuées à un seul endroit en raison du risque de chute causée par les longs tuyaux d’adduction d’air, le bruit et les problèmes ergonomiques associés à l’utilisation continue de ces appareils. Il existe aussi un plus grand risque de contamination de l’employé en cas de perte soudaine d’air. Les APRA sont utilisés pour certaines activités précises, surtout en cas d’urgence ou d’activité inhabituelle, compte tenu de la quantité limitée d’air dans les bouteilles de ces appareils et la demande physique associée au port de l’équipement APRA lourd.

[41]             L’appelante a choisi une gamme d’appareils respiratoires à épuration d’air pour des activités particulières dans les zones où il y a du gaz et de la vapeur radiologiques dans l’air. Parmi ces appareils, on note dans la liste de l’équipement fournie par l’agente de SST Arsenault qu’elle et l’ingénieure Karpinski se sont opposées à un type particulier d’appareil respiratoire à épuration d’air choisi par l’appelante. Ce système respiratoire se compose d’un masque d’armée C4 ou d’une pièce faciale équipée d’une boîte filtrante 3M C2A1, le tout étant appelé le « masque d’armée C4 ». À partir de la description fournie par l’appelante, le masque d’armée C4 est utilisé dans un certain nombre d’activités où le risque radiologique est décrit comme élevé ou potentiellement élevé; une protection des yeux et du visage est alors requise. Il s’agit d’un système respiratoire à épuration d’air à pièce faciale complète qui protège les yeux contre le rayonnement bêta, les yeux et le visage contre les contaminants nucléaires, et les voies respiratoires contre les dangers associés aux matières particulaires radiologiques et contre les dangers radiologiques sous forme de vapeur ou de gaz.

[42]             Le masque C4 a été choisi dans les années 1990 puisqu’il est efficace contre plusieurs aspects des risques radiologiques potentiels à plus haut niveau auxquels sont exposés les travailleurs d’EACL et il est utilisé depuis ce temps. Il constitue l’appareil respiratoire privilégié pour certaines activités de l’appelante, puisqu’on considère qu’il offre la protection la plus pertinente et le meilleur facteur de protection approuvé parmi les appareils respiratoires à épuration d’air connus et examinés et qu’il est testé selon les normes militaires, qui sont plus strictes pour cette concentration élevée d’agents d’essai que celles du NIOSH. À titre de précision, le masque C4 contient du charbon actif imprégné de triéthylènediamine (TEDA). Il est reconnu comme ayant la plus haute teneur de TEDA et aucun carcinogène et il possède un fort boîtier de métal. L’appelante reconnaît bien que le masque C4 n’est pas certifié par le NIOSH pour la protection contre le gaz et la vapeur radiologiques et nucléaires. Les documents présentés par l’agente de SST Arsenault ne présentent pas de préoccupation ni de problème de sécurité connu ou perçu relativement à l’appareil respiratoire C4, mis à part le fait qu’il n’est pas certifié par le NIOSH et qu’il doit donc être remplacé.

[43]             Deux autres types d’appareils ou systèmes respiratoires à épuration d’air sont utilisés chez EACL. Les documents de l’agente de SST Arsenault n’indiquent pas que ces appareils et systèmes ont attiré l’attention de l’agent de SST ou de l’ingénieure Karpinski. Il est néanmoins important de les décrire ici.

[44]             Le premier est une pièce faciale ou un masque de MSA équipé de cartouches de tritium fabriquées par Unitec Services Group. Il est utilisé lorsque le niveau de concentration dans l’air du tritium est jugé faible et plus particulièrement lorsqu’une protection respiratoire est exigée afin de protéger contre le tritium et la vapeur d’eau tritiée. Ce respirateur avec boîte filtrante de tritium n’est utilisé que dans les zones de manutention du combustible nucléaire lorsque le niveau de tritium dans l’atmosphère est faible à long terme parce l’eau légère dans la piscine de désactivation du combustible est contaminée par le tritium. Ce système respiratoire particulier comporte une pièce faciale approuvée par le NIOSH et des boîtes filtrantes qui ne sont pas certifiées par le NIOSH, ce qui fait que cette combinaison n’est pas certifiée par le NIOSH. Il est utilisé chez EACL depuis quatre ans, puisqu’il offre la protection la plus pertinente contre les risques associés aux atmosphères de tritium.

[45]             L’autre type comporte une pièce faciale de MSA ou un masque équipé de deux cartouches GM1-P100 fabriquées par MSA. Il est utilisé dans les activités de laboratoire nucléaire d’EACL. Il est également utilisé pour des activités particulières, comme des essais où on retrouve ou pourrait retrouver des matières particulaires et de l’iode radioactif dans le réacteur de recherche nucléaire et de production d’isotopes, dans les zones extérieures de gestion des déchets, dans le centre de traitement des déchets, au cours de l’examen d’assemblage de combustible nucléaire, au cours des activités de déclassement ainsi que les activités de recherche et de développement en laboratoire. Cet appareil respiratoire est certifié par le NIOSH pour les matières particulaires chimiques, biologiques et radiologiques et les matières particulaires de contaminants nucléaires, à l’exception du gaz et de la vapeur radiologiques.

[46]             EACL possède un programme de protection radiologique qui comprend des processus de surveillance de l’exposition des employés aux radionucléides sur le lieu de travail. Dans le cadre de ces processus, des tests biologiques ont été élaborés en fonction des dangers trouvés dans chaque installation. Des protocoles d’échantillonnage ont été adoptés et les employés doivent fournir des échantillons biologiques pour des tests, qui peuvent comprendre des échantillons d’urine, des prélèvements nasaux et d’autres échantillons. Ces tests s’ajoutent à l’échantillonnage de l’air sur le lieu de travail afin de confirmer où se trouvent les contaminants dans l’air et leur nature. Ces tests biologiques sont effectués à une certaine fréquence et les résultats sont analysés et déclarés chaque année. De l’avis de l’appelante, un examen des rapports annuels n’indique aucune difficulté liée à l’exposition des employés aux radionucléides.

[47]             Au cœur de la présente affaire se trouve la liste d’équipement certifié par le NIOSH. Pour expliquer le contexte de la décision au sujet de la question soulevée par le présent appel, il est bon de décrire quelque peu la façon dont cette liste a été dressée et établie.

[48]             Le NIOSH approuve les appareils respiratoires ou les produits respiratoires en tant que système, c’est-à-dire une combinaison particulière de masque et de filtre. Il élabore des normes respiratoires en concertation avec diverses parties intéressées faisant partie du secteur privé et du gouvernement, conformément au titre 42 du Code of Federal Regulations des États-Unis. Plus particulièrement, des normes et procédures d’essais pertinents pour toutes les catégories d’appareils respiratoires protégeant les voies respiratoires contre les risques d’inhalation de matières particulaires CBRN sont élaborées par voie d’essai d’appareils respiratoires en concertation avec le U.S. Army Soldier Biological and Chemical Command et d’autres parties.

[49]             La consultation publique joue également un rôle dans le processus d’élaboration des normes. Les parties intéressées du secteur privé sont invitées à présenter des commentaires sur les normes proposées et des rencontres publiques sont tenues afin de faciliter cette consultation. Lorsque les normes sur la question respiratoire sont approuvées, le NIOSH examine les demandes d’approbation d’appareils respiratoires présentées par divers fabricants. Ces demandes présentent les caractéristiques techniques, les dessins et d’autres renseignements cruciaux pour chaque modèle. Le NIOSH procède alors à l’inspection, à l’examen et aux essais pour chaque appareil respiratoire afin d’établir si les exigences pertinentes décrites dans les Regulations sont remplies. Une liste d’équipement certifié est rendue publique et énumère les appareils respiratoires approuvés à la suite de ce processus.

[50]             Lorsqu’on lit le paragraphe 12.7(1) du Règlement, on remarque que l’exigence mentionne particulièrement qu’on doit utiliser un appareil respiratoire en vertu du Code et du Règlement, ou un appareil respiratoire considéré comme un système respiratoire composé d’éléments fonctionnant ensemble comme dans le cas des appareils respiratoires à épuration d’air; il serait donc difficile de considérer qu’une boîte filtrante seule ou un masque seul constitue un appareil respiratoire fonctionnel et efficace. L’obligation en vertu du Règlement doit donc être fondée sur une prémisse, soit la présence de l’appareil respiratoire sur la liste d’équipement certifié de NIOSH.

[51]             Comme le mentionne plus loin l’appelante, la liste d’équipement certifié par le NIOSH ne contient aucun appareil respiratoire à épuration d’air pour la vapeur et le gaz radiologiques et les fabricants de tels appareils pour la vapeur et le gaz radiologiques, particulièrement l’iode radioactif et l’iodométhane, n’indiquent rien de plus que le fait que ces appareils sont « efficaces » contre ces risques. EACL pourrait remplacer les quelque 3 000 appareils respiratoires à masque d’armée C4 qu’elle utilise et qui ne sont pas certifiés par le NIOSH par des appareils décrits comme « efficaces » par les fabricants. Cela entraînerait des difficultés et des dépenses considérables pour l’appelante, en plus du besoin de faire des essais d’ajustement et de former ses travailleurs sur l’utilisation de ce nouveau système, processus qu’EACL estime d’une durée d’un an. Tout cela ne lui permettrait pas davantage d’être conforme au Règlement et n’offrirait possiblement pas la même protection que les appareils actuellement utilisés.

[52]             Dans l’information sur le contexte qu’elle a donnée au soussigné, l’appelante a souligné qu’EDSC et l’organisme qu’il a remplacé, Travail Canada, savent depuis les années 1970 qu’EACL utilise des appareils respiratoires à épuration d’air non approuvés par le NIOSH, puisqu’il est impossible d’obtenir la certification du NIOSH pour le gaz et la vapeur radiologiques. Au cours des visites des représentants de Travail Canada, EACL recevait par le passé des compliments sur son programme de protection des voies respiratoires et on ne l’a jamais informée qu’il existait une raison de l’empêcher de continuer d’utiliser les appareils respiratoires à épuration d’air qui ne sont pas approuvés par le NIOSH dont elle se sert pour protéger les travailleurs contre le gaz et la vapeur radiologiques. La documentation présentée dans la preuve démontre que Travail Canada était au courant dans les années 1970 de la situation des appareils respiratoires chez EACL et qu’il avait été question de la possibilité d’accorder une dispense permettant l’utilisation de cet équipement. Toutefois, comme l’indique la pièce E13, qui rassemble la correspondance entre des représentants de Travail Canada en 1977 et en 1978, il est possible que la situation floue au sujet de la compétence sur les installations nucléaires à ce moment a empêché de résoudre cette question.

[53]             EACL a déployé des efforts afin d’établir auprès de ses pairs qui exploitent des installations nucléaires et manipulent des déchets nucléaires, y compris la CCSN, si des appareils respiratoires à épuration d’air sont utilisés dans des circonstances semblables à celle de ses activités et lorsqu’il y a des risques d’exposition ou de contamination de ses employés par la vapeur et le gaz radiologiques. L’information disponible semble démontrer que les pairs utilisent des appareils respiratoires semblables, voire identiques, qui ne sont pas certifiés par le NIOSH pour le gaz et la vapeur radiologiques, puisqu’il est impossible d’obtenir la certification pour cet équipement. Comme EACL, ces pairs exercent leurs activités ainsi depuis des décennies.

[54]             Il a déjà été mentionné précédemment qu’EACL est titulaire d’un permis en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et que, en vertu de cette loi, les installations nucléaires doivent exercer leurs activités conformément à leur permis, qui peut leur imposer des conditions. Aux termes du permis accordé à EACL pour l’exploitation de LCR, elle doit mettre en œuvre et maintenir un programme de protection radiologique et s’assurer de respecter l’exigence du Règlement sur la radioprotection prévoyant que la radioactivité à laquelle sont exposés les employés est au niveau le plus bas que l’on peut raisonnablement atteindre (ALARA). EACL ne peut pas tout simplement remplacer les appareils respiratoires actuels, utilisés depuis des décennies, sans mentionner les difficultés et sans effectuer attentivement des évaluations et des tests afin de s’assurer que les changements d’appareils respiratoires respectent le principe de veiller à une exposition ALARA. De plus, la cessation de l’utilisation des appareils respiratoires actuels exigerait l’interruption de nombreuses activités à LCR et leur maintien en condition sécuritaire jusqu’au déploiement des nouveaux appareils respiratoires, ce qui ne peut se faire sans utiliser les appareils respiratoires actuels.

Question(s) en litige

[55]             Lorsqu’elle a émis son instruction à l’employeur appelant, l’agente de SST Arsenault a choisi de donner une définition étroite à l’infraction d’EACL en mentionnant que l’employeur omettait de « fournir un dispositif de protection des voies respiratoires qui figure dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List » parce qu’il fournit à ses employés un certain type d’appareil respiratoire à épuration d’air. Il incombe de noter que de nombreux appareils respiratoires différents sont utilisés chez EACL pour diverses utilisations prévues et qu’ils sont tous certifiés par le NIOSH à l’exception de l’appareil visé dans la présente affaire, soit le masque d’armée C4 utilisé avec une boîte filtrante C2A1 visant à protéger contre le gaz et la vapeur radiologiques.

[56]             Il faut également souligner ici le fait que, même si l’agente de SST connaissait de toute évidence le type d’équipement de protection des voies respiratoires utilisé chez EACL, elle ne formulait pas l’opinion ni n’en venait à la conclusion que cet équipement, le système respiratoire à épuration d’air combinant le masque d’armée C4 et la boîte filtrante C2A1, ne fournissait pas efficacement la protection nécessaire à ses utilisateurs.

[57]             Quant à elle, l’appelante reconnaît que cet équipement de protection des voies respiratoires fourni à ses employés n’est pas certifié par le NIOSH, ou ne figure pas « dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List » pour reprendre la formulation du Règlement. Elle allègue qu’elle ne contrevient pas au Code, particulièrement à l’alinéa 125(1)l) du Code et au paragraphe 12.7(1) du Règlement, parce que la liste d’équipement du NIOSH mentionnée dans le Règlement ne contient aucun appareil respiratoire à épuration d’air fournissant une protection contre la vapeur et le gaz radiologiques dont elle a besoin et qui sont utilisés chez EACL et à LCR. La question de base est donc celle à savoir si l’appelante contrevient à ces dispositions du Code et du Règlement en fournissant cet équipement de protection à ses employés.

[58]             Une question sous-jacente doit toutefois être réglée compte tenu du fait que l’appelante a reconnu que l’équipement fourni n’est pas certifié par le NIOSH. L’article 125 énumère des obligations particulières de l’employeur, l’une étant évaluée dans la présente affaire. La disposition est introduite par les mots « Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124 », ce qui fait en sorte que l’obligation générale de protection par l’employeur est sous-jacente à chacune des obligations particulières énumérées à l’article 125. Dans les circonstances de la présente affaire, si le soussigné décide en faveur de la position d’EACL dans l’appel, il peut être nécessaire d’examiner si, en fournissant à ses employés cet équipement de protection, EACL répond à son obligation générale de veiller à la protection de la santé et de la sécurité au travail de chacune des personnes qui travaillent pour elle.

Observations de l’appelante

[59]             La position de l’appelante dans la présente affaire peut être résumée comme suit. EACL n’est pas en situation d’infraction parce que la disposition règlementaire que l’agente de SST l’accuse de violer, et plus particulièrement la liste d’équipement certifié par le NIOSH qui y est mentionnée, ne contient pas d’appareils respiratoires à épuration d’air comme ceux que l’appelante doit utiliser afin d’assurer la protection contre la vapeur et le gaz radiologiques. Par conséquent, il est impossible de contrevenir à l’obligation d’utiliser l’équipement se trouvant sur la liste, puisque la liste ne contient pas le type d’équipement qui doit être utilisé.

[60]             L’appelante a structuré ses observations autour des témoignages de quatre témoins. En général, leurs témoignages répètent ce qui a été mentionné en détail précédemment dans la section sur le contexte. Toutefois, il peut être utile de mentionner certains éléments, particulièrement ceux qui concernent le témoignage d’expert de Mme Dickson.

[61]             Brent Wolfgram est directeur de la protection radiologique et de l’environnement chez EACL. À ce titre, il est chargé de la gestion de la protection radiologique visant tout le personnel ainsi que les particuliers qui participent aux activités d’EACL, qu’il s’agisse de la recherche ou de la gestion des déchets, dans tous les sites où ces personnes travaillent pour l’appelante (laboratoires de Chalk River ou de Whiteshell, Port Hope) ou lorsqu’EACL participe à d’autres activités, par exemple pour appuyer SNC Lavalin qui a acquis CANDU Industries et exploite maintenant ses activités sous le nom de Candu Énergie inc.

[62]             Parmi les employés d’EACL, au nombre de plus de 3 000, environ 1 000 travaillent quotidiennement près de matières réactives et sont donc exposés continuellement à un risque potentiel de danger radiologique pour les voies respiratoires. Les 2 000 autres travailleurs sont en contact avec des matières radiologiques et radioactives, mais pas tous les jours. En plus du programme de protection radiologique en vigueur, il y a également un programme de santé et de sécurité au travail classique chez EACL; Roger Belair est directeur de ce programme. Le choix des appareils respiratoires se fait par l’intermédiaire du programme de santé et de sécurité au travail, mais l’évaluation de la protection radiologique offerte par l’appareil choisi est effectuée par le personnel du programme de protection radiologique, avec l’aide du coordonnateur du programme de protection des voies respiratoires, R. Kwan.

[63]             EACL possède une procédure de protection des voies respiratoires en vigueur dans toute la société. Ses principales caractéristiques visent à répondre aux exigences du Code et de ses règlements ainsi qu’aux normes de la CSA et au règlement sur la radioprotection administré par la CCSN en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires. Les caractéristiques importantes de cette procédure comprennent une politique sur les poils faciaux afin d’assurer un meilleur ajustement de l’appareil respiratoire sur le visage fraîchement rasé, des politiques et pratiques au sujet des essais d’ajustement des employés aux termes desquelles de 1 100 à 1 200 employés font l’objet d’essais chaque année, une formation annuelle ou une formation d’appoint donnée au même nombre d’employés sur l’utilisation des appareils respiratoires, l’approbation des appareils respiratoires par le coordonnateur du programme de protection des voies respiratoires (R. Kwan), le choix des appareils respiratoires en fonction des dangers pour les voies respiratoires ainsi que des procédures sur le nettoyage, la désinfection et la disposition de l’équipement de protection des voies respiratoires et leur entretien dans un laboratoire affecté aux appareils respiratoires sur le site.

[64]             De nombreuses pratiques visent à entretenir, à décontaminer, à nettoyer et à vérifier le très grand nombre d’appareils de protection des voies respiratoires utilisés dans les procédures et processus de protection des voies respiratoires en vigueur chez EACL. Bien que le nombre d’appareils dans l’ensemble des installations d’EACL n’ait pas été donné, les données au sujet des exploitations à LCR ont été données à titre d’exemple. Pour les 1 100 à 1 200 employés qui utilisent régulièrement des appareils respiratoires dans ces activités, la preuve présentée par le directeur de la protection radiologique démontre qu’un seul employé peut remplacer l’appareil qu’il utilise quatre ou cinq fois par jour, puisque chaque fois qu’il prend une pause l’appareil utilisé avant la pause est remplacé par un nouvel appareil après la pause. Par conséquent, chaque appareil respiratoire faisant partie des activités de Chalk River passe par le laboratoire affecté aux appareils respiratoires où il est testé, décontaminé, nettoyé et remis à neuf avant sa prochaine utilisation, soit tous les deux à trois jours. Dans le cas des appareils respiratoires à épuration d’air (ARÉA), il s’agit d’environ 3 000 appareils respiratoires à masque C4 avec des cartouches C2A1 (soit l’ARÉA au cœur de l’affaire qui nous occupe) et environ 2 000 appareils respiratoires Comfo utilisés avec des boîtes filtrantes différentes pour les dangers radiologiques et classiques. Selon la preuve au sujet des tests, de la décontamination, du nettoyage et de la remise à neuf des appareils respiratoires, il y aurait au total entre 3 500 et 4 500 ARÉA qui circulent constamment dans le système à Chalk River. Un ARÉA est décrit comme un système composé d’une pièce faciale et d’une boîte filtrante pour le filtrage des contaminants des voies respiratoires.

[65]             En plus des ARÉA, EACL utilise d’autres appareils respiratoires faisant partie de la catégorie des appareils à adduction d’air (ARAA), qui comprennent les appareils à conduit d’air et les APRA. Les types d’appareils utilisés chez EACL sont certifiés par le NIOSH et ne font donc pas partie de la question en litige. Toutefois, en raison de leur conception et de leur poids, ils ne peuvent être utilisés de façon sécuritaire dans certaines zones chez EACL, surtout en raison du risque d’accident. Les zones de gestion des déchets (travail à l’extérieur) et les zones de manutention du combustible du réacteur NRU (travail effectué sur portique) sont des exemples donnés pour appuyer l’affirmation que, même s’il existait en théorie un ARAA certifié par le NIOSH, il ne serait pas choisi pour l’utilisation prévue dans ces zones aux termes de la procédure de protection des voies respiratoires d’EACL et de ses processus parce qu’ils créeraient un autre danger, particulièrement s’il existait un ARÉA.

[66]             Le processus de choix des appareils respiratoires d’EACL coordonné par R. Kwan tient compte du type de danger (classique ou radiologique), du fait qu’il soit sous forme de gaz, de vapeur ou de matière particulaire, du fait qu’il existe un danger radiologique et classique combiné potentiel (un appareil respiratoire protégeant contre les deux dangers serait alors utilisé) et du fait que la protection des voies respiratoires soit pour un usage d’urgence (un ARAA, comme un APRA, pourrait être pertinent seulement pour les urgences en raison de son poids et du fait qu’il ne fournit de l’air que pendant une courte période). Les choix tiennent aussi compte de la question de la mobilité et de la liberté de mouvement requise pour le travail, du fait qu’il s’agit d’un travail à l’extérieur (un ARÉA serait alors utilisé) ou du fait que la tâche est effectuée dans un espace clos, où un appareil respiratoire à conduit pourrait être plus pertinent en raison du manque d’oxygène potentiel. À ce sujet, R. Kwan, hygiéniste industriel agréé et membre du comité technique Z94.4 sur le choix, l’utilisation et l’entretien des appareils de protection respiratoire et le comité technique Z180.1 sur l’air comprimé respirable et les systèmes connexes de l’Association canadienne de normalisation, a expliqué en détail les choix d’appareils respiratoires effectués par EACL depuis qu’il est coordonnateur. Son témoignage peut être résumé comme suit :

-Pour tous les dangers classiques et ceux liés aux matières particulaires radiologiques, EACL s’assure que les appareils de protection des voies respiratoires qui figurent dans la NIOSH Certified Equipment List (CEL) pour les utilisations prévues sont choisis en fonction des dangers pour les voies respiratoires.

-Il existe une lacune dans la CEL au sujet de la protection des voies respiratoires contre le gaz et la vapeur radiologiques. Par conséquent, R. Kwan a effectué une recherche approfondie pour trouver un système ARÉA qui offrirait une protection efficace contre la vapeur et le gaz radiologiques.

Le témoin a confirmé au soussigné qu’EACL ne choisit que les appareils respiratoires qui figurent dans la CEL, à l’exception de la petite catégorie d’appareils respiratoires qui protègent les travailleurs contre les dangers liés au gaz et à la vapeur radiologiques. En fait, au sujet de la politique de choix des appareils respiratoires qu’il suit, il a affirmé que, s’il existait un appareil potentiel ne figurant pas dans la CEL pour l’utilisation prévue qui offrait une meilleure protection contre les dangers classiques ou ceux liés aux matières particulaires radiologiques, il choisirait tout de même de se conformer au Règlement et au Code en choisissant un appareil respiratoire figurant dans la CEL. Toutefois, cela étant dit, ce n’est que parce qu’il n’y a pas d’appareil respiratoire ARÉA dans la CEL pour l’utilisation prévue, soit protéger les travailleurs contre le gaz et la vapeur radiologiques existants, qu’EACL utilise des appareils respiratoires non certifiés par le NIOSH, y compris le masque C4 pour les dangers radiologiques et l’appareil respiratoire au tritium pour le danger radiologique associé au tritium.

[67]             Compte tenu de la lacune dans la CEL pour l’utilisation prévue de protection contre le gaz et la vapeur radiologiques chez EACL, la recherche approfondie effectuée a mené au choix de trois appareils respiratoires non certifiés par le NIOSH pouvant offrir la protection nécessaire. Il s’agissait du masque d’armée C4 avec la boîte filtrante C2A1, de l’appareil respiratoire Comfo au tritium de MSA et de l’appareil respiratoire Comfo de MSA avec la cartouche GMI-P100; le premier de ces appareils est le résultat de la recherche et du développement du ministère de la Défense nationale (MDN) et lui appartient et les deux autres ont été développés et testés par le secteur commercial.

[68]             L’appareil respiratoire Comfo de MSA avec la cartouche GMI-P100 est certifié par le NIOSH pour la vapeur, les gaz et les matières particulaires organiques, donc les dangers classiques, et il a été jugé « efficace » après des tests pour les gaz et la vapeur d’iode radioactif (mais il n’a pas reçu la certification du NIOSH). Il est utilisé pour les dangers classiques et pour la protection contre les gaz et la vapeur radiologiques.

[69]             L’appareil respiratoire au tritium Comfo de MSA n’a pas reçu la certification du NIOSH, mais il est testé régulièrement depuis 2000 et on juge qu’il offre une protection « efficace » contre le tritium gazeux radiologique. En fait, Mme Dickson a mentionné dans son témoignage d’expert qu’il s’agit de l’unique appareil respiratoire ARÉA pour le tritium potentiellement dangereux sous forme de gaz ou de vapeur radiologique.

[70]             Dans le cas du masque d’armée C4, il est le résultat de la recherche et du développement du MDN, qui en possède les droits de propriété. À la suite du développement par le MDN, il n’a pas fait l’objet de tests externes et n’a donc pas reçu la qualification d’« efficace » donnée aux autres appareils respiratoires fabriqués par le secteur commercial. Il est utilisé pour la protection contre les dangers associés au gaz et à la vapeur radiologique, pour lesquels il n’y a pas de protocole de certification par le NIOSH, ainsi que contre les dangers classiques.

[71]             Le témoin R. Kwan a expliqué que les exigences de choix d’EACL comprennent le besoin de pièces faciales à ajustement serré et de matériaux compatibles aux pièces faciales dans un environnement nucléaire afin qu’ils ne soient pas contaminés et pour qu’ils puissent être décontaminés facilement et utilisés avec des boîtes filtrantes pouvant protéger contre de multiples contaminants dans l’air. R. Kwan a mentionné que, depuis qu’il travaille pour EACL et particulièrement entre juin 1997 et octobre 2011, il recueille de l’information et effectue des recherches indépendantes pour trouver d’autres appareils respiratoires possibles pour remplacer ceux qui sont actuellement utilisés, et qu’il n’a trouvé aucune raison de cesser d’utiliser l’appareil respiratoire comprenant le masque C4 et le filtre C2A1 (et les deux autres appareils mentionnés précédemment). Ses contacts au sein de différents fabricants d’appareils respiratoires ont confirmé les résultats des recherches de R. Kwan, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’ARÉA figurant dans la CEL provenant d’un fabricant connu et permettant de protéger les travailleurs contre les dangers associés au gaz et à la vapeur radiologiques. Il a expliqué que son raisonnement au sujet de l’utilisation continue de l’appareil respiratoire à masque C4 et à filtre C2A1 est largement influencé par le fait que l’appareil doit être efficace pour les matières particulaires radiologiques et le gaz et la vapeur radiologiques ainsi que dans les situations d’urgence.

[72]             Le tableau joint à la pièce E-11 indique que l’appareil combinant le masque C4 et le filtre C2A1 est utilisé dans diverses situations, notamment pour la protection modérée contre le gaz et la vapeur radiologiques (iode radioactif, tritium, vapeur d’eau tritiée) et les matières particulaires radiologiques (uranium, plutonium, produit de la fission de l’uranium et du plutonium) ainsi que pour l’usage personnel en cas d’urgence, lorsqu’il faut demeurer dans l’installation. De plus, selon l’information qu’il a recueillie, R. Kwan demeure d’avis qu’il n’existe aucun produit aussi bon que le masque C4, que l’on a essentiellement jugé plus efficace que les appareils respiratoires (certifiés) du secteur commercial, notamment parce que sa composition le rend mieux adapté à l’environnement d’EACL et que les quatre tailles offertes permettent un meilleur ajustement. Bref, R. Kwan n’a pas trouvé d’ARÉA plus efficace pour protéger les travailleurs contre le gaz et la vapeur radiologiques et il est conforté dans cette conclusion par le témoignage de l’experte, Mme Dickson, qui est le seul témoin reconnu dans la présente affaire comme une experte en protection des voies respiratoires contre les dangers classiques dans le lieu de travail, comme les agents chimiques et biologiques et l’amiante, ainsi que contre les dangers pour les voies respiratoires, comme les dangers radiologiques.

[73]             Mme Dickson (Ph. D. en chimie) est scientifique de la Défense à Recherche et développement pour la défense Canada (organisme du MDN) et est professeure agrégée adjointe au Collège militaire royal du Canada. Une partie de sa recherche a porté sur le CBRN et sur les tests visant les appareils respiratoires et elle a mené un groupe de recherche sur le CBRN. Son curriculum mentionne, sous Expertise et expérience professionnelle, une expertise en protection CBRN, sur les normes et les incidences toxicologiques, particulièrement pour les organismes militaires et civils, ainsi que la conception, l’évaluation, la modélisation de performance, les exigences et les normes sur les systèmes respiratoires et les matériaux de vêtements, le développement de nouveaux matériaux absorbant et les plateformes de modélisation et de simulation. Elle préside le comité de la norme CAN/CGSB/CSA-Z1610 sur la protection des premiers intervenants en cas d’incidents CBRN (appareils respiratoires et vêtements en réaction à l’émission terroriste de produits CBRN). Elle est également présidente et membre des comités consultatifs canadiens pour le comité technique de l’ISO 94 et les sous-comités 15 et 13 sur les appareils respiratoires et les vêtements protecteurs et le comité du CSA sur les combinaisons chimiques. Parmi les centaines d’écrits dont elle est l’auteure ou auxquels elle a participé d’une façon ou d’une autre, elle a écrit un livre évalué par les pairs qui est directement pertinent à l’affaire qui nous occupe, intitulé Personal Protective Equipment for chemical, biological, radiological hazards: design, evaluation and selection.

[74]             Dans son témoignage, Mme Dickson a parlé en détail de la protection des voies respiratoires dans l’environnement d’EACL. Elle a également présenté au soussigné un rapport exhaustif formulant des conclusions au sujet du choix de la pièce faciale d’armée C4 utilisée avec la boîte filtrante ou la cartouche C2A1. Elle a d’abord expliqué que la CEL énumère les appareils respiratoires soumis par le fabricant qui répondent aux exigences de certification du NIOSH pour un ou plusieurs dangers particuliers pour les voies respiratoires, ce qu’on a appelé dans la présente décision les « utilisations prévues ». Il a déjà été mentionné que l’appareil respiratoire C4 a été mis au point par le MDN. Il n’a donc pas été soumis au NIOSH pour qu’il soit certifié, puisque le MDN n’est pas un fabricant au sens strict du terme et qu’il n’a donc pas besoin de le faire. Bref, elle a conclu que le masque C4 est une pièce faciale de qualité supérieure et [Traduction] « qu’il offre le meilleur type de protection par ARÉA offert pour les travailleurs dans un environnement radiologique qui sont exposés au gaz et à la vapeur lorsqu’il est utilisé avec une cartouche adéquate, comme la cartouche C2A1 ». Voici les parties les plus importantes de ses explications et de ses conclusions, présentées à l’audience ou dans son rapport.

[75]             En soulignant que la liste du NIOSH offre des options de protection par ARÉA, Mme Dickson a affirmé que l’intention de la règlementation canadienne (par. 12.7) de présenter à l’employeur une liste d’équipement certifié constitue un effort bien intentionné pour veiller à ce que l’équipement fourni par l’employeur offre une protection efficace aux travailleurs, puisque les produits figurant sur la liste répondent à un certain nombre de normes de protection et de rendement et à des exigences en matière d’assurance de la qualité et parce que, à ce moment, aucune autre gamme de produits ne pouvait être facilement indiquée dans le règlement.

[76]             Son rapport mentionne toutefois que, à l’heure actuelle, il existe sur le marché de l’équipement certifié en fonction d’autres normes réputées. Dans certains cas, cet équipement peut être équivalent sur le plan technique pour l’utilisation prévue, par exemple l’équipement répondant aux normes européennes ou de l’OTAN. Il est bon de noter ici que l’appareil respiratoire C4 utilisé par les Forces armées canadiennes répond aux exigences de l’OTAN.

[77]             Cela étant dit, elle note d’abord que certains des appareils respiratoires à épuration d’air figurant sur la liste du NIOSH peuvent être pertinents pour la protection contre un danger particulier dans un environnement chez EACL comportant des dangers radiologiques. Toutefois, la certification d’aucune de ces options ne mentionne l’iode, l’hydrogène et l’eau. De plus, elle a souligné la situation particulière chez EACL, où il existe la plupart du temps un danger mixte (radiologique et classique). Elle a donc affirmé que, si un ARÉA doit être fourni, comme chez EACL, l’environnement de danger mixte fait en sorte qu’il faut une combinaison de cartouches et de boîtes filtrantes qui sont « certifiées » ou « efficaces » pour l’utilisation prévue ou l’application. L’employeur est alors incapable de trouver dans la liste du NIOSH un produit certifié précisément pour la protection contre l’iode radioactif, le tritium ou la vapeur d’eau tritiée (dangers radiologiques sous forme de gaz ou de vapeur).

[78]             Mme Dickson a donc parlé directement de la question qui nous occupe en mentionnant d’abord que le concept d’« utilisation prévue » ou d’application est important, puisque les appareils respiratoires sont certifiés pour la protection contre un certain type ou une certaine catégorie de danger et qu’on présume que l’utilisateur connaît l’utilisation prévue lorsqu’il choisit un appareil respiratoire figurant dans la CEL. Le fait qu’il n’existe pas d’appareil respiratoire adéquat dans la CEL, selon l’allégation de l’appelante, ce que Mme Dickson appelle une « lacune » dans la CEL, constitue depuis longtemps un problème lié au processus de certification du NIOSH. Cela signifie que le NIOSH ne possède aucun système ou processus pour approuver la protection des voies respiratoires par ARÉA pour ces dangers radiologiques et ces substances précis afin d’ajouter des appareils à la CEL. Il n’est donc pas possible, selon Mme Dickson, de choisir un ARÉA figurant dans la CEL qui est approuvé pour l’utilisation ou l’application particulière visant le gaz ou la vapeur radiologique.

[79]             Au sujet du fait que le paragraphe 12.7(2) du Règlement exige que le dispositif de protection des voies respiratoires dont il est question au paragraphe 12.7(1) soit conforme à la norme Z94.4-M1982 de la CSA au sujet du choix, de l’entretien et de l’utilisation des appareils de protection respiratoire, Mme Dickson a aussi souligné que le paragraphe 1.2 de cette norme prévoit que « cette norme ne vise pas la sélection [...] c) des APR utilisés pour la protection contre les contaminants radiologiques ». Elle a ajouté que cette norme de la CSA présente un graphique pour faciliter le choix à la lumière de la CEL. Toutefois, la combinaison de la CEL et de la lacune dans la certification du NIOSH fait en sorte que ce graphique ne peut aider à choisir une protection contre le gaz et la vapeur radiologiques. Par conséquent, l’employeur ne peut se servir de la norme Z94.4 de la CSA pour choisir l’équipement de protection contre les dangers radiologiques en général. Ainsi, un employeur qui a besoin d’une protection pour ses travailleurs contre les dangers pour les voies respiratoires (parce que les mesures d’ingénierie ne suffisent pas) hors de l’utilisation prévue ou de la portée de l’application de la CEL et de la norme Z94.4 de la CSA n’a que quatre options : un appareil de protection respiratoire à adduction d’air ou un APRA, qui sont des ARAA, un ARÉA figurant dans la CEL qui n’est pas certifié pour l’utilisation prévue ou pour l’application à un danger particulier, ou un ARÉA qui ne figure pas sur la liste.

[80]             Mme Dickson a commenté que, pour ce qui est des deux dernières options, l’appareil respiratoire ne serait pas certifié par le NIOSH pour l’utilisation prévue ou l’application et que l’employeur devrait obtenir une garantie du fournisseur, sur une base permanente, afin de veiller à ce que l’appareil respiratoire à épuration d’air choisi fournisse une protection adéquate et efficace contre ce danger particulier. En choisissant un appareil respiratoire certifié par le NIOSH pour une utilisation prévue et en l’appliquant à une autre utilisation, l’employeur crée de nouveaux risques pour les travailleurs s’il n’effectue pas une recherche approfondie avec le soutien technique détaillé et continu du fournisseur.

[81]             Au sujet de l’efficacité particulière de la protection des voies respiratoires à l’aide du masque C4 combiné à la cartouche C2A1 utilisé chez EACL, le témoin expert a décrit en détail chaque élément et a comparé l’ensemble à d’autres appareils respiratoires. En général, ses commentaires étaient que l’appareil respiratoire C4 répond aux normes de protection et de rendement de l’OTAN lorsqu’il est porté avec une boîte filtrante C7A (la boîte filtrante C2A1 est semblable, répond également aux normes de l’OTAN et est fabriquée par 3M Canada, comme la boîte filtrante C7A), soit la configuration militaire canadienne. Les normes de l’OTAN visent à veiller à l’efficacité de la protection, même sur un dur champ de bataille dans un environnement CBRN.

[82]             Selon l’opinion générale du témoin expert, le masque C4 est une pièce faciale de qualité supérieure et il offre le meilleur type de protection par ARÉA offert pour les travailleurs dans un environnement radiologique qui sont exposés au gaz et à la vapeur lorsqu’il est utilisé avec une cartouche adéquate, comme la cartouche C2A1. Plus précisément, Mme Dickson a parlé de chacune des parties de l’ensemble. D’abord, elle a souligné que la pièce faciale C4 est offerte en quatre tailles et qu’elle est faite en caoutchouc, sans silicone, très résistant contre la perméance des produits chimiques et la dégradation causée par les solvants, ce qui la rend protectrice et robuste contre la dégradation pendant la décontamination en vue de sa réutilisation. Il convient donc à la grande majorité de la population et offre un facteur de protection (PF) très élevé dans des conditions d’utilisation réalistes. En fait, alors que les normes accorderaient normalement un FP de 50 à un ARÉA, si l’appareil respiratoire C4/C2A1 était évalué par rapport à la norme Z1610-11 de la CSA (Protection des premiers intervenants en cas d’incidents chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN)), on présumerait qu’il fournit lorsque porté seul un FP d’au moins 10 000 au cours de l’utilisation, ce qui le rend bien supérieur.

[83]             Deuxièmement, au sujet de la boîte filtrante C2A1, Mme Dickson a noté que, selon les détails sur sa fabrication, il devrait être encore plus efficace contre la vapeur d’iode radioactif que la boîte filtrante C7A utilisée par les Forces canadiennes. Elle a ajouté qu’il peut y avoir d’autres options dans les boîtes filtrantes CBRN qui figurent dans la CEL et qui offriraient une protection équivalente. Toutefois, cela ne permettrait pas d’obtenir la certification du NIOSH pour l’utilisation prévue contre le gaz et la vapeur radiologiques et le choix d’une telle boîte filtrante avec la pièce faciale C4 ne permettrait pas d’obtenir la certification du NIOSH pour le masque C4.

[84]             Pour effectuer ses comparaisons avec les normes du NIOSH et d’autres appareils respiratoires, le témoin expert a évalué trois éléments. Premièrement, au sujet de l’ajustement et du facteur de protection, elle a noté que, alors que les normes des ARÉA CBRN du NIOSH (plus strictes que les normes des ARÉA industriels) indiquent un FP de 2 000, selon son expérience et ses connaissances, les capacités du masque C4 dépassent largement ce FP parce que l’ajustement du masque C4 est supérieur à tout autre appareil respiratoire de tout type qu’elle a évalué grâce à son excellente étanchéité, aux matériaux souples ainsi qu’à la conception très conviviale de l’attache. Par conséquent, la pièce faciale C4 portée avec la boîte filtrante C2A1 dépasse largement les exigences de rendement pour le FP d’une pièce faciale complète approuvée par le NIOSH pour un appareil respiratoire à épuration d’air à pression négative répondant aux exigences P100 industrielles ou CBRN et, à son avis, elle dépasse probablement les capacités réelles des appareils respiratoires de ce type.

[85]             Deuxièmement, pour ce qui est du filtrage des matières particulaires, Mme Dickson a affirmé que la boîte filtrante C2A1 utilisée avec la pièce faciale C4 dépasse les exigences de rendement du filtrage de la norme P100 du NIOSH, qui est de 99,97 % (particules de 0,3 micromètre). Troisièmement, en ce qui concerne le retrait de l’iode radioactif, elle a mentionné que la boîte filtrante C2A1 utilisée avec la pièce faciale C4 offre une capacité importante, efficace et adéquate de retrait de l’iode radioactif sous forme de gaz ou de particule lorsqu’elle est choisie et utilisée de la façon indiquée par EACL dans ses graphiques au sujet de l’évaluation du danger. Elle s’est donc dite d’avis que, selon les renseignements au sujet des appareils respiratoires utilisés par EACL et de leur utilisation prévue, l’appareil C4/C2A1 dépasse probablement les capacités réelles de tout appareil respiratoire à épuration d’air à pression négative complet approuvé par le NIOSH répondant aux exigences industrielles ou CBRN pour la protection contre l’iode radioactif. Elle a toutefois noté la possibilité qu’une autre boîte filtrante offre une meilleure capacité totale de retrait de l’iode radioactif, mais qu’elle n’offrirait qu’une diminution de la fréquence de remplacement et non une capacité de protection supérieure.

[86]             Au sujet du programme de protection des voies respiratoires d’EACL en général et contre le gaz et la vapeur radiologiques en particulier, les conclusions de Mme Dickson étaient les suivantes :

[Traduction] Compte tenu du grand nombre et de la complexité des dangers potentiels pour les voies respiratoires auxquels sont exposés les employés d’EACL, classiques et radiologiques, de nombreux types et marques d’appareils de protection des voies respiratoires sont utilisés. J’ai examiné les principaux éléments du programme de protection des voies respiratoires et les détails sur le type de protection des voies respiratoires fournie aux travailleurs d’EACL contre les dangers radiologiques, y compris les processus d’évaluation du danger et le mode d’emploi. Je suis convaincue que les appareils respiratoires choisis, conjugués aux graphiques de choix et aux modes d’emploi fournis, respectent l’intention de la norme Z94.4 de la CSA qui porte sur le choix des appareils et offrent une protection pertinente et adéquate contre les dangers radiologiques et les dangers mixtes, à la fois radiologiques et classiques, auxquels les travailleurs peuvent être exposés. La quasi-totalité des appareils respiratoires utilisés chez EACL sont certifiés par le NIOSH pour leur utilisation prévue. Lorsqu’il n’existe pas de certification du NIOSH, les appareils respiratoires choisis par EACL sont très appropriés pour leur utilisation prévue, soit la protection contre les dangers radiologiques.

Ses conclusions portaient plus particulièrement sur l’appareil respiratoire visé par la présente affaire :

[Traduction] Quant à l’appareil C4/C2A1 en particulier, il est très peu probable qu’un appareil respiratoire à épuration d’air plus approprié ou offrant une meilleure protection figurant dans la NIOSH Certified Equipment List puisse être choisi pour le remplacer dans les environnements où on retrouve de l’iode radioactif. Comme il a été mentionné, le NIOSH ne certifie pas les ARÉA pour une utilisation prévue contre le gaz ou la vapeur radiologique. Pour respecter l’instruction, il faudrait choisir un autre appareil respiratoire qui n’est pas certifié par le NIOSH, ce qui ajoute d’autres facteurs de risque.

Enfin, ses conclusions traitaient de la protection contre le tritium radioactif et la vapeur d’eau tritiée :

[Traduction] Pour ce qui est de l’appareil respiratoire choisi par EACL pour l’environnement radiologique où on retrouve du tritium radioactif et de la vapeur d’eau tritiée, il n’existe aucun appareil respiratoire certifié par le NIOSH pour cette utilisation et aucun autre ARÉA pour la protection des travailleurs contre le tritium ou la vapeur d’eau tritiée. L’adoption d’un appareil qui n’est pas un ARÉA ajoute d’autres facteurs de risques qui ne sont pas associés à la protection des voies respiratoires et le choix de ne pas utiliser d’ARÉA dans cet environnement ferait augmenter l’exposition des travailleurs.

Cette dernière option pourrait contrevenir au principe d’ALARA déjà mentionné.

[87]             Compte tenu de ce qui précède, l’avocate de l’appelante a formulé un argument portant principalement sur la notion d’impossibilité de conformité. Bref, comme il a déjà été mentionné dans la description de la question en litige par le soussigné, l’appelante était d’avis qu’il était impossible de se conformer au paragraphe 12.7(1) du Règlement et de l’alinéa 125(1)l) du Code en raison de la lacune législative susmentionnée visant la fourniture d’ARÉA pour le gaz et la vapeur radiologiques. Le paragraphe 12.7(1) du Règlement exige la fourniture d’un dispositif de protection des voies respiratoires qui figure dans la CEL et qui protège contre la substance dangereuse, soit le gaz et la vapeur radiologiques.

[88]             Selon l’appelante, il est impossible pour EACL de répondre à ces deux exigences, comme le démontre la preuve qui a été présentée. L’appelante a affirmé qu’elle protège adéquatement ses travailleurs contre la substance dangereuse, soit le gaz et la vapeur radiologiques, et qu’elle le fait sans utiliser un ARÉA figurant dans la CEL pour cette utilisation prévue puisqu’il n’y a pas d’appareil adéquat sur cette liste. De l’avis de l’avocate, l’argument de l’impossibilité de la conformité n’est pas nouveau et il a été accepté dans plusieurs territoires, mais il est possible qu’il ne fasse pas partie de la jurisprudence du Tribunal.

[89]             Le Tribunal l’a toutefois évalué par le passé et le soussigné peut en tenir compte puisque la compétence du Tribunal et de l’agent d’appel est d’évaluer de novo les circonstances de l’instruction. Cette compétence « large », selon l’avocate, fait en sorte que le soussigné peut tenir compte de la preuve orale, des pièces et des affidavits au sujet des modifications éventuelles du Règlement ainsi que de l’argument qu’aucun ARÉA certifié par le NIOSH n’est offert pour l’utilisation prévue, soit protéger les travailleurs contre le danger pour les voies respiratoires associé au gaz et à la vapeur radiologiques, ce qui fait qu’EACL est incapable de fournir un appareil respiratoire figurant sur la CEL, comme l’exige le Règlement, et de protéger contre ce danger, qui constitue l’obligation de base de l’employeur en vertu de la législation. De plus, cette même compétence « large » de l’agent d’appel fait en sorte qu’il peut tenir compte de la preuve voulant que, malgré l’impossibilité pour EACL de fournir à ses travailleurs un ARÉA figurant sur la CEL pour l’utilisation prévue de les protéger contre le gaz et la vapeur radiologiques, il les protège néanmoins contre ce danger d’une façon [Traduction] « très appropriée ».

[90]             Pour appuyer cet argument, l’appelante a présenté au Tribunal de nombreuses décisions de tribunaux et de tribunaux administratifs dans lesquels cet argument a été accepté. Évidemment, il n’est pas nécessaire de citer ici toutes ces décisions. Toutefois, certaines sont claires et vont directement au but. Dans l’arrêt Queensway Nursing Home v. Group of Confidential EmployeesFootnote 2, le Tribunal de l’équité salariale de l’Ontario a révoqué une ordonnance contre un employeur et déclaré que [Traduction] « l’employeur ne peut être tenu de se conformer à une ordonnance à laquelle il est impossible de se conformer. Pour ce seul motif, l’ordonnance ne peut être maintenue. »

[91]             L’appelante a aussi cité deux décisions en vertu de la partie II du Code rendues avant les grandes modifications adoptées en septembre 2000 par un agent régional de sécurité (ARS), fonction remplacée par celle d’agent d’appel. Dans la première affaire, Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux) et Alliance de la Fonction publique du Canada, [1999] C.C.T.A.R.S. no 18, deux instructions ont été annulées parce que les mesures correctives ordonnées avaient déjà été prises ou la situation à corriger n’existait plus. La décision de l’ARS concluait que : « À mon avis, l’instruction donnée en l’espèce n’a aucun effet puisqu’il est impossible d’obtenir la conformité. [...] Compte tenu de la responsabilité qui m’incombe, en vertu du paragraphe 146(3) du Code, j’estime que l’instruction en question n’est pas nécessaire. »

[92]             De même, dans l’arrêt Vancouver Wharves Ltd. c. L’Union internationale des manutentionnaires et magasiniers, Local 500, [1993] C.C.T.A.R.S. no 1, au sujet d’une instruction visant l’interdiction de déranger la scène d’un accident alors que cette scène n’existe plus, le même ARS a présenté son opinion touchant directement la situation qui nous occupe :

« Normalement, une instruction est donnée en application du Code pour contraindre à la prise de mesures de correction des risques sur un lieu de travail. Comme l’énonce l’art. 122.1 du Code, l’instruction vise à prévenir des accidents et des dommages à la santé. Pour atteindre les objectifs d’une instruction, la personne visée peut être obligée de prendre des mesures pour protéger les employés, de se conformer aux normes réglementaires, ou bien de mettre fin aux activités illégales. À mon avis, la personne visée par l’instruction doit être en mesure de respecter celle-ci. Autrement, l’instruction ne remplit pas un objectif légitime et elle n’est pas justifiée. »

[93]             Compte tenu de ce qui précède, l’appelante a argüé qu’il incombe d’annuler l’instruction pour les raisons suivantes. Premièrement, il est possible de tirer de la jurisprudence un principe clair au sujet de l’impossibilité de se conformer, soit que le besoin d’équité et de justice exige l’évaluation de la position de l’employeur qui affirme qu’il est impossible de se conformer à une exigence ou à une instruction juridique imposée par une autorité de réglementation. À cet égard, il est possible d’appuyer la position d’EACL que, s’il est impossible de se conformer à une obligation en raison de sa formulation et du fait qu’il n’existe pas d’équipement de protection personnel pour protéger les travailleurs pour l’utilisation prévue, il est impossible de se conformer à l’instruction et elle doit être annulée. Deuxièmement, dans l’affaire qui nous occupe, l’appelante a affirmé que le soussigné avait entendu une preuve claire qu’EACL se conforme entièrement à son obligation de protection en vertu du Code en fournissant des appareils respiratoires figurant dans la CEL pour l’utilisation prévue lorsque cela est possible et que, lorsque la CEL ne contient pas l’équipement de protection précis nécessaire, soit les ARÉA protégeant les travailleurs contre le danger pour les voies respiratoires lié au gaz et à la vapeur radiologiques, elle choisit et leur fournit un appareil respiratoire qui les protège d’une façon très appropriée. Puisqu’il est impossible de choisir un ARÉA figurant dans la CEL pour l’utilisation prévue et protégeant les travailleurs, l’instruction doit être annulée.

[94]             L’appelante a également affirmé que, pour répondre à la question qui nous occupe et donc interpréter la législation pertinente, je devrais retenir que l’article 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. 1985, ch. I-21) qui prévoit que tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière « la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet », et que les textes juridiques comme l’ouvrage Construction of Statutes de Driedger sont d’avis au sujet de l’interprétation de la loi que : [Traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur». Ce principe « moderne » d’interprétation, reconnu dans la jurisprudence, exigerait donc de procéder d’abord à une analyse du sens textuel de la législation, puis à l’évaluation du contexte complet du texte législatif, y compris son intention législative. Ainsi, mon interprétation du régime de santé et de sécurité au travail en vertu de la législation corrective que constitue le Code devrait suivre une approche large et fondée sur l’objet visé lorsqu’il faut tenir compte de la loi et des règlements dans leur ensemble.

[95]             L’appelante a donc soutenu que l’application d’une approche large et fondée sur l’objet visé à l’interprétation du paragraphe 12.7(1) du Règlement est non seulement pertinente, mais requise. De l’avis de l’avocate, l’interprétation de cette disposition comme une exigence visant simplement le choix de n’importe quel appareil respiratoire figurant dans la CEL sans tenir compte de son utilisation prévue irait à l’encontre de l’objet de la certification du NIOSH selon la preuve obtenue de l’experte et de l’objet du Code et du Règlement, soit la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. En fait, l’adoption d’une telle interprétation mènerait au choix d’un ARÉA qui n’offre pas de protection pour les voies respiratoires des travailleurs pour l’utilisation prévue et à l’augmentation du risque pour les travailleurs, ce qui entrerait également en conflit avec l’objet du Code et du Règlement. En suivant une approche fondée sur l’objet visé, on peut conclure qu’il est impossible de choisir un ARÉA figurant dans la CEL pour l’utilisation prévue fournissant une protection adéquate contre les substances dangereuses que sont le gaz et la vapeur radiologiques. Au sujet de la possibilité de se tourner vers un ARAA dans cette situation, l’appelante a soutenu que cela contreviendrait à l’objectif du texte législatif si EACL était tenue de choisir un ARAA figurant dans la CELA alors que l’experte entendue par l’agent d’appel a appuyé le choix d’un ARÉA, soit l’appareil C4/C2A1, et que la preuve a indiqué que le choix et l’utilisation d’un ARAA ferait augmenter les risques pour les travailleurs.

[96]             Enfin, l’appelante a invoqué le paragraphe 1.6 du Règlement, qui porte sur l’incompatibilité entre une norme intégrée par renvoi au Règlement et d’autres dispositions de ce Règlement, la règle à ce sujet étant que, en cas d’incompatibilité, les autres dispositions du Règlement l’emportent. Dans l’affaire qui nous occupe, l’appelante a soutenu que la norme de certification du NIOSH visant tous les dispositifs de protection des voies respiratoires ne doit pas entrer en conflit avec d’autres dispositions du Règlement qui veillent à la santé et à la sécurité des travailleurs. À ce propos, l’appelante a souligné la partie XIX du Règlement (Programme de prévention des risques), dont le paragraphe 19.5(3) exige que l’employeur « veille à ce que les mesures de prévention ne constituent pas un risque en soi et tient compte de leurs répercussions sur le lieu de travail ». L’appelante a donc affirmé que, puisque la protection des voies respiratoires exigée en vertu du paragraphe 12.7(1) constitue clairement une mesure préventive visant à prévenir un danger pour les travailleurs en vertu du paragraphe 19.5(3), cette mesure préventive ne doit pas constituer un risque en soi.

[97]             Ainsi, l’appelante affirme que la preuve présentée au soussigné indique que, si les travailleurs d’EACL exposés à des dangers pour les voies respiratoires associés au gaz et à la vapeur radiologiques sont tenus d’utiliser uniquement des appareils respiratoires figurant dans la CEL, même lorsqu’ils ne sont pas adaptés pour l’utilisation prévue, ou pour lesquels le fabricant ne donne qu’une garantie d’efficacité, un danger est créé ou le serait probablement. Le paragraphe 12.7(1) entre donc en conflit avec le paragraphe 19.5(3) du même Règlement. L’appelante a donc affirmé que le législateur avait évalué la possibilité qu’une norme dynamique comme la CEL, incorporée par renvoi au paragraphe 12.7(1), entre en conflit avec le texte législatif et il a fourni un mécanisme pour gérer les circonstances de ce conflit. L’appelante était d’avis que l’article 1.6 du Règlement permet clairement au soussigné de tenir compte du devoir plus général en vertu du paragraphe 19.5(3) afin de veiller à ce qu’aucune mesure préventive ne serve à créer un risque distinct. Lorsque c’est le cas, l’appelante a argüé que l’article 1.6 du Règlement permettait au soussigné de déroger à l’exigence du paragraphe 12.7(1) du Règlement.

[98]             À ce sujet, EACL a soutenu que, si la norme CEL intégrée par renvoi était interprétée de sorte qu’elle exige le choix d’un dispositif de protection des voies respiratoires figurant dans la CEL, ce qui crée un autre danger, cela entrerait en conflit avec le paragraphe 19.5(3) du Règlement, qui doit l’emporter. Selon ce principe, si l’interprétation exigeait le choix de n’importe quel appareil respiratoire figurant dans la CEL, sans tenir compte de l’obligation de l’employeur de fournir une protection contre les substances dangereuses, l’appelante affirmait que le devoir général de l’employeur en vertu de l’article 124 du Code l’emportait.

[99]             En conclusion, l’appelante a affirmé que l’instruction de se conformer au paragraphe 12.7(1) devait être annulée. Selon l’appelante, il est impossible pour EACL de se conformer à l’instruction en raison de la lacune dans la CEL touchant la catégorie des ARÉA offrant une protection pour les voies respiratoires contre le gaz et la vapeur radiologiques. Exiger le respect strict de cette exigence ne respecterait pas une approche large et fondée sur l’objet visé à l’interprétation du Code et du Règlement et irait à l’encontre des dispositions du paragraphe 19.5(3) du Règlement et de l’article 124 du Code.

Analyse

[100]             Comme il a clairement été démontré précédemment, l’affaire n’implique qu’une seule partie. J’ai néanmoins jugé qu’il était nécessaire de traiter en détail non seulement la preuve présentée et la position de cette partie, mais aussi, dans la mesure du possible, les opinions de l’agente de SST et de l’ingénieure d’EDSC qui l’a conseillée pour émettre l’instruction visée par le présent appel qui ont été exprimées dans le rapport de l’agente de SST et dans leurs témoignages à l’audience. Les témoignages et la preuve ont permis d’obtenir les faits non contestés, soit que l’appareil respiratoire C4/C2A1 utilisé chez EACL pour l’utilisation prévue de protection contre le gaz et la vapeur radiologiques ne figure pas dans la NIOSH Certified Equipment List et qu’aucun appareil respiratoire pour cette utilisation prévue, qui inclut le tritium et la vapeur d’eau tritiée, ne figure dans cette liste puisque, comme il a été démontré de façon évidente, le NIOSH ne possède pas de protocole pour certifier ces appareils respiratoires.

[101]             La preuve indique qu’il existe d’autres types d’appareils respiratoires décrits comme « efficaces » pour la même utilisation prévue de protection contre le gaz et la vapeur radiologiques; cette caractéristique est donnée par les fabricants après leurs recherches sur l’efficacité de certains produits qu’ils fabriquent eux-mêmes. Cela ne constitue toutefois pas une certification du NIOSH, mais cela confirme que ces appareils respiratoires offrent le niveau de protection nécessaire. Enfin, la preuve au sujet du système respiratoire C4/C2A1 dont il est question dans la présente affaire indique que la caractéristique « efficace » n’a pas été donnée à ce système, ce qui s’explique par le fait qu’il a été développé par les Forces armées et donc qu’il n’est pas assujetti aux restrictions commerciales. Cependant, il y a suffisamment de preuves, obtenues du témoin expert entendu à l’audience et des fabricants d’autres appareils respiratoires, indiquant que cet appareil respiratoire offre le niveau de protection nécessaire pour l’utilisation prévue de protection contre le gaz et la vapeur radiologiques et qu’il pourrait même être supérieur aux appareils dits « efficaces » à plusieurs égards. Toutefois, l’obligation qui, selon l’instruction, aurait été violée est très précise et porte exclusivement sur la fourniture de dispositifs de protection des voies respiratoires figurant dans la NIOSH Certified Equipment List. Grâce aux différents témoignages et aux autres preuves, on a pu établir que les dispositifs en question étaient principalement l’appareil respiratoire C4/C2A1 utilisé pour la protection contre le gaz et la vapeur radiologiques. Il incombe de mentionner ici que l’agente de SST Arsenault n’affirmait pas en émettant l’instruction visée par l’appel que l’appareil respiratoire fourni par l’appelante, C4/C2A1, ou d’autres ne fournissait pas la protection nécessaire contre le gaz et la vapeur radiologiques, mais simplement qu’il ne respectait pas le paragraphe 125(1)l) du Code et plus particulièrement le paragraphe 12.7(1) du Règlement. Aucune preuve n’a été présentée affirmant que les appareils respiratoires utilisés n’offraient pas la protection nécessaire. En réalité, la seule preuve présentée à ce sujet était qu’il offrait la protection nécessaire.

[102]             La réponse de l’appelante à l’instruction et sa position que l’instruction devait être annulée portaient principalement sur l’impossibilité de se conformer à l’obligation règlementaire de fournir un certain type d’équipement de protection personnelle (certifié par le NIOSH) parce qu’il n’existe aucun équipement, comme le décrit la disposition applicable du règlement, répondant à cette description. En formulant sa position, l’appelante l’a toutefois précisée en ajoutant que, non seulement il y a une lacune dans la CEL au sujet de la protection contre le gaz et la vapeur radiologiques, mais que si elle était forcée de fournir et d’utiliser un appareil respiratoire figurant dans la CEL, même s’il n’est pas certifié pour l’utilisation prévue contre le gaz et la vapeur radiologiques, conformément à l’instruction et à la formulation du Code et du Règlement applicable, cet appareil n’offrirait pas la protection de base des employés exigée par le Code et le Règlement applicable; ainsi, elle se conformerait à l’obligation précise tout en omettant de se conformer à son obligation de protection générale en vertu de l’article 124 du Code. Enfin, il incombe de réitérer que la preuve fournie par l’appelante a aussi permis d’établir que, pour ce qui est de la protection réelle contre le gaz et la vapeur radiologiques, l’appareil respiratoire fourni par l’appelante offre la meilleure protection et est même supérieur aux appareils respiratoires décrits comme « efficaces » à la suite des essais de leur fabricant.

[103]             Avant de continuer, il est important de bien comprendre quelles sont les obligations en vertu de la loi et de ses règlements. Il faut donc noter que, dans son ensemble, le Code mentionne que son objet général est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi » (article 122.1) et que ces mesures préventives doivent suivre un ordre d’importance et donc « la prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection », le tout en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[104]             Compte tenu de ce contexte, l’obligation indiquée par l’agente de SST Arsenault dans son instruction comme étant visée par l’infraction comporte deux parties, puisque l’alinéa 125(1)l) du Code indique, par l’utilisation du mot « règlementaire », qu’il doit être appuyé, ou précisé, par un règlement particulier. Ainsi, bien que l’alinéa 125(1)l) du Code force l’employeur à fournir à chacune des personnes auxquelles il permet l’accès du lieu de travail, principalement ses employés, « le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité », le Règlement précise (comme l’indique le mot « règlementaire ») lesquels doivent être fournis et utilisés pour offrir la protection nécessaire en fonction des conditions en vigueur sur le lieu de travail où la protection doit être fournie, ce qui amène le concept d’« utilisation prévue ».

[105]             À cet égard, je partage entièrement l’avis ou le commentaire du témoin expert, Mme Dickson, qui a déclaré que « le concept d’"utilisation prévue" ou d’application est important puisque les appareils respiratoires sont certifiés pour la protection contre un certain type ou une certaine catégorie de danger et qu’on présume que l’utilisateur connaît l’utilisation prévue lorsqu’il choisit un appareil respiratoire figurant dans la CEL. » Toutefois, cela ne constitue pas toute l’obligation d’un employeur en vertu du Code. Bien que l’article 125 du Code, et plus particulièrement le paragraphe 125(1), énumère un certain nombre d’obligations de l’employeur, dont la grande majorité exige plus de précisions pour leur application par l’ajout d’une disposition règlementaire comme dans le cas qui nous occupe, il incombe de souligner que le préambule de cette disposition prévoit qu’elle s’applique « [d]ans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124 », ce qui signifie que, pour chaque obligation présentée à l’article 125, il demeure toujours le devoir général, sous-jacent et indissociable de l’employeur de veiller « à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail », qui selon moi vise l’application des règles d’interprétation règlementaire. Donc, si l’application d’une obligation précise en vertu du Code échoue pour quelque raison que ce soit, y compris l’impossibilité de la conformité comme dans la présente affaire, l’employeur demeure tout de même forcé de veiller « à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ».

[106]             Au risque de me répéter, il est important de noter de nouveau que la preuve incontestée démontre que la CEL ne contient pas d’appareil respiratoire certifié pour offrir la protection nécessaire pour l’utilisation prévue contre le gaz et la vapeur radiologiques. Il incombe aussi de répéter que l’instruction émise par l’agente de SST Arsenault parle uniquement d’une infraction pour omission de fournir un appareil respiratoire (un « dispositif de protection des voies respiratoires ») figurant dans la NIOSH Certified Equipment List. Enfin, il faut aussi réitérer la preuve de Mme Dickson que [Traduction] « [l]a quasi-totalité des appareils respiratoires utilisés chez EACL sont certifiés par le NIOSH pour leur utilisation prévue. Lorsqu’il n’existe pas de certification du NIOSH, les appareils respiratoires choisis par EACL sont très appropriés pour leur utilisation prévue, soit la protection contre les dangers radiologiques. » Selon moi, cela signifie que, compte tenu de l’ensemble de son rapport et de son témoignage, cela répond au concept d’ALARA au sujet de l’exposition des personnes au rayonnement. Finalement, même si l’appareil respiratoire C4/C2A1 faisait l’objet de la discussion, il faut noter qu’EACL a aussi choisi deux autres appareils respiratoires (ARÉA) pour une faible protection contre l’iode radioactif, le tritium et la vapeur d’eau tritiée (Comfo/GMI avec TEDA et appareil respiratoire au tritium), l’un de ces appareils n’étant pas certifié par le NIOSH et l’autre n’étant pas certifié par le NIOSH pour l’application prévue, ce qui ferait en sorte qu’ils tomberaient dans la portée de l’instruction visée par l’appel, ainsi que la réponse de l’appelante, dont a parlé le témoin expert, Mme Dickson, présentant l’affirmation non contestée mentionnée précédemment que :

[Traduction] Pour ce qui est de l’appareil respiratoire choisi par EACL pour l’environnement radiologique où on retrouve du tritium radioactif et de la vapeur d’eau tritiée, il n’existe aucun appareil respiratoire certifié par le NIOSH pour cette utilisation et aucun autre ARÉA pour la protection des travailleurs contre le tritium ou la vapeur d’eau tritiée. L’adoption d’un appareil qui n’est pas un ARÉA ajoute d’autres facteurs de risques qui ne sont pas associés à la protection des voies respiratoires et le choix de ne pas utiliser d’ARÉA dans cet environnement ferait augmenter l’exposition des travailleurs.

L’appelante a affirmé que, dans l’affaire qui nous occupe, il serait pertinent d’adopter une approche large et fondée sur l’objet visé et elle a souligné au soussigné l’article 12 de la Loi d’interprétation, qui exige que tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet, soit celui énoncé dans l’article sur l’objet du Code, « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ».

L’appelante a également invité le soussigné à suivre le principe « moderne » d’interprétation de la législation qui demande l’analyse du sens textuel de la législation puis l’évaluation du contexte complet du texte législatif, y compris son intention législative, ce que l’ouvrage intitulé Construction of Statutes de Driedger décrit comme la lecture d’une loi dans son ensemble ou autrement dit : [Traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur». Je suis entièrement d’accord avec l’appelante à ce sujet. Comme il a déjà été mentionné, forcer l’utilisation d’un appareil de protection qui n’est pas adapté au danger visé, en fondant uniquement cette décision sur le sens ordinaire de la législation ou de la règlementation, entraînerait un résultat contraire à l’objet de la législation. À mon avis, pour interpréter adéquatement la législation il ne suffit certainement pas de donner un sens ou de reconnaître le sens des termes sans tenir compte de la loi ou du texte règlementaire dans son ensemble ni de l’intention. Il faut considérer que l’objet est primordial. Par conséquent, lorsque l’objet et les mots entrent en conflit, l’objet doit l’emporter.

[107]             L’agente de SST Arsenault a émis son instruction parce que l’appelante commettait une infraction. Théoriquement, une infraction comprend la violation d’une obligation exprimée de diverses façons, principalement par la législation; pour que cette obligation soit contraignable, il ne suffit pas à mon avis de présenter une déclaration sur ce qui doit être fait. La possibilité d’accomplir ce qui doit être fait est cruciale pour que la conformité soit demandée et que la contraignabilité soit assurée. De façon plus pragmatique, pour qu’une obligation en soit une, il ne suffit pas de suivre la formulation; il faut aller au-delà des mots pour vérifier que ce qu’ils exigent, c’est-à-dire leur contenu, est possible. Si ce n’est pas le cas, l’obligation n’est pas contraignable et on ne peut demander valablement la conformité. Cela nous ramène donc à l’argument de l’impossibilité de la conformité que l’appelante a présenté et je suis en accord avec cet argument. Je suis également d’avis que cet argument s’applique dans l’affaire qui nous occupe.

[108]             Dans son argument au sujet de l’impossibilité de la conformité, l’appelante a aussi présenté un argument demandant au soussigné d’accepter le fait que le choix effectué aux termes de l’instruction d’un dispositif de protection des voies respiratoires figurant dans la CEL et n’offrant pas la protection nécessaire pour l’utilisation prévue contre le gaz et la vapeur radiologiques entraînerait l’application du paragraphe 19.5(3) du Règlement, qui prévoit qu’une mesure préventive ne doit pas constituer un risque un soi; si c’est le cas, il y a incompatibilité avec les dispositions en vertu desquelles le choix est fondé, le paragraphe 12.7(1) dans le cas qui nous occupe, et, en vertu de l’article 1.6 du même Règlement, l’incompatibilité doit être résolue en appliquant le principe énoncé au paragraphe 19.5(3). Pour être d’accord avec cette position, le soussigné devrait accepter que la liste mentionnée au paragraphe 12.7(1), la NIOSH Certified Equipment List, constitue une norme incorporée par renvoi, que l’appelante appelle une norme dynamique, pour répondre à la formulation de l’article 1.6 du Règlement, qui prévoit que « [l]es dispositions du présent règlement l’emportent sur les normes incompatibles incorporées par renvoi. » Cette approche semble trouver grâce aux yeux du soussigné, puisque je conviens qu’aucune mesure préventive choisie à la suite de l’application d’une disposition règlementaire ne devrait constituer un risque en soi et que, lorsque c’est le cas, l’utilisation devrait être empêchée, mais je ne suis pas convaincu que la CEL peut être appelée une norme ou une norme incorporée par renvoi ni qu’elle constitue une telle norme.

[109]             De plus, toute interprétation de cette question particulière peut avoir une incidence sur l’application du Règlement. Il faudrait donc revoir cette question dans une affaire n’impliquant pas qu’une partie appelante, sans autre partie pour répondre à ses arguments. Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de régler cette question particulière dans le cadre du présent appel et je ne poursuivrai pas à ce sujet. De plus, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de parler de l’application de la norme Z94.4-M1982 de la CSA portant sur le choix, l’utilisation et l’entretien des appareils respiratoires dans cette affaire compte tenu du témoignage de Mme Dickson et du texte de cette norme, qui indique qu’elle ne vise pas la sélection des appareils respiratoires pour la protection contre les contaminants radiologiques, ce qui fait qu’elle ne s’applique pas aux faits de la présente affaire. Enfin, le fait qu’un processus de modification de la règlementation puisse être en cours et pourrait résoudre la situation visée par l’instruction de l’agente de SST Arsenault n’est pas pertinent à ce moment, comme je l’ai mentionné à l’appelante à l’audience, puisque l’affaire qui nous occupe doit être évaluée et résolue en fonction de la législation en vigueur au moment de l’émission de l’instruction.

[110]             Mon rôle à titre d’agent d’appel est d’évaluer l’affaire qui m’est présentée en fonction de l’ensemble de la preuve et des arguments présentés par les parties. Comme il a déjà été mentionné, l’affaire qui nous occupe touche une seule partie; la preuve et les arguments ne présentent donc qu’un côté. Cela étant dit, j’ai trouvé que le témoignage et la preuve présentés par le témoin expert, Mme Dickson, étaient très convaincants. Compte tenu de l’ensemble de la preuve et des observations présentées par l’avocate de l’appelante, je trouve valable l’argument de l’impossibilité de la conformité et de la primauté de l’obligation générale de protection en vertu de l’article 124 du Code, lorsque la conformité au paragraphe 12.7(1) du Règlement pourrait constituer un risque au lieu de prévenir un risque. Le fait de maintenir l’instruction telle qu’émise, et donc de donner préséance à la formulation du paragraphe 12.7(1) sans tenir compte de l’intention générale de la législation équivaudrait à agir par automatisme et je ne peux m’empêcher de croire que c’est ce qui s’est passé dans cette affaire. Je peux accepter que le but de l’instruction n’était pas d’ordonner le choix d’un appareil respiratoire, peu importe l’utilisation prévue et la capacité de protection, mais en réalité, si l’instruction était maintenue, c’est exactement ce qui se passerait et cela contreviendrait à l’objet du Code, qui est d’abord et avant tout la protection des travailleurs.

[111]             En examinant l’ensemble de la documentation présentée dans la présente affaire, j’ai pu constater l’évolution de l’affaire et la façon dont l’instruction a été émise, ce qui m’amène à présenter les commentaires suivants. L’autorité d’application d’un agent de santé et de sécurité n’est pas un exercice visant à prouver qu’il a tort. Cette autorité comprend l’obligation d’agir de façon responsable lorsque l’agent force une partie à se conformer ou à prendre une mesure qu’elle est vraiment tenue de prendre. La personne qui demande l’application doit donc chercher à obtenir des connaissances au sujet de l’obligation ou des obligations auxquelles elle souhaite demander la conformité, ce qui va au-delà de la simple étude des termes qui expriment cette obligation. Par définition, la législation est de portée générale. Lorsqu’on exige d’une partie qu’elle pose un geste particulier en vertu de cette législation, il faut d’abord vérifier et savoir si cela est possible en fonction de l’application générale de la législation.

[112]             Toutefois, selon moi, la conduite de l’appelante n’est pas elle-même irréprochable. Ses témoins ont affirmé avec fierté qu’EACL possédait un programme complet en matière de santé et de sécurité au travail depuis plusieurs années. Depuis plusieurs années, elle savait qu’une partie de son programme de protection des voies respiratoires ne répondait pas à la lettre de la règlementation applicable, mais elle a choisi de prendre peu de mesures, voire aucune, pour clarifier et corriger la situation, tout en accordant possiblement trop d’importance à une série d’échanges datant de plus de trente ans avec les représentants de l’organisme alors appelé Travail Canada, qui se disaient [Traduction] « impressionnés par son équipement de protection des voies respiratoires ». Je suis quelque peu déconcerté par le fait qu’un employeur possédant un programme de santé et de sécurité au travail complet et efficace affirme que, pendant toutes ces années, il n’a jamais appris l’existence du comité d’examen réglementaire au sein de Travail Canada et de ce qui est devenu le Programme du travail d’EDSC, ni même celle d’ETCOF, à travers lequel il aurait pu discuter de changements potentiels à la législation applicable. Cependant, cette attitude n’a pas d’incidence sur l’instruction évaluée dans le cadre du présent appel.

[113]             Cela étant dit, la preuve qui a été présentée a démontré que l’appelante satisfait à son obligation générale de protection en vertu de l’article 124 du Code et donc, même si j’ai le pouvoir de modifier une instruction évaluée dans le cadre d’un appel pour atteindre l’objectif puisque j’agis dans un processus de novo, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de le faire dans cette affaire. De plus, compte tenu de la preuve et de tous les arguments présentés par l’appelante, je juge qu’il lui serait impossible de se conformer à l’instruction tout en assurant la conformité à l’objet et à l’obligation de protection générale en vertu du Code. Par conséquent, ma conclusion est que l’instruction ne peut être maintenue et que l’appel est accordé.

Décision

[114]             Pour les motifs indiqués précédemment, l’appel est accordé et l’instruction est annulée.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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