2013 TSSTC 23

Référence : Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2013 TSSTC 23

Date : 2013-08-08
Dossier : 2009-05
Rendue à : Ottawa

Entre :

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

et

Société canadienne des postes

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise à la Société canadienne des postes.

Décision : L’instruction est modifiée.

Décision rendue par : M. Richard Lafrance, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : M. David Bloom, avocat, Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP

Pour l’intimée : M. Stephen Bird, avocat, Bird Richard

MOTIFS

[1] Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par Mme Gayle Bossenberry, 1re vice-présidente nationale du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le STTPFootnote 1) à l’encontre d’une instruction émise à la Société canadienne des postes (Postes Canada) par l’agente de santé et de sécurité (l’agente de SST) Nicole Dubé le 8 décembre 2008. L’instruction en question affirmait ce qui suit :

[…]

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes du Code canadien du travail, partie II, ont été enfreintes :

No 1

125.(1)z.19) - Partie II du Code canadien du travail

L’employeur a omis de consulter le comité local ou le représentant en matière de santé et de sécurité pour la mise en œuvre et le contrôle de l’outil d’évaluation de la sécurité routière (ESR) pour les Factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) élaboré en consultation avec le comité d’orientation .

No 2

125.(1)z-11) - Partie II du Code canadien du travail

L’employeur a omis de fournir au comité local de santé et de sécurité et aux représentants en matière de santé et de sécurité une copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, y compris les résultats de l’ESR.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code canadien du travail, partie II, de cesser ces contraventions au plus tard le 15 décembre 2008.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par l’agent de santé et sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

[…]

ContexteFootnote 2 

[2] Avant 2004, Postes Canada ne possédait pas de processus systématique pour évaluer la sécurité de la livraison dans les boîtes aux lettres rurales (BLR) par les employés et les entrepreneurs. En 2004, le STTP est devenu l’agent négociateur pour les Factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) et a conclu une convention collective avec Postes Canada. Après la conclusion de la convention collective, il y a eu des plaintes et des refus de travailler de la part de FFRS de divers endroits au pays au sujet de la sécurité de la livraison aux BLR.

[3] Compte tenu des grandes préoccupations des FFRS au sujet de la sécurité en 2006, Postes Canada a embauché le Conseil national de recherches (CNR) pour qu’il élabore un modèle ou un outil pouvant servir évaluer la sécurité de la livraison par les FFRS. En raison des restrictions du modèle du CNR, Postes Canada a embauché ITRANS pour mettre au point l’outil d’évaluation de la sécurité routière (ESR). Même s’il n’a pas participé à l’embauche d’ITRANS, le STTP a reconnu que Postes Canada l’avait consulté relativement à l’élaboration de l’ESR.

[4] Au cours du processus d’ESR, l’évaluateur présente ses observations au cours de chaque inspection du lieu de travail et il recueille et consigne des données. Le processus d’inspection du lieu de travail comprend ce qui suit :

  • déterminer le nombre de voies de circulation et la vitesse habituelle du trafic;
  • déterminer si le véhicule de livraison sort de la route pendant la livraison;
  • compter le nombre de véhicules passant la BLR;
  • déterminer si le BLR est près d’une colline, d’une courbe ou d’un obstacle et, le cas échéant, mesurer (à l’aide d’un chronomètre) à quelle vitesse (l’écart) un véhicule qui s’approche atteint le véhicule de livraison qui tente de retourner sur la route ou le temps dont dispose un véhicule qui s’approche pour éviter un véhicule de livraison arrêté;
  • déterminer si une BLR qui échoue à l’ESR peut être déplacée à un autre endroit (acceptable) près de son emplacement actuel non sécuritaire.

[5] En septembre 2007, le Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) a reçu une plainte de Mme Gayle Bossenberry, qui affirmait que Postes Canada contrevenait à la partie II du Code au sujet de l’application de l’ESR.

[6] Mme Bossenberry affirmait dans sa plainte que, en réponse aux plaintes et aux refus de travailler des FFRS, Postes Canada avait lancé à divers endroits au pays un projet pour évaluer la sécurité de la livraison à toutes les BLR. Ce processus portait sur l’application de l’ESR, qui vise à déterminer si la livraison peut se faire de façon sécuritaire.

[7] Mme Bossenberry a affirmé que ni le comité d’orientation (que Postes Canada appelle le Comité national mixte de santé et de sécurité (CNMSS)) ni les comités locaux de santé et de sécurité (que Postes Canada appelle les comités locaux mixtes de santé et de sécurité (CLMSS)) ni les représentantes et représentants en matière de santé et de sécurité (les RRSS) ne participaient au processus d’évaluation qui comprend des inspections et des mesures sur les lieux au sujet du trafic et des voies.

[8] Mme Bossenberry a expliqué que, bien que des données complètes sur toutes les BLR aient été recueillies, le CNMSS n’a pas reçu les rapports contenant cette information et n’a reçu que les données totales sur le nombre de BLR ayant échoué à l’évaluation ou l’ayant réussie. Le CNMSS n’a pas reçu les données disponibles sur le critère auquel a échoué ou non l’évaluation.

[9] Mme Bossenberry a souligné que le processus de Postes Canada allait clairement à l’encontre du Code pour les raisons suivantes :

  • omission d’inclure les comités de santé et de sécurité dans les inspections ou enquêtes (en matière de sécurité) des boîtes aux lettres rurales, en contravention de l’article 125 et des alinéas 135(7)e) et 136(5)g) (et possiblement d’autres articles);
  • omission de donner l’information complète au Comité national mixte de santé et de sécurité (le comité d’orientation) au sujet des évaluations sur la sécurité des boîtes aux lettres rurales. L’information donnée était incomplète et ne constituait qu’un résumé, ce qui contrevient à l’alinéa 134(4)(6) (et possiblement à d’autres articles).

[10] L’agente de SST Dubé a été affectée à l’enquête au sujet de la plainte. Elle a organisé des rencontres avec les parties jusqu’à ce que l’instruction soit émise le 8 décembre 2008.

[11] À la fin de son enquête, l’agente de SST Dubé a conclu que Postes Canada contrevenait au Code et elle a émis l’instruction susmentionnée.

[12] Le 5 février 2009, M. Stephen Bird, avocat de Postes Canada, a demandé au Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) de rejeter l’appel, puisqu’il n’avait pas été présenté dans les délais prescrits par le Code. Le 17 avril 2009, après avoir reçu des observations écrites des parties, l’agent d’appel a décidé que la demande d’appel était recevableFootnote 3.

[13] La Cour fédérale a cassé cette décision le 16 février 2010Footnote 4. Le 15 janvier 2011, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appelFootnote 5 et a rétabli la décision de l’agent d’appel. Enfin, le 16 juin 2011, la Cour suprême du Canada a rejetéFootnote 6 la demande d’autorisation d’appel du jugement de la Cour d’appel fédérale.

[14] À l’audience, l’agente de SST Dubé a témoigné qu’elle connaissait l’outil d’ESR parce qu’elle avait déjà participé à d’autres dossiers dans la région de Montréal. Elle a affirmé qu’elle comprenait que l’outil servait à évaluer chaque point de remise afin de savoir si la livraison à ces points était sécuritaire.

[15] Elle a également affirmé qu’on lui avait dit qu’une tierce partie effectuait les évaluations. Elle comprenait que, si une BLR était jugée non sécuritaire selon les critères de l’ESR, elle était retirée de la liste ou déplacée à un endroit sécuritaire.

[16] Ses souvenirs au sujet de la plainte étaient que les CLMSS souhaitaient être présents lorsque l’outil d’ESR était utilisé pour évaluer une route de livraison. Elle a affirmé que les CLMSS se plaignaient de ne pas avoir reçu les résultats des évaluations.

[17] Elle comprenait que le CNMSS avait reçu des rapports au sujet des évaluations et que ce n’était que lorsqu’un employé n’était pas satisfait du résultat de l’évaluation que le CLMSS était appelé aux termes du processus de règlement interne des plaintes (article 127 du Code). Si la question n’était pas résolue à cette étape, un agent ou une agente de SST de RHDCC était appelé pour résoudre le problème. Elle croyait que l’ESR était une évaluation au sujet de la « sécurité ». Elle était également d’avis que le CLMSS devait participer à l’ESR.

[18] Elle a affirmé qu’elle avait effectué des visites de lieux de travail afin de savoir si les CLMSS participaient aux évaluations. Au cours de ses visites, elle a remarqué que la plupart du temps les FFRS ne savaient même pas si leurs routes de livraison étaient évaluées et quand elles l’étaient. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas trouvé de membres de CLMSS ayant participé aux ESR. Toutefois, lorsque l’évaluation était terminée, les FFRR recevaient les résultats et ils pouvaient poser des questions à leur sujet.

[19] Elle a expliqué que, selon l’interprétation du Code par le Programme du travail, il incombe au comité local de santé et de sécurité de choisir la façon dont il participe aux évaluations. Elle a convenu qu’il n’était pas nécessaire que les CLMSS ou les RRSS soient présents à toutes les ESR, tout comme le CNMSS.

[20] L’agente de SST Dubé a indiqué qu’elle avait reçu le 15 décembre 2009 en réponse à l’instruction qu’elle a émise à Postes Canada le 8 décembre 2008 la confirmation de Postes Canada que le processus [Traduction] « s’assure maintenant que toutes les demandes d’ESR futures comprennent la “consultation” de l’employé et du comité local de santé et de sécurité ou des représentantes ou représentants en matière de santé et de sécurité sur les lieux ».

[21] Postes Canada l’a informée de plus que le processus veillait maintenant à ce que les employés et le CLMSS ou les RRSS pertinents reçoivent les résultats de l’ESR. Elle a accepté la réponse de Postes Canada à l’instruction et a jugé que le dossier était clos.

[22] Elle a expliqué qu’elle avait omis d’inclure dans son instruction que Postes Canada devait fournir les résultats de l’ESR au CNMSS parce que Postes Canada lui avait dit que ce comité avait accès à ces documents.

[23] Elle a ajouté que Mme Bossenberry l’avait informée après l’instruction que Postes Canada ne donnait toujours pas au CNMSS les résultats complets des ESR.

[24] Les motifs de l’appel étaient formulés comme suit :

  • [Traduction] L’agente de santé et de sécurité Nicole Dubé a erré en omettant de conclure que la Société canadienne des postes contrevenait à la partie II du Code, notamment les alinéas 135(7)e) et 136(5)g), et en n’émettant pas les instructions pertinentes.
  • L’agente de santé et de sécurité Nicole Dubé a erré en ne concluant pas que la Société canadienne des postes contrevenait à la partie II du Code, notamment les paragraphes 134.1(4), 134.1(5) et 134.1(6) et en n’émettant pas les instructions pertinentes.
  • L’agente de santé et de sécurité Nicole Dubé a erré en fermant le dossier hâtivement sans donner au STTP l’occasion raisonnable de présenter d’autres observations et sans émettre les instructions pertinentes afin de veiller à la conformité de la Société canadienne des postes à tous les articles pertinents de la partie II du Code.

[25] Les audiences se sont tenues à Ottawa, en Ontario, les 10 et 11 décembre 2009, le 13 janvier 2010, du 3 au 5 août 2011, les 4 et 5 janvier 2012, le 10 février 2012 et les 26 et 27 juin 2012. Les dernières observations écrites ont été reçues le 23 juillet 2012, le 2 août 2012 et le 13 août 2012.

Partie I – Question préliminaire

[26] Après avoir entendu les déclarations préliminaires des deux parties, compte tenu des particularités des problèmes soulevés et des recours demandés, j’ai demandé des observations sur la portée de mes pouvoirs dans le contexte du présent appel en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code, qui se lit comme suit :

Enquête

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[27] Le 11 janvier 2010, j’ai reçu des observations écrites des deux parties. Je les ai informées que je tiendrais compte de leurs observations et que je rendrais ma décision sur la question dans la décision finale au sujet de l’appel.

Observations de l’appelant

[28] M. Bloom a observé que l’agente de SST Dubé, dans son enquête au sujet de la plainte du STTP, avait trouvé que Postes Canada contrevenait à de nombreux articles du Code et émis des instructions pertinentes à Postes Canada afin qu’elle cesse les infractions et pour veiller à ce qu’elles ne se reproduisent plus.

[29] Toutefois, l’agente de SST Dubé n’a pas constaté qu’il y avait contravention aux autres articles cités par le STTP dans cette affaire et elle n’a pas inclus ces dispositions dans les instructions émises à Postes Canada. En outre, il a allégué que les instructions de l’agente ne semblaient viser que certains emplacements dans la région d’Ottawa et dans l’est de l’Ontario, où elle a mené son enquête.

[30] M. Bloom a argüé que l’agent d’appel avait le pouvoir de prendre la décision au sujet de l’appel et de modifier la décision et les instructions de l’agente de SST pour accorder les mesures réparatoires demandées par l’appelante. Il a affirmé que l’article 146 du Code accorde clairement à l’agent d’appel le pouvoir d’entendre et de prendre une décision au sujet de l’appel visant les instructions de l’agente de SST dans cette affaire. M. Bloom a argüé que, selon l’alinéa 146.1(1)a) et le paragraphe 145.1(2) du Code ainsi que la jurisprudence sur cette question, l’agent d’appel avait le pouvoir général de modifier la décision et les instructions de l’agente de SST. Il a affirmé que cette position est appuyée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Martin c. Canada (Procureur général)Footnote 7 :

[27] Aux termes de l’article 146.1, l’agent d’appel peut « modifier, annuler ou confirmer » les instructions de l’agent de santé et sécurité. L’agent d’appel peut par ailleurs annuler les instructions que l’agent de santé et sécurité a données en vertu du paragraphe 145(2) et qui, selon lui, ne sont pas indiquées. Toutefois, comme il est maintenant investi des mêmes pouvoirs que l’agent de santé et sécurité, il peut aussi modifier les instructions en donnant celles que, selon lui, l’agent de santé et sécurité aurait dû donner.

[31] M. Bloom a observé que, selon la décision dans l’arrêt Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. WoollardFootnote 8, les pouvoirs de l’agent d’appel lui permettant de modifier une instruction en vertu du paragraphe 146.1a) comprennent le pouvoir d’émettre une autre instruction, dans la mesure où l’agent d’appel émet aux parties l’occasion de présenter des observations au sujet de cette nouvelle instruction. Dans l’arrêt Woollard déjà cité, la Cour fédérale a écarté l’instruction supplémentaire pour des questions d’équité procédurale, puisque l’agent d’appel n’avait pas donné aux parties l’occasion de présenter d’autres observations au sujet de l’instruction supplémentaire, mais elle a renvoyé l’affaire à l’agent d’appel pour une audience à ce sujet.

[32] Par conséquent, M. Bloom a argüé que ce pouvoir de modification comprend le pouvoir d’élargir la portée de la décision et des instructions et d’émettre les autres instructions que l’agent ou l’agente de SST aurait dû émettre pour remédier à l’infraction du Code par le Canadien Pacifique.

[33] Enfin, M. Bloom a soutenu que l’agente de SST Dubé avait erré en ne concluant pas que Postes Canada contrevenait aux autres articles du Code, notamment les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) et les paragraphes 134.1(4), 134.1(5) et 134.1(6). Il a observé que l’agente de SST avait clos le dossier prématurément sans donner au STTP l’occasion raisonnable de présenter d’autres observations. Il a demandé à l’agent d’appel d’émettre les instructions pertinentes pour remédier aux infractions du Code par Postes Canada.

Observations de l’intimée

[34] M. Bird a affirmé que ni Postes Canada ni le STTP ne demandait un recours visant les instructions émises par l’agente de SST Dubé. Il a allégué que, pour avoir gain de cause dans cet appel, le STTP demandait que le terme « modifier » soit interprété de façon large pour y inclure la compétence d’émettre une « nouvelle instruction » fondamentalement différente à celles déjà émises, afin de régler les questions soulevées dans la plainte du STTP.

[35] M. Bird a argüé que le STTP ne se sentait pas lésé par les instructions émises, mais plutôt par le fait que l’agente de SST n’avait pas émis certaines instructions. Il a soutenu que le STTP interjetait appel parce que l’agente de SST n’avait pas émis les instructions qu’il souhaitait.

[36] Par conséquent, M. Bird a affirmé que, puisque le STTP ne demandait pas un appel visant les instructions émises , il n’y avait pas de motifs d’appel. Il a soutenu que le STTP demandait à l’agent d’appel de trouver d’autres infractions au Code qui n’ont aucun lien avec la présente affaire.

[37] M. Bird a argüé que les modifications apportées au Code en 2000, notamment l’ajout d’une nouvelle disposition permettant précisément à un agent d’appel d’émettre une instruction qu’il juge pertinente en vertu des paragraphes 145(2) ou (2.1) en lien avec un « danger » au sens du Code, limitent l’application et la portée du terme « modifier » à l’alinéa 146.1(1)a).

[38] M. Bird a disserté au sujet de l’interprétation que devraient adopter les tribunaux pour le terme « modifier ». Il a conclu que la jurisprudence en vertu de la version antérieure du Code révélait que le terme « modifier » a été interprété de façon assez large pour permettre à un agent régional de sécurité de remplacer une instruction émise par un agent de SST par une nouvelle instruction. Il a affirmé que ce pouvoir aurait pu être accordé à un agent d’appel en vertu de la législation modifiée en remplaçant simplement le terme « agent régional de sécurité » par celui d’« agent d’appel ». Toutefois, il a argüé que le Parlement avait choisi de ne pas le faire, mais qu’il avait plutôt choisi d’ajouter le pouvoir de l’agent d’appel d’émettre de nouvelles instructions et de limiter les circonstances dans lesquelles il pouvait exercer ce pouvoir.

[39] M. Bird a indiqué que, selon l’ouvrage intitulé Sullivan on the Construction of StatutesFootnote 9, page 263, on présume que les différentes parties d’une loi s’assemblent pour former un cadre rationnel à cohérence interne. On présume également que les parties fonctionnent de façon dynamique et contribuent à l’atteinte de l’objectif voulu. Il a ajouté que, si le pouvoir d’ajouter de nouvelles instructions est toujours inclus dans le pouvoir de « modifier », l’alinéa 146.1(1)b), qui décrit les pouvoirs particuliers de l’agent d’appel d’émettre une instruction en vertu des paragraphes 145(2) et (2.1), devient inutile et redondant.

[40] M. Bird a enfin soutenu que l’agent d’appel n’avait pas la compétence d’accorder les recours demandés dans le présent appel par le STTP et qu’il devrait donc rejeter l’appel.

Analyse

[41] Après avoir étudié attentivement les observations des parties, je suis d’avis que, si l’agent d’appel juge que l’employeur se trouve ou se trouvait en situation d’infraction du Code au moment de l’enquête de l’agent de SST, l’agent d’appel peut modifier l’instruction émise par l’agent de SST afin d’émettre l’instruction que l’agent de SST aurait dû émettre à son avis. Selon moi, cela signifie que l’agent d’appel peut modifier une instruction afin d’ajouter d’autres infractions qui, à son avis, auraient dû être mentionnées dans le contexte de l’enquête au sujet des mesures correctives dans l’instruction émise initialement par l’agent de SST.

[42] Les paragraphes 27 et 28 de l’arrêt Martin de la Cour d’appel fédérale déjà mentionné se lisent comme suit :

[27] […] comme il est maintenant investi des mêmes pouvoirs que l’agent de santé et sécurité, il peut aussi modifier les instructions en donnant celles que, selon lui, l’agent de santé et sécurité aurait dû donner.

[28] L’appel interjeté devant l’agent d’appel est un appel de novo. Aux termes de l’article 146.2, l’agent d’appel peut convoquer des témoins et les contraindre à comparaître, recevoir sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice, et procéder, s’il le juge nécessaire, à l’examen de dossiers ou registres et à la tenue d’enquêtes. Compte tenu de ces vastes pouvoirs et de l’ajout du paragraphe 145.1(2), il n’y a aucune raison qui justifierait d’empêcher l’agent d’appel de rendre une décision en vertu du paragraphe 145(1), s’il estime qu’il y a eu contravention à la partie II du Code et ce, malgré le fait que l’agent de santé et sécurité a donné des instructions en vertu du paragraphe 145(2).

[Soulignement ajouté]

[43] J’interprète cette décision de la Cour d’appel fédérale de sorte que, à titre d’agent d’appel qui agit dans un processus de novo et qui dispose des mêmes pouvoirs qu’un agent de SST en vertu du paragraphe 145.1(2), j’ai le pouvoir de modifier une instruction en y ajoutant des infractions qui, selon la preuve recueillie, auraient selon moi dû se trouver dans l’instruction émise par l’agente de SST et visée par l’appel.

[44] À mon avis, cette mesure constitue un exemple d’un agent d’appel qui ajoute ce qu’il croit que l’agent de SST aurait dû mentionner dans son instruction. De plus, l’appelant est lésé par l’instruction émise par l’agente de SST Dubé en raison de l’exclusion des infractions alléguées qui faisaient partie de la plainte de l’appelant dès le départ et devaient donc faire partie de l’enquête initiale de l’agente de SST. Cela constitue une autre raison pour laquelle je crois que les constatations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Martin permettent de conclure que j’ai le pouvoir de modifier l’instruction comme il est demandé dans l’affaire qui nous occupe.

[45] Bref, mon interprétation de la décision Martin me convainc que la modification de l’instruction comme le demande l’appelant serait conforme au pouvoir de modification en vertu de l’alinéa 146.1(1)a) du Code.

[46] Puisque j’ai conclu que j’ai le pouvoir à titre d’agent d’appel de modifier l’instruction de l’agente de SST Dubé de la façon demandée par l’appelant, je passe maintenant à l’évaluation du bien-fondé de l’appel.

Partie II – Décision sur le fond

Questions en litige

[47] L’appelant a soulevé trois questions dans le présent appel :

1. L’agente de SST Dubé a-t-elle erré en fermant le dossier hâtivement sans donner au STTP l’occasion raisonnable de présenter d’autres observations et sans émettre les instructions appropriées pour veiller à ce que Postes Canada respecte tous les articles pertinents de la partie II du Code?

2. Postes Canada contrevenait-elle aux alinéas 135(7)e), 136(5)g) et 125(1) z.08) en omettant de permettre la participation des CLMSS et des RRSS dans le processus d’ESR?

3. Postes Canada contrevenait-elle à l’alinéa 125(1)z.11) et aux paragraphes 134.1(5) et 134.1(6) du Code en omettant de fournir les rapports au CNMSS ou de lui donner accès à ces rapports?

Preuve de l’appelant

[48] M. Bloom a convoqué cinq témoins au nom de l’appelant : Mme Gayle Bossenberry, M. Serge Champoux, Mme Diana Lamb, Mme Toni MacAfee et M. Stéphane Vallé.

[49] Mme Bossenberry, représentante syndicale nationale du STTP, était chargée de la santé et de la sécurité au moment de la plainte et de l’enquête de l’agente de SST. Elle devait traiter avec Postes Canada au sujet de la livraison aux BLR.

[50] Mme Bossenberry a parlé du contexte historique au sujet du processus d’ESR. Elle a mentionné qu’ITRANS avait été embauchée pour approfondir l’évaluation de sécurité et mettre au point l’ESR. Elle a affirmé que l’outil avait été conçu pour vérifier si les BLR se trouvaient dans des emplacements sécuritaires pour les FFRS. Au cours des évaluations, ITRANS regardait particulièrement le type de route, la vitesse du trafic, la ligne de visibilité à partir de la BLR, le temps et le comportement du conducteur.

[51] Elle a confirmé que le STTP avait participé à la conception et à l’évaluation de l’outil. Toutefois, elle a noté qu’ils ont tenté d’en venir à une entente avec Postes Canada au sujet de la participation des comités locaux de santé et de sécurité au processus et au partage de l’information, en vain.

[52] Mme Bossenberry a expliqué que le STTP est d’avis que l’ESR constitue une « évaluation de sécurité ». Pour appuyer cette opinion, elle a mentionné un document de Postes CanadaFootnote 10 présenté dans la preuve qui décrit le rôle de l’évaluation des BLR comme suit :

  • [Traduction] Effectuer l’évaluation de sécurité en suivant les lignes directrices et les procédures de Postes Canada.
  • Donner une évaluation de l’enquête sur le site et des recommandations suffisamment détaillées pour permettre de vérifier la conformité aux exigences de sécurité.
  • Travailler avec la direction régionale de Postes Canada pour interpréter les résultats de l’ESR et les recommandations propres à chaque site pour assurer la sécurité.

[53] Elle a confirmé qu’il n’y avait aucune mention de consultation des CLMSS dans les documents sur l’ESR. Elle comprenait que la position de Postes Canada était que l’ESR n’était pas une inspection de sécurité, contrairement à ce qui était affirmé dans d’autres affairesFootnote 11.

[54] Mme Bossenberry a témoigné que M. Fraser, gestionnaire en matière de santé et de sécurité au travail chez Postes Canada, avait écrit dans une lettre à l’intention de l’agente de SST Dubé que Postes Canada veillait à ce que l’ensemble des plaintes et des refus de travailler en matière de trafic par les FFRS fassent l’objet d’une enquête en vertu des articles 127 et 128 du Code. Toutefois, elle a mentionné que M. Fraser évitait constamment la question de l’évaluation menée sans la participation des CLMSS ou des RRSS.

[55] Mme Bossenberry a donné un exempleFootnote 12 du type d’information cumulée donnée au CNMSS, même s’il avait demandé de recevoir des renseignements plus complets au sujet des résultats de l’ESR comme le permet le Code.

[56] Mme Bossenberry a convenu que le CLMSS et les RRSS n’avaient pas à être présents pour l’évaluation des quelque 843 000 BLR. Toutefois, elle a maintenu que le CLMSS était dans son droit de choisir de participer au besoin pour assurer la réussite de l’application de l’ESR.

[57] Pour ce qui est de la participation significative du CLMSS, Mme Bossenberry a affirmé que la présence du CLMSS est requise pour permettre au comité de vérifier les mesures de la vitesse, le relevé de trafic, les lignes de visibilité, les distances et les variations saisonnières. La présence du CLMSS est aussi requise pour que les parties évaluent les dangers auxquels les employés sont exposés et pour tenter de trouver des mesures pour limiter l’exposition ou éliminer les dangers.

[58] M. Serge Champoux, représentant syndical national du STTP, qui a pris en charge la responsabilité en matière de santé et de sécurité en juin 2008, a confirmé que Postes Canada n’avait jamais fourni de protocole sur la participation du CNMSS et des CLMSS au processus d’ESR depuis qu’il occupe ce poste. De plus, il a confirmé qu’aucune formation sur l’ESR n’était offerte aux CLMSS ni aux RRSS.

[59] Mme Diana Lamb, secrétaire-trésorière de la section locale Tritown du STTP (Place Carleton, Perth et Smith Falls, en Ontario) et représentante en matière de santé et de sécurité au sein du CLMSS pour le bureau de poste de Carleton Place, a témoigné au sujet de la mise en œuvre de l’ESR dans sa région. Elle a expliqué que le CLMSS n’avait jamais été informé du moment où les évaluations auraient lieu. Elle a confirmé qu’elle et les autres membres du CLMSS n’ont jamais reçu de formation sur processus d’ESR. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas participé aux réunions au sujet des résultats de l’évaluation, mais qu’on lui demandait de signer les rapports.

[60] Mme Toni MacAfee était présidente de la section locale Truro du STTP de 2004 à 2008 et est responsable de la formation dans la région de l’Atlantique du STTP depuis 2008. Elle était également membre du CLMSS de 2003 à 2008. La section locale Truro du STTP représente des FFRS dans les 14 bureaux de son territoire.

[61] Mme MacAfee a témoigné qu’à titre de membre du CLMSS elle n’avait jamais eu connaissance à l’avance du moment où les ESR étaient menées et elle n’avait pas reçu de formation au sujet du processus d’ESR. Elle a ajouté qu’elle n’avait jamais reçu les résultats des évaluations effectuées. Bien qu’elle était consciente qu’il y avait des discussions avec certains FFRS au sujet des évaluations, on ne lui a jamais demandé d’y assister.

[62] M. Stéphane Vallé était président de la section locale Farnham du STTP de 2005 à 2008 et membre du CLMSS. Il a témoigné que, à titre de coprésident du CLMSS, Postes Canada ne l’a jamais informé des ESR ni du moment où elles auraient lieu. Il a ajouté qu’il n’était pas invité à y participer et qu’aucun membre du STTP n’était présent aux évaluations. Il a appris de la bouche des employés qu’une évaluation avait lieu à Sutton et à Masonville.

[63] M. Vallé a affirmé qu’on l’avait toutefois invité à participer aux réunions d’examen de l’évaluation et qu’il avait reçu un exemplaire du rapport d’évaluationFootnote 13. Cependant, l’évaluateur ne demandait aux FFRS que de vérifier les adresses figurant sur la liste. M. Vallé a mentionné que les évaluateurs ne voulaient pas discuter des rapports ni répondre à des questions.

[64] M. Vallé a confirmé que le CLMSS ne participait jamais à l’évaluation ni au déplacement des BLR. Il a affirmé qu’il n’avait jamais reçu de formation sur l’ESR de Postes Canada. Il a toutefois obtenu de la documentation du STTP pour s’informer sur le processus. Il a pris cette initiative afin de vérifier certaines des routes évaluées et parce qu’il était préoccupé par les nouveaux emplacements de certaines BLR, qui se trouvaient trop près de la route et ne laissaient pas d’espace pour sortir de la route pour faire la livraison, et parce qu’il y avait des écarts dans le volume du trafic, puisque certaines évaluations avaient été faites beaucoup plus tôt dans la journée que l’heure normale de livraison. Il a également trouvé des problèmes liés à certaines BLR en raison de variations saisonnières parce que l’évaluation avait été faite tôt au printemps, ce qui causait des problèmes pour les livraisons au cours de l’hiver.

[65] M. Vallé a présenté de la documentationFootnote 14 confirmant que les FFRS et le STTP s’étaient plaints du fait que Postes Canada refusait de donner de l’information sur la modification des routes de livraison et de permettre aux membres du CLMSS de participer aux enquêtes, aux inspections ou aux évaluations des BLR.

Preuve de l’intimée

[66] M. Bird a convoqué trois témoins au nom de l’intimée : M. Glenn Briggs, M. Jeff Fraser et Mme Sylvie Prudhomme.

[67] M. Glenn Briggs, directeur, Développement des services ruraux et suburbains de livraison du courrier pour Postes Canada et responsable des questions de livraison sécuritaire par les FFRS, a parlé de sa participation au CNMSS et à l’évaluation, à la mise en œuvre et aux essais de l’ESR. Il a également parlé de la participation du STTP sur le plan local, sous les auspices des CLMSS, à la mise en œuvre de l’outil d’ESR.

[68] M. Fraser, gestionnaire de la santé et de la sécurité pour Postes Canada, a témoigné au sujet de la mise en œuvre de l’outil d’ESR au cours de la phase d’examen proactif des BLR sur le plan national et particulièrement de la participation des CLMSS et des RRSS au processus d’ESR.

[69] Il a témoigné que le CNMSS avait été consulté afin d’établir les critères prioritaires pour les routes au sujet desquelles aucune plainte n’avait été reçue (refus de travailler) et ne devait être évaluée. Il a ajouté que le STTP avait participé à l’élaboration du processus d’ESR.

[70] M. Fraser a confirmé que les CLMSS ne participaient pas au processus d’ESR à moins qu’il y ait des problèmes à régler en vertu des articles 127 ou 128 et que les résultats de l’évaluation n’étaient communiqués qu’aux FFRS concernés et discutés uniquement avec eux.

[71] Il a confirmé de plus que Postes Canada était d’avis que le processus d’ESR n’était pas un processus auquel devait participer le CNMSS ou les CLMSS, puisqu’elle croyait qu’il ne s’agissait pas d’une inspection de sécurité au sens du Code.

[72] Mme Prudhomme, gestionnaire de Postes Canada, est responsable de la sécurité de la livraison pour le Québec. Elle veille à ce que le processus de livraison aux BLR et l’évaluation à l’aide de l’ESR se fassent conformément aux procédures. Elle a confirmé que son mandat était d’informer les employés, les CLMSS et RRSS et les représentants syndicaux du fait que l’évaluation de la sécurité des BLR visait à assurer la sécurité des FFRS.

Arguments des parties

Arguments de l’appelant

Participation au processus d’ESR

[73] M. Bloom a argüé que, depuis le début de l’élaboration des outils d’évaluation, le STTP tentait d’en venir à une entente avec Postes Canada pour que les membres des CLMSS participent au processus d’ESR, comme l’indique le procès-verbalFootnote 15 des rencontres du CNMSS faisant partie de la preuve.

[74] Il a souligné que l’opinion de Postes Canada demeure la même depuis 2007, soit qu’elle n’avait pas l’intention de faire appel aux comités locaux de santé et de sécurité à moins qu’il y ait une plainte ou un refus de travailler en vertu des articles 127 et 128 du Code. Il a insisté sur le fait que cette opinion est conforme à la preuve présentée par M. Jeff Fraser, gestionnaire de la santé et de la sécurité au travail, au cours des procédures à Abbotsford, Maple Ridge et NewmarketFootnote 16.

[75] Comme l’a mentionné M. Vallé dans son témoignage, les membres du CLMSS ne jouaient qu’un très petit rôle dans la région de Farnham. Il a affirmé qu’il n’avait été informé de la réunion d’évaluation qu’à la dernière minute et que le CLMSS n’avait pas participé à l’ESR. À titre de coprésident du CLMSS, M. Vallé n’a reçu que peu d’information sur le processus et n’a pas été invité à participer à l’évaluation.

[76] M. Bloom a observé que Mme MacAfee avait mentionné dans son témoignage qu’elle n’avait jamais été informée du processus d’ESR ni du moment où les évaluations étaient effectuées. Elle avait appris que des évaluations allaient avoir lieu par des employés des régions concernées. Elle a également confirmé qu’elle n’avait jamais reçu les résultats des ESR.

[77] M. Bloom a indiqué que la preuve relative à Sutton, à Masonville (Québec) et à la Nouvelle-Écosse était conforme aux constatations de l’agente de SST Dubé dans l’est de l’Ontario. Il a soutenu que la preuve appuyait la conclusion que Postes Canada ne demandait pas aux CLMSS ni aux RRSS de participer au processus d’ESR avant l’instruction de l’agente Dubé.

[78] M. Bloom a affirmé que Postes Canada n’avait pas reconnu que le processus d’ESR comprenait une inspection ou une enquête à laquelle les articles 135 et 136 du Code s’appliquaient et qui exigeait la participation des CLMSS ou des RRSS. Il a soutenu que le présent litige portait principalement sur le fait que Postes Canada ne reconnaissait pas que les CLMSS ou les RRSS avaient le droit de participer au processus d’évaluation et plus précisément d’être présents pendant les inspections des emplacements des BLR.

[79] M. Bloom a également affirmé que le présent litige portait sur le fait que Postes Canada continuait de refuser de fournir aux CLMSS ou aux RRSS ainsi qu’au CNMSS des renseignements complets sur les résultats des ESR.

[80] Il a argüé que l’agente de SST Dubé avait erré en ne traitant pas adéquatement le litige et en n’émettant pas les instructions appropriées conformément aux dispositions claires des articles pertinents de la partie II du Code. L’ESR comprend une inspection du site et des enquêtes. M. Bloom a affirmé que les articles 135 et 136 du Code exigent clairement la participation des comités locaux de santé et de sécurité et des RRSS au cours des inspections et des enquêtes.

[81] M. Bloom a observé que le bon sens permet de conclure que la participation à une enquête sur le lieu de travail exige de toute évidence de se trouver sur les lieux pendant l’inspection. En se fondant sur la décision dans l’arrêt Halterm Ltd et Halifax International Longshoring Assn.Footnote 17, il a aussi observé qu’on ne peut affirmer avoir participé à une enquête en matière de sécurité si on ne peut vérifier ou confirmer l’exactitude des observations et des données sur les lieux.

Fourniture des rapports sur l’ESR

[82] M. Bloom a affirmé que l’agente de SST Dubé avait erré en n’émettant pas à Postes Canada une instruction exigeant qu’elle fournisse le rapport d’ESR complet au CNMSS. Il était d’avis que cela était dû au fait que l’agente de SST Dubé croyait que Postes Canada allait donner les rapports au CNMSS; toutefois, la société n’a jamais donné un seul rapport d’ESR complet au CNMSS.

[83] M. Bloom a mentionné que l’alinéa 125(1)z.11) du Code exige que Postes Canada fournisse tous les rapports sur les risques au comité d’orientation. Il a soutenu que les ESR constituent des rapports sur les risques au sens du Code.

[84] En outre, M. Bloom a affirmé que le comité d’orientation peut exiger les renseignements qu’il juge nécessaires pour recenser les risques réels ou potentiels en vertu du paragraphe 135(5). Le paragraphe 134(6) prévoit que le comité d’orientation a accès sans restriction aux rapports, études et analyses de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés au travail.

[85] M. Bloom a souligné que Mme Bossenberry, à titre de coprésidente du CNMSS, avait demandé en vain le rapport d’ESR à plusieurs reprises. Par conséquent, il a affirmé que le refus de Postes Canada de fournir ces rapports contrevenait aux articles 125 et 134 du Code.

[86] M. Bloom a enfin mentionné que l’agent d’appel devrait émettre les instructions suivantes :

  • une instruction à l’intention de Postes Canada afin de permettre la participation des CLMSS et des RRSS aux inspections ou enquêtes visant les BLR dans le processus d’ESR; plus particulièrement, l’instruction devrait préciser que les CLMSS et les RRSS ont le droit d’être présents lorsque des observations sont faites et des données recueillies dans le cadre de l’ESR;
  • une instruction à l’intention de Postes Canada pour qu’elle fournisse tous les rapports d’ESR remplis au CNMSS et aux CLMSS, y compris les rapports d’évaluation et les résumés d’examen des BLR dans le cadre de l’ESRFootnote 18;
  • Une instruction à l’intention de Postes Canada pour qu’elle consulte et coopère avec le CNMSS et les CLMSS et les RRSS en leur communiquant clairement leurs rôles et responsabilités respectifs dans le processus d’ESR et qu’elle leur fournisse une formation adéquate.

Arguments de l’intimée

[87] M. Bird a observé que, bien qu’il soit vrai que le présent processus constitue une audience de novo, cela ne permet pas à une partie de transformer et d’élargir l’appel pour qu’il porte sur des questions qui n’ont pas été évaluées précédemment. Le fait que les parties doivent connaître le dossier qu’elles abordent constitue un principe fondamental de la justice naturelle. Le STTP n’est pas libre d’ajouter de nouvelles plaintes par sa preuve, encore moins au moment des conclusions finales.

Participation au processus d’ESR

[88] M. Bird a affirmé que la question qui nous occupe porte sur les droits et obligations de participation du CNMSS, des CLMSS et des RRSS.

[89] M. Bird a mentionné que le mot « participer » est de toute évidence essentiel pour comprendre les droits en vertu du Code du CNMSS et des CLMSS, ainsi que ceux des RRSS; toutefois, il n’est pas défini dans la législation.

[90] M. Bird a soutenu que, bien qu’il n’ait pas force de loi, le Programme du travail du RHDCC a publié un document intitulé Interprétations, politiques, et guides (IPG)Footnote 19 qui aide à interpréter le mot « participer ». Les IPG mentionnent que le rôle du CLMSS « ne se limite pas à l’examen des registres des accidents et des risques; le CLMSS a plutôt le droit à une "participation directe" à ladite enquête ou étude. » Toutefois, les IPG ne suggèrent pas, de façon expresse ou tacite, que l’enquête ou l’étude doit être « mixte », c’est-à-dire que les CLMSS doivent convenir de mener l’enquête ou l’étude ou accepter la méthodologie utilisée. C’est le STTP qui souhaite la présence à toutes les évaluations, et ce n’est pas la position des CLMSS. En fait, cela est conforme à la décision de l’agente de SST Dubé.

[91] M. Bird a affirmé que, dans la décision HaltermFootnote 20 , l’ARSFootnote 21 mentionnait ce qui suit au sujet de la nature obligatoire de la participation du comité de sécurité et de santé (maintenant appelé « comité local de santé et de sécurité ») :

L’expression anglaise « shall participate in all inquiries and investigations » signifie qu’il existe une exigence obligatoire aux termes de laquelle le comité de sécurité et de santé participe à tous les aspects de l’enquête.

[92] M. Bird a ajouté que, au sujet des mots « participer » et « enquêtes et études », l’ARS a conclu ce qui suit :

[36] D’après tous les dictionnaires consultés, le mot anglais « participate » signifie « prendre part ». À mon avis, la controverse soulevée au sujet de l’interprétation de l’expression « participate in all inquiries and investigations » vient du fait qu’on veut définir le mot « participate » sans tenir compte de l’activité en cause.

[...]

[38] Il m’apparaît évident d’après ces définitions qu’un membre du comité doit être présent à l’enquête sur une situation hasardeuse afin de prendre part à toutes les activités décrites ci-dessus. Comment le comité pourrait-il remplir son rôle si l’un de ses membres n’était pas présent pour chercher, rechercher, examiner de façon systématique, poser des questions et interroger? Toutes ces actions font partie intégrante d’une enquête sur un accident.

[93] M. Bird a observé que l’étude la plus récente de l’expression « participer » dans le contexte de la participation du CLMSS se trouve dans la décision de la Cour fédérale dans l’affaire SCFP c. Air Canada Footnote 22, rendue plus de 15 ans après la décision Halterm.

[94] Il affirmait que, après avoir examiné l’interprétation du mot « participer » de l’ARS dans Halterm, la Cour affirmait au paragraphe 36 :

Bien que je souscrive aux grandes lignes de la décision Halterm Ltd., précitée, sur le sens qu’il faut donner au verbe participer, je prends acte du fait que la décision a été rendue il y a plus de 15 ans. Par conséquent, vu que les méthodes de communication ont changé, je n’accorde pas un grand poids à l’exigence selon laquelle un membre du comité local doit être physiquement présent lors de toute enquête.

[Soulignement ajouté]

[95] M. Bird a noté que la Cour a par la suite confirmé que le Code n’exige pas des enquêtes mixtes et a mentionné au paragraphe 44 :

Le Code n’exige pas la tenue d’une enquête mixte. Seule la participation du comité local est exigée. Comme je l’ai déjà mentionné, l’adjectif « mixte » semble avoir été adopté par les personnes qui travaillent dans ce domaine. Cependant, l’utilisation d’un tel adjectif ne peut primer les termes exprès de la loi ni conférer des droits substantiels.

[Soulignement ajouté]

[96] Il a ajouté que dans l’arrêt SCFP c. Air Canada, même si un membre du comité local de santé et de sécurité n’était pas présent pour chaque partie de l’enquête sur une situation dangereuse, la Cour a conclu que l’agente de SST disposait d’une preuve suffisante pour appuyer la constatation que le comité local de santé et de sécurité avait participé à l’enquête et que l’employeur avait satisfait à ses obligations en vertu du Code.

[97] Il a maintenu que la présence réelle d’un membre du comité local de santé et de sécurité sur les lieux d’une enquête ou d’une étude semblait par le passé être un élément essentiel de la « participation » en vertu du Code. Toutefois actuellement, compte tenu des récentes avancées en technologie des communications, la présence réelle n’est plus nécessaire pour assurer la participation active du comité local de santé et de sécurité.

[98] M. Bird a observé que le CNMSS avait pleinement participé au processus d’ESR, notamment à sa conception, à son peaufinage et aux essais. Il a participé à l’élaboration de chacun des aspects des tests, de la méthodologie de capture des données et des critères de réussite ou d’échec. Les représentants du STTP siégeant au CNMSS appuyaient l’outil, tout comme le STTP.

[99] Au sujet de la participation des CLMSS, M. Bird a observé que le mot « participer » est utilisé à la fois en lien avec le CNMSS, les CLMSS et les RRSS relativement aux « enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité au travail ». Il a ajouté qu’il existe une règle fondamentale d’interprétation des lois qui prévoit que, lorsque le même mot est utilisé dans une loi à deux endroits ou plus, on doit lui donner le même sens.

[Traduction] Comme le juge Sopinka l’affirme dans l’arrêt R. c. Zeolkowski, « [d]onner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des lois ».Footnote 23 

[100] Ainsi, si l’interprétation du mot « participer » en lien avec le CNMSS ne comprend pas la présence sur les lieux d’une ESR, cela signifie que ce même mot n’exige pas la présence des CLMSS et des RRSS pour cette même raison.

[101] M. Bird a affirmé que la participation des CLMSS ou des RRSS à l’évaluation de chacune des BLR n’est pas requise pour le processus d’ESR. Comme il a déjà été mentionné, le CNMSS a participé activement à l’élaboration de la méthodologie de l’ESR, de la méthode de saisie des données et des critères de réussite et d’échec. Contrairement aux observations du STTP, il n’existe pas d’élément subjectif dans la saisie des données ou la constatation de réussite ou d’échec dans le cadre de l’ESR. Les données de base sur l’emplacement sont observées, le temps est mesuré et les véhicules, comptés. Ces données sont enregistrées et la BLR réussit ou échoue selon des critères préétablis et convenus.

[102] M. Bird a affirmé que les CLMSS ou les RRSS jouent un rôle après l’évaluation des routes dans le cadre de l’ESR. À cette étape, les FFRS et le CLMSS ou les RRSS sont informés des BLR qui ont réussi ou échoué et ils reçoivent une feuille de résumé des données sur l’ESR, ce qui leur permet de voir le résultat exact. En cas de désaccord ou si des précisions sont nécessaires, les FFRS et le CLMSS ou les RRSS accompagnent l’évaluateur à la BLR en question pour examiner et réévaluer la BLR. Si le désaccord demeure, le dossier est considéré comme une plainte ou un refus de travailler en vertu du Code et la participation du CLMSS ou des RRSS est alors exigée.

[103] M. Bird a souligné que M. Fraser a mentionné dans son témoignage qu’un certain nombre d’évaluations des risques sont effectuées régulièrement et qu’elles sont à plusieurs égards semblables aux ESR, par exemple le tour d’inspection des véhicules et l’élimination des poussières d’amiante. Dans le premier de ces exemples, l’employé procède à une inspection pour trouver les risques potentiels, mais il le fait dans des circonstances où aucun risque n’a été découvert ni n’est même attendu. Les CLMSS n’y participent pas, tout simplement parce que leur présence n’est pas nécessaire à cette étape. M. Bird a observé qu’ils sont appelés lorsque des problèmes extraordinaires ou faisant l’objet d’un litige sont soulevés. On ne pourrait s’attendre à ce que le CLMSS fasse enquête sur un feu arrière brûlé, mais il pourrait le faire s’il recevait des rapports à répétition au sujet d’un problème de sécurité qui n’a pas été réglé dans le cours normal des activités.

[104] Finalement, M. Bird a observé que la participation des CLMSS ou des RRSS dans le processus d’ESR satisfait aux obligations prescrites par le Code.

Fourniture des rapports d’ESR

[105] M. Bird a affirmé qu’aucune raison ne justifiait la participation du CNMSS dans l’application de l’ESR dans les lieux de travail une fois sa conception approuvée. De même, rien ne justifiait que le CNMSS reçoive des données détaillées sur chacune des BLR et les raisons pour lesquelles elles ont réussi ou échoué l’ESR. La méthodologie était connue, tout comme les critères de réussite ou d’échec. Les renseignements récapitulatifs que recevait le CNMSS au sujet des routes et des BLR évaluées et sur les tendances générales des données sur la réussite et l’échec donnent suffisamment d’information pour que le CNMSS soit au courant et qu’il surveille les ESR sur le plan national. Les problèmes liés à certaines BLR sont de nature locale et ils doivent être réglés par le CLMSS ou les RRSS. En cas de problèmes systémiques, la question doit être soumise au CNMSS.

[106] L’intimée a affirmé que la position du STTP que le CNMSS avait le droit de recevoir les résultats de l’ESR pour chacune des BLR est fondée sur la notion que l’ESR constitue une enquête. Si cette interprétation est correcte, l’intimée est d’avis que le CNMSS doit aussi recevoir chacun des documents sur les tours d’inspection quotidiens (rapports d’inspection quotidienne des véhicules) des appareils de manutention des matériaux et chacun des rapports sur l’élimination des poussières d’amiante (on pourrait estimer que cela représente plusieurs milliers de documents chaque jour).

[107] De l’avis de l’intimée, il serait impossible pour le CNMSS d’exercer sa fonction primaire en santé et sécurité en suivant cette interprétation du Code. L’intimée a affirmé qu’une interprétation réfléchie de cette disposition ne devrait pas et ne peut pas mener à une telle absurdité.

Réponse de l’appelant

[108] M. Bloom a observé que M. Bird cherchait à limiter la portée de l’appel. Il a affirmé que l’appel portait sur trois questions. Le troisième motif de l’appel portait sur le fait que l’agente de SST Dubé avait fermé trop tôt le dossier et n’avait pas pris les mesures pour s’assurer que le processus d’ESR était mis en œuvre conformément aux dispositions du Code. Au sujet de la portée de l’appel, il était d’avis qu’il était pertinent que le Tribunal évalue si le processus d’ESR avait été mis en œuvre de manière conforme à partie II du Code au cours d’une procédure en vertu de l’article 146.1.

[109] M. Bloom a observé de plus que la législation prévoit qu’un appel en vertu de l’article 146.1 est une procédure « de novo » et que l’agent d’appel possède toute la compétence nécessaire pour émettre les instructions que l’agent ou l’agente de SST aurait dû émettre.

[110] Quant à l’arrêt Air Canada, il a indiqué que la Cour avait conclu que la décision de l’agente de SST était raisonnable. L’agente de SST avait conclu que le CLMSS avait participé à l’enquête et, comme l’indique le paragraphe 41 de la décision, il est clair que les comités locaux de santé et de sécurité avaient beaucoup participé à l’enquête. La Cour était d’accord avec les grandes lignes de la décision Halterm, mais elle a noté que les moyens de communication avaient changé depuis ce temps et a ajouté qu’elle n’accordait pas un grand poids à cette partie de la décision. À ce sujet, il était d’avis que la Cour affirmait que la présence réelle n’était pas nécessaire pour tous les volets de l’enquête, puisque les moyens de communication améliorés la rendaient inutile pour que la participation soit considérée comme active.

[111] M. Bloom a ajouté que, même si la Cour indique que le Code n’exige pas une enquête mixte, la décision ne suggère pas que la participation à une enquête n’exigera jamais une présence réelle. Pour ce qui est de la nature de l’ESR, il a observé que la participation active à une ESR doit exiger la présence réelle pendant les observations et la cueillette des données. Comme il l’a déjà mentionné dans ses observations, ce processus exige d’évaluer si le volume de trafic est normal et si la vitesse du véhicule qui s’approche est typique.

[112] Il a ajouté que, contrairement à l’arrêt Air Canada, l’employeur (Postes Canada) dans l’affaire qui nous occupe ne permet pas aux CLMSS ni aux RRSS de participer à un volet important ou essentiel de l’enquête ou inspection de la sécurité des BLR. Il était d’avis que cela va à l’encontre de la décision Halterm, qui n’a pas été contredite par la Cour dans l’arrêt Air Canada.

[113] M. Bloom a observé que l’affaire ne porte pas sur la question de la consultation adéquate du CNMSS au cours de l’élaboration du programme de sécurité que constitue l’ESR. L’affaire porte plutôt sur l’omission de Postes Canada de prendre des mesures pertinentes pour assurer la participation active et nécessaire des CLMSS ou des RRSS au cours de la mise en œuvre du processus.

[114] Il a affirmé que le CNMSS jouait un rôle clé dans l’élaboration du programme en vertu de l’article 134 et que les CLMSS ou les RRSS ont un mandat conféré par la loi relativement à la surveillance et à la mise en œuvre du programme en vertu des articles 135 et 136. Cela était même reconnu par l’agente de SST Dubé, dont les notesFootnote 24 indiquent qu’elle a rappelé aux parties cette division de la responsabilité.

[115] M. Bloom a affirmé de plus que le fait que Postes Canada avait demandé au CNMSS de participer à l’élaboration du programme d’ESR ne la dégageait pas de ses obligations au cours de la mise en œuvre du programme, notamment celle de faire participer adéquatement les CLMSS et RRSS à la mise en œuvre du programme, y compris au cours de la phase d’enquête ou d’inspection en matière de sécurité du processus d’évaluation. Il a observé que Postes Canada interdisait indûment la participation active à la phase proactive en ne permettant pas aux CLMSS et aux RRSS d’assister à la cueillette des données et aux mesures clés de la sécurité (notamment le comptage des véhicules et le chronométrage des véhicules s’approchant de la BLR). M. Bloom a ajouté que le fait que certains CLMSS participaient aux essais de l’ESR sur le terrain au cours de la phase de conception ne satisfaisait pas aux obligations de Postes Canada en vertu des articles 125, 135 et 136.

[116] Il a convenu que, même s’il n’était pas nécessaire (en vertu de l’article 134) que le CNMSS participe aux évaluations locales, il était pertinent que le CNMSS participe à l’élaboration d’un processus afin de veiller à ce que les CLMSS et les RRSS participent adéquatement au processus d’évaluation locale et il a ajouté que ce n’était clairement pas le cas.

[117] En outre, M. Bloom a observé que M. Bird n’avait pas présenté de raisons justifiant le fait que le CNMSS ne recevait pas des rapports d’ESR détaillés. Il a argüé qu’il n’incombait pas à Postes Canada de décider quels rapports sur les risques devaient être fournis. Il a noté que M. Bird n’avait pas présenté d’argument pondéré au sujet des raisons pour lesquelles le CNMSS n’avait pas le droit de recevoir ces rapports en vertu du paragraphe 134(5) et de l’alinéa 125(1)z.11).

[118] Relativement aux dispositions de la partie II du Code, M. Bloom a laissé entendre que les FFRS effectuant la livraison aux BLR ont le droit de s’attendre à ce que tous les représentants et représentantes en matière de sécurité soient formés au sujet de l’ESRFootnote 25. Il a affirmé que Postes Canada avait indûment retiré la formation dans le contexte de son litige avec le STTP qui portait en partie sur les désaccords au sujet des exigences du Code.

[119] Il a observé que l’affirmation de M. Bird que ce n’est qu’après l’application de l’ESR que les CLMSS ou les RRSS jouent un rôle ne tient pas compte du fait que les CLMSS et les RRSS sont tenus en vertu de la loi de participer activement aux enquêtes ou inspections. Il a argüé que le simple fait de recevoir les résultats de l’évaluation ne suffisait pas.

[120] Il a ajouté qu’il n’incombe pas à l’employeur de dicter aux CLMSS ou aux RRSS la façon dont ils participent activement. M. Bloom a mentionné que le document 935-1-IPG-004 et la décision Halterm confirment qu’il revient aux CLMSS ou aux RRSS de décider la façon dont l’exigence de participation active est satisfaite.

[121] M. Bloom était en désaccord avec l’affirmation de M. Bird que les résultats consignés par l’agente de SST Dubé n’étaient pas surprenants compte tenu du fait que les ESR n’avaient pas encore eu lieu au moment de ses visites. Il a affirmé que cette affirmation est trompeuse, puisque le dossier de l’enquête de l’agente de SST Dubé indique que le processus d’ESR avait commencé à certains endroits sans la participation des CLMSS ou des RRSSFootnote 26.

[122] M. Bloom a allégué que M. Bird se fiait dans ses observations sur la preuve de M. Jeff Fraser à l’appui de son affirmation que des évaluations des risques comparables aux processus d’ESR étaient effectuées au sein de Postes Canada et que les CLMSS et les RRSS n’y participaient pas. Il s’agissait des tours d’inspection des véhicules, des vérifications de sécurité des appareils de manutention des matériaux et du processus d’élimination des poussières d’amiante. M. Bloom a ajouté que la preuve de Mme Bossenberry indiquait que ces processus n’étaient pas semblables à l’ESR. Les processus d’inspection des véhicules et des appareils de manutention des matériaux existaient depuis longtemps et leur caractère adéquat était reconnu par le CNMSS. Ces vérifications sont effectuées chaque jour et constituent plutôt des affaires courantes. Le processus d’élimination des poussières d’amiante a fait l’objet d’ententes particulières avec le CNMSS et le rôle des CLMSS dans ce processus a été accepté par les partiesFootnote 27.

[123] M. Bloom a finalement observé que la suggestion de M. Bird que les activités du CNMSS seraient alourdies par la réception des rapports d’évaluation d’ESR n’est aucunement appuyée par un document ou une autre preuve. Il a souligné que la preuve indique que ces rapports sont disponibles par voie électronique et qu’il n’y a aucune preuve à l’appui de son affirmation.

Analyse

Première question : L’agente de SST Dubé a-t-elle erré en fermant le dossier hâtivement?

[124] L’appelant affirme que l’agente de SST Dubé a choisi de fermer son dossier hâtivement sans donner au STTP l’occasion raisonnable de présenter d’autres observations.

[125] La fonction d’agent d’appel est créée par la loi; cet agent ne dispose donc que des pouvoirs qui lui sont conférés par la législation pertinente. Ma lecture du paragraphe 146.1(1) m’amène à conclure que l’examen de la façon dont une enquête a été menée va au-delà de ma compétence.

[126] Bien que j’aie déjà conclu dans la présente décision que j’avais le pouvoir en vertu du Code de modifier une instruction afin d’y ajouter d’autres infractions qui selon moi auraient dû être mentionnées par l’agente de SST, je crois que ma compétence en vertu du Code ne va pas jusqu’à l’examen de la décision de l’agente de SST de poursuivre ses enquêtes ou d’y mettre fin ni de la façon dont elle a mené ses enquêtes sur la question.

[127] Pour cette raison, je ne parlerai pas des allégations au sujet de l’enquête de l’agente de SST Dubé et je passerai à l’examen des deux autres motifs de l’appel présentés par l’appelant en fonction de la preuve présentée afin d’établir si l’instruction émise par l’agente de SST Dubé devrait être modifiée conformément à mes pouvoirs en vertu du paragraphe 146.1(1).

Deuxième question : Participation des CLMSS et RRSS

Postes Canada contrevenait-elle aux alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code?

[128] Les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) imposent aux comités locaux de santé et de sécurité et aux RRSS le devoir de participer à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés. Ces alinéas se lisent comme suit :

Attributions du comité

135(7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué :

e) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés, et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

Fonctions d’un représentant

136(5) Le représentant, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il est :

g) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

[129] Même si les fonctions décrites aux alinéas 135(7)e) et 136(5)g) incombent respectivement aux comités locaux de santé et de sécurité et aux RRSS, l’employeur a le devoir en vertu de l’alinéa 125(1)z.08) du Code de collaborer avec le comité d’orientation, les comités locaux et les représentants en matière de santé et de sécurité dans l’exécution de leurs fonctions en vertu de la partie II du Code. Cet alinéa se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

z.08) de collaborer avec le comité d’orientation et le comité local ou le représentant pour l’exécution des responsabilités qui leur incombent sous le régime de la présente partie;

[130] Par conséquent, l’employeur a l’obligation expresse en vertu de l’alinéa 125(1)z.08) de collaborer avec les CLMSS et les RRSS d’une façon qui leur permet d’exécuter entièrement leurs fonctions en vertu des alinéas 135 et 136 du Code.

[131] L’employeur a également l’obligation en vertu de l’alinéa 125(1)z.01) du Code de veiller à ce que les membres du comité d’orientation et des comités locaux ainsi que les RRSS soient formés et informés au sujet de leurs responsabilités en vertu de la partie II du Code. Cet alinéa du Code se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

z.01) de veiller à ce que les membres du comité d’orientation, ainsi que les membres du comité local ou le représentant, reçoivent la formation réglementaire en matière de santé et de sécurité, et soient informés des responsabilités qui leur incombent sous le régime de la présente partie;

[132] Comme il est mentionné précédemment, l’appelant a observé que Postes Canada contrevenait aux alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code en ne permettant pas aux CLMSS et aux RRSS de participer à la phase d’inspection et d’enquête de l’ESR en assistant aux observations et à la cueillette des données.

[133] Pour sa part, la position de Postes Canada était essentiellement que le CNMSS avait pleinement participé à l’élaboration du processus d’ESR, puisqu’il avait participé à sa conception, à son peaufinage et aux essais et parce que l’ESR est une évaluation objective qui n’exige pas la présence réelle d’un membre du CLMSS ou des RRSS à l’évaluation de chacune des BLR.

[134] De plus, l’intimée était d’avis que la participation du CNMSS et des CLMSS à la phase d’élaboration de l’ESR devrait suffire à satisfaire à leurs devoirs de participer à toutes les inspections en vertu des articles 135 et 136 du Code.

[135] D’abord, j’aimerais noter que la participation des CLMSS et des RRSS est sujet de désaccord entre les parties depuis longtemps. L’opinion de Postes Canada a toujours été que l’ESR n’est pas une évaluation de sécurité devant être régie par les dispositions de la partie II du Code.

[136] Le témoignage de M. Fraser, porte-parole de Postes Canada, est clair et demeure le même que dans l’affaireFootnote 28 entendue à Abbotsford, en Colombie-Britannique en 2006 : M. Fraser refuse de reconnaître que l’application de l’ESR constitue une « enquête, étude ou inspection » en matière de santé et de sécurité des employés.

[137] Il faut donc d’abord établir si le processus d’ESR est régi par les alinéas 135(7)e) et 136(5)g), c’est-à-dire s’il s’agit d’une enquête, d’une étude, d’une investigation ou d’une inspection en matière de santé et de sécurité des employés.

[138] J’ai examiné l’ESR et je constate qu’il s’agit d’une inspection systématique qui examine l’emplacement des BLR pour savoir s’il répond aux critères établis, donc pour savoir s’il est sécuritaire pour la livraison par les FFRS. Essentiellement, ces critères sont la présence d’un accotement pour arrêter le véhicule des FFRS pour la livraison, la largeur de la route, le nombre de voies, la présence d’une ligne pleine au centre de la route, la visibilité (écart), la vitesse du trafic et le nombre de véhicules passant au cours d’un intervalle donné.

[139] Je constate donc que le processus d’ESR répond à la définition d’« inspection » et porte sur la santé et la sécurité des employés au sens des alinéas 134.1(4)d), 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

[140] Compte tenu de cela, je dois établir si les CLMSS ou les RRSS ont participé au processus d’ESR conformément à leurs obligations en vertu des alinéas 135(7)e) et 136(5)g) et si Postes Canada a collaboré avec eux afin de satisfaire à sa propre obligation en vertu de l’alinéa 125(1)z.08) du Code.

[141] Autrement dit, je dois établir si Postes Canada a collaboré avec les CLMSS et les RRSS d’une façon qui leur a permis d’exécuter leurs fonctions en vertu du Code.

[142] Au sujet de ce qui constitue une « participation » des CLMSS ou des RRSS au sens des alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code, l’intimée a souligné la décision de la Cour fédérale dans l’arrêt SCFP c. Air Canada pour appuyer l’argument qu’il n’est plus jugé nécessaire d’être réellement présent au cours d’une inspection ou d’une enquête, puisque le juge a modifié l’interprétation de l’agent d’appel dans la décision Halterm.

[143] Toutefois, en lisant l’arrêt SCFP c. Air Canada, je constate que certains aspects de la décision de la Cour fédérale se distinguent de l’affaire qui nous occupe. Plus particulièrement, les passages suivants guident mes réflexions sur cette question :

[36] Bien que je souscrive aux grandes lignes de la décision Halterm Ltd., précitée, sur le sens qu’il faut donner au verbe participer, je prends acte du fait que la décision a été rendue il y a plus de 15 ans. Par conséquent, vu que les méthodes de communication ont changé, je n’accorde pas un grand poids à l’exigence selon laquelle un membre du comité local doit être physiquement présent lors de toute enquête.

[...]

[40] Si l’on tient compte du rôle du comité local établi dans la décision Air Canada et SCFP, précitée, et du sens donné à « participation » dans la décision Halterm Ltd, précitée, l’agente disposait d’éléments de preuve pour appuyer ses conclusions portant que le comité local avait participé à l’enquête et que les obligations prévues au Code avaient été respectées.

[41] La décision de l’agente est appuyée par la participation du comité local aux activités suivantes, qui sont liées à l’enquête de la défenderesse :

  • Réunion ou compte rendu effectué le jour suivant l’incident. Bien que cette réunion ait été menée par le Programme d’aide aux employés, des renseignements ont été obtenus, et il n’était pas interdit de prendre des notes;
  • Examen des rapports des agents de bord;
  • Examen de tableaux de niveaux de turbulence;
  • Élaboration d’une liste de questions à poser à la section Sécurité aérienne;
  • Téléconférence avec un agent de Sécurité aérienne pour discuter de l’enquête menée par Sécurité aérienne et les conclusions se trouvant dans son ébauche de rapport;
  • Vérification de la situation météorologique pour le vol en cause;
  • Réunions avec la section Opérations aériennes concernant la situation météorologique;
  • Entrevues avec des agents de bord menées par les représentants des employés membres du comité local;
  • Élaboration d’une annexe sur le repérage des turbulences;
  • Inspection mixte de l’avion par des membres du comité local;
  • Examen de la preuve photographique;
  • Discussion au sujet du rapport d’enquête de l’employeur et de recommandations;
  • Examen de tout renseignement et rapport pertinents lors d’une réunion mixte qui s’est échelonnée sur trois jours, du 1er au 3 avril 2008.

[42] La décision de l’agente était raisonnable.

[Soulignement ajouté]

[144] Dans la décision SCFP c. Air Canada, la Cour a établi que le comité local avait participé à l’enquête par sa participation considérable au processus d’enquête réel. Bien que la Cour avait jugé que la présence réelle du comité local n’était pas nécessairement exigée si d’autres modes de communications étaient offerts, la preuve dans cette affaire a démontré que le comité local participait activement à la phase d’enquête du processus.

[145] À mon avis, le fait que l’ESR a été conçue comme un outil d’évaluation objectif n’enlève pas l’obligation des RRSS et des CLMSS de participer à toutes les inspections et enquêtes en matière de santé et de sécurité des employés en vertu des alinéas 135(7)e) et 136(7)g) du Code.

[146] Mon interprétation de ces alinéas m’amène à conclure que les CLMSS et les RRSS doivent participer non seulement à la phase d’élaboration du processus d’ESR, mais aussi à la phase d’inspection et d’enquête afin de répondre aux exigences du Code. Ce devoir en vertu du Code n’est pas qu’un droit, mais bien une exigence qu’il ne faut pas compromettre. Comme l’a affirmé l’agent d’appel Cadieux dans la décision Halterm:

[35] […] De plus, vu l’exigence obligatoire relative à la participation du comité de sécurité et de santé à l’enquête, toute ingérence dans le rôle du comité est illégale et répréhensible.

[147] De plus, l’obligation de Postes Canada en vertu de l’alinéa 125(1)z.08) du Code est de collaborer avec les CLMSS et les RRSS d’une façon qui leur permet d’exécuter leurs fonctions. Même si je suis d’accord que dans certaines circonstances, par exemple en raison de la distance, de l’éloignement ou de l’urgence, les CLMSS et RRSS pourraient en partie participer à l’aide d’appareils de communications, l’obligation demeure de participer et donc de ne pas empêcher cette participation, de ne pas y nuire et de ne pas l’interdire.

[148] De même, Postes Canada est obligée en vertu de l’alinéa 125(1)z.01) du Code de veiller à ce que les CLMSS et RRSS soient informés et formés afin de pouvoir remplir leurs fonctions de participation conformément au Code.

[149] Par conséquent, je juge que les CLMSS et RRSS n’ont pas seulement le droit, mais aussi le devoir de participer aux inspections et aux enquêtes sur les lieux dans le cadre du processus d’ESR. Ces CLMSS et RRSS se composent de représentants de l’employeur et des employés et sont les mieux placés pour décider du niveau de participation requis. J’aimerais préciser que, si des CLMSS ou RRSS souhaitent participer à une évaluation, les évaluateurs ou les gestionnaires ne peuvent refuser puisqu’ils ne font qu’exécuter leurs fonctions conformément au Code.

[150] Après un examen attentif et complet de la preuve présentée, je juge que les CLMSS et les RRSS n’ont pas pris part, sauf à quelques rares occasions, à la phase d’inspection et d’enquête sur les lieux du processus, soit l’évaluation des BLR dans le cadre de l’ESR.

[151] Les membres des CLMSS ou les RRSS n’avaient pas le droit d’être présents pendant les évaluations des BLR et ils n’ont joué aucun rôle dans les inspections et enquêtes sur les lieux à moins qu’une plainte ou un refus de travailler en vertu des articles 127 et 128 Code ait été présenté. Postes Canada a convenu que les CLMSS ou les RRSS avaient un rôle à jouer en cas de désaccord des FFRS au sujet des résultats de l’évaluation; toutefois, ce rôle est déjà indiqué dans le « processus de règlement interne des plaintes » en vertu de l’article 127 du Code. De plus, les membres des CLMSS ou les RRSS n’ont reçu aucune formation de Postes Canada au sujet du processus d’ESR et ils n’ont pas été informés par Postes Canada de leurs responsabilités liées au processus d’ESR conformément au Code.

[152] Je conviens que le fait que les membres du CLMSS et les RRSS participent à l’évaluation de plus de 840 000 BLR ajouterait un autre élément à la procédure, mais je retiens le témoignage de Mme Boysenberry, qui a mentionné que :

[N]otre attente n’est pas de prendre la direction. Nous comprenons l’ampleur du processus, mais nous voulons conserver notre droit de participer pour assurer la réussite de l’application de l’ESR. [...]

Nous croyons avoir le droit d’être présents pendant les inspections. Nous serions prêts à le faire (ne pas renoncer à notre droit de participer), mais nous avons le droit de participer au processus d’examen.

[153] Enfin, je conclus que, en omettant de collaborer avec le CLMSS et les RRSS pendant les inspections et les enquêtes sur les lieux dans le cadre du processus d’ESR, soit en ne communiquant pas avec eux avant chaque évaluation ou en n’élaborant pas de stratégie pour assurer leur participation, et en omettant de veiller à ce qu’ils soient informés et formés au sujet de leurs responsabilités relativement à l’ESR, Postes Canada contrevenait aux alinéas 125(1)z.1), 125(1)z.08), 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

[154] Compte tenu de ce qui précède, j’exerce mon pouvoir en vertu du paragraphe 146.1(1) de modifier l’instruction pour inclure les infractions au Code susmentionnées.

Troisième question : Postes Canada contrevenait-elle à l’alinéa 125(1)z.11) et aux paragraphes 134.1(5) et 134.1(6) du Code?

[155] La prochaine question à laquelle il faut répondre porte sur la fourniture des rapports d’ESR au CNMSS.

[156] L’appelant a affirmé que l’agente de SST Dubé avait omis d’obliger Postes Canada à fournir les rapports d’ESR au CNMSS. Je note que l’instruction émise par l’agente de SST Dubé exige uniquement que Postes Canada fournisse les résultats de l’ESR au CLMSS et aux RRSS.

[157] À l’audience du présent appel, l’agente de SST Dubé a mentionné qu’elle n’avait pas cru nécessaire d’inclure le CNMSS dans l’instruction parce que Postes Canada lui avait dit qu’il avait déjà accès aux résultats de l’ESR.

[158] Par conséquent, l’appelant demandait que l’agent d’appel modifie l’instruction émise par l’agente de SST Dubé afin d’ordonner à Postes Canada de donner les résultats de l’ESR au comité d’orientation, comme l’exige l’alinéa 125(1)z.11) du Code, qui prévoit que :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

z.11) de fournir au comité d’orientation, ainsi qu’au comité local ou au représentant, copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation;

[159] À mon avis, il n’y a aucune ambiguïté dans les obligations prescrites par le Code à ce sujet. La formulation du Code est claire. L’employeur doit « fournir au comité d’orientation » « copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation ».

[160] Il n’y a aucun doute que l’ESR, qui est un outil élaboré pour évaluer la sécurité de la livraison aux BLR, constitue un rapport sur les risques au sens de l’alinéa 125(1)z.11). Par conséquent, je suis convaincu que, compte tenu d’une interprétation raisonnable de cette disposition, Postes Canada doit donner les rapports d’ESR au CNMSS.

[161] En plus de l’infraction en vertu de l’alinéa 125(1)z.11), l’appelant alléguait que le refus de Postes Canada de fournir les rapports d’ESR contrevenait également aux paragraphes 134.1(5) et (6) du Code, qui se lit comme suit :

Renseignements

134.1(5) Le comité d’orientation peut exiger de l’employeur les renseignements qu’il juge nécessaires afin de recenser les risques réels ou potentiels que peuvent présenter dans tout lieu de travail relevant de l’employeur les matériaux, les méthodes de travail ou l’équipement qui y sont utilisés ou les tâches qui s’y accomplissent.

Accès

134.1(6) Le comité d’orientation a accès sans restriction aux rapports, études et analyses de l’État et de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés, ou aux parties de ces documents concernant la santé et la sécurité des employés, l’accès aux dossiers médicaux étant toutefois subordonné au consentement de l’intéressé.

[162] Je dois mentionner le fait que je crois que le paragraphe 134.1(6) est plus pertinent que le paragraphe 134.1(5) à ce sujet parce qu’il exige plus précisément que le comité d’orientation ait un « accès sans restriction » à tous les rapports et essais en matière de santé et de sécurité au travail des employés.

[163] Comme il a déjà été mentionné, l’ESR est une évaluation des risques pouvant exister à l’emplacement des BLR et touchant la sécurité des FFRS. Par conséquent, je crois qu’elle répond à la définition d’un rapport, d’une étude ou d’une analyse de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail des employés conformément au paragraphe 134.1(6). Postes Canada est donc tenue de se conformer aux demandes du CNMSS d’avoir accès aux rapports d’ESR complets.

[164] Bien que je comprenne que l’application du paragraphe 134.1(6) et de l’alinéa 125(1)z.11) à la présente affaire ferait en sorte que le CNMSS reçoive chaque jour plusieurs milliers de documents, je demeure d’avis que le CNMSS a le droit de recevoir les rapports d’ESR lorsqu’il le demande. Cela étant dit, les témoignages ont indiqué que les rapports sont accessibles par voie électronique et qu’il serait facile de les fournir.

[165] Néanmoins, la preuve indique que Postes Canada a toujours refusé de fournir les résultats d’ESR au CNMSS après de nombreuses demandes à ce sujet. Je crois que Postes Canada contrevenait donc à l’alinéa 125(1)z.11) et au paragraphe 134.1(6) du Code.

[166] Pour ces motifs, l’instruction de l’agente de SST Dubé devrait être modifiée pour inclure l’obligation de Postes Canada de fournir les ESR au comité d’orientation.

Décision

[167] Pour tous les motifs mentionnés précédemment, je modifie par les présentes l’instruction émise par l’agente de SST Dubé le 8 décembre 2008 comme suit :

- Pour inclure l’obligation de la Société canadienne des postes de fournir les rapports d’ESR complets au comité d’orientation conformément à l’alinéa 125(1)z.11) et au paragraphe 134.1(6) du Code.

Pour inclure l’infraction de la Société canadienne des postes aux alinéas 125(1)z.01), 125(1)z.08), 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

- Pour inclure l’infraction de la Société canadienne des postes à l’alinéa

125(1)z.11) et aux paragraphes 134.1(6), 135(9) et 136.(7) du Code.

[168] J’aimerais mentionner un dernier point au sujet de la portée de l’instruction faisant l’objet de l’appel. Même si l’instruction modifiée vise des emplacements particuliers dans des régions d’Ottawa et la région de l’est visités par l’agente de SST Dubé au cours de son enquête sur la plainte, je suis conscient du fait que ma décision a une incidence sur le plan national. L’ESR est une initiative créée sur le plan national et je comprends que les inspections et enquêtes des BLR sur les lieux sont menées de la même façon dans toutes les autres régions qui ne sont pas couvertes par l’instruction. La preuve présentée n’a pas révélé de différences ni de particularités dans la façon dont les ESR sont menées dans tous les lieux de travail exploités par Postes Canada.

Richard Lafrance

Agent d’appel

ANNEXE I

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Les 27 et 28 novembre 2008, l’agente de santé et de sécurité Nicole Dubé a mené une enquête dans divers emplacements exploités par la SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES (Amprior, Almonte, Carleton Place, Lanark, Hawkesbury, Alfred, Plantagenet, Curran et Bourget), employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail. Ces lieux de travail parfois appelés « Société canadienne des postes » relèvent de leur siège social, situé au 2701 Riverside Drive, Ottawa (Ontario) K1A 0B1.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes du Code canadien du travail, partie II, ont été enfreintes :

No 1

125.(1)z.19) – Code canadien du travail, partie II

L’employeur a omis de consulter le comité local ou le représentant en matière de santé et de sécurité pour la mise en œuvre et le contrôle de l’outil d’évaluation de la sécurité routière (ESR) pour les Factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) élaboré en consultation avec le comité d’orientation.

No 2

125.(1)z.11) – Code canadien du travail, partie II

L’employeur a omis de fournir au comité local de santé et de sécurité et aux représentants en matière de santé et de sécurité une copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, y compris les résultats de l’ESR.

À la suite d’un appel présenté en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail, l’agent d’appel soussigné a modifié l’instruction pour y inclure les infractions supplémentaires suivantes :

No 2

125.(1)z.11) et paragraphe 134.1(6) – Code canadien du travail, partie II

L’employeur a omis de fournir au comité d’orientation copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment les résultats d’évaluation obtenus grâce à l’outil d’évaluation de la sécurité routière (ESR).

134.1(6) Le comité d’orientation a accès sans restriction aux rapports, études et analyses de l’État et de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés, ou aux parties de ces documents concernant la santé et la sécurité des employés, l’accès aux dossiers médicaux étant toutefois subordonné au consentement de l’intéressé.

No 3

125(1)z.08), 135(7)e) et 136(5)g) – Code canadien du travail, partie II

L’employeur a omis de collaborer avec le comité local et le comité d’orientation et les représentantes et représentants en matière de santé et de sécurité pour l’exécution de leurs fonctions de participation conformément aux alinéas 135(7)e) et 136(5)g) relativement au processus d’ESR.

135(7) Le comité local […]

e) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés, et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

136(5) Le représentant […]

g) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

No 4

125(1)z.01) – Code canadien du travail, partie II

L’employeur a omis de veiller à ce que les comités locaux et les représentantes et représentants en matière de santé et de sécurité soient informés des responsabilités liées à l’ESR et reçoivent la formation pertinente.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu des alinéas 145(1)a) et b) du Code de prendre des mesures dans les 30 jours suivant la réception de la présente instruction pour cesser les contraventions et veiller à ce qu’elles ne se poursuivent pas ni ne se reproduisent.

Modifié à Ottawa, le 8 août 2013.

Richard Lafrance

Agent d’appel

À l’intention de : Société canadienne des postes

2701 Riverside Drive

Ottawa (Ontario)

K1A 0B1

ANNEXE II

DÉFINITIONS

Acronyme ou abréviation

Signification

Postes Canada

Société canadienne des postes

Le Code

Code canadien du travail

STTP

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

RHDCC

Ressources humaines et Développement des compétences Canada

Agent(e) de SST

Agent de santé et de sécurité

RRSS

Représentantes et représentants en matière de santé et de sécurité

CLMSS

Comité local mixte de santé et de sécurité

CNMSS

Comité national mixte de santé et de sécurité

CNR

Conseil national de recherches

BLR

Boîte aux lettres rurale

FFRS

Factrices et facteurs ruraux et suburbains

ARS

Agent régional de sécurité

Tribunal

Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

ESR

Outil d’évaluation de la sécurité routière

TSSTC-09-014(I).

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