2013 TSSTC 26

Référence : Les Élévateurs des Trois-Rivières c. La Confédération des syndicats nationaux, 2013 TSSTC 26

Date : 2013-09-04
No. dossier : 2011-69
Rendue à : Ottawa

Entre :

Les Élévateurs des Trois-Rivières, Appelant

et

La Confédération des syndicats nationaux, Intimée


Affaire :
 Appel à l’encontre d’instructions données par un agent de santé et de sécurité, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail

Décision : Les instructions sont annulées

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, Agent d’appel

Langue de la décision : Français

Pour l’appelant : M. Yves Turgeon, Avocat, Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL

Pour l’intimée : M. Yves Deslauriers, Avocat, Roy Évangéliste avocat-es

MOTIFS DE DÉCISION

[1]   Le présent appel est déposé le 22 décembre 2011, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du Travail, Partie II (le Code), à l’encontre de trois instructions émises le 1er décembre 2011 à l’endroit de l’appelant par l’agent de santé et sécurité (agent de SST) Sylvain Renaud suite à l’enquête faite par ce dernier concernant un accident de travail mortel survenu le 29 novembre 2011 dans un lieu de travail exploité par la partie appelante, lequel lieu étant connu sous le nom de Les Élévateurs des Trois-Rivières.

[2]   Une première instruction a été émise en vertu de l’alinéa 145(2)(a) du Code suite à une conclusion de danger "pour un employé au travail" :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145.(2) a) ET b)

Le 29 novembre 2011, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête de situation comportant des risques dans le lieu de travail exploité par Les Élévateurs de Trois-Rivières, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 2615 Notre-Dame centre c.p. 35, Trois Rivières, Québec G9A 5E3 ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Les Élévateurs de Trois-Rivières.

Ledit agent de santé et sécurité estime que la situation constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :

Le fait qu’une personne puisse circuler près d’une fosse d’une dénivellation de 110 pieds dont le support recouvrant l’ouverture ne permet pas de résister à toutes les charges constitue un danger mortel en cas de chute. Le 29 novembre 2011, un employé a fait une chute à l’intérieur du silo 326 alors qu’une ouverture couverte d’un grillage ne l’a pas protégée.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145.(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder immédiatement à la prise de mesures propres à écarter le danger.

Il vous est EN OUTRE INTERDIT PAR LES PRÉSENTES, conformément à l’alinéa 145.(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, d’accomplir la tâche en cause à propos duquel l’avis de danger nv 3850 a été apposé en vertu du paragraphe 145.(3) de la partie II, jusqu’à ce que ces instructions aient été exécutées.

Fait à Montréal, ce le (sic) 1er décembre 2011.

Sylvain Renaud
Agent de santé et de sécurité

[…]

[3]   Une seconde instruction a été émise à la même partie aux termes de l’alinéa 145(1)(a) du Code relativement à une contravention à l’alinéa 125(1)(r) du Code et à l’alinéa 2.6(2)(a) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145.(1)

Le 29 novembre 2011, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête de situation comportant des risques dans le lieu de travail exploité par Les Élévateurs de Trois-Rivières, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 2615 Notre-Dame centre c.p. 35, Trois-Rivières, Québec G9A 5E3, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Les Élévateurs de Trois Rivières.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été enfreinte.

L’alinéa 125.(1) r) Code canadien du travail partie II

Le paragraphe 2.6 (2) a) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

L’employeur n’a pas veillé à ce que les grilles recouvrant les fosses supportent les charges maximales qui peuvent y être appliquées.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145.(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 15 décembre 2011.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES en vertu de l’alinéa 145. (1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre au plus tard le 15 décembre 2011 des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Fait à Montréal, ce 1er jour de décembre 2011.

Sylvain Renaud
Agent de santé et de sécurité

[…]

[4]   La troisième instruction, émise conformément à l’alinéa 141(1)(f), avait pour but d’empêcher que ne soit dérangé le lieu de l’accident jusqu'à une certaine date. Dans le cas de cette dernière instruction, même si elle a fait l’objet de l’avis d’appel déposé par l’appelant, l’avocat de ce dernier a informé l’agent d’appel soussigné, lors de l’ouverture de l’audience, du retrait de l’appel concernant ladite instruction. L’audience et la décision ci-après ne portent donc que sur les deux premières instructions.

Contexte

[5]   Avant d’aborder les éléments particuliers formant le contexte de la présente affaire et des instructions visées par le présent appel, il y a certains éléments particuliers qui nécessitent mention. En premier lieu, alors que les événements tragiques ayant résulté dans le décès d’une personne, à savoir M. Clermont Michaud, sont survenus sur les lieux où la partie appelante, Les Élévateurs des Trois-Rivières (ETR), une entreprise de compétence fédérale en vertu d’une déclaration à l’avantage général du Canada, exerce ses activités, la victime n’était pas un employé de l’appelante, mais était plutôt à l’emploi de M.I. Maintenance Industrielle inc. (M.I. Maintenance), une société de compétence provinciale dont les services avaient été retenus par l’appelante aux fins du nettoyage de l’intérieur de silos. Lors de la survenance de l’accident, soit avant le début du quart de travail des employés de l’appelante, il n’y avait aucun de ses employés sur les lieux et seuls M. Michaud et M. Gérard Dubé, collègue de la victime à qui M. Michaud visait à expliquer une certaine tâche à exécuter et au moins un autre employé de M.I. Maintenance, M. Wallace Gauthier, superviseur, étaient sur les lieux.

[6]   Deuxièmement, en ce qui concerne l’agent de SST Renaud, auteur des instructions, ce dernier a indiqué en ouverture d’audience que lorsqu’il s’est rendu sur les lieux de l’accident le 29 novembre 2011, c’était la première fois qu’il se rendait chez l’appelante et qu’en fait c’était la première fois qu’il visitait un élévateur à grains tel que ceux opérés par l’appelante. À cet égard, dès lors qu’il se rendait sur les lieux dans le cadre de ce qu’il a décrit comme une “enquête de situation comportant des risques”, l’agent de SST Renaud a reconnu en ouverture d’audience ne pas s’être enquis auprès de la partie appelante de l’usage, utilité ou finalité du grillage impliqué lors de l’accident, lequel avait cédé avec comme résultat la chute de la victime, ayant plutôt opté de son propre chef de considérer ledit grillage comme un dispositif protecteur contre les chutes, et, dans le cadre de ladite enquête, ne pas avoir rencontré ou jugé utile de rencontrer les personnes à l’emploi de M.I. Maintenance qui étaient sur les lieux lors de l’accident aux fins de connaître leur implication relativement aux circonstances à l’origine de ladite enquête, au motif surprenant que lesdites personnes relèvent de la compétence provinciale du fait de leur lien d’emploi avec M.I. Maintenance.

[7]   Au cours de cette enquête, l’agent de SST Renaud n’a pas pris de déposition de témoin, mais a obtenu des documents qu’il n’a pas jugé bon de remettre au Tribunal. Il en découle conséquemment que l’unique document transmis par l’agent de SST Renaud est son  «Rapport circonstancié», lequel comporte un bref exposé des circonstances de l’accident, le texte des instructions et 9 photographies prises sur les lieux de l’accident le 29 novembre 2011.

[8]   Troisièmement, malgré le fait que la victime eut été à l’emploi d’une entreprise venant sous compétence provinciale, même si cette dernière offrait ses services à une entreprise venant sous compétence fédérale, il semble que la Commission de la Santé et de la Sécurité au Travail (CSST) n’a effectué aucune enquête relativement audit accident.

[9]   Finalement, bien que la Confédération des syndicats nationaux, syndicat représentant les employés de la partie appelante, ait demandé de participer à l’audience du présent appel en qualité d’intimé, elle n’a présenté aucun témoin ni apporté une quelconque preuve et de plus, a choisi de ne présenter aucune argumentation en réplique à l’argumentaire de la partie appelante ou relativement à ce que devrait être la décision du soussigné. Il en résulte donc que ma décision ne sera fondée que sur la seule preuve reçue et la seule argumentation présentée par la partie appelante.

[10]           De manière plus directement contextuelle, le 29 novembre 2011, M. Michaud, employé chez M.I. Maintenance comme superviseur adjoint selon l’appelant et comme contremaître aux dires de l’agent de SST Renaud, a fait une chute mortelle dans un silo à grains de l’appelante alors qu’il s’affairait à ouvrir une plaque de métal aux fins de montrer à son collègue M. Gérard Dubé la tâche d’éclairer et de surveiller d’autres employés de M.I. Maintenance qui avaient pour tâche de balayer l’intérieur du silo en y accédant de la base, une opération en espace clos requérant la prise de mesures de sécurité particulières. En essayant d’ouvrir complètement la plaque de métal servant de couvercle et déjà entrouverte, en lui assénant, selon le rapport de l’agent de SST Renaud, un coup de pied (botte de sécurité), M. Michaud a mis le pied sur la grille sous-jacente, laquelle a cédé sous son poids, entraînant une chute qui s’est avérée mortelle.

[11]           Tel que rapporté par l’agent de SST Renaud, l’opération de nettoyage de l’intérieur d’un silo comporte deux fonctions : surveillant et balayeur. Le surveillant est situé au sommet du silo, dans lequel il fait descendre une lumière à travers un grillage et assure par la suite la surveillance des employés occupés à balayer l’intérieur. Le surveillant est donc posté au second étage, un plancher de béton parsemé d’ouvertures (trappes) donnant accès aux silos. Ces ouvertures ou trappes sont recouvertes d’une plaque de métal servant de couvercle, laquelle peut être déplacée latéralement pour découvrir un grillage muni d’une penture permettant d’ouvrir ladite grille vers l’extérieur du silo. Dans le cadre du travail de nettoyage et donc de l’éclairage et surveillance par le surveillant, il n’est pas nécessaire d’ouvrir ledit grillage. L’intérieur d’un silo est un espace comportant des risques et la lampe nécessaire à l’opération de nettoyage doit être d’un type approuvé. Pour les balayeurs, il s’agit d’une opération en espace clos et donc ils doivent obtenir auprès de la direction (ETR), en plus du permis de travail en espace clos détaillé, un détecteur de gaz (Gaz Alert) de même que la clef d’accès au silo et suivre la procédure d’entrée en espace clos. Il existe chez l’appelant une procédure d’émission de permis de travail en espace clos lors du nettoyage des silos, laquelle nécessite de confirmer au permis que toutes les mesures de sécurité ont été prises au préalable.

[12]           Parmi ses activités, l’appelant manutentionne du grain et l’entrepose dans 153 silos, lesquels sont munis d’une à quatre ouvertures de chargement dans la partie supérieure. Les ouvertures de chargement des silos qui en comprennent plus d’une sont généralement indiquées en bleu, pour celles qui ne sont pas utilisées et en rouge, pour celles utilisées dans le cadre normal des opérations. Selon l’appelant, toutes les ouvertures de chargement sont munies de couvercles (plaques de métal) qui sont toujours fermés, sauf lors du déversement du grain dans les silos ou lors d’opérations de maintenance, notamment dans le cadre de la surveillance des travaux effectués en espace clos.

[13]           Lors du chargement typique d’un silo, le couvercle est ouvert et la surface d’ouverture, qui doit être exempte de tout élément pouvant faire obstacle à la circulation du grain, est recouverte en entier par le déversoir qui y est appliqué. Ainsi, chaque ouverture est munie d’une grille, communément appelée « Grizzly », dont le but est d’empêcher que des objets extérieurs ou pièces mécaniques puissent pénétrer à l’intérieur du silo et causer des dommages à la machinerie qui s’y trouve. Les couvercles des ouvertures de chargement peuvent également être ouverts pour de courtes périodes pour vérifier l’état des chargements et l’espace disponible dans les silos.

[14]           Lors de son témoignage à l’audience, l’agent de SST Renaud qui avait reconnu en être à sa première visite d’un élévateur à grains, a déclaré qu’à la vue du Grizzly, il avait considéré qu’il s’agissait d’un dispositif protecteur (« garde protecteur »), d’où sa conclusion relative à l’article 2.6 du Règlement. Lors de ce témoignage, l’agent de SST Renaud a affirmé avoir été aidé le 1er décembre 2011, relativement à cette question, par un expert, M. Lafrenière du Centre/Institut Métallurgique de Trois-Rivières, relativement à la charge porteuse maximale de ladite grille Grizzly. Il est toutefois ressorti du témoignage de l’agent de SST que ses instructions avaient déjà été décidées et rédigées le 29 novembre et remises à l’appelant dès son retour sur le site, le 1er décembre 2011 et ce avant même que l’expert en question ait pu visiter les lieux de l’accident.

[15]           Depuis plus d’une dizaine d’années, l’appelant utilise les services de M.I. Maintenance, entreprise spécialisée en maintenance industrielle. Selon l’appelant, cette entreprise assume entièrement la direction et la supervision des travaux de maintenance qui lui sont confiés, lesquels sont effectués par ses employés. Rien dans le rapport de l’agent de SST Renaud ne vient contredire cette affirmation. Tel que mentionné précédemment, la victime était à l’emploi de M.I. Maintenance, tout comme les autres personnes impliquées dans cette opération de nettoyage. Il appert que le matin du 29 novembre 2011, date de l’accident, les employés de M.I. Maintenance se sont présentés sur les lieux et ont entrepris des travaux sur le plancher des silos avant les heures normales d’opération, donc avant l’arrivée des employés de l’appelant, et sans obtenir de l’appelant le permis de travail en espace clos obligatoire. L’accident est survenu sur le silo 326 et il appert que le couvercle que la victime s’employait à ouvrir est identifié par une numérotation de couleur bleue, indiquant qu’il n’est pas normalement utilisé. Selon la description que donne l’appelant, laquelle rencontre celle faite par l’agent de SST Renaud, au moins dans les grandes lignes, il semble que M. Michaud aurait ouvert partiellement le couvercle en le glissant dans les guides latéraux. Face à certaine résistance, il appert qu’il aurait d’abord mis un pied sur la grille pour ensuite y mettre aussi l’autre pied pour pouvoir appliquer plus de force à sa tentative. Fait à noter, l’agent de SST Renaud note plutôt que M. Michaud cherchait à frapper le couvercle de son pied pour l’ouvrir. Le point commun toutefois est à l’effet que la victime se tenait sur la grille au moment de l’accident. Il semble que sous la pression, la grille aurait été déplacée pour ensuite basculer vers l’intérieur du silo, d’où la chute. M. Michaud, comme assistant superviseur chez M.I. Maintenance, exerçait ses fonctions pour le compte de cette dernière entreprise chez l’appelant depuis près de cinq ans.

Question(s) en litige

[16]           Tel que mentionné précédemment, deux instructions sont visées par le présent appel. La première, émise en vertu de l’alinéa 145(2)(a) du Code, instruction communément désignée comme « instruction de danger », stipule qu’une certaine situation constitue un danger pour un employé au travail. Il importe de préciser ici que le terme « employé » audit alinéa signifie un employé auquel s’applique le Code et donc au sens du Code. La situation dont fait mention l’instruction est décrite comme suit : « Le fait qu’une personne puisse circuler près d’une fosse d’une dénivellation de 110 pieds dont le support recouvrant l’ouverture ne permet pas de résister à toutes les charges constitue un danger mortel en cas de chute ».

[17]           L’agent de SST Renaud a ajouté au texte descriptif qui précède que le 29 novembre 2011, un employé avait fait une chute à l’intérieur du silo 326 alors qu’une ouverture couverte d’un grillage ne l’avait pas protégée. J’estime important de noter immédiatement que le sens du terme « employé » utilisé par l’agent de SST Renaud dans l’ajout audit texte descriptif ne peut être celui du Code puisque la victime n’était pas à l’emploi de l’appelant et que son employeur échappait à l’application du Code. D’ailleurs, l’instruction n’est pas adressée à l’employeur de la victime, lequel relève de la compétence provinciale, mais plutôt à l’employeur de compétence fédérale qu’est l’appelant.

[18]           La question en litige relativement à la présente instruction se limite donc à savoir si la situation générale décrite à l’instruction constitue un danger pour les employés de l’appelant. À mon avis, la réponse à cette question est intimement liée à la réponse à donner à la question soulevée par la seconde instruction, laquelle est une « instruction de contravention ». Par cette instruction, l’agent de SST Renaud émet l’avis que l’appelant a enfreint la combinaison des dispositions statutaires suivantes à savoir, l’obligation générale prévue à la disposition générale du Code qu’est l’alinéa 125(1)(r) d’entretenir les « dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures » qui sont installés dans le lieu de travail (le texte anglais du Code parle de « guards, guard-rails », et la disposition spécifique du Règlement, soit le paragraphe 2.6(2)(a) du Règlement, lequel stipule que    « La grille, l’écran, la pièce de protection et la passerelle doivent être conçus, construits et entretenus de façon à pouvoir supporter une charge au moins égale à […] la charge maximale qui peut y être appliquée », ladite disposition ne prenant tout son sens qu’en considération du paragraphe (1), lequel limite son application à des compartiments, trémies, cuves, fosses ou tout autre espace entouré dont la partie supérieure est ouverte. La question soulevée à la lecture de cette instruction à savoir si le Grizzly visé pouvait supporter ladite charge, nécessite toutefois de considérer la question sous-jacente initiale de savoir si les dispositions invoquées par l’instruction trouvent application en l’instance, à savoir si ledit grillage appelé Grizzly doit être vu comme dispositif protecteur.

Observations de l’appelant

[19]           L’appelant a construit son argumentation finale sur la base de l’information verbale transmise par ses trois témoins de même que sur un certain nombre de documents déposés par l’entremise de ces mêmes témoins. Les témoins en question sont Stephen Djerbi, directeur des opérations de l’appelant et à son emploi depuis 1979, Rémy Lévesque, ingénieur mécanique et directeur de l’ingénierie à l’emploi de ETR depuis Juillet 1992 et finalement François Gosselin, directeur santé et sécurité du travail et environnement de ETR et à son emploi depuis 2001.

[20]           Par l’entremise de son avocat, l’appelant a fait un retour sur l’attitude et les connaissances et manque d’expérience de l’agent de SST Renaud en faisant valoir que pour ce dernier, la logique était que puisqu’il y avait eu accident, il y avait donc automatiquement faute de l’employeur ETR et donc il y avait nécessité d’ordonner correction. L’appelant fait ainsi valoir qu’en tenant compte du fait qu’outre la lettre de la loi, il y a son esprit qui doit prévaloir, et donc qu’il importe d’éviter l’adéquation simpliste accident = culpabilité.

[21]           L’appelant rappelle également que malgré sa demande de communication du dossier d’enquête complet, conformément au Guide de pratique pour l’instruction des appels du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada, demande réitérée lors de la conférence préparatoire tenue par le soussigné, l’appel a été instruit sans que ce dernier puisse avoir accès au dossier complet puisque l’agent de SST Renaud a admis avoir fait une sélection des documents à être communiqués pour les fins de l’appel et expliqué à l’audience qu’il préparait un dossier pénal de façon parallèle et que la sélection des documents avait été faite dans le but de protéger ce recours, se réservant ainsi la prérogative de décider ce qui était pertinent pour les fins de l’appel.

[22]           Quant à la comparution comme témoin de l’agent de SST Renaud à l’audience, l’appelant rappelle que l’agent de SST a reconnu que, le 29 novembre 2011, c’était la première fois qu’il mettait les pieds sur le site d’un élévateur à grains et qu’à la simple vue du grillage Grizzly qui avait cédé sous le poids de la victime, il avait formé l’opinion qu’il s’agissait d’un garde (dispositif protecteur) et que ce dernier n’était conséquemment pas conforme à l’article 2.6 du Règlement. Le procureur de l’appelant a fait valoir que contrairement à son affirmation initiale selon laquelle il aurait été aidé par l’expert dépêché sur les lieux le 1er décembre 2011 avant de former son opinion concernant ledit Grizzly, ses instructions avaient effectivement été décidées puis remises à l’appelant dès son arrivée sur le site le 1er décembre, soit avant même que ledit expert ait pu visiter les lieux de l’accident.

[23]           Le témoin Stephen Djerbi a fait valoir que l’appelant exploite des élévateurs à grains et d’alumine situés au Port de Trois-Rivières. La licence ETR en est une d’élévateurs de transfert dont la principale fonction est de permettre le transbordement de navires de type laquier, de wagons ou de camions vers des navires océaniques. Le grain est acheminé de l’Ouest du pays par laquiers, entreposé et disponible aux bateaux océaniques en vue de l’exportation. Outre ses deux annexes à ces fins, ETR s’occupe également des installations de Alcoa qui alimente l’aluminerie de Deschambault et une partie de l’usine Alcan de Shawinigan.

[24]           À l’époque de l’accident, le personnel de l’appelant se composait de neuf cadres et de 28 employés syndiqués. À l’aide de photos du plancher des silos, le témoin a expliqué que la partie supérieure des silos est entièrement fermée par un plancher de béton et que les silos peuvent présenter deux à trois ouvertures, lesquelles sont fermées et sécurisées par des couvercles de métal. Ces couvercles sont ouverts à deux occasions à savoir, plus généralement lors des opérations de remplissage ou déversement, alors que l’ouverture est entièrement recouverte par l’appareil déverseur, et occasionnellement en dehors des opérations normales, lors de travaux de maintenance.

[25]           Le témoin a confirmé que la victime, M. Michaud, était à l’emploi de M.I. Maintenance, une entreprise spécialisée dans la maintenance industrielle. Un extrait du site internet de l’entreprise fait d’ailleurs valoir qu’elle offre ses services spécialisés à d’autres entreprises dont Alcoa, Cascades et Farine Five Roses.

[26]           De façon se rapportant plus spécifiquement à l’accident, M. Djerbi a témoigné que la veille dudit accident, soit le 28 novembre, il a rencontré M. Wallace Gauthier, superviseur de M.I. Maintenance, vers 14h30 pour l’informer de l’intention de ETR de procéder le lendemain (29 Novembre) au nettoyage de trois silos qui devaient être vidés le 28 novembre. Selon le témoin, il a donné à M. Gauthier instruction de rencontrer le directeur de santé et sécurité du travail François Gosselin le matin du 29 novembre pour confirmer et obtenir les permis de travail en espace clos et les clés d’accès aux silos. Il importe de mentionner ici que M. Gauthier était sur les lieux de ETR au moment de l’accident. Le témoin M. Djerbi était également présent sur les lieux de l’entreprise ETR lors de la survenance de l’accident puisqu’il était arrivé plus tôt que d’habitude pour vérifier si les silos étaient vides afin de pouvoir procéder au nettoyage prévu. L’accident est survenu vers 7h45 alors que les employés de ETR arrivent pour le début des opérations normales à 8h00. Le témoin a déclaré n’avoir jamais vu un tel accident relativement aux ouvertures de silos fermés par des couvercles en 30 années de services.

[27]           Le second témoin, M. François Gosselin, à titre de directeur santé et sécurité du travail et environnement, a témoigné sur les politiques et procédures (Règles et Instructions) en matière de santé et de sécurité au travail en application chez ETR et qui visent ses employés de même que les employés des sous-traitants appelés à effectuer des tâches chez l’appelant. Son témoignage a porté de façon particulière sur la procédure relative à l’obtention obligatoire et préalable de permis pour entrée et travail en espace clos et travail à chaud. Il a en particulier souligné l’article 20 de ses Règles et Instructions, lequel, sous le titre « 20. TRAPPE ET VANNE DE SILO, TRÉMIE, RÉSERVOIR » stipule que : « Il est interdit d’ouvrir une trappe de réservoir, trémie, silo ou de la laisser ouverte sauf pour y effectuer des travaux ou dans certain cas exceptionnel (sic). Dans un tel cas, des tréteaux et rubans de sécurité devront être installés près de l’ouverture ».

[28]           Selon M. Gosselin, il existe chez l’appelant ETR 271 espaces qu’on peut qualifier d’espaces clos, dont 153 sont des silos, et tous ces espaces sont personnalisés, ce qui signifie que chaque espace clos requiert un permis personnalisé et spécifique, ce qui était le cas pour le silo 326 où l’accident est survenu. Toutes les personnes devant entrer en espace clos, y compris leur surveillant, sont requises de signer ledit permis et effectuer tous les contrôles préalables qui y sont listés avant de débuter les travaux, ceci incluant le cadenassage complet de l’alimentation en grains, l’utilisation d’un éclairage homologué pour les milieux explosifs, l’établissement d’un périmètre de sécurité autour de l’ouverture.

[29]           Le témoin a ainsi déclaré que toutes les règles et instructions sont remises à tous les employés, de même qu’aux sous-traitants par le biais de la ou des personnes qui assurent la supervision et qui doivent les distribuer à tous leurs salariés. Il est requis de répéter la procédure à chaque fois qu’il est nécessaire de procéder à une entrée en espace clos. Selon le témoin, le sous-traitant M.I. Maintenance est une entreprise bien établie qui a elle-même procédé à la formation en santé et sécurité de ses employés. À ce titre, le témoin a également produit des documents et formulaires relatifs à des rencontres de santé et de sécurité tenues avec M.I. Maintenance auxquelles assistaient la victime M. Michaud de même que le contremaître Wallace Gauthier.

[30]           Le témoin a confirmé que le 29 novembre 2011, les employés et contremaîtres de M.I. Maintenance sont arrivés avant les heures normales d’opération de ETR (lui-même arrive habituellement au travail à 8h00) et que personne n’est venu chercher de permis de travail en espace clos pour le silo 326, tel que requis par les règles et instructions de ETR (17. Il est formellement défendu de pénétrer à l’intérieur d’un réservoir, trémie, silo ou espace clos sans une autorisation écrite et émise par la supervision ou la direction. …), situation qui ne s’était jamais produite auparavant. En contre-interrogatoire, M. Gosselin a reconnu que la procédure d’entrée en espace clos ne prévoit aucune vérification des trappes et grilles et qu’une telle vérification n’est aucunement nécessaire puisqu’un couvercle recouvre lesdites trappes et grilles.

[31]           Rémy Lévesque, à titre de directeur de l’ingénierie, supervise le personnel relié aux projets d’infrastructures, à l’entretien et à l’approvisionnement. Selon ce dernier, ETR retient les services de plus d’une douzaine d’entreprises en sous-traitance, dont M.I. Maintenance, et il n’existe avec cette dernière aucun lien légal, si ce n’est une relation de sous-traitance non-exclusive pour la prestation de services spécialisés de maintenance industrielle tels que pompage, camion vacuum, service de nacelle pour travaux en hauteur et service de nettoyage en général, offerts régulièrement par ladite entreprise à ETR. Pour la prestation de ces services, c’est M.I. Maintenance qui assure la supervision des travaux exécutés par ses employés.

[32]           Concernant l’endroit où est survenu l’accident, le témoin précise que tous les silos sont fermés par un plancher en béton. Ceci dit, le témoignage de M. Lévesque a porté en grande partie sur le procédé de fonctionnement chez ETR et, à l’aide d’un schéma, en particulier sur le système de circuits et de grilles (Grizzly) qu’on retrouve à plusieurs étapes du procédé.

[33]           Selon ce dernier, le Grizzly placé sous le couvercle de l’entrée du silo 326, celui-là même ayant cédé sous le poids de M. Michaud, est l’un des Grizzlies dont les seules fonctions visent à séparer le matériel déversé dans le silo et ainsi empêcher l’entrée de pièces d’équipement ou autre matériel extérieur pouvant causer une explosion compte tenu de la nature inflammable du grain entreposé dans un silo. Selon le témoin, un tel Grizzly n’a aucune fonction de garde et, à la simple vue de la photographie présentée en preuve (E-1) d’une telle pièce d’équipement, il est clair qu’elle n’est aucunement conçue pour qu’une personne y circule et qu’il n’existe aucune raison objective et aucun motif raisonnable pour qu’une personne y circule. De surcroît, il existe chez ETR de tels grillages Grizzly installés à la verticale, tel que le démontrent les photos produites en E-1, lesquels ont les mêmes fonctions que les Grizzlies horizontaux et qui ne sauraient être vus comme des dispositifs de protection, contrairement à ce que prétend l’agent de SST concernant ceux installés à l’horizontale.

[34]           Le témoin base ses affirmations sur un ensemble de normes NFPA (« National Fire Protection Association ») qui prévoient justement l’utilisation de tels grillages à des fins de protection contre les incendies et explosions spécifiquement dans les cas d’élévateurs à grains. Ainsi, ce dernier note dans un premier temps que le Code national de construction des bâtiments agricoles, édition 1995, applicable à la construction industrielle et émis par le Conseil national de recherches du Canada, ne fait aucunement mention de grilles de protection. Cependant, ce sont essentiellement les normes NFPA 61 (Standard for the Prevention of Fires and Dust Explosions in Agricultural and food Processing Facilities, éd. 2008) et NFPA 654 (Standard for the Prevention of Fires and Dust Explosions from the Manufacturing, Processing and Handling of Combustible Particulate Solids, éd. 2006 ) qui prévoient la pause de Grizzlies aux fins notées plus haut. Ainsi, le témoin note que la norme NFPA 61 précise aux articles 7.5.1.1. et A.1.1.1 que :

7.5.1.1. Receiving systems prior to the legs shall be equipped with one or more devices such as grating, wire mesh screens, permanent magnets, listed electromagnets, pneumatic separators, or specific gravity separators, to minimize or eliminate tramp material from the product stream.


A.1.1.1. Examples of facilities covered by this standard include, but are not limited to, bakeries, grain elevators, feed mills, flour mills, milling […]

[souligné par nos soins]

En outre la norme NFPA 654 précise :

9.1.1.1. Means shall be provided to prevent foreign material from entering the system when such foreign material presents an ignition hazard.

[…]

 

9.1.1.3. Foreign materials, such as tramp metal, that are capable of igniting combustible material being processed shall be removed from the process stream by one of the following methods:
(1) […]

(2) […]

(3) Grates or other separation devices.

[35]           Sur la foi de ce qui précède, le témoin M. Lévesque explique que le Grizzly est un grillage assez grand pour laisser passer le matériel manutentionné et pour retenir les pièces qui peuvent s’introduire dans le circuit et endommager les équipements en aval et causer des explosions. Comme le principal risque d’un élévateur à grains est la possibilité d’explosion, le Grizzly fait partie d’un tout visant à éviter la production d’étincelles. Le témoin s’est d’ailleurs servi de photographies produites en preuve (E-1) pour faire la démonstration de la différence existant entre divers types de Grizzlies, verticaux ou horizontaux et les caillebotis utilisés dans l’aire de déchargement des wagons, sorte de grillages à ouvertures beaucoup plus restreintes (1 pouce) et de surfaces plus larges (25 pieds) qui demeurent toujours ouverts, au sens qu’ils ne sont pas couverts, et qui sont conçus pour permettre aux personnes d’y marcher. En comparaison, l’ouverture dans le plancher supérieur d’un silo sur laquelle est positionné un Grizzly horizontal est généralement de forme rectangulaire dont les dimensions sont 35" par 29" alors que les espaces entre les barreaux du Grizzly font pratiquement, selon la photographie produite en E-1, 10" voire 12", d’où la prétention qu’on ne peut y circuler sans risque. Enfin, le témoin a appuyé son témoignage sur la définition de Grizzly que donne l’Université Queens, laquelle se lit comme suit :


A grizzly is a gravity assisted elementary sizing device used to ensure a maximum passing size of material. A grizzly is typically a steel mesh or grid that only allows smaller material to pass through where larger material is retained on the grizzly surface. Grizzlies in mines come in various sizes, shapes and abilities. Grizzlies can be flat mounted or mounted on up to a 45 degree angle over a chute. The passing material proceeds down the chute while the oversize is retained for further processing. Square mesh grizzlies are used to get a more accurate maximum size of material and can be prone to plugging. Rectangular and non-gridded grizzlies are less prone to plugging but can allow material of larger size to pass. Grizzlies can be used to retain material as large as 1m or less than 10 cm. Many grizzlies are rigid mounted so that material must flow through them or be pushed with equipment. Some grizzlies vibrate to encourage material on the grid to reorient and pass through. The grizzly can be used to protect crushers or loading pockets and even ensure milling requirements are met. A grizzly can be fed via LHD, truck, conveyor or even slusher through a chute.

Un grizzly est un dispositif de calibrage élémentaire assisté par la gravité, utilisé pour assurer une dimension de passage maximal de matériel. Un grizzly est typiquement constitué d’une maille d'acier ou d'une grille permettant que du matériel plus petit puisse y passer, pour que les matériaux plus gros soient retenus à sa surface. Les grizzlies dans les mines sont de différentes tailles, formes et capacités. Les grizzlies peuvent être montés à plat ou jusqu'à un angle de 45 degrés au-dessus d’un espace de chute. Le matériel passant déroule dans la chute alors que le reste est conservé pour traitement ultérieur. Les grizzlies à mailles carrées sont utilisés pour obtenir une taille maximale plus précise du matériel mais comportent un plus grand risque d’obstruction. Les grizzlies rectangulaires et non quadrillés sont moins enclins à obstruction, mais peuvent permettre que la matière de plus grande taille passe. Les grizzlies peuvent être utilisés pour retenir de la matière aussi grande que 1m ou moins de 10cm. Beaucoup de grizzlies sont rigides de sorte que le matériel doit circuler à travers eux ou être poussé par de l'équipement. Certains grizzlies vibrent pour encourager la réorientation du matériel sur la grille pour qu’il puisse être en mesure de passer. Le grizzly peut être utilisé pour protéger les broyeurs ou des contenants de chargement (?) et même s'assurer que les exigences de mouture sont remplies. Un grizzly peut être alimenté via LHD, camion, convoyeur ou même au moyen d’une glissière.

[Traduction libre non-officielle]

[36]           M. Lévesque a conclu son témoignage en précisant que les couvercles des silos pouvaient supporter une charge de six kilopascals (6kPa), soit environ 800 livres, ce que démontraient les photos de test produites en E-1, et donc la charge prévue par le Règlement. À l’emploi de ETR depuis 1992, le témoin a déclaré, à l’instar du témoin M. Djerbi, n’avoir jamais vu un incident relié aux entrées aux silos à grains, lesquelles entrées sont fermées par des couvercles totalement sécuritaires.

[37]           Dans le cadre de son argumentation écrite, le procureur de l’appelant apporte réponse à deux questions formulées par le soussigné en clôture d’audience. Dans un premier temps, ce dernier vient confirmer que la CSST n’a jamais enquêté sur l’accident du 29 novembre 2011. En outre, concernant la pression qu’exerce le grain sur un Grizzly durant les opérations de déversement, il appert selon l’étude faite par l’ingénieur Rémy Lévesque, à l’emploi de l’appelant, laquelle serait confirmée par le consultant ingénieur  Michel D. Rousseau de SNC-Lavalin, que la charge verticale serait de 0,33kPa, la force horizontale de 0,11kN (kilosnewtons) et la force horizontale sur chacune des barres du Grizzly serait de 6lbf (livre force).

[38]           Relativement aux dispositions légales et réglementaires pertinentes, le procureur de l’appelant note que les instructions émises par l’agent de SST Renaud aux termes des paragraphes 145(1) et 145(2) du Code s’inscrivent dans le cadre de l’article 125

et de l’alinéa 125(1)(r) du Code. En ce qui a trait à l’alinéa (r), il indique que l’obligation spécifique consiste à entretenir conformément aux dispositions réglementaires les dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures qui sont installés dans le lieu de travail placé sous l’entière autorité de l’appelant/employeur et que cette obligation spécifique s’inscrit également dans le cadre de l’obligation générale de tout employeur, énoncée à l’article 124 du Code, laquelle stipule que « L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ».

[39]           Pour ce qui est de la disposition réglementaire impliquée relativement à l’instruction émise en vertu du paragraphe 145(1), l’alinéa 2.6(2)(a) qui parle de charge maximale pouvant être appliquée se réfère à « La grille, l’écran, la pièce de protection et la passerelle […] » qui devraient être conçus, construits et entretenus pour assurer la protection d’un employé qui aurait accès, selon le paragraphe 2.6(1) du même Règlement, à un « compartiment, une trémie, une cuve, une fosse ou tout espace entouré dont la partie supérieure est ouverte » et ce, à partir d’un point situé directement au-dessus. En ce qui a trait à l’instruction de « danger » émise aux termes de l’alinéa 145(2) du Code, cette disposition parle de « […] l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche » comme constituant un danger au sens du Code pour un employé au travail.

[40]           Outre le renvoi aux dispositions légales, l’argumentation de l’appelant note en premier lieu la logique incorrecte de l’agent de SST Renaud voulant que s’il y a eu accident, il y a eu automatiquement faute, laquelle doit être sanctionnée. Selon le procureur, il y a lieu d’aller au-delà de la lettre de la loi pour se concentrer sur son esprit. Dans cet optique, l’appelant note que non seulement on se trouve en présence d’un dossier incomplet puisque l’agent de SST a choisi de retenir certains éléments en vue d’une procédure ultérieure, mais qu’en plus, l’agent de SST n’a pas effectué une enquête complète puisqu’il n’a pas jugé utile de parler aux personnes qui étaient sur place lors de l’accident et donc qui auraient eu directement connaissance de la survenance et des circonstances entourant l’accident.

[41]           Ainsi, la preuve est à l’effet que lors de la survenance de l’accident avant le début des opérations de l’appelant, aucun permis de travail en espace clos n’avait encore été délivré, le travail à faire sur les silos n’avait donc pas encore été précisé, ni sur quel silo le travail devait être fait. Or, les silos sont tous recouverts par un plancher de béton et les ouvertures fermées par un couvercle répondant aux normes prévues quant aux charges à supporter de sorte qu’à prime abord, il n’existe aucun problème de sécurité. S’il y a lieu de procéder à une ouverture en retirant ou poussant le couvercle, l’appelant a en place une procédure qui, si elle avait été suivie, aurait empêché l’accident. Pour l’appelant, qui n’avait aucun employé sur les lieux, la responsabilité première revient à l’employeur de la victime puisqu’aucune des règles prévues n’a été respectée. L’appelant note à cet égard que le Code, tout comme la législation provinciale applicable en l’instance, comporte des obligations corollaires pour les employés, lesquelles stipulent que les employés ne doivent pas agir de manière à mettre leur sécurité à risque.

[42]           En ce qui a trait aux Grizzlies, l’appelant est d’avis que la conclusion de l’agent de SST Renaud voulant que ceux-ci constituent des gardes ne repose sur aucun fondement. Leur fonction primaire, selon le Code national du bâtiment, ne se situe pas au niveau de la protection des personnes, et donc ils ne sont pas conçus, comme en fait foi la photo produite en E-1, pour qu’on y marche, mais plutôt pour assurer la protection de l’opération de déversement. Le Code est d’ailleurs silencieux relativement aux Grizzlies alors qu’on y parle de couvercle et de silo fermé. L’appelant reconnaît que même si elle n’est pas prévue, les Grizzlies pourraient être vus comme ayant une vocation secondaire de sécurité, ce qui avait été soulevé par le soussigné à l’audience, et à ce titre, suite à l’accident et même s’il estime ne pas y être obligé aux termes des diverses dispositions législatives, l’appelant a décidé de conférer à cesdits appareils une telle vocation additionnelle de sécurité en leur ajoutant des supports qui leur permettent dorénavant de supporter les poids selon les tests de résistance qui ont été effectués. Selon l’appelant, cette décision volontaire de rehausser une norme ne devrait pas être perçue comme la preuve d’une responsabilité/faute antérieure.

[43]           L’appelant a également présenté une argumentation écrite dont les points recoupent l’argumentation formulée verbalement à l’audience. Ainsi, comme point central, l’appelant soumet que l’instruction de contravention émise aux termes du paragraphe 145(1) est mal fondée au motif que l’article 2.6 du Règlement ne s’applique pas en l’espèce. Selon ce dernier, le paragraphe (r) de l’article 125(1) fait référence à l’obligation d’entretenir les dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures conformément aux normes règlementaires. Or, l’agent de SST renvoie au paragraphe 2.6(2) du Règlement relativement auxdites normes réglementaires, lequel fait appel pour compréhension au paragraphe 2.6(1) du même Règlement qui parle de compartiment, trémie, cuve, fosse ou tout autre espace entouré dont la partie supérieure est ouverte et dont le texte anglais parle de « open top bin » (en réalité, la disposition parle de open-top bin, hopper, vat, pit or other open-top enclosure). L’appelant fait donc valoir qu’en l’espèce, la preuve non contestée est à l’effet que les silos sont fermés par un plancher de béton et qu’en conséquence, la situation qui marque la présente affaire n’en est pas une visée par l’article 2.6 du Règlement.

[44]           En ce qui concerne les Grizzlies, l’appelant fait valoir que la preuve a démontré qu’ils ne sont pas conçus pour qu’une personne y circule ni même pour des fins de sécurité. Selon ce dernier, il faut comprendre que le silo est fermé et que la seule manière d’y faire entrer, d’y déverser du grain, c’est par l’ouverture d’une « petite » trappe. Or, la grille visée par l’alinéa 2.6(1)(a) du Règlement et qui assurerait cette sécurité de circulation, serait plutôt de la nature d’un caillebotis, dont des photographies ont été produites en E-1, et les petites ouvertures qu’un caillebotis comporte feraient que ce type de grille empêcherait le silo d’assumer ses fonctions primaires, soit celles de laisser entrer et entreposer le grain. La photo de Grizzly présentée en preuve démontre qu’une personne ne peut y circuler sans courir le risque de se blesser, compte tenu de la grandeur minimale des ouvertures pour permettre l’entrée du grain. D’ailleurs, la preuve a démontré que la charge maximale qui peut y être appliquée est de .33 kPa. L’appelant tire donc la conclusion que les parties supérieures des silos sont fermées et que le Grizzly n’est pas une mesure de protection visée au paragraphe 2.6(1) du Règlement et de l’alinéa 125(1)(r) du Code.

[45]           À titre d’argument subsidiaire, l’appelant fait valoir que si le soussigné en venait à la conclusion que les parties supérieures des silos sont ouvertes aux sens des dispositions législatives et règlementaires mentionnées précédemment, ETR s’est conformé pour toute période pertinente au paragraphe 2.6(2) du Règlement en ce que les couvercles pouvaient supporter la charge maximale qui peut y être appliquée ou une charge mobile de 6 kPa puisque la preuve a démontré que les couvercles qui protègent l’entrée des silos pouvaient supporter une charge mobile de 6 kPa ou 800 livres. L’appelant rappelle également que lors de l’audience, le soussigné avait soulevé la question d’une fonction secondaire de sécurité visant à empêcher un accident similaire à celui du 29 novembre 2011. Selon l’appelant, ce questionnement rejoint la décision administrative prise par ETR de donner à ses Grizzlies une telle fonction secondaire. L’appelant fait cependant valoir qu’il serait contraire aux objectifs de la loi et de la réglementation qui visent l’amélioration continue des mesures en matière de santé et de sécurité au travail que de conclure que toute évolution repose sur la condamnation ou le constat de violation de normes existantes, ce qui produirait les effets contraires à ceux recherchés par la loi.

[46]           Au terme de son argumentation écrite, l’appelant s’est arrêté à la qualité même de l’enquête menée par l’agent de SST Renaud. Selon son procureur, il s’agit d’une enquête incomplète où les premières personnes concernées par l’accident à savoir, l’employeur M.I. Maintenance et ses contremaîtres et employés n’ont jamais été interrogés, tant par l’autorité administrative fédérale que provinciale. Selon l’appelant, il est difficile de comprendre que le contremaître de M.I. Maintenance au moment de l’accident n’a pas été interrogé ni aucun représentant de l’employeur impliqué dans l’accident. L’appelant est d’ailleurs d’avis que l’argument de l’agent de SST Renaud relativement à la juridiction des acteurs présents est difficilement compréhensible compte tenu qu’il s’agissait essentiellement d’un accident de travail intervenu dans le cadre légal de la juridiction provinciale de la CSST, même si survenu dans le site d’une entreprise venant sous juridiction fédérale et dont les employés tombent sous le couvert du Code. Outre toutes les questions demeurées ainsi sans réponse, tant relativement aux raisons du début hâtif des travaux sans respecter les exigences et directives de ETR qu’au défaut de respecter l’article 20 de ses règles et instructions lors de l’ouverture de la trappe du silo 326, l’appelant s’interroge à savoir pourquoi l’agent de SST s’est privé de connaître directement les éléments essentiels de l’accident et s’est limité à jeter le blâme sur ETR dans le cadre d’équipements spécialisés qu’il découvrait pour la première fois et dont il ignorait les fonctions.

[47]           En définitive, l’appelant s’interroge à savoir quel reproche peut lui être fait compte tenu de l’ensemble des circonstances, outre celui de ne pas avoir présumé d’une fonction secondaire potentielle d’un Grizzly en raison de la survenance d’un accident aussi inusité. Selon ce dernier, pour toute la période pertinente, ETR a pris tous les moyens nécessaires pour s’assurer de sa stricte conformité envers la législation et la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail qui s’applique à l’entreprise. Du même trait, vu l’absence totale de preuve à cet égard, l’appelant conteste la prétention que son comportement n’était pas celui d’une entreprise normalement prudente et diligente. Conséquemment, l’appelant est d’avis que les deux instructions émises à son endroit doivent être annulées ou, à tout le moins, « une partie de celles-ci qui affirme que ETR n’a pas respecté ses obligations légales et réglementaires ou a causé ou toléré une situation dangereuse » doit l’être.

Observations de l’intimée

[48]           La partie intimée n’a formulé aucune argumentation verbale lors de l’audience et a choisi de ne présenter aucune argumentation écrite en réponse à celle de la partie appelante.

Analyse

[49]           La position de l’appelant voulant que les instructions émises à son endroit ne sont pas fondées repose en réalité sur un seul argument central, soit que la disposition du Règlement qui aurait été contrevenue ne trouve pas application en l’espèce en ce sens que le silo ne constitue pas un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte, que le grillage (Grizzly) perçu par l’agent de SST comme un dispositif protecteur n’en est pas un, et qu’en conséquence il n’a pas à satisfaire à l’obligation de résistance de charge prévue audit Règlement. Subsidiairement, il en découlerait que le véritable dispositif protecteur relativement auxdites ouvertures de silo est le couvercle ou plaque d’acier recouvrant ledit grillage, lequel couvercle offre la résistance de charge qu’édicte le Règlement.

[50]           Au niveau de l’instruction de "danger" émise aux termes du paragraphe 145(2) du Code, là encore, puisque le véritable dispositif de protection serait le couvercle, lequel peut résister aux charges prescrites, que les Grizzlies ou grillages ne sont clairement pas destinés à ce qu’on y circule et que les ouvertures dans les planchers supérieurs des silos, outre durant les opérations de déversement du grain alors qu’elles sont recouvertes par le déversoir ou durant l’exécution de tâches particulières, sont toujours fermées et que les directives et instructions de l’appelant prévoient des mesures de protection lorsqu’ouvertes, cette instruction serait dénuée de fondement.

[51]           Alors que l’alinéa 125(1)(r) du Code parle de « […] dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures […] », c’est réellement au paragraphe 2.6(1) du Règlement que se trouve la spécificité de l’obligation présentée comme contrevenue. Il est mention au paragraphe (2) de « grille, écran, pièce de protection et passerelle » à être conçus, construits et entretenus de manière à pouvoir supporter certaines charges. Toutefois, c’est au paragraphe (1) susmentionné que sont précisées les conditions d’application dudit paragraphe (2), c’est-à-dire les endroits ou situations requerrant de tels dispositifs de protection.

[52]           Ainsi, on y précise en premier lieu qu’un employé a accès, à partir d’un point situé directement au-dessus, ce que j’interprète comme signifiant un accès prévu. En second lieu, l’accès doit être à un compartiment, une trémie, une cuve, une fosse ou un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte (open-top bin, hopper, vat, pit or other open-top enclosure). Fait à noter, le titre de la disposition ne fait aucune mention d’un « espace entouré », se limitant à mentionner des « compartiments, trémies, cuves et fosses dont la partie supérieure est ouverte ». En outre, il n’est aucunement fait mention de silos dans la disposition règlementaire ou à l’alinéa 125(1)(r) du Code. En troisième lieu, l’équipement ou pièce qui est placé au-dessus de l’ouverture doit y être placé à des fins de protection, tel qu’en font foi les mots de l’alinéa 2.6(1)(a) qui précisent que l’ouverture doit être couverte « d’une grille, d’un écran ou de toute autre pièce de protection […] ».

[53]           Dans le cas qui nous occupe, l’appelant fait valoir que le Grizzly n’a pas une fonction de protection et que c’est le couvercle qui recouvre le Grizzly installé sur l’ouverture qui constitue ladite pièce de protection puisque la trappe n’est ouverte que sporadiquement pour y installer le déversoir qui la recouvre entièrement lorsque des opérations de remplissage sont en cours, ou encore pour des travaux de maintenance.

[54]           La question initiale est donc de savoir si un silo constitue un compartiment, ou une trémie, une cuve, une fosse ou un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte. Or ni le Code ni le Règlement n’offrent de définition de ces termes et donc il y a donc lieu de s’en remettre au sens ordinaire des mots. Il importe de mentionner ici que même si la Loi canadienne sur les grains définit le terme « silo », cette définition n’est pas utile aux fins de la présente affaire puisque « silo » y est défini en termes de situation géographique aux fins de l’application et la compréhension de la déclaration à l’avantage du Canada de telles installations et non en termes de leur conception, construction et fonctionnement ou usage. Il y a donc lieu là encore de donner aux mots la signification large et libérale requise pour respecter l’esprit et le but de la loi, tel que requis par l’article 12 de la Loi sur l’interprétation.

[55]           En l’absence de définitions statutaires, je me suis tourné vers des définitions de dictionnaire tirées du Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, lequel définit les mots « compartiment », « trémie », « cuve », « fosse » et « silo » comme suit :


Compartiment : Division pratiquée dans un espace pour loger des personnes ou des choses en les séparant.


Trémie : Sorte de grand entonnoir en forme de pyramide renversée où l’on déverse des substances qui doivent subir un traitement (broyage, concassage, tamisage).


Cuve : Grand récipient de bois ou de maçonnerie utilisé pour la fermentation du raisin. Récipient de forme analogue, servant à divers usages industriels.


Fosse : Cavité assez large et profonde. Cavité creusée par l’homme pour servir de réceptacle.


Silo : Excavation souterraine, réservoir (au-dessus ou au-dessous du sol) où l’on entrepose les produits agricoles pour les conserver.

[56]           Une interprétation libérale des définitions ci-dessus fait ressortir un point commun à l’effet qu’il est possible de conclure dans tous ces cas qu’il s’agit d’un réceptacle ou réservoir servant à des fins particulières. Toutefois, l’alinéa 2.6(1) comporte également des mots additionnels qui viennent en modifier quelque peu la portée en ce que un compartiment, une trémie, une cuve ou une fosse, qui sont les termes spécifiques employés dans la disposition, doivent constituer un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte (« tout autre espace entouré dont la partie supérieure est ouverte »), ce qui soulève la question de savoir si un silo constitue un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte.

[57]           Or il est en preuve non contestée qu’un silo constitue un espace clos, d’où les règles d’accès particulières pour y exécuter des tâches. En outre, la preuve également non contestée est à l’effet qu’un silo chez l’appelant, pris comme réservoir unique et donc sans division interne, les élévateurs étant constitués d’une multiplicité de silos, peut comporter de une à quatre ouvertures aux fins de satisfaire à sa fonction première d’entreposage. Toutefois, également selon la preuve non contestée, il appert que sauf pour cette fonction d’entreposage et certaines fonctions spécifiques ayant trait à la maintenance, ces ouvertures demeurent fermées. Une définition tirée de la toile (internet) permet d’ailleurs de mieux percevoir ce qu’est un « silo » face aux mots « espace entouré dont la partie supérieure est ouverte » :

Un silo ou tank est un réservoir de stockage destiné à entreposer divers produits en vrac utilisés dans diverses industries et dans le domaine agricole. Il se différencie d’une trémie par le fait qu’il est hermétiquement fermé.

[58]           La preuve est à l’effet que tous les silos sont recouverts d’un plancher de béton et que les trappes d’accès doivent demeurer fermées par un couvercle. Il est vrai que des trappes peuvent être ouvertes au niveau supérieur pour répondre aux nécessités de la fonction d’un silo, mais ceci n’en fait pas, à mon avis, un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte au sens du Règlement. Au vu de ce qui précède, je suis d’avis qu’un silo, à titre de réservoir ou espace de stockage fermé, ne peut être vu comme un compartiment, une trémie, une cuve, une fosse ou un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte.

[59]           Tel que mentionné auparavant, et mis à part ce qui précède relativement à ma conclusion voulant qu’un silo ne constitue pas un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte, le paragraphe 2.6(1) du Règlement parle de l’accès par un employé à l’espace requérant protection à partir d’un point situé directement au-dessus. J’ai précisé ci-dessus que cet accès, à mon avis, devait être un accès prévu, à savoir un accès dans le cadre des tâches et requis par lesdites tâches. La preuve dont je suis saisi est à l’effet que les trappes de silo ne sont ouvertes que pour permettre d’y déverser le grain, une opération qui voit le déversoir complètement recouvrir l’ouverture et lors de travaux de maintenance.

[60]           Or, mis à part les faits relatifs à l’accident survenu, compte tenu de la preuve relative à la fonction d’un Grizzly et surtout relative à sa construction, laquelle démontre amplement, à mon avis, que sa fonction et construction n’en font pas un équipement destiné à supporter le poids d’une personne qui y circulerait, et encore moins qui poserait les gestes posés par la victime tentant d’ouvrir la trappe en se tenant debout ou en posant le pied sur le Grizzly et en frappant le couvercle du pied ou en s’appuyant fortement sur ledit Grizzly pour réussir à pousser le couvercle, aucune preuve ne m’a été présentée ou a pu être tirée du rapport de l’agent de SST Renaud relativement à un quelconque nécessaire accès à partir d’un point situé directement au-dessus de l’ouverture.

[61]           La preuve reçue est à l’effet que la victime visait à montrer à un collègue de travail comment procéder pour éclairer le travail de nettoyage du silo par d’autres travailleurs, ce qui impliquait laisser descendre une lumière, mais sans plus de détails. Les règles et instructions de l’appelant, déposées en E-1, sous le titre Trappe et Vanne de Silo, Trémie, Réservoir, lequel établit une distinction, tout comme le texte même desdites Règles, entre une trémie et un silo, interdisent « d’ouvrir une trappe de réservoir, trémie, silo ou de la laisser ouverte sauf pour y effectuer des travaux ou dans certains cas exceptionnel (sic). »

[62]           L’alinéa 2.6(1)(a) du Règlement, si je l’appliquais à un silo en tant qu’espace entouré dont la partie supérieure serait ouverte, requiert que l’ouverture soit couverte d’une grille, écran ou autre pièce de protection pour prévenir la chute d’un employé. Or la preuve est à l’effet, photographies à l’appui en E-1, que toute la partie supérieure d’un silo est fermée par un plancher de béton, lequel est parsemé de plusieurs trappes de dimension réduites, lesquelles sont fermées par un couvercle ou plaque d’acier pouvant supporter une charge mobile de 6kPa ou une charge maximale. Selon l’appelant, ce sont ces couvercles qui constituent la pièce de protection prévue par le Règlement relativement aux ouvertures sporadiques de ces dites trappes.

[63]           Ce dernier reconnaît et explique que le grillage sous-jacent auxdites plaques, le Grizzly, n’a pas cette fonction de protection, qu’il n’est clairement pas prévu dans sa conception que quiconque y circule, plusieurs chez l’appelant étant d’ailleurs verticaux, et que pour permettre le passage du grain déversé dans chaque silo, et l’attrapage d’objets étrangers pouvant s’y trouver, on ne peut utiliser un grillage ou une plaque dont les orifices seraient beaucoup plus petits aux fins de permettre d’y circuler.

[64]           L’agent de SST étant d’avis que l’article 2.6 du Règlement trouvait application en l’instance, a conclu que ce Grizzly devait être considéré comme la pièce de protection requise par le Règlement, mais sans offrir d’explication à savoir comment il en était arrivé à cette conclusion.

[65]           Ayant pris en compte toute la preuve, laquelle, force est d’admettre origine en très grande partie de l’appelant, j’en suis arrivé à la conclusion qu’un silo doit être vu comme un tout, lequel ne constitue pas un espace dont la partie supérieure est ouverte. En conséquence, j’accepte la position exprimée par l’appelant voulant que je n’aie pas à considérer ledit grillage Grizzly comme une pièce de protection. J’ajouterai toutefois qu’au vu de la preuve qui m’a été présentée par l’appelant, je suis d’avis que ledit grillage appelé Grizzly ne constitue pas un dispositif dont la fonction essentielle est la protection contre les chutes. Il y a d’ailleurs lieu de préciser qu’en ce qui concerne lesdits Grizzlies, il a été démontré que lorsqu’il est requis de pénétrer dans un silo par la trappe à son sommet, ceux-ci peuvent être soulevés par le biais de pentures qui permettent de compléter l’ouverture vers l’extérieur, ce qui vient confirmer que ceux-ci ne sont pas fixes et inamovibles, et donc renforcer la conclusion selon laquelle ils n’ont pas une fonction de protection contre les chutes et qu’ils ne sont pas conçus pour permettre qu’on s’y tienne ou on y circule. Ma conclusion est donc à l’effet que l’article 2.6 du Règlement, et en particulier le paragraphe (2) sur lequel est fondée l’instruction, ne s’applique pas en l’instance.

[66]           La seconde instruction émise par l’agent de SST stipule qu’il existe une situation constituant un danger pour un employé au travail. L’instruction décrit cette situation comme étant :

« Le fait qu’une personne puisse circuler près d’une fosse d’une dénivellation de 110 pieds dont le support recouvrant l’ouverture ne permet pas de résister à toutes les charges constitue un danger mortel en cas de chute. Le 29 novembre 2011, un employé a fait une chute à l’intérieur du silo 326 alors qu’une ouverture couverte d’un grillage ne l’a pas protégée (sic). »

[souligné par nos soins]

[67]           Or, malgré le fait que j’ai conclu antérieurement que le grillage impliqué, le Grizzly, ne constitue pas un dispositif protecteur et par conséquent, en faisant référence au terme employé par l’agent de SST Renaud, n’est pas un « support » qui recouvrirait l’ouverture à titre de protection, il est indéniable qu’une chute mortelle est survenue et qu’une instruction de « danger » émise conclut que le danger en question vise un employé au travail, alors que l’employé victime de l’accident et donc la situation l’impliquant et ayant entraîné l’instruction, n’était pas et n’impliquait pas un employé de l’appelant, ni même un travailleur visé par le Code. Il est bien évident que la référence audit accident sert effectivement de point de référence, d’exemple si on veut, de ce qui peut se produire, mais ne doit pas restreindre la considération des circonstances uniquement à l’événement pris en isolé, mais surtout à permettre de comprendre au plan général ce que pourrait constituer une situation de danger.

[68]           Or, pour déterminer si ladite instruction est bien fondée, outre la preuve factuelle dont je peux avoir été saisi, il est nécessaire de clarifier certains éléments ayant trait à la loi qui trouve application relativement à l’employeur visé en l’instance. Ainsi, l’article 122.1 du Code précise que ledit Code, et donc les mesures protectrices qui y sont énoncées, de même que celles énoncées aux dispositions réglementaires prises sous son régime, visent l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. Or, la preuve non-contestée est à l’effet que la victime de l’accident représentant la situation référence ayant engendré l’action prise par l’agent de SST Renaud d’émettre son instruction aux termes du paragraphe 145(2) du Code n’occupait pas un emploi régi par les dispositions du Code.

[69]           En outre, le texte du paragraphe 145(2) du Code est explicite en ce qu’il précise qu’une telle instruction de « danger » doit obligatoirement être émise si l’agent enquêteur estime « que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au

travail ».  Là encore, les mots employés ont une conséquence restrictive en ce sens que le danger, s’il en est, ne peut viser qu’un employé de l’employeur de juridiction fédérale, ce qui soulève la question de savoir si les conditions propres à l’ouverture d’une trappe présentent un danger pour les personnes visées par les dispositions protectrices du Code, c’est-à-dire les employés de l’employeur fédéral.

[70]           Sur ce point, je note que l’instruction parle de la circulation par une « personne », ce qui en soit serait un terme inapproprié puisque le Code, sauf rares exceptions, et le paragraphe 145(2) en particulier, portent sur le danger pour un employé au travail, et non une personne en général. Pour les fins de la présente décision visant l’instruction de « danger », j’estime toutefois avisé de comprendre que l’usage par l’agent de SST Renaud du terme « personne » doit être perçu comme voulant décrire l’action de circuler d’une personne physique, ce qu’on doit associer à « employé » même si le terme comporte un sens plus large.

[71]           L’instruction associe cependant le danger à la situation d’une personne qui circule près de l’ouverture non protégée sans plus de détails ou explications. Compte tenu des mots employés par le Code au paragraphe 145(2), j’estime avisé d’accorder un sens large à ces mots de circulation par un employé dans le cadre de son travail.

[72]           La détermination de l’existence ou non d’un danger qui justifierait l’émission d’une instruction aux termes du paragraphe 145(2) requiert l’application du concept de « danger » défini au Code aux circonstances factuelles marquant la situation ou l’évènement ayant entraîné cette instruction, et comme cette détermination ne peut viser que les employés de l’employeur fédéral, il y a donc lieu de considérer la preuve offerte aux fins d’examiner si les employés de l’appelant, les seuls visés par le Code et donc susceptibles d’être visés par l’instruction, se trouvent dans une situation s’apparentant à celle décrite par l’agent de SST, le tout en tenant compte de ma conclusion antérieure voulant qu’un silo ne constitue pas un espace entouré dont la partie supérieure est ouverte et donc ne constitue pas une fosse, et secondairement que le Grizzly recouvrant l’ouverture lorsqu’elle est ouverte, ne constitue pas un dispositif protecteur. Il y a toutefois lieu d’ouvrir lesdites trappes à l’occasion dans le cadre des opérations propres à un silo.

[73]           La preuve dont je dispose comporte des lacunes évidentes qui ont été expliquées précédemment et sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir. Les trappes dans le plancher de béton recouvrant les silos sont ouvertes sporadiquement pour des fins spécifiques. L’une de ces fins a trait au remplissage des silos par un appareil déversoir qui recouvre entièrement l’ouverture et donc, justement parce que l’ouverture est recouverte, il n’y a pas lieu de s’arrêter à cette situation dans le cas qui nous occupe et de surcroît, aucun élément de preuve n’a été apporté relativement à la manière dont cette opération est exécutée, ni même par qui bien que j’estime justifié de penser qu’elle est exécutée par les employés de la partie appelante. Outre le remplissage des silos et la vérification des niveaux de grain à l’intérieur des silos, il appert que c’est aux fins de maintenance, ce qui inclut les opérations en espace clos de nettoyage et/ou balayage des silos que les trappes sont ouvertes.

[74]           La preuve à cet égard est à l’effet que ces travaux sont confiés depuis plusieurs années à une entreprise externe à l’appelant, M.I. Maintenance, laquelle relève de juridiction provinciale et assure la direction et supervision de ses employés au travail chez l’appelant. L’accident et le décès du 29 Novembre 2011, survenus dans la cadre d’une telle opération de maintenance qui devait impliquer du travail en espace clos, n’impliquaient que ledit employeur provincial et ses employés dont la victime. Aucune preuve n’a été présentée concernant la présence et/ou la participation des employés de l’appelant à une telle opération ou un quelconque rôle qu’il ou ils y auraient joué ou y joueraient habituellement, sauf pour la remise préalable prévue dans tous les cas d’un permis pour travail en espace clos.

[75]           Même si ce fait n’a qu’une implication limitée relativement à ma conclusion ci-dessous, il y a tout de même lieu de noter que la preuve non contestée est à l’effet qu’aucun tel permis pour travail en espace clos n’avait été obtenu par le sous-traitant au moment de l’accident, contrairement à ce qui avait été prévu avec le contremaître de M.I. Maintenance la veille, ce qui aurait permis de préciser sur lequel des silos le travail devait être exécuté, et donc quelle trappe devrait être découverte. En relation avec ce qui précède, il y a lieu de noter la preuve à l’effet que la victime s’efforçait d’ouvrir un couvercle de couleur bleu lequel, comme les autres couvercles de cette même couleur, sont peu ou pas utilisés selon la preuve.

[76]           La preuve est toutefois très claire à l’effet que les événements sont survenus en dehors des heures habituelles d’opération de l’appelant dont il appert qu’aucun des employés n’était encore sur les lieux, sauf le directeur des opérations M. Djerbi, ce qui pourrait porter à croire que les employés de M.I. Maintenance n’auraient possiblement pas été autorisés à se trouver chez l’appelant à cette heure, bien que l’association de longue durée de M.I. Maintenance avec l’appelant puisse porter à conclure au développement par le temps de certaines pratiques ou habitudes. Quoiqu’il en soit, cet élément vient renforcer la conclusion selon laquelle aucun employé de l’appelant n’était présent et que le sous-traitant, à travers ses employés, n’a pas respecté les procédures et directives de sécurité de l’appelant. Or, c’est dans le cadre du respect desdites procédures et directives que je dois déterminer si un danger est ou était présent pour les employés de ETR.

[77]           La preuve établit effectivement que l’appelant a édicté certaines procédures et directives de sécurité relativement au travail, ce qui implique la circulation, près des trappes de silos et à l’intérieur de ceux-ci. Une première série dans le cadre de la Procédure d’entrée en espace clos, concerne l’obtention à chaque occasion de permis de travail en espace clos, ce qui nécessite la confirmation du respect ou de l’exécution préalable d’une longue liste de mesures et contrôles de sécurité visant tant l’équipement, que l’évaluation des risques, de la qualité de l’air, la fourniture de l’éclairage homologué appropriée, le cadenassage de la fourniture et l’utilisation adéquate d’équipements de protection contre les chutes.

[78]           Directement en lien avec les circonstances propres à la présente affaire, le permis prévoit spécifiquement de « s’assurer qu’un périmètre de sécurité a été établi autour de l’ouverture ». Outre ceci, les règles et instructions de l’appelant stipulent à l’article 17 qu’il est formellement défendu de pénétrer à l’intérieur d’un réservoir, trémie, silo ou espace clos sans une autorisation écrite et émise par la supervision ou la direction (ou) sans la surveillance d’une autre personne […]. Directement en ligne avec la question en instance, et également au même effet que les exigences du permis de travail en espace clos, l’article 20 desdites règles et instructions stipule que :

« Il est interdit d’ouvrir une trappe de réservoir, trémie, silo ou de la laisser ouverte sauf pour y effectuer des travaux ou dans certains cas exceptionnel. (sic). Dans un tel cas, des tréteaux et rubans de sécurité devront être installés près de l’ouverture. »

[souligné par nos soins]

Finalement, l’article 12 des mêmes règles et instructions, également en lien avec les exigences précisées au permis obligatoire pour travail en espace clos, stipulent que lorsqu’il est requis de travailler dans un espace clos, donc un silo :

Il est exigé de porter un harnais de sécurité complet et être adéquatement ancré à un point d’attache lorsqu’il y a danger de chute de plus de 2,4 mètres (8 pieds) […] ou lors d’un travail dans un espace clos et difficile d’accès. Le harnais de corps (jamais la ceinture) est obligatoire. Le harnais, les cordages ou les câbles de sécurité doivent être tous approuvés « CSA ». La ceinture de sécurité est interdite en tout temps.

Eu égard à ses directives et règles de sécurité, aucune preuve ne m’a été présentée qui aurait eu l’heur d’établir que l’appelant ne s’assure pas de leur respect ou que ses employés ne les observent pas. À mon avis, le respect des règles et instructions de l’employeur assure de contrer un danger potentiel associé à la présence et à la circulation à proximité d’une trappe ouverte.

[79]           L’instruction dite de « danger » a été émise par l’agent de SST suite et dans le cadre de son enquête relativement à la chute mortelle d’un employé venant sous juridiction provinciale en raison de sa relation d’emploi avec un employeur, sous-traitant de l’appelant, venant lui-même sous juridiction provinciale. L’agent a conclu à l’existence de danger pour un employé au travail, employé que je dois voir sous le couvert de la compétence fédérale en raison des circonstances relatives audit accident impliquant le travailleur de juridiction provinciale. Or je n’ai obtenu aucune preuve directe, c’est-à-dire celle qui aurait pu être obtenue de l’unique témoin de l’accident, ou encore de son contremaître, qui pourrait expliquer pourquoi la victime a agi comme elle l’a fait pour tenter d’ouvrir la trappe du silo 326 ou même s’il s’agissait d’une pratique courante et/ou connue et/ou tolérée ou approuvée par l’appelant. Je suis informé de la manière de procéder de la victime dans sa tentative d’ouvrir le couvercle de la trappe du silo 326 et l’appelant m’a présenté une preuve photographique qui selon moi, confirme que le grillage Grizzly n’est pas conçu pour qu’on s’y tienne ou qu’on y circule. Sur cette base, et en l’absence de toute autre preuve, je doute fortement que cette façon de procéder puisse être considérée comme sécuritaire ou respectant les obligations qui sont celles d’un employé ou travailleur d’assurer sa propre sécurité ou soit sanctionnée par l’employeur. Ceci dit, force m’est donc d’accepter la position de l’appelant selon laquelle il n’y a pas adéquation entre accident et faute et donc comme valable sa conclusion voulant que la victime n’ait pas agi prudemment et soit par conséquent en quelque sorte l’artisan de son malheur.

[80]           Au vu de tout ce qui précède, ayant conclu à la suffisance des règles et instructions de l’employeur concernant la présence et circulation à proximité d’une trappe de silo ouverte de même que ma conclusion relativement aux Grizzlies et n’ayant aucune preuve voulant que les règles et instructions de l’appelant ne sont pas appliquées par l’employeur ou respectées par ses employés, j’en viens donc à la conclusion que la preuve dont je dispose n’est pas suffisante pour justifier une conclusion de danger pour un employé de l’employeur ETR relativement à la présence et à la circulation à proximité d’une trappe de silo ouverte.

Décision

[33] Compte tenu des motifs formulés ci-dessus, les deux instructions restantes sous appel, émises le 1er décembre 2011, sont annulées.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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