2013 TSSTC 29
Référence : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2013 TSSTC 29
Date : 2013-10-15
Dossier : 2012-93
Rendue à : Ottawa
Entre :
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, appelante
et
Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, défenderesse
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction donnée par un agent de santé et de sécurité
Décision : L’instruction est confirmée.
Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelante : M. L. Michel Huart, avocat, Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L.
Pour la défenderesse : M. Ken Stuebing, avocat, CaleyWray
MOTIFS
[1] La présente décision concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (« le CN » ou « l’employeur ») à l’encontre d’une instruction donnée le 7 décembre 2012 par l’agent de santé et de sécurité (« l’agent de SST ») Todd Wallace. L’appel a été déposé au Tribunal le 21 décembre 2012 par M. L. Michel Huart, avocat de l’employeur, accompagné d’une demande de sursis partiel à l’instruction, en vigueur jusqu’à la décision sur le fond. Le sursis partiel a été accordé par le soussigné le 10 janvier 2013, aux motifs énoncés dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2013 TSSTC 5 L’effet du sursis a été de retrancher certains éléments de l’instruction qui, selon l’employeur, excèdent la compétence de l’agent de SST dans les circonstances en cause et entraînent un préjudice pour l’employeur. Par conséquent, j’ai ordonné que la version expurgée de l’instruction, jointe à mes motifs de décision, soit utilisée aux fins du Code, en attendant l’issue de l’appel sur le fond.
[2] Le 1 mars 2013, l’avocat de l’employeur a donné au Tribunal son avis selon lequel l’agent d’appel peut passer outre une audience et a demandé que l’appel se fasse par observations écrites, sur la base du dossier du Tribunal, étant donné que la principale prétention de l’employeur concerne une question de droit. L’employeur soutient que l’agent de SST Wallace a excédé sa compétence en concluant quant à la cause de l’accident ayant entraîné un décès, et en incluant ces conclusions dans son instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code. L’avocat de la défenderesse, Conférence ferroviaire Teamsters Canada (la « CFTC » ou « le syndicat »), s’oppose à cette proposition, au motif que le témoignage de l’agent de SST Wallace est nécessaire à la détermination des présentes. J’ai informé les parties de la tenue d’une audience et l’agent de SST Wallace a finalement témoigné lors de l’audience du 17 avril 2013 à Vancouver, en Colombie-Britannique.
[3] Compte tenu de ma décision de rejeter l’appel et de confirmer l’instruction d’origine de l’agent de SST Wallace aux motifs énoncés ci-dessous, je me permets de citer l’intégralité du texte de l’instruction du 7 décembre 2012. Cette instruction se lit comme suit :
[Traduction]
DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II − SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)
À la suite du signalement d’une blessure mortelle subie par un employé des Chemins de fer nationaux du Canada le 28 novembre 2012, l’agent de santé et de sécurité Keith Dagg et l’agent de santé et de sécurité soussigné ont procédé à une inspection du lieu de travail appartenant aux Chemins de fer nationaux du Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et exploité par ceux-ci, au point milliaire 864,3 de la subdivision de Fort Nelson, ledit lieu de travail étant connu sous le nom Gutah ou Gutah Camp. Cette inspection a été effectuée les 29 et 30 novembre 2012, en présence d’agents des dirigeants des Chemins de fer nationaux du Canada, M. Doug Ryhorchuk, M. Brian Kalin, M. Don Penney, M. Roger Worsfold, Mme Carrie Mackay, M. Chris Doerksen et M. Don Ennis, et le représentant de santé et sécurité du personnel, M. Joe Dineley.
L’agent de santé et de sécurité soussigné est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes.
Article 124 de la partie II du Code canadien du travail
L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.
L’emploi de panneaux de signalisation non réglementaires et non réfléchissants, ainsi que l’absence de directives claires pour les employés, sont à l’origine d’un déraillement et des blessures mortelles à un employé.
Alinéa 125(1)s) de la partie II du Code canadien du travail
[L’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité] de veiller à ce que soient portés à l’attention de chaque employé les risques connus ou prévisibles que présente pour sa santé et sa sécurité l’endroit où il travaille[.]
Par son emploi de panneaux de signalisation non réglementaires, qui possèdent les mêmes caractéristiques qu’un grand nombre de panneaux de signalisation fréquemment observés sur le long de la ligne de chemin de fer sur l’ancienne ligne BCR, son omission d’aviser les employés de la présence de panneaux de signalisation non réglementaires et de bien sensibiliser les employés aux nombreux déraillements survenus sur cette ligne, l’employeur n’a pas respecté son obligation de veiller à ce soient portés à l’attention des employés les risques connus dans un lieu de travail, ce qui entraîné des blessures mortelles chez un employé.
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 4 janvier 2013.
De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, conformément à l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre, au plus tard le 4 janvier 2013, des mesures pour veiller à ce que les panneaux de signalisation qui informent les employés de la présence de dispositifs critiques soient réglementaires et pour donner des directives claires aux employés en cas de circonstances exceptionnelles, ainsi que toute autre mesure que l’employeur juge appropriées pour empêcher la continuation des contraventions ou leur répétition.
Fait à New Westminster, ce 7e jour de décembre 2012.
(signé)
Todd Wallace
Agent de santé et de sécurité
[Soulignement ajouté]
[4] Les parties soulignées ont été temporairement retranchées en raison du sursis. Par le présent appel, l’employeur souhaite qu’elles soient définitivement retranchées de l’instruction.
La question en litige
[5] La question consiste à savoir si l’agent de SST Wallace a excédé la compétence prévue à la partie II du Code, en insérant ses conclusions quant à la cause de l’accident dans le corps de son instruction en vertu du paragraphe 145(1) du Code, et si ce texte doit être définitivement retranché de l’instruction.
Les faits
[6] Les faits qui ont donné lieu à la présente affaire se résument comme suit. Le 28 novembre 2012, l’agent de SST Todd Wallace, accompagné de l’agent de SST Keith Dragg, a répondu à un signalement du CN concernant un accident mortel survenu le même jour. L’accident s’est produit dans le lieu de travail appartenant et exploité par l’employeur et situé au point milliaire 864,3 de la subdivision Fort Nelson des Chemins de fer nationaux du Canada, ledit lieu de travail étant connu sous le nom Gutah ou Gutah Camp. Aux environs de 17 h 10 (heure avancée du Pacifique), M. Bryan Giesbrecht, conducteur employé par le CN, a subi une blessure fatale lorsque le wagon-citerne sur lequel il se trouvait a déraillé et roulé sur lui.
[7] Dans son témoignage, l’agent de SST Wallace a affirmé avoir agi en vertu du Code, plus précisément le paragraphe 141(4), qui stipule que « [l]’agent fait enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail… ». Dès qu’il a été informé de l’accident, l’agent de SST Wallace a donné instruction à l’employeur de ne pas perturber les lieux de l’accident, exception faite des mesures liées au retrait du corps de la victime, à la santé, à la sécurité, à la protection des biens et de l’environnement. Les agents de SST Wallace et Dagg ont pris le premier vol de l’Aéroport international de Vancouver à destination de Fort St. John, à 8 h le 29 novembre 2012. Ils sont arrivés sur les lieux de l’accident aux environs de 20 h 15. Une évaluation initiale du lieu a été réalisée le soir même. Cette évaluation a fourni quelques pistes quant aux conditions en présence le soir de l’incident (la veille), notamment l’éclairage ambiant ou son absence, la température, les lignes de vue et la visibilité, pendant une faible chute de neige. Le coroner, les ambulanciers paramédicaux du service ambulancier de Colombie-Britannique, la GRC et les employés du CN sont arrivés sur les lieux au début de la matinée du 29 novembre 2012. Ils avaient retiré le corps du défunt et ramené le mécanicien de locomotive et d’autres personnes se trouvant au camp à Fort St. John. L’agent de SST Wallace a précisé qu’exception faite du retrait du corps du défunt et de la chute de neige persistante, les lieux étaient intacts et non perturbés.
[8] Pendant son enquête, l’agent de SST Wallace a demandé à l’employeur de lui fournir des informations détaillées sur l’accident, sur les employés en service ce jour-là et sur l’état de l’équipement, divers documents d’inspection, registres, dossiers de communication, les photos prises et les croquis tracés par le personnel du CN, etc. De plus, l’agent de SST Wallace a ordonné à l’employeur de procéder à des essais en vue de déterminer la réflectivité et la clarté du panneau de signalisation situé au dérailleur concerné. Ces directives ont été communiquées par deux instructions de l’agent de SST Wallace, le 3 décembre 2012 (déposées à titre de pièces R-2 et R-3 à l’audience), dans lesquelles était précisé que l’employeur transmette les informations demandées au plus tard le 17 décembre 2012. L’agent de SST Wallace souligne que l’employeur, à ce jour, coopérait pleinement à l’enquête et que la remise de ces instructions n’était nullement en réaction à une lacune du personnel du CN à cet égard. Il convient de noter que les communications, orales et écrites, échangées entre l’agent de SST Wallace et les responsables du CN, entre le moment où il a été informé de l’accident et la remise de l’instruction du 7 décembre 2012, indiquent clairement qu’il menait une enquête à la suite du signalement d’un décès, comme l’y obligeait le paragraphe 141(4) du Code.
[9] L’enquête sur l’accident et l’inspection des lieux de travail et de l’accident se sont poursuivies jusqu’au 30 novembre 2012. À 9 h 40 ce jour-là, l’agent de SST Wallace a redonné accès au lieu de l’accident au CN. L’agent de SST Wallace a eu de nombreuses conversations et échanges de courriels avec des représentants du CN au cours de ces deux jours. Il a réuni une vaste quantité d’informations à propos des employés qui étaient de service ce soir-là, notamment leur ancienneté et la formation reçue, et sur l’état du wagon impliqué dans l’accident. Il a interrogé le mécanicien de train en service le jour de l’accident. Il a fait plusieurs observations sur place, a fait un mesurage et a recueilli des informations en vue de comprendre ce qui avait causé l’accident, ainsi que les lacunes à corriger, le cas échéant.
[10] L’agent de SST Wallace a plus de 20 ans d’expérience dans l’industrie ferroviaire. Il a été conducteur pour BC Rail pendant environ 13 ans (de 1993 à 2006), après avoir été mécanicien de locomotive au Canadien Pacifique pendant 7 ans (de 1985 à 1992). Il été nommé au poste d’agent de santé et de sécurité en 2006. Dans son témoignage, l’agent de SST Wallace précise qu’ayant lui-même été conducteur, il s’est servi de sa propre expérience au cours de son examen du lieu de l’accident pour se mettre à la place de l’employé mortellement blessé.
[11] L’agent de SST Wallace affirme avoir remarqué la signalisation du dérailleur et avoir immédiatement exprimé ses préoccupations à leur sujet, étant donné qu’il ne s’agissait pas des panneaux de signalisation réglementaires utilisés par le CN et qu’ils avaient une mauvaise réflectivité. Il convient de souligner que le CN a acquis les droits d’exploitation de la British Columbia Railway (BCR) de la Province de la Colombie-Britannique en 2004. Cette acquisition comprenait divers actifs, dont les employés, les wagons et les locomotives, ainsi que la responsabilité de l’entretien de la ligne et des infrastructures connexes. Un dérailleur est un dispositif mécanique placé sur une ligne, qui provoque le déraillement des wagons ou des locomotives qui passent dessus. L’agent de SST Wallace a expliqué que les panneaux de signalisation indiquant aux employés la présence d’un dérailleur, d’un graisseur de rail, d’une borne milliaire, d’une structure et de la longueur d’un train, sur une grande partie de l’ancien territoire de BCR, sont identiques, sauf en ce qui concerne leur texte, avec fond blanc réfléchissant sur les deux côtés et le texte est en noir. Les panneaux de signalisation pour les « déblayeur d’entre-rails » sont de mêmes dimensions, mais avec un seul côté réfléchissant. Un panneau de « déblayeur d’entre-rails » signale la présence d’un obstacle avec lequel la lame d’un chasse-neige poussé par une locomotive entrerait en contact, comme un dispositif d’aiguillage ou un passage à niveau. En l’occurrence, pendant son inspection du lieu de l’accident, l’agent de SST Wallace a observé que l’arrière d’un panneau de déblayeur d’entre-rails servait de panneau de dérailleur, avec un arrière-plan non réfléchissant.
[12] L’agent de SST Wallace a également observé les faits suivants au cours de son enquête des 29 et 30 novembre 2012 : il y avait un espace d’environ 670 pieds dans la voie d’évitement (une voie parallèle à la voie principale) au nord de l’équipement d’entretien; plusieurs dérailleurs se trouvaient sur cette voie d’évitement, dont l’un à proximité du signal voie libre, à l’extrémité nord de la voie d’évitement, un second à environ 160 pieds au nord de l’équipement d’entretien, et deux autres dérailleurs au sud de l’équipement d’entretien, à divers endroits. Dans son témoignage, l’agent de SST Wallace a précisé que l’indicateur de la subdivision de Fort Nelson mentionne la présence de dérailleurs à 120 pieds au nord et au sud de l’équipement d’entretien, sans aucune mention de la présence de plusieurs dérailleurs sur la ligne en question. L’agent de SST Wallace a conclu que la directive de l’indicateur concernant les risques relatifs à Gutah Camp manque de clarté, dans la mesure où elle n’avertit pas les employés d’un cas exceptionnel, à savoir la présence de deux dérailleurs à proximité immédiate sur une ligne individuelle.
[13] M. Wallace a relevé plusieurs facteurs qui, à son avis, ont contribué à l’accident. Ces facteurs sont résumés dans la lettre d’accompagnement de son instruction, envoyée à M. John Orr, chef Sécurité et développement durable, le 7 décembre 2012, et qui se lit comme suit :
[traduction]
L’employé blessé mortellement n’était pas un ancien employé de la British Columbia Railway (BCR). Entré au service du CN aux environs d’avril 2011, le total de ses années de service, y compris le temps de formation, s’élevait à un an et demi.
De manière préliminaire, on peut expliquer le déraillement par le fait que l’équipement a été poussé sur un dérailleur.
Le panneau de signalisation indiquant la présence de ce dérailleur particulier était non réfléchissant. Qui plus est, il ne correspondait pas au modèle, à la forme ou à la couleur réglementaires du CN, illustrés et expliqués dans les instructions générales d’exploitation (IGE) du CN. Aucune instruction spéciale du CN ne mentionne que la signalisation employée sur l’ancienne ligne BCR n’est pas réglementaire.
[14] L’agent de SST Wallace a déclaré que, d’après son examen du lieu, ses conversations avec le personnel du CN et les informations qu’il avait en main au moment de la remise de son instruction du 7 décembre 2012, il en était venu à la conclusion que la blessure mortelle de M. Giesbrecht avait été causée par le wagon-citerne, qui avait roulé sur lui après avoir déraillé, c’est-à-dire après avoir quitté la ligne et s’être retrouvé sur la terre ferme. Le chemin emprunté par le wagon-citerne après son déraillement a fait en sorte que son unité de tête (la plateforme mobile sur laquelle une extrémité de la citerne repose) s’est enfoncée dans le sol, stoppant à un angle aigu sur la pente adjacente au chemin de fer. L’effet de l’angle du wagon à l’arrêt a probablement déclenché un ballottement dans la citerne, qui s’est alors détachée de ses unités, se propulsant dans les airs, par-dessus la tige qui la maintenait en place sur les unités. La citerne s’est renversée du côté du conducteur, pour poursuivre sa course jusqu’à la ligne d’arbres.
[15] L’agent de SST Wallace a conclu que le wagon a été poussé sur un dérailleur dont le conducteur ignorait la présence, en raison de son manque de familiarité avec cette partie précise du territoire, l’absence de signalisation adéquate pour indiquer la présence dudit dérailleur, et le manque d’informations et d’instructions claires alertant de ce que l’agent de SST Wallace considère comme un cas exceptionnel (soit la présence de plusieurs dérailleurs). Comme en a témoigné l’agent de SST Wallace, même un employé expérimenté ne peut raisonnablement s’attendre à ce que des dérailleurs se trouvent là où ils se trouvent à Gutah. À l’audience, l’agent de SST Wallace a expliqué avoir reconstruit la séquence des événements en s’appuyant principalement sur ses observations matérielles des lieux (l’endroit où se trouvait le corps de l’employé décédé, l’emplacement final du wagon-citerne, etc.), ainsi que sur le mesurage qu’il a fait, les 29 et 30 novembre 2012.
[16] L’agent de SST Wallace a également reconnu dans son témoignage que certaines informations recherchées par les deux instructions du 3 décembre 2012 ont été reçues plus tard en décembre, soit après son instruction du 7 décembre. Cependant, il a déclaré que, dans une large mesure, soit il avait déjà les informations en main le 7 décembre, soit les informations reçues plus tard, comme le « consignateur d’événements » de la locomotive, n’ont rien changé à ses conclusions quant à la séquence des événements et la cause de l’accident ayant entraîné la mort de l’employé.
[17] L’agent de SST Wallace a ajouté avoir songé à donner une instruction en vertu du paragraphe 145(2) du Code, sur la base de sa conclusion voulant que la signalisation inadéquate et le manque de clarté dans la directive de l’indicateur de Gutah constituent une situation dangereuse au lieu de travail, à corriger immédiatement. Une telle instruction aurait entraîné un arrêt des activités du CN à ce lieu de travail, jusqu’à ce que le problème soit corrigé. Il a choisi d’éviter cette option, étant donné les intentions de bonne foi d’apporter des mesures correctives adéquates rapidement et la grande coopération des représentants de l’employeur. Il convient également de noter que l’employeur a respecté les parties « opérationnelles » de l’instruction et a immédiatement pris diverses mesures pour corriger les contraventions précisées par l’agent de SST Wallace, comme le mentionne son rapport d’enquête.
[18] L’agent de SST Wallace a achevé la rédaction de son rapport d’enquête le ou vers le 28 décembre 2012. L’enquête de l’agent de SST Wallace est la seule enquête effectuée relativement à l’accident. Le témoignage de l’agent de SST Wallace a en outre révélé qu’il participe à un processus pouvant éventuellement mener à des poursuites, dans la foulée de son enquête sur ce décès.
Observations des parties
[19] Les avocats des parties ont été invités à remettre des observations écrites à la fin de l’audience. Le texte intégral des observations des parties fait partie du dossier du Tribunal. Je résumerai les points saillants de leur argumentation.
Pour l’appelante
[20] L’avocat de l’appelante présente une vue d’ensemble des circonstances ayant conduit à la présence de l’agent de SST Wallace sur les lieux de l’accident du 28 novembre 2012. Après avoir passé en revue la séquence des événements, l’avocat convie l’agent d’appel à ignorer tous les faits recueillis après la remise de l’instruction, soit après le 7 décembre 2012, au motif qu’ils ne sont pas pertinents, notamment l’intégralité du rapport d’enquête du 21 décembre 2012 rédigé par l’agent de SST Wallace. L’avocat souligne que l’agent de SST Wallace n’a remis qu’une ébauche de ce rapport au Tribunal, sans aucun autre document à l’appui de son instruction. Selon l’avocat, cela démontre clairement que l’agent de SST en est rapidement venu à une conclusion concernant la cause du décès, sans avoir recueilli tous les éléments de preuve appropriés, et que par conséquent l’instruction est sans fondement factuel.
[21] L’avocat de l’appelante réitère le motif de l’appel à l’encontre de l’instruction, à savoir qu’elle excède la compétence de l’agent de SST et repose sur une erreur de droit. De plus, l’avocat soutient que l’enjeu ne concerne pas la suffisance des informations à l’appui de la conclusion de l’agent de SST Wallace, ni le processus suivi. Il s’agit simplement d’une question d’interprétation du droit. L’avocat fait valoir que la norme de contrôle de l’instruction de l’agent de SST Wallace est la décision correcte, ce qui signifie qu’il devait faire une interprétation correcte des dispositions du Code en vertu desquelles il agissait, plus particulièrement les dispositions qui établissent une distinction entre une enquête et une inspection. Selon l’employeur, l’agent de SST Wallace a commis une erreur dans cette interprétation et a eu tort de croire que le paragraphe 145(1) du Code l’autorisait à déterminer la cause du décès d’un employé.
[22] L’avocat souligne la différence entre une inspection et une enquête : une inspection est l’examen d’une situation et peut comprendre la collecte d’informations conduisant à la remise d’une instruction, mais elle ne prévoit pas la collecte d’éléments de preuve en vue d’appuyer une poursuite. Une enquête constitue la collecte d’éléments de preuve pouvant être utilisés dans une cour de justice aux fins d’obtenir une déclaration de culpabilité, et elle exige une norme supérieure en matière d’équité procédurale. L’instruction elle-même précise que l’agent de SST Wallace faisait une inspection du lieu de travail, contrairement aux deux instructions précédentes, données le 3 décembre 2012, qui indiquent qu’il menait une enquête. Malgré cela, sans en avoir l’autorité, il conclut quant à la cause de l’accident et du décès d’un employé, dans le cadre de ce qu’il appelle lui-même une inspection. L’agent de SST Wallace a ainsi confondu les deux notions juridiques et a utilisé de manière inadmissible les informations, recueillies dans un processus d’enquête, aux fins d’une inspection et d’une instruction en vertu du paragraphe 145(1). L’agent de SST Wallace agissait en vertu du paragraphe 145(1), comme il le dit lui-même dans son instruction. Par conséquent, il ne pouvait qu’énoncer la contravention, ordonner qu’il y soit mis fin et ordonner les mesures correctives appropriées pour empêcher que la situation dangereuse ne se reproduise, comme le prévoient les alinéas 145(1)a) et b). L’inclusion de ses conclusions quant à la cause du décès, selon l’avocat, a des conséquences graves et injustes pour l’employeur, particulièrement à la lumière des éléments de preuve qui indiquent que l’agent de SST Wallace participe aussi à un processus pouvant mener à des poursuites.
[23] L’avocat de l’appelante allègue en outre que l’objet de la partie II du Code est de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi, ainsi que leur répétition (Ronald M. Snyder, The 2013 Annotated Canada Labour Code, Toronto, Carswell (2013), pages 832, 935 et 936; SCFP, Composante Air Canada c. Air Canada, 2010 CF 103, paragraphes 15, 21 et 24). En ce qui concerne le fait que l’agent de SST Wallace a outrepassé ses pouvoirs en donnant une instruction dans laquelle il précise la cause du décès d’un employé, alors que le paragraphe 145 (1) ne l’habilite qu’à veiller à ce que la contravention cesse et qu’une situation dangereuse soit corrigée, l’avocat renvoie aux décisions suivantes, rendues par un agent d’appel : Aéroports de Montréal (décision n 95‑012), page 13; Les Lignes aériennes Canadien International ltée (décision n 95-022), page 18. L’avocat soutient également que les pouvoirs de l’agent de SST se limitent aux pouvoirs expressément énumérés par le Code (Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Brocklehurst (C.A.), [2001] 2 CF 141). Des articles, autres que le paragraphe 145(1) du Code, de même que d’autres lois, traitent des enquêtes sur les accidents en vue d’obtenir une déclaration de culpabilité ou d’en cerner la cause, notamment les enquêtes de la police ou du coroner, les inspections en vertu de la Loi sur la sécurité ferroviaire ou de l’article 7 de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, LC 1989, ch. 3, (Loi sur le BCEATST).
[24] L’avocat de l’appelante conclut en demandant que les mentions de la cause de l’accident ayant donné lieu aux blessures mortelles d’un employé soient définitivement retranchées de l’instruction.
Pour la défenderesse :
[25] L’avocat de la défenderesse soutient que l’instruction de l’agent de SST Wallace, dans sa version originale, est bien fondée et qu’elle relève des pouvoirs et de l’autorité prévus par le Code. L’avocat fait valoir qu’il ne fait aucun doute à présent, comme il ne faisait aucun doute alors, que l’agent de SST Wallace menait une enquête sur un accident mortel au lieu de travail, accident s’étant produit le 28 novembre 2012 à Gutah Camp, conformément au paragraphe 141(4) du Code. L’instruction faisant l’objet de l’appel a été donnée dans le cadre de l’enquête sur une situation dangereuse, effectuée en vertu du paragraphe 141(4) du Code.
[26] L’avocat de la défenderesse souligne que l’agent de SST Wallace a témoigné avec franchise, et qu’il a appliqué ses 20 années d’expérience dans l’industrie ferroviaire pour comprendre les circonstances ayant mené au décès. L’avocat soutient que les conclusions de l’agent de SST Wallace sont correctes et largement étayées dans son rapport d’enquête et son témoignage à l’audience, dans lequel il a résumé comment il est arrivé à ces conclusions, énoncées dans son instruction du 7 décembre 2012. Dans son témoignage, il a précisé que son expérience et l’exercice des tâches d’un agent de SST consistent à établir un lien entre une conclusion de contravention au Code et un incident, le cas échéant, afin de mettre la contravention en contexte. En l’espèce, l’avocat allègue qu’étant donné la gravité et la nature de l’enjeu, l’agent de SST Wallace a eu raison d’agir comme il l’a fait.
[27] L’avocat de la défenderesse soutient par ailleurs que rien n’empêche un agent de SST de tirer des conclusions de causalité dans une instruction, que ce soit dans le cadre d’une enquête ou d’une inspection. Vu l’objectif du Code, établi aux articles 122.1 et 122.2, le pouvoir d’enquêter sur un décès doit recevoir une interprétation large et fondée sur l’objet. L’établissement d’un lien entre une contravention et un incident particulier sert l’objectif même de la partie II du Code, et il n’est ni inapproprié ni illégal d’établir un tel lien de connexité de manière explicite dans une instruction.
[28] L’avocat établit ensuite une distinction avec l’affaire Aéroports de Montréal (95‑012) citée par l’employeur : dans cette affaire, l’agent de SST semblait imputer l’accident à une entité qui n’était même pas l’employeur de l’employé. En outre, l’article 10 de la Worker’s Compensation Act de la Colombie-Britannique, RSBC 1996, chapitre 492, prévoit un empêchement aux poursuites civiles pouvant découler d’accidents du travail indemnisables, de sorte que les préoccupations exprimées par l’agent d’appel dans cette décision ne s’appliquent pas en l’espèce. En tout état de cause, l’avocat fait valoir que la jurisprudence du Tribunal a évolué depuis que cette décision a été rendue, et il renvoie à des décisions récentes qui, selon lui, portent directement sur la question en litige dans la présente affaire et doivent être considérées comme étant déterminantes : Banque Royale du Canada, 2012 TSSTC 5, et Ressources humaines et Développement des compétences Canada et Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, 2013 TSSTC 6.
[29] L’avocat de la défenderesse conclut que l’instruction est juridiquement et factuellement correcte, que l’agent de SST Wallace détenait pleinement le pouvoir discrétionnaire et l’autorité légale de la libeller ainsi, avec ses conclusions concernant le résultat et le lien de causalité, et que l’instruction doit être confirmée.
Réponse de l’appelante
[30] L’avocat de l’appelante rappelle brièvement ses principaux points d’argumentation, à savoir la distinction entre une enquête et une inspection, et la portée juridique de cette distinction. Il renvoie à l’article 16 de la Loi sur le BCEATST, y voyant une indication de la préoccupation du législateur, qui souhaite que les enquêtes pour déterminer la cause d’un accident soient effectuées avec le plus grand soin et des garanties procédurales suivies par les coroners, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. L’instruction a été donnée en vertu du paragraphe 145(1), dans le cadre d’une inspection, alors que l’agent de SST n’avait pas le pouvoir de tirer des conclusions de causalité. L’avocat est d’avis qu’une contravention n’a pas besoin d’être mise en contexte ou liée à des incidents.
[31] L’avocat réaffirme également que l’instruction a été donnée avant que l’agent de SST Wallace n’ait un portrait d’ensemble des faits, et que, par conséquent, les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour parvenir à une conclusion de causalité. L’avocat renvoie aux décisions Banque Royale du Canada et Ressources humaines et Développement des compétences Canada, qui soulignent toutes deux l’importance pour une constatation de causalité de reposer sur une « preuve concluante ». L’avocat fait valoir que l’instruction dans l’affaire Ressources humaines et Développement des compétences Canada concerne de toute évidence une enquête, et non une inspection, contrairement à l’instruction contestée en l’espèce.
Analyse
[32] La question soulevée par le présent appel, selon la formulation de l’avocat de l’appelante, consiste à savoir si l’agent de SST Wallace a excédé les pouvoirs qui lui sont conférés par le Code quand il a exprimé son opinion quant à la cause de l’accident sur lequel il a fait enquête les 29 et 30 novembre 2012. Cet accident a entraîné la mort d’un employé du CN. L’employeur l’a souligné à plusieurs reprises : il ne conteste pas les parties « opérationnelles » de l’instruction du 7 décembre 2012 visant la correction d’une contravention à l’article 124 et à l’alinéa 125(1)s) du Code. Effectivement, l’employeur a pris des mesures immédiates pour se conformer à ladite instruction, comme le confirme le rapport d’enquête de l’agent de SST Wallace, identifié sous la marque D‑9 et déposé auprès du Tribunal. Par conséquent, l’employeur indique clairement dans son avis d’appel, dans ses observations préliminaires à l’audience et dans ses observations écrites, que sa contestation de l’instruction ne concerne pas la validité des conclusions ou des opinions de l’agent de SST Wallace en elles-mêmes, ni le caractère suffisant des informations à l’appui de sa conclusion, ni le caractère approprié du processus qu’il a suivi. Au contraire, l’argument de l’employeur repose sur l’affirmation selon laquelle un agent de santé et de sécurité n’a pas d’autorité légale pour inclure ses conclusions quant à la cause d’un accident mortel dans une instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code dans le contexte de son inspection d’un lieu de travail. Pour reprendre ses paroles, l’employeur allègue que l’agent de SST Wallace a commis une erreur de droit et ce faisant a excédé ses pouvoirs. Les observations de l’employeur reposent principalement sur ce motif.
[33] Tout en présentant l’enjeu de la manière décrite ci-dessus, l’employeur soulève à plusieurs reprises dans ses observations le fait que les conclusions de l’agent de SST Wallace quant à la cause de l’accident étaient prématurées et qu’elles reposaient sur une insuffisance de faits et d’éléments de preuve. En d’autres termes, l’employeur remet en question le caractère suffisant de la preuve sur laquelle reposent les conclusions de l’agent de SST Wallace, et c’est la raison pour laquelle j’ai présenté les faits en détail, puisque je dois conclure quant à certains faits pour décider du présent appel.
[34] La première question de fait à résoudre quant aux observations de l’employeur est la suivante : en vertu de quelle autorité l’agent de SST Wallace agissait-il au moment où il s’est présenté à Gutah Camp pour enquêter sur les événements du 28 novembre 2012? Le témoignage de M. Wallace établit clairement qu’il répondait à un avis de décès et qu’il a mené l’enquête obligatoire prévue au paragraphe 141(4) du Code, qui se lit comme suit :
141. (4) L’agent fait enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances.
[35] Le fait que l’agent de SST Wallace a communiqué cette information aux représentants de l’employeur, et qu’il renvoie expressément à cette autorité dans ses deux instructions du 3 décembre 2012 (pièces R-2 et R-3), n’est pas contesté. Lorsque M. John Nicoletti, agent de gestion des risques du CN (région des montagnes), lui a posé la question le 21 décembre 2012, l’agent de SST Wallace a confirmé qu’il agissait en vertu de l’autorité du paragraphe 141(4) du Code (pièce R‑1). Par conséquent, je juge que l’agent de SST Wallace menait une enquête en vertu du paragraphe 141(4) du Code, et que c’était la raison d’être de sa présence à Gutah Camp à ces dates.
[36] L’employeur fait ensuite valoir que, même si l’on envisageait la possibilité que M. Wallace menât une enquête en vertu du paragraphe 141(4), son instruction a été donnée en vertu du paragraphe 145(1), et il y fait mention de son inspection du lieu de travail. L’employeur allègue qu’il existe une différence conceptuelle entre ces deux termes et qu’une instruction donnée dans le cadre d’une inspection ne peut en aucun cas mentionner, comme c’est le cas en l’espèce, la cause d’un accident ou d’un décès. Par conséquent, l’employeur soutient que l’agent de SST Wallace n’avait aucune autorité légale en vertu de cet article pour établir un lien entre les contraventions mentionnées et la cause de l’accident.
[37] Les deux parties ont évoqué les dispositions d’objectif de la partie II du Code à l’appui de leurs observations respectives, mais opposées. Je commencerai également ainsi, en rappelant l’objet de la partie II du Code, énoncée à l’article 122.1, à savoir « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. » L’article 122.2 ajoute :
122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.
[38] Il me semble qu’un tel énoncé de l’intention du législateur a directement trait au lien de causalité, soit la détermination et l’élimination du lieu de travail de facteurs qui peuvent provoquer un accident ou créer un risque de maladies, de blessures ou de décès chez les employés. Afin d’empêcher de telles situations de se produire, le législateur précise un ensemble d’obligations pour les employeurs et les employés. Il a également adopté un ensemble de droits visant la protection des employés, comme le droit de refuser de travailler en cas de danger, un droit de participation par l’entremise de comités ou de représentants de santé et de sécurité et, ce qui nous rapproche de la présente affaire, le droit d’être informé de tous les risques connus ou prévisibles pour la santé ou la sécurité à l’endroit où l’employé travaille. Le législateur prévoit un cadre d’application qui veille à ce que les parties respectent leurs obligations, à savoir, au moyen des interventions des agents de santé et de sécurité désignés par le ministre du Travail à cette fin.
[39] L’article 141 énonce les pouvoirs des agents de santé et de sécurité :
141. (1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, l’agent de santé et de sécurité peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail en général, il peut :
a) effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections ou ordonner à l’employeur de les effectuer;
b) procéder, aux fins d’analyse, à des prélèvements de matériaux ou substances ou de tout agent biologique, chimique ou physique;
c) apporter le matériel et se faire accompagner ou assister par les personnes qu’il estime nécessaires;
d) emporter, aux fins d’essais ou d’analyses, toute pièce de matériel ou d’équipement lorsque les essais ou analyses ne peuvent raisonnablement être réalisés sur place;
e) prendre des photographies et faire des croquis;
f) ordonner à l’employeur de faire en sorte que tel endroit ou tel objet ne soit pas dérangé pendant un délai raisonnable en attendant l’examen, l’essai, l’enquête ou l’inspection qui s’y rapporte;
g) ordonner à toute personne de ne pas déranger tel endroit ou tel objet pendant un délai raisonnable en attendant l’examen, l’essai, l’enquête ou l’inspection qui s’y rapporte;
h) ordonner à l’employeur de produire des documents et des renseignements afférents à la santé et à la sécurité de ses employés ou à la sûreté du lieu lui-même et de lui permettre de les examiner et de les reproduire totalement ou partiellement;
i) ordonner à l’employeur ou à un employé de faire ou de fournir des déclarations — en la forme et selon les modalités qu’il peut préciser — à propos des conditions de travail, du matériel et de l’équipement influant sur la santé ou la sécurité des employés;
j) ordonner à l’employeur ou à un employé, ou à la personne que désigne l’un ou l’autre, selon le cas, de l’accompagner lorsqu’il se trouve dans le lieu de travail;
k) avoir des entretiens privés avec toute personne, celle-ci pouvant, à son choix, être accompagnée d’un représentant syndical ou d’un conseiller juridique.
[Soulignement ajouté]
[40] Je constate que le législateur emploie les mots « examens, essais, enquêtes et inspections » pour décrire les types d’interventions ou d’actions possibles pour l’agent de santé et de sécurité. Ces mots ne sont pas définis dans le Code et sont mentionnés de façon générique dans la liste des pouvoirs d’un agent de santé et de sécurité. À mon avis, ils sont interchangeables et chacun est en lien avec la nature ou le contexte de la situation dans laquelle un agent de santé et de sécurité est appelé à s’acquitter de ses devoirs en vertu de la partie II du Code. À mon avis, l’emploi de termes différents relève principalement d’un choix sémantique ou de contexte. Par exemple, l’Oxford English Dictionary définit le mot [traduction] « examen » comme une inspection ou une étude détaillée. Ce mot sert en général relativement à des dossiers, un dispositif, des données, etc. Le mot [traduction] « enquête » [NDT : inquiry] est défini comme [traduction] « l’examen d’une question en vue de trouver de l’information », et prend son sens lorsqu’il est employé relativement à des personnes ou à un événement. Le mot « enquête » [NDT : investigation] est défini comme « un examen ou une recherche, une enquête [NDT : inquiry] formelle ». De même, le mot « inspection » est défini comme l’examen attentif ou approfondi de quelque chose. Sémantiquement, on n’« inspecte » pas un accident, un décès ou une situation particulière, pas plus que l’on « enquête » sur un lieu de travail ou un dossier (voir par exemple le libellé du paragraphe 141.1(1) : « Lors des inspections du lieu de travail [...] ». Je considère ces mots comme des synonymes décrivant les différents modes par lesquels les agents de santé et de sécurité exercent leurs fonctions en vertu de la partie II. Par conséquent, je juge que la distinction établie par l’avocat de l’employeur entre « enquête » et « inspection », qui imposerait des restrictions aux pouvoirs remédiateurs d’un agent de santé et de sécurité, est sans fondement. De toute évidence, les éléments de preuve établissent que l’agent de SST Wallace a été appelé sur les lieux de l’accident à la suite du signalement d’un décès, ce qui a déclenché l’application du paragraphe 141(4) du Code, et que sa présence sur les lieux était dans le but d’enquêter sur l’accident. Pendant son enquête, il a demandé des informations au personnel du CN, a effectué des tests et fait du mesurage, a examiné des documents et des dossiers et, plus généralement, a inspecté le lieu de travail et les lieux de l’accident.
[41] J’en viens maintenant au paragraphe 145(1), qui habilite un agent de santé et de sécurité à ordonner à l’employeur de mettre fin à une contravention à une disposition du Code. Ce paragraphe figure sous la rubrique « Mesures spéciales de sécurité ». Outre les autres pouvoirs conférés aux agents de santé et de sécurité dans le cadre de leur rôle d’exécution par les articles 141 à 144, le législateur leur accorde de larges pouvoirs coercitifs pour ordonner la conformité, s’ils constatent, à la suite de leur enquête, examen ou inspection au lieu de travail, qu’une contravention a été commise ou la présence d’un danger au lieu de travail. Ce pouvoir d’ordonner la conformité s’inscrit dans l’objectif même de la partie II, qui est d’empêcher que des accidents se produisent ou se répètent au lieu de travail, le cas échéant. Les paragraphes 145(1) et (2) n’imposent aucune restriction quant au contexte qui permet à un agent de santé et de sécurité d’exercer les pouvoirs qu’ils lui accordent. Ces pouvoirs sont donnés à l’agent de santé et de sécurité comme moyen d’ordonner la conformité, peu importe ce qui amène l’agent de santé et de sécurité à un lieu de travail particulier. En d’autres termes, il peut s’y trouver pour inspection de routine d’un lieu de travail, à la suite d’un refus de travailler, ou pour une enquête sur un accident. L’instruction peut être « proactive » ou « réactive », à savoir, en réaction à un événement qui s’est produit et qui a amené l’agent de santé et de sécurité à se présenter à un lieu de travail particulier.
[42] L’avocat de l’appelante me demande d’interpréter le paragraphe 145(1) d’une manière qui habilite l’agent de santé et de sécurité à signaler une contravention et à ordonner la prise de mesures correctives, sans plus. À son avis, conclure quant à la cause d’un accident dans le cadre d’une instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) constitue un excès de compétence de la part de l’agent de santé et de sécurité, étant donné que cette disposition ne l’autorise pas expressément à le faire.
[43] À mon avis, il s’agit d’une interprétation trop étroite de cette disposition. Le paragraphe 145(1) ne peut être lu indépendamment des autres dispositions qui établissent le régime de mise en application et l’objectif de la partie II du Code : il s’agit de l’un des outils mis à la disposition des agents de santé et de sécurité par le législateur afin de veiller à ce que des mesures de prévention des accidents soient en place à tout instant. Le libellé du paragraphe 145(1) est général et laisse une certaine marge discrétionnaire à l’agent de santé et de sécurité dans la formulation de son instruction. Comme la Cour fédérale l’énonce dans l’arrêt SCFP, Composante Air Canada c. Air Canada, 2010 CF 103, au paragraphe 21 :
La raison d’être de la partie II du Code est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi » (voir l’article 122.1). Comme je l’ai déjà mentionné, le Code accorde à l’agent de santé et de sécurité de vastes pouvoirs d’enquête, un grand pouvoir discrétionnaire quant aux mesures qui, le cas échéant, doivent être prises ainsi qu’un grand éventail de mesures correctives visant à remédier aux contraventions au Code.
[Soulignement ajouté]
[44] La question, à mon avis, doit plutôt être abordée comme suit : y a-t-il quoi que ce soit dans le régime législatif qui empêche l’agent de santé et de sécurité d’établir un lien entre une contravention et un incident particulier s’il juge qu’un tel lien de causalité est établi? Dans une situation comme celle qui prévaut en l’espèce, où l’instruction est donnée à la suite d’un accident mortel, l’objectif de l’instruction est d’empêcher la répétition de l’incident, par la prise de mesures correctives et la cessation de la contravention dont on a établi qu’elle était la cause − ou un facteur − de l’accident. Quel serait le but de l’enquête obligatoire prévue au paragraphe 141(4) du Code, si ce n’est de déterminer ce qui a causé le décès et, plus précisément, si le décès est attribuable à une situation dangereuse au lieu de travail, situation qui doit être corrigée? Ce processus entraîne à l’évidence une détermination quant à la cause de l’accident, à savoir s’il y a un lien de causalité entre le décès et une situation au lieu de travail, qu’il s’agisse d’un « danger » ou d’une contravention au Code ou à ses règlements. Une fois qu’un tel lien de causalité est établi, de l’avis de l’agent de santé et de sécurité, il doit faire rapport des résultats de son enquête (paragraphe 141(6)), mais il peut aussi recourir à l’ensemble des pouvoirs que lui confèrent les paragraphes 145(1) et (2), et ordonner les mesures correctives qu’il juge appropriées dans les circonstances. C’est ainsi que je comprends le mode de fonctionnement du régime prévu par le Code.
[45] Vu sous cet angle, il est tout à fait logique d’associer une ordonnance remédiatrice au risque particulier ou à la situation que constate l’agent de SST, et qui l’amène à exercer ses pouvoirs remédiateurs. Cette façon de faire est pleinement compatible avec le but et l’esprit de la partie II du Code, soit d’empêcher d’autres accidents de se produire. A fortiori, quand une instruction est donnée dans le cadre d’une enquête sur un accident ayant causé la mort, l’objectif de prévention est effectivement mieux servi si l’instruction énonce expressément un lien de causalité entre la mesure corrective et la cause de l’accident, si une telle équation est raisonnable. Les instructions doivent être par écrit et rédigées de manière suffisamment claire pour permettre à l’employeur et aux employés concernés de comprendre ce qui doit être corrigé et pourquoi.
[46] Bien que l’agent de SST Wallace n’était aucunement tenu de mentionner expressément le lien constaté entre l’accident et la contravention (à savoir, que les employés doivent être bien informés de tous les risques prévisibles), je n’interprète pas l’article 145(1) comme l’empêchant de le faire. Quand une instruction est donnée en l’absence d’incident particulier ou d’une situation dangereuse, l’agent de santé et de sécurité énonce simplement la contravention et donne l’ordre de la corriger. Toutefois, lorsqu’un agent de santé et de sécurité est d’avis, comme c’est le cas en l’espèce, qu’une contravention au Code a contribué à un accident sur lequel il fait enquête et qu’il faut la corriger immédiatement, rien ne l’empêche, juridiquement ou politiquement, d’inclure sa conclusion dans l’instruction. Étant donné que chaque instruction doit être transmise au Comité de santé et de sécurité ou à ses représentants, agir ainsi est compatible avec la fonction préventive de ces comités : ils doivent connaître le contexte particulier de l’incident ayant donné lieu à l’instruction, de sorte que leurs membres et les employés connaissent généralement mieux son importance et ses répercussions.
[47] Les mêmes observations s’appliquent au paragraphe 145(2) et au pouvoir de donner des instructions dans des situations de danger : de toute évidence, l’objectif de ce pouvoir est de corriger une situation particulière qui constitue un danger au lieu de travail et qui peut causer, ou a déjà causé, des dommages ou des préjudices aux employés. Il n’y aurait rien de mal à établir un lien de connexité clair entre les mesures correctives et la situation dangereuse observée, y compris des dommages possibles déjà causés. Dans son témoignage, l’agent de SST Wallace a déclaré avoir songé à donner une instruction en vertu du paragraphe 145(2) du Code, sur la base de sa conclusion voulant que la signalisation inadéquate et le manque de directives claires à propos de la présence de plusieurs dérailleurs constituent un danger, à corriger immédiatement. Une telle instruction aurait donné lieu à un arrêt temporaire des activités du CN à ce lieu de travail, ce que l’agent de SST Wallace a choisi d’éviter, étant donné les intentions de bonne foi de l’employeur d’apporter rapidement des mesures correctives adéquates. L’employeur soutient que cela illustre le manque de compréhension de l’agent de SST Wallace de ses pouvoirs en vertu du Code. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, l’agent de SST Wallace s’est servi du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 145 du Code en choisissant la mesure qui lui semblait la plus appropriée dans les circonstances.
[48] L’employeur a mis beaucoup d’accent sur le fait que l’agent de SST Wallace mentionne, dans le préambule de son instruction, qu’il a effectué une inspection (plutôt que d’une enquête). À mon avis, cela n’entraîne aucune conséquence. L’utilisation du mot « inspection » dans le préambule de l’instruction est sans importance, à mon avis, pour la nature des pouvoirs d’un agent de santé et de sécurité en vertu de l’article 145. Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 145(1) n’établit pas une telle distinction. Peu importe ce qui amène un agent de santé et de sécurité au lieu de travail, qu’il s’agisse d’une enquête sur un événement ou un incident donné, accident ou décès, en vertu du paragraphe 141(4), ou d’une inspection du lieu de travail, l’agent de SST est habilité à exercer les vastes pouvoirs prévus à l’article 145.
[49] L’employeur justifie en outre l’importance de la distinction entre « enquête sur un accident » et « inspection du lieu travail » par le fait qu’une enquête entraîne de plus grandes garanties procédurales et d’équité, comme l’exigence d’obtenir un mandat de perquisition, la protection contre l’auto-incrimination, le droit à un avocat, etc. À mon avis, ces droits ne dépendent pas de la nature de l’opération en cours, soit une enquête ou une inspection, mais plutôt des fins de l’intervention de l’agent de santé et de sécurité. Il est possible que les droits et les garanties procédurales dont l’employeur bénéficie soient plus vastes lorsque l’enquête ou l’inspection de l’agent de SST vise à recueillir des éléments de preuve à l’appui d’une poursuite, par rapport à une enquête sur un accident ou une inspection du lieu de travail pouvant donner lieu à une instruction vertu de l’article 145. Cependant, ces protections ne sont pertinentes, à mon avis, que dans le cas d’éventuelles poursuites. Elles seraient sujettes à débat dans cette instance particulière, mais pas dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 146 du Code.
[50] L’employeur fait également valoir que la détermination de la cause d’un accident, en l’occurrence un accident ferroviaire, relève du mandat exclusif d’autres entités, comme la police ou le coroner, ou des enquêtes en vertu de la Loi sur la sécurité ferroviaire, LRC 1985, ch. 32 (4e suppl.) et de la Loi sur le BCEATST. L’avocat de l’employeur renvoie à l’article 7 de la Loi sur le BCEATST:
7. (1) Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité des transports :
a) en procédant à des enquêtes indépendantes, y compris des enquêtes publiques au besoin, sur les accidents de transport choisis, afin d’en dégager les causes et les facteurs;
b) en constatant les manquements à la sécurité mis en évidence par de tels accidents;
c) en faisant des recommandations sur les moyens d’éliminer ou de réduire ces manquements;
d) en publiant des rapports rendant compte de ses enquêtes et présentant les conclusions qu’il en tire.
(2) Dans ses conclusions, le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales; ses conclusions doivent toutefois être complètes, quelles que soient les inférences qu’on puisse en tirer à cet égard.
(3) Les conclusions du Bureau ne peuvent s’interpréter comme attribuant ou déterminant les responsabilités civiles ou pénales.
(4) Les conclusions du Bureau ne lient pas les parties à une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre.
[51] À mon avis, cette disposition ne donne pas nécessairement au Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (BCEATST) un mandat exclusif pour enquêter sur les accidents et en déterminer la cause. Il vaut la peine de citer les articles 14 et 15 de la Loi sur le BCEATST à cet égard :
14. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale mais sous réserve de l’article 18, le Bureau enquête, de sa propre initiative ou à la demande du gouverneur en conseil, sur les accidents de transport, afin de s’acquitter de sa mission à cet égard.
(2) Sous la même réserve, le Bureau peut enquêter sur un accident de transport à la demande d’un ministère, du lieutenant-gouverneur en conseil d’une province ou du commissaire des Territoires du Nord-Ouest ou du Nunavut, ou à la demande du commissaire du Yukon faite avec l’agrément du Conseil exécutif de ce territoire, à condition qu’ils s’engagent à le rembourser des frais entraînés par l’enquête.
(3) Par dérogation à toute autre loi fédérale, aucun ministère — à l’exception de celui de la Défense nationale — ne peut, afin d’en dégager les causes et facteurs, enquêter sur un accident de transport assujetti à une enquête en application de la présente loi ou qui pourrait l’être, selon les informations dont il dispose; le ministère — autre que celui de la Défense nationale — qui a entrepris une telle enquête interrompt sur-le-champ, en cas d’ouverture d’une autre enquête sur l’accident en question sous le régime de la présente loi, toute partie de son enquête visant à dégager ces causes et facteurs.
(4) Le paragraphe (3) n’a toutefois pas pour effet d’empêcher un ministère de commencer ou de continuer une enquête sur l’accident si celle-ci ne vise pas à dégager les causes et facteurs de l’accident ou d’enquêter sur toute question liée à celui-ci qui ne fait pas l’objet d’une enquête par le Bureau, ni la Gendarmerie royale du Canada d’enquêter sur celui-ci à toute fin ressortissant à ses pouvoirs d’enquête.
(5) Il demeure entendu que, faute d’enquête par le Bureau relativement à un accident de transport, tout ministère peut enquêter sur les aspects de celui-ci ressortissant à ses pouvoirs d’enquête.
15. (1) Dans le cas où un ministère — autre que celui de la Défense nationale — mène une enquête sur un accident de transport ou entreprend d’appliquer à cet égard des mesures correctives, après l’ouverture d’une enquête sous le régime de la présente loi sur cet accident, les deux organismes sont tenus de veiller, dans la mesure du possible, à la coordination de leur action.
(2) Les situations de conflit nées de cette obligation de coordination sont, sous réserve du paragraphe (3) et des ententes conclues en application de l’article 17, résolues dans le sens des exigences et des intérêts du Bureau.
(3) Le paragraphe (2) n’a pas pour effet de faire prévaloir les exigences et les intérêts du Bureau sur ceux de la Gendarmerie royale du Canada ni d’empêcher un ministère de prendre des mesures correctives d’urgence en application d’une autre loi fédérale ou de ses règlements d’application.
[Soulignement ajouté]
[52] Ces dispositions veillent à ce que le Bureau mène des enquêtes sur les accidents de transport de manière efficace, sans chevauchement ni double emploi avec d’autres entités ministérielles (comme Transports Canada ou le programme du Travail de RHDCC), qui peuvent également avoir un mandat légal d’enquêter sur les mêmes accidents, bien que sous un angle différent. Pour ce faire, les paragraphes 14(3) et (4) établissent la prépondérance des enquêtes du BCEATST sur les autres enquêtes dans la détermination de la cause d’un accident. Cependant, et j’en viens aux raisons de mon renvoi à ces dispositions, ces dernières font également en sorte que d’autres entités, comme les agents de santé et de sécurité en vertu du Code, peuvent très bien avoir un mandat d’enquêter semblable en vertu d’autres lois applicables, qui les autorise à se pencher sur les circonstances d’un accident pour en déterminer la cause. Un tel mandat peut être exercé concurremment avec celui du BCEATST, déclenchant ainsi l’application des dispositions précitées.
[53] Comme je l’ai déjà mentionné, il me semble que le but de l’enquête obligatoire de l’agent de SST prévue au paragraphe 141(4) du Code est de déterminer ce qui a causé le décès et, plus précisément, si le décès est attribuable à une situation dangereuse au lieu de travail, situation qui doit être corrigée. Cela entraîne à l’évidence une détermination quant à la cause de l’accident, à savoir s’il existe un lien de causalité entre le décès et une situation au lieu de travail, qu’il s’agisse d’un « danger » ou d’une contravention au Code ou à ses règlements. À mon avis, les deux mandats coexistent : le mandat en vertu de la Loi sur le BCEATST étant axé sur la « sécurité publique » (établi à l’article 7 de la Loi sur le BCEATST), et le mandat en vertu du Code canadien du travail étant axé sur le travail. Si le BCEATST avait fait enquête, l’application de l’article 14 de la Loi sur le BCEATST aurait peut-être empêché l’agent de SST Wallace d’inclure ses conclusions quant à la cause de l’accident et du décès consécutif. Les éléments de preuve présentés à l’audience ont établi qu’aucune enquête en vertu de la Loi sur le BCEATST n’a été ou ne sera réalisée sur l’accident du 28 novembre. Par conséquent, aucune disposition de la Loi sur le BCEATST ne s’applique en l’espèce. Je ne vois aucun obstacle à ce que l’agent de SST Wallace mène une enquête conformément au paragraphe 141(4) du Code, détermine la cause de l’accident et d’éventuelles contraventions au Code, et, par conséquent, ordonne la prise de mesures correctives compatibles avec ses conclusions en vertu du paragraphe 145(1) du Code.
[54] L’employeur cite l’affaire Gilmore c. Chemins de fer nationaux du Canada ([1995] A.C.F. n 1601; 104 F.T.R. 74) pour appuyer sa prétention selon laquelle les agents de santé et de sécurité ne disposent que des pouvoirs qui leur sont précisément attribués par la Loi. Dans cette affaire, la question portait sur la validité d’une instruction donnée par un agent de SST et confirmée par l’agent d’appel, dont la décision faisait l’objet du contrôle judiciaire, exigeant de l’employeur qu’il cesse les mesures de représailles contre un employé, en contravention avec le Code. La Cour a annulé la décision de l’agent d’appel, au motif que le Code prévoit expressément un recours particulier devant le Conseil canadien des relations du travail (selon son ancienne désignation) pour les plaintes donnant lieu à des représailles de l’employeur. À la page 9, la Cour déclare :
[7] L’avocat du requérant se fonde en grande partie sur le libellé du paragraphe 145(1) qui se trouve à la partie II du Code :
145. Cessation d’une contravention
145. (1) S’il est d’avis qu’il y a contravention à la présente partie, l’agent de sécurité peut ordonner à l’employeur ou à l’employé en cause d’y mettre fin dans le délai qu’il précise et, sur demande de l’un ou l’autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens.
[8] À mon avis, cette disposition, qui concerne les instructions verbales, ne peut s’appliquer qu’aux contraventions que l’agent de sécurité est autorisé à examiner et au sujet desquelles il peut rendre des décisions en vertu de la partie Il du Code.
[9] Le rôle du Conseil et celui de l’agent de sécurité sont bien différents. La seule exception prévue dans le Code concerne les questions mentionnées au paragraphe 129(5), soit les cas dans lesquels le Conseil peut réviser une décision de l’agent de sécurité. Selon l’article 134, le Conseil a compétence exclusive pour examiner les contraventions à l’alinéa 147a) du Code (mesures disciplinaires). La partie II du Code ne renferme aucune disposition autorisant l’agent de sécurité à accorder des réparations à l’égard des mesures disciplinaires prises par l’employeur par suite de l’exercice des droits de l’employé sous le régime de cette partie. Il appert du dossier que le requérant en l’espèce a déposé une plainte auprès du Conseil, mais que celui-ci l’a jugée prescrite en raison des dispositions du paragraphe 133(2) du Code. Le paragraphe 145(1) n’offre pas à l’employé un autre recours devant un agent de sécurité en pareil cas.
[Soulignement ajouté]
[55] La Cour a jugé que l’agent de SST ne pouvait enquêter sur l’objet de l’instruction, étant donné que le régime législatif prévoyait un mécanisme de réparation exclusif devant le CCRT. On peut aisément établir une distinction entre cette décision et la présente affaire, dans laquelle l’objet relève clairement de la compétence des agents de santé et de sécurité en vertu des paragraphes 141(4) et 145(1), et « au sujet desquelles il peut rendre des décisions en vertu de la partie Il du Code ».
[56] L’employeur cite également l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Brocklehurst (C.A.) (précitée), dans laquelle la Cour a jugé que l’Office des transports du Canada n’avait pas compétence effective (ratione materiae) sur un objet particulier (des plaintes concernant le bruit provenant de cours de triage ferroviaire) et, par conséquent, n’avait pas compétence pour rendre des ordonnances de conformité en vertu de sa loi habilitante. En l’espèce, l’agent de SST Wallace avait non seulement compétence, mais une obligation légale d’agir sur l’objet ayant donné lieu à l’instruction. Par conséquent, il pouvait recourir à l’étendue des pouvoirs correctifs conférés par l’article 145 du Code.
[57] L’avocat de l’employeur cite également les décisions rendues dans les affaires Les Lignes aériennes Canadien International ltée (décision n 95‑022) et Aéroports de Montréal (décision n 95‑012) à l’appui de son affirmation selon laquelle le paragraphe 145(1) n’autorise pas un agent de santé et de sécurité à tirer des conclusions quant à la « cause du décès » ou la « cause de l’accident ». Dans ces affaires, l’agent d’appel a jugé que l’agent de SST doit se limiter à constater une contravention en vertu du paragraphe 145(1), sans procéder à « l’attribution de la responsabilité de l’accident ». Curieusement, l’agent d’appel, à la page 16 de ses motifs de décision dans l’affaire Les Lignes aériennes Canadien, écrit :
[…]
Je n’ai pas à déterminer ici qui est responsable de l’accident, mais je dois dire qu’à mon avis ce n’est pas l’opération de dégivrage des moteurs en marche comme telle qui est la cause de l’accident. […]
[Soulignement ajouté]
[58] L’agent d’appel lui-même semble établir une distinction, comme il se doit, entre la mention de la cause d’un accident aux fins de mettre une instruction en contexte, et l’attribution de la responsabilité de l’accident. Je conviens qu’un agent de santé et de sécurité n’est pas autorisé à rendre un verdict de responsabilité civile relativement à un accident et à l’inclure dans son instruction. À mon avis, l’agent de SST Wallace n’attribue pas la responsabilité et ne rend pas de verdict de responsabilité civile, au sens juridique, en incluant dans son instruction son opinion sur la cause de l’accident. Bien que l’établissement d’un lien de causalité entre une contravention au Code et un accident puisse être perçu comme attribuant une faute, il est évident que la responsabilité, civile ou pénale, avec toutes ses conséquences juridiques, est attribuée par d’autres instances, dans le cadre d’autres procédures judiciaires. L’opinion de l’agent de SST Wallace n’est aucunement contraignante pour ces autres processus, qui suivent leur propre cours. Ces processus sont tout à fait indépendants de l’instruction, et reposent sur une preuve substantielle présentée devant la Cour, en vertu de la norme de preuve applicable. En définitive, je ne suis pas d’accord avec le fait que la mention, en elle-même, d’une contravention ayant causé un accident dans une instruction « expose [l’employeur] à des poursuites au civil », comme le précise l’agent d’appel dans l’affaire Aéroports de Montréal, ni plus ni moins qu’en l’absence d’une telle mention.
[59] L’agent d’appel, dans l’affaire Ressources humaines et Développement des compétences Canada c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (précitée), tenait ces propos à ce sujet, avec lesquels je suis d’accord :
[27] [...] Aux yeux de l’intimé, ces deux articles [paragraphe 141(4) du Code et l’article 15.5 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail], considérés ensemble, ont pour effet de permettre à un agent de SST d’enquêter au sujet d’un décès survenu dans le lieu de travail d’un employé ou associé à ce lieu de travail, et aussi de l’habiliter à faire les constats énoncés dans l’instruction. En ce qui concerne ces derniers constats et, particulièrement, les mots que l’appelant tente de faire supprimer, l’intimé soutient qu’ils ne permettent pas d’établir un degré de responsabilité et que l’agent de SST [traduction] « a tout simplement énoncé les faits qu’elle a observés. »
[28] J’ai examiné les observations des parties se rapportant à cette affaire et cela m’amène à souscrire à l’affirmation de l’appelant voulant qu’un agent de SST n’est pas autorisé à faire un constat de responsabilité civile. Quoi qu’il en soit, j’établis une distinction entre la responsabilité et la causalité, alors que l’appelant semble considérer que ces deux mots sont synonymes dans le passage cité aux paragraphes 8 et 26 ci-dessus, où il affirme que [traduction] « l’agent de SST n’a pas le pouvoir de faire des constats de causalité ou de responsabilité, que ce soit directement ou indirectement. » (C’est moi qui souligne). J’estime que le contre-argument de l’intimé à cet égard n’est pas sans fondement.
[Soulignement ajouté]
[60] Tout cela étant dit, je suis d’accord avec les opinions de l’agent d’appel dans les deux affaires citées par la défenderesse : Banque Royale du Canada (précitée) et Ressources humaines et Développement des compétences Canada c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada. Dans la première, l’agent d’appel devait examiner les circonstances entourant une instruction donnée par un agent de SST en vertu du paragraphe 145(1) du Code, dans le cadre d’une enquête en vertu du paragraphe 141(4), comme c’est le cas en l’espèce, mais à la suite d’un décès de causes naturelles survenu dans un lieu de travail sous réglementation fédérale. Au paragraphe 16 de la décision, l’agent d’appel considère que l’instruction a été donnée dans le contexte d’une enquête en vertu du paragraphe 141(4), même si le paragraphe 141(4) n’était pas expressément mentionné dans l’instruction. L’agent d’appel s’exprime ainsi :
[16] [...] L’appelante ne fait aucunement référence au paragraphe 141(4) dans ses arguments, mais ce paragraphe n’est pas non plus mentionné dans le texte de l’instruction. L’appelante était toutefois en possession du rapport de l’Agent de SST et des documents connexes lorsqu’elle a préparé ses arguments et elle savait que l’enquête sur le décès avait été entreprise aux termes de ce paragraphe du Code. RBC ne devrait donc pas être surprise du fait que l’agent d’appel prenne en compte le libellé de ce paragraphe pour trancher le présent appel. Il est évident qu’un Agent de SST doit prendre connaissance du fait qu’un décès s’est produit dans un lieu de travail s’il veut respecter l’obligation légale qui lui incombe de faire enquête sur ce décès.
[Soulignement ajouté]
[61] Même si l’objet de cette affaire concernait principalement la question de savoir si un agent de santé et de sécurité avait compétence, en vertu du paragraphe 141(4), pour enquêter sur un décès de causes naturelles, les commentaires suivants, au paragraphe 27, appuient ma vision du régime établi par le Code, et plus précisément mon interprétation de l’application du paragraphe 141(4), déjà présentée dans les présents motifs :
[27] L’enquête obligatoire à laquelle doit procéder l’Agent de SST aux termes de ce paragraphe est un élément éclairant. C’est lui qui déclenche l’intervention de l’Agent de SST dans l’ensemble de circonstances ayant entraîné un décès dans le lieu de travail. L’esprit du Code et son objet imposent à l’Agent de SST l’obligation d’essayer de déterminer la cause du décès, de décider si elle soulève des préoccupations sur le plan de la santé et de la sécurité au travail, et si c’est le cas, de recommander des mesures correctives appropriées. Par exemple, le dossier indique que dans cette affaire l’Agent de SST a tenté de savoir s’il y avait des signes de stress dans le lieu de travail. Il n’en a pas trouvé, mais il était conforme à l’objet du Code qu’il envisage cette possibilité.
[Soulignement ajouté]
[62] L’agent d’appel note également, au paragraphe 29, que l’enquête d’un agent de santé et de sécurité sur les circonstances entourant le décès d’un employé peut avoir lieu en même temps que les enquêtes d’autres entités sur le même objet.
[29] L’agent de santé et de sécurité est un spécialiste et la mission légale qu’il assume en cas de décès d’un employé au travail ou dans le lieu de travail est distincte et indépendante de celle du personnel médical, de la police et du coroner dont les missions sont précisées par des dispositions législatives différentes. Bien évidemment, dans un cas comme celui-ci, il serait souhaitable que l’Agent de SST tienne compte de ce que font les autres autorités responsables et de leurs constatations. L’Agent de SST possède toutefois une expertise que les autres autorités ne possèdent pas nécessairement; en réalité, il arrive que ces autres autorités s’en remettent à cette expertise spécialisée lorsqu’elles s’acquittent de leurs propres fonctions et responsabilités.
[63] En outre, mon interprétation du régime législatif est appuyée par le raisonnement de l’agent d’appel dans la seconde − et plus récente − affaire citée par la défenderesse, Ressources humaines et Développement des compétences Canada c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada. Cette affaire est à mon avis plus étroitement liée à la question soulevée aux présentes. Elle est convaincante et déterminante pour le présent appel. Dans cette affaire, l’employeur en appelait d’une instruction donnée par un agent de santé et de sécurité dans laquelle ce dernier concluait que l’activité risquée « ayant entraîné le décès d’un employé ». Comme c’est le cas en l’espèce, l’employeur demandait que cette dernière phrase soit retranchée du texte de l’instruction, étant donné que l’agent de santé et de sécurité avait excédé l’autorité conférée par le paragraphe 145(1). Au paragraphe 25 de sa décision, l’agent d’appel mentionne l’importance du contexte fourni dans le texte d’une instruction, et le fait que l’agent de SST a le pouvoir discrétionnaire de donner un tel contexte sur la base des constatations « fiables que l’agent de SST est en mesure d’obtenir » :
[64]
[25] En ce qui concerne, de façon plus générale, l’émission d’instructions, j’estime qu’il est raisonnable de penser qu’un contexte devrait être précisé dans une instruction et que l’agent de SST jouit d’un pouvoir discrétionnaire raisonnable pour déterminer les éléments qui devraient faire partie de ce contexte. Si on va à l’extrême, ce qui, selon moi, n’était pas l’intention de l’intimé, une ordonnance sommaire comme celle énoncée en application de l’alinéa 145(2)a) dans l’instruction émise par l’agent de SST Parkin le 28 mars 2012 a tout simplement pour effet d’obliger l’employeur « à modifier sur-le-champ l’activité qui constitue un danger. » L’employeur et ceux qui étaient impliqués dans la situation ayant entraîné l’émission de l’instruction pourraient considérer que cela suffit pour déterminer les mesures de redressement nécessaires. Cela dit, pourquoi prêter le flanc à un malentendu? D’autres personnes, y compris les employés de l’employeur qui sont impliqués de façon moins directe dans cette situation, mais qui n’en ont pas moins un intérêt justifié dans l’affaire en cause, seront peut-être déroutées par le manque de détail et cela pourrait compromettre les aspects informatif, éducatif et préventif de l’instruction. Pour comprendre une telle ordonnance, il faut un contexte, et j’estime que ce contexte devrait raisonnablement comprendre, pour les cas de ce genre, une description de la situation dangereuse et le moment et l’endroit où elle est survenue, ainsi que les détails factuels fiables que l’agent de SST est en mesure d’obtenir en ce qui concerne la cause et les conséquences de cette situation et, enfin, une description narrative des contraventions visées par l’instruction.
[Soulignement ajouté]
[65] L’agent d’appel a ensuite rejeté la position de l’employeur, selon laquelle l’agent de santé et de sécurité n’a pas le pouvoir de conclure quant à la causalité ou à la responsabilité et d’inclure ses conclusions dans une instruction, en ces termes, aux paragraphes 30 et 31 :
[30] [...]En accord avec le raisonnement énoncé dans la décision Banque Royale, l’agent de SST avait le pouvoir d’enquêter sur la cause du décès et sur la question de savoir si ce décès résultait d’une situation dangereuse survenue dans le lieu de travail ou pendant que l’employé travaillait.
[31] Conformément à l’objet et à l’esprit du Code, il arrive fréquemment que les résultats des enquêtes doivent être communiqués par l’entremise d’un rapport et mis à la disposition de quiconque veut les utiliser en vertu des pouvoirs conférés par ce même Code. Le paragraphe 141(6) prévoit expressément que l’agent de SST doit transmettre des copies de tout rapport écrit à l’employeur et au comité du lieu de travail ou au représentant de la santé et la sécurité au travail, et ce, dans les dix jours suivant l’achèvement de ce rapport. Si l’on restreint l’inclusion de constats de cause et de résultats valides dans le contenu d’un rapport ou d’instruction provenant d’un agent de SST, cela compromettra leur utilité aux termes du Code et s’opposera aux objectifs éducatifs et préventifs qui découlent implicitement de la loi. Une situation dangereuse peut survenir, tel que cela est le cas en l’espèce, alors que des tâches essentiellement courantes sont exécutées. En consignant les conséquences de ces situations, on pourra mettre les employés en garde contre tout danger potentiel lié à des tâches tout à fait routinières et promouvoir la vigilance et la prévention. Bref, je considère que le régime législatif sous-tendant le Code habilite l’agent de SST à faire des constats de cause et de conséquence en ce qui a trait à la situation dangereuse au sujet de laquelle elle a enquêté à la fin de mars 2012.
[Soulignement ajouté]
[66] Je crois aussi qu’il s’agit de l’interprétation correcte des dispositions qui habilitent les agents de santé et de sécurité à donner des instructions en vertu des paragraphes 145(1) et (2) du Code.
[67] En concluant que l’agent de SST Wallace n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas excédé sa compétence en mentionnant la cause de l’accident et ses conséquences dans son instruction du 7 décembre, je crois pouvoir trancher le présent appel. Cependant, j’ai noté plus tôt aux présents motifs que tout en formulant l’enjeu en l’espèce comme une question de compétence et d’interprétation juridique, l’employeur remet en cause la justification des conclusions de l’agent de SST Wallace dans ses observations. Par conséquent, et en toute équité, je me sens tenu de répondre à la question qui consiste à savoir si les conclusions de l’agent de SST Wallace sont justifiables.
[68] L’avocat de l’employeur me demande d’ignorer tous les documents transmis au Tribunal par l’agent de SST Wallace, sauf l’instruction elle-même. Selon l’avocat, l’agent de SST Wallace a omis de fournir au Tribunal des informations à l’appui de son instruction. Le rapport d’enquête transmis à la demande du Tribunal devrait être ignoré, étant postérieur à la date de l’instruction et ne pouvant tout simplement pas avoir servi de base à l’instruction.
[69] Je suis d’avis que le rapport d’enquête, identifié par le personnel du Tribunal sous D-9, est recevable et fait partie de la preuve que je peux correctement et légalement étudier. Une copie du rapport d’enquête a été transmise aux parties en janvier 2013. Le rapport d’enquête porte exclusivement sur l’accident mortel du 28 novembre 2012 à Gutah Camp. En tant que tel, il est pertinent pour l’instruction contestée, donnée le 7 décembre 2012 relativement au même incident. Un appel en vertu de l’article 146 du Code est un processus de novo, à la suite duquel l’agent d’appel rend une décision. Il peut confirmer, modifier ou annuler une instruction (voir : Canadian Freightways Ltd c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 291). Dans l’exercice de mes fonctions, je peux recevoir et accepter des éléments de preuve et des déclarations sous serment, par affidavit ou autre, recevables ou non devant une cour de justice (alinéa 146.2c) du Code). Je dois également donner aux parties la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations, et je dois tenir compte de l’information contenue dans le dossier. (paragraphe 146.2h). La principale considération relative aux éléments de preuve est donc leur pertinence par rapport à la question soulevée par l’appel, et leur fiabilité (voir : Ronald M. Snyder, The 2013 Annotated Canada Labour Code, Toronto, Carswell (2013), à la page 959; et Hogue-Burzynski et autres c. Via Rail Canada, décision n 06‑015 (1er mai 2006).
[70] Comme je l’ai déjà mentionné, le rapport d’enquête porte exclusivement sur l’accident du 28 novembre 2012. Ce qui compte encore plus, c’est que la majorité de son contenu repose sur les observations faites et les informations recueillies par l’agent de SST Wallace avant la remise de l’instruction en appel. Le fait que l’agent de SST Wallace a achevé son rapport quelques semaines plus tard ne signifie pas que l’instruction du 7 décembre ne repose sur aucun élément de preuve. L’agent de SST Wallace a témoigné à l’audience et a expliqué comment il a mené son enquête sur les lieux de l’accident, et a décrit les informations recueillies à cette occasion. Le fait que certaines informations auxquelles il renvoie dans son rapport d’enquête ont été obtenues après le 7 décembre 2012 n’a aucune incidence sur la question soulevée par l’appel. Les éléments de preuve présentés indiquent qu’aucune information parmi celles qui ont été reçues après la date de la remise de son instruction n’a modifié ses conclusions quant à la cause de l’accident.
[71] Ayant examiné toutes les circonstances de la présente affaire, je suis aussi d’avis que les observations, analyses et conclusions de l’agent de SST Wallace sur la séquence des événements ayant causé le déraillement du wagon-citerne, qui en roulant a causé des blessures fatales au conducteur Giesbrecht, sont bien fondées et que leur contestation a échoué. Aucune autre hypothèse n’a été formulée pour expliquer la cause de l’accident ou du décès de M. Giesbrecht. L’agent de SST Wallace possède l’expertise, l’expérience, et suffisamment d’informations et d’éléments de preuve pour conclure quant à la cause et au résultat de l’accident. En l’absence de faits soulevant un doute à propos de la compétence ou de l’enquête de l’agent de sécurité, l’agent d’appel doit pouvoir se fier aux conclusions de cet agent, qui possède une connaissance spécialisée des règles et des pratiques de son domaine d’enquête (voir: Pierre Brûlé et autres, [1999] CCRI n 2, paragraphes 19 à 21).
[72] Les conclusions de l’agent de SST Wallace reposent sur ses observations sur les lieux de l’accident, sur les informations à sa disposition au moment de remettre son instruction, qu’il a analysées à la lumière de son expérience professionnelle de plus de 20 ans dans l’industrie ferroviaire, dont de nombreuses années comme conducteur à BCR. Contrairement à l’allégation de l’employeur voulant que l’agent de SST Wallace se soit senti obligé d’agir en raison du décès et qu’il ait [traduction] « ressenti le besoin de trouver une faute », je suis d’avis que la seule motivation d’agir de l’agent de SST Wallace était la sécurité des employés et le désir d’empêcher qu’un tel accident se reproduise.
[73] En fonction des éléments de preuve présentés, je suis d’avis que les conclusions de l’agent de SST Wallace sont bien fondées et qu’elles reposent sur les informations fiables qu’il avait à sa disposition. Je ne vois aucune raison de modifier l’instruction à cet égard.
[74] En résumé, je juge que l’agent de SST Wallace n’a pas excédé sa compétence lorsque, le 7 décembre 2012, il a donné l’instruction, dans son libellé original, dans les circonstances décrites ci-dessus. Une interprétation correcte et fondée sur l’objet des dispositions correctives en vertu desquelles l’agent de SST Wallace a agi m’amène à conclure qu’il avait l’autorité et le pouvoir discrétionnaire de préciser dans son instruction que les contraventions au Code (soit la signalisation inadéquate et le manque de clarté des informations concernant des dangers connus) « sont à l’origine d’un déraillement et des blessures mortelles à un employé ».
Décision
[75] À ces motifs, je confirme l’instruction et je rejette l’appel.
[76] Il est entendu que la version expurgée de l’instruction à la suite de ma décision d’accorder le sursis, le 10 janvier 2013, n’est plus en vigueur à compter de la date de la présente décision.
[77] Qui plus est, l’agent de SST Wallace a ordonné à l’employeur d’afficher une copie de l’instruction dans [traduction] « tous les lieux où des équipes opérationnelles se présentent au travail sur l’ancienne ligne BCR pendant quarante-cinq (45) jours civils, ou jusqu’à ce que la contravention mentionnée soit corrigée, selon la dernière échéance » (soulignement ajouté), et d’en remettre une copie au Comité des politiques et au Comité de santé et sécurité au travail ou au représentant de santé et de sécurité. En raison du sursis, seule la version expurgée de l’instruction a été affichée et transmise aux comités de santé et de sécurité. Je ne connaissais pas le degré de conformité aux mesures correctives ordonnées par l’agent de SST Wallace. À la page 21 de son rapport d’enquête, l’agent de SST Wallace mentionne avoir reçu, le 21 décembre 2012, une [traduction] « réponse écrite détaillant les mesures correctives adoptées pour se conformer à l’instruction du 7 décembre 2012 ». Certaines de ces mesures sont probablement plus longues à mettre en œuvre que d’autres et ne sont peut-être pas encore en vigueur. Je ne peux que spéculer quant à savoir si les mesures adoptées par l’employeur ont, dans les faits, [traduction] « corrigé la contravention mentionnée » comme l’envisageait l’agent de SST Wallace. Dans une telle situation, je n’ai aucun motif de modifier ce volet de l’instruction et je n’ai aucun pouvoir d’exempter l’employeur de ses obligations en vertu du paragraphe 145(5) du Code. Par conséquent, l’ordre initial d’afficher l’instruction et d’en transmettre une copie aux comités ou au représentant de santé et de sécurité est, découlant par déduction nécessaire des termes de la loi, par les présentes remis en vigueur et s’applique à la version non expurgée de l’instruction, que je joins à la présente décision.
Pierre Hamel
Agent d’appel
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