2013 TSSTC 30
Référence : Air Georgian Limited, 2013 TSSTC 30
Date : 2013-10-16
Dossier : 2013-47
Rendue à : Ottawa
Entre :
Air Georgian Limited, demanderesse
Affaire :
Une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction aux termes du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail
Décision : La suspension de la mise en œuvre de l’instruction est accordée
Décision rendue par : M. Peter Strahlendorf, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour le demandeur : M. Robbie Booth, chef de la sécurité de l’entreprise, Air Georgian Limited
MOTIFS DE LA DÉCISION
[1] Le 27 août 2013, la demanderesse a déposé un appel à l’encontre d’une instruction émise en application du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail (le Code) le 20 août de la même année par Mme Kim Mordaunt, agente de santé et de sécurité (l’agente de SST). Le 29 août 2013, M. Robbie Booth a communiqué avec le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada afin de faire une demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction.
[2] La demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction a été faite en application du paragraphe 146(2) du Code, qui se lit comme suit :
146. (2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.
[3] La demande a été entendue le 9 octobre 2013 lors d’une téléconférence à laquelle M. Booth a participé. À ma demande, l’agente de SST a aussi pris part à cette téléconférence. Aucune partie associée au lieu de travail ne s’est opposée à la demande.
Contexte
[4] L’agente de SST a visité à trois reprises les installations de Air Georgian Limited (Air Georgian) au 2450, chemin Derry, à Mississauga, ces installations se trouvant en fait à l’aéroport Pearson de Toronto. Ces visites ont eu lieu durant la période allant d’octobre 2012 à juillet 2013. Avec le concours de Janice Berling, une autre agente de SST, l’agente de SST Mordaunt collaborait déjà avec Air Georgian afin de régler plusieurs problèmes, y compris les niveaux de pression acoustique auxquels sont exposés les employés de Air Georgian à l’aéroport Pearson lorsqu’ils travaillent à proximité d’aéronefs dont les moteurs tournent. L’agente de SST Mordaunt avait de nombreuses préoccupations au sujet de la mesure des niveaux de pression acoustique et de l’efficacité des mesures de protection que l’on était en train de mettre en œuvre. M. Booth et l’agente de SST ont communiqué plusieurs fois à ce sujet durant les semaines suivantes. Ils ont entre autres discuté de la pertinence d’une étude sur le niveau de pression acoustique qui avait été effectuée par le passé dans des installations semblables à l’aéroport de Montréal. L’agente de SST a fini par juger qu’il était nécessaire qu’une personne qualifiée évalue le niveau de pression acoustique à l’aéroport Pearson.
[5] Air Georgian ne jugeait pas qu’il était nécessaire de faire cette évaluation et cela a entraîné l’émission de l’instruction en cause le 20 août 2013. Plus précisément, l’instruction destinée à l’employeur renvoie à une contravention concernant l’alinéa 125(1)n) du Code et le paragraphe 7.3(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, lesquels prévoient ce qui suit :
125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
n) de veiller à ce que l’aération, l’éclairage, la température, l’humidité, le bruit et les vibrations soient conformes aux normes réglementaires;
7.3 (1) En cas d’exposition potentielle de l’employé au lieu de travail à un niveau de pression acoustique pondérée A de 84 dBA ou plus pour une période susceptible de nuire à son ouïe, l’employeur doit sans délai :
a) confier à une personne qualifiée la responsabilité d’enquêter sur le degré d’exposition;
b) aviser le comité local ou le représentant de la tenue de l’enquête et du nom de son responsable.
[6] La contravention se lit comme suit dans l’instruction :
L’employeur a omis de nommer une personne qualifiée pour qu’elle effectue une enquête sur l’exposition potentielle à des niveaux de pression acoustique pondérée A pour une période susceptible de nuire à l’ouïe des employés.
[7] On a ordonné à l’employeur de mettre fin à cette contravention au plus tard le 30 septembre 2013 et de prendre des mesures pour voir à ce qu’elle cesse complètement ou ne se reproduise pas.
[8] Après avoir tenu compte des observations de M. Booth et de certaines clarifications fournies par l’agente de SST Mordaunt, j’ai ordonné, le 9 octobre 2013, que la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction soit accueillie jusqu’à ce que l’agent d’appel rende une décision sur le fond au sujet de l’appel. Voici les motifs pour lesquels j’ai accueilli la demande.
Analyse
[9] Tel qu’indiqué plus haut, le paragraphe 146(2) du Code habilite les agents d’appel à accueillir une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en accord avec l’objet du Code, lequel est énoncé à l’article 122.1, comme suit :
122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.
[10] Les agents d’appel ont élaboré un critère à trois volets s’appliquant à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire aux termes du paragraphe 146(2). Ces volets sont les suivants :
1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.
2) Le demandeur doit démontrer que le refus de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causera un préjudice important.
3) Le demandeur doit démontrer que si une suspension est accordée, des mesures seront mises en place pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise dans le lieu de travail.
La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?
[11] Premièrement, il faut déterminer si la question soulevée dans le cadre de la demande est suffisamment sérieuse pour justifier la suspension de la mise en œuvre de l’instruction. Or tel est le cas, selon la demanderesse.
[12] La demanderesse affirme qu’une étude du niveau de pression acoustique a été effectuée à la base de Air Georgian à l’aéroport de Montréal, et que ces installations sont à peu près identiques à celles qu’elle utilise à l’aéroport de Toronto. Grâce à cette étude, la demanderesse estime qu’elle [traduction] « dispose des données » nécessaires pour sa base de l’aéroport de Toronto, où elle exploite le même genre d’aéronefs, réalise les mêmes tâches et parcourt les mêmes distances. Compte tenu des résultats de l’étude de Montréal, la demanderesse soutient que des mesures ont donc aussi été prises pour protéger les employés contre les préjudices liés à l’exposition au bruit à l’aéroport de Toronto.
[13] En ce qui concerne l’instruction et le paragraphe sous-jacent, soit le paragraphe 7.3(1), la demanderesse est surtout préoccupée par le fait qu’on n’y trouve pas assez de détails sur la portée que devrait avoir l’enquête et sur la question de savoir qui est une personne qualifiée. La demanderesse et l’agente de SST ne s’entendent pas sur la question de savoir si une personne qualifiée a été nommée. La demanderesse soutient que si l’on ne peut pas tenir pour acquis qu’une enquête a été effectuée dès lors que l’on a utilisé des données relatives à des activités quasi identiques, il devient alors difficile de déterminer sur quoi devrait porter l’enquête. La demanderesse poursuit les mêmes activités à plusieurs endroits et elle soutient qu’on veut l’obliger à refaire inutilement la même enquête.
[14] Même si tous les problèmes soulevés par la demanderesse relativement à l’instruction n’ont pas été complètement réglés, je suis convaincu que l’appel n’est pas frivole ni vexatoire et qu’il porte sur une question sérieuse.
La demanderesse subirait-elle un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue?
[15] La demanderesse soutient que la mise en application de l’instruction imposerait un fardeau financier à Air Georgian étant donné que cela contraindrait l’employeur à payer pour une enquête inutile sur le niveau de pression acoustique, et à envisager d’effectuer des enquêtes dans toutes ses installations s’apparentant à celle de Pearson afin de se conformer au paragraphe 7.3(1). La demanderesse a indiqué qu’une enquête coûterait de 10 000 $ à 15 000 $, mais que le coût total équivaudrait à un multiple du coût de base tel qu’établi selon le nombre de lieux de travail qui pourraient faire l’objet d’une enquête sur le niveau de bruit. La demanderesse a aussi indiqué que Air Georgian est en train de réaliser un processus de fusion d’entreprises et que plusieurs de ses procédures changeront. La confusion à propos du lieu, du nombre et de l’ampleur des enquêtes sur le niveau de pression acoustique serait amplifiée par les pressions que subissent les gens de l’entreprise en ce moment en raison des incertitudes liées à la fusion.
[16] J’estime pour ma part que ni l’un ni l’autre de ces arguments n’entraîneraient en soi de préjudice important pour l’employeur, mais lorsqu’on les considère ensemble, je suis persuadé qu’ils permettent à la demanderesse de satisfaire le deuxième critère.
Quelles mesures seront prises pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise sur le lieu de travail si la demande de suspension de la mise en œuvre est accueillie?
[17] La demanderesse affirme que les employés seraient protégés contre les préjudices liés à l’exposition au bruit étant donné que des mesures ont été prises à l’aéroport Pearson après que l’on eut tenu compte de données tirées d’une étude réalisée à l’aéroport de Montréal, et que d’autres mesures ont été mises en œuvre depuis que l’instruction a été émise. La demanderesse a mentionné qu’un équipement de protection de l’ouïe adéquat serait fourni et que les problèmes liés à ce type de protection seraient traités dans le cadre de la formation. Les exigences s’appliquant à l’équipement de protection individuelle (EPI) en ce qui concerne le bruit ont été examinées par le comité de la santé et de la sécurité au travail, et celles concernant le port de cet équipement ont été récemment communiquées à nouveau aux employés d’une façon telle qu’ils sont [traduction] « obligés de les lire » (selon les propres mots de la demanderesse) dès qu’ils ouvrent une session à l’ordinateur. Les exigences en matière de protection de l’ouïe ont récemment été ajoutées aux rubriques du document d’inspection mensuelle. Tout en reconnaissant que le niveau de bruit n’a fait l’objet d’aucun rapport sur un danger récemment, la demanderesse a indiqué que l’on a amélioré la distribution de ces rapports et que tous les employés les reçoivent maintenant.
[18] Les mesures décrites plus haut par la demanderesse correspondent pour la plupart à des contrôles administratifs plutôt qu’à des contrôles physiques ou d’ingénierie. Le paragraphe 7.3(1) ne traite pas directement de contrôles physiques. Plusieurs types de mesures peuvent être prescrites à l’issue d’une enquête et bon nombre d’entre elles s’apparenteraient probablement aux mesures prises par la demanderesse. La demanderesse considère qu’elle possède les données que l’on produirait dans le cadre d’une enquête sur le niveau de pression acoustique et qu’elle a mis en œuvre des mesures qui sont en accord avec cette information. La question de savoir si les mesures prises par la demanderesse lui ont permis de se conformer au paragraphe 7.3(1) en est une qui doit être examinée sur le fond.
[19] On a demandé à l’agente de SST Mordaunt de se prononcer sur l’efficacité des mesures que la demanderesse applique en ce moment pour protéger les employés contre les préjudices liés à l’exposition au bruit et elle a affirmé que ces mesures ne seraient adéquates que pendant un certain temps.
[20] Compte tenu des observations de la demanderesse et de l’opinion émise par l’agente de SST Mordaunt au sujet des mesures prises par ladite demanderesse, je suis convaincu que les employés en cause seront bien protégés.
Décision
[21] Pour les motifs précités, la demande de Air Georgian est accueillie et la mise en œuvre de l’instruction émise par l’agente de SST Mordaunt le 20 août 2013 est donc suspendue.
Peter Strahlendorf
Agent d’appel
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