2013 TSSTC 31 

Référence : Société canadienne des postes et Diana Baird et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2013 TSSTC 31

Date : 2013-10-31
Dossier : 2011-64
Rendue à : Ottawa

Entre :

Société canadienne des postes, appelante

et

Diana Baird, intimée

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, intervenant

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l'encontre d'une instruction émise par un agent de santé et de sécurité.

Décision : L’instruction est modifiée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Mme Caroline Richard, avocate, Bird Richard

Pour l’intimée : Mme Baird n’a pas comparu et n’était pas représentée à l’audience

Pour l’intervenant : M. David Bloom, avocat, Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             La présente décision concerne un appel interjeté par la Société canadienne des postes (SCP) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise par l’agent de santé et de sécurité (agent de SST) Michael O’Donnell en vertu du paragraphe 145(2) du Code, à la suite de son enquête sur le refus de travailler de la factrice rurale et suburbaine (FRS) Diana Baird au lieu de travail exploité par l’appelante SCP.

[2]             La déclaration du refus de travailler de Mme Baird est reproduite dans le rapport d’enquête de l’agent de SST O’Donnell. Elle y qualifie de double le danger auquel elle prétend avoir été exposée, à savoir : en premier lieu, le danger pour sa santé en raison de la livraison du courrier en solitaire, causé par la tension répétée occasionnée par le fait de devoir passer du siège du conducteur au siège du passager plus de 200 fois par jour pour livrer le courrier par la fenêtre du côté passager de son véhicule de livraison; en deuxième lieu, la nécessité, pour ce faire, de retirer sa ceinture de sécurité alors que le véhicule est à l’arrêt sur des routes dont la limite de vitesse est de 70 km/h ou plus.

[3]             Le formulaire Enregistrement d'un refus de travailler en cas de danger, signé et déposé par Mme Baird, se lit cependant quelque peu différemment :

[traduction]

Livraison de courrier/dépliants/colis trop de tension répétitive au dos causée par la livraison par la fenêtre du passager, dois retirer la ceinture de sécurité et passer sur le siège du passager plus de 200 fois par jour. Tension au dos en raison des torsions constantes pour ramasser les colis et le courrier sur le plancher afin de les livrer par la fenêtre du passager. Mon précédent itinéraire sur une RR de Carp se faisait avec un ERGO, la RR 3 est la seule en cause, malgré cela les conducteurs suppléants ont droit à l’ERGO.

[4]             À la fin de son enquête, l’agent de SST O’Donnell a conclu que, dans le cas de Mme Baird, l’accomplissement d’une tâche au travail constituait un danger, et l'a décrit comme suit :

[traduction]

Cette enquête a déterminé que la livraison du courrier à 229 boîtes aux lettres rurales (BLR) à partir du siège du conducteur à travers la fenêtre du passager excède le rythme de livraison acceptable de 12,5 livraisons à l’heure et, par conséquent, fait de l’accomplissement de cette tâche un danger. Le rythme de livraison mesuré révélé par cette enquête est de 46 à l’heure, sur un quart de travail de 8 heures, 5 jours par semaine. Par conséquent, la FRS de Postes Canada Diana Baird, ou toute autre personne autorisée à accomplir cette tâche, doit cesser de le faire immédiatement. De plus, la FRS de Postes Canada Diana Baird, ou toute autre personne, ne peut être autorisée à accomplir cette tâche de livraison du courrier à partir du siège du conducteur par la fenêtre du côté passager, qui oblige le retrait de la ceinture de sécurité, lorsqu'une partie du véhicule se trouve sur la partie carrossable de la route.

[5]             L’instruction émise par l’agent de SST exigeait de l’appelante qu’elle modifie immédiatement la tâche constituant le danger. L’avis d’appel déposé par l'appelante indique toutefois clairement qu'elle ne conteste pas l’ensemble de l’instruction, ni le constat de danger ci-dessus, dans le cadre du présent appel, mais seulement la dernière partie, qui ordonne à la SCP de cesser et de modifier la tâche, confiée à la FRS Baird et à toute autre personne, qui consiste « à accomplir cette tâche de livraison du courrier à partir du siège du conducteur par la fenêtre du côté passager, qui oblige le retrait de la ceinture de sécurité, lorsqu'une partie du véhicule se trouve sur la partie carrossable de la route » (je souligne). Par conséquent, le présent appel et la décision qui suivra porteront seulement sur cet élément de l’instruction, excluant ainsi la question du rythme (à l'heure) de la livraison par la fenêtre du côté passager, jugé excessif par l’agent de SST. L’avis d’appel déposé par l’appelante établit trois motifs précis pour l’appel :

− les boîtes aux lettres rurales en cause ont été évaluées au moyen de l’outil spécialisé OÉSR et jugées sûres, en fonction de critères précis en matière de sécurité routière;

− l’OÉSR tient compte du fait que la livraison s’effectue sans le port de la ceinture de sécurité;

− la livraison du courrier aux boîtes aux lettres rurales par la fenêtre du côté passager est une condition normale de l’emploi.

[6]             Dans le cadre de la préparation de l’audience de la présente affaire, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) était initialement identifié à titre d’intimé. Je croyais que cela signifiait qu’il agissait donc au nom de l’employée ayant exercé son droit de refuser de travailler, Mme Baird, à titre d’intimé. Cependant, dans une lettre datée du 22 mars 2012, le STTP a avisé le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) qu’il ne représenterait pas l’employée Diana Baird dans la présente instance, choisissant plutôt de demander le statut d’intervenant, sur la base du fait qu’il a essentiellement les mêmes intérêts de l’appelante dans la présente affaire, ou qu’il pourrait être considérablement touché par la décision qui doit être rendue aux présentes. Dans une décision antérieure du sous-soussigné, ce statut d’intervenant a été accordé. Enfin, le 13 juillet 2012, Mme Baird a informé le soussigné par courrier électronique qu’elle ne serait pas présente et qu’elle ne participerait pas à l’audience de l’appel, et qu’elle ne souhaitait plus être intimée dans l’affaire. Par conséquent, le présent appel est déterminé seulement sur la base de la preuve fournie par l’appelante et sur les observations de cette dernière ainsi que celles de l’intervenant.

[7]             Au début de l’audience, les deux avocats ont fait un exposé introductif. Pour l’avocate de l’appelante, le refus de travailler de Mme Baird comporte deux volets : l’un étant l’ergonomie, et l’autre concernant la circulation des véhicules, puisque les boîtes aux lettres rurales (BLR) auxquelles elle livre le courrier sont situées sur le bord de la route. La position de l’appelante est que l’outil élaboré par l’employeur pour évaluer les risques relatifs aux véhicules en lien avec la livraison du courrier aux BLR, communément appelé OÉSR (Outil d’évaluation de la sécurité routière), utilise la meilleure méthode scientifique, constitue le meilleur outil, et est donc ce qu’il y a de mieux pour garantir la livraison sécuritaire du courrier auxdites BLR. La SCP utilise cet outil pour évaluer quelque 845 000 boîtes aux lettres de ce genre. Selon l’OÉSR, les BLR peuvent être considérées comme des lieux de livraison sécuritaire, même dans les cas où les quatre roues du véhicule de livraison ne sont pas toutes en dehors de la route au poste de livraison (BLR). Cela étant dit, l’avocate de l’appelante a souligné que le seul motif du refus invoqué par Mme Baird se rapportait à l’aspect ergonomique, associé à la nature répétitive de la tâche de livraison par la fenêtre du côté passager du véhicule et à la tension dans son dos, un aspect qui a été corrigé par l’employeur qui a fourni et qui fournit toujours une aide (ERGO) à Mme Baird pour effectuer la livraison par la fenêtre du côté passager sans que cette dernière n'ait à glisser de l’autre côté pour livrer le courrier.

[8]             En conséquence, la SCP ne fait appel que de la seconde partie de l’instruction, qui porte sur un élément non relevé dans le refus de Mme Baird. L’appelante demande que cet élément soit retranché de l’instruction. Elle me demande par ailleurs de conclure que ce second élément est une condition normale de l’emploi. En ce qui concerne l’intervenant, l’avocat affirme d’abord que j’ai le pouvoir, en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code, de modifier une instruction et, donc, le pouvoir d’émettre l’instruction qui aurait dû être émise . Puisqu’il en est ainsi, l’avocat partage l’opinion de l’avocate de l’appelante, à savoir que l’OÉSR s’applique bel et bien et qu’il s’agit du moyen approprié d’évaluer les BLR. Bien que la question du rôle adéquat des comités locaux et des représentants de la sécurité dans le processus d’évaluation de l’OÉSR ne soit pas encore réglée entre la SCP et le STTP, cette question ne fait pas l’objet de la présente affaire. En ce qui concerne l’instruction faisant l'objet de l'appel, l’avocat de l’intervenant est du même avis que l’appelante, indiquant que la partie de l’instruction portée en appel n'était pas nécessaire pour régler la plainte initiale formulée par l’employée ayant exercé son droit de refuser de travailler (Mme Baird), et qu’elle était en fait incompatible avec l’OÉSR. Tout comme l’appelante, l’intervenant estime que la partie de l’instruction faisant l'objet de l'appel doit être retranchée.

Contexte

[9]             Comme je l’ai déjà mentionné, l’instruction émise par l’agent de SST O’Donnell comporte véritablement deux volets et bien qu'il semblerait qu'elle porte, premièrement, sur une question d’ergonomie liée à la nature répétitive des mouvements de la FRS dans la livraison en solitaire du courrier par la fenêtre du côté passager à partir du siège du conducteur du véhicule de livraison, et, deuxièmement, sur une question liée à la circulation routière dans le cadre de la livraison du courrier aux boîtes aux lettres rurales, alors que le véhicule de livraison demeure à tout le moins partiellement sur la partie carrossable de la route, et de la nécessité pour la FRS de détacher sa ceinture de sécurité pour glisser sur le côté passager, dans son témoignage à l’audience, l’agent de SST a indiqué considérer ces deux questions comme étant interreliées en ce que, d'après lui, on peut véritablement envisager la nature répétitive du geste d’attacher et de détacher sa ceinture de sécurité à un rythme de 46 fois l’heure, soit le rythme à l'heure de la livraison aux BLR sur l’itinéraire de Mme Baird, comme comportant un volet ergonomique en plus d'un volet de sécurité routière associé au fait de ne pas être attaché à l’intérieur du véhicule la plupart du temps, étant donné le rythme de 46 BLR par heure, alors que le véhicule n'est pas complètement en dehors de la voie carrossable de la route, dans le cas de 159 BLR. Cela étant dit, bien que l’appel ne concerne que la deuxième partie de l’instruction, une meilleure compréhension des faits ou du contexte de cette affaire exige que l’on étudie le détail des deux volets de l’instruction tiré du rapport rédigé par l’agent de SST et de son bref témoignage à l’audience.

[10]             Mme Baird a réussi à obtenir l’itinéraire de livraison sur la RR 3, à Carp, en Ontario. Le FRS qui avait auparavant cet itinéraire avait bénéficié de ce qu’on appelle une aide ergonomique (ERGO) pendant six ans. Cette aide permet d’atténuer les risques pour la santé associés à la livraison en solitaire par un FRS à travers la fenêtre du côté passager à partir du côté conducteur du véhicule de livraison. Les caractéristiques de l’itinéraire n'avaient pas changé entre le moment où il est devenu disponible et le moment où il a été attribué à Mme Baird. Au départ, aucune aide ergonomique n’a été attribuée à Mme Baird pour son nouvel itinéraire. Une nouvelle évaluation ergonomique a été demandée en vue de déterminer le besoin d’une aide ergonomique. Il semble qu’il soit de pratique courante de procéder à une nouvelle évaluation d’un itinéraire rural à l’affectation de chaque nouveau FRS, peu importe si une aide ergonomique était fournie ou non au FRS précédent. Cependant, on a fourni une aide provisoire à Mme Baird, en attendant les résultats du processus d’approbation. Cette mesure a été prolongée par l’employeur en attendant le résultat du recours au refus de travailler de Mme Baird. À l’audience, on m’a informé que cette mesure était désormais permanente.

[11]             Au moment de son refus de travailler, l'itinéraire de la FRS Baird exigeait qu'elle livre et ramasse le courrier à un total de 587 points de remise, dont 229 sont des BLR. Les points de remise restants sont des entreprises commerciales, des boîtes postales communautaires et des boîtes postales multiples (BPM), où la question de la livraison par la fenêtre du côté passager et du véhicule de livraison à l’arrêt sur une partie de la chaussée ne se pose pas. L’itinéraire de Mme Baird est d’une longueur totale de 92 km, avec un temps de service calculé de 7,48 heures. De tous ces points de remise, 229 sont des BLR auxquelles Mme Baird effectue la livraison sur une période de 4,99 heures, ce qui entraîne un rythme de livraison de 46 BLR par heure. Cent cinquante-neuf de ces BLR se trouvant sur la RR no 3, à Carp, exigent que les roues du véhicule restent [traduction] « sur la route », selon le rapport de l’agent de SST. Cela signifie que la livraison ou le ramassage se font alors que les quatre roues du véhicule de livraison ne sont pas toutes en dehors de la partie carrossable de la route. Les deux évaluations ergonomiques qui ont été effectuées à l'égard de l’itinéraire de Mme Baird ont donné lieu au rejet de sa demande d’une aide ergonomique, apparemment parce que le rythme de livraison sur cet itinéraire était inférieur à 50 BLR par heure. Il semble que pour obtenir une aide ergonomique, il faille compter 180 BLR ou plus et un rythme de livraison de 50 BLR l’heure. C’est ce qui a entraîné le refus de travailler de Mme Baird.

[12]             Les Procédures de travail sécuritaires de Postes Canada pour les FFRS exigent le port de la ceinture de sécurité en tout temps lorsque le véhicule est en mouvement. En l’absence d’une aide ergonomique, la livraison et le ramassage à une BLR par la fenêtre du côté passager du véhicule exigent que le FRS détache sa ceinture de sécurité, saisisse une quantité raisonnable de courrier, se place dans une position qui lui permet d’accéder facilement à la BLR sans trop s’étirer, ouvre la fenêtre au besoin, ouvre la BLR, récupère tout le courrier sortant et dépose le courrier à livrer. Une fois cette opération terminée, le FRS doit fermer la BLR et lever le drapeau, fermer la fenêtre au besoin, et revenir à la position de conduite, attacher sa ceinture de sécurité, relâcher le frein à main et vérifier l’état de la circulation. Lorsqu’il est sécuritaire de réintégrer la circulation, le FRS doit mettre son clignotant, mettre la transmission du véhicule en marche avant et s’engager sur la chaussée.

[13]             L’agent de SST O’Donnell a noté dans son rapport qu’un rythme de livraison de 46 BLR par heure, même en compensant pour certaines BLR regroupées sur quelques mètres, signifierait que le FRS pourrait détacher et rattacher sa ceinture de sécurité jusqu’à 40 fois l’heure, ou plus. L’agent de SST juge cet exercice potentiel impraticable et porteur de risque sur le plan ergonomique. Hormis l’aspect ergonomique de cet exercice, l’agent de SST a également noté que le fait de détacher et de rattacher la ceinture de sécurité à un tel rythme ferait en sorte que la FRS se trouve souvent sans ceinture de sécurité dans son véhicule; en réalité, environ les deux tiers du temps consacré à la livraison aux BLR. Tout en observant que la législation de l’Ontario (Code de la route) exempte certaines personnes du port de la ceinture de sécurité, notamment les employés et les représentants de la SPC pendant la livraison du courrier en milieu rural, et qu’elle prévoit que l’on peut garer un véhicule, attendre ou s’arrêter alors que ledit véhicule demeure partiellement sur la chaussée, mais seulement lorsque l’on a une vue claire des véhicules et de la route sur au moins 125 mètres dans chaque sens, l’agent de SST a remarqué que l’employeur n’avait pas procédé à une évaluation des risques associés à l’exercice des fonctions de FFRS qui ne sont pas attachés dans le véhicule et qui s’y déplacent sans porter la ceinture de sécurité. Il a calculé le risque de blessures graves ou de décès pour un FRS en cas de collision avec un autre véhicule dans les cas où le FRS ne porte pas la ceinture de sécurité. Il a conclu que le risque de blessures graves ou de décès en cas de collision n’est pas négligeable et que l’employeur n’avait pas fait d’évaluation des risques connexes, en examinant le port de la ceinture de sécurité dans le cadre de l’évaluation du risque ergonomique pour les FFRS relativement à la livraison par la porte du passager.

[14]             L’agent de SST a donc conclu que les Procédures de travail sécuritaires de l'employeur et le rythme de livraison aux BLR ne [traduction] « cadrent » pas avec la clause d’objet du Code (article 122.1), qui appelle à la prévention des accidents et des maladies liés à l’occupation d’un emploi. Il a conclu en outre que la préoccupation centrale de l’OÉSR, soit les risques liés à la circulation, et le manque de considération apparent à l’égard de la sécurité associée au port de la ceinture, sont contraires au paragraphe 19.5(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement), qui exige que l’employeur veille à ce que les mesures de prévention ne créent pas un risque en soi et qu’il tienne compte de leurs répercussions sur le lieu de travail. L’agent de SST a donc établi un constat de danger justifiant l’instruction faisant l'objet de l'appel.

[15]             Comme je l’ai déjà mentionné, l’agent de SST O’Donnell a témoigné brièvement à l’audience. Son témoignage a fourni quelques éléments de contexte supplémentaires à sa décision d’émettre l’instruction faisant l'objet de l'appel. Dans son témoignage, il a réitéré son opinion selon laquelle les deux parties de l’instruction étaient interreliées et que le rythme ou le nombre de fois où Mme Baird devait détacher et attacher sa ceinture de sécurité constituait un nouveau problème d’ergonomie, en sus du fait que pour 159 BLR, où son véhicule serait demeuré partiellement sur la partie carrossable de la route, elle ne portait pas la ceinture de sécurité dans son véhicule. En réponse à l’avocate de l’appelante, l’agent de SST a reconnu qu’il n’avait pas jugé nécessaire de visiter l’un des points de livraison sur l’itinéraire de Mme Baird dans le cadre de son enquête. Même s’il connaissait bien l’outil OÉSR, l’agent de SST O’Donnell n’a relevé aucun critère de l’OÉSR qui aurait pu être utilisé pour en arriver à son deuxième constat de danger, et il n'a pas non plus consulté d'expert en ce qui concerne la validité du modèle de l’OÉSR.

[16]             Tout en reconnaissant que le rythme de livraison en solitaire de 12,5 BLR par heure par la porte du passager, dont il se sert comme base pour la première partie de son instruction, provient de la décision de l’agent d’appel Lafrance dans l’affaire D. Morrison et autres, C. McDonnell et autres et Société canadienne des postes, décision no. TSSTC-09-032, l’agent de SST reconnaît également que ce rythme ne serait pas pertinent pour l’OÉSR puisque cet outil n’aborde pas la question de l’ergonomie. Il sert plutôt à déterminer et à mesurer, sur la base de critères précis, si l’emplacement des BLR individuelles satisfait aux critères de la sécurité routière. De plus, il semble que l’agent de SST O’Donnell ne savait pas que l’itinéraire de livraison de Mme Baird (RR no 3, Carp) avait fait l’objet d’une évaluation de l’OÉSR en mai 2009 et que des 159 BLR qui avaient été identifiées comme nécessitant une livraison alors que le véhicule de livraison se trouve partiellement sur la partie carrossable de la route, les recommandations issues de l’évaluation de l’OÉSR avaient donné lieu au déplacement d’un grand nombre de ces BLR à des boîtes postales communautaires, ou à l’application d’autres mesures correctives en octobre 2009, soit avant le refus de travailler de Mme Baird. Les autres emplacements avaient été jugés sécuritaires du point de vue de l’OÉSR en matière de sécurité routière.

[17]             En outre, lorsqu'interrogé par l’avocat de l’intervenant au début de l’audience, l’agent de SST O’Donnell n'a pas contesté les critères ni les lignes directrices de l’évaluation du trafic de l’OÉSR. Il a reconnu qu’en ce qui a trait aux 159 BLR en question, une évaluation individuelle aurait été réalisée au moyen d’un relevé de la circulation routière pendant 15 minutes dans chaque cas, un jour précis, à une heure précise. Il n'a pas prétendu qu’un dénombrement effectué de cette manière serait invalide ou incorrect du point de vue de la sécurité routière, et il n'a pas lui-même fait de dénombrement qui aurait invalidé ce qui a été fait au moyen de l’OÉSR. Il a toutefois limité sa position sur cette question au jour précis et à l’heure précise où le relevé au moyen de l’OÉSR avait été effectué, et exprimé l'opinion que les circonstances ne sont pas fixes et peuvent changer de jour en jour. Enfin, l’agent de SST O’Donnell a reconnu que selon l’OÉSR, la livraison aux BLR alors que des roues sont sur la chaussée est permise, si certains critères sont respectés. L’agent de SST n'a pas contesté ces critères, sauf dans la mesure où la ceinture de sécurité est peut-être détachée, bien que l’OÉSR ne traite pas du port de la ceinture de sécurité.

Questions en litige

[18]             Comme je l’ai déjà dit, l’instruction comporte deux parties. La première partie, que je décrirais comme traitant du volet ergonomique de la livraison aux BLR, à un rythme jugé excessif par l’agent de SST lorsque la livraison est effectuée en solitaire par un FRS par la fenêtre du côté passager du véhicule de livraison, n’est pas contestée en appel. La deuxième partie, qui traite essentiellement de la sécurité routière en raison du fait que la livraison est effectuée alors que le véhicule reste en partie sur la chaussée à certains points de livraison, fait l’objet du présent appel. L’agent de SST a incorporé dans cette deuxième partie de l’instruction le fait que ce type de livraison doit se faire alors que la ceinture de sécurité n’est pas attachée. À l’audience, pour l’essentiel, il a semblé vouloir incorporer dans le dispositif de la deuxième partie de l’instruction un volet ergonomique, associé aux gestes répétitifs qui consistent à détacher et à attacher la ceinture de sécurité, ce qui renforcerait le constat de danger associé à la livraison aux BLR alors que les roues du véhicule se trouvent en partie sur la chaussée.

[19]             Comme ils l'ont mentionné dans leurs observations préliminaires, les deux avocats ont insisté sur le fait que l’évaluation de la sécurité de la livraison aux BLR au moyen de l’OÉSR en général, et en l’espèce, lorsque la livraison se fait alors que des roues du véhicule demeurent sur la chaussée, ne touche pas à l’ergonomie, mais soulève seulement une question de sécurité routière. Le formulaire Enregistrement d'un refus de travailler en cas de danger rempli et signé par Mme Baird, qui fait partie du rapport d’enquête de l’agent de SST O’Donnell, ne fait aucune mention de la livraison avec les roues du véhicule sur la chaussée, et bien qu’il mentionne le fait de détacher la ceinture de sécurité, il ne le fait que dans la description des mouvements liés à la livraison par la fenêtre du côté passager du véhicule [traduction] « 200 fois par jour », en lien avec la nécessité de passer d’un côté à l’autre du véhicule et la tension au dos causée par les torsions constantes requises pour ramasser les colis ou le courrier sur le plancher afin de les passer par la fenêtre du passager. Ainsi, les difficultés ergonomiques liées à cette livraison répétitive ne sont en aucun cas associées aux BLR où il faut laisser des roues du véhicule sur la chaussée pendant la livraison, mais à tous les points de livraison.

[20]             Qui plus est, le rapport d’enquête de l’agent de SST décrit en détail les différentes étapes ou mouvements particuliers de cette livraison par le côté passager. L’agent de SST établit clairement que le fait de détacher et attacher la ceinture de sécurité ne constitue qu’un seul parmi une série de mouvements composant l’ensemble de la séquence de la livraison à travers la fenêtre du côté passager, commun à la livraison en solitaire par un FRS à travers la fenêtre du côté passager du véhicule à toutes les BLR. Ainsi, le volet ergonomique fait partie intégrante de l’ensemble de l’exécution et s’applique généralement à la livraison à toutes les BLR, pas seulement à la livraison effectuée alors que des roues du véhicule demeurent sur la chaussée. Tout cela renforce la conclusion voulant que ce volet soit de nature ergonomique. Cela étant dit, la question à trancher dans le présent appel consiste donc à savoir si la livraison aux BLR alors que des roues du véhicule demeurent sur la chaussée, outre le fait que la ceinture de sécurité soit détachée et attachée, comme c’est le cas pour toutes les livraisons en solitaire par un FRS aux BLR, constitue un danger justifiant la deuxième partie de l’instruction émise par l’agent de SST.

Observations des parties

[21]             Hormis le rapport de l’agent de SST et son bref témoignage, il n’y a eu qu’un seul autre témoin à l’audience. Ce témoin (Terry Kelly) a été appelé par l’appelante, et n’a pas été contre-interrogé par l’intervenant. En plus d’un certain nombre de documents déposés en preuve (E-2) par l’appelante, tous en lien avec l’application de l’OÉSR, généralement ou particulièrement en lien avec l’itinéraire de Mme Baird, les deux parties ont conjointement demandé le dépôt d’un rapport d’opinion d’expert rédigé pour l’appelante par Navigats Inc. (Geni Brafman Bahar, ingénieure), sans exiger le témoignage de son auteure. Aux fins d’établir l’expertise de l’auteure en matière d’ingénierie de la circulation et de la sécurité routière, des facteurs humains et de gestion de la sécurité, les parties ont déposé un long curriculum vitæ décrivant ses études, ses qualifications, son expérience professionnelle et ses écrits. En mai 2008, G. Bahar était l’un des quatre membres du groupe d’experts auteur du rapport intitulé « Rationale behind the Rural Mailbox (RMB) Traffic Safety Assessment Tool Version 3.0 »; en d’autres termes, relatif à l’OÉSR. Après examen de son curriculum vitæ et de la position des deux parties, j’ai accepté que le document soit déposé sur consentement.

A) Observations de l’appelante

[22]             Comme je l’ai déjà dit, M. Terry Kelly a été le seul témoin appelé par l’appelante, à l’évidence pour témoigner sur le fonctionnement du processus d’évaluation au moyen de l’OÉSR, en général, et sur l’évaluation de l’itinéraire de livraison de l’employée ayant exercé son droit de refuser de travailler. M. Kelly est employé de la SCP depuis 10 ans. Avant cela, il a été sous-traitant pour l’appelante pendant cinq ans, chargé de la livraison du courrier sur un itinéraire rural. Il est aujourd’hui agent du service de livraison, chargé de l’examen de la sécurité du courrier rural. Au cours de la période 2006-2007, à titre de planificateur de la livraison, il a effectué des évaluations de boîtes aux lettres individuelles et, donc, des évaluations au moyen de l’OÉSR. Ces trois dernières années, à titre d’agent du service de livraison, il a supervisé les équipes qui font les évaluations au moyen de l’OÉSR, effectué des contrôles de la qualité des évaluations faites au moyen de l’OÉSR et veillé à ce que les évaluateurs suivent le processus établi de l’OÉSR. Comme tous les évaluateurs de l’OÉSR, il est titulaire d’une certification OÉRS. Ses fonctions actuelles comprennent la formation des évaluateurs. Il connaît donc le document de l’OÉSR intitulé « RMB Traffic Safety Assessment Tool-TSAT Guidance Document », et attire l’attention sur le fait que l’outil prévoit des organigrammes pour régir l’évaluation de la sécurité routière.

[23]             Le document d’orientation comprend un organigramme de la circulation sur 2 voies et un organigramme de la circulation sur 4 voies, ainsi qu’un organigramme de la circulation dans les subdivisions rurales à faible vitesse et faible débit. Ce dernier énonce [traduction] qu’« un secteur est classé subdivision rurale à faible vitesse et à faible débit lorsque les trois conditions suivantes s’appliquent », soit :

− la vitesse affichée est inférieure ou égale à 40 km/h;

− le nombre total de véhicules est inférieur ou égal à 12 véhicules aux 15 minutes;

− la BLR est située dans une subdivision rurale ou un secteur de maisons unifamiliales possédant certaines caractéristiques, notamment : des routes à deux voies, une densité de population de type suburbain, une conception de route en cul-de-sac, la présence habituelle de piétons et de véhicules garés sur la chaussée.

Enfin, le document d’orientation propose un formulaire d’évaluation de la sécurité routière, à remplir pour chaque boîte aux lettres individuelle à évaluer. Ce formulaire permet d’inscrire toutes les caractéristiques relatives à chaque boîte aux lettres sous trois catégories : première collecte de données, collecte de données principale et résultats.

[24]             Le témoin sait que la RR no 3 de Carp a été évaluée le 27 avril 2009, soit avant le refus de travailler de Mme Baird, puisque les deux évaluateurs relevaient de M. Kelly à l’époque. Ce dernier fait remarquer que l’itinéraire contient principalement des résidences privées et qu’il n’y avait eu aucune plainte antérieure concernant l’une de ces boîtes aux lettres. Le témoin a abordé tous les critères figurant sur la fiche d’évaluation de la sécurité routière et servant à collecter les données pour chaque boîte aux lettres individuelle et son évaluation ultérieure. Ainsi :

− la limite de vitesse affichée aura une incidence sur l’évaluation;

− [traduction] « BLR au point de remise » sert à préciser si la boîte aux lettres se trouve devant la maison ou non;

− [traduction] « Type de route » sert à préciser si la route est une route non balisée en gravier ou en terre, non balisée, mais pavée, ou balisée et pavée;

− le nombre de voies de circulation établit si la route empruntée par le FRS est une route à deux ou quatre voies. En l’espèce, la fiche indique que la totalité de l’itinéraire est sur une route à deux voies;

− l’heure de départ du dénombrement indique que le dénombrement des véhicules en circulation a été réalisé à cette boîte aux lettres précise, à l’heure de livraison habituelle à ladite boîte aux lettres;

− le nombre total de véhicules représente le nombre total de véhicules qui passent à l’emplacement de la BLR en 15 minutes. Le témoin a expliqué que certains dénombrements de véhicules en circulation ne sont valides que pour un segment d’une même route. Il peut être nécessaire de refaire le dénombrement pour un autre segment, aux conditions de la circulation distinctes, par exemple à proximité d’une intersection. On prévoit également des seuils de débit, selon le positionnement du véhicule de livraison (sur ou en dehors de la partie carrossable de la chaussée);

− la distance jusqu’à l’intersection est en lien avec certaines restrictions pouvant entraîner le déplacement d’une boîte aux lettres, comme un arrêt interdit dans les 20 m de l’intersection, sur une route avec un droit de passage ou un passage à niveau, ou dans les 70 m de l’intersection, sur une route sans droit de passage;

− les restrictions peuvent également avoir une incidence, comme un panneau d’arrêt interdit, une interdiction de s’arrêter sur une chaussée où la vitesse affichée est égale ou supérieure à 70 km/h, une BLR située dans une allée, etc.;

− les données hors route servent à indiquer si le véhicule de livraison utilisé sera entièrement ou non hors de la route à chaque lieu de livraison (l’intégralité du véhicule, y compris les miroirs, à l’extérieur de la ligne blanche sur une route balisée, et hors de la voie carrossable sur une route non balisée);

− une colline, une courbe ou un obstacle, qui indiquent les cas où on doit évaluer les « lignes de vue » à l’avant ou à l’arrière du véhicule, ainsi que le temps pour s’engager. Aux fins de l’OÉSR, l’intervalle de temps entre les véhicules pour s’intégrer à la circulation en toute sécurité variera. L’OÉSR prévoit, pour une route à deux voies comme la RR no 3 de Carp, un intervalle de 9 secondes à l’arrière d’un véhicule entièrement en dehors de la route, sans intervalle de temps à l’avant du véhicule, pour un seuil de 130 véhicules toutes les 15 minutes. L’intervalle de temps à l’arrière d’un véhicule partiellement en dehors de la route est de 11 secondes, l’intervalle de temps à l’avant du véhicule est de 14 secondes, pour un seuil de 40 véhicules toutes les 15 minutes.

[25]             Les données recueillies relativement à tous ces critères peuvent permettre de classer les boîtes aux lettres individuelles comme des secteurs ruraux ou suburbains à faible vitesse et faible débit. M. Kelly a affirmé que lorsque le taux de circulation dépasse un certain débit et que les intervalles de temps entre les véhicules (aux fins d’intégrer la circulation) ne peuvent être satisfaits, on pourrait devoir déplacer des boîtes aux lettres individuelles, notamment dans des BPCOM, que le client soit d’accord ou non. Il a également souligné qu’on ne fait pas d’évaluation au moyen de l’OÉSR en hiver : les conditions hivernales rendent parfois difficile la bonne détermination de la position des boîtes aux lettres individuelles. Pourtant, si un FRS croit qu’il y a un risque associé à une BLR précise à cette période, ledit FRS n’est pas tenu de faire la livraison à cette boîte aux lettres tant que la situation n’est pas réglée.

[26]             M. Kelly a vérifié l’évaluation de la RR no 3 de Carp en 2009 et l’a trouvée satisfaisante. Les résultats indiquaient que sur 262 BLR, 73 ont dû être modifiées. Elles ont été déplacées ou centralisées dans des boîtes aux lettres communautaires. Cela laisse donc 89 BLR où la livraison doit être faite alors que le véhicule se trouve partiellement sur la chaussée, un nombre nettement inférieur à celui revendiqué par l’agent de SST (159). Ces résultats ont été transmis aux FFRS de l’époque, qui se sont dits satisfaits de l’évaluation. Selon le témoin, les changements exigés à la suite de l’évaluation d’avril 2009 ont été achevés en octobre 2009, soit avant le refus de travailler de Mme Baird. Il a précisé par ailleurs que Mme Baird a déposé deux plaintes concernant deux BLR, le 15 juin 2012, et que le problème a été résolu par le déplacement des BLR, le 12 juillet 2012. M. Kelly a conclu son témoignage en indiquant que sur la base de l’évaluation au moyen de l’OÉSR et du déplacement d’un certain nombre de BLR sur la RR no 3 de Carp, il ne reste que 84 BLR où la livraison doit toujours être faite alors que le véhicule se trouve partiellement sur la chaussée, et que toutes les boîtes aux lettres ne passant pas l’évaluation ont été retirées.

[27]             Dans ses observations écrites et verbales à l’audience, l’avocate de l’appelante a renvoyé le soussigné aux conclusions de G. Bahar dans le Rapport d’opinion d’expert. La première concerne les intervalles de temps et se lit comme suit :

[traduction]

L’OÉSR tient compte du fait que le véhicule du FRS peut être garé sur la partie carrossable de la route, obstruant partiellement ou complètement la voie de circulation. […]

Ainsi, l’OÉSR évalue l’existence d’intervalles de temps (soit l’intervalle de temps derrière le véhicule arrêté du FRS à une BLR, requis pour que ledit véhicule puisse s’engager dans la voie de circulation [9 secondes], l’intervalle de temps derrière étant lié à la distance de visibilité d’anticipation pour qu’un véhicule s’approchant à l’arrière du véhicule arrêté du FRS, qui bloque partiellement ou totalement la voie de circulation, puisse s’arrêter ou commencer une manœuvre de dépassement [11 secondes], et l’intervalle de temps à l’avant du véhicule du FRS arrêté, qui bloque partiellement ou complètement la voie de circulation, nécessaire pour un dépassement en toute sécurité du véhicule du FRS arrêté [14 secondes]), à des débits donnés (soit le nombre de véhicules qui passent devant l’évaluateur à la BLR sur une période de 15 minutes). Les valeurs d’exposition seuil (véhicules/15 minutes) sont basées sur l’existence d’intervalles de temps requis et de délais ou de temps d’attente acceptables (soit un maximum de 25 secondes) avant que les FFRS ne s’impatientent et ne commencent à accepter des intervalles de temps plus courts. Les seuils de débit de circulation sont : 130 véhicules/15 minutes sur les routes à double sens à deux voies lorsque le véhicule du FRS à la BLR est en dehors de la route; 40 véhicules/15 minutes sur les routes à double sens à deux voies lorsque le véhicule du FRS à la BLR se trouve sur la route; 130 véhicules/15 minutes sur les routes à sens unique à quatre voies lorsque le véhicule du FRS est en dehors de la route; 80 véhicules/15 minutes sur les routes à sens unique à quatre voies lorsque le véhicule du FRS à la BLR est sur la route. Si les intervalles de temps et les seuils de débit ne sont pas respectés, la BLR ne passe pas le test de l’OÉSR et doit être déplacée à un emplacement qui satisfait aux exigences de l’OÉSR.

En conclusion, lorsque le véhicule d’un FRS se trouve sur la route (et bloque partiellement ou complètement la voie de circulation), l’intervalle de temps nécessaire à l’arrière du FRS à une BLR est de 11 secondes (en fonction de la distance de visibilité d’anticipation, selon les normes de conception des routes, pour un conducteur ne s’attendant pas à ce qu’il y ait un véhicule arrêté sur la voie) et de 14 secondes à l’avant pour le dépassement du véhicule arrêté du FRS et le retour dans la voie. Les débits de circulation sont de 40 véhicules/15 minutes et de 80 véhicules/15minutes sur les routes à deux et quatre voies, respectivement. La condition « sur la route » a été remplie avec un plus grand intervalle de temps à l’arrière et un intervalle de temps à l’avant défini, et un débit de beaucoup inférieur à celui qui est adéquat lorsque le véhicule du FRS est en dehors de la route.

[28]             La deuxième conclusion à laquelle on m'a renvoyé spécifiquement concerne la question de la ceinture de sécurité soulevée par l’agent de SST. G. Bahar remarque à cet égard : [traduction] « Il n’y a aucun lien entre le port de la ceinture de sécurité et le risque de collision. La ceinture de sécurité est un dispositif de sécurité secondaire; elle n’empêche pas une collision de se produire. » Cette conclusion se poursuit :

[traduction]

La validité des résultats de l’OÉSR ne change pas selon le fait qu’un FRS ne porte pas la ceinture de sécurité à l’arrêt à une BLR. L’OÉSR a été élaboré en fonction des besoins du conducteur, avec une attention particulière sur les FFRS qui livrent le courrier aux BLR, comme le décrit le rapport Raison d’être. Lorsqu’un FRS livre le courrier à une BLR (en fonction des mesures de HFN, le temps passé à une BLR varie de 12,7 à 20 secondes, en tenant compte de 3,5 secondes/mouvement pour attacher et détacher la ceinture de sécurité; et en ajoutant le temps des déplacements entre le siège du passager et le siège du conducteur, et la livraison du courrier) qui répond aux exigences de l’OÉSR, les intervalles de temps et les débits donnent les distances de visibilité d’anticipation (intervalles de 11 secondes à l’arrière), les distances de visibilité de dépassement (intervalle de 14 secondes à l’avant du véhicule arrêté du FRS), et un délai de 25 secondes ou moins pour obtenir un intervalle de temps suffisant.

[29]             L’avocate de l’appelante a souligné ensuite que l’agent de SST n'a pas contesté la validité des critères de l’OÉSR ni les résultats de l’OÉSR de 2009. Cependant, il a estimé que la sécurité de Mme Baird était en danger parce qu’elle livrait le courrier aux BLR sans porter sa ceinture de sécurité, particulièrement lorsque le véhicule de livraison n’était pas arrêté avec les quatre roues en dehors de la route. L’avocate de l’appelante est toutefois d’avis que l’agent de SST a confondu les questions de sécurité ergonomique et les questions de sécurité routière lorsqu’il a mis l’accent sur la question de savoir si Mme Baird portait ou non la ceinture de sécurité à l’arrêt à une BLR. Mme Richard a fait valoir que cette confusion était particulièrement évidente lorsque l’agent de SST s'est servi des critères de la recherche ergonomique de 12,5 BLR l’heure pour justifier sa décision à propos de la circulation routière : les critères adéquats pour déterminer si oui ou non une BLR est sécuritaire du point de vue de la sécurité routière sont les critères de l’OÉSR, et pas le rythme de livraison, qui est associé à un risque ergonomique. Qui plus est, l’avocate a souligné que le Tribunal a récemment jugé de situations semblables à la présente, et dans deux de ces décisions (D. Morrison et autres, C. McDonnell et autres (précitée), et Pamela Townsend et Grant Leblanc c. Société canadienne des postes, 2010 TSSTC 7), le Tribunal a conclu que lorsqu’une BLR passe une évaluation au moyen de l’OÉSR de la SPC, les conditions de livraison à une telle BLR constituent une « condition normale de l’emploi » au sens du Code, une conclusion que l’appelante cherche à obtenir dans la présente affaire.

[30]             En ce qui concerne l’OÉSR, l’avocate a souligné que lorsqu’ITrans Consulting Inc. a été retenue par la SCP en juin 2006 pour procéder à une évaluation de la sécurité routière de la livraison du courrier aux BLR, évaluation qui allait donner lieu à l’OÉSR, le groupe d’experts était dirigé par G. Bahar, dont le Rapport d’opinion d’expert a été accepté en preuve par le soussigné. G. Bahar a également été reconnue comme experte en cette matière dans au moins un autre appel devant le Tribunal. L’avocate fait valoir que la méthodologie recommandée pour l’élaboration de l’OÉSR reposait sur le comportement des conducteurs et que [traduction] « [l]e groupe d’experts s’est penché sur les exigences rattachées à la conduite qui prennent naissance lorsqu’un FRS ralentit pour s’arrêter à une boîte aux lettres rurale et pour converger de nouveau dans la circulation ». Le groupe spécial a estimé que [traduction] « ces actions peuvent entraîner des risques de collision pour les FFRS, ainsi que pour les autres conducteurs qui rencontrent les véhicules des FFRS arrêtés ou en voie de s’engager sur la route. » Le groupe d’experts a fondé sa méthodologie sur l’examen de deux exigences très spécifiques.

[31]             En premier lieu, en ce qui concerne les FFRS, le temps nécessaire pour s’intégrer à nouveau dans la circulation à partir d’une position arrêtée, sur ou en dehors de la chaussée. En deuxième lieu, en ce qui concerne les autres conducteurs qui rencontrent un véhicule de FRS arrêté, le temps nécessaire pour repérer le véhicule du FRS arrêté sur la chaussée et le temps pour les autres conducteurs de réagir de manière appropriée en s’arrêtant, ou en changeant de voie pour dépasser le véhicule à l’arrêt, potentiellement face à la circulation en sens inverse. Selon l’avocate, cette méthodologie a été choisie parce qu’elle garantit un niveau de sécurité adéquat.

[32]             Dans le cas du groupe d’experts dirigé par G. Bahar, l’avocate rappelle qu’il a convenu à l’unanimité du caractère adéquat de l’OÉSR. Il a recommandé cet outil à la SCP pour l’évaluation des BLR individuelles, au moyen de la méthode ayant servi à l’élaboration de l’OÉSR, fondée sur la recherche et des principes scientifiques largement acceptés dans la pratique. En ce qui concerne les parties (la SCP et le STTP), elles ont participé à de longues discussions, à des modifications et à des essais relatifs à l’OÉSR au sein du Comité des politiques nationales. Les parties sont parfaitement d’accord sur le fait que l’OÉSR constitue la meilleure méthode scientifique pour déterminer le risque relatif de blessures lors de la livraison aux BLR, le STTP donnant son approbation devant un comité permanent de la Chambre des communes. Le résultat est que l’OÉSR est maintenant utilisé par la SCP pour l’évaluation de l’ensemble des 845 000 BLR réparties sur l’ensemble du territoire canadien.

[33]             L’avocate a également souligné que le Tribunal a démontré l’acceptation du caractère approprié de l’OÉSR pour l’évaluation des risques en matière de sécurité routière. Mme Richard a noté que dans l’affaire D. Morrison et autres, C. McDonnell et autres, l’agent d’appel Lafrance a déclaré, au paragraphe 319 :

[L]es laps de temps établis par ITrans, ainsi que les autres critères utilisés pour évaluer un emplacement, sont des critères raisonnables, selon moi, pour évaluer les emplacements des BLR et pour s’assurer que le risque de collision est le plus possible atténué. Lorsqu’un emplacement réussit l’évaluation, le risque de collision dans les circonstances précédemment mentionnées est abaissé à un niveau acceptable.

L’agent d’appel McDermott, dans la décision Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2012 TSSTC 16, réitère cette acceptation, au paragraphe 17 de cette décision :

D’emblée, je tiens à préciser que j’accepte la validité de l’OÉSR comme mécanisme approprié et accepté pour déterminer la sécurité de la livraison aux BLR selon certains critères, notamment le volume et la vitesse de la circulation, la configuration et les caractéristiques de la route et les lignes de visibilité appropriées. […]

[34]             En ce qui concerne les faits qui se rapportent à l’instruction en l’espèce qui est portée en appel, au cœur de la position de l’appelante se trouve le fait que, même avant le refus de travailler de Mme Baird, la RR no 3 de Carp avait déjà été évaluée et les changements recommandés à l’itinéraire avaient déjà été apportés. Le témoignage de M. Kelly a illustré qu'en conséquence, le nombre de BLR en service où les roues du véhicule demeurent sur la chaussée est très inférieur à celui relevé dans le rapport d’enquête de l’agent de SST, et que les seules BLR encore en service sont celles qui ont passé l’évaluation au moyen de l’OÉSR. Quant aux préoccupations soulevées par l’agent de SST O’Donnell à propos des ceintures de sécurité et du fait que les quatre roues du véhicule de la FRS ne soient pas en dehors de la route à l’arrêt à une BLR, l’avocate soutient que ces questions ne sont pas étayées par la preuve d’expert présentée au soussigné.

[35]             Sur la question des « quatre roues en dehors de la route », l’avocate affirme que l’OÉSR évalue précisément les critères de sécurité routière afin de déterminer s’il y a des risques en matière de sécurité routière lorsque les quatre roues du véhicule du FRS ne sont pas en dehors de la route à une BLR. Elle a souligné que G. Bahar a expressément confirmé ce fait, comme il a été mentionné précédemment, lorsqu’elle a déclaré directement que « L’OÉSR tient compte du fait que le véhicule du FRS peut être garé sur la partie carrossable de la route, obstruant partiellement ou complètement la voie de circulation », poursuivant ensuite son rapport en précisant les divers intervalles de temps qui seraient nécessaires dans ces circonstances. L’avocate a aussi fait remarquer que le Tribunal a accepté ce même raisonnement dans la décision Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (précitée), dans laquelle l’agent d’appel a approuvé la conclusion de l’agent d’appel Lafrance dans la décision Pamela Townsend et Grant Leblanc (précitée), à savoir :

En ce qui concerne la question de ne pas placer les quatre roues en dehors de la route, j’ai découvert dans l’OÉSR que dans certaines conditions, l’OÉSR accepte cette situation et permet que le véhicule soit arrêté sur la partie fréquentée de la route. (...) En conséquence, je conclus qu’il n’est pas toujours nécessaire que les quatre roues se trouvent en dehors de la route si, compte tenu des autres circonstances dont il est question précédemment, le « danger » est une condition normale d’emploi.

[36]             Sur la question du fait que le FRS ne porte pas la ceinture de sécurité pendant la livraison à une BLR, l’avocate soutient qu’elle n’invalide pas les résultats de l’OÉSR. À ce sujet, elle a renvoyé à la déclaration de G. Bahar, « [i]l n’y a aucun lien entre le port de la ceinture de sécurité et le risque de collision », étant donné que la ceinture de sécurité ne peut empêcher une collision de se produire. Bref, la position consiste à dire que peu importe si le FRS porte la ceinture de sécurité à l’arrêt à une BLR, l’OÉSR garantit que la BLR est située de manière à réduire le risque de collision au minimum, et que ce risque minimal est ainsi une condition normale de l’emploi.

B) Observations de l’intervenant

[37]             Comme on pouvait s’y attendre à la lumière de la position adoptée par l’intervenant STTP, autant en ce qui concerne sa représentation de Mme Baird en l’espèce qu'à l'égard, de manière générale, de la position adoptée par l’appelante concernant précisément la partie de l’instruction émise par l’agent de SST O’Donnell relativement à Mme Baird et, plus généralement, sur l’objet, la raison d’être et l’application de l’OÉSR, les observations de l’intervenant sont en en grande partie le reflet de celles de l’appelante, dans la mesure où il ne sera pas nécessaire ici de s’engager dans un exercice répétitif, sauf pour réitérer que dès le départ, l’intervenant STTP a déclaré qu’il partage essentiellement les intérêts de l’appelante dans la présente affaire, que l’OÉSR s’applique bel et bien et constitue la manière appropriée d’évaluer les BLR pour garantir une livraison sécuritaire, qu’à l’époque du refus de travailler de Mme Baird, les BLR sur son itinéraire avaient déjà passé l’évaluation au moyen de l’OÉSR, et, enfin, que la partie de l’instruction qui est portée en appel devrait être retranchée, car elle n’était pas nécessaire pour régler la plainte initiale de Mme Baird et elle était incompatible avec l’OÉSR.

[38]             Plus précisément, M. Bloom a tout d’abord souligné que la SCP avait accepté de fournir une aide ergonomique à Mme Baird dès le moment où elle a déposé son refus de travailler. La SCP a maintenu cette aide tout au long du processus, et accepte que le résultat du présent appel n’ait pas d’incidence sur le maintien de l’aide fournie à Mme Baird sur son itinéraire, à moins qu’un autre mode de livraison ergonomique soit plus tard adopté. Cela amène l’avocat à souligner qu’il faut reconnaître que les circonstances ont changé depuis l’enquête de l’agent de SST O’Donnell. Compte tenu de l’aide ergonomique permanente sur l’itinéraire de Mme Baird, la FRS n’a plus besoin de détacher sa ceinture de sécurité pour faire la livraison par la fenêtre du côté passager puisque c’est l’aide ergonomique qui effectue la livraison par ladite fenêtre, ce qui fait ainsi que la deuxième partie de l’instruction n'est plus appropriée. L’avocat a également rappelé que l’OÉSR est un outil approprié pour évaluer la sécurité de la livraison aux BLR, que son processus est scientifiquement fondé et accepté comme étant un processus fiable et approprié pour une telle évaluation. Comme son homologue, M. Bloom a souligné que le Tribunal a également reconnu et accepté l’OÉSR en tant que méthode appropriée pour l’évaluation de la sécurité de la livraison aux BLR.

[39]             Sur la question du retrait de la ceinture de sécurité, l’avocat a soutenu que le témoignage d’expert non contredit de G. Bahar en l’espèce veut que le retrait de la ceinture de sécurité par un FRS en train de livrer le courrier ne constitue pas un danger si la BLR a passé l’évaluation au moyen de l’OÉSR, et que, conformément à l’OÉSR, il n’est pas nécessaire que le véhicule ait les « quatre roues en dehors de la route » lorsque les débits de circulation et d’autres conditions ne posent pas de danger.

[40]             Enfin, en ce qui concerne la position de l’agent de SST O’Donnell selon laquelle la partie de l’instruction qui est portée en appel était nécessaire en raison du nombre de BLR et du temps pendant lequel la FRS devait être [traduction] « sans ceinture » pendant que le véhicule est arrêté sans être complètement en dehors de la route, l’avocat a estimé que cette partie de la décision et de l’instruction de l’agent de SST reposait sur une confusion entre les questions de sécurité ergonomique et les questions de sécurité routière. Selon l’avocat, les BLR sont évaluées individuellement et lorsqu’une BLR ne présente pas de danger, la livraison à un certain nombre de BLR qui ne présentent individuellement pas de danger ne constituerait pas davantage un danger que la livraison à une seule BLR jugée sécuritaire. L’avocat a également souligné, tout comme l’avait fait l'avocate de l’appelante, que l’agent de SST O’Donnell n'avait pas contesté les évaluations au moyen de l’OÉSR pour aucune des BLR sur l’itinéraire de Mme Baird, pas plus qu’il n'a fourni de base scientifique pour rejeter l’OÉSR. Cela amène l’avocat à conclure que, dans ces circonstances, la partie de l’instruction portée en appel avait été donnée par erreur et que le soussigné devrait modifier l’instruction.

Analyse

[41]             Mon pouvoir en tant qu’agent d’appel en vertu du Code me permet de modifier, de confirmer ou d’annuler toute instruction soumise à mon examen, ainsi que d’émettre toute instruction que je juge indiquée, compte tenu des circonstances particulières d’une affaire donnée. Cela étant dit, dans la conduite d’un tel examen, je peux procéder de novo, ce qui signifie que je ne suis pas tenu de me limiter à l’information recueillie par l’agent de santé et de sécurité dont l’instruction fait l’objet d’un examen en appel, et que je ne suis pas non plus lié par les interprétations ou les conclusions formulées par celui-ci. La présente affaire est cependant quelque peu orthodoxe en ce qu'il n’y a pas d’opposition à l’appel, il n’y a pas de partie adverse et une seule position qui est présentée conjointement, non seulement comme étant la position privilégiée, mais également comme étant la position à adopter à l’égard de l’instruction ou, plus précisément, à l’égard de la partie de l’instruction faisant l’objet du présent appel, le reste de ladite instruction n’étant pas contesté et ne faisant donc pas l’objet de mon examen. Cela étant dit, décider d’un appel où toutes les parties adoptent la même position, formulent les mêmes observations appuyées par les mêmes éléments de preuve, pose problème en ce qu'il peut être difficile de s’écarter de cette position commune, à moins de relever une lacune dans l’approche ou la justification avancée par les parties, qui permettrait d’aller dans un sens autre que celui professé et défendu conjointement par tous.

[42]             En l’espèce, compte tenu de la formulation employée par l’agent de SST O’Donnell dans la partie de l’instruction portée en appel, l’OÉSR est au cœur de l’enjeu, soit l’interprétation ou la raison d’être qui préside à son application ainsi que sa réelle application à la RR no 3 de Carp, à l’origine du refus de travailler de Mme Baird. À cet égard, il faut noter que la RR no 3 avait obtenu des résultats satisfaisants à la suite d’une évaluation au moyen de l’OÉSR, avant le refus de travailler de Mme Baird. L’agent de SST n’a pas parcouru l’itinéraire et n’a pas fait d’évaluation distincte dudit itinéraire, pas plus qu’il n’affirme dans son rapport ou devant le soussigné à l’audience être en désaccord avec la raison d’être de l’OÉSR.

[43]             Le fait que toutes les parties conviennent que l’OÉSR, ainsi que la logique et la méthodologie qui le sous-tendent, en font le meilleur outil, ou à tout le moins l’outil le plus approprié, lorsqu’il est appliqué, pour garantir la sécurité de la livraison aux BLR effectuée par véhicule automobile sur la voie publique, bien que convaincant, ne lie pas en soi le soussigné à la même conclusion, de manière générale ou à l’égard d’un itinéraire de livraison rurale en particulier, comme en l’espèce. Cependant, pour exprimer mon désaccord, j’aurais besoin d’éléments de preuve à l’appui pour en arriver à une telle conclusion divergente, plus particulièrement compte tenu de précédents de ce Tribunal, qui reconnaissent l’OÉSR comme garantissant le niveau de sécurité exigé par le Code, et où les conditions restantes à la suite d’une évaluation au moyen de l’OÉSR qui a été effectuée et est jugée satisfaisante sont considérées et acceptées comme étant des conditions normales de l’emploi.

[44]             Je dois dire qu’en l’espèce, je ne dispose pas de tels éléments de preuve. Ceux que je peux tirer du rapport d’enquête de l’agent de SST sont certainement insuffisants pour m’amener à une telle conclusion divergente. Dans la présente affaire, j’ai examiné la justification de l’agent de SST O’Donnell, ainsi que la position commune adoptée par l’appelante et l’intervenant. J’ai constaté l’accord entre l’appelante SPC et l’intervenant STTP sur le fait que l’OÉSR constitue l’outil approprié pour garantir la sécurité de la livraison du courrier aux BLR. J’ai aussi longuement examiné l’OÉSR, sa raison d’être et le rapport de Navigats et Bahar. La position à laquelle j’en suis venu dans la présente affaire ne diverge pas de celle des parties et, à cet égard, bien que je juge qu’il n’est pas nécessaire de répéter ici l’intégralité de leurs observations respectives, je souhaite faire quelques commentaires.

[45]             L’instruction émise par l’agent de SST O’Donnell comportait deux volets. L’un, ergonomique, portait sur le caractère répétitif des mouvements dans la livraison en solitaire du courrier aux BLR par la FRS, qui devait livrer le courrier par la fenêtre du côté passager du véhicule à un rythme à l'heure jugé excessif par l’agent de SST. Le deuxième volet portait sur la sécurité routière, dans les cas où le véhicule de livraison n’était pas entièrement en dehors de la portion carrossable de la route pendant la livraison, alors que la FRS seule devait détacher et attacher sa ceinture de sécurité pour exécuter la tâche. La première partie de l’instruction ne fait pas l’objet de l’appel. Par conséquent, le soussigné ne l’a pas examinée. Cependant, dans mon examen du rapport de l’agent de SST, j’ai constaté que tous les mouvements requis d’un FRS pour la livraison du courrier par la fenêtre du côté passager du véhicule, ce que je décrirais comme étant la mécanique de l’opération de livraison, y sont longuement décrits. Cela illustre que le fait de « détacher et attacher » la ceinture de sécurité dans ces circonstances, dans le cadre de ladite mécanique de livraison, doit être répété à chaque arrêt de livraison, peu importe si les quatre roues du véhicule sont en dehors de la partie carrossable de la route ou non, et peu importe les conditions de la circulation ou de la route.

[46]             À mon avis, pour étudier l’aspect ergonomique de la livraison en solitaire du courrier par la fenêtre du côté passager par une FRS, on doit considérer la séquence complète des mouvements dans son ensemble pour déterminer l’incidence ergonomique potentielle sur la FRS, et non pas seulement certains segments, et certainement pas seulement lorsque le véhicule de livraison est dans une certaine position par rapport à la chaussée. Par conséquent, je suis d’avis que la question de la ceinture de sécurité ne peut pas et ne devrait pas être isolée et associée à ce qui est clairement une situation de sécurité routière, à savoir le véhicule de livraison se trouvant partiellement sur la partie carrossable de la route. Dans son rapport, l’agent de SST a semblé effectivement appuyer sa conclusion sur la base d’éléments qui se rapportent au rythme de la livraison à l'heure imposé à Mme Baird et à la durée ou au nombre de fois où, pour reprendre ses mots, elle n’était [traduction] « pas en sécurité » en raison de sa ceinture de sécurité non attachée à l’arrêt aux BLR. Il crée par là même l’impression que le volet ergonomique doit régir la résolution de la question de sécurité routière.

[47]             À cet égard, je suis d'accord avec la position formulée par les deux avocats, selon laquelle pour citer les observations de l’avocate de l’appelante, [traduction] « l’agent de SST a confondu les questions de sécurité ergonomique et les questions de sécurité routière lorsqu’il met l’accent sur la question de savoir si Mme Baird portait ou non la ceinture de sécurité à l’arrêt à une BLR. Cette confusion était particulièrement évidente lorsque l’agent de SST a fait appel aux critères de recherche ergonomique de 12,5 BLR l’heure pour justifier sa décision à l’égard de la question de la circulation. Les critères appropriés pour déterminer si oui ou non une BLR est sécuritaire du point de vue de la sécurité routière sont ceux de l’OÉSR. » L’avocat de l’intervenant était du même avis dans ses conclusions, bien qu’il l’exprime différemment : [traduction] « cette partie de la décision et de l’instruction repose sur une confusion entre les questions de sécurité ergonomique et les questions de sécurité routière. Le nombre de BLR (qui ne constituent pas un danger) n’est pas une base pour l’instruction émise. Si la livraison à une BLR ne constitue pas un danger, la livraison à plusieurs BLR qui, individuellement, ne constituent pas un danger ne constituerait pas davantage un danger. » Je suis d’accord avec la position formulée par les deux avocats sur cette question particulière. Je dois également ajouter que même si cela ne permettrait pas de trancher la question de la ceinture de sécurité étant donné que je dois principalement examiner les circonstances factuelles telles qu’elles existaient au moment du refus de travailler de Mme Baird, le fait que l’employeur lui ait fourni une aide (ERGO) rend cette question quelque peu théorique, puisqu’elle n’a plus besoin de déboucler sa ceinture de sécurité pour atteindre la BLR par la fenêtre du côté passager.

[48]             La question de savoir si l’OÉSR tient compte de la situation où les roues du véhicule sont sur la chaussée ou en dehors de la chaussée, et la question de savoir si le port, ou plutôt le non-port, de la ceinture de sécurité nuit à la validité d’une évaluation au moyen de l’OÉSR sont au cœur de la détermination de la présente affaire. La position adoptée par les deux parties est clairement exprimée ci-dessus. Les deux parties se fondent sur les éléments de preuve fournis dans le rapport d’opinion d’expert qu'ils ont présenté conjointement au soussigné comme étant déterminant, ainsi que dans le rapport d’ITrans intitulé « Rationale behind the Rural Mailbox (RMB) Traffic Safety Assessment Tool Version 3.0 ». J’ai étudié ces deux documents.

[49]             En ce qui a trait à la question de la ceinture de sécurité, le document d’ITrans n’en fait aucune mention. À mon avis et étant donné le fondement scientifique de l’OÉSR, cela endosse la conclusion exprimée par l’experte G. Bahar, comme quoi les résultats de l’OÉSR ne sont pas invalidés par le fait qu’un FRS ne porte pas la ceinture de sécurité lorsqu’il est arrêté à une BLR, étant donné qu’il n’y a pas de relation entre le port de la ceinture de sécurité et le risque de collision, les ceintures de sécurité étant un dispositif de sécurité secondaire qui n’empêchent pas une collision de se produire.

[50]             En ce qui concerne les roues sur ou en dehors de la chaussée, la question se pose en lien avec le port de la ceinture de sécurité, à savoir si l’OÉSR a considéré ou plutôt pris en compte la situation où un FRS peut ne pas être en mesure de ranger son véhicule entièrement en dehors la partie carrossable de la route pour livrer le courrier à une BLR donnée. Les deux avocats ont fait valoir qu'en établissant divers intervalles de temps, de lignes de vue et de seuils de débit de circulation, l’OÉSR a effectivement pris en compte le fait qu’un véhicule puisse être rangé sur la route ou en dehors de la route. L’opinion d’expert de G. Bahar confirmait également que [traduction] « [l]’OESR tient compte du fait que le véhicule du FRS peut être garé sur la partie carrossable de la route, obstruant partiellement ou complètement la voie de circulation ». Cette notion est confirmée à répétition dans le document d’ITrans, précité. Par exemple, sous le titre [traduction] « Établissement des exigences des tâches des conducteurs à une BLR », le document indique que les exigences particulières prises en compte sont les suivantes :

[traduction]

− en ce qui concerne les FFRS, le temps nécessaire pour s’intégrer à nouveau dans la circulation à partir d’une position arrêtée, sur ou en dehors de la chaussée. (...) Pour les autres conducteurs qui rencontrent le véhicule du FRS arrêté, le temps nécessaire pour repérer le véhicule arrêté sur la chaussée (...);

− si le véhicule du FRS est arrêté en dehors de la route, et que l’intervalle de 9 secondes, avec une attente maximale de 25 secondes, est satisfait, il n’y a alors pas d’autre facteur à considérer pour le conducteur s’approchant par l’arrière. D’autre part, si le véhicule du FRS est arrêté de sorte qu’il obstrue partiellement ou complètement la voie, la sécurité de la situation dépend en partie de la distance et du temps dont dispose le conducteur qui s’approche à l’arrière pour atteindre le véhicule du FRS arrêté. (...) Afin d’accroître la sécurité des FRS arrêtés qui bloquent partiellement une voie de circulation, ainsi que la sécurité des conducteurs qui s’approchent par l’arrière, une exigence d’intervalle de 11 secondes a été jugée raisonnable.

Il n’y a donc aucun doute que les évaluations effectuées au moyen de l’OÉSR peuvent prendre en considération, et prennent effectivement en considération, le fait qu’il est permis aux véhicules des FFRS d’être arrêtés sur la partie carrossable de la chaussée, sans invalider les résultats des évaluations.

[51]             Ayant examiné tout ce qui précède, et comme je l’ai déjà mentionné, étant d’accord avec la position conjointe de l’appelante et de l’intervenant, je conclus qu'il n'y avait aucun fondement pour la partie de l’instruction qui fait l'objet du présent appel, puisque sur la base d’une évaluation au moyen de l’OÉSR appliquée correctement, ladite évaluation ayant été faite avant le refus réel de travailler à l’origine de l’instruction à l’étude, j'en suis venu à la conclusion qu'il n'y avait aucun danger justifiant un refus de travailler. Comme mesure corrective, l’appelante demande que je modifie d’abord l’instruction de l’agent de SST O’Donnell initiale en retranchant la partie de l’instruction, qui a été désignée en l’espèce comme la deuxième partie, qui se lit comme suit :

De plus, la FRS de Postes Canada Diana Baird, ou toute autre personne, ne peut être autorisée à accomplir cette tâche de livraison du courrier à partir du siège du conducteur par la fenêtre du côté passager, qui oblige le retrait de la ceinture de sécurité, lorsqu'une partie du véhicule se trouve sur la partie carrossable de la route.

[52]             Comme autre mesure corrective, l’appelante demande aussi une autre modification de l’instruction originale, dans laquelle on déclarerait que la livraison à une BLR satisfaisant aux critères d’une évaluation effectuée correctement au moyen de l’OÉSR, peu importe si le FRS peut ou non ranger son véhicule avec les quatre roues en dehors de la route, et peu importe si le FRS porte ou non sa ceinture de sécurité, ne constitue pas un « danger » au sens du Code, mais constitue dans les faits une « condition normale de l’emploi » au titre de l’alinéa 128(2)b) du Code. Pour sa part, l’intervenant demande simplement que l’instruction soit modifiée en retranchant la partie de l’instruction qui fait l’objet de l’appel.

[53]             La notion de « condition normale de l’emploi » est étroitement reliée, pour ne pas dire dérivée, de la hiérarchie des mesures préventives qui se trouvent dans le Code à l’article 122.2, qui établit que « [l]a prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés », couramment appelée la hiérarchie des contrôles. Prenant cela en considération, cette notion de « condition normale de l’emploi » illustre le principe selon lequel le « danger » peut ne pas pouvoir être éradiqué totalement dans certains cas individuels et dans des circonstances particulières, et qu’une fois toutes les mesures préventives possibles prises en vue de veiller à la santé et la sécurité des employés, ce qui reste doit être considéré comme une condition normale de l’emploi, pour laquelle un employé n’a pas le droit de refuser de travailler.

[54]             En l’espèce, l’appelante demande une telle déclaration générale sur la base d’une évaluation correctement effectuée au moyen de l’OÉSR, et non pas une évaluation correctement effectuée relativement à une BLR donnée ou à un itinéraire de FFRS donné, ni relativement à une situation particulière de refus de travailler, et elle voudrait que le soussigné fasse une telle déclaration générale en indiquant que ce serait sans égard au fait que le FRS porte ou non la ceinture de sécurité, une question que j’ai déjà jugée non pertinente pour l’OÉSR. Je suis conscient que, dans d’autres décisions récentes du Tribunal, on a déclaré qu’une fois tous les critères de l’OÉSR satisfaits, le danger résiduel peut être considéré comme une condition normale de l’emploi. D’un point de vue théorique ou de principe, je suis d’accord quant à la possibilité d’une telle déclaration. Toutefois, trois raisons m’empêchent de faire une telle déclaration en l’espèce. Premièrement, lorsque de telles déclarations peuvent avoir été faites dans d’autres affaires, je suis d'avis qu'elles ont été faites à l'égard des faits précis et des circonstances particulières d'une affaire, et non à titre de formulation d’un principe général, ni même d’une conclusion nécessaire, et qu'une telle déclaration générale comme celle qui est demandée par l’appelante, si elle était faite, ne serait pas fondée sur des éléments de preuve. Deuxièmement, en l’espèce, bien que les éléments de preuve indiquent que la RR no 3 de Carp a passé une évaluation correctement effectuée au moyen de l’OÉSR, le fait est que cette évaluation remonte à près de cinq ans, et que je n’ai reçu aucun élément de preuve quant aux conditions actuelles. Troisièmement, à mon avis, une telle déclaration n’est pas nécessaire pour trancher entièrement la question soulevée par l’appel.

Décision

[55]             Pour tous les motifs précités, l’appel est accueilli et l’instruction émise le 25 novembre 2011 par l’agent de SST Michael O’Donnell est modifiée par le retranchement de la dernière phrase de l’instruction. L’instruction se lira maintenant comme elle paraît à l’Annexe I de la présente décision.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

ANNEXE I

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU SOUS-ALINÉA 145(2) (2)a)i)

MODIFIÉE PAR L’AGENT D’APPEL JEAN-PIERRE AUBRE

Le 15 novembre 2011, l’agent de santé et de sécurité Michael O’Donnell a procédé à une enquête à la suite du refus de travailler exercé par Diana Baird, FRS, au lieu de travail exploité par SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 200, Iber Road, Stittsville, Ontario, K2S 0L5, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Société canadienne des postes.

Ledit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail :

Cette enquête a déterminé que la livraison du courrier à 229 boîtes aux lettres rurales (BLR) à partir du siège du conducteur à travers la fenêtre du passager excède le rythme de livraison acceptable de 12,5 livraisons à l’heure* et, par conséquent, l'accomplissement de cette tâche constitue un danger. Le rythme de livraison mesuré révélé par cette enquête est de 46 à l’heure, sur un quart de travail de 8 heures, 5 jours par semaine. Par conséquent, la FRS de Postes Canada Diana Baird, ou toute autre personne autorisée à accomplir cette tâche, doit cesser de le faire immédiatement.

*Réf. : 2010 TSSTC 7, au paragraphe 82

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du sous-alinéa 145 (2)a)i) de la partie II du Code canadien du travail, de modifier immédiatement la tâche qui constitue un danger.

Instruction modifiée à Ottawa, Ontario, ce 31e jour d’octobre 2013.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

À : Société canadienne des postes
     200, Iber Road
     Stittsville (Ontario)
     K2S 0L5

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