2013 TSSTC 36 

Référence : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, défenderesse, 2013 TSSTC 36

 Date : 2013-12-03

 Dossier : 2013-49

 Rendue à : Ottawa

 Entre :

Agence canadienne d’inspection des aliments, demanderesse

et

Alliance de la Fonction publique du Canada, défenderesse

 Affaire : Demande, en vertu du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail, de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité

 Décision : La suspension de la mise en œuvre de l’instruction est accordée

 Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour la demanderesse : M. Michel Girard, avocat, Services juridiques du Conseil du Trésor, Justice Canada

 Pour la défenderesse : M. Jean-Rodrigue Yoboua, agent de représentation, Services juridiques, Alliance de la Fonction publique du Canada

MOTIFS

[1] Ces motifs se rapportent à une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise le 16 août 2013 par Mme Kelly Parkin, agente de santé et de sécurité (agente de SST), laquelle demande a été déposée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) le 13 septembre 2013. Un appel à l’encontre de cette instruction a été déposé à la même date et était accompagné d’une demande qui visait à faire suspendre la mise en œuvre de l’instruction jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu sur l’appel.

Contexte

[2] Le 9 juillet 2013, l’agente de SST Parkin a reçu une plainte déposée par une employée et elle a entrepris une enquête dans un lieu de travail exploité par l’ACIA et situé au 1115-57 Avenue NE, à Calgary (Alberta). À la suite de cette enquête, une instruction a été émise à l’employeur le 16 août 2013 et il y était indiqué que la situation devait être régularisée au plus tard le 3 septembre 2013. L’instruction se lit comme suit :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 9 juillet 2013, l’agente de santé et de sécurité soussignée a entrepris une enquête dans un lieu de travail exploité par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, ce lieu de travail étant situé au 1115 57 Avenue N. E., Calgary (Alberta) T2E 9B2 et parfois désigné comme le bureau de la région de l’Ouest de l’ACIA à Calgary.

Ladite agente de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes :

No. /N° : 1

Alinéa 125.(1)z.16) – Partie II du Code canadien du travail, paragraphe 20.9(3) – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail  

 L’employeur n’a pas pris acte d’allégations de violence dans le lieu de travail qui n’ont toujours pas été examinées et il a aussi omis de nommer une personne compétente pour qu’elle fasse enquête à leur sujet.

Il vous est donc ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, conformément à l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à cette contravention au plus tard le 3 septembre 2013.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par l’agente de santé et sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Calgary (Alberta) le 16e jour d’août 2013.

[…]

[3] Une audience par téléconférence a eu lieu le 31 octobre 2013, et les représentants des parties, l’agente de SST Parkin et l’employée qui a fait la plainte à l’agente de SST y ont participé. L’agente de SST Parkin a pris part à l’audience à ma demande.

[4] Le 1er novembre 2013, j’ai rendu ma décision et j’ai accueilli la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction et les parties en ont été informées par écrit le même jour. Voici les motifs à l’appui de ma décision.

[5] Le pouvoir d’un agent d’appel d’accorder une suspension découle du paragraphe 146(2) du Code, qui se lit comme suit :

À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employée ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[6] Afin de rendre une décision à propos de la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction, j’ai appliqué les trois critères suivants, dont l’énoncé avait été envoyé aux parties avant l’audience :

1) La demanderesse doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.

2) La demanderesse doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causera un préjudice important.

3) Le demanderesse doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension était accordée, des mesures seraient mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[7] Les deux parties ont convenu que la question soulevée était une question sérieuse.

[8] La demanderesse a souligné que les renseignements contradictoires contenus dans les lettres des deux médecins qui traitaient l’employée ayant fait la plainte représentaient une question sérieuse. Ces deux lettres ont été fournies à l’employeur par l’employée, la deuxième ayant été transmise le jour de l’audience sur la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction, soit le 31 octobre 2013. La demanderesse soutient que même si le premier médecin, un psychiatre, a avancé que l’employée n’était pas apte à participer à un processus administratif dans la mesure où elle ne pouvait pas assumer adéquatement sa propre représentation en raison de sa maladie, le deuxième médecin, un généraliste, a quant à lui affirmé qu’elle avait cette capacité. Outre ces opinions contradictoires, la demanderesse a relevé le caractère vague des allégations de violence dans un lieu de travail afin de démontrer que la question litigieuse est une question sérieuse.

[9] La défenderesse souscrit à l’opinion de la demanderesse sur le sérieux de la question à juger et cite à cet égard le fait que des allégations de violence dans un lieu de travail n’avaient pas fait l’objet d’une enquête.

[10] Comme j’estime que la question litigieuse est hors de tout doute sérieuse, j’en arrive donc à la conclusion que ce premier critère a été satisfait.

La demanderesse subirait-elle un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue?

[11] Le principal argument présenté par la demanderesse en réponse à cette question veut que si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue, l’employeur en serait réduit à composer avec des opinions contradictoires données par deux médecins différents, ce qui représenterait pour lui un risque substantiel de responsabilité à l’égard de l’état de santé de l’employée. Plus précisément, le psychiatre a clairement statué que l’employée en cause ne devrait participer à aucun processus administratif alors que l’autre médecin, un généraliste, a émis l’opinion contraire. La demanderesse soutient également qu’en raison du fait que l’employée est en congé de maladie depuis octobre 2010, l’employeur n’est pas en mesure de compléter le processus exigé par l’agente de SST pour se conformer aux dispositions du paragraphe 20.9(3).

[12] En plus de cet argument, la demanderesse avance que les allégations de violence dans un lieu de travail sont vagues et ne sont accompagnées d’aucun détail quant à quels actions, gestes ou menaces étaient considérés comme violents. À mon avis, cet argument concerne davantage le fonds de l’appel que la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction

[13] La défenderesse affirme que les renseignements fournis par les deux médecins n’étaient pas contradictoires. Elle estime plutôt qu’il y a deux processus, à savoir, d’une part, celui institué en vertu du paragraphe 20.9(3), lequel prévoit que l’on doit nommer une personne compétente pour qu’elle enquête au sujet d’allégations de violence dans un lieu de travail qui n’ont pas été examinées et, d’autre part, le processus de harcèlement à l’interne à l’ACIA. Selon la défenderesse, l’employée était en mesure de participer au processus décrit au paragraphe 20.9(3), car celui-ci lui occasionnerait moins de stress, et cela explique ce que le généraliste a indiqué dans sa lettre, alors que le processus de harcèlement à l’interne aurait un effet aggravant sur son état de santé.

[14] J’ai demandé à la défenderesse si l’employée se faisait toujours traiter par le psychiatre depuis l’envoi de la première lettre. Le représentant de la défenderesse n’a pu me répondre, mais l’employée ayant fait la plainte est intervenue et m’a déclaré qu’elle consultait toujours le psychiatre.

[15] De plus, j’ai interrogé l’agente de SST Parkin à propos de l’existence d’allégations de violence dans un lieu de travail et je lui ai demandé si elle pouvait me donner des précisions au sujet de ce qu’elle avait indiqué dans son instruction. Elle a confirmé que la situation persistait, mais qu’elle n’était pas en mesure d’en dire plus à ce sujet et a elle aussi déclaré que les allégations citées dans son instruction ne figuraient pas dans le rapport qu’elle a présenté au Tribunal.

[16] Après avoir tenu compte des lettres des médecins, j’abonde dans le sens de la demanderesse lorsqu’elle affirme que ces lettres contiennent des avis médicaux contradictoires. Je crois que si la demanderesse donnait suite à l’instruction de l’agente de SST Parkin, dans l’attente du jugement de l’affaire sur le fond, et qu’elle nommait donc une personne compétente pour qu’elle enquête à propos des allégations de l’employée concernant de la violence dans un lieu de travail, cela contraindrait ladite employée à participer à un processus alors que cela lui a été déconseillé par le psychiatre. Par conséquent, l’employeur pourrait être déclaré coupable de ne pas avoir respecté l’avis médical du psychiatre si l’état de santé de l’employée empirait à cause du processus d’enquête. L’employée faisait une thérapie avec le psychiatre au moment de l’audience sur la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction et c’est pourquoi j’estime que l’opinion de ce dernier a préséance sur celle du médecin généraliste.

[17] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’employeur subirait un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’était pas suspendue. Je suis donc convaincu que le deuxième critère a été respecté.

Quelles mesures seront prises pour protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise sur le lieu de travail si la demande de suspension de la mise en œuvre est accueillie?

[18] La demanderesse affirme que cette question n’est pas pertinente étant donné que l’employée est absente du lieu de travail depuis plus de trois ans.

[19] La défenderesse n’a fait aucune observation à ce sujet.

[20] Compte tenu du fait que l’employée impliquée est absente du lieu de travail en ce moment, je suis convaincu que sa sécurité sera préservée en attendant que l’appel soit jugé définitivement, et j’en conclus donc que ce critère a été respecté.

Décision

[21] Pour tous les motifs précités, la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction émise par l’agente de SST Parkin le 16 août 2013 est accueillie en attendant que l’appel soit jugé sur le fond de manière définitive.

Michael Wiwchar
Agent d’appel

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