2013 TSSTC 37 

Référence : Lower Lakes Towing Ltd. 2013 TSSTC 37

Date : 2013-12-18
Dossier : 2012-89
Rendue à : Ottawa

Entre :

Lower Lakes Towing Ltd., appelant

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité.

Décision : L’instruction est modifiée.

Décision rendue par : M. Michael McDermott, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : M. Marc D. Isaacs, avocat, Isaacs & Co.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]             . La présente décision concerne un appel déposé aux termes du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise par l’agent de santé et de sécurité (l’agent de SST) David Louden le 23 novembre 2012, le tout en application du paragraphe 145(1) du Code. L’appelant est Lower Lakes Towing Ltd., de Port Dover (Ontario). Il n’y a pas de partie intimée. Une demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction a été rejetée avec motifs à l’appui le 9 avril 2013. (2013 TSSTC 14).

Contexte

[2]             L’instruction en cause a été émise par l’agent de SST à la suite de l’inspection d’un lieu de travail exploité par l’appelant. Plus précisément, ce lieu de travail est le navire à moteur (NM) Manitoba, lequel était ancré au moment de l’inspection à un terminal céréalier situé à Thunder Bay, en Ontario. L’agent de SST en est arrivé à la conclusion que certaines dispositions du Code avaient été enfreintes, et c’est en application de l’alinéa 145(1)a) qu’il a émis des instructions à l’employeur pour qu’il mette fin à ces contraventions au plus tard le 15 mars 2013; il l’a aussi sommé, en application de l’alinéa 145(1)b), de voir à ce que ces contraventions ne se poursuivent pas ou ne se répètent pas.

[3]             Seulement la deuxième contravention citée dans l’instruction comportant trois parties a été désignée par l’appelant en tant qu’objet de son appel. La description de cette contravention se lit comme suit :

2. Alinéa 125(1)a) de la partie II, alinéa 10b) du RSSTMM et paragraphe 224(1) de la partie X du Règlement sur la construction de coques

Les locaux d’habitation de l’équipage sur le pont du gaillard ne disposent pas de deux moyens d’évacuation distincts requis. L’escalier enlevé entre le pont du gaillard et le pont Texas (le pont porteur principal) doit être réinstallé ou une mesure de remplacement installée. L’utilisation de hublots en tant que moyen d’évacuation ne répond pas aux exigences du règlement.

À titre informatif, le paragraphe 125(1) du Code et l’alinéa a) de ce paragraphe se lisent comme suit :

125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

a) de veiller à ce que tous les ouvrages et bâtiments permanents et temporaires soient conformes aux normes réglementaires;

L’alinéa 10b) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime (RSSTMM) fait état des règlements pris en vertu de l’autorité habilitante du Code et il se lit comme suit :

10. L’employeur veille à ce que la conception et la construction de toutes les structures d’un bâtiment respectent les exigences énoncées dans au moins un des règlements suivants :

b) le Règlement sur la construction de coques;

Le Règlement sur la construction de coques (RCC) a été établi en vertu de l’autorité habilitante de la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC). La partie X du RCC traite de la protection contre l’incendie des navires de charge d’une jauge brute de 500 tonneaux ou plus, et le paragraphe 224(1) de cette partie se lit comme suit :

224(1) Les locaux d’habitation et les locaux où l’équipage est normalement appelé à travailler, à l’exception des locaux des machines, doivent comporter au niveau de chaque pont au moins deux moyens distincts d’évacuation conformes aux exigences suivantes :

(a) les deux moyens d’évacuation doivent être séparés le plus possible l’un de l’autre afin d’empêcher qu’ils soient bloqués tous les deux en même temps au moment d’un incident;

(b) au moins un des moyens d’évacuation ne doit pas exiger le passage par des portes étanches;

(c) au-dessous du pont continu le plus élevé, l’un des moyens d’évacuation doit être un escalier et l’autre doit être soit un puits, soit un escalier, et les deux moyens doivent donner directement accès à un autre moyen sur le pont situé au-dessus;

(d) au-dessus du pont continu le plus élevé et sur ce pont, chaque moyen d’évacuation doit être un escalier, une porte ou une combinaison des deux, et il doit donner directement accès à un pont découvert et, de là, aux embarcations ou aux radeaux de sauvetage; et

(e) lorsque des escaliers font partie du moyen d’évacuation, ils doivent être suffisamment larges pour convenir au nombre de personnes qui les empruntent en cas d’urgence.

[4]             Le NM Manitoba est décrit comme un navire de charge des Grands Lacs dont la jauge approche les 11 000 tonneaux. Il a été construit en 1966 et exploité sous divers noms par différents propriétaires depuis lors. Rand Logistics en a fait l’acquisition en 2011 et l’exploite par l’entremise de sa filiale Lower Lakes Towing Ltd., l’employeur aux fins du Code. Les questions ayant amené l’agent de SST à émettre l’instruction faisant l’objet de l’appel concernent le pont du gaillard sur lequel une porte externe permet à l’équipage d’accéder aux locaux d’habitation, aux cabines et aux chambres. Cet agent a mentionné qu’il avait détecté [traduction] « des signes lui indiquant qu’il y avait déjà eu un escalier intérieur à cet endroit et qu’il menait au pont suivant (le pont porteur principal). » Comme cet escalier a été enlevé, l’agent de SST en est arrivé à la conclusion que le pont du gaillard ne comportait plus les deux moyens d’évacuation distincts exigés en vertu du Règlement. L’instruction visée par l’appel prévoit que cet escalier doit [traduction] « être réinstallé ou une mesure de remplacement installée. » L’agent de SST Louden a d’abord discuté de cette question avec les représentants de l’employeur à la suite d’inspections du navire effectuées en novembre et en décembre 2011. Il précise que les suggestions qu’il a faites à l’employeur relativement à une éventuelle promesse de conformité volontaire (PCV) n’ont pas porté leurs fruits en ce qui concerne la question des moyens d’évacuation. L’instruction a été émise subséquemment à une autre inspection réalisée le 22 novembre 2012, à l’occasion de laquelle l’agent de SST a constaté qu’aucune mesure corrective n’avait été prise et confirmé ce qu’il pensait déjà, à savoir que les hublots du pont du gaillard étaient de diamètre trop petit pour servir de moyens d’évacuation.

[5]             Durant l’année qui s’est écoulée entre les premières visites d’inspection effectuées par l’agent de SST et l’émission de l’instruction visée par l’appel, il y a eu des interactions pertinentes au regard du contexte de l’appel. Par exemple, M. Walter Stewart, surintendant de l’ingénierie à Lower Lakes Towing Ltd., et M. Michael Dua, gestionnaire, Inspection maritime et services de sécurité du district de Sarnia (Ontario) de Transports Canada, ont entretenu une correspondance. Au début, M. Dua a répondu à un courriel que lui avait envoyé M. Stewart le 30 janvier 2012 afin de lui demander conseil au sujet de la PCV proposée par l’agent de SST, et il s’agit de l’un des événements ayant mené à l’émission de l’instruction. Dans sa réponse envoyée le même jour, M. Dua indique ce qui suit : [traduction] « [L]e navire a été examiné en mai 1982 afin d’établir s’il était conforme aux dispositions de l’annexe B des recommandations relatives au Cartiercliffe Hall. À l’époque, TC avaient donné des directives aux propriétaires pour qu’ils installent des barres d’appui dans les allées des fenêtres latérales de cabines à titre de deuxième moyen d’évacuation. Cet élément peut donc être supprimé de l’avis de défectuosité. »

[6]             On peut lire dans une autre correspondance interne de Transports Canada qui se retrouve dans le dossier de l’agent de SST qu’un autre responsable ministériel de l’analyse de la réglementation s’est demandé si M. Dua avait l’autorité nécessaire pour donner de tels conseils. De plus, l’agent de SST Louden a continué de rejeter l’opinion et les conseils de M. Dua (qui suggérait que l’on rectifie le problème d’aménagement) et les 1er et 2 février 2012, il a communiqué par courriel avec M. Dua afin de lui expliquer qu’il estimait que les hublots avaient des limites en tant que moyens d’évacuation sécuritaires, et qu’il privilégiait plutôt des escaliers ou des portes menant à un pont découvert, ce qui, selon lui, correspondait à [traduction] « l’approche conventionnelle standard pour établir deux moyens d’évacuation partout dans le monde. » (Les recommandations relatives au Cartiercliffe Hall ont été faites dans la foulée d’une enquête sur un incendie survenu en 1979 à bord de ce vraquier des Grands Lacs et qui a entraîné la destruction des espaces d’habitation de l’équipage ainsi que des décès.)

[7]             Un rapport d’inspection concernant le NM Manitoba et délivré à Lower Lakes Towing Ltd. par la région de l’Ontario de la Sécurité maritime de Transports Canada le 29 août 2012 est un autre exemple cité par l’appelant lors de la procédure de suspension à titre de preuve du fait que le navire a subi avec succès au fil du temps les inspections de sécurité annuelles exigées par Transports Canada et qu’un certificat d’exploitation a été émis pour le NM Manitoba pour chaque saison de navigation. Ce document, signé pour le directeur régional par M. Dua, visait à répondre à une demande faite par les propriétaires du navire pour qu’il soit inscrit au Programme de délégation des inspections obligatoires (PDIO), et l’appelant maintient que cette demande aurait été rejetée si des problèmes de sécurité avaient été recensés.

Le Bureau d’examen technique en matière maritime

[8]             Le mandat du Bureau d’examen technique en matière maritime (BETMM) est pertinent au regard de la procédure d’appel en raison d’une décision qui a été publiée le 12 août 2013 et qu’il a rendue afin de répondre à une demande de l’appelant. Il est donc utile d’expliquer en quoi consistent ce mandat et ses modalités d’exécution. La mise sur pied du BETMM est prévue au paragraphe 26(1) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC). Ce paragraphe se lit comme suit :

26(1) Est constitué, pour assurer la sûreté du secteur de la navigation maritime, le Bureau d’examen technique en matière maritime chargé de décider des demandes d’exemption d’une exigence réglementaire à l’égard d’un bâtiment canadien ou de la délivrance d’un document maritime canadien à une personne ou des demandes de remplacement d’une telle exigence, à l’exception d’une exigence relative aux droits.

D’autres paragraphes de l’article 26 prévoient la nomination, par le ministre des Transports, du président, du vice-président national et d’au plus cinq vice-présidents régionaux, qui doivent tous être des employés de Transports Canada et posséder une expertise en matière maritime. L’article 27 traite de la constitution de formations qui entendront et jugeront les demandes, alors que l’article 28 énonce les modalités de présentation d’une demande d’exemption ou de remplacement au Bureau, et la façon dont les formations doivent statuer au sujet de ces demandes. Le paragraphe 28(4) porte directement sur les questions soulevées dans le cadre du présent appel et il se lit comme suit :

28(4) Si elle est convaincue que l’exemption ou le remplacement est dans l’intérêt public et ne risque pas de compromettre la sécurité maritime ou de mettre en danger le milieu marin et, dans le cas d’une exigence ayant trait à la sécurité, que le remplacement résulterait en un niveau de sécurité équivalent ou supérieur, la formation saisie de la demande y fait droit sous réserve des conditions et pour la période qu’elle estime indiquées.

[9]             L’appelant m’a mentionné que le BETMM a succédé au Bureau d’inspection des navires à vapeur. En février 1982, afin d’établir des équivalences pour les recommandations faites à la suite de l’enquête sur le Cartiercliffe Hall, le Bureau d’inspection des navires à vapeur a approuvé la publication de normes de protection contre les incendies à bord des navires de charge d’une jauge brute de 2000 tonneaux et plus. Ces normes étaient énoncées dans un document préparé par la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne, qui était alors l’autorité compétente. Ce document comportait deux annexes où étaient décrites diverses approches que l’on pouvait mettre en œuvre pour assurer l’application des normes. La décision no 10818 du BETMM a été publiée le 12 août 2013, elle vise expressément le NM Manitoba et elle est valide pour toute la durée de vie de ce navire. Elle se lit en partie comme suit :

Cette décision du Bureau d’examen technique en matière maritime autorise le Manitoba à opérer d’une façon non conforme aux paragraphes 3(10), 3(11) et 3(12) du Règlement sur la construction de coques, si :

CONDITIONS

a. Le bâtiment est conforme aux recommandations relatives au Cartiercliffe Hall et aux ententes conclues en 1981 et en 1982, entre l’inspecteur désigné de Transports Canada et les propriétaires du bâtiment à l’époque, en ce qui concerne l’étanchéité au feu des ouvrages et les issues de secours dans les locaux d’habitation à l’avant et à l’arrière.

Résumé de la preuve

[10]             Une audience relative à cet appel a eu lieu à Toronto (Ontario) les 20 et 21 août 2013. En plus de l’agent de SST Louden, tant M. Stewart que M. Dua ont témoigné. Les principaux points soulevés dans le cadre de ces témoignages et dont j’ai tenu compte sont présentés dans les paragraphes qui suivent.

[11]             Pour l’essentiel, l’agent de SST Louden a présenté de nouveau le résumé narratif de conclusions qu’il avait soumis au Tribunal à titre de rapport sur le cas accompagné de pièces de correspondance justificatives. En ce qui concerne les rôles qu’il assume comme inspecteur de la sécurité maritime en application de la LMMC et comme agent de SST aux termes du Code, l’agent Louden a déclaré qu’au moment où il effectue une inspection, il indique aux parties concernées à quel titre il le fait. Dans le cadre d’un contre-interrogatoire approfondi, il a continué de soutenir que son instruction avait été correctement émise aux termes du Code et du RSSTMM. L’agent de SST Louden a constamment réaffirmé qu’il estimait que le NM Manitoba ne répondait pas aux exigences découlant du RCC en ce qui concerne l’établissement de deux moyens d’évacuation; il a indiqué qu’il considérait que le diamètre des hublots du pont du gaillard était plutôt petit et que ces hublots ne constituaient donc pas un moyen d’évacuation sécuritaire; et il a insisté pour dire que la décision du BETMM n’avait pas préséance sur le Code et ses règlements.

[12]             Même si l’agent de SST Louden a confirmé qu’il n’avait pas consulté certains documents avant d’émettre l’instruction, dont, notamment, une entrée de données courante dans un rapport effectuée en date du 12 avril 1985 et qui révélait que le navire, de type c1, était conforme à l’annexe b) des normes de la Garde côtière, il a rejeté avec fermeté l’insinuation de l’appelant selon laquelle il n’avait effectué aucune recherche pertinente. Lorsqu’on l’a invité à expliqué pourquoi il avait refusé d’annuler son instruction lorsqu’un cadre supérieur de Transports Canada lui a dit qu’on avait constaté que le NM Manitoba était conforme aux modalités énoncées dans la décision du BETMM datée du 12 août 2013, et que l’appelant avait par ailleurs pris les arrangements nécessaires pour appliquer les dispositions du RSSTMM, l’agent de SST Louden a rétorqué qu’il avait demandé qu’on lui communique le raisonnement fondant ce constat et qu’il n’avait reçu aucune réponse à ce sujet.

[13]             M. Stewart a témoigné à titre de surintendant de l’ingénierie de Lower Lakes Towing Ltd. Ce qu’il avait compris, a-t-il dit, c’était qu’on avait fini par aménager le navire de manière à ce que l’escalier du pont du gaillard qui allait jusqu’à la timonerie sur le pont porteur principal soit bloqué afin de pouvoir installer des toilettes pour les membres de l’équipage qui étaient en poste. Il croit que c’est au même moment que l’on a installé les barres d’appui externes au-dessus des hublots latéraux à tribord afin de faciliter leur utilisation en tant que moyens d’évacuation. Afin d’étayer sa déclaration selon laquelle le dossier de sécurité du navire était très positif, M. Stewart a cité les examens que l’entreprise avait effectués elle-même ou par l’entremise d’un tiers en 2011 lorsqu’elle avait acheté le navire et qu’elle l’avait rebaptisé « NM Manitoba ». Aucun problème de conformité n’avait été recensé à l’époque et M. Stewart maintient qu’aucun problème de ce genre n’a été relevé dans le cadre d’inspections subséquentes réalisées par Transports Canada aux termes de la LMMC et de son règlement. M. Stewart savait aussi que des données courantes avaient été entrées dans un rapport en avril 1985 (voir le paragraphe précédent) et qu’on avait constaté que cette entrée révélait que le navire répondait aux normes de l’annexe b) à ce moment-là. Lorsqu’on l’a questionné, il a reconnu qu’aucun problème ne lui avait été signalé au sujet des deux moyens d’évacuation exigés pour les navires aménagés de façon comparable avant que l’agent de SST Louden ne commence à s’occuper de l’affaire en cause. M. Stewart a déclaré lors de son témoignage que l’on effectue des exercices d’évacuation d’urgence à bord du NM Manitoba et que cela comprend des évacuations par les hublots.

[14]             Tel que noté plus haut, M. Dua est gestionnaire aux services d’inspection maritime du district de Sarnia de Transports Canada. Au sein d’une hiérarchie qu’il qualifie de comprimée, chaque directeur de district, y compris le directeur à Thunder Bay, relève du directeur de la région de l’Ontario. M. Dua a toutefois indiqué qu’il s’occupait aussi des services consultatifs pour la sécurité maritime et la santé et la sécurité au travail sur le plan régional, même s’il a précisé qu’il n’avait pas été désigné comme agent de santé et de sécurité au travail aux termes du Code. Toujours en ce qui concerne les structures administratives pertinentes, M. Dua a noté que l’organisation du gouvernement avait été modifiée dans les années 1990, de sorte que la Garde côtière avait été mutée à un autre ministère alors que les services d’inspection maritime étaient demeurés à Transports Canada.

[15]             M. Dua a confirmé que les navires immatriculés au Canada sont inspectés tous les ans. Il a reconnu que le NM Manitoba naviguait tel qu’il est aménagé actuellement depuis 1982 sans qu’aucune défectuosité majeure, y compris en ce qui concerne les moyens d’évacuation distincts, n’ait été relevée depuis cette année-là. En ce qui a trait à l’enquête sur le Cartiercliffe Hall, M. Dua a expliqué qu’à la suite de la publication des recommandations, on s’est demandé comment on allait gérer le cas des navires qui nécessitaient d’importantes et coûteuses modifications pour répondre aux normes en matière de conformité. Les consultations réalisées à l’époque ont mené à l’établissement de normes d’équivalence citées au paragraphe 9 plus haut. M. Dua a dit qu’il était indiqué au dossier que quatre personnes avaient effectué l’inspection du NM Mantadoc, qui est devenu par la suite le NM Manitoba. En ce qui concerne cette inspection, M. Dua a précisé que les modifications avaient été autorisées pour des raisons touchant à la sécurité afin d’éliminer la possibilité que de la fumée monte jusqu’à la timonerie lors d’un incendie sur le pont du gaillard. Il semblerait que l’installation de toilettes pour l’équipage de la timonerie ait été un avantage secondaire lié aux modifications plutôt que leur objet premier, tel que l’a indiqué M. Stewart. L’ajout de barres d’appui aux hublots visait à compenser la suppression de l’un des deux moyens d’évacuation. Des photographies des hublots du NM Manitoba ont été déposées et révèlent que le diamètre des hublots est d’environ 19 pouces. Sur deux de ces photos, on voit Barry Cull, un expert maritime principal de Transports Canada, qui parvient à sortir par un hublot, et ce, rapidement, selon ce qu’on ma dit.

[16]             Lorsqu’on l’a interrogé sur l’obligation de marquer les hublots en conformité avec les règlements et d’indiquer la route d’accès par des signes, M. Dua a établi une distinction entre les trappes de sortie d’urgence et les moyens d’évacuation secondaires. Les photographies déposées montrent entre autres des trappes permettant de s’échapper des ponts inférieurs, c’est-à-dire de [traduction] « s’échapper vers le haut » plutôt que [traduction] « vers l’avant », pour utiliser les mêmes expressions que M. Dua. Selon ce dernier, les hublots du pont du gaillard du NM Manitoba qui sont munis de barres d’appui servent de moyens d’évacuation secondaires et il n’est pas obligatoire qu’ils soient marqués et indiqués par des signes, contrairement aux trappes de sortie d’urgence.

[17]             Lorsque l’avocat de l’appelant l’a questionné, M. Dua était d’accord pour dire qu’aux termes de la décision rendue par le BETMM le 12 août 2013, le NM Manitoba n’était pas assujetti aux modalités de conformité du paragraphe 3(12) du RCC et qu’il ne contrevenait donc pas au paragraphe 224(1) de ce même règlement. Il a déclaré qu’environ 25 autres navires aménagés de manière semblable au NM Manitoba sont toujours en exploitation et qu’aucune instruction n’a été émise contre ces navires aux termes du Code.

Question en litige

[18]             La question en litige visée par le présent appel est celle de savoir si l’agent de SST Louden était fondé à émettre une instruction dans laquelle il déclarait que l’employeur, Lower Lakes Towing Ltd., avait enfreint les dispositions de l’alinéa 125(1)a) du Code, de l’alinéa 10b) du RSSTMM et du paragraphe 224(1) du RCC.

Observations de l’appelant

[19]             L’appelant a présenté des arguments écrits se rapportant expressément au présent appel à la fin de l’audience ainsi que d’autres observations écrites qui portaient aussi sur le présent appel et sur un autre concernant un autre navire appartenant à Lower Lakes Towing Ltd. et qui a été entendu au même moment. Les observations contiennent des arguments relatifs à la crédibilité de l’agent de SST. Tant les arguments que les observations traitent du fond et des fondements juridiques du présent appel.

[20]             En ce qui concerne l’agent de SST Louden, l’appelant s’est lancé dans une dénonciation de sa crédibilité et de ses intentions. Sans reprendre tous les détails, je note les allégations voulant que l’agent de SST ait omis d’effectuer une enquête complète et qu’il n’ait pas suffisamment tenu compte de preuves tendant à démontrer que les moyens d’évacuation dont est doté le pont du gaillard du NM Manitoba ne contreviennent pas à la règlementation applicable. À cet égard, l’appelant affirme que l’agent de SST a omis de consulter et d’écouter des collègues compétents à Transports Canada qui ont soutenu que l’aménagement des moyens d’évacuation du pont du gaillard était acceptable. Le fait que l’agent de SST a préparé son rapport narratif sommaire seulement après que le Tribunal le lui eut demandé est cité en tant que preuve démontrant qu’il n’a pas pris de notes ni établi de documents au moment où les événements en cause sont survenus. En fin de compte, l’appelant allègue que l’agent de SST Louden a fait montre de partialité en s’attardant de façon excessive au cas du NM Manitoba et en refusant de remettre en question sa vision des choses alors que des collègues de rang supérieur lui présentaient des contre-arguments.

[21]             En ce qui concerne le fond de l’appel et la question des moyens d’évacuation, l’appelant reconnaît que même si l’on a ajouté des barres d’appui externes aux hublots des cabines situées à tribord sur le pont du gaillard du NM Manitoba et qu’on dispose donc depuis lors de plus que deux voies d’évacuation, [traduction] « cet aménagement est, techniquement parlant, non conforme au RCC, lequel, dans sa forme actuelle, exige deux ‘portes’. » L’appelant soutient ensuite que le NM Manitoba était [traduction] « visé par une ordonnance d’exemption fondée sur une équivalence approuvée par le gouvernement » et que cela avait mené à l’établissement d’une instruction [traduction] « dénuée de fondement juridique ».

[22]             Afin d’étayer cet argument, l’appelant cite les dispositions du RCC touchant à l’application de ce règlement, plus particulièrement les paragraphes 3(10) et 3(11) ainsi que l’alinéa 3(12)c), lesquels concernent l’application de la partie X et dont les passages pertinents se lisent comme suit :

(10) Sous réserve des paragraphes (11) et (12), la partie X s’applique

a) à tout navire neuf, au sens de la partie X, qui est un navire de charge d’une jauge brute égale ou supérieure à 500 tonneaux, mais qui n’est pas un navire-citerne ni un transporteur mixte, au sens de la partie IX; et

b) à tout navire existant, au sens de la partie X, qui est un navire de charge d’une jauge brute égale ou supérieure à 2 000 tonneaux.

(11) Sauf dans les cas prévus au paragraphe (12), les navires existants d’une jauge brute égale ou supérieure à 2 000 tonneaux doivent satisfaire aux exigences des parties IX ou X, selon le cas, au plus tard le 1er avril 1985.Footnote 1 

(12) Les navires existants d’une jauge brute égale ou supérieure à 2 000 tonneaux doivent, au plus tard le 1er juillet 1983, satisfaire aux exigences des parties IX ou X, selon le cas, en ce qui concerne

c) les moyens d’évacuation

[23]             Après avoir cité les dispositions pertinentes du RCC concernant son application, l’appelant cite également les dispositions de la LMMC relatives au pouvoir qu’a le MTRB d’accorder des exemptions et de déterminer des équivalences, et il soutient qu’une exemption vise actuellement le NM Manitoba. Il affirme que cette exemption découle de la décision rendue par le BETMM le 12 août 2013, laquelle est citée au paragraphe 9 plus haut et en vertu de laquelle on a accordé une autorisation d’opérer le navire d’une façon non conforme aux paragraphes 3(10), 3(11) et 3(12) du RCC, et ce, à condition qu’il soit conforme aux recommandations relatives au Cartiercliffe Hall et aux ententes conclues en 1981 et en 1982 entre l’inspecteur désigné de Transports Canada et les propriétaires du navire à l’époque. L’autorisation d’opérer le navire de façon non conforme à ces paragraphes du RCC a pour effet de soustraire le navire, soutient-on, à l’application de l’article 224 de ce règlement et, implicitement, à l’obligation d’appliquer les dispositions du paragraphe 224(1) en ce qui concerne les moyens d’évacuation.

[24]             En effet, l’appelant ne conteste pas le fait que l’alinéa 125(1)a) du Code renvoie, en l’espèce, aux normes prescrites à l’alinéa 10b) du RSSTMM, lequel renvoie lui-même au paragraphe 224(1) du RCC. Quoi qu’il en soit, comme l’article 224 du RCC ne s’applique pas au NM Manitoba en vertu de l’exemption, une instruction fondée sur l’applicabilité de cet article n’a donc pas de fondement juridique et elle ne peut être appliquée et doit être annulée.

Analyse

[25]             Avant de traiter de la principale question en litige, je crois qu’il serait juste que je commente les critiques faites par l’avocat de l’appelant au sujet de la crédibilité et des motivations de l’agent de SST, lesquelles sont, à mes yeux, quelque peu excessives. Premièrement, je ne suis pas d’accord avec lui lorsqu’il affirme que l’agent de SST Louden a été nommé à ce poste à titre secondaire et que cela laisse entendre qu’il est un subordonné. Il s’agissait peut-être d’une deuxième nomination ou, encore mieux, d’une nomination concurrente et cela décrit mieux le statut d’un agent de SST travaillant aux côtés d’un inspecteur de la sécurité maritime. Quant au fait que l’agent de SST n’a pas pris de notes ni établi de documents au moment où les événements en cause sont survenus, même s’il arrive plus fréquemment, selon mon expérience, que les agents de SST rédigent leurs rapports narratifs sans tarder lorsqu’ils observent des contraventions et émettent des instructions, il n’en reste pas moins que le dossier de l’agent Louden contient de la correspondance contemporaine portant sur la teneur de ses conclusions et sur leurs fondements. Il est donc exagéré de dire qu’il n’a tenu aucun dossier.

[26]             En ce qui concerne l’allégation voulant que l’agent de SST eut omis de consulter et d’écouter des collègues compétents de Transports Canada qui avaient des points de vue différents sur la question des moyens d’évacuation, on ne m’a guère fourni de preuves qui auraient pu servir à démontrer que les collègues en question étaient disposés à parler directement à l’agent de SST Louden. En particulier, il semblerait que M. Dua ait pour sa part décidé d’indiquer à l’agent de SST Louden que [traduction] « cet élément [pouvait] être supprimé de l’avis de défectuosité », et ce, en lui faisant parvenir une copie conforme du courriel qu’il a transmis à M. Steward le 30 janvier 2012. Il n’existe aucun registre qui aurait permis de démontrer que l’on avait consulté l’agent de SST Louden avant que ce message ne soit envoyé, alors que c’est lui qui était responsable de ce dossier et que l’on aurait donc dû, selon moi, le consulter. D’autres exemples semblables se trouvent dans le dossier et révèlent que l’agent de SST Louden ne recevait que des copies des courriels en cause et qu’on ne s’adressait pas à lui directement. Il y a aussi les courriels qu’il a lui-même envoyés à M. Dua les 1er et 2 février 2012, respectivement, et dans lesquels il exprime ses inquiétudes en détail. Rien n’indique dans le dossier que l’on ait répondu à l’agent de SST Louden et quoi qu’il en soit, il appert que l’on ait fait peu de cas de ses préoccupations. Je continue de me demander qui a omis de consulter qui.

[27]             En ce qui a trait à la principale question en litige, je trouve que les observations de l’appelant sont convaincantes pour ce qui est du fait que l’émission de l’instruction visée par l’appel n’était pas justifiée d’un point de vue juridique. Compte tenu des dispositions du paragraphe 224(1) du RCC, je suis d’accord pour dire que l’aménagement du pont du gaillard du NM Manitoba n’est pas conforme, techniquement parlant, en ce qui a trait aux deux moyens d’évacuation exigés. Toutefois, je considère aussi qu’en raison de l’exemption accordée à l’égard du NM Manitoba pour ce qui est de l’application de cette exigence, laquelle exemption était fondée sur une décision qui prévoyait l’attribution d’une équivalence dûment autorisée, l’instruction est inapplicable. La décision 10818 rendue par le BETMM en date du 12 août 2013 a pour effet d’autoriser cette exemption, le tout à condition que des mesures soient prises pour que le navire devienne conforme aux recommandations relatives au Cartiercliffe Hall et aux arrangements intervenus en 1981 et en 1982 entre l’autorité compétente et ses propriétaires à ce moment.

[28]             Certains doutes préoccupants subsistent relativement à des questions telles que l’énigme sémantique posée par M. Dua quant à la description exacte d’une trappe de sortie d’urgence (selon M. Dua, une telle trappe ne peut plus être considérée comme une trappe de sortie d’urgence dès lors qu’elle constitue un moyen d’évacuation secondaire) ou le recours à un hublot de taille universelle. Quoi qu’il en soit, la preuve m’ayant été présentée m’indique que l’aménagement du NM Manitoba approuvé par l’autorité compétente au début des années 1980 n’a pas été modifié depuis. De plus, on m’a remis de la preuve documentaire à jour provenant de cadres supérieurs de la Direction générale de la sécurité maritime de Transports Canada à l’effet que [traduction] « les moyens d’évacuation du navire sont conformes à toutes les modalités énoncées dans la décision 10818 du BETMM. » Cette opinion provenant de l’autorité compétente actuelle confirme que les conditions énoncées dans la décision du BETMM ont été respectées.

[29]             L’instruction visée par l’appel fait état d’une contravention prévue au Code et dans le RSSTMM et qui ne produit son effet qu’à compter du moment où l’on applique le paragraphe 224(1) du RCC. L’appelant affirme que dans la mesure où l’on a soustrait le NM Manitoba à l’application de l’article 224 du RCC, l’instruction n’a pas de fondement juridique, est inapplicable et devrait être annulée. Bien que je sois d’accord pour dire que l’instruction n’a pas de fondement juridique et qu’elle est inapplicable, je suis conscient du fait que l’annulation de cette instruction aurait un effet non seulement sur la contravention en cause, mais aussi sur deux autres contraventions recensées non visées par l’appel. Par conséquent, j’exercerai mon pouvoir de modifier l’instruction au lieu de l’infirmer.

Décision

[30]             Pour les motifs énoncés plus haut et en application de l’alinéa 146(1)a) du Code, je modifie par les présentes l’instruction émise à l’employeur par l’agent de SST Louden le 23 novembre 2012, et ce, en annulant les contraventions qui y sont mentionnées, lesquelles concernent l’alinéa 125(1)a) du Code, l’alinéa 10b) du RSSTMM et le paragraphe 224(1) du RCC. La version modifiée de cette instruction figure à l’annexe I de la présente décision.

Michael McDermott
Bureau d’appel

ANNEXE I

Dans l’affaire du Code canadien du travail, partie II – Santé et sécurité au travail

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

TELLE QUE MODIFIÉE PAR L’AGENT D’APPEL MICHAEL MCDERMOTT

Le 22 novembre 2012, l’agent de santé et sécurité au travail soussigné a effectué une inspection dans le lieu de travail exploité par Lower Lakes Towing Ltd., C.P. 1149, 517, rue Main, Port Dover (Ontario), Canada N0A 1N0, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, ledit lieu de travail étant parfois désigné sous le nom de navire à moteur Manitoba, NOI 325744, le tout alors que ce navire se trouvait à quai vis-à-vis l’élévateur à grains de Richardson International Limited à Thunder Bay (Ontario) au Canada.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes :

1. Alinéa 125(1)r) de la partie II du Code canadien du travail et paragraphe 176(4) du Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime (RSSTMM).

Le touret-bobineur du câble électrique de la grue du panneau de l’écoutille de chargement, dont le navire est équipé, n’est pas en fonction. Le mécanisme du bobineur doit être réparé ou remplacé et remis en état de marche afin d’accomplir sa fonction, à savoir prévenir l’endommagement du câble électrique sous tension.

2. Alinéa 125(1)i) de la partie II, et paragraphe 61(1) du RSSTMM.

Les douches et les toilettes (qui sont aussi utilisées par les membres de l’équipage ne détenant pas de permis) situées dans l’espace d’habitation avant ne sont pas gardées dans un état propre et hygiénique. Les installations devront être mises à niveau de manière à ce qu’elles répondent au moins aux exigences minimums.

Il vous est donc ordonné par les présentes, en application de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à ces contraventions au plus tard le 15 mars 2013.

Il vous est aussi ordonné par les présentes, en application de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre des mesures, au plus tard le 15 mars 2013, pour empêcher la continuation ou la répétition de ces contraventions.

Modifié à Ottawa (Ontario) le 18e jour de décembre 2013.

Michael McDermott

Agent d’appel

Cc : NM Manitoba – Capitaine

À l’attention de Lower Lakes Towing Ltd.,

C.P. 1149,

517, rue Main,

Port Dover

(Ontario)

N0A 1N0

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