2013 TSSTC 39 

Référence : Société canadienne des postes c. George Stout, 2013 TSSTC 39

 Date : 2013‑12‑19

 Dossier : 2013‑05

 Rendue à : Ottawa

 Entre :

Société canadienne des postes, appelante

et

George Stout, intimé

 Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par une agente de santé et de sécurité

 Décision : L’instruction est annulée.

 Décision rendue par : Pierre Hamel, agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour l’appelante : M. Stephen Bird, avocat, Bird, Richard

 Pour l’intimé : M. Gerry Deveau, directeur national, Région de l’Ontario, Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

MOTIFS

[1] La présente décision concerne l’appel de l’instruction émise le 21 décembre 2012 par l’agente de santé et de sécurité (« agente de SST ») Marjorie Rœlofsen, interjeté par la Société canadienne des postes (« Postes Canada » ou « l’employeur ») en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code). L’instruction a été émise en raison d’un constat de danger fait à la suite du refus de travailler de M. George Stout, employé de Postes Canada à titre de commis des postes. M. Stout est représenté par son syndicat, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (« le STTP » ou « le syndicat »), dans la présente procédure.

[2] L’instruction faisant l’objet de l’appel se lit comme suit :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)

Les 7 et 27 novembre et 5 et 12 décembre 2012, l’agente de santé et de sécurité soussignée a procédé à une enquête à la suite du refus de travailler de Georges Stout au lieu de travail exploité par SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 951, avenue Highbury, Établissement de traitement du courrier, Toronto, Ontario, N5Y 1B0, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Postes Canada − London (ETC).

 Les tâches de commis des postes sont dangereuses pour George Stout, comme il l’affirme, appuyé en cela par son médecin de famille : il n’est pas en mesure d’effectuer les tâches de l’emploi, peu importe la durée de ces tâches. Cette enquête a démontré que des facteurs déterminants ont conduit au refus de travailler, et ces facteurs ont été pris en considération dans la prise de la présente décision.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger immédiatement cet employé contre le danger.

Fait à London, Ontario, ce 21e jour de décembre 2012.

Marjorie Rœlofsen

Agent de santé et de sécurité

[…]

[3] Au moment de sa demande d’appel du 10 janvier 2013, l’employeur a également demandé un sursis d’exécution de l’instruction. Cette demande a été rejetée par le soussigné, pour les motifs énoncés dans Société canadienne des postes et George Stout, 2013 TSSTC 10.

[4] Les parties ont convenu de procéder sur le fond de l’appel sur la base du dossier du Tribunal et de leurs observations écrites. Les faits de l’espèce présentés au Tribunal sont essentiellement contenus dans le rapport de l’agente de SST Rœlofsen et les documents auxquels elle renvoie dans le cadre de son enquête, transmis aux représentants des parties peu de temps après la demande d’appel. Les parties ont indiqué leur accord général sur les faits pertinents au dossier, à l’exception d’un élément concernant la mesure de l’incapacité de M. Stout, en raison de son trouble médical, d’exécuter les tâches de son poste. Je traiterai de cet élément en litige plus loin dans les présents motifs.

Les faits

[5] Les circonstances révélées par l’enquête de l’agente de SST Rœlofsen et ayant conduit à l’instruction peuvent se résumer comme suit. L’instruction a été émise à la suite du refus de travailler de M. Stout dans la soirée du 14 octobre 2012, au début de son quart de travail. Au moment des faits, M. Stout était employé de Postes Canada à titre de commis des postes, au balayage des codes à barres, à l’établissement de traitement du courrier de London, en Ontario. Depuis un certain temps, M. Stout éprouvait de sérieux maux de dos, en raison desquels il s’est absenté du travail à plusieurs occasions avant son refus de travailler. Le dossier indique que le trouble de santé de M. Stout n’est pas causé par un accident du travail. En général, M. Stout est parvenu à gérer son trouble médical, jusqu’à ce qu’il soit tenu de se tenir debout pendant six heures pour le [traduction] « tri des colis surdimensionnés entrants », le 4 avril 2011. M. Stout affirme qu’il était incapable de marcher le lendemain matin et qu’il a consulté un médecin. Il s’est alors absenté du travail, en congé de maladie, pendant les trois semaines suivantes.

[6] Le 27 avril 2011, M. Stout a repris le travail et a remis un certificat médical de son physiothérapeute, qui recommandait des restrictions et des mesures d’adaptation, p. ex., lui donner un poste où il pourrait changer de posture ou de position dorsale en se levant et en s’assoyant régulièrement. M. Stout affirme que malgré ces recommandations, il a été affecté à une machine pendant quatre heures. Il a tenté de parler à un représentant syndical à plusieurs reprises, mais sans succès. Il semble que M. Stout ait travaillé le reste de son quart de travail de 8 heures. Il affirme avoir de nouveau éprouvé de la douleur intense et de la difficulté à marcher le lendemain matin; la douleur étant invalidante à ce point. Le rapport d’enquête ne donne pas beaucoup d’information sur la suite des événements, mais il est admis que M. Stout est demeuré absent du travail, sur l’assurance-invalidité, à compter de ce jour jusqu’au 14 octobre 2012, le soir du refus de travailler ayant donné lieu au présent appel.

[7] Au cours de cette période d’absence, M. Stout a remis divers certificats médicaux à la compagnie d’assurance. Le médecin de famille de M. Stout, M. Luton, a remis des certificats médicaux le déclarant inapte au travail. Ces certificats médicaux ont été remis périodiquement tout au long de l’absence de M. Stout, soit d’avril 2011 à octobre 2012. Le plus récent certificat médical du Dr Luton est en date du 15 octobre 2012 et précise que les maux de dos de M. Stout sont [traduction] « désormais chroniques ». Comme l’agente de SST Rœlofsen le souligne dans son rapport, d’autres médecins intervenant dans le dossier médical de M. Stout ont tiré des conclusions divergentes pendant cette période. Une Évaluation des capacités fonctionnelles (ECF) a été réalisée en avril 2012 par M. Sam Desroches, physiothérapeute agréé, et M. David Schlotzhauer, kinésiologue certifié. On peut résumer leurs conclusions comme suit :

Sur la base des résultats de l’évaluation et de l’analyse des exigences physiques fournies par la Société canadienne des postes, M. Stout ne satisfait pas à toutes les exigences requises par sa fonction de commis des postes. Plus précisément, M. Stout ne satisfait pas aux seuils de levage, de transport, de poussée ou de traction, ni aux seuils de posture, notamment assise, debout et penchée. Il a démontré une capacité de la catégorie sédentaire, définie par le Dictionary Of Occupational Titles (levage et manutention jusqu’à 10 lb, occasionnellement, et en quantités négligeables sur une base fréquente). M. Stout a démontré une faible endurance générale. Les muscles de ses membres inférieurs et de son tronc offrent un tonus médiocre.

L’équipe d’évaluation est d’avis que M. Stout a lui-même imposé des limites à son rendement en fonction des signaux de douleur et qu’il est capable d’un rendement supérieur. En raison de la quantité d’incohérences observées à l’effort et démontrées par M. Stout, il est évident qu’il n’a pas participé activement à la procédure de tests.

[8] De plus, un certain Dr Lexier a procédé à une Évaluation médicale indépendante (EMI), Orthopédie, en juin 2012. Le Dr Lexier a conclu que M. Stout était apte à reprendre le travail. À la suite de la confirmation de l’assureur, l’employeur a donc demandé à M. Stout de reprendre le travail le 15 octobre , en vue de participer à la rédaction d’un plan de retour au travail. Le quart de travail du 15 octobre commençait à 22 h, le 14 octobre. Ce soir-là, à son arrivée, M. Stout a participé à une réunion avec un représentant syndical et un directeur en vue de discuter et de rédiger un plan de retour au travail. Après avoir été informé qu’on s’attendait à ce qu’il exécute toutes les tâches de son poste, quoique pour de courtes périodes, à prolonger graduellement au cours des cinq semaines suivantes, M. Stout a affirmé qu’il ne pouvait exécuter aucune de ces tâches, et a déclaré qu’il exerçait son droit de refuser de travailler prévu à l’article 128 du Code. M. Stout a également indiqué qu’il poursuivrait son refus tout au long de la procédure de règlement des griefs.

[9] M. Stout ne s’est donc jamais rendu sur le lieu de travail en tant que tel, et a été renvoyé à la maison à la date de son refus de travailler. Le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (de son ancienne appellation) a été informé de ce refus le 17 octobre 2012 à 9 h 49. Dans le cadre de l’enquête de Postes Canada, une réunion a eu lieu le 5 novembre 2012 à l’établissement. L’objectif de la réunion était de trouver quelle devait être la voie à suivre par M. Stout pour traiter de son refus de travailler, étant donné qu’il ne pouvait déposer un grief tout en exerçant son refus de travailler en vertu du Code. M. Stout a présenté une déclaration de refus de travailler, confirmant qu’il exerçait ce droit en vertu du Code. L’agente de SST Rœlofsen a reçu la notification de refus de travailler et a commencé son enquête le 7 novembre 2012, à 13 h.

[10] La justification écrite du refus de travailler de M. Stout, jointe à son formulaire Enregistrement de refus de travailler en cas de danger en date du 7 novembre 2012, est instructive et vaut la peine d’être citée.

[traduction]

En premier lieu, rester debout ou assis dans une posture droite me cause de la douleur invalidante. C’est pour cette raison que je me suis plaint haut et fort d’avoir été convoqué sur le lieu de travail. Mon état semble être de nature inflammatoire et s’empire dans cette situation.

Cette douleur et l’inflammation empêchent tout mouvement prolongé. Rien ne garantit que la douleur n’entraîne pas de défaillance des structures musculaires et nerveuses (voir l’ECF), ce qui risque de compliquer mon affection physique.

Plus précisément, même en modifiant le niveau, le travail de tri du courrier court, long ou surdimensionné entraîne chez moi des douleurs extrêmes au bas du dos. C’est ce qui a causé mon inflammation en avril 2011. Il est douloureux pour moi de m’asseoir, de m’étirer et de faire des torsions.

Travailler sur une machine (TCB, LOCML) est au-delà de mes capacités. Je ne pourrais pas tenir le rythme physique exigé par la mécanisation. Les mouvements consistant à m’étirer, faire des torsions, me lever, me pencher, balayer, sont tous douloureux et causent de l’inflammation.

Le travail d’ouverture des CGOP (conteneurs à grands objets plats) exige que je soulève des objets, que je me penche au niveau de la taille, et que je me relève, ce qui est au-delà de ma capacité d’endurance.

[11] M. Stout a également remis à l’agente de SST Rœlofsen la déclaration suivante, faite à l’employeur le 5 novembre 2012 :

[traduction]

De l’avis de mon médecin (Bob Luten), je suis incapable de travailler à mon poste habituel.

Je souffre de maux de dos chroniques et incapacitants de nature inflammatoire. Toute tentative de me tenir debout, de marcher ou de m’asseoir pendant une période prolongée me cause de grandes douleurs, et les conséquences de ces mouvements empirent l’inflammation.

Ce problème s’est manifesté à plusieurs reprises, à savoir lors de ma plus récente ECF, menée par des représentants de Morneau Shepell, dans laquelle on m’a demandé de courir sur un tapis roulant à une vitesse très réduite. Dans l’évaluation du test, on indique que j’ai enduré l’exercice moins de 2 minutes. Ce qui s’est véritablement produit, c’est que j’ai fait environ 10 pas avant que mon dos ne me lâche et que mes jambes cèdent. J’ai évité de justesse de me cogner la tête contre la console de l’appareil.

C’est cette douleur et cette défaillance motrice qui font que l’exécution sécuritaire des tâches mécaniques les plus simples est au-delà de ma capacité.

Même les tâches restreintes ou pendant quelques heures semblent exacerber la douleur et nuisent ainsi encore plus à ma mobilité. Donc, en plus de subir la douleur initiale, d’autres activités sont susceptibles d’endommager encore davantage mon dos, mes hanches, mon cou, mes jambes, etc.. Plus particulièrement, étant donné que mes gestes sont dictés par ma réaction à la douleur, je suis incapable de contrôler mes mouvements.

[12] Sur la base des faits recueillis au cours de son enquête, l’agente de SST Rœlofsen a conclu que le refus de M. Stout était fondé exclusivement sur son trouble médical personnel (rapport de l’agente de SST, page 10). Non seulement M. Stout croyait-il que l’exécution des tâches exigées lui causerait des blessures, il se sentait physiquement incapable d’effectuer toutes les tâches qu’on lui présentait, peu importe la durée de ces tâches. L’agente de SST souligne que selon M. Stout, ses troubles médicaux, auparavant gérables, se sont aggravés lorsqu’il s’est présenté au travail le 4 avril 2011, alors qu’on ne semblait pas avoir suivi les procédures de travail sécuritaires dans la rotation de ses tâches. Cela a donné lieu à un congé de maladie avec certificat de trois semaines. L’agente de SST souligne que l’employeur a réagi au problème de M. Stout sur la base de l’Évaluation des capacités fonctionnelles et de l’Évaluation médicale indépendante, qui concluent que M. Stout est apte à reprendre ses tâches habituelles. L’employeur reconnaît son obligation de prendre des mesures d’adaptation, et accepte un processus de retour progressif au travail. Dans son analyse finale, l’agente de SST Rœlofsen conclut que M. Stout ne se sent pas capable d’exécuter une quelconque tâche de sa fonction de commis des postes en raison de ses limitations physiques, et que cette conclusion est appuyée par son médecin de famille. Sur la base de ces faits, elle établit un constat de danger pour M. Stout.

[13] L’agente de SST Rœlofsen s’appuie aussi fortement sur la décision rendue dans l’affaire Pearce c. Jazz Air, 2011 TSSTC 14, pour établir un constat de danger pour M. Stout. Dans cette affaire, l’agent d’appel a conclu à la présence d’un danger dans une situation où c’était le trouble médical particulier de l’employé qui était à l’origine du risque. L’agente de SST conclut, dans la même veine, que M. Stout était en présence d’un danger le 14 octobre 2012, et émet l’instruction à l’employeur de protéger immédiatement M. Stout contre ce danger, conformément au paragraphe 145(2) du Code.

Question en litige

[14] La question que je dois trancher consiste à savoir si, au moment de son refus de travailler, M. Stout était en présence d’un danger, au sens du Code, causé par une situation dans le lieu de travail. Plus précisément, cependant, le présent appel soulève la question de savoir si une situation personnelle, en l’espèce un trouble médical grave, peut, à elle seule, constituer un danger ou être considérée pour établir un constat de danger au sens du Code, qui justifie une instruction en vertu du paragraphe 145(2).

Observations des parties

A) Observations de l’appelante

[15] Une fois les faits pertinents à la présente affaire exposés, l’avocat de l’employeur renvoie d’abord à certaines décisions rendues par des agents d’appel, dans lesquelles on affirme que la protection du Code ne s’applique pas aux employés potentiellement en danger en raison de leurs troubles médicaux personnels. Le risque ou la situation en cause doivent pouvoir être éliminés par des mesures correctives ou une modification de la tâche, de sorte que, dans les cas où la source du problème se trouve être les problèmes de santé de l’employé, il ne s’agit pas d’un « danger » couvert par le Code : Dawson c. Société canadienne des postes, décision no 02‑023; Leblanc c. NAV Canada, décision no 06‑023 (14 juillet 2006); Tench c. Canada (Défense nationale, Forces maritimes de l’Atlantique), décision no TSSTC‑09‑001.

[16] L’employeur établit également une distinction avec la décision Pearce (précitée), faisant valoir que dans cette affaire, l’agent d’appel a simplement conclu que le trouble médical de l’employé est un élément qui peut entrer en ligne de compte pour déterminer si une situation dans le lieu de travail constitue un danger, mais qu’un trouble médical ne peut, à lui seul, constituer un danger au sens du Code.

[17] L’avocat de l’employeur renvoie ensuite à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée), qui, selon lui, appuie la position de l’employeur pour ces deux motifs : d’abord, le refus de travailler est vicié, en raison du fait que M. Stout n’était pas « au travail » quand il a exercé ce droit. Dans cette affaire, l’employée Saumier ne s’était pas présentée à son lieu de travail. Elle n’avait fait que se présenter au bureau de son employeur pendant quelques minutes, après plusieurs mois d’absence, pour l’aviser qu’elle refusait de travailler pour des raisons de santé, peu importe les tâches auxquelles on l’affectait. L’avocat de l’employeur soutient que M. Stout était dans la même position que Mme Saumier quand il a exercé son droit de refuser de travailler, et que la décision dans l’arrêt Saumier doit s’appliquer en l’espèce. Ainsi, l’avocat affirme que M. Stout n’était pas « au travail » quand il a refusé de travailler, et qu’il ne pouvait tout simplement pas recourir à l’article 128.

[18] Deuxièmement, l’avocat de l’employeur soutient que l’arrêt Saumier établit aussi le principe selon lequel une situation comme celle en l’espèce ne peut pas donner lieu à l’application de l’article 128. Le recours de l’employé n’a « aucun fondement en droit », étant donné que le danger en question n’est pas un danger couvert par le Code. Le véritable litige entre les parties porte sur le trouble médical de M. Stout et les mesures d’adaptation à son endroit. Par conséquent, le danger qui préoccupe M. Stout − son trouble médical − n’est pas un danger visé par la protection de l’article 128 du Code. L’avocat de l’employeur note que même si la décision dans l’arrêt Saumier a été rendue avant la décision Pearce, ladite décision n’a pas été portée à l’attention de l’agent d’appel, qui en a encore moins tenu compte. L’avocat de l’employeur conclut par ailleurs que, dans la mesure où les décisions Tench et Pearce sont interprétées comme l’acceptation de la proposition selon laquelle un trouble médical personnel peut constituer un danger au sens du Code, ces décisions sont incompatibles avec l’arrêt Saumier, et ne doivent donc pas être suivies. L’employeur conclut que l’instruction doit être annulée.

B) Observations de l’intimé

[19] En premier lieu, le représentant du syndicat est généralement d’accord avec la description des faits présentée par l’avocat de l’employeur. Il insiste sur le fait que, même s’il est évident que M. Stout souffrait d’un trouble médical préexistant, ce trouble a été aggravé au début d’avril 2011, lorsqu’on lui a demandé de se tenir debout pendant six heures. Son trouble s’est encore empiré, plus tard ce même mois, lorsque l’employeur a ignoré les recommandations de son physiothérapeute.

[20] Le représentant du syndicat renvoie au rapport de l’Évaluation des capacités fonctionnelles et fait valoir que la conclusion à en tirer est que M. Stout ne satisfait pas à toutes les exigences requises par la fonction de commis des postes. Selon la lettre du 11 octobre 2012, M. Stout devait se présenter au travail le 14 octobre, dans le cadre d’un plan de retour progressif au travail qui prévoyait : 2 semaines de 4 heures aux tâches habituelles; 1 semaine de 5 heures aux tâches habituelles; 1 semaine de 6 heures aux tâches habituelles; 1 semaine de 7 heures aux tâches habituelles; et, enfin, la reprise de toutes les tâches. Il est important de noter qu’alors que les heures de travail ont été ajustées dans le plan de retour au travail de la société, il est tout aussi manifeste que la société s’attendait à ce que M. Stout exerce ses « tâches habituelles », sans apporter de modifications à son travail réel, contrairement à la recommandation de son médecin traitant.

[21] En réponse aux arguments de l’employeur fondés sur l’arrêt Saumier, le représentant du syndicat fait valoir que même si M. Stout n’a pas physiquement tenté de faire le travail proposé dans la lettre du 11 octobre 2012, il s’est présenté à son lieu de travail et a rencontré les représentants de l’employeur. Pleinement conscient du travail physique qu’on exigeait de lui, il ne lui était pas nécessaire d’en exécuter les tâches pour savoir qu’il constituait une menace immédiate pour sa santé. De l’avis du représentant du syndicat, M. Stout s’est présenté au travail comme le demandait la lettre du 11 octobre 2012, et, bien qu’il ne se soit pas rendu physiquement dans la zone de travail, la société ne lui a pas donné un travail approprié ou des tâches modifiées. M. Stout savait parfaitement ce que les tâches habituelles impliquaient, étant donné qu’il s’agissait des tâches normales exécutées chaque jour à son travail, et les mêmes que celles du 4 avril 2011 et du 27 avril 2011, lorsque son trouble médical s’est aggravé. Par conséquent, il était légitime qu’il soit préoccupé par le fait que, en raison de sa maladie ou blessure, le travail exigé par l’employeur représente pour lui un danger et lui cause du tort.

[22] Le représentant du syndicat passe ensuite en revue les affaires présentées par l’employeur et établit une distinction entre leur fondement factuel et la présente affaire. Il allègue que, contrairement aux situations qui ont donné lieu à ces affaires, l’activité qui consiste en l’exécution des tâches d’un commis des postes, sans modifications, représentait manifestement un risque pour la santé de M. Stout.

[23] Le représentant du syndicat fait en outre valoir que l’agente de SST Rœlofsen a eu raison d’appuyer son constat de danger sur la décision Pearce. Plus particulièrement, il renvoie au paragraphe 28 de cette décision, où l’agent d’appel conclut que « l’état pathologique d’un employé est un élément qui peut entrer en considération dans la détermination de l’existence d’une situation dans le lieu de travail constituant un danger au sens du Code ». Il fait valoir que la décision Pearce est une analogie parfaite avec le présent appel et qu’elle est déterminante pour son résultat. Il conclut que l’instruction doit être maintenue et l’appel rejeté.

Analyse

[24] La question soulevée par le présent appel consiste à savoir si un danger, selon la définition du Code, était présent au moment du refus de travailler dans les circonstances décrites ci-dessus, et si l’instruction émise à la suite du constat de danger est bien fondée. Le constat de danger a été fait par l’agente de SST Rœlofsen à la suite de la décision de M. Stout de se prévaloir de la protection de l’article 128 du Code, qui autorise un employé à refuser de travailler dans certaines circonstances. L’article 128 se lit comme suit :

 128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

 a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

 b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

 c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[Soulignement ajouté]

[25] Le Code définit le « danger » comme suit :

 122. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;

[26] Naturellement, ces deux dispositions utilisent un langage assez générique afin de prévoir les innombrables situations pouvant survenir dans le monde diversifié du travail sous réglementation fédérale. La définition de danger, prise isolément, ne fait aucune mention du lieu de travail, mais c’est un truisme que de dire que le principe sous-jacent à cette définition est l’exposition à un risque ou à une situation dans le milieu de travail. En effet, la raison d’être de la partie II du Code, établie à l’article 122.1, est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi ». L’article 122.2 ajoute que « [l]a prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés ». Le Code impose ensuite à l’employeur une obligation générale de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. L’article 125 précise par ailleurs une série de devoirs et d’obligations pour l’employeur en ce qui a trait aux lieux de travail qu’il contrôle ou, si l’employeur ne contrôle pas le lieu de travail, aux activités professionnelles qu’il contrôle et qu’exercent ses employés. Enfin, l’article 128 permet aux employés de refuser de travailler si leur lieu de travail ou leurs activités professionnelles représentent un danger pour leur santé. Ce régime est complété par une structure de mise en œuvre et le pouvoir des agents de santé et de sécurité de rendre des ordonnances correctives contraignantes pour garantir ou rétablir, le cas échéant, la sécurité dans le lieu de travail.

[27] Le fil conducteur de ces dispositions législatives et de l’intention sous-jacente du législateur, à mon avis, est que le Code concerne les questions émanant du lieu de travail et de l’exécution des tâches, à savoir les questions sous le contrôle de l’employeur et à propos desquelles l’employeur peut apporter des mesures correctives pour veiller à la sécurité de ceux qui travaillent sous sa direction.

[28] Comme je l’ai déjà mentionné, le présent appel soulève la question de savoir si l’on peut conclure à la présence d’un danger au sens de l’article 128 si ledit danger est entièrement attribuable au trouble médical personnel de l’employé. Avant de discuter de la question à savoir si l’article 128 est destiné à s’appliquer pour l’essentiel aux situations décrites plus haut dans les présents motifs, je dois d’abord répondre à une question préliminaire soulevée par l’employeur, à savoir si le refus de M. Stout satisfait à l’exigence d’être « au travail » au moment d’exercer ce droit. L’argument de l’employeur voulant que M. Stout n’était pas « au travail » et la conclusion selon laquelle son refus de travailler fondé sur l’article 128 est par conséquent irrecevable reposent sur l’arrêt Saumier, précité.

[29] Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale procédait au contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) concernant une plainte déposée par Mme Saumier, alléguant qu’elle avait été victime de représailles en raison de l’exercice de son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code.

[30] Dans ce contexte particulier, la Commission devait déterminer si Mme Saumier avait en effet satisfait de prime abord à toutes les exigences du bon exercice de ce droit, à savoir si elle était « au travail » au moment du refus. Les éléments de preuve présentés dans cette affaire indiquent que Mme Saumier éprouvait des problèmes de santé importants qui l’avaient forcée à s’absenter du travail pendant une longue période. Toutefois, après avoir reçu des rapports de surveillance vidéo qui, de l’avis de l’employeur, démontraient que les activités de l’employée étaient incompatibles avec une recommandation d’invalidité totale, l’employeur avait ordonné à Mme Saumier de se présenter au travail pour y exécuter des tâches administratives et sédentaires non précisées. Mme Saumier a d’abord refusé de se conformer à cet ordre par l’entremise de son représentant syndical. Après avoir été convoquée une deuxième fois, elle s’est rendue au bureau de son employeur, mais dans le seul but d’informer ses supérieurs qu’elle refusait de travailler parce qu’elle ne voulait pas aggraver ses problèmes de santé. La Commission a conclu que l’employée avait établi qu’elle était « au travail » dans les circonstances décrites ci-dessus, tout en rejetant la plainte sur le fond, au motif qu’elle n’était pas fondée en droit.

[31] La Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission avait erré sur la première question, déclarant, aux paragraphes 50 et 51 :

[50] À mon avis, le commissaire a erré en concluant ainsi. Il est indéniable que la demanderesse était absente de son travail depuis plusieurs mois, pour des raisons de maladie, lorsqu’elle a invoqué l’article 128 du Code au soutien de son refus de travailler. Le simple fait que la demanderesse se soit présentée physiquement au bureau de son employeur le 27 septembre 2005, après une absence de plusieurs mois, ne faisait pas en sorte qu’elle était « au travail » au sens du paragraphe 128(1) du Code. En d’autres mots, l’employée n’est pas « au travail » en se présentant pour quelques minutes au bureau de son employeur pour l’aviser qu’elle refuse de travailler pour des motifs de santé, peu importe la ou les tâches qui lui seront confiées.

[51] Dans ce contexte, il est important de noter que lorsque la demanderesse se présentait au bureau de son employeur le 27 septembre 2005, accompagnée du s.é.-m. Delisle, elle indiquait à son employeur qu’elle refusait de travailler parce qu’elle ne voulait pas aggraver ses problèmes de santé. Plus particulièrement, elle indiquait au s.é.-m. Vaillancourt, qui lui avait demandé de préciser les tâches qu’elle refusait d’accomplir, qu’elle refusait de travailler « pour sa santé ». De même, le 20 décembre 2005, la demanderesse se présentait à nouveau au bureau de son employeur et indiquait au caporal Léo Monbourquette qu’elle refusait de travailler pour ne pas aggraver sa situation médicale.

[Soulignement ajouté]

[32] Je ne suis pas convaincu par l’argument de l’employeur, qui allègue que cette affaire s’applique aux circonstances de l’espèce, et je suis d’avis que les distinctions établies par M. Deveau sont bien fondées. Comme le souligne la Cour, Mme Saumier a refusé d’exercer ses fonctions sans même connaître la nature des tâches modifiées envisagées par l’employeur en fonction de son trouble médical. Elle ne pouvait expliquer en quoi les tâches administratives modifiées qui lui seraient confiées pouvaient nuire à sa santé; par conséquent, son refus ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 128.

[33] En l’espèce, M. Stout s’est présenté au travail le 14 octobre 2012, comme le lui demandait l’employeur. Lorsqu’il a su qu’il devait effectuer l’ensemble de ses tâches habituelles, bien que sur des périodes réduites, il a informé son directeur qu’il se sentait incapable d’accomplir ses tâches habituelles et a exercé son droit de refuser de travailler. Il savait parfaitement ce que les tâches habituelles comportaient, étant donné qu’il s’agissait des tâches normales exécutées chaque jour à son travail, et les mêmes que celles d’avril 2011, lorsque son état s’est prétendument aggravé. Bien que M. Stout ne se soit pas effectivement rendu dans le lieu de travail pour s’installer à son poste et commencer le tri du courrier, il me semble que tout le monde comprenait très bien ce dont il était question ce soir-là. Je suis d’avis que conclure qu’il n’était pas « au travail » dans ces circonstances serait une application trop technique de l’exigence de l’article 128 en la matière. Je suis convaincu que M. Stout était « au travail » quand il a invoqué le paragraphe 128(1) à l’appui de son refus de travailler le 14 octobre 2012.

[34] En l’espèce, concernant plus particulièrement l’application du paragraphe 128(1), l’agente de SST Rœlofsen ne précise pas en vertu duquel de ses trois alinéas elle juge le refus de M. Stout bien fondé. Il est permis de penser, au vu des tâches manuelles et mécaniques de tri de l’employé, définies dans les descriptions d’emploi au dossier, et au vu de la justification du refus de M. Stout, que le refus peut être fondé sur les trois alinéas. Cette situation inhabituelle est peut-être symptomatique du problème soulevé par le présent appel, à savoir, l’application de l’article 128 de prime abord.

[35] Il ressort du rapport de l’agente de SST Rœlofsen qu’elle accepte la déclaration de M. Stout concernant son incapacité à effectuer quelque tâche que ce soit lorsqu’on lui a demandé de se présenter au travail, et qu’elle accorde beaucoup de valeur à l’opinion du Dr Luton, son médecin traitant depuis 2009, voulant que le trouble de M. Stout soit devenu chronique et l’ait en substance empêché d’exécuter les tâches de son poste le 14 octobre 2012. Les conclusions de l’Évaluation des capacités fonctionnelles, malgré certaines réserves, ne sont certainement pas incompatibles avec cette constatation. Seul le Dr Lexier a conclu, en juin 2012, que M. Stout était apte à reprendre le travail, et peu d’éléments de preuve au dossier permettent d’expliquer les circonstances et l’étendue de l’examen effectué par ce médecin.

[36] Dans l’ensemble, je suis d’avis que les conclusions de l’agente de SST Rœlofsen concernant le trouble médical de M. Stout au moment de son refus de travailler sont raisonnables et étayées par la preuve au dossier. En acceptant ainsi les déclarations de M. Stout quant aux motifs de son refus de travailler, remises à l’agente de SST Rœlofsen le 7 novembre 2012, je suis prêt à décider du présent appel en tenant comme établi que M. Stout était inapte à exécuter les tâches de commis des postes à ce moment-là. Je suis convaincu que la situation est entièrement attribuable aux maux de dos de M. Stout, qui lui causent des problèmes de plus en plus graves depuis un certain temps, et qui ont abouti au refus de travailler du 14 octobre 2012. Par conséquent, il me semble juste de conclure que l’exécution de ses tâches habituelles à sa reprise du travail est susceptible de lui causer des blessures, soit d’aggraver son trouble médical. Mais là n’est pas l’enjeu ultime.

[37] Comme je l’ai déjà mentionné, l’agente de SST Rœlofsen a conclu que le refus de M. Stout repose exclusivement sur ses troubles médicaux personnels. On doit donc répondre à la question suivante : le législateur souhaitait-il que l’article 128 s’applique à des situations de ce genre? Lorsque l’on étudie le détail des déclarations de M. Stout relatives à son refus de travailler, il est évident que le danger appréhendé a peu à voir, intrinsèquement, avec son lieu de travail et ses tâches. L’activité de tri du courrier, en position assise ou debout, est un facteur qui peut certes causer une détérioration de son état de santé, mais il est évident que la source du problème réside dans les maux dos de M. Stout, et non dans le travail en soi. De toute évidence, l’unique source du problème, établie selon les éléments de preuve au dossier, est l’incapacité de M. Stout, en raison de son trouble médical, à exercer ses tâches habituelles de commis des postes.

[38] En effet, personne ne prétend que le travail que M. Stout devait exécuter à sa reprise du travail était autre que ses tâches habituelles de commis des postes. Personne ne suggère non plus que l’employeur a omis d’envisager des mesures en ce qui concerne les tâches elles-mêmes afin d’atténuer le risque associé à leur exécution, comme en veillant à instaurer un milieu ergonomique approprié ou une formation adéquate pour les employés qui les exécutent, ou en élaborant des procédures de travail sécuritaires. Je suis convaincu par les éléments de preuve que les tâches habituelles, les méthodes de travail et les activités professionnelles, en elles-mêmes et toutes choses étant normales par ailleurs, ne constituent pas une menace pour les employés qui les exécutent. En fait, la question, comme M. Stout le prétend, consiste à établir la mesure dans laquelle on doit lui confier des tâches différentes en raison de son incapacité médicale à exécuter [traduction] « quelconque tâche associée à son poste, peu importe la durée de cette tâche », comme l’exprime l’agente de SST Rœlofsen dans son instruction. M. Stout affirme qu’il ne peut pas se tenir debout, ni assis, pendant une période prolongée, se pencher, faire des torsions, s’étirer ou soulever des objets, mouvements qui sont tous des attributs des tâches normales d’un commis des postes. Il est difficile d’imaginer comment modifier la tâche de tri du courrier au point où, compte tenu de son trouble médical déclaré, M. Stout puisse l’exécuter, hormis en ne l’exécutant pas du tout. La mesure corrective qu’il demande est qu’on lui confie des tâches considérablement modifiées ou un autre poste.

[39] J’ai beaucoup de difficulté à conclure qu’il s’agit d’une situation visée par l’article 128 du Code. Cette revendication relève typiquement des droits et obligations découlant de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), qui prévoit l’obligation pour l’employeur de prévoir des mesures d’adaptation raisonnables pour un employé atteint d’une déficience, à la limite de la contrainte excessive. À mon avis, les droits découlant du Code doivent être interprétés et appliqués dans le contexte plus large du régime réglementaire et contractuel applicable au travail sous réglementation fédérale, ce qui comprend notamment la convention collective, la partie III du Code (en particulier les articles 239 et 239.1) et la LCDP. Le régime de la LCDP concerne « la personne » et la nécessité de répondre aux besoins particuliers d’une personne dans son lieu de travail en tenant compte des caractéristiques, des attributs ou de la situation personnelle de cette personne, qu’il s’agisse de son sexe, de ses convictions religieuses, de sa situation de famille ou d’une déficience. La partie II du Code concerne la prévention des blessures liées à l’occupation d’un emploi, à savoir le lieu de travail, les situations et l’environnement généralement applicables à tous les employés dans le cadre de leur travail.

[40] La présente affaire est pour ainsi dire à la croisée de ces chemins. Comme la Commission et la Cour d’appel fédérale le mentionnent dans l’affaire Saumier, et comme on le verra bientôt, nous devons donc poser la question : quelle est la nature réelle du présent litige? Le syndicat soutient que l’employeur pourrait très bien modifier les tâches de M. Stout ou lui confier des tâches plus légères ou plus sédentaires en raison de sa déficience. Incontestablement, cela est vrai. Et tous s’entendent pour dire que l’employeur est légalement tenu de le faire en vertu de la LCDP et de la convention collective. En conséquence, la véritable nature du litige consiste à savoir si M. Stout est apte au travail et à déterminer la nature et l’étendue des mesures d’adaptation à mettre en œuvre par l’employeur en raison des limitations médicales de M. Stout. Il s’agit d’une question de fait, à laquelle on doit répondre sur la base d’une preuve médicale complète et convaincante. Par conséquent, M. Stout n’est pas sans recours pour régler la situation dans laquelle il se trouve. Toutefois, je suis d’avis que ce débat ne relève pas du domaine du Code.

[41] Concernant le prononcé de la Cour dans l’arrêt Saumier, je suis persuadé que l’analyse de la Cour s’applique en l’espèce et j’accepte l’argument de l’employeur comme quoi cet arrêt est déterminant pour la question soulevée par le présent appel. Il vaut la peine de citer les paragraphes 53 à 56 de cet arrêt :

[53] Nonobstant sa conclusion erronée que la demanderesse était « au travail », le commissaire a néanmoins conclu que la plainte devait être rejetée. À mon avis, cette conclusion n’est point déraisonnable. Je m’explique.

[54] Le résumé des faits qui se retrouve aux paragraphes 3 à 29 ci-haut fait ressortir clairement la nature du litige entre la demanderesse et son employeur. Ces faits démontrent de façon non équivoque que ce litige résulte d’une divergence d’opinions entre le Dr. Pantel et la Dre. Subrak [NDT: Dr et Dre] concernant l’aptitude de la demanderesse à effectuer les tâches sédentaires que son employeur avait décidé de lui confier. Comme je l’ai mentionné à quelques reprises, lors du dépôt de sa plainte le 20 décembre 2005, la demanderesse n’avait pas travaillé depuis plusieurs mois. Il découle de ces faits que la véritable prétention de la demanderesse est qu’elle ne peut accomplir aucune tâche sédentaire de nature administrative et que l’accomplissement de ce genre de tâche, vu son état de santé, ne fera qu’aggraver sa situation.

[55] Le commissaire a bien compris quelle était la nature véritable du litige entre les parties. En effet, il énonce au paragraphe 121 de ses motifs que l’article 133 du Code ne lui permet pas d’adjuger un litige concernant l’aptitude de la demanderesse, en raison de problèmes médicaux, d’effectuer les tâches administratives sédentaires

que son employeur désirait lui confier. C’est ce qui explique pourquoi, selon lui, la demanderesse ne pouvait déposer une plainte en vertu de l’article 133 du Code. En d’autres mots, le commissaire a rejeté la plainte de la demanderesse parce qu’il était d’avis que son recours basé sur l’article 128 du Code était dénué de tout fondement juridique, puisque le danger que craignait la demanderesse n’était pas le danger à l’égard duquel l’article 128 visait à protéger un employé.

[56] À mon avis, il ne peut faire de doute que les circonstances de l’espèce ne pouvaient nullement donner ouverture à un recours basé sur l’article 128 du Code.. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

[Soulignement ajouté]

[42] À mon avis, l’essence du litige dans l’arrêt Saumier est identique à celle du litige en l’espèce. Dans cet arrêt, la plaignante avait refusé de travailler en soutenant, à tort ou à raison, que l’exécution de n’importe quelle tâche mettrait sa santé en danger et aggraverait son trouble médical existant. En substance, c’est la prétention de M. Stout en l’espèce. J’interprète l’analyse de la Cour comme signifiant que si la source d’un danger pour la santé d’un employé est le trouble médical dudit employé, le danger en cause n’est pas un danger visé par la protection de l’article 128, en dépit du libellé général de cet article.

[43] À titre de comparaison, une autre disposition de la partie II du Code traite d’une situation en particulier et offre un recours lorsque la situation personnelle d’une employée l’empêche d’exécuter les tâches habituelles de son emploi. L’article 132 du Code se lit comme suit :

 132. (1) Sans préjudice des droits conférés par l’article 128 et sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employée enceinte ou allaitant un enfant peut cesser d’exercer ses fonctions courantes si elle croit que la poursuite de tout ou partie de celles-ci peut, en raison de sa grossesse ou de l’allaitement, constituer un risque pour sa santé ou celle du fœtus ou de l’enfant. Une fois qu’il est informé de la cessation, et avec le consentement de l’employée, l’employeur en informe le comité local ou le représentant.

[…]

(4) Pendant la période où l’employée se prévaut du paragraphe (1), l’employeur peut, en consultation avec l’employée, affecter celle-ci à un autre poste ne présentant pas le risque mentionné à ce paragraphe.

[Soulignement ajouté]

[44] Le droit prévu à cet article tient clairement compte que des tâches, par ailleurs sans danger et sans risque, peuvent néanmoins constituer un danger pour une employée enceinte ou allaitante, en raison seulement de l’état de l’employée. L’article 132 prévoit donc, en plus du droit plus général découlant de l’article 128, un régime spécial pour remédier à cette situation. Le genre de mesures correctives recherchées par M. Stout est exactement de la même nature que celles prévues à l’article 132, à savoir la réaffectation à d’autres tâches. Pourquoi aurait-on besoin d’une telle disposition, si l’on doit interpréter l’article 128 comme englobant déjà les risques pour la santé d’un employé causés par la situation personnelle de l’employé, et les mesures correctives recherchées? La meilleure interprétation à donner à l’article 128 dans ce cadre législatif consiste à dire que la notion de danger doit tenir comme établi que les employés sont par ailleurs aptes à effectuer le travail pour lequel ils ont été initialement embauchés. La source du problème que l’article 128 du Code cherche à corriger doit, à mon avis, être liée à une situation dans le lieu de travail lui-même, aux méthodes de travail, aux tâches, à l’absence d’équipement de protection ou à une formation inadéquate. En d’autres mots, des situations sur lesquelles l’employeur a le contrôle et qui sont indépendantes de l’employé.

[45] À mon avis, accepter la proposition selon laquelle le Code s’applique à la situation de M. Stout donnerait lieu à des résultats plutôt incongrus. Il est peu probable que le Code ait intentionnellement prévu une situation dans laquelle les fonctions d’un commis des postes, une fois bien menées toutes les évaluations des risques et de l’ergonomie de l’emploi, représentent quand même un danger pour un employé, mais pour aucune autre personne qui travaille à ses côtés et qui exécute exactement les mêmes tâches.

[46] De plus, j’ai déjà mentionné que l’instruction contestée repose essentiellement sur le constat de l’agente de SST comme quoi M. Stout est incapable d’exécuter quelque tâche de son poste que ce soit. La mesure corrective ordonnée par l’agente de SST Rœlofsen paraphrase simplement le Code et stipule que l’employeur doit « protéger immédiatement l’employé contre ce danger ». Cela étant dit, M. Stout doit-il demeurer indéfiniment sous la « protection » de l’article 128 − et la protection accessoire de son salaire et des avantages sociaux accordée aux paragraphes 128.1(1) et (2)? Comment éliminer les incompatibilités entre la situation de M. Stout et le droit de l’employeur de confier d’autres fonctions à un employé ayant exercé son refus de travailler (paragraphe 128.1(3))? Comment le danger peut-il être éliminé ou la situation corrigée par l’employeur, si la source du danger est le trouble médical de l’employé? Quel est le but de l’affichage, exigé par le paragraphe 145(3) du Code, d’un avis de danger « à l’endroit où s’accomplit la tâche visée » ou « à proximité », dans les circonstances de l’espèce? De toute évidence, le but de cette disposition est d’alerter les autres employés de l’existence du danger détecté par un agent de santé et de sécurité. De toute évidence, dans les circonstances de l’espèce, l’obligation d’affichage n’a tout simplement pas d’objet, précisément parce qu’elle n’est pas liée au lieu de travail, selon l’interprétation correcte du sens de l’article 128. Dans la même veine, on peut se demander quel serait le but de l’affichage et du renvoi aux comités de santé et de sécurité prévus au paragraphe 145(5), étant donné que le trouble de santé de M. Stout n’a même pas été causé par un accident ou une blessure dans le lieu de travail.

[47] Si l’on accepte l’idée selon laquelle l’article 128 peut être invoqué lorsque le danger pour la santé de l’employé découle d’un trouble médical personnel, il faut accepter que l’employé qui souffre d’une migraine sévère ou d’une pneumonie, ou de toute autre maladie ou blessure invalidante pouvant être aggravée par l’exercice de ses tâches habituelles, peut refuser de travailler en vertu de l’article 128, avec toutes les conséquences juridiques que j’ai décrites ci-dessus. Ce résultat absurde n’a certainement pas été envisagé par le législateur. Si tel était le cas, la protection des congés de maladie et l’assurance invalidité, ou tout autre régime de protection contre les maladies ou les blessures, seraient inutiles.

[48] Tout cela m’amène conclure que l’article 128 et le paragraphe 145(2), lus dans le contexte plus large du Code et selon une interprétation fondée sur l’objet visé, ne s’appliquent pas à la situation en l’espèce. Selon moi, en fonction de ce principe d’interprétation, on ne peut avoir de constat de danger en vertu de ce régime législatif si le danger découle du seul trouble médical de l’employé. Comme je l’ai déjà dit, je suis persuadé que le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Saumier et, dans une certaine mesure, la décision de Dawson, confirment ce principe.

[49] Avant de terminer, je souhaite faire un bref commentaire sur la décision Pearce, citée en appui à l’instruction par l’agente de SST Rœlofsen et le représentant du syndicat. L’employeur, à juste titre, cherche à distinguer le cas en l’espèce de l’affaire Pearce, en alléguant que, dans cette affaire, ce n’était pas le trouble médical de l’employé qui était à l’origine de la situation ayant donné lieu au danger dans le lieu de travail. C’était plutôt le fait qu’on ait demandé à l’employé d’exécuter une tâche, soit conduire un véhicule, et son trouble médical, impliquant le risque qu’il s’endorme « au volant », qui, pris ensemble, aboutissaient à une situation de danger dans le lieu de travail, non seulement pour lui, mais aussi pour ses collègues. En l’espèce, l’agente de SST Rœlofsen a fondé son constat de danger uniquement sur une détermination voulant que le trouble médical de M. Stout en lui-même constitue un danger, comme elle l’indique dans son rapport.

[50] J’accepte la suggestion comme quoi la conclusion dans l’affaire Pearce a probablement été influencée par la nature des tâches de l’employé, que l’agent d’appel décrit comme suit au paragraphe 9 :

[9] [...]son travail l’obligeait à déplacer et à faire fonctionner de grosses machines, plus particulièrement des aéronefs, et d’autres véhicules, sur l’aire de trafic de l’aéroport de Toronto, et que l’accomplissement de ces tâches pouvait être dangereuse en raison de son état pathologique (endormissement soudain). M. Pearce a lui-même donné un exemple de ce genre de situation dans son témoignage, en indiquant qu’en tant que chef de l’équipe de maintenance, il devait s’assurer que l’entretien des moteurs d’aéronef était effectué de façon satisfaisante et qu’il pouvait, à cette fin, devoir prendre les commandes et faire tourner les moteurs à un niveau de puissance élevé tout en veillant à ce que l’aéronef reste immobile. Il a également fait remarquer qu’en tant que technicien d’entretien d’aéronefs et chef d’équipe, il était le seul membre de son équipe habilité à déplacer des aéronefs sur l’aire de trafic.

[Soulignement ajouté]

[51] De toute évidence, ces tâches présentaient intrinsèquement de réels éléments de danger, pour l’exécutant comme pour ses collègues. Il n’y avait qu’un pas à franchir pour conclure que l’effet combiné de ces responsabilités particulières (et non pas toutes les autres tâches de M. Pearce, soit dit en passant) et du trouble médical d’endormissement soudain et de fatigue chronique constituait un danger au sens du Code. Je remarque également que le danger constaté dans l’affaire Pearce ne se limitait pas à l’employé lui-même, mais qu’il s’étendait aux autres employés, dans l’éventualité où M. Pearce avait conduit un véhicule pendant son quart de travail. Je remarque aussi que, dans une large mesure, le débat dans cette affaire portait sur la déclaration de l’agent de SST voulant que la situation visée à l’alinéa 128(1)b) devait être une situation « physique » du lieu de travail. La question a donc été formulée en ces termes et l’agent d’appel a rejeté cette approche comme étant trop restrictive, compte tenu des circonstances de cette affaire. Dans l’ensemble, l’affaire Pearce a été décidée sur des faits substantiellement différents.

[52] Cela étant dit, j’ajoute que je suis quelque peu perplexe devant la notion, établie dans les affaires Dawson et Pearce, que les troubles médicaux personnels d’un employé [traduction] « sont des éléments qui peuvent entrer en considération » lorsque vient le temps de déterminer s’il existe dans le lieu de travail une situation pouvant constituer un danger au sens du Code. Dans la pratique, qu’est-ce que cela signifie lorsqu’il s’agit d’analyser, comme je l’ai fait, le contexte plus large et l’objet de la protection conférée par les articles 128 et 145 du Code? Bien que l’exercice du droit de refuser de travailler soit évalué en fonction d’un critère subjectif (à savoir, si l’employé a des motifs raisonnables de croire qu’il est en présence d’un danger), je suis d’avis qu’un constat de danger implique que c’est le lieu de travail, une situation (physique ou autre) dans le lieu de travail, une activité professionnelle ou une méthode de travail, qui, objectivement, représentent un danger. Si le problème découle de la santé de l’employé ou d’un trouble médical existant, tout danger résultant de la présence de cette personne au travail n’est pas un danger dans le lieu de travail en soi, c’est-à-dire un danger sur lequel l’employeur a le contrôle et auquel il peut remédier pour tous les employés effectuant le travail ou aux prises avec la situation et, à mon avis, il ne s’inscrit pas dans la portée de l’article 128 du Code et de l’objet déclaré à l’article 122.1.

[53] Par conséquent, compte tenu de ma conclusion voulant que les circonstances en l’espèce ne pouvaient donner lieu à un constat de danger au sens de l’article 128, l’instruction de l’agente de SST Rœlofsen résultant d’un tel constat doit être annulée, n’ayant aucun fondement en droit.

Décision

[54] Pour tous ces motifs, l’appel est confirmé et l’instruction est annulée.

Pierre Hamel
Agent d’appel

Détails de la page

Date de modification :