2013 TSSTC 40

Référence : Jazz Aviation S.E.C. c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), section locale 2002 , 2013 TSSTC 40

Date : 2013-12-19

No. dossier : 2012-07

Rendue à : Ottawa

Entre :

Jazz Aviation S.E.C., Appelante

et

Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), section locale 2002, Intimée


Affaire : Appel à l’encontre d’une instruction donnée par un agent de santé et de sécurité, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, Agent d’appel

Langue de la décision : Français et Anglais

Pour l’appelante : Me Guy Lavoie et Me Josiane L’Heureux, Avocats, Lavery, De Billy, S.E.N.C.R.L.

Pour l’intimée : M. Yves Côte, PSO, B&S Associés, Parajuristes Professionnels

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]   Le présent appel a été déposé par l’appelante Jazz Aviation S.E.C. (Jazz) conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code). L’appel est porté à l’encontre d’une instruction émise par l’agent de santé et de sécurité (Agent de SST) Sylvain Renaud conformément à l’alinéa 145(1)(a) du Code. Cette instruction, désignée plus précisément comme une instruction visant une “contravention” en raison de son émission en vertu du paragraphe 145(1) du Code, énonce que l’Agent de SST Renaud est d’avis que l’appelante a enfreint l’article 124 du Code qui énonce l’obligation générale de tout employeur de veiller « à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ». L’instruction, dans son application plus précise aux faits et circonstances de cette affaire, énonce comme suit la contravention commise par l’appelante qui est également l’employeur:

L’employeur n’a pas veillé à ce que les employés aient accès aux procédures de travail sécuritaire de façon à ce qu’ils puissent les comprendre. Le manuel d’entretien d’aéronef (ASM) contient des procédures de sécurité qui doivent être comprises et ce dernier n’est pas disponible en français de manière à ce que les employés francophones puissent le consulter.

Contexte

[2]   C’est lors d’une inspection du lieu de travail qu’effectuait l’Agent de SST Renaud, le 8 mars 2011, à la station aéroportuaire de Rouyn-Noranda opérée par l’appelante, que la question au centre du présent appel a été portée à son attention pour la première fois, soit quelque neuf mois avant que ne soit effectivement émise l’instruction sous appel. Lors de cette inspection où l’Agent de SST Renaud a identifié un certain nombre d’infractions au Code, l’absence d’une traduction ou version française du manuel d’entretien d’aéronef, dit : « Aircraft Services Manual (ASM) », a été portée à son attention par M. Gaston Girard, membre du comité local de santé et sécurité au travail (représentant des employés) qui exerce également les fonctions de préposé d’escale à la station Rouyn-Noranda. Il importe de prendre note que lors de son témoignage à l’audience, l’Agent de SST Renaud a précisé que les employés de l’appelante n’avaient jamais formulé de plainte ou refusé de travailler en rapport avec la question sur laquelle porte le présent appel, bien que quelques employés aient pu se dire quelque peu frustrés par cette situation.

[3]   Une fois complétée l’inspection de l’Agent de SST Renaud, l’employeur lui a transmis, sous la signature de son gestionnaire de secteur Daniel Baril, une promesse de conformité volontaire (PCV) relative à certaines infractions que l’inspection avait révélées. Au nombre desdites infractions se trouve celle énoncée au paragraphe 7 et portant en ces termes sur l’absence d’une version française du ASM :

L’employeur n’a pas veillé à ce que les employés aient accès aux procédures de travail sécuritaire de façon à ce que les employés puissent les comprendre. L’aircraft service manuel (sic) ASM contient des procédures de sécurité qui doit (sic) être comprises par les employés, se (sic) faisant l’outil doit être disponible en français.

La PVC précisait le 31 mars 2011 comme date de conformité. Une PVC se veut une mesure administrative dont le but est d’obtenir conformité aux exigences de la loi sans pour autant avoir à recourir aux mesures coercitives qu’offre la loi. Elle ne se fonde toutefois sur aucune disposition législative et de ce fait, ne peut faire l’objet de mesures d’exécution en vertu du Code. Néanmoins, dès lors que des infractions ont été relevées, la PVC témoigne d’un engagement à se conformer à la loi, ce dont font foi les mots ci-après formulés sous signature d’un représentant de l’employeur :

Je, soussigné, déclare avoir lu le présent document, et suis d’accord à prendre les mesures nécessaires et à informer par écrit l’inspecteur/agent de santé et de sécurité du Programme du travail nommé ci-dessous, dans un délai de 14 jours civils à compter de la dernière date de conformité indiquée ci-dessus, pour chacun des articles :

1.       une confirmation par écrit selon laquelle la mesure corrective a bel et bien été adoptée et que l’article en question est maintenant conforme; ou

2.       un plan d’action par écrit comptant des échéanciers pour la conformité des articles toujours en suspens.

Ainsi, la PVC que l’appelante a transmise par le biais du gestionnaire de secteur Daniel Baril prévoyait que l’ASM serait offert en français aux employés francophones de l’employeur afin qu’ils soient en mesure de comprendre les procédures de travail ayant trait à la santé et à la sécurité. Pour sa part à l’audience, l’Agent de SST s’est dit d’avis qu’une PVC transmise comme la présente à la conclusion d’une inspection, doit être perçue comme étant au même effet qu’une instruction émise en vertu du Code.

[4]   Les mois qui ont suivi la transmission de la PVC à l’Agent de SST Renaud ont vu ce dernier communiquer à maintes reprises par téléphone avec des représentants de l’appelante au sujet de la traduction de l’ASM et ainsi se rendre compte que l’appelante affichait dorénavant de la réticence à donner suite à l’engagement de fournir à ses employés une version française dudit document. L’Agent de SST Renaud est retourné à Rouyn-Noranda le 17 octobre 2011 dans le but d’assurer le suivi de son inspection du 8 mars précédent et à cette occasion, il a pu se rendre compte que le document n’avait pas été traduit en français malgré l’engagement pris à cet effet par le représentant de l’employeur dans la PVC du 18 mars 2011. L’Agent de SST Renaud a par la suite été informé, à l’occasion d’une conférence téléphonique avec des représentants de Jazz, que la partie appelante n’allait pas procéder à la traduction de l’ASM au motif principal que la formation relative audit document destinée à ses employés francophones était offerte en français et que leurs supérieurs immédiats susceptibles d’être consultés à ce sujet étaient eux-mêmes bilingues et donc en mesure de leur prodiguer conseils et informations en français. Lors de son témoignage, l’Agent de SST Renaud a effectivement confirmé que l’appelante offre à tous ses employés la formation relative à l’ASM en français et que ces derniers ont également accès à des supérieurs immédiats bilingues. Il n’en a pas moins formulé l’opinion que dès lors que les employés doivent consulter ledit document, ils devraient pouvoir le faire dans leur langue, notant au passage que la question de l’ASM dans une seule langue touchait environ 10 employés. Il semble d’ailleurs que par son usage du descriptif  « francophone », l’Agent de SST entendait que les employés ne comprenaient pas l’anglais, même s’il n’a pas employé des termes aussi explicites.

[5]   Outre ce qui précède, et s’étant brièvement informé du contenu de l’ASM, l’Agent de SST Renaud a pu ainsi conclure que ledit document traite de maintes procédures de travail qui ont rapport à la sécurité des employés. Ce faisant, ledit ASM devait être disponible en français en tant que matériel de référence que les employés francophones pourraient consulter au besoin. Dans son rapport, l’Agent de SST fonde sa conclusion en particulier sur le paragraphe introductif de l’article 2 de l’ASM, lequel dit :

Cette section du manuel a pour but de passer en revue les pratiques et procédures sécuritaires propres au travail dans un aéroport. Il est important de rappeler qu’il  n’appartient pas uniquement à l’entreprise et à ses gestionnaires de veiller à améliorer la sécurité du lieu de travail et que cette responsabilité incombe également aux employés. Les règles et règlements dont traite la présente section ont pour but d’assurer à tous un environnement de travail sécuritaire à l’aéroport. Trois secteurs susceptibles de problèmes y sont examinés, de même que les pratiques et procédures qui s’y rapportent aux fins d’une opération sécuritaire. Il s’agit de :

·         sécurité personnelle

·         entretien général

·         utilisation sécuritaire des équipements

[Traduction par le soussigné]

Le rapport de l’Agent de SST Renaud fait état de diverses circonstances où un employé pourrait devoir consulter l’ASM, dont réagir à une urgence, vouloir se remémorer certaines procédures ou difficultés particulières ou encore lorsque confronté à une tâche inhabituelle. De plus, l’Agent de SST a également fait valoir que le défaut pour un employé d’observer les règles énoncées à l’ASM pourrait entraîner des blessures. Par contre, l’employeur a fait valoir tout au long de l’enquête que les employés ne consultent pas l’ASM sur une base quotidienne.

[6]   Le rapport de l’Agent de SST Renaud précise que dans le cours de son inspection, ce dernier ne s’est livré qu’à une analyse succincte de l’ASM et son témoignage à l’audience a rendu évident son peu de connaissance du contenu de ce document qui est au centre du débat. Ainsi, il n’a pas été en mesure de préciser si ledit document concerne les opérations de vol ou les agents de bord ni quel type d’avion il vise, quels avions sont utilisés par l’appelante ou encore le niveau d’usage qui en est fait au sein de l’entreprise. À part sa déclaration d’ordre général voulant que l’ASM comporte une facette propre à la santé et à la sécurité, il n’a pas été en mesure d’identifier les sections y ayant trait, pas plus qu’il n’a examiné la documentation dont fait usage l’employeur pour assurer la formation des employés et qu’il leur transmet. Il n’a pas non plus questionné les préposés d’escale qui étaient sur les lieux lors de l’inspection pour savoir si ces derniers font usage de l’ASM, dans quelles circonstances et à quelles fins.

[7]   Étant donné la position adoptée par l’employeur/appelante, l’Agent de SST a émis le 13 décembre 2011 une instruction, conformément à l’alinéa 145(1)(a) du Code, voulant que le refus par l’appelante de traduire l’ASM en français contrevenait à l’article 124 du Code. Ladite instruction se lit comme suit :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU

DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 16 novembre 2011, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à un suivi d’une inspection réalisée dans le lieu de travail exploité par JAZZ AVIATION S.E.C. exploitant une entreprise sous le nom et la dénomination sociale de JAZZ AVIATION S.E.C., employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 100, ave de l’Aéroport, Rouyn-Noranda, Québec, J9X 5B7, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Jazz.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été enfreinte.

No. / No : 1

124. – Partie II du Code canadien du travail,

L’employeur n’a pas veillé à ce que les employés aient accès aux procédures de travail sécuritaire de façon à ce qu’ils puissent les comprendre. Le manuel d’entretien d’aéronef (ASM) contient des procédures de sécurité qui doivent être comprises et ce dernier n’est pas disponible en français de manière à ce que les employés francophones puissent le consulter.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 13 février 2012.

Fait à Montréal ce 13 ième jour de décembre 2011.

[…]

Question(s) en litige

[8]   Il appert de ce qui précède que l’Agent de SST Renaud a conclu, du fait de la version française manquante du manuel ASM de l’appelante, qu’il pouvait conclure à l’existence d’une contravention au Code à savoir, contravention à l’article 124. Étant donné la terminologie simple et sans détours marquant le texte de l’article 124, préciser la question que doit décider le présent appel devrait être simple. Ce faisant toutefois, il est nécessaire d’établir certains points. En premier lieu, le paragraphe 145(1) du Code qui confère à un agent de santé et de sécurité le pouvoir d’émettre des instructions dites de « contravention » spécifie que pour ce faire, l’Agent de SST doit être d’avis qu’une contravention à la Partie II du Code vient d’être commise ou est en train de l’être, d’où la nécessité d’établir un lien entre les faits inhérents à la situation et une disposition particulière de la Loi. En second lieu, le Code impose à l’employeur nombre d’obligations particulières ou générales dont les plus pertinentes à l’affaire qui nous occupe sont énumérées aux articles 124 à 125.3 du Code sous le titre “Obligations des employeurs”. L’important en ce qui a trait au texte employé pour décrire ces obligations tout comme pour l’ensemble du texte du Code est que nulle part il n’y est fait mention de la nécessité ou de l’obligation de transmettre de l’information portant sur la santé et la sécurité dans l’une ou l’autre langue officielle. Il en découle l’impossibilité, aux termes du Code, de prétendre contravention à une obligation aussi précise.

[9]   D’autre part, l’article 124 du Code énonce l’obligation générale imposée à l’employeur de “veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail”, laquelle obligation générale se veut sous-jacente à l’ensemble des obligations particulières de l’employeur énumérées aux articles 125 et 125.1 en raison de leur préambule se lisant : “Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124”.

[10]           Le silence du Code mentionné précédemment permet donc de comprendre le raisonnement tenu par l’Agent de SST Renaud pour invoquer une contravention à l’obligation générale de l’employeur aux termes de l’article 124 et ainsi répondre à l’exigence formulée au paragraphe 145(1) du Code à l’effet qu’une instruction ne puisse être émise que dans le cas où une contravention “à la présente partie”, à savoir la Partie II du Code, a été ou est commise. Ceci dit et tenant compte dudit silence de la loi, même si les faits et circonstances invoqués par l’Agent de SST à son rapport comme fondement à l’émission de l’instruction dont il y a appel visent l’absence de version française de l’ASM, la question que pose le présent appel n’est pas de savoir si Jazz a manqué à une obligation de fournir à ses employés une version française dudit manuel, le Code étant silencieux relatif à une telle obligation, mais bien de savoir si l’appelante ne s’est pas conformée à l’obligation éminemment plus générale de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail, ce qui peut se rapporter à la nécessité de bien les informer, le tout dans des circonstances où la version française de l’ASM ne leur est pas fournie.

Observations des parties

A) Observations de l’appelante

[11]           L’approche adoptée par l’appelante pour contester l’instruction sous appel se veut double. Dans un premier temps, la déposition de l’Agent de SST à l’audience de même que son rapport déposé en preuve démontrent clairement, selon l’appelante, que l’opinion émise par l’agent ne constituait nullement l’opinion “éclairée” que requiert la jurisprudence et que l’instruction n’était pas fondée sur ce qu’aurait observé l’Agent de SST lui-même en cours d’inspection le 8 mars 2011. L’appelante fait valoir à cet égard que l’instruction n’aurait pas dû, à la base, être émise puisque l’Agent de SST aurait dû fonder son opinion sur des éléments concrets qu’il aurait remarqué lors de l’inspection et non sur ce que ce dernier a « perçu » comme des frustrations de la part des employés de la station Rouyn-Noranda. Il en découle donc, selon l’appelante, que l’Agent de SST ne s’est pas acquitté de l’obligation que lui impose la jurisprudence et le Code.

[12]           Dans un second temps, l’appelante fait valoir qu’il ne peut être prétendu que l’instruction émise aux termes du paragraphe 145(1) et de l’article 124 donne suite à une situation, danger ou plainte particuliers puisqu’elle n’a pas été émise en rapport avec une situation de danger ou relativement à une obligation spécifique de l’employeur en vertu de l’article 125 du Code. Il découlerait donc de la preuve et de la jurisprudence qu’on ne pourrait reprocher à l’appelante d’avoir enfreint l’article 124 puisque que Jazz aurait pris dans les circonstances toutes les mesures raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés. La partie appelante fait donc valoir qu’il n’existe aucune preuve convaincante à l’effet qu’aux termes de la loi, il est nécessaire ou obligatoire de traduire l’ASM pour protéger la santé et la sécurité des employés et que de surcroît, l’Agent de SST n’a pas fait la preuve du contraire. L’appelante prétend qu’elle a fait preuve de diligence dans la protection de la santé et de la sécurité des employés de la station  Rouyn-Noranda.

[13]           Plus généralement, l’argumentation de l’appelante repose sur la jurisprudence du Tribunal de même que sur les éléments de preuve apportés par ses témoins. Pour commencer, concernant la prétention que la décision de l’Agent de SST Renaud d’émettre l’instruction n’était pas éclairée, l’appelante vise le témoignage donné à l’audience par ce dernier. Ainsi, le procureur de l’appelante a souligné le fait que l’Agent de SST ne s’était pas présenté à la station Rouyn-Noranda dans le but de donner suite à une situation particulière, à un accident, un refus de travail invoquant l’existence d’un danger ou encore à une plainte portant sur la santé et la sécurité, mais plutôt dans le seul but d’effectuer une simple inspection de “routine”.

[14]           En outre, le contenu du rapport d’inspection de l’Agent de SST, de même que son témoignage à l’audience, permettent de constater que ce dernier était peu renseigné au sujet de l’ASM même si l’instruction portait directement sur ce document. Ainsi, l’Agent de SST ignorait si le manuel visait les opérations de vol ou encore les agents de bord, de quels aéronefs il traite, quels types d’avions Jazz Aviation utilise, la portée de ce manuel au sein de l’entreprise et les circonstances de son usage, ou encore combien d’employés sont directement touchés par l’instruction.

[15]           L’agent avait bien prétendu que l’instruction ne visait que les sections, nombreuses selon lui, de l’ASM traitant de santé et de sécurité mais il n’était pas en mesure de les identifier puisque, pour reprendre ses propos, il n’en avait effectué qu’une “analyse succincte”. Ce dernier a aussi reconnu ne pas avoir examiné l’ASM lors de l’inspection ni la documentation utilisée par l’employeur aux fins de la formation des employés, documentation qu’il reconnaît être disponible en grande partie en français. Selon l’Agent de SST, ce serait la frustration exprimée par quelques employés de la station Rouyn-Noranda face à la non-disponibilité de l’ASM en français, frustration dont il a été informé au moment de son inspection, qui aurait amené l’Agent de SST à émettre l’instruction. Toutefois, selon l’appelante, lors de son inspection l’Agent de SST Renaud n’a pas interrogé les employés (préposés d’escale) qui étaient sur les lieux aux fins de vérifier si ces derniers se servaient de l’ASM, quand, dans quelles circonstances et à quelles fins.

[16]           L’appelante est conséquemment d’avis que l’Agent de SST n’a pas émis une instruction éclairée et sur ce point, s’appuie sur la décision rendue par l’Agent d’appel D. Malanka dans l’affaire Canadien Pacifique Limitée et la Fraternité des ingénieurs de locomotives, décision no. 03-011, 28 avril 2003, qui énonce l’obligation qu’ont les agents de santé et de sécurité de bien s’informer avant de rendre leur décision :

[26] Sachant que, dans des poursuites, c’est aux tribunaux qu’incombe la responsabilité de se prononcer sur la diligence raisonnable, les agents de santé et de sécurité doivent, eux, se laisser guider par les éléments de preuve dont ils disposent pour déterminer si une action ou un défaut d’agir de la part d’un employeur a contribué ou non à l’infraction en cause. Je rappelle aussi que, d’après le paragraphe 145.(1), l’agent de santé et de sécurité doit seulement être “d’avis” qu’il y a eu infraction. Cependant, compte tenu des vastes pouvoirs d’enquête dont les agents de santé et de sécurité sont investis aux termes du Code, il faut entendre que leur “avis”doit être au moins un avis “éclairé”. […]

L’appelante fait ainsi valoir que la formulation d’un avis éclairé requiert de l’Agent de SST qu’il pose les bonnes questions aux employés et autres parties intéressées, le défaut de ce faire pouvant motiver l’annulation de l’instruction. Sur ce dernier point, le procureur de l’appelante renvoie à la décision rendue par un Agent régional de sécurité (dorénavant Agent d’appel) dans l’affaire Cast Terminal Inc. et le Syndicat des débardeurs, section locale 375, décision no.01-014, 15 juin 2001, où l’instruction a été annulée en raison du défaut par l’agent de santé et de sécurité à l’origine de cette instruction d’interroger les employés, visiteurs et chauffeurs. L’Agent d’appel y a déclaré :

[22] L’agent de sécurité Tran n’a pas réussi, lors de l’audience, à démontrer avec toute la certitude dont elle aurait dû faire preuve qu’elle était en mesure non seulement d’identifier exactement où les contraventions avaient pris place, mais aussi, lorsqu’elle a émis son instruction, de clairement les indiquer à l’employeur de sorte qu’il puisse les corriger.

[17]           La seconde partie de l’argumentation de l’appelante veut qu’au regard de l’obligation générale imposée à l’employeur aux termes de l’article 124 du Code prétendument enfreint, il est clairement établi en preuve que l’employeur a pleinement respecté ladite obligation générale de protection de ses employés en dépit du défaut de mettre à la disposition des employés de la station Rouyn-Noranda la pleine traduction de l’ASM, laquelle, en outre, n’est pas requise pour veiller à la santé et à la sécurité des employés.

[18]           Cette position exprimée par le procureur de l’employeur s’appuie généreusement sur la jurisprudence du Tribunal et sur les témoignages de ses témoins à l’audience. Selon ce dernier, la jurisprudence du Tribunal entérine la position voulant qu’au regard des obligations très générales de l’employeur aux termes de l’article 124, il est nécessaire de déterminer si l’employeur a pris toutes les mesures raisonnables pour veiller à la santé et à la sécurité de ses employés, ce qui signifie que l’obligation à laquelle l’employeur est asservi en est une de diligence raisonnable, et non une obligation d’exécution spécifique, ce qui est le cas pour les obligations spécifiques établies par le Code et les Règlements pris en vertu du Code. Ainsi, aux fin de renforcer cet argument, l’appelante mentionne le paragraphe 148(4) du Code qui prévoit que la partie accusée d’infraction à une disposition du Code peut se disculper en prouvant avoir pris les mesures nécessaires pour éviter l’infraction. Sous ce rapport, l’appelante s’est abondamment inspirée de décisions rendues antérieurement par des agents d’appel portant sur l’article 124 du Code et la portée des obligations imposées à l’employeur sous son régime.

[19]           Même si la défense qu’il est convenu d’appeler défense de diligence raisonnable n’est clairement offerte que dans les cas de poursuites pour infractions aux termes du paragraphe 148(4) du Code, ce que n’est pas un appel à l’encontre d’une instruction, l’appelante s’est néanmoins inspirée de l’interprétation jurisprudentielle de ladite défense pour avancer que dans les cas relevant de l’article 124, l’équivalent de ladite défense de diligence raisonnable constituerait la prise de toutes mesures raisonnables que commanderait une situation spécifique pour veiller à la santé et à la sécurité des employés préalablement à une instruction. Ainsi, l’obligation imposée à un employeur aux termes de l’article 124 n’exigerait pas d’assurer une protection excédant le seuil du raisonnable.

[20]           À cet égard, l’appelante fait valoir que selon la preuve apportée par ses témoins, Jazz a pris toutes les mesures raisonnables pour assurer la sécurité du lieu de travail. Ladite preuve testimoniale est classée comme suit par l’appelante.

Les employés touchés et leurs tâches

[21]           Les préposés d’escale de la station Rouyn-Noranda, au nombre de huit, qui sont touchés par l’instruction sont des employés au sol dont les tâches comportent le triage et l’inspection visuelle des aéronefs, l’attache sécuritaire des hélices, l’ouverture de la soute et le déchargement des bagages, l’ouverture des portes de l’avion, entretien léger de l’intérieur et de l’extérieur de l’avion qui demeure au sol plus de 40 minutes et dégivrage de l’avion si requis. Il s’agit ici de tâches qui ne varient pas de jour en jour. L’appelante n’a mis en service qu’un seul type d’aéronef pour la station Rouyn-Noranda. Advenant le cas où un nouveau modèle d’avion y serait mis en service, le premier atterrissage de ce nouvel appareil serait précédé de la venue de M. Luc Ouellette, lequel assure l’ensemble de la formation relative aux opérations d’escale pour l’est du Canada et qui dispense cette formation surtout aux formateurs des employés de chaque station dans la langue du choix de chacun, sa venue ayant pour but de s’assurer de la capacité des préposés d’escale à effectuer leur travail auprès de ce nouvel appareil de façon sécuritaire et de leur satisfaction au plan de la formation reçue.

[22]           Aux fins d’assurer de façon égale dans chaque station, ce qui est essentiel, les services auxquels s’attendent les pilotes, les préposés d’escale appliquent dans toutes les stations les mêmes procédures normalisées. Dans le cadre de leurs fonctions, les préposés d’escale ne sont pas appelés à remorquer les avions, à en assurer la maintenance ou le recul. Les témoins présentés par l’appelante ont été unanimes à affirmer que chez cet employeur, la règle qui s’applique est “à défaut de formation pour l’exécution d’une tâche, l’employé doit refuser de l’exécuter”.

[23]           M. David Deveau, qui est vice-président sécurité, qualité et environnement, est responsable du système de gestion de la sécurité (SGS), lequel assure une gestion de la sécurité allant au-delà de la simple réaction à un incident et ainsi par l’information et la planification, empêcher le développement de problèmes. Les employés, y compris les préposés d’escale, sont conséquemment invités à faire part des questions, y compris celles ayant trait à la sécurité, qui leur posent problème, ce qu’ils peuvent faire en français puisque son personnel est bilingue.

[24]           En ce qui concerne les risques associés aux tâches effectuées par les préposés d’escale, leur évaluation selon ce qui est requis par le Code vise généralement des domaines tels les limitations ergonomiques, le bruit des moteurs d’avion ou les tâches au sol telles que le chargement des bagages, l’assistance aux passagers ou la prévention des chutes au sol glacé. Dans le cadre du SGS, les préposés d’escale de la station Rouyn-Noranda avaient la possibilité de faire part des préoccupations que leur posait l’unilinguisme du manuel ASM relativement à l’exécution sécuritaire de leurs tâches, ce qu’aucun d’eux n’a fait.

[25]           En cours normal d’opération, il peut s’avérer nécessaire de substituer ou remplacer un avion par un avion d’un autre type avec lequel les préposés d’escale sont peu ou pas familiers. Une telle situation peut survenir lorsque l’appareil habituellement en service à une station doit en être retiré en raison de problèmes imprévus de maintenance. Les préposés d’escale peuvent dans de tels cas être requis d’effectuer des tâches inhabituelles ou de s’exécuter sur un appareil qu’ils connaissent peu ou pas. Il existe chez l’appelante un protocole normal qui vise à assurer que les préposés d’escale appelés à assurer le service sur un tel appareil ont été formés pour le faire. Cette procédure que doit appliquer le Centre des Opérations requiert d’obtenir confirmation de la part du gestionnaire des services aéronefs que la station est en mesure de donner le service requis par le nouvel appareil. S’il appert que les préposés d’escale n’ont pas reçu la formation nécessaire, le responsable de la formation (M. Ouellette) pourrait devoir se rendre à la station pour s’assurer que la procédure de substitution est suivie et que les préposés d’escale sont à l’aise dans les circonstances.

[26]           En bref, dans le cas d’une substitution appréhendée, la confirmation voulant que le nouvel appareil puisse être reçu en toute sécurité peut signifier que si la formation des préposés n’est pas suffisante, un formateur s’y rendra au préalable ou, en dernier lieu, le vol sera annulé.

Le Manuel d’entretien d’aéronef (ASM)

[27]           Le gestionnaire des services aéronefs (Polak) de même que le formateur des formateurs (Ouellette) ont tous les deux décrit le ASM comme étant tout sauf un document de référence que le personnel au sol peut consulter dans le cours des opérations journalières. À ce titre, on le présente comme un processus documenté destiné à décrire les procédures en cours chez l’appelante, ce qui en ferait un document dont la disponibilité ne serait pas obligatoire, à la différence des manuels de maintenance obligatoires que Transport Canada exige de toutes les compagnies d’aviation. L’ASM comporte des procédures propres à l’entretien de divers aéronefs et peut servir de manuel de référence pour aider à résoudre les différends relatifs aux bonnes tâches à effectuer dans certaines circonstances. Il s’agit par conséquent d’une ressource pour les gestionnaires et les représentants locaux et peut aider à faire la démonstration de la manière dont l’appelante s’acquitte des tâches portant sur la gestion au sol des aéronefs en cas d’évaluation par Transport Canada ou l’Association internationale du transport aérien (AITA).

[28]           Ainsi, selon la preuve offerte par l’appelante, l’ASM n’a pas été conçu pour servir d’instrument rapide de référence et les employés, qu’ils soient anglophones ou francophones, ne l’utilisent pas pour régler des questions de sécurité. Les gestionnaires ne demandent pas aux employés de consulter l’ASM et les préposés d’escale n’en ont pas une copie-papier puisque le document n’est disponible qu’en ligne. Selon le gestionnaire des services aéronefs, la pratique courante chez l’appelante n’est pas de renvoyer les employés audit document lorsque se posent des questions relatives à la sécurité, puisque le but de l’ASM n’en fait pas une ressource à la disposition des employés dans le cadre des opérations quotidiennes, mais plutôt porter ces questions à l’attention de leur gestionnaire immédiat. Il en découle que traduire l’ASM ne serait pas une mesure utile ou appropriée pour assurer la santé et la sécurité des employés. Il n’en découle pas moins que l’introduction du document (chapitre 2) énonce la politique de l’appelante en matière de sécurité, laquelle porte, entre autres sujets, sur la sécurité des personnes et l’opération sécuritaire des équipements.

Mesures instaurées pour veiller à la santé et à la sécurité au travail des employés

[29]           La thèse générale que défend en l’instance l’appelante est à l’effet que même si elle n’a pas mis à la disposition de ses employés une version en français de l’ASM, elle n’en a pas moins pris des mesures pour garantir que ses employés comprennent bien les procédures de travail sécuritaire, leur a fourni les outils et ressources qu’il faut pour les aider à cet effet et leur permettre de travailler dans un environnement sécuritaire. Ces mesures sont :

Formation obligatoire

[30]           Tous les préposés d’escale de Jazz Aviation sont obligés de suivre les diverses formations qui sont fondées sur l’ASM, cela sans égard à la station où ils s’exécutent ou le type d’avion en service à leur station respective. Ces formations sont données à chaque station par un formateur qui est aussi un préposé d’escale à qui la personne désignée comme formateur des formateurs (Ouellette) a donné au préalable la même formation. À la station Rouyn-Noranda, M. Gaston Girard est le formateur local que M. Ouellette a formé en français et qui à son tour transmet cette formation aux préposés d’escale locaux en français.

[31]           Selon le témoin Ouellette, la formation qu’offre Jazz aux préposés d’escale aux fins qu’ils comprennent les procédures de travail sécuritaire sont de cinq ordres. Il s’agit de :

(1) la formation d’entrée à l’emploi;

(2) la formation périodique offerte aux deux ans pour revoir toute l’information, y compris celle transmise lors de la formation d’entrée et les nouvelles procédures;

(3) la formation annuelle visant des opérations particulières telles le dégivrage;

(4) la formation en salle de classe nécessitée sporadiquement par des circonstances particulières ou lorsque les procédures ne sont pas adéquatement respectées;

(5) la formation en ligne relative à des sujets particuliers tels que les matières dangereuses.

En bref, l’appelante fait valoir par sa preuve et son argumentation que ces diverses formations portent sur tous les aspects de la sécurité ayant trait aux tâches exécutées par les préposés d’escale, qu’elles sont toutes fondées sur l’ASM et qu’elles sont toutes offertes en français. En outre, toute l’information nécessaire à l’exécution sécuritaire des tâches, laquelle se trouve dans l’ASM, se retrouve également en français dans la documentation de formation, signifiant ainsi que tous les préposés d’escale y ont accès et peuvent la comprendre. Aux dires du formateur des formateurs Ouellette à l’audience, les préposés d’escale qui reçoivent de la formation en classe n’ont pas en mains l’ASM, lequel n’a pas été conçu en tant qu’outil de formation et ces derniers ne le connaissent pas bien. Ainsi, leur situation ne s’apparente pas à celle du personnel volant, dont les membres doivent disposer du  manuel requis tant lors de la formation en classe que lors de l’exécution de leurs tâches. Concernant ce point particulier, la partie appelante fait valoir qu’elle a fait la preuve que sa formation de même que la documentation afférente sont offerts en français et ce sous diverses formes (en ligne, format papier et en audiovisuel), ce qui garantit que tous les préposés d’escale de la station Rouyn-Noranda comprennent les procédures de sécurité et savent comment exécuter leurs tâches en toute sécurité.

Supervision

[32]           Sur ce point, l’appelante fait valoir essentiellement qu’à Rouyn-Noranda, il y a toujours quelqu’un de bilingue qui est disponible pour prêter assistance, et ce surtout en cas de situation mettant en cause la sécurité. On s’attend des employés qu’ils refusent d’exécuter une tâche qu’ils ne sont pas à l’aise d’accomplir et qu’ils contactent l’une des personnes-ressources disponibles plutôt que de consulter l’ASM. Ces personnes-ressources comptent :

  • le gestionnaire de station principal chargé de la supervision de la station, qu’on peut joindre en tout temps. À la station Rouyn-Noranda, cette personne (L. Boucher) est francophone;
  • le formateur local (G. Girard) qui est également francophone;
  • le gestionnaire de secteur (D. Baril);
  • le gestionnaire des services aéronefs (S. Polak), auteur de l’ASM, qui ne parle pas français mais s’est engagé à ce qu’il y ait toujours quelqu’un dans son département qui le parle;
  • le formateur des formateurs (Ouellette) avec qui les préposés d’escale peuvent communiquer pour obtenir verbalement l’information requise et qui ne seront pas dirigés vers l’ASM;
  • le vice-président, sécurité, qualité et environnement, les collègues de travail et enfin, le pilote et le personnel de cabine.

Gestion de la sécurité

[33]           Chez Jazz, on gère la sécurité de multiples façons.

A)   Liste de contrôle de la sécurité

[34]           Les appréhensions en matière de sécurité, par exemple l’exécution hors norme de certaines tâches, sont examinées à la station dans le cadre de la vérification hebdomadaire effectuée par le gestionnaire de station principal (listes de tâches au-dessus et au-dessous des ailes), dont le résultat est transmis au gestionnaire de secteur. La résultante peut être de la formation supplémentaire, la production de bulletins d’information ou rencontre avec un employé. Ces listes portent mention de maintes sections de l’ASM.

B)   Liste de contrôle-inspection de santé et sécurité du lieu de travail

[35]           Le comité régional de santé et de sécurité effectue des inspections à chaque mois dans le but de s’assurer que le travail est exécuté de façon sécuritaire. La liste de contrôle de ces inspections est transmise au gestionnaire de secteur de même qu’au comité central de santé et de sécurité.

C)   Système de gestion de la sécurité (SGS)

[36]           L’employeur a mis en place un système de gestion de la sécurité (SGS) dans le but d’inciter ses employés à y recourir, soit en ligne ouverte ou par écrit, pour porter à son attention leurs inquiétudes en matière de sécurité sans avoir à craindre des représailles (pénalités). Il est possible aux employés de transmettre leurs informations en français puisque l’employeur a affecté des enquêteurs bilingues à l’étude de ces rapports. Dans le cadre de leur formation, tous les employés sont avisés de la nécessité de rapporter tout problème ou incident concernant la sécurité. Ainsi, le vice président, sécurité, qualité et environnement (Deveau) qui a la responsabilité générale de la sécurité pour l’entreprise, a indiqué à l’audience qu’entre 300 et 600 rapports en français ou en anglais de cette nature sont reçus chaque mois et que la priorité est donnée à ceux qui témoignent de situations urgentes. Selon ce dernier, ces rapports SGS garantissent que tous les employés reçoivent la formation et l’instruction qui conviennent, assurent la transmission interne de l’information, l’identification des dangers, l’évaluation des risques et des mesures correctives visant à en empêcher la répétition ainsi que la prise immédiate de mesures destinées à éliminer les conditions dangereuses dans le lieu de travail et à en améliorer la sécurité. Son examen desdits rapports a clairement démontré qu’en aucun temps un tel rapport a fait état d’une plainte selon laquelle le ASM n’était pas offert en français et que ce fait mettait à risque la sécurité des préposés d’escale.

D)   Bulletins d’information

[37]           Les préposés d’escale ont accès à de nombreux bulletins d’information (environ 15 annuellement), lesquels sont publiés en anglais et en français et affichés en ligne ou sur le tableau d’affichage de la station. On y trouve des rappels, de l’information rajeunie de même que de nouveaux renseignements, et des extraits, articles particuliers et mises à jour de l’ASM y sont incorporés. Les bulletins comportent également l’information requise pour contacter en tout temps le gestionnaire des services aéronefs (Polak) de même qu’une personne-ressource francophone.

E)   Équipement personnel de protection

[38]           Aux fins d’éviter que les employés ne subissent des blessures au lieu de travail, l’appelante leur fournit de l’équipement personnel de protection qui comporte des protecteurs d’ouie, chaussures de protection, gants de travail, verres protecteurs, harnais de protection contre les chutes pour le dégivrage et vestes à haute visibilité.

[39]           La partie appelante se fonde sur ce qui précède pour affirmer avoir fait la preuve qu’elle gère la sécurité de manière proactive et veille à la santé et à la sécurité des préposés d’escale par le biais de diverses mesures qualifiées de raisonnables. À son avis, il ne fait aucun doute que ces mesures s’avèrent plus efficaces que ne le serait la traduction de l’ASM pour arriver à une bonne compréhension des procédures de sécurité.

[40]           Il découle de ce qui précède que les conclusions auxquelles veut arriver  l’appelante sont d’un double ordre. En premier lieu, son opinion est que l’Agent de SST Renaud n’aurait pas dû émettre l’instruction faisant l’objet du présent appel puisqu’il ne pouvait la fonder sur des faits concrets qu’il aurait lui-même colligés, mais bien seulement sur sa perception de la frustration de certains employés.

[41]           En second lieu, l’appelante fait valoir que l’examen de la loi et de la jurisprudence pertinentes démontre que l’absence d’une version en français de l’ASM ne constitue pas en soi une question ayant trait à la sécurité. En outre, grâce à toutes les mesures instaurées, l’appelante a veillé à ce que tous ses employés comprennent bien les procédures de sécurité, aucune preuve contraire n’ayant été présentée par la partie intimée, que les préposés d’escale disposent de l’équipement et des ressources suffisantes pour assurer leur santé et leur sécurité et qu’en cas d’ignorance ou de non compréhension de leurs tâches, ils puissent refuser sans entraves de travailler. À ce titre, l’appelante définit les préposés d’escale comme étant des travailleurs expérimentés assignés à des tâches qu’ils répètent vol après vol et qui, par conséquent, ne requièrent pas un niveau additionnel de protection que pourrait fournir la traduction de l’ASM, un manuel qui en soi n’est pas un document de référence et un document que même les employés anglophones ne consultent pas.

[42]           Ainsi, l’appelante a rempli son obligation générale aux termes de l’article 124 du Code et s’est acquittée des obligations corollaires découlant de cette disposition législative. Puisque l’appelante a pris toutes les mesures de sécurité raisonnables dans les circonstances et vu l’absence d’une  preuve convaincante de la nécessité d’un niveau de protection additionnel, l’instruction devrait être annulée.

B) Arguments de l’intimée

[43]           Comme entrée en matière de ses arguments, l’intimée a voulu décrire la naissance et la croissance de cette entreprise connue sous la désignation Jazz Aviation S.E.C.. Il présente l’entreprise comme une filiale à part entière de la société Air Canada résultant de l’acquisition et/ou de la fusion de quatre lignes aériennes à savoir, Air BC, Air Nova, Air Ontario et Canadian Regional, desservant plus de 80 points au Canada et aux États-Unis tout en assurant un service de correspondance auprès d’Air Canada et des transporteurs de Star Alliance, ce qui en a fait l’un des plus importants transporteurs aériens régionaux au monde.

[44]           Comme premier point de son argumentation, l’intimée renvoie le soussigné à l’Objet de l’ASM, tel qu’énoncé au paragraphe 1.1 de l’article 1 du document, sans doute aux fins d’établir que contrairement à la thèse développée par l’appelante, l’ASM se veut plus qu’un simple document de référence et traite de la sécurité. Cet énoncé se lit en partie comme suit :

[…] Les procédures que comporte cette publication s’appliquent à tous les membres du personnel affectés à la prestation de services d’escale à la passerelle.

L’ordre dans lequel ces opérations sont exécutées y est également décrit en détails de manière à normaliser autant que peut se faire les routines d’arrivée et de départ. On ne doit déroger ni à la séquence des opérations ni à la procédure qui sont spécifiées si les fonctions de manutention ou de service ont une incidence sur la sécurité du personnel ou de l’équipement.

[Traduction par le soussigné]

L’intimée ne conteste pas l’exactitude de la description des faits et circonstances qu’a donnée l’appelante lors de son argumentation. Toutefois, il insiste sur le fait que sa position diffère considérablement de celle formulée par l’appelante en ce qu’il tient l’ASM comme un outil de travail essentiel servant à apporter des solutions aux divergences pouvant survenir dans la gestion des situations particulières touchant à la sécurité du personnel et des opérations.

[45]           L’intimée assied son argumentation sur la déposition de deux témoins à savoir, M. Pascal Gaudet et M. Gaston Girard. Le premier, M. Gaudet, exerce les fonctions de préposé d’escale à la station Rouyn-Noranda depuis 1990. Son parcours de travail l’a vu commencer chez Air Alliance avant de passer chez Air Nova et Air Canada Regional et finalement Jazz Aviation. Il a témoigné au sujet d’une situation particulière survenue à l’automne 2011 alors que Jazz avait conclu une entente pour s’occuper des avions de la société CanJet. Les avions utilisés par cette société différant de ceux utilisés par Jazz, de la formation additionnelle pour le personnel au sol s’est avérée nécessaire, particulièrement en ce qui a trait aux procédures de dégivrage. L’appelante a donné cette formation en français à l’aide d’un formateur parlant français, bien que la documentation de même que le questionnaire d’examen final eussent été uniquement en anglais. Selon le témoin, il a souligné le fait du questionnaire uniquement en anglais, mais on lui a répondu d’y apposer sa signature et que le formateur verrait à le compléter. M. Gaudet a porté la situation à l’attention du gestionnaire de secteur D. Baril qui lui a finalement indiqué qu’il était d’accord avec cette façon de faire. Selon les courriels échangés par M. Gaudet et M. Baril qui ont été produits en preuve (E-30), il appert que M. Baril aurait précisé que le formateur pouvait inscrire les réponses au questionnaire pour l’employé si on avait traduit au préalable lesdites questions au profit de l’employé, vraisemblablement pour permettre à ce dernier d’y répondre.

[46]           Selon cette correspondance, M. Baril avait obtenu confirmation que les questions d’examen avaient été traduites au préalable. Le témoin a ajouté que l’appelante a fait de nombreux efforts pour apporter des correctifs aux problèmes touchant la formation, en particulier au cours de l’année précédant la présente audience, mais que tout en appréciant recevoir de la formation en français, il n’en demeurait pas moins incapable de consulter l’ASM qui est uniquement en anglais. Selon ce dernier, les tâches qu’exécutent les préposés d’escale, tant à Rouyn-Noranda qu’à Val D’Or, ne se limitent pas à la manutention des bagages et signalisation aux avions sur le tarmac. Il fait état du Manuel 420 “Procédures d’urgence”, une collection d’enveloppes affichées dont le contenu décrit les taches à accomplir en réaction aux urgences, et qui est source additionnelle de difficultés de compréhension puisque la description n’y est faite qu’en anglais.

[47]           M. Gaston Girard, pour sa part, a participé à l’inspection qu’a effectuée l’Agent de SST Renaud le 8 mars 2011, de même qu’aux échanges qui ont eu lieu avec l’agent dans le bureau du gestionnaire de secteur Baril. À cette époque, outre ses fonctions de préposé d’escale à Rouyn-Noranda, il officiait en tant que représentant des employés au sein du comité de santé et de sécurité et à l’occasion agissait comme formateur local auprès des employés de la station. Selon ce dernier, la fonction de formateur ne requiert pas de posséder des compétences particulières puisque la sélection comme telle est basée sur l’ancienneté conformément à la convention collective. À titre de formateur local, sa formation lui a été dispensée en français par le formateur des formateurs Ouellette et lui-même dispense en français aux préposés d’escale de la station Rouyn-Noranda tant la formation initiale à l’embauche que les diverses formations périodiques.

[48]           Selon M. Girard, qui décrit sa compétence en anglais de moyenne, il consulte régulièrement (en ligne) l’ASM parce qu’il est plus facile d’y avoir accès qu’à d’autres documents, même si beaucoup d’information qu’on peut également retrouver à l’ASM est contenue dans d’autres documents de l’employeur tel le manuel de manutention des cargaisons d’Air Canada. Le témoin agit également comme personne-ressource contact pour les autres préposés de la station et ce tant au travail que lorsqu’il n’y est pas.

[49]           M. Girard confirme qu’au cours de l’année qui a précédé, l’appelante a augmenté graduellement son offre de formation en français et qu’elle est en voie de compléter son programme de formation bilingue. En outre, le témoin corrobore de façon générale le témoignage du témoin Gaudet, en particulier le fait que la formation relative au contrat CanJet a été donnée en français par le formateur francophone S. Lapointe.

[50]           Quant au rôle joué lors de l’inspection menée par l’Agent de SST, le témoin note que la question relative à l’ASM n’a fait surface qu’après que l’Agent de SST Renaud eut cherché à savoir s’il avait des questions portant sur la santé et la sécurité. Ce dernier s’est contenté d’un examen superficiel de l’ASM sans le lire, mais une fois informé de la disponibilité du manuel en ligne, a indiqué qu’il y jetterait un coup d’œil.

[51]           L’intimée fait valoir que la position que l’appelante met de l’avant en l’instance se limite à prétendre que l’ASM n’est pas essentiel à la maîtrise des procédures opérationnelles par les préposés d’escale puisque ces derniers disposent d’autres moyens d’y arriver tels la documentation de formation et les bulletins d’information et que ce faisant, Jazz se serait acquitté de ses obligations relatives à l’article 125 du Code et n’aurait pas à faire traduire l’ASM.

[52]           L’intimée renvoie, dans son argumentation écrite, aux obligations de l’employeur aux termes de l’article 125 du Code. Je tiens ceci pour être une erreur de sa part et que ce à quoi l’intimée voulait faire allusion était les obligations découlant de l’article 124, lequel est celui que l’Agent de SST prétend avoir été enfreint. L’intimée émet l’opinion que malgré les efforts déployés par l’appelante pour régler la situation, efforts qu’il qualifie de louables, des manquements demeurent. À son avis, l’ASM porte en substance sur la sécurité des opérations de la station, ce qui ne peut être dissocié de la santé et de la sécurité des employés. Quant à l’argument que fait valoir l’appelante à savoir qu’elle a en place du personnel ressource que les préposés d’escale peuvent consulter en cas de difficultés d’opération, l’intimée note le fait que ces personnes-ressources ne sont pas clairement identifiées, qu’aucun ordre de priorité de communication n’est établi, et qu’en outre il n’existe aucune certitude qu’il soit possible de contacter ces personnes en tout temps en raison de la possibilité qu’elles soient en congé, absentes pour la fin de semaine ou même ne soient plus en poste, par exemple pour cause de promotion. Selon l’intimée, la solution préférable serait que l’appelante établisse une position ressource dotée de personnel bilingue compétent au sein de l’entreprise, créant ainsi un poste unique de consultation.

[53]           Selon l’intimée, la documentation de formation ne traite pas de toutes les situations, d’où la nécessité de consulter l’ASM pour parer à ces lacunes. En outre, l’intimée est d’avis que la preuve soumise ne permet pas de conclure que la consultation du matériel de formation n’exigerait pas beaucoup de temps, d’où l’option préférable de faire traduire l’ASM.

[54]           Ceci dit, l’intimée rappelle que lorsqu’il a émis l’instruction suite au refus de l’appelante de respecter sa PCV, l’Agent de SST s’est prévalu de la discrétion qui est sienne pour aborder certaines questions, qu’elles soient de grande ou moindre importance. Sa décision se fondait sur l’information qu’il détenait à cette époque et était raisonnable dans les circonstances. Ceci étant, l’intimée fait valoir que ma décision doit prendre en compte le caractère raisonnable de la décision rendue par l’Agent de SST, indépendamment des mesures correctives qu’a pu prendre l’appelante dans l’intervalle et que bien qu’il me soit possible de substituer mon opinion à celle de l’Agent de SST, je ne pourrais le faire qu’en concluant que la décision de l’Agent de SST était déraisonnable.

C) Réplique

[55]           En réplique, l’appelante répète en essence les points qu’elle a fait valoir dans son argumentation principale et ajoute quelques commentaires visant l’interprétation qu’a faite l’intimée de certains éléments de preuve que l’appelante a présenté à l’audience. Même s’il n’est pas nécessaire de reprendre le tout à ce stage, la réplique formule trois points principaux.

[56]           En premier, en ce qui a trait à la question sur laquelle je dois me pencher, l’appelante met de nouveau l’accent sur le fait que la question à décider ne consiste pas à décider si le document au centre de l’instance, l’ASM, constitue un outil de travail essentiel, mais bien de savoir si l’appelante qui est également l’employeur s’est acquittée de l’entièreté de ses obligations générales relatives à la santé et à la sécurité qui relève de l’obligation générale imposée à l’employeur aux termes de l’article 124 du Code de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés malgré que l’ASM n’est pas entièrement traduit.

[57]           En second, eu égard à la prétention formulée par l’appelante voulant que la décision/instruction de l’Agent de SST soit fondée sur de l’information incomplète, et la prétention contraire de l’intimée à l’effet que cette décision était éclairée, crédible et raisonnable compte tenu de l’intervalle de temps entre la réception de la PVC et l’émission subséquente de l’instruction, l’appelante a repris son argument concernant le caractère routinier de l’inspection, l’examen superficiel qu’a fait l’agent de l’ASM et son manque de connaissance du contenu du manuel, illustré par sa déposition à l’audience, pour avancer que par définition, une décision se veut raisonnable et réfléchie si son auteur y est arrivé suite à l’obtention de tous les éléments permettant de formuler une telle décision, ce qui ne serait pas le cas en l’instance selon l’appelante.

[58]           En outre, l’appelante a insisté sur la distinction à faire entre la signature apposée par un gestionnaire à une PVC et l’option choisie par le véritable employeur, en l’instance Jazz Aviation, de refuser de s’y conformer, pour dire que cette signature ne fonde pas un droit.

[59]           Troisièmement, eu égard à la liste de personnes-ressources disponibles pour prêter assistance en français relativement à des questions portant sur les opérations afférentes à l’ASM, et la prétention de l’intimée voulant l’imprécision de cette liste, l’ordre de priorité manquant et l’incertitude quant à la disponibilité de ces personnes à certains moments, l’exemple offert étant une soirée d’été en cours de week-end, l’appelante fait valoir qu’il ne s’agit ici que de spéculation sans fondement, non appuyée par quelque preuve qu’aurait présentée l’intimée à l’audience, ce qui par conséquent ne pourrait fonder une décision du soussigné.

Analyse

[60]           Pour reprendre ce que j’ai précisé en introduction à la présente, la question que soulève le présent appel vise l’obligation générale qui est faite à l’employeur, dans ce cas-ci Jazz, par l’article 124 du Code, de veiller à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés dans le cas où un document, précisément l’ASM, n’est pas offert en français aux huit employés qui composent le groupe de préposés d’escale de la station Rouyn-Noranda qu’on dit unilingues francophones. J’emploie sciemment le mot “dit” pour la simple raison que mise à part la déclaration faite en ce sens par deux employés de ce groupe à l’audience, et la déclaration générale au même sens faite par l’Agent de SST, censément fondée sur ce que lui aurait affirmé l’un de ces employés lors de son inspection, lequel employé, à l’audience, a indiqué avoir une maîtrise moyenne de l’anglais, on ne m’a présenté aucune preuve pour appuyer la prétention que dans tous les cas, ces employés étaient unilingues francophones. Ceci ne constitue toutefois pas un élément déterminant relativement à la question que je dois décider.

[61]           En outre, les deux parties de même que leurs témoins et l’Agent de SST Renaud sont d’un même accord à savoir que l’absence d’une version en français de l’ASM liée aux tâches des préposés d’escale n’a jamais fait l’objet d’une plainte ou d’un refus de travail par l’un de ces préposés à la station de Rouyn-Noranda. Il est également important de préciser, dès le début de cette analyse, ce que ne touche pas la présente affaire, compte tenu du fait qu’il n’est aucunement contesté que le manuel ASM n’existe qu’en anglais et qu’il en était ainsi lors de l’inspection qu’a mené l’Agent de SST Renaud, laquelle a résulté en l’émission de l’instruction qui fait l’objet du présent appel. Il n’est par conséquent pas question dans le présent cas de la prestation de services dans les deux langues officielles par Jazz, pas plus que la question ne concerne le respect d’un employeur à l’endroit de ses employés dits unilingues francophones. Ceci étant, il est établi en jurisprudence que la procédure d’appel qui s’applique dans le cas présent se veut une procédure de novo, ce qui signifie que la question à l’étude doit être décidée sur la base des éléments de preuve qui m’ont été présentés en cours d’audience, lesquels sont évalués selon la balance des probabilités.

[62]           Énoncée en quelques mots, la position adoptée par l’Agent de SST Renaud à la conclusion de son inspection veut que l’absence d’une version en français du document désigné ASM, lequel comporte maintes composantes portant explicitement sur la santé et la sécurité, comme en fait foi sa section 2, en rendait problématique la consultation par les employés unilingues francophones, constituant dès lors une contravention à l’obligation générale de protection des employés qu’impose l’article 124 du Code à l’employeur. Lors de l’audience, l’Agent de SST a témoigné essentiellement au même effet, tout en réaffirmant qu’il n’avait pas examiné le document durant sa visite d’inspection mais qu’il l’avait fait en ligne. Il a reconnu que le même manuel est en usage à travers l’ensemble de l’entreprise Jazz même s’il ne connaît pas la situation des employés anglophones et il a réaffirmé être persuadé de la nécessité pour les employés d’avoir accès et de pouvoir consulter et comprendre l’information relative à la sécurité. Outre la question portant sur la traduction de l’ASM, le rapport de l’Agent de SST est quasi-silencieux quant à savoir si ce dernier a cherché à vérifier si l’appelante s’acquittait de façon générale de ses obligations relatives à la santé et à la sécurité et plus précisément celles relatives à l’obligation générale découlant de l’article 124 du Code, et son témoignage lors de l’audience n’en a fourni aucune preuve.

[63]           J’ai noté précédemment que la position de l’appelante voulant que l’instruction soit annulée se fonde sur deux éléments, soit en premier lieu que l’Agent de SST a tiré sa conclusion sans faire l’étude complète de tous les faits et circonstances pertinentes, et en second lieu que Jazz s’acquitte pleinement des obligations découlant de l’article 124 du Code malgré le fait que l’ASM ne soit pas traduit puisque le Code ne l’oblige aucunement à le faire. Outre l’absence d’une telle version, l’intimée n’a essentiellement produit aucune preuve voulant que l’employeur ne se soit pas acquitté ou ne s’acquitte pas de son obligation aux termes de l’article 124, choisissant plutôt de plaider que la décision rendue par l’Agent de SST était dans les circonstances raisonnable et qu’elle devrait être maintenue.

[64]           L’appelante a présenté une preuve considérable, non contestée ou mise en question, voulant qu’elle s’acquitte de son obligation en vertu de l’article 124 du Code. La question visant la traduction de l’ASM mise à part pour le moment, et bien que j’en ai fait part précédemment en résumant l’argumentation de l’appelante et donc qu’il n’y ait pas lieu d’en faire à nouveau mention, il est tout de même important de souligner que sous le titre « Mesures instaurées pour veiller à la santé et à la sécurité au travail des employés », sont énoncées les mesures suivantes à savoir, en premier la formation obligatoire de tous les préposés d’escale, à l’embauche, périodique (2 ans), annuelle pour des opérations particulières, sporadique selon les exigences de situations ou de procédures non complètement suivies, et en ligne, ces formations étant données par des formateurs parlant français à l’aide de matériel de formation faisant grande mention de l’ASM mis à la disposition des employés de plus en plus en français; en second, la gestion de la sécurité par le biais de listes de contrôle de la sécurité, de l’inspection du lieu de travail, le système de gestion de la sécurité (SGS) de même que les divers bulletins d’information; et troisièmement la fourniture d’équipement personnel de protection qui compte les protecteurs d’ouie, chaussures de protection, gants de travail, verres protecteurs, harnais de protection contre les chutes et vestes à haute visibilité. Considérant ce qui précède, je suis généralement convaincu que l’ensemble de ces mesures sert à démontrer que l’employeur s’acquitte des exigences que lui impose l’article 124 du Code. Ceci étant, je dois me pencher sur la question de savoir si l’absence de version française de l’ASM me porte à modifier cette conclusion.

[65]           Le fait central de cette affaire n’est pas contesté. Le document portant désignation ASM n’existe qu’en anglais, et l’appelante qui est également l’employeur est d’opinion qu’il n’est pas requis qu’il soit traduit pour être vu comme s’acquittant de l’obligation générale de veiller à la santé et à la sécurité au travail de ses employés que prévoit l’article 124 du Code. Ce document a été déposé en preuve (E-1) et de ce fait, il m’a été pleinement possible d’en prendre complètement connaissance. Ce faisant, j’ai pu constater que ledit document concerne le personnel d’escale et ses responsabilités concernant l’entretien et les services requis par l’aéronef présent dans l’aire d’escale, nonobstant le fait que sous maints aspects, le manuel ne concerne pas les tâches du personnel d’escale de Rouyn-Noranda, ne serait-ce que parce que ledit document s’applique à divers types d’avions qui ne sont pas en service à la station en question. La partie dudit document qui en énonce l’objet, citée précédemment comme partie de l’argumentation de l’intimée, est particulièrement instructive en ce sens. De plus, tel que je l’ai précisé en introduction, l’énoncé de la politique de l’employeur en matière de sécurité sert d’entrée en matière à l’ensemble du document. On y dit à titre introductif:

La sécurité constitue notre principale priorité et nous ne ferons aucun compromis. Nous allons veiller à la santé et à la sécurité de nos employés et clients ainsi que du public en général.

Nous pourrons y arriver grâce à un système de gestion de la sécurité (SGS) qui garantit :

-formation et éducation appropriées pour tous les employés.
-rapports internes, identification des dangers, analyse et évaluation des risques aux fins d’apporter des correctifs et éviter les répétitions.
-réactions immédiates afin d’éliminer les conditions dangereuses du lieu de travail et en améliorer la sécurité.

Les employés sont tenus, dans l’exercice de leurs fonctions, de se conformer aux politiques, procédures, lois et règlements visant la santé et la sécurité aux fins d’assurer leur sécurité, celle de leurs compagnons de travail et de notre clientèle.

[Traduction par le soussigné]

[66]           Les dernières lignes ci-dessus se rapprochent beaucoup de l’énoncé des obligations des employés que fait l’alinéa 126(1)(c) du Code qui se lit « L’employé au travail est tenu…de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre santé et sa propre sécurité, ainsi que celles de ses compagnons de travail et de quiconque risque de subir les conséquences de ses actes ou omissions » et, à mon avis, l’ensemble du texte qui précède démontre que la compréhension de l’ASM de même que l’exécution des procédures et procédés qui en sont partie doit prendre en compte l’obligation qui est faite par le Code à l’employeur et aux employés de se conformer aux exigences du Code, ajoutant de ce fait audit document une connotation santé et sécurité qui vient contrecarrer en grande partie la position qu’a prise l’appelante voulant que l’ASM ne soit pas destiné à servir de document de référence pour les préposés d’escale. Cette opinion est d’ailleurs renforcée, selon moi, par le fait qu’on puisse accéder en ligne à l’ASM dans toutes les stations de Jazz. Ceci dit, la question se pose à savoir si le fait que l’ASM ne soit pas traduit, donc ne soit disponible qu’en anglais, vient colorer la conduite générale de l’appelante aux termes de l’article 124 du Code d’une manière qui serait en accord avec la conclusion à laquelle est arrivé l’Agent de SST.

[67]           La réponse à cette question requiert d’examiner un certain nombre d’éléments. Le Code, de même que les règlements pris sous son régime, font état d’un grand nombre d’obligations ayant trait à la communication, laquelle appelle à l’utilisation de diverses méthodes et divers moyens. Ceci étant et en appliquant les règles d’interprétation habituelles visant à atteindre les objectifs de la législation, j’estime que ces diverses méthodes et moyens de communication doivent être employés de manière à assurer la compréhension par ceux visés par cette communication. Toutefois, ni la loi (Partie II du Code), ni ses règlements n’énoncent une quelconque obligation de communiquer dans une ou des langues particulières. Dès lors que ceci peut sembler donner un certain appui à l’argument voulant qu’il soit de la prérogative de l’employeur de communiquer avec ses employés dans la langue de son choix et, jusqu’à un certain point, dès lors qu’il ne lui est pas imposé de le faire en employant une certaine méthode, de communiquer de la manière qu’il choisit, ceci doit être modéré par l’opinion que j’énonce ci-dessus voulant que le respect des objectifs de la législation requiert que pour être valable, la communication doit pouvoir être comprise.

[68]           Conséquemment, si le seul argument invoqué par l’appelante pour obtenir l’annulation de l’instruction portait sur l’absence d’obligation de fournir une traduction de l’ASM, ma conclusion finale ne serait probablement pas favorable à l’appelante. Toutefois, il est d’autres éléments que je ne peux ignorer et qui revêtent une grande importance au regard de la présente décision.

[69]           En premier lieu, la formation des formateurs locaux et celle que ces derniers donnent aux employés locaux concernant l’ASM est offerte en français aux employés francophones, et ceci a été le cas pour les préposés d’escale et le formateur local de la station Rouyn-Noranda. Deuxièmement, même si l’ASM n’est pas à proprement parler perçu comme un outil de formation, la preuve, à mon avis non contestée, démontre que la formation faisant appel audit manuel relativement aux questions de sécurité concernant les tâches des préposés d’escale de même que l’information requise pour en assurer l’exécution sécuritaire font partie du matériel de formation en français fourni aux employés, de même que des parties considérables de l’ASM. Troisièmement, il a été démontré que plusieurs personnes-ressources sont à tout moment disponibles pour prêter assistance en français, selon les besoins, aux préposés locaux requérant des précisions ou explications relativement aux procédés ou procédures dont fait état l’ASM dans le but d’une exécution qui soit sécuritaire. L’intimée fait valoir avec raison qu’on ne peut être assuré de la disponibilité permanente de toutes ces personnes. Cependant, cet argument n’a pas beaucoup de poids face au fait que le nombre de ces personnes-ressources est élevé. Quatrièmement, l’appelante a affirmé sans détours que sa politique en matière de sécurité veut que l’employé qui s’estime insuffisamment formé pour exécuter une tâche doit refuser, ce qui s’aligne avec le droit de refuser de travailler que garantit et protège le Code. Considérant tous ces éléments et malgré le fait que le document qu’est l’ASM n’est pas traduit, je suis d’avis que l’appelante/employeur s’assure que ses employés ont accès à des procédures de travail sécuritaire qu’ils peuvent comprendre. J’en conclus donc que l’appelante ne contrevient pas à l’article 124 du Code.

[70]           La partie appelante a également contesté l’instruction émise par l’Agent de SST Renaud en opinant que l’Agent de SST n’avait pas pleinement et complètement examiné tous les tenants et aboutissants de la question, avec le résultat que son opinion quant à l’existence de la contravention fondant l’instruction n’était pas bien informée. Au vu de la conclusion à laquelle je suis arrivé au paragraphe antérieur, l’examen de la question de savoir si l’Agent de SST Renaud a mené une enquête complète et formulé une opinion éclairée n’est pas nécessaire pour décider du présent appel.

[71]           Je commenterai toutefois comme suit. L’article 141 du Code confère à tout agent de santé et de sécurité une vaste gamme de pouvoirs visant la collecte des renseignements nécessaires à la formulation des décisions que le Code les autorise à rendre. Les pouvoirs en question sont caractérisés par la nature discrétionnaire de leur exercice. Je suis néanmoins d’avis que ceci n’altère pas l’intention du législateur voulant que les pouvoirs conférés soient pleinement exercés dans la quête de l’information nécessaire à l’élaboration d’une conclusion. En bref, l’agent de santé et de sécurité non seulement doit, mais a l’obligation de s’informer pleinement avant de formuler sa conclusion. En ce sens, je partage l’opinion que mon collègue D. Malanka a formulé dans l’affaire Canadien Pacifique Limitée et la Fraternité des ingénieurs de locomotives (citée précédemment).

Décision

[72]           Eu égard à tout ce qui précède, l’appel est accordé et l’instruction annulée.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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