2013 TSSTC 41

Référence : Service correctionnel du Canada c. Mike Deslauriers, 2013 TSSTC 41

 Date : 2013-12-20

 Dossier : 2012-20

 Rendue à : Ottawa

 Entre :

Service correctionnel du Canada, demandeur

et

Mike Deslauriers, défendeur

 Affaire : Demande de rejet de l'affaire en raison de son caractère théorique

 Décision : L'appel est purement théorique.

 Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d'appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour le demandeur : Mme Magdalena Persoiu, avocate, ministère de la Justice Canada, groupe du droit du travail et de l'emploi

 Pour le défendeur : Mme Sheryl Ferguson, conseillère syndicale, UCCO-SACC-CSN

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1] La présente affaire concerne un appel interjeté par M. Mike Deslauriers, un agent correctionnel (AC) employé au pénitencier de Kingston de Service correctionnel du Canada (SCC), en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code). L'AC Deslauriers a interjeté appel de la décision d'absence de danger rendue par M. Bob Tomlin, agent de santé et de sécurité (agent de SST), Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC (devenu entre-temps Emploi et Développement social Canada), Programme du travail.

Contexte

[2] Le 8 février 2012, l'AC Deslauriers a refusé de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code. L'AC Deslauriers a soutenu que la fumée imputable à une pratique observée par les délinquants autochtones dans les unités résidentielles, soit la purification par la fumée (un rituel consistant à faire brûler diverses herbes, y compris de la hierochloé odorante, du cèdre, de la sauge et du tabac), constituait un risque pour la santé et la sécurité des AC. L'AC Deslauriers a allégué que cette fumée contient des substances chimiques nocives pouvant causer, entre autres choses, de l'asthme, une bronchite chronique ou le cancer.

[3] Le 8 février 2012, l'agent de SST Tomlin a rencontré les parties au pénitencier de Kingston afin d'enquêter au sujet du refus de travailler. L'agent de SST Tomlin a mené son enquête entre le 8 février et le 23 mars 2012. Le 23 mars 2012, l'agent de SST Tomlin a rendu sa décision selon laquelle la fumée émise lors du processus de la purification par la fumée ne constituait pas un danger pour l'AC Deslauriers.

[4] Le 29 mars 2012, l'AC Deslauriers a déposé un appel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal).

[5] En septembre 2013, le pénitencier de Kingston a fermé ses portes et l'AC Deslauriers travaille maintenant à l'Établissement de Joyceville. Comme le pénitencier de Kingston a mis fin à ses activités, SCC a déposé une requête, le 16 octobre 2013, pour que l'appel soit rejeté en raison de son caractère théorique.

[6] Le 6 novembre 2013, j'ai reçu les observations écrites finales des parties. Le 13 novembre 2013, j'ai communiqué aux parties ma décision de rejeter l'appel en raison de son caractère théorique, en leur indiquant que les motifs justifiant cette décision allaient suivre. Voici les motifs à l’appui de ma décision.

Question en litige

[7] La requête m'ayant été présentée se rapporte à la question suivante :

  • Comme l'Établissement de Kingston a fermé ses portes et que l'AC Deslauriers est maintenant affecté à un autre lieu de travail, l'appel est-il purement théorique?

Observations des parties

A) Observations du demandeur

[8] Le demandeur fonde ses arguments sur la formulation utilisée à l'article 128 du Code relativement à un refus de travailler dans un « lieu de travail », et sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

[9] Le paragraphe 128(1) du Code prévoit ce qui suit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[Mots mis en gras par le demandeur]

[10] La même formulation est employée dans la version anglaise du Code, soit le refus de « travailler dans un lieu » (work in a place), aux paragraphes 128(13) et 129(7) du Code. L'avocat du demandeur a soutenu que le sens courant de ces paragraphes confirme que l'intention ici est, à l'évidence, de protéger les employés contre un danger associé au lieu de travail en cause.

[11] On a aussi soutenu que le droit de refuser de travailler est un droit individuel ne s'appliquant qu'à l'employé qui l'invoque. Afin d'étayer cet argument, le demandeur cite la décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Harper c. ACIA, 2011 TSSTC 19.

[12] L'avocate a aussi indiqué que la question du caractère théorique est tout à fait pertinente au regard du pouvoir qu'a l'agent d'appel d'ordonner des mesures correctives en vertu de l'article 146.2 et du paragraphe 145.1(2) (relativement à l'article 141 du Code).

[13] En dernier lieu, l'avocate du demandeur a fait valoir que le critère énoncé dans la décision Borowski (citée plus haut) a été rempli et qu'il n'y a donc plus de litige actuel entre les parties. À ce sujet, le juge Sopinka, a expliqué la position adoptée à l'unanimité par les membres de la Cour, comme suit :

Un appel est théorique lorsque la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Un litige actuel doit exister non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision.

[14] Dans ses observations, le demandeur a expliqué que dans Borowski, la CSC a appliqué un processus comportant deux étapes pour analyser la question du caractère théorique. Premièrement, la Cour doit déterminer si le pourvoi n'est que théorique. Le cas échéant, la CSC doit déterminer si elle devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher l'affaire au fond en tenant compte des trois facteurs suivants :

i. l'existence d'un contexte contradictoire;

ii. la question de l'économie des ressources judiciaires;

iii. la nécessité pour la Cour d'être sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

[15] L'avocate du demandeur a soutenu que, selon ce qui est énoncé dans Borowski, la question du refus de travailler de l'AC Deslauriers et celle de savoir si un danger existe au sens du Code sont purement théoriques puisque la poursuite se fondait entièrement sur le fait que l'AC Deslauriers était tenu de travailler au pénitencier de Kingston. Comme ce lieu de travail a été fermé, les conditions qui lui étaient propres n'existent plus, ce qui rend la question litigieuse purement théorique.

[16] Le demandeur a expliqué que la configuration des portes de cellules du pénitencier de Kingston était unique, les cellules de sécurité étant munies de grillages ouverts. L'avocate a indiqué que cela était imputable au fait que le pénitencier de Kingston est un très vieux bâtiment et que c'était le seul établissement à sécurité maximale où l'on retrouvait ce type de cellule à grillage ouvert avant sa fermeture.

[17] Le demandeur a soumis que l'agent d'appel ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre l'affaire. Il a fait valoir qu'il n'existe pas de contexte contradictoire dans le cas qui nous occupe puisque l'AC ne travaille plus au lieu de travail en cause, et que la question en litige qu'il reste à trancher n'est donc qu'un débat théorique sur la politique de l'employeur. Afin d'étayer cet argument, le demandeur a cité la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Fletcher, 2002 CAF 424, où l'on peut lire que « [l]e mécanisme prévu par le Code prévoit une méthode particulière d'établissement des faits pour régler une situation particulière. Il n'est pas destiné à constituer une tribune pour l'analyse de la politique d'un employeur. »

[18] L'avocate du demandeur a aussi invoqué la décision du Tribunal dans l'affaire Harper (citée plus haut), dans laquelle l'agent d'appel a statué que l'appel devient purement théorique à compter du moment où l'appelant ne travaille plus chez l'employeur en cause. L'avocate a cité l'agent d'appel qui a indiqué ne voir « aucune raison de poursuivre la procédure d'appel si la Dre Harper n'est plus exposée à la présumée situation dangereuse en milieu de travail. »

[19] Le demandeur cite aussi la décision Hunter c. Canada (Service correctionnel), 2013 TSSTC 12, dans laquelle il a été établi que la question litigieuse n'était pas purement théorique. L'avocate a expliqué que dans Hunter, même si le demandeur travaillait dans un établissement correctionnel autre que celui où il avait exercé son droit de refuser de travailler, la relation d'emploi se poursuivait et il y avait encore des litiges actuels à l'ancien établissement correctionnel. L'avocate du demandeur a fait une distinction entre Harper et l'affaire en l'espèce, précisant qu'il n'y a pas de litige actuel à régler à l'ancien établissement étant donné que celui-ci est maintenant fermé.

[20] En ce qui concerne la question de l'économie des ressources judiciaires, le demandeur a cité la décision Tremblay c. Air Canada, TSSTC-09-004, dans laquelle il a été établi que la question en litige était purement théorique. Dans cette affaire, l'agent d'appel a indiqué que la nécessité d'être sensible aux ressources judiciaires limitées « doit trouver application dans le cas d'un tribunal administratif tel que le présent, et ce, en raison de cette même nécessité d'être sensible à l'efficacité et à l'efficience de son intervention en regard d'une fonction juridictionnelle sans cesse grandissante des tribunaux administratifs dans notre structure politique. »

[21] Le demandeur a aussi invoqué la décision rendue par le Tribunal dans l'affaire Wellon c. Agence des services frontaliers du Canada, 2011 TSSTC 28, indiquant que cette décision a confirmé le principe voulant qu'un litige actuel doit exister non seulement au moment du refus de travailler, mais aussi au moment où l'on confie à l'agent d'appel le mandat de rendre une décision. Le demandeur a soutenu que dans Wellon, le Tribunal en est arrivé à la conclusion que l'absence d'un différend réel justifiait le rejet de l'appel en raison de son caractère purement théorique. On a affirmé que le refus de travailler en l'espèce n'est plus une question en litige puisque le pénitencier de Kingston a fermé ses portes et que l'employé n'est donc plus exposé au présumé danger.

[22] L'avocate du demandeur a conclu en indiquant qu'il n'y a aucun intérêt public à poursuivre l'appel étant donné que le droit de refuser de travailler est un droit individuel.

B) Observations du défendeur

[23] La conseillère syndicale qui représente le défendeur a fourni des observations écrites dans lesquelles elle s'oppose à la requête visant à rejeter l'appel au nom de l'AC Deslauriers. Le défendeur a soutenu que la question en litige n'est pas purement théorique, et ce, pour les motifs énoncés ci-après.

[24] Le défendeur a fait valoir que la question liée au refus de travailler demeure pertinente puisque l'AC Deslauriers croyait qu'il était exposé à un danger au moment où il a exprimé ce refus de travailler et qu'il avait continué d'y être exposé jusqu'à la fermeture de l'établissement en septembre 2013. De plus, on a expliqué qu'il y a des détenus autochtones qui pratiquent la purification par la fumée dans d'autres établissements (qui ne sont pas des établissements à sécurité maximale) où l'on retrouve la même configuration de cellules à grillage ouvert que celle utilisée au pénitencier de Kingston, et que le danger existe donc toujours dans ces établissements.

[25] Le défendeur a indiqué que le pénitencier de Kingston n'héberge plus de détenus, mais qu'il demeure un lieu de travail pour SCC.

[26] La conseillère syndicale a fait valoir que la décision Hunter s'applique à la présente affaire étant donné que la relation d'emploi entre l'AC Deslauriers et SCC se poursuit. De plus, on a avancé que le pénitencier de Kingston pourrait rouvrir ses portes ou que l'AC Deslauriers pourrait être muté à un établissement doté de cellules avant à grillage ouvert et où les détenus autochtones pratiquent la purification par la fumée dans leur unité résidentielle.

[27] En dernier lieu, le défendeur a indiqué que les effets à long terme de l'exposition à la fumée produite par le processus de purification n'ont pas encore été déterminés. On considère que ces effets inconnus font partie du litige en l'espèce.

C) Réponse

[28] La réponse du demandeur portait sur les deux principaux arguments présentés par le défendeur. Le premier de ces arguments voulait qu'un litige actuel existait au moment du refus de travailler, et le deuxième, que le danger en cause existe dans d'autres établissements fédéraux.

[29] En ce qui concerne le premier argument, le demandeur a indiqué qu'il est indéniable qu'un litige actuel existait au moment du refus de travailler. Toutefois, là n'est pas la question puisque le fondement même d'une demande liée au caractère théorique du litige découle des événements auxquels le Tribunal est confronté au moment de l'audience. Quant à l'argument voulant que le danger existe toujours dans d'autres établissements fédéraux, le demandeur est d'avis qu'étant donné que le droit de refuser de travailler est un droit individuel, les employés qui pourraient être exposés à de la fumée dans d'autres établissements ont le droit de refuser de travailler. Le demandeur a indiqué qu'il n'y a aucun droit, en vertu du Code, de poursuivre un appel en raison de préoccupations pour d'autres employés affectés à des lieux de travail différents.

[30] Le demandeur a indiqué que le défendeur s'est délibérément exprimé de manière vague lorsqu'il a déclaré que le pénitencier de Kingston demeurait un lieu de travail pour SCC. L'avocate du demandeur a affirmé que le pénitencier de Kingston est fermé et qu'il n'est plus en exploitation. De plus, le demandeur estime que la suggestion du défendeur, selon laquelle le pénitencier de Kingston pourrait rouvrir, est de la pure spéculation, et que le fait de poursuivre un appel sur une telle prémisse va à l'encontre des principes juridiques fondamentaux liés à la notion de caractère théorique.

[31] Le demandeur a aussi indiqué que la suggestion que l'AC Deslauriers puisse être muté à un établissement muni de barrières avant à grillage ouvert est également de nature spéculative. L'avocate du demandeur a indiqué que le droit de refuser de travailler ne vise pas à permettre aux employés de contester les politiques de l'employeur.

[32] En guise de conclusion, le demandeur répète que l'AC Deslauriers ne travaille plus au pénitencier de Kingston et que ce pénitencier a été fermé et n'héberge donc plus de détenus. Le demandeur estime que rien ne justifie que l'on poursuive cet appel et que celui-ci est purement théorique.

Analyse

[33] Dans Borowski, la CSC a décrit l'approche à suivre relativement au caractère théorique d'un litige comme comportant une analyse en deux étapes. La première étape consiste à déterminer si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. Dans l'affirmative, la deuxième étape consiste à déterminer si le tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire, et ce, en fonction de trois critères établis, à savoir :

i. l'existence d'un contexte contradictoire;

ii. la question de l'économie des ressources judiciaires;

iii. la nécessité pour la Cour d'être sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

[34] Afin de déterminer si un différend concret et tangible existe toujours ou si la question est devenue purement théorique, je me suis demandé si le règlement de ce litige pourrait avoir des conséquences tangibles, concrètes ou pratiques sur les droits des parties.

[35] Tel que mentionné dans Harper, le droit de refuser de travailler est un droit individuel lié à une situation, une tâche ou un risque spécifique qui existe dans un lieu de travail. Les mesures correctives éventuelles qui pourraient être accordées par un agent d'appel dans le cadre d'un appel sont décrites au paragraphe 146.1(1) du Code :

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

(a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

 b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[36] Lorsqu'il doit se prononcer au sujet d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision selon laquelle aucun danger n'existe, l'agent d'appel peut modifier, annuler ou confirmer la décision, ou plutôt émettre toute instruction jugée appropriée.

[37] L'article 122.1 du Code énonce que la partie II a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi. L'objet de la décision de l'agent d'appel est en accord avec l'objet du Code, qui est d'assurer la prévention des accidents et des maladies liés à l’occupation d’un emploi. L'aspect correctif de la décision de l'agent d'appel est particulièrement pertinent en l'espèce.

[38] De plus, lorsqu'un employé invoque son droit de refuser d'accomplir du travail non sécuritaire, le rôle de l'agent de SST et de l'agent d'appel consiste, aux termes de la partie II du Code, à déterminer si le danger allégué existe et, le cas échéant, si cet employé peut continuer de refuser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose, de travailler dans ce lieu ou d’accomplir la tâche en cause.

[39] Le cas qui nous occupe est singulier dans la mesure où non seulement on a retiré l'employé du lieu de travail, mais le lieu de travail en question a également cessé d'exister. Dans Hunter, on a statué que l'appel n'était pas purement théorique étant donné que la relation employeur-employé se poursuivait. Même si l'AC Deslauriers demeure à l'emploi de SCC, on peut soutenir que la présente affaire diffère de Hunter puisque le lieu de travail, soit le pénitencier de Kingston, n'est plus en exploitation, ce qui fait en sorte qu'aucun autre employé n'est exposé au danger allégué.

[40] Un appel interjeté à l'encontre d'une décision d'absence de danger doit être fondé sur les circonstances qui prévalaient dans le lieu de travail au moment du refus de travailler. L'agent d'appel qui entend un appel de novo peut tenir compte de nouvelles preuves même si l'agent de SST n'avait pas accès à ces preuves ou n'aurait pu y avoir accès au moment du refus de travailler. Tel que mentionné dans Wellon, un litige actuel doit exister non seulement au moment du refus de travailler, mais aussi au moment où l'agent d'appel est appelé à rendre une décision. En l'espèce, il est incontesté qu'un litige actuel existait au moment du refus de travailler. Cependant, le pénitencier de Kingston a depuis fermé ses portes et l'AC Deslauriers n'est donc plus exposé au danger allégué dans le lieu de travail. Compte tenu des arguments présentés par les deux parties et des pouvoirs de réparation qui me sont conférés par le Code, je ne peux concevoir comment une décision pourrait avoir des conséquences tangibles, concrètes ou pratiques sur les droits de l'AC Deslauriers ou de SCC.

[41] Je suis bien conscient du fait que le défendeur a déclaré que des détenus dans d'autres établissements de SCC pouvaient s'adonner à la purification par la fumée. Quoi qu'il en soit et tel qu'indiqué plus haut, le droit de refuser de travailler est un droit individuel accordé à chaque employé. Si un employé dans un autre établissement croit qu'il est exposé à un danger, cet employé peut profiter des mêmes droits que ceux dont jouit l'AC Deslauriers aux termes du Code. De plus, je ne peux accepter l'argument du défendeur voulant que le pénitencier de Kingston puisse rouvrir. J'estime que cette déclaration est à tout le moins spéculative, et je suis d'accord avec le demandeur qu'un appel ne peut procéder sur un tel fondement.

[42] D'après mon examen des faits et de la preuve qui m'ont été soumis, j'en arrive à la conclusion qu'il n'y a pas, en l'espèce, de litige actuel dont le règlement pourrait avoir des conséquences tangibles, concrètes ou pratiques sur les droits des parties. Entendre un appel relatif à un lieu de travail qui n'existe plus rend tout le processus d'appel purement théorique. J'en arrive donc à la conclusion que l'appel est purement théorique.

[43] Ayant décidé que l'appel est purement théorique, je procéderai maintenant à la deuxième étape de l'analyse décrite dans Borowski.

[44] J'ai décidé de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire d'entendre l'affaire, et ce, pour les motifs énoncés ci-après.

[45] Pour en arriver à cette conclusion, je me suis demandé s'il y avait toujours un contexte contradictoire. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, j'estime que la fermeture du pénitencier de Kingston est un facteur déterminant expliquant l'absence de contexte contradictoire. En l'espèce, j'ai interprété la notion de contexte contradictoire comme englobant non seulement la question en litige opposant les parties, mais aussi les circonstances liés au refus de travailler, le lieu de travail, et les circonstances qui prévalent au moment où je dois rendre ma décision.

[46] De plus, le défendeur ne m'a fourni aucune preuve qui aurait pu m'inciter à croire que l'AC Deslauriers est toujours exposé au danger allégué alors qu'il travaille maintenant à l'Établissement de Joyceville. Tel que mentionné précédemment, l'argument voulant que d'autres employés puissent être exposés à de la fumée dans un établissement dont la configuration s'apparente à celui du pénitencier de Kingston n'est pas un facteur déterminant en l'espèce, puisque le droit de refuser de travailler est un droit individuel qui peut être exercé par les employés s'ils le jugent indiqué.

Décision

[47] Pour tous les motifs précités, l'appel est rejeté, car il est purement théorique.

Michael Wiwchar
Agent d'appel

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