2016 TSSTC 2

Date : 2016-03-15

Dossier : 2013-40

Entre :

Ville d’Ottawa (OC Transpo), appelante

et

Norman MacDuff, intimé

et

Amalgamated Transit Union (ATU), Local 279, intervenant

Indexé sous : Ville d’Ottawa (OC Transpo) c. MacDuff

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’instructions émises par un agent de santé et de sécurité.

Décision : Les instructions sont annulées.

Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me C. Katie Black et Me Stephanie V. Lewis, Caza Saikaley SRL

Pour l’intimé : M. Jon Funston

Pour l’intervenant : Me John McLuckie, Jewitt McLuckie & Associates

Référence : 2016 TSSTC 2

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1] La décision porte sur un appel interjeté par le Ville d’Ottawa (« OC Transpo » ou l’« employeur ») en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre de trois (3) instructions que Marc Béland, agent de santé et de sécurité (agent de SST) a émises le 4 juillet 2013 après avoir fait enquête sur un refus de travailler de l’intimé. L’appel a été déposé auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) le 26 juillet 2013.

[2] L’une des instructions de l’agent de SST Béland a été émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code et se rapporte à une contravention de l’alinéa 125(1)(z.16) du Code et de l’article 20.3 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement), ci-après appelée l’« instruction relative à la contravention ». Les deux autres instructions ont été émises en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code (ci-après appelées les « instructions relatives à un danger »).

[3] L’intimé, M. Norman MacDuff, est employé à titre de chauffeur d’autobus par l’employeur. Il a été agressé au travail par un passager le 26 mars 2013 et a subi des blessures. Il a été en congé jusqu’à ce qu’il retourne au travail à temps partiel le 4 juin 2013. Ce jour-là, au commencement de son quart de travail, il a invoqué son droit au refus de travailler, car il a estimé que son milieu de travail était dangereux étant donné que l’employeur n’avait pas pris les mesures appropriées pour empêcher une agression similaire à celle survenue le 26 mars 2013.

[4] Les instructions faisant l’objet de l’appel se lisent comme suit :

1. L’instruction relative à la contravention, émise en vertu du paragraphe 145(1)

[Traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 4 juin 2013, l’agent de santé et de sécurité soussigné a mené une enquête dans le lieu de travail exploité par la Ville d’Ottawa, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, situé au 1500, boulevard Saint-Laurent, Ottawa (Ontario) K1G 0Z8, et parfois appelé OC Transpo - Garage de Saint-Laurent.

Cet agent de santé et de sécurité est d’avis qu’il a été contrevenu aux dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail :

No / No 1

Alinéa 125(1) z.16) - partie II du Code canadien du travail

Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail;

Article 20.3 - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

L’employeur élabore et affiche dans un lieu accessible à tous les employés une politique de prévention de la violence dans le lieu de travail qui fait notamment état de ses obligations, dont les suivantes :

a) offrir un lieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence;

b) affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail;

c) communiquer aux employés les renseignements en sa possession au sujet de ces facteurs;

d) aider les employés qui ont été exposés à la violence dans le lieu de travail.

L’employeur a omis de mettre en œuvre un programme de prévention de la violence dans le lieu de travail, selon les modalités réglementaires.

Par conséquent, il vous est DONNÉ INSTRUCTION PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention au plus tard le 1er août 2013.

Il vous est aussi DONNÉ INSTRUCTION PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, dans les délais précisés par l’agent de santé et de sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Ottawa, en Ontario, le 4 juillet 2013.

[Signée]

Marc Béland

Agent de santé et de sécurité

[…]

2. Les instructions relatives à un danger :

(i) Instruction à l’employeur en vertu de l’alinéa 145(2)a) :

[Traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)

Le 5 juin 2013, à la suite du refus de travailler de M. N. MacDuff, l’agent de santé et de sécurité soussigné a mené une enquête dans le lieu de travail exploité par la Ville d’Ottawa, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, situé au 1500, boulevard Saint-Laurent, Ottawa (Ontario) K1G 0Z8, et étant parfois appelé OC Transpo -

Garage de Saint-Laurent .

L’agent de SST en question est d’avis que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail :

Il est dangereux pour M. MacDuff, l’employé ayant refusé de travailler, d’accomplir ses fonctions de chauffeur d’autobus lesquelles l’exposent à des membres du public, étant donné qu’il existe un manque de mesures de contrôles systématiques afin de prévenir les blessures liées à la violence dans le lieu de travail, similaires à celles qu’il a subies le 26 mars 2013.

Par conséquent, il vous est DONNÉ INSTRUCTION PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de modifier la tâche constituant un danger au plus tard le 1er août 2013.

Émise à Ottawa, en Ontario, le 4 juillet 2013.

[Signée]

Marc Béland

Agent de santé et de sécurité

[…]

(ii) Instruction émise à l’intimé en vertu du paragraphe 145(2.1) :

[Traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À UN EMPLOYÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(2.1)

Le 4 juin 2013, à la suite du refus de travailler de Norman MacDuff, l’agent de santé et de sécurité soussigné a mené une enquête dans le lieu de travail exploité par la Ville d’Ottawa, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, situé au 1500, boul. Saint-Laurent, Ottawa (Ontario) K1G 0Z8, et étant parfois appelé OC Transpo - Garage de Saint-Laurent.

L’agent de SST en question est d’avis que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail :

Il est dangereux pour M. MacDuff, l’employé ayant refusé de travailler, d’accomplir ses fonctions de chauffeur d’autobus lesquelles l’exposent à des membres du public, étant donné qu’il existe un manque de mesures de contrôles systématiques afin de prévenir les blessures liées à la violence dans le lieu de travail, similaires à celles qu’il a subies le 26 mars 2013.

Par conséquent, il vous est DONNÉ INSTRUCTION PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(2.1) de la partie II du Code canadien du travail de cesser l’utilisation ou la tâche jusqu’à ce que votre employeur se conforme aux instructions qui ont été émises à son endroit en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, selon lesquelles il doit modifier la tâche constituant un danger.

Émise à Ottawa, en Ontario, le 4 juillet 2013.

[Signée]

Marc Béland

Agent de santé et de sécurité

[…]

[5] Comme les deux « instructions relatives à un danger » se ressemblent et ont le même fondement, je les traiterai comme s’il s’agissait d’une seule instruction aux fins de la présente décision.

Événements ayant mené à l’audience de l’appel

[6] L’appelante a demandé et obtenu la suspension de l’une des deux « instructions relatives à un danger », qui l’enjoignait à prendre des mesures appropriées afin de traiter de la tâche constituant un danger pour M. MacDuff, à savoir, corriger [Traduction] « le manque de mesures de contrôle systématiques afin de prévenir les blessures liées à la violence dans le lieu de travail, similaires à celles qu’il a subies le 26 mars 2013 ». La référence de la décision de l’agent d’appel accordant la suspension est Ville d'Ottawa (OC Transpo) c. Norman MacDuff, 2013 TSSTC 27. La suspension devait rester en vigueur jusqu’au règlement final de l’appel sur le fond.

[7] Le 31 octobre 2013, l’agent d’appel McDermott a accueilli la demande de statut d’intervenant au syndicat Amalgamated Transit Union (ATU), Local 279. Dans la décision d’accorder le statut d’intervenant à l’ATU, Local 279, le droit de participation de celui-ci est précisé comme suit : il peut contre-interroger les témoins des parties et il peut faire des observations finales.

[8] L’audience de l’appel a eu lieu à Ottawa aux dates suivantes en 2015 : du 7 au 10 avril, les 12 et 20 mai et du 8 au 10 juin. L’établissement d’un calendrier d’audience a été quelque peu problématique en raison de la substitution du procureur de l’appelante au motif que le procureur initial a éprouvé des problèmes de santé, et de conflits d’horaire des représentants des trois parties.

[9] La portée de l’appel, l’étendue de ma compétence et la définition appropriée des questions soulevées par le présent appel ont été invoquées un certain nombre de fois pendant les procédures préalables à l’audience et en cours d’audience. Ces questions ont été soulevées relativement à l’introduction d’éléments de preuve se rapportant à des faits survenus après les circonstances du refus ou apparemment sans rapport avec ces circonstances. Devant l’insistance des parties, je me suis senti obligé de rendre une décision sur cette question. Ma décision et les motifs de celle-ci sont présentés plus loi, ci-dessous.

[10] Peu de temps avant l’audience, l’appelante a informé le Tribunal et les parties qu’elle demanderait une ordonnance de confidentialité concernant certains aspects de la preuve, notamment des faits relatifs aux agents de sécurité spéciaux employés par OC Transpo. Ensuite, l’appelante a présenté une requête de huis clos relativement à certains éléments de preuve étant donné les conséquences possibles pour la sécurité du réseau de transport en commun et la sécurité des employés et des passagers. Après avoir entendu les parties sur cette question, j’ai accueilli la requête, j’ai accordé l’ordonnance de confidentialité et j’ai rendu une décision interlocutoire écrite à cet égard. Ma décision est annexée aux présentes.

[11] On m’a informé au troisième jour de l’audience que M. MacDuff avant apparemment enregistré la première partie de l’audience. M. MacDuff a reconnu avoir enregistré l’audience, mais arrêté de le faire après la première journée sur les conseils de son représentant. J’ai exprimé mes préoccupations à l’égard de ce comportement puisque je n’avais pas autorisé l’enregistrement de la procédure. J’ai rendu une ordonnance verbale enjoignant M. MacDuff de supprimer cet enregistrement, ce qu’il s’est engagé à faire. Mon ordonnance est par les présentes confirmée.

Contexte

[12] L’appel découle du refus de l’intimé d’accomplir ses tâches à titre de chauffeur d’autobus au sein d’OC Transpo le 4 juin 2013 en vertu de l’article 128 du Code. Comme l’a expliqué M. Troy Charter, directeur général adjoint, Opérations du transport en commun de OC Transpo, cette dernière est un grand organisme de transport en commun complexe fournissant des services de transports en commun municipaux aux résidents d’Ottawa et aux visiteurs de cette ville. L’organisme fait partie de la structure de la Ville d’Ottawa, qui est l’employeur aux termes de la convention collective applicable.

[13] L’agent de SST Béland indique que les motifs du refus figurent dans un document que M. MacDuff a joint à un courriel qu’il a envoyé à sa superviseure, Mme Meagan Kaye, chef de division, Gestion des employés, le 3 juin 2013, le jour précédant son retour planifié dans sa fonction de chauffeur d’autobus. Le courriel en question se lit comme suit :

[Notre traduction] Bonjour Mme Kaye,

Comme vous le savez, j’ai été agressé par un client de votre organisation le 26 mars 2013.

J’aimerais vous signaler que je tiens mon employeur responsable de cet incident ou de cette agression. La raison étant qu’aucune analyse du risque professionnel (ARP) n’a été effectuée et qu’aucun programme de prévention des risques (PPR) n’a été mis en place pour gérer les blessures dans le lieu de travail. En 2005, le gouvernement fédéral a donné instruction à toutes les sociétés sous réglementation fédérale d’effectuer une telle analyse et de mettre en place un tel programme. Si l’on avait agi de la sorte à OC Transpo, le processus aurait permis de déterminer que les mesures prises(ou non) par l’organisation au cours des sept dernières années n’avaient pas permis d’éviter que moi-même et d’autres employés fassions l’objet d’agressions et subissions des blessures. L’organisation a été sommée d’effectuer une ARP et de mettre en place un PPR au plus tard le 30 janvier 2013. Jusqu’à maintenant, cela n’a été fait qu’en partie (pour deux catégories d’emploi). L’organisation va-t-elle attendre que d’autres employés subissent les mêmes préjudices avant de prendre des mesures pour nous protéger?

Norman MacDuff

[14] Je note que l’objet du courriel est le suivant : ARP (analyse du risque professionnel) et PPR (programme de prévention des risques). Le matin du 4 juin 2013, M. MacDuff a invoqué son droit au refus de travailler. Selon la preuve présentée à l’audience, il a avisé son employeur que ses conditions de travail n’étaient pas sécuritaires étant donné que des clients agressaient des gens, dont lui-même. Il a indiqué que les mesures de protection que l’employeur disait avoir prises (bouton du système d’alarme silencieux, codes de sécurité, assistance fournie par des agents de sécurité spéciaux et des superviseurs du transport, entre autres, ces mesures étant toutes décrites dans les présents motifs, ci-après) étaient des mesures réactives et qu’elles n’avaient pas permis de prévenir pas les agressions.

[15] Afin de répondre aux préoccupations de l’intimé, l’employeur lui aurait apparemment offert plusieurs options dans l’espoir de le convaincre d’accomplir ses tâches ce jour-là. Il lui a entre autres proposé de changer de circuit, de conduire un modèle d’autobus différent et de faire monter un agent de sécurité spécial à bord de son autobus pour toute la durée de son quart de travail.

[16] Comme les parties ne sont pas parvenues à résoudre le différend relatif à la question de savoir si M. MacDuff se serait exposé à un danger en accomplissant son travail de chauffeur d’autobus ce matin-là, Mme Marilyn St-Pierre, surintendante, Opérations du transport en commun, a communiqué avec Ressources humaines et Développement des compétences Canada (nom en vigueur à l’époque) afin de demander qu’un agent de santé et de sécurité enquête au sujet du refus de travailler et qu’il rende une décision sur la question de savoir M. MacDuff était en danger.

[17] Par conséquent, l’agent de SST Béland a été mandaté pour mener une enquête sur les circonstances du refus, comme prescrit par l’article 129 du Code. Comme il l’indique dans son rapport daté du 6 février 2014, l’agent de SST Béland a effectué son enquête le 5 juin 2013. Il s’est rendu au lieu de travail de l’intimé, au 1500, boulevard St-Laurent, à Ottawa, et y a rencontré M. MacDuff, M. Tony Viola, un employé membre du comité de santé et de sécurité, Mme Kaye, Mme St-Pierre et Mme Donna-Lynn Ahee, coordonnatrice de la sécurité d’OC Transpo, afin d’établir les faits sous-jacents au refus.

[18] À la suite de cette rencontre, il a aussi pris connaissance de nombreux documents que lui a fournis l’employeur à sa demande. L’agent de SST Béland résume son enquête dans son rapport en faisant tout simplement mention de ces documents et en se prononçant sur la question de savoir s’ils répondent aux exigences du Code et du Règlement en ce qui concerne les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques et de la violence et de la formation des employés et sur celle de savoir s’ils constituent des mesures de prévention appropriées pour protéger les chauffeurs d’autobus contre le risque de se faire agresser par des passagers.

[19] Après avoir formulé ces éléments, l’agent de SST Béland a conclu que M. MacDuff était exposé à un danger et il a émis les deux [Traduction] « instructions relatives à un danger » précitées. Il émet aussi [Traduction] « l’instruction relative à la contravention » qui enjoint l’employeur à mettre fin à la violation de l’alinéa 125(1)z.16) du Code et de l’article 20.3 du Règlement.

Partie I - Question préliminaire : la portée de l’appel

[20] Avant de déterminer les questions soulevées par le présent appel, je vais traiter d’une question qui a été abordée à divers moments durant l’audience et aussi dans le cadre de l’audience préparatoire, soit la portée de l’appel et la question de savoir ce qui devrait faire l’objet mon enquête.

[21] Plus précisément, le 12 mai 2015, soit un jour avant que l’audience ajournée le 10 avril 2015 ne reprenne, l’avocate de l’appelante a déposé des observations écrites non sollicitées auprès du Tribunal relativement à la portée de l’audience et de ma compétence, et à la définition du terme « danger » qui devrait s’appliquer dans le cadre du présent appel, au regard de modifications récentes apportées au Code et entrées en vigueur le 31 octobre 2014.

[22] Tel qu’il a été souligné précédemment, même si je tendais, à ce moment-là, à réserver mon jugement sur cette question afin de la traiter dans mes motifs finals, je me suis senti obligé de rendre un jugement officiel à cet égard afin de m’assurer que les parties soient adéquatement informées de ma conception de la portée de l’appel. La nature des éléments de preuve qu’allaient devoir présenter l’appelante et l’intimé, et l’étendue du contre-interrogatoire de l’intervenant seraient évidemment déterminées en fonction de la portée de l’enquête que j’étais prêt à réaliser en vertu de l’article 146.1 du Code, et de la version applicable de la définition du terme « danger ». Il était effectivement essentiel de trancher ces questions pour permettre aux parties de savoir comment elles allaient présenter leur cause et leur preuve.

[23] L’intimé et l’intervenant ont eu la possibilité de répondre par écrit aux observations de l’appelante et j’ai entrepris de rendre rapidement une décision interlocutoire (les motifs devant suivre) de manière à ne pas retarder davantage la tenue de l’audience. J’ai informé les parties de ma décision le 29 mai 2015, en ces termes :

[Traduction] La présente décision fait suite aux observations de l’appelante présentées au Tribunal le 12 mai 2015 concernant la [Traduction] « compétence » de l’agent d’appel à l’égard de la présente procédure.

Lors de l’audience du 13 mai 2015, toutes les parties ont insisté pour dire qu’il fallait clarifier les questions soulevées par l’appelante dans ses observations afin d’assurer la tenue d’une audience juste et de permettre aux parties de présenter pleinement leurs arguments et la preuve à l’égard des questions précises que j’examinerai lors de l’audition au fond de l’appel. Plus particulièrement, les parties ont insisté sur l’importance de clarifier la portée de l’appel et la question de savoir quelle définition du terme « danger » s’appliquait à l’appel, et aussi sur la nécessité de statuer officiellement sur ces questions à ce stade-ci de la procédure.

Par conséquent, après avoir examiné les observations des parties et les autorités qu’elles ont présentées, ma décision relative aux questions soulevées par l’appelante est la suivante :

La définition du terme « danger » s’appliquant à la présente procédure est celle qui figurait à l’article 122 du Code à l’époque du refus, soit le 4 juin 2013.

La question de savoir si [Traduction] « le danger allégué a été éliminé » depuis le refus grâce à des mesures prises subséquemment par l’appelante, ou [Traduction] « s’il n’existe plus » à cause de celles-ci, ou encore celle de savoir si l’appelante [Traduction] « s’est conformée à l’instruction » ne relèvent pas de l’appel.

Cela ne signifie pas que les faits subséquents au 4 juin 2013 sont automatiquement irrecevables. Ces faits pourraient être admis en preuve, et adéquatement soupesés, s’ils étaient présentés dans le but d’éclairer la prise de décisions sur les questions principales de l’appel, à savoir :

- relativement à l’instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code, la question de savoir si l’appelante a contrevenu au Code en n’ayant pas mis en place, selon les allégations, une politique de prévention de la violence à l’époque où l’instruction a été émise et celle de savoir si l’instruction émise pour ce motif est bien fondée dans les circonstances ayant mené à son émission;

- relativement aux deux instructions relatives à un « danger » émises en vertu du paragraphe 145(2) du Code, la question de savoir si, le 4 juin 2013, il y avait un risque, une situation ou une tâche qui présentait un « danger » pour l’intimé au sens du Code tel qu’interprété dans la jurisprudence, y compris la question de savoir si les mesures de contrôles qui étaient prétendument en place à l’époque étaient adéquates en vertu du Code; et celle de savoir si les instructions émises dans les circonstances doivent être annulées, modifiées ou confirmées.

Les questions soulevées en appel ne sont pas purement théoriques, puisqu’elles font toujours l’objet de controverses.

Comme j’en ai informé les parties, les motifs de la présente décision interlocutoire seront fournis dans la décision au fond de l’appel.

[24] Je vais maintenant présenter les observations des parties ainsi que les motifs de ma décision.

a) Observations de l’appelante

[25] Les observations de l’appelante se résument comme suit. L’appelante affirme que l’agent d’appel a compétence pour évaluer si un danger existait le 4 juin 2013 et, le cas échéant, si le danger allégué a été éliminé depuis par l’employeur. Par conséquent, la preuve des faits et des initiatives de l’employeur qui ont eu lieu après le jour du refus est entièrement pertinente dans le cadre de l’appel.

[26] L’appelante renvoie au paragraphe 145.1(2) du Code, lequel confère à l’agent d’appel tous les pouvoirs d’enquête d’un agent de SST. À ce titre, l’agent d’appel peut reprendre toute l’enquête relative au refus de travailler, de la même manière que l’agent de SST ferait enquête.

[27] L’appelante soutient que le processus d’appel est une procédure de novo, qui autorise l’agent d’appel à « examiner » l’affaire à nouveau et à recevoir tout élément de preuve, même si un tel élément n’existait pas au moment de l’enquête de l’agent de SST [Douglas Martin et al. c. Canada (Procureur général du Canada), 2005 CAF 156 (Martin); Brink’s Canada Limitée c. La Croix, Stewart et Faulds 2015 TSSTC 2 (Brink’s); Vancouver Wharves Ltd c. Canada (Procureur général), 1998 CarswellNat 4366; Bell Canada c. Travail Canada, 1984 CarswellNat 758 (Bell Canada)]. L’appelante réitère que la jurisprudence de la Cour fédérale a établi qu’il est permis de tenir compte de faits nouveaux dans le cadre d’une audience de novo tenue devant un agent d’appel, pourvu qu’ils se rapportent aux circonstances qui ont donné lieu au refus de travailler ou à l’établissement de l’instruction visée par l’appel.

[28] En ce qui a trait à la définition du terme « danger », l’appelante soutient que la définition actuelle, laquelle, selon certains, est plus restrictive, en sa version modifiée le 31 octobre 2014, devrait s’appliquer en l’espèce, et elle cite à l’appui de sa prétention l’article 10 et les alinéas 44c) et h) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

[29] L’appelante soutient par ailleurs que le refus de travailler est maintenant devenu purement théorique, puisque l’employeur, ayant agi [Traduction] « en toute bonne foi et de façon extrêmement prudente », a pris des mesures pour transformer OC Transpo en un milieu de travail encore plus sécuritaire qu’avant. L’appelante souligne qu’il est arrivé souvent que des agents d’appel tirent des conclusions en s’appuyant sur de nouveaux éléments de preuve pour déterminer si une question était purement théorique [AFPC c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 130; Babb c. Agence du revenu du Canada 2010 TSSTC 4 (Babb); Lelonde et Service correctionnel du Canada, décision o 07-026 rendue par un agent d’appel; Ouellette c. SaskTel, 2010 TSSTC 13.]

[30] L’appelante affirme que l’agent d’appel peut déterminer si un danger existe et que le libellé ne renvoie pas à un événement passé, mais plutôt à la situation qui prévaut au moment où l’employé doit retourner au travail. Si l’agent d’appel constate qu’il y avait, de fait, un danger, et qu’il confirme la conclusion de l’agent de SST, l’employeur serait ensuite tenu de prendre des mesures pour remédier à ce danger. En pareil cas, les mesures requises auront déjà été prises par l’employeur, affirme l’appelante. Par conséquent, l’employeur pourrait être confronté à une conclusion de danger alors que danger en cause n’existerait plus et personne ne serait mandaté pour déterminer si ce danger a été éliminé.

[31] L’appelante considère qu’en vertu du paragraphe 146.1(4), c’est à l’agent d’appel, et non pas à l’agent de SST, qu’il revient de trancher la question de savoir si l’employeur s’est conformé à une instruction après qu’elle a été émise. Peu importe la définition de « danger » qui est jugée applicable, l’appelante affirme que l’enquête visée par l’article 146.1 du Code est un processus « prospectif » et qu’à ce titre, l’agent d’appel doit tenir compte de la situation telle qu’elle existait au moment où il a mené son enquête [Service correctionnel du Canada (SCC) Établissement Millhaven et Union of Canadian Correctional Officers- Syndicat des agents correctionnels du Canada, décision 06-026 [2006] rendue par un agent d’appel et infirmée par la décision Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) c. Canada (Procureur général), 2008 CF 542] (UCCO-SACC-CSN).

b) Observations de l’intimé

[32] L’intimé soutient que l’objet de l’audience dont il est question à l’article 146 du Code est de mener une enquête au sujet des circonstances particulières ayant conduit l’agent de sécurité à émettre l’instruction, et à la confirmer, la modifier ou l’annuler.

[33] En réponse aux affirmations de l’employeur voulant que tout problème relatif à des agressions ait été corrigé par des mesures prises par l’employeur, l’intimé affirme que des agressions continuent de survenir et qu’aucune des mesures suggérées par l’employeur jusqu’à maintenant n’a été approuvée ou même examinée par Emploi et Développement Social Canada (EDSC), et que par conséquent, les conditions et la situation à OC Transpo n’ont pas sensiblement changé depuis la soi-disant nouvelle politique de prévention de la violence (PPV) visant à prévenir les agressions. Aucune des modifications qui auraient été apportées à des programmes ou à des politiques n’a été examinée ou approuvée par EDSC.

[34] L’intimé cite des déclarations que j’ai faites dans le cadre de conférences téléphoniques préparatoires, particulièrement celles selon lesquelles la portée de l’appel concerne les circonstances qui prévalaient durant la période du refus et des instructions. Il souligne aussi que l’appelante s’oppose à la divulgation de documents se rapportant à l’élaboration d’une nouvelle PPV au motif qu’ils ne sont pas pertinents dans la présente cause, car ils ne sont pas couverts par la portée de l’appel. Il soutient que l’appelante ne peut pas jouer sur les deux tableaux, tel qu’elle le fait en s’appuyant maintenant sur ces renseignements pour fonder son argument.

[35] En ce qui a trait à la définition du terme « danger », l’intimé soutient que la version précédente de la définition s’applique, compte tenu des dispositions transitoires contenues au paragraphe 199(1) du projet de loi C-4.

c) Observations de l’intervenant

[36] L’intervenant considère que les arguments de l’appelante soulèvent trois questions distinctes, à savoir : (i) ma compétence se limite-t-elle à rendre une décision sur la seule question de savoir si un danger au sens du Code existait le 4 juin 2013 en ce qui concerne M. MacDuff, ou est-ce que je peux aussi tenir compte de la question de savoir si un danger qui aurait existé a été depuis éliminé par la ville d’Ottawa; (ii) est-ce que la définition de « danger » applicable à la présente procédure d’appel est celle qui était en vigueur à l’époque du refus de travailler ou est-ce plutôt celle, plus restrictive, qui découle de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, qui est entrée en vigueur le 31 octobre 2014; (iii) le présent appel est-il d’une certaine façon devenu purement théorique?

[37] L’intervenant ne se prononce pas sur la première question en litige.

[38] Il soutient que la définition de « danger » qui s’applique à la présente procédure devrait être celle qui était en vigueur à l’époque du refus de travailler. Cela est en accord avec les dispositions transitoires du paragraphe 199(1) de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013. Même si ces dispositions transitoires n’existaient pas, l’intervenant estime que l’ancienne définition de « danger » s’appliquerait quand même. Ce que l’employeur soutient, ce n’est pas tout simplement que la définition de « danger » a changé, mais plutôt qu’un refus de travailler et un appel exercés en conformité avec l’ancienne définition doivent maintenant être jugés en fonction d’une nouvelle définition sensiblement modifiée. En d’autres mots, l’employeur voudrait que les modifications apportées au Code en octobre 2014 s’appliquent rétroactivement au mois de juin 2013. Pour que cela se produise, il faudrait qu’une disposition de la loi indique clairement que le législateur avait l’intention que ces modifications s’appliquent de façon rétroactive.

[39] En ce qui concerne la troisième question en litige, soit celle de savoir si la procédure d’appel est purement théorique, l’intervenant déclare qu’aucune conclusion quant au caractère théorique ne peut être établie à ce stade-ci de la procédure. L’affirmation du représentant de la ville d’Ottawa voulant que l’appel soit devenu purement théorique dans la mesure où elle a, [Traduction] « en toute bonne foi et en agissant de façon extrêmement prudente, pris des mesures pour faire d’OC Transpo un lieu de travail encore plus sécuritaire qu’avant », est une question de fait qui n’a pas encore prouvée à la satisfaction du Tribunal, et qui n’a pas été non plus reconnue de quelque façon que ce soit par l’intimé ou l’intervenant.

d) Réponse de l’appelante

[40] En résumé, l’appelante répète qu’une audience de novo oblige le Tribunal à rendre une [Traduction] « nouvelle décision » sur les questions qui lui sont présentées, et qu’à cette fin, il jouit de tous les pouvoirs d’un l’agent de SST et peut entendre de nouveaux éléments de preuve, peu importe si ceux-ci se trouvaient ou avaient pu être mis à la disposition de l’agent de SST qui a mené l’enquête. L’agent d’appel ne peut pas renvoyer l’affaire au Programme du travail d’EDSC aux fins d’un examen plus approfondi (UCCO-SACC-CSN; Association des employeurs maritimes c. Murray, 1991 CarswellNat 847). L’obligation légale qu’a l’employeur de rectifier un danger implique que le Tribunal doit évaluer les répercussions des mesures prises par la ville d’Ottawa si un constat de danger est établi.

[41] L’appelante reconnaît que les dispositions transitoires de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 s’appliquent à la présente procédure d’appel.

Motifs

La définition applicable de la notion de « danger »

[42] La première question en litige que j’ai traitée dans ma décision interlocutoire se rapporte à la définition applicable de la notion de « danger ». J’ai statué que la définition de « danger » qui s’applique à la présente procédure est celle qui figurait à l’article 122 du Code à la date du refus, soit le 4 juin 2013.

[43] Le paragraphe 199(1) de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 se lit comme suit :

199. (1) Le Code canadien du travail, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du présent article, s’applique à :

a) toute procédure  -  commencée avant cette entrée en vigueur  -  à l’égard de laquelle un agent de santé et de sécurité ou un agent régional de santé et de sécurité peut, sous le régime de la partie II de cette loi dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur, exercer des attributions;

b) toute procédure - commencée avant cette entrée en vigueur - relative à un refus de travail sous le régime des articles 128 à 129 de la même loi, dans sa version antérieure à cette entrée en vigueur.

[44] Cette disposition transitoire révèle clairement que le législateur souhaitait que l’ancienne définition du terme « danger » continue de s’appliquer aux procédures telles que le présent appel, en dépit des modifications entrées en vigueur le 31 octobre 2014. L’appelante a reconnu ce point dans sa réponse. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je justifie davantage ma conclusion.

L’objet de l’enquête en vertu de l’article 146.1 du Code

[45] Deuxièmement, j’ai rejeté l’argument de l’employeur en ce qui a trait à l’objet et à la portée de l’enquête visée à l’article 146.1 du Code. Cet article se lit comme suit :

146. (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.

[…]

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

[…]

[Soulignement ajouté]

[46] L’article 146.1 oblige l’agent d’appel à mener sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou à l’instruction, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. La revendication de l’appelante se fonde sur le principe voulant que l’agent d’appel doive mener à bien un processus de novo en vertu de l’article 146.1. L’appelante a cité de la jurisprudence qui assoit le pouvoir, voire l’obligation, qu’a l’agent d’appel d’entendre et de prendre en considération des éléments de preuve que l’agent de SST n’avait pas à sa disposition à l’époque de l’enquête et lorsque l’instruction a été émise. Je ne rejette pas cette affirmation. Je reconnais que l’enquête visée par l’article 146.1 est un processus de novo et qu’il existe un fort volume de jurisprudence corroborant ce principe. Cela dit, j’estime respectueusement que l’appelante interprète mal le sens à donner à l’enquête de novo visée par l’article 146.1 du Code.

[47] Premièrement, le langage simple de l’article 146.1 établit une procédure d’appel relative aux circonstances ayant amené un agent de SST à tirer certaines conclusions et à émettre une instruction. L’enquête menée en vertu de cet article doit nécessairement se rapporter à ces circonstances et non à celles qui prévalent au moment de l’enquête, soit, dans notre cas, plus de deux ans plus tard. Cela ne constituerait plus une procédure d’appel, mais une enquête indépendante sur de circonstances entièrement nouvelles. Selon moi, ce n’est pas ce qui est envisagé dans le Code.

[48] Le principe qui découle de la jurisprudence, tel que je le comprends, veut que l’agent d’appel ne soit pas lié par les éléments de preuve recueillis par l’agent de SST ni par ses conclusions de faits. De nouveaux éléments de preuve peuvent remonter à l’époque du refus ou de l’instruction ou peuvent survenir après que l’instruction a été émise. Cela dit, le but de l’admission en preuve de nouveaux faits n’est pas de servir à rendre une décision sur les circonstances existant au moment de l’enquête de l’agent d’appel. Les « nouveaux » éléments de preuve doivent se rapporter aux circonstances sur lesquelles l’agent de SST a enquêté. Ils doivent servir à éclaircir les circonstances et le contexte factuel qui ont donné lieu à l’instruction.

[49] Cela est illustré par la décision UCCO-SACC-CSN, citée par l’appelante. La Cour a conclu que l’agent d’appel avait erré en ne tenant pas compte d’éléments de preuve présentés par des agents correctionnels relativement à des faits subséquents à l’établissement de l’instruction, notamment des éléments de preuve qui démontraient une exposition constante à de la fumée secondaire dans les établissements correctionnels. Ces éléments de preuve n’étaient pas censés servir à réexaminer la situation telle qu’elle se présentait au moment de l’enquête. Ils ont plutôt été admis aux fins de l’évaluation de l’efficacité des mesures (soit une politique d’une interdiction de fumer) que l’employeur avait prises à l’époque où l’instruction de l’agent de SST a été émise, mesures qu’il jugeait adéquates pour remédier au danger allégué et pour réduire le plus possible le risque pour la santé des employés. Il est évident, dans cette cause, que ces éléments de preuve admis subséquemment étaient destinés, tel que la Cour l’affirme, à servir aux fins de l’évaluation de l’efficacité des mesures qui, selon l’employeur, étaient en vigueur à l’époque de l’enquête. À mes yeux, ce jugement ne confère pas à l’agent d’appel le pouvoir de se prononcer sur l’état de la situation au moment de l’enquête, ou de rendre une décision sur la question de savoir si, au moment de son enquête, l’employeur s’est conformé aux instructions, comme le souhaite l’appelante. Cela, à mon sens, dépasserait nettement la portée de l’enquête visée par l’article 146.1 du Code.

[50] Les conclusions de faits de la Cour corroborent les observations que j’ai faites dans le cadre de la décision que j’ai rendue le 29 mai 2015.

[51] La perspective suggérée par l’appelante a pour effet de transformer une enquête relative à un appel en une enquête complètement nouvelle qui serait réalisée au moment de l’audience. À mon avis, une telle approche enlèverait l’élément fondamental de la compétence en matière d’appel qui est envisagé dans le Code et rendrait non pertinentes les circonstances sous-jacentes à l’instruction initiale. Aussi, d’un point de vue pratique, comme il arrive souvent qu’un appel soit entendu un certain temps après que la décision ou l’instruction initiale a été émise, et compte tenu du fait que les questions de santé et de sécurité ne sont pas statiques, le processus serait presque infini étant donné que l’approche proposée par l’appelante pourrait inciter les parties à présenter de nouveaux faits, de nouveaux développements ou de nouvelles politiques jusqu’au moment de l’audience, voire durant celle-ci. Le processus d’appel risquerait de devenir interminable, et selon moi, telle n’était pas l’intention du législateur en ce qui concerne le Code.

La question de la conformité de l’employeur

[52] En ce qui a trait à l’observation de l’appelante voulant que mon enquête serve à examiner la mesure dans laquelle l’employeur s’est conformé aux instructions, je répète que cela témoigne d’une mauvaise compréhension du processus d’appel. Dès qu’elle a été émise, une instruction est légalement exécutoire et doit être respectée même si elle est portée en appel, sauf si une suspension est obtenue en application du paragraphe 146(2) du Code. Les suspensions ne sont accordées qu’à titre exceptionnel, lorsque l’appelant répond à plusieurs critères passablement rigoureux. Dans à peu près tous les cas, l’employeur se sera conformé à l’instruction au moment où l’appel est entendu. L’argument voulant que le travail de l’agent d’appel consiste à examiner et à apprécier la question de savoir si l’employeur s’est conformé à l’instruction transforme complètement la nature du processus d’appel, lequel sert à déterminer si l’instruction a été émise correctement au départ.

[53] Le Code traite des questions de conformité au moyen de ses dispositions pénales. En d’autres mots, il n’appartient pas à l’agent d’appel de déterminer si l’employeur s’est conformé à une instruction ni d’évaluer si les mesures correctives sont adéquates ni si le lieu de travail est sécuritaire au moment de l’enquête. Cette responsabilité revient aux agents de santé et de sécurité du Programme du travail - et maintenant au ministre en vertu du Code modifié - dans le cadre du continuum d’application de la loi. Le fait de ne pas se conformer à une instruction constitue une infraction en vertu du Code. La mesure dans laquelle un employeur s’est acquitté de son obligation de se conformer à une instruction sera évaluée par des représentants du Programme du travail dans le contexte de l’examen de la question de savoir s’il y a lieu d’entamer une poursuite. Le seul rôle de l’agent d’appel est de déterminer si l’instruction est bien fondée, et ce faisant il pourra la modifier, l’annuler ou la confirmer, ni plus ni moins.

[54] Cette description, telle que je la comprends, ne contredit pas le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Association des employeurs maritimes, citée par l’appelante. Dans cette cause, la Cour a cassé une ordonnance rendue par quelqu’un qui était alors un « agent régional de sécurité », dans le but de [Traduction] « renvoyer l’affaire à l’agent de SST afin qu’il détermine si les chariots élévateurs en cause étaient encore trop bruyants » et qu’il prenne les mesures nécessaires pour s’assurer que l’employeur s’était conformé à l’instruction. La Cour a jugé qu’aucune disposition de l’article 146 ne justifiait cette ordonnance.

[55] En faisant référence à l’interaction entre la fonction d’inspection/d’application de loi et le processus mis en œuvre par l’agent d’appel je ne sous-entends pas que l’affaire devrait être renvoyée à l’agent de SST, comme l’agent régional de sécurité l’a fait à tort dans l’affaire Association des employeurs maritimes. Ce jugement corrobore simplement le fait que la question de savoir si l’employeur est en règle ou s’il a éliminé le danger après que l’instruction a été émise ne relève pas de la compétence de l’agent d’appel.

[56] L’appelante invoque aussi les pouvoirs accordés par le paragraphe 145.1(2) à l’appui de sa position. Ce paragraphe se lisait comme suit à l’époque de l’instruction :

145.1(2) Pour l’application des articles 146 à 146.5, l’agent d’appel est investi des mêmes attributions- notamment en matière d’immunité- que l’agent de santé et de sécurité.

[Soulignement ajouté]

[57] L’appelante cite le jugement Martin à l’appui de sa thèse. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a statué que l’agent d’appel avait erré en déclarant qu’il n’avait pas la compétence pour remplacer une « instruction relative à un danger » [paragraphe 145(2)] par une « instruction relative à la contravention » [paragraphe 145(1)]. La Cour soutient que le paragraphe 145.1(2) habilitait l’agent d’appel à prendre cette mesure si elle était justifiée par les éléments de preuve qui lui étaient présentés. À mon sens, ce jugement ne signifie pas que le paragraphe 145.1(2) habilite l’agent d’appel à examiner la situation telle qu’elle se présente au moment de son enquête ni la question de savoir si l’appelante s’est conformée à l’instruction, comme elle le soutient. L’analyse présentée dans l’affaire Martin repose, à mon avis, sur l’examen des circonstances qui ont mené à l’émission de l’instruction et les commentaires du juge Rothstein doivent être interprétés dans cette optique :

[27] Aux termes de l’article 146.1 [édicté idem], l’agent d’appel peut « modifier, annuler ou confirmer » [édicté idem] les instructions de l’agent de santé et sécurité. L’agent d’appel peut par ailleurs annuler les instructions que l’agent de santé et sécurité a données en vertu du paragraphe 145(2) et qui, selon lui, ne sont pas indiquées. Toutefois, comme il est maintenant investi des mêmes pouvoirs que l’agent de santé et sécurité, il peut aussi modifier les instructions en donnant celles que, selon lui, l’agent de santé et sécurité aurait dû donner.

[28] L’appel interjeté devant l’agent d’appel est un appel de novo. En vertu de l’article 146.2 [édicté idem], l’agent d’appel peut convoquer des témoins et les contraindre à comparaître, recevoir sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice, et procéder, s’il le juge nécessaire, à l’examen de dossiers ou registres et à la tenue d’enquêtes. Compte tenu de ces vastes pouvoirs et de l’ajout du paragraphe 145.1(2), il n’y a aucune raison qui justifierait d’empêcher l’agent d’appel de rendre une décision en vertu du paragraphe 145(1), s’il estime qu’il y a eu contravention dans la partie II du Code, et ce, malgré le fait que l’agent de santé et sécurité a donné des instructions en vertu du paragraphe 145(2).

[Soulignement ajouté]

[58] Par conséquent, je ne partage pas le point de vue de l’appelante voulant que le paragraphe 145.1(2) appuie sa position. Ces pouvoirs sont accessoires au regard de la compétence première de l’agent d’appel. Les premiers mots de cet article (« Pour l’application des articles 146 à 146.5 ») étayent ce point de vue. La portée et l’objet premier de l’enquête de l’agent d’appel sont précisés à l’article 146.1. L’exercice de cette compétence première de façon de novo implique que l’agent d’appel doit jeter un regard neuf selon la perspective de l’agent de santé et de sécurité, et ce faisant, il peut prendre toute décision que l’agent de SST aurait pu rendre, y compris un constat de violation du Code [paragraphe 145(1)] lorsque l’instruction initiale est fondée sur le paragraphe 145(2).

[59] Je partage le point de vue exprimé par l’agent d’appel dans Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes 2013 TSSTC 23, en ce qui a trait au sens approprié à donner aux mots utilisés par la Cour aux paragraphes 27 et 28 de la décision Martin :

[41] Après avoir étudié attentivement les observations des parties, je suis d’avis que, si l’agent d’appel juge que l’employeur se trouve ou se trouvait en situation d’infraction du Code au moment de l’enquête de l’agent de SST, l’agent d’appel peut modifier l’instruction émise par l’agent de SST afin d’émettre l’instruction que l’agent de SST aurait dû émettre à son avis. Selon moi, cela signifie que l’agent d’appel peut modifier une instruction afin d’ajouter d’autres infractions qui, à son avis, auraient dû être mentionnées dans le contexte de l’enquête au sujet des mesures correctives dans l’instruction émise initialement par l’agent de SST.

[Soulignement ajouté]

[60] On peut soutenir qu’il y a une exception à ce principe lorsque l’appel est interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code à l’encontre d’une décision selon laquelle aucun danger n’existe. En pareils cas, le travail de l’agent d’appel consiste, aux fins de l’enquête visée par l’article 146.1, à déterminer si l’agent de SST était fondé à conclure à l’absence d’un danger compte tenu des circonstances entourant le refus. Si l’agent d’appel arrive à la conclusion que l’agent de SST a erré et qu’il y avait un danger, le Code l’habilite à exercer ses pouvoirs de redressement et à émettre « les instructions qu’il juge indiquées » (alinéa 146.1(1)b) du Code). Ce n’est qu’à l’issue de son enquête que l’agent d’appel exerce un tel pouvoir et qu’il s’implique par nécessité. Une instruction émise dans ce contexte est obligatoirement de nature prospective. Afin d’exercer ce pouvoir de redressement de manière pragmatique et utile, l’agent d’appel doit se demander si l’instruction est encore justifiée au moment où il l’émet. Cette instruction constitue en fait une instruction initiale. Il sera alors tout à fait indiqué pour un agent d’appel, au moment où il se demande s’il convient d’émettre une instruction dans les circonstances en cause, de tenir compte de la question de savoir si la situation dangereuse a été corrigée ou éliminée.

Distinctions avec les causes de jurisprudence citées

[61] L’appelante a cité bon nombre de décisions qui sont censées corroborer sa position juridique. À mon avis, des distinctions peuvent être établies entre celles-ci et le présent cas pour plusieurs raisons. Je considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner chaque décision citée, mais je vais tout simplement mettre en relief certaines des distinctions qui doivent être faites. Par exemple, dans Brink’s, l’agent d’appel fut appelé à statuer sur une requête préliminaire dans laquelle le syndicat intimé tentait de faire rejeter les appels au seul motif que l’employeur ne s’était pas conformé à diverses dispositions du Code avant de soumettre ses activités à des modifications qui avaient incité un agent de SST à émettre une instruction relative à un danger à cet employeur. Selon moi, la requête soulève la même question que celle traitée dans Martin, soit celle de savoir si un agent d’appel saisi d’une demande d’examen d’une instruction relative à un danger pourrait aussi émettre une « instruction relative à une contravention ». Mais il est intéressant de noter que l’agent d’appel se prononce comme suit au paragraphe 20 :

[20] Une bonne compréhension de la compétence d’un agent d’appel est essentielle pour arriver à une conclusion dans cette affaire. En ma qualité d’agent d’appel, je siège pour examiner une décision ou une instruction d’un agent de santé et de sécurité, selon le cas, et selon que la conclusion tirée par ledit agent est caractérisée comme une « décision » conformément au paragraphe 129(7 ) du Code ou comme une « instruction » en vertu du paragraphe 145(1) du Code dans le cas d’une conclusion de « contravention », ou aux termes du paragraphe 145(2) du Code dans le cas d’une conclusion de « danger », comme c’est le cas ici. Le paragraphe 146.1(1) utilise un libellé précis pour indiquer les limites de ce qui est soumis à un agent d’appel. Il indique, sous forme d’obligation (« l’agent d’appel mène sans délai », « shall » dans la version anglaise), que l’agent d’appel « mène [...] une enquête [...] sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions […] et sur la justification de celles-ci » (je souligne). Cela suffit pour m’amener à dire qu’il ne relève pas de la compétence de l’agent d’appel de se saisir ou d’être saisi pour trancher sur une affaire ou une question qui n’a pas fait préalablement l’objet d’une décision de la part d’un agent de santé et de sécurité. À mon avis, le seul libellé du Code suffit pour valider la proposition selon laquelle un agent d’appel est chargé d’enquêter sur les instructions spécifiques visées par les appels précis dont il est saisi.

[Soulignement ajouté]

[62] Ces énoncés donnent à penser que la portée de l’appel est déterminée par l’instruction visée par l’appel et qu’elle doit être liée aux circonstances entourant l’établissement de cette instruction telles qu’elles existaient à l’époque et non pas aux faits ou circonstances accessoires tels qu’ils existent au moment de l’audience de l’appel.

[63] L’appelante attire aussi mon attention sur les paragraphes 27 et 28 de l’affaire Bell Canada, jugée en 1984 par le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) qui exerçait à l’époque des fonctions semblables à celles conférées à l’agent d’appel par le Code actuel :

[Traduction] [27] Bell Canada a prétendu que le Conseil ne pouvait justifier après coup la nécessité de la directive en se fondant sur des preuves auxquelles n'avait pas eu accès Travail Canada avant que ne soit donnée cette directive. Son avocat s'est dit d'avis que la révision demandée en vertu de l'article 95 ne pouvait porter sur des questions auxquelles n'avait pas songé l'agent de sécurité lorsqu'il a décidé que la situation présentait une source de danger imminent et qu'il a rédigé la directive.

[28] Le Conseil juge qu'il serait impossible, pour ne pas dire injuste pour toutes les personnes en cause, d'envisager la question sous cet angle. Si le Conseil ne peut tenir compte de nouvelles preuves confirmant la nécessité de la directive, il lui serait tout aussi difficile d'accepter d'autres preuves indiquant que la directive devrait être modifiée ou annulée. Après tout, le Conseil se doit d'aller au coeur d'une situation, et cela pour la sécurité des employés. La directive est une chose permanente. Elle est aussi valable aujourd'hui qu'au moment de sa publication. S'il existe de nouveaux renseignements, dont ne disposait pas Travail Canada le jour où elle a été donnée, renseignements qui la justifient ou non, le Conseil doit être en mesure de les recevoir et d'en tenir compte pour décider si elle doit ou non rester en vigueur.

[Soulignement ajouté]

[64] Il importe de souligner que le libellé de l’article 95 du Code diffère de celui de l’article 146.1 actuel. Le paragraphe 95(1), qui est le précurseur de l’actuel paragraphe 146(1), autorisait l’employeur à renvoyer au CCRT pour examen une instruction émise par un agent de SST. Le paragraphe 95(2), qui est le précurseur du paragraphe 146.1(1), se lit comme suit :

95(2) Le Conseil canadien des relations du travail, lorsqu'on lui a soumis conformément au paragraphe (1) une directive donnée par un agent de sécurité, doit sans retard et de façon sommaire s'enquérir des circonstances qui l'ont motivée. Il peut modifier, annuler ou confirmer la directive.

[Soulignement ajouté]

[65] La compétence du CCRT comprenait donc, entre autres, celle de statuer sur une question qui semble être d’ordre plus général, soit celle du caractère nécessaire de l’instruction, par opposition à la « justification » de celle-ci, comme il est prescrit actuellement au paragraphe 146.1(1). Je considère qu’il s’agit d’une distinction importante et que cette décision n’est guère utile pour l’appelante.

[66] À l’examen d’autres causes citées par l’appelante quant au pouvoir de l’agent d’appel de modifier une instruction, je vois aussi une différence marquée entre le fait de modifier un délai pour s’y conformer, ou la désignation de l’employeur, et la thèse de l’appelante. Dans le premier cas, l’agent d’appel exerce de façon appropriée ses pouvoirs de redressement qui lui sont conférés dans le cadre de son enquête, alors que dans le dernier cas, la demande de l’appelante aurait pour effet, selon moi, de modifier fondamentalement et de façon inappropriée l’objet de l’enquête.

[67] Cette analyse m’amène à conclure respectueusement que la thèse de l’appelante est fondée sur une extrapolation incorrecte de la jurisprudence. Je constate en revanche que les commentaires de l’agent d’appel aux paragraphes 37 à 42 de la décision Babb, qui a aussi été citée par l’appelante, sont particulièrement pertinents :

[37] Conformément au paragraphe 146.1(1) du Code, l’agent d’appel qui est saisi d’un appel en vertu du paragraphe 129.(7), comme c’est le cas en l’occurrence, doit mener une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu au refus de travailler afin de déterminer si l’ASS est arrivé à la bonne décision. L’enquête sommaire consiste en un examen factuel des circonstances qui existaient au moment où l’ASS a fait son enquête. Je dois donc me mettre à la place de l’ASS lorsqu’il a mené son enquête afin de déterminer s’il y avait un danger au sens du Code. Pour ce faire, je dois tenir compte de la panne de courant et de la série de conditions particulières que cette panne a créées le jour du refus de travailler.

[38] Me Mackinnon a soutenu que le caractère de novo des affaires instruites par l’agent d’appel autorise la production d’éléments de preuve qui n’ont pas été pris en considération par l’ASS. Je partage son point de vue. Cependant, la jurisprudence nous enseigne que ces nouveaux éléments de preuve doivent avoir un rapport avec les circonstances qui existaient le jour du refus de travailler. Comme il est indiqué dans la décision du Bureau canadien d’appel dans l’affaire Duplessis et Forest Products Terminal Corporation. Ltd. L’AA saisi d’une question de novo possède suffisamment de pouvoirs pour recevoir de nouveaux éléments de preuve, notamment des preuves qu’un ASS pourrait ou devrait avoir reçu, dans la mesure où elles ont trait aux circonstances qui ont donné lieu au refus de travailler ou au prononcé d’une instruction en appel.

[39] Les circonstances ayant donné lieu au refus de travailler de M. Babb sont la qualité de l’air et l’odeur présente au lieu de travail situé au 875, chemin Heron, après la panne de courant.

[40] Je ne souscris pas à l’argument de Me Mackinnon voulant qu’en raison du caractère de novo de l’affaire dont je suis saisi, j’aie « [Traduction] la responsabilité concrète de vérifier si des événements sont survenus depuis le refus initial de travailler qui pourraient avoir une incidence sur la détermination de l’existence d’un danger ».

[…]

[42] Il m’apparaît important de rappeler que ma compétence, dans le présent appel, consiste à déterminer si la conclusion d’absence de danger pour M. Babb à laquelle est arrivé l’ASS, le 19 juin 2006, est fondée. À cette fin, je me pencherai sur la situation qui existait ce jour-là, en conséquence de la panne de courant. Ma compétence ne m’autorise pas à examiner la question de la qualité de l’air « en général » au 875, chemin Heron, Ottawa. [...]

[Soulignement ajouté]

L’affaire n’est pas purement théorique

[68] Enfin, l’argument de l’appelante quant au caractère théorique a été traité dans le cadre de ma décision du 29 mai 2015. J’ai statué que l’affaire n’était pas purement théorique. La thèse du caractère théorique défendue par l’appelante est de toute évidence fondée sur son allégation voulant que des mesures prises par la suite aient permis de remédier à la situation. Compte tenu de ma décision sur la portée appropriée de mon enquête en vertu de l’article 146.1, que je me suis employé à démontrer dans les paragraphes précédents, cet argument n’est pas fondé. Il est évident que le différend sur la question de savoir si l’employeur avait enfreint le Code à l’époque de l’instruction ou si M. MacDuff était exposé à un danger le 4 juin 2013 fait l’objet d’un vigoureux débat entre les parties.

[69] La jurisprudence reconnaît que les décideurs, tels que les agents d’appel, ont le pouvoir d’appliquer la doctrine du caractère théorique, c’est-à-dire de décider de ne pas entendre une cause s’il ne subsiste aucune question en litige entre les parties, le tout dans le but d’économiser les ressources judiciaires. Le critère devant être satisfait à cet égard est tiré de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Borowski c. Canada (Procureur général) [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski). Une telle demande est généralement présentée au décideur bien avant le début de l’audience et elle est habituellement fondée sur des faits généralement non contestés par les parties, tel qu’il ressort de la jurisprudence présentée par l’appelante.

[70] En l’espèce, les autres parties contestent de toute évidence les faits sur lesquels est fondé l’argument quant au caractère théorique. On irait à l’encontre du fondement même de la notion de caractère théorique s’il fallait d’abord faire enquête pour déterminer la véracité des faits invoqués au soutien d’une allégation de caractère théorique, lesquels sont au cœur des questions de fond en litige dans le cadre de l’appel. À mon avis, il subsiste de toute évidence une question en litige entre les parties, et les arguments de l’appelante quant au caractère théorique non seulement n’abordent pas le critère Borowski, mais le satisfont encore moins.

[71] J’ajoute en passant que l’examen de la jurisprudence citée par l’appelante a révélé que si un agent d’appel conclut au caractère théorique, cela entraîne habituellement le rejet de l’appel. Un tel dénouement n’aurait pas été favorable à l’appelante.

Partie II - Les questions soulevées en appel

[72] Les questions soulevées dans le cadre du présent appel sont les suivantes :

(i) en ce qui a trait à [Traduction] « l’instruction relative à la contravention » émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code, la question de savoir si l’appelante a contrevenu aux dispositions du Code, plus précisément l’alinéa 125(1)z.16) du Code et l’article 20.3 du Règlement, parce qu’elle a omis de [Traduction] « mettre en œuvre un programme de prévention de la violence , selon les modalités réglementaires » à l’époque de l’instruction, et celle de savoir si l’instruction émise en conséquence était fondée;

(ii) en ce qui a trait aux deux [Traduction] « instructions relatives à un danger » émises en vertu du paragraphe 145(2) du Code, la question de savoir si, le 4 juin 2013, il y avait un risque, une situation ou une tâche qui présentait un « danger » pour l’intimé au sens du Code, et celle de savoir si les instructions en conséquence étaient fondées.

Partie III - L’« instruction relative à la contravention »

Observations des parties

a) Observations de l’appelante

[73] En résumé, l’appelante soutient que l’employeur avait adopté plusieurs politiques, procédures et directives visant à assurer la prévention de la violence dans le lieu de travail. L’appelante souligne que l’employeur est la ville d’Ottawa et non OC Transpo, contrairement à ce que l’agent de SST Béland indique à répétition dans son rapport. OC Transpo n’est pas une personne morale distincte et les politiques d’application générale de la ville d’Ottawa en la matière sont pertinentes et auraient dû être prises en compte, ce que l’agent de SST Béland n’a pas fait.

[74] Ces politiques comprennent la politique (2003) et la procédure (2011) relatives à la violence dans le lieu de travail, la politique (2003) et la procédure (2011) relatives au harcèlement dans le lieu de travail, et le code de conduite de la ville d’Ottawa (Règlement 2007-68) interdisant expressément la violence envers les employés du système de transport en commun. Ces politiques sont suppléées par les politiques et procédures d’OC Transpo établies au fil du temps et qui traitent des problèmes propres aux employés du système de transport en commun. Ces politiques ont été élaborées avec le concours de groupes expressément mandatés pour examiner ces questions, comme le groupe de travail sur la prévention de la violence (mis sur pied durant la période 2003 à 2006), et au moyen de renseignements tirés des réponses contenues dans les formulaires relatifs à la violence envers des employés du transport en commun (VEETC).

[75] L’appelante affirme que ces politiques et procédures permettent une intervention systématique en cas de violence dans le lieu de travail, comme l’exige la partie XX (VIA Rail Canada Inc. c. Cecile Mulhern et Unifor, 2014 TSSTC 3). Elles tiennent compte des facteurs de risque révélés par l’analyse continue des cas de VEETC, telle qu’effectuée par le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité (le comité d’orientation) afin de s’assurer que les risques recensés sont réduits au minimum. Les différends liés aux droits de transport sont considérés comme un important facteur de risque et certaines procédures en traitent spécifiquement en stipulant clairement que les chauffeurs ne doivent pas s’exposer à des risques pour une question de perception des droits de transport. Cet aspect fait partie de la formation donnée aux chauffeurs d’autobus.

[76] L’appelante soutient que la législation n’exige pas qu’une politique ou un programme de prévention de la violence soit présenté dans un seul document (Skyjack Inc. v. Hutchinson [2007] O.L.R.B. rep. 191; Kerry Gresty et autres c. Service correctionnel du Canada, 2012 TSSTC 29). L’instruction devrait être annulée.

b) Observations de l’intimé

[77] Les observations de l’intimé portent essentiellement sur les [Traduction] « instructions relatives à un danger » et sur le fait que M. MacDuff était exposé à un danger le 4 juin 2013 en raison des mesures inadéquates de l’employeur pour contrer le danger posé par le risque d’agression de la part des membres du public. En ce qui a trait à [Traduction] « l’instruction relative à la contravention », le représentant de l’intimé soutient que l’appelante réduit la portée de l’expression [Traduction] « selon les modalités réglementaires » qui figure dans la partie de phrase suivante : « (...) n’avais pas mis en œuvre un PPV (programme de prévention de la violence), selon les modalités réglementaires », contenue dans l’instruction de l’agent de SST Béland. Malgré la politique d’application générale relative à la prévention de la violence régissant la ville d’Ottawa et OC Transpo, la partie XX du Règlement prescrit qu’un lieu de travail sous réglementation fédérale doit être doté d’une PPV fédérale réglementaire qui lui est propre. Comme OC Transpo exerce des activités dans deux provinces (l’Ontario et le Québec), cette organisation est officiellement un lieu de travail sous réglementation fédérale et par conséquent, toute politique de prévention de la violence applicable doit répondre aux exigences de la législation fédérale, ce qui n’était pas le cas à l’époque de l’instruction. Ceci a été démontré par une bonne partie de la preuve présentée, qui comprenait des documents mis à jour aussi récemment qu’en 2014.

c) Observations de l’intervenant

[78] Les observations de l’intervenant portent elles aussi principalement sur les [Traduction] « instructions relatives à un danger ». En ce qui a trait à [Traduction] « l’instruction relative à la contravention », l’intervenant affirme que les documents déposés en preuve par l’appelante ne constituent pas une politique de prévention de la violence [Traduction] « établie ». Selon le Code, cette politique s’entend d’un document de nature proactive créé avec le soutien et la participation du comité d’orientation. Aucune preuve n’a été présentée sur la façon dont les divers documents ont été créés ou sur la participation du comité. De plus, aucune preuve ne permettait d’établir que les diverses politiques présentées par l’employeur avaient été élaborées en tenant compte de quelque analyse ou examen du risque de violence envers les chauffeurs d’autobus.

[79] Les documents de la ville d’Ottawa sont de nature générique et ils ne traitent pas de la nature spécifique du lieu de travail sous réglementation fédérale qu’est OC Transpo. L’intervenant précise qu’il a été reconnu, dans le cadre d’un témoignage, que la politique de prévention de la violence d’OC Transpo n’existait que sous forme d’ébauche au moment où M. MacDuff a exercé son droit de refus, et il affirme que la preuve est plus que suffisante pour conclure qu’aucune politique en bonne et due forme relative à la prévention de la violence n’était en vigueur à ce moment-là.

Analyse

[80] La première question est celle de déterminer la nature de la contravention au Code (ou au Règlement) qui est invoquée dans l’instruction. Cela n’est pas si évident. L’agent de SST Béland cite d’abord l’article 20.3 du Règlement. Cet article se lit comme suit :

20.3 L’employeur élabore et affiche dans un lieu accessible à tous les employés une politique de prévention de la violence dans le lieu de travail qui fait notamment état de ses obligations, dont les suivantes :

a) offrir un lieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence;

b) affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail;

c) communiquer aux employés les renseignements en sa possession au sujet de ces facteurs;

d) aider les employés qui ont été exposés à la violence dans le lieu de travail.

[Soulignement ajouté]

[81] L’agent de SST Béland écrit ensuite que l’employeur [Traduction] « a omis de mettre en œuvre un programme de prévention de la violence dans le lieu de travail, selon les modalités réglementaires. » Je souligne que l’article 20.3 prescrit l’obligation d’élaborer et d’afficher une politique et non pas de [Traduction] « mettre en œuvre un programme ». Il s’agit de deux notions distinctes. Je dois présumer que le mot [Traduction] « programme » renvoie à la série d’obligations imposées à l’employeur par les articles 20.4 à 20.10 du Règlement. De fait, le rapport de l’agent de SST Béland fournit un certain contexte pour son instruction, qui renvoie à certaines de ces obligations. Dans son rapport, l’agent de SST Béland examine la documentation fournie par l’employeur dans le cadre de son enquête. Ce rapport contient effectivement une série de commentaires relatifs à cette documentation, sans qu’il y ait de fil ou de raisonnement directeur. À plusieurs reprises, l’agent de SST Béland y mentionne que la politique de prévention de la violence présentée par l’employeur est déficiente dans la mesure où elle s’applique à tous les employés de la ville d’Ottawa, alors que M. MacDuff [Traduction] « est un employé d’OC Transpo ».

[82] Dans l’ensemble de son rapport, l’agent de SST Béland mentionne à répétition qu’OC Transpo est l’employeur, et qu’il considère que les politiques municipales ne sont pas pertinentes et qu’elles ne ciblent pas suffisamment les employés d’OC Transpo. De plus, l’agent de SST Béland se prononce sur plusieurs questions telles que la participation du comité de santé et de sécurité aux enquêtes, la formation des employés, et la formation qu’a reçue M. MacDuff. Il n’est pas possible d’établir clairement si ses commentaires se rapportent à des violations du Code ou du Règlement et, le cas échéant, à quelles dispositions en particulier. La seule contravention qu’il mentionne est une violation de l’article 20.3, lequel prescrit que l’employeur doit élaborer une politique de prévention de la violence. Le problème, ici, c’est que l’instruction est ambiguë en soi et aussi lorsqu’on la lit dans le contexte du rapport. Ce qui est en cause dans le cadre du présent appel, ce n’est pas le rapport de l’agent de SST Béland, mais plutôt l’instruction qu’il a émise à l’issue de son enquête.

[83] Il s’ensuit que je dois d’abord établir si, au moment pertinent, l’employeur était en défaut d’élaborer et d’afficher une politique de prévention de la violence en vertu de l’article 20.3. La politique envisagée par cet article n’est pas censée constituer un document opérationnel. Elle doit faire état de l’objet de la politique en reflétant les modalités réglementaires, de même que des obligations de haut niveau auxquelles l’employeur est assujetti en ce qui a trait à la prévention de la violence dans le lieu de travail. Comme il est indiqué dans le document intitulé Guide de prévention de la violence dans le lieu de travail (publié par le Programme du travail de RHDCC et déposé comme pièce 56), la politique de prévention de la violence dans le lieu de travail sert à démontrer l'engagement de l'employeur aux employés relativement à son intention de fournir un lieu de travail exempt de violence et à offrir de l'aide lorsqu'un employé est victime de violence dans le lieu de travail. La politique décrit les responsabilités des intervenants du milieu de travail dans la réalisation d'un lieu de travail exempt de violence.

[84] Même si je ne suis pas lié par cette interprétation, j’estime qu’elle fournit une description exacte de l’obligation prescrite par l’article 20.3. Je constate qu’aucune disposition de cet article n’oblige l’employeur à [Traduction] « mettre en œuvre un programme de prévention de la violence », comme l’agent de SST Béland semble avoir conclu. Plus concrètement, l’annexe A du Guide offre un encadrement aux parties pour l’élaboration d’une politique de prévention de la violence en vertu de l’article 20.3. Il y est indiqué que la façon dont ces obligations de haut niveau doivent être exécutées est décrite plus ou moins en détail dans les dispositions qui suivent de la partie XX. Cela confirme ma compréhension selon laquelle aucune de ces dispositions ne prévoit que l’employeur doive préciser, dans la politique elle-même, la façon dont il s’est conformé aux obligations détaillées de la partie XX.

[85] Par conséquent, si l’instruction implique qu’il y a eu violation de l’article 20.3, j’estime que l’employeur s’était conformé à cet article à l’époque de l’instruction et que l’agent de SST Béland n’avait pas de motif valable d’émettre l’instruction en cause.

[86] Il ressort de nombreuses mentions dans son rapport que les réserves que l’agent de SST Béland avait envers la politique et les procédures existantes en matière de prévention de la violence étaient fondées sur le fait qu’il croyait qu’OC Transpo était l’employeur. Par conséquent, il a considéré que les politiques d’application générale élaborées par la ville d’Ottawa qui s’appliquent à tous ses employés n’étaient pas pertinentes ni appropriées. Il va sans dire qu’il s’est trompé. Toutes les parties reconnaissent que l’employeur de M. MacDuff aux fins de la présente affaire est la Ville d’Ottawa.

[87] La politique et les procédures de prévention de la violence déposées en preuve par l’appelante ont été élaborées en 2003 et modifiées en 2011. Je suis d’avis qu’elles satisfont, pour l’essentiel, à toutes les exigences de l’article 20.3 du Règlement. En d’autres mots, les quatre obligations devant être mentionnées dans la politique en vertu de cet article s’y trouvent. Il est utile de souligner que la version originale de la politique a été établie avant l’entrée en vigueur de l’article 20.3. Le fait que le Code ou la partie XX du Règlement n’y soient pas mentionnés est sans importance.

[88] En ce qui a trait à l’exigence d’affichage, les observations des parties ne remettent guère en question le fait que cette politique a été communiquée aux employés au fil du temps par divers moyens. M. Troy Charter, directeur général adjoint d’OC Transpo, Opérations du transport en commun, a déclaré lors de son témoignage que les politiques et procédures sont communiquées aux chauffeurs d’autobus dans le cadre de leur formation initiale, ainsi qu’au moyen du cartable des chauffeurs d’autobus qui doit être consulté quotidiennement avant que le chauffeur ne commence son quart de travail, de bulletins d’information affichés à divers endroits du parcours du service de transport en commun et du portail en ligne des chauffeurs d’autobus. Personne n’a laissé entendre que M. MacDuff n’était pas au courant de la politique de prévention de la violence de la ville d’Ottawa.

[89] Je procède maintenant à l’examen de la partie de phrase suivante : « (...) a omis de mettre en œuvre un programme de prévention de la violence. » On ne saurait dire ce que l’agent de SST Béland entendait par ces mots, à part le fait qu’il était préoccupé par le fait que l’employeur ne s’était pas acquitté de l’ensemble ou de certaines des obligations prescrites dans la partie XX du Règlement. Cela dit, aucun détail ni aucune explication n’ont été fournis quant à la question de savoir comment et quand l’employeur a commis une infraction et quant aux dispositions qui seraient en cause. La question à trancher est-elle celle de savoir si l’employeur était en défaut de consulter le comité de santé et de sécurité (20.1), d’identifier les facteurs contribuant à la violence dans le lieu de travail (20.4) ou de les évaluer adéquatement (20.5), de concevoir des mécanismes de contrôle (20.6), d’évaluer les mesures de prévention (20.7), d’élaborer des procédures de notification en cas d’urgence (20.8); de fournir de la formation aux employés (20.10) ou de faire tout ce qui précède? Je pose ces questions de manière rhétorique, car à mon sens, une instruction doit être assez précise pour qu’il soit possible de déterminer quelles dispositions du Code ou du Règlement auraient été enfreintes. Cela n’est pas le cas de l’instruction de l’agent de SST Béland.

[90] Il s’ensuit que si l’instruction doit être interprétée de façon plus globale, tel qu’on peut le déduire en lisant le rapport de l’agent de SST Béland, elle est à mon avis déficiente dans la mesure où elle est vague. L’affirmation sans précision selon laquelle l’employeur a omis de « mettre en œuvre un programme de prévention de la violence », une notion qui n’est pas définie dans la loi, sans plus de détails qu’un renvoi à l’article 20.3, fait que l’instruction est indûment vague et imprécise.

[91] Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve présentés à l’audience corroborent l’affirmation de l’employeur, à savoir qu’à l’époque des événements, l’employeur était pour l’essentiel en conformité avec les obligations de la partie XX. La preuve permet d’établir que la politique de prévention de la violence de la ville d’Ottawa existait à l’époque du refus, et qu’elle était suppléée par des politiques spécifiques aux conditions de travail à OC Transpo et qui offraient des conseils aux chauffeurs d’autobus sur les pratiques en matière de prévention des agressions et les comportements à adopter à cet égard. Pour n’en nommer que quelques-unes, l’employeur a cité le Manuel des opérations du service de transport en commun (2007 - pièce 6, onglet 5), le document intitulé Prévention de la violence et vous (pièce 6, onglet 6), une brochure réalisée par le groupe de travail sur la prévention de la violence en 2006 et qui fournit aux chauffeurs d’autobus des lignes directrices sur la prévention des agressions; les politiques adoptées en 2012 qui traitent des attentes envers les chauffeurs d’autobus à l’égard des droits de transport (Gestion des tarifs - Rôle du chauffeur d’autobus), soit de fournir de l’information sur les droits de transport et non de prendre des mesures d’application, et ce en vue d’éviter le plus possible les confrontations.

(Pièce 6, onglets 7, 8 et 9); avis aux chauffeurs d’autobus les enjoignant à ne pas confisquer de supports de droits de transport, afin d’éviter les conflits et les confrontations.

[92] De plus, la preuve permet d’établir que les employés, y compris l’intimé, reçoivent de la formation sur la prévention de la violence.

[93] Mme Donna-Lynn Ahee, coordonnatrice de la sécurité à OC Transpo, a déclaré lors de son témoignage que le comité d’orientation discute des incidents violents pouvant survenir dans le lieu de travail et particulièrement des agressions contre des chauffeurs d’autobus, et que les facteurs de risque pouvant contribuer à la violence sont systématiquement examinés. Par conséquent, l’employeur a mis en œuvre un certain nombre de politiques et diffusé des communications destinées aux chauffeurs d’autobus qui traitent des différends relatifs aux droits de transport et qui les avisent de ne pas s’engager dans un conflit sur les droits de transport. Au fil du temps, l’employeur a dégagé les chauffeurs de la responsabilité de voir à l’application des droits de transport et mis en relief le fait qu’ils sont tenus de donner de l’information sur ces droits de transport et non de les faire appliquer. Les chauffeurs peuvent, à leur discrétion, faire expulser un passager de leur autobus, ce qui leur permet d’être le juge de toute situation qui se présente. Les politiques et les communications destinées aux employés mettent l’accent sur le fait que les chauffeurs d’autobus doivent se comporter de manière à assurer leur propre sécurité en traitant les passagers avec respect, en désamorçant les situations potentiellement dangereuses, en agissant de façon préventive à l’égard des passagers hostiles et en évitant de se mettre en danger pour des questions de droits de transport. Il a aussi été établi que l’employeur s’est assuré que ses employés avaient reçu la formation en prévention de la violence, et qu’il fait un suivi auprès de ceux qui semblent avoir de la difficulté à cet égard, tel qu’on l’a fait auprès de M. MacDuff en 2010. Enfin, il a aussi été démontré que l’employeur dénonce publiquement la violence à l’encontre des chauffeurs d’autobus, tel qu’illustré par son appui au projet de loi C-402 modifiant le Code criminel pour y ajouter une infraction spécifique, soit celle d’agression contre un employé d’un service de transport en commun.

[94] Compte tenu de ce fondement probatoire, je ne vois rien qui permette de conclure que l’appelante avait omis de « mettre en œuvre un programme de prévention de la violence », peu importe le sens que l’on attribue à ces mots, à l’époque du refus de M. MacDuff. L’employeur avait adopté des mesures qui visaient à prévenir la violence dans le lieu de travail et informé les employés des droits que leur confère le Code à cet égard. Les facteurs contribuant à la violence sont traités et évalués lors des réunions du comité d’orientation. Tel que je l’ai déclaré précédemment dans les présents motifs, l’objet de la présente enquête n’est pas de mener une nouvelle enquête indépendante sur la question de savoir si l’employeur se conforme à toutes les dispositions de la partie XX du Règlement. Il s’agit plutôt d’examiner la validité de l’instruction visée par l’appel.

[95] En résumé, cette instruction fait mention d’une contravention à l’article 20.3 du Règlement. Cela constitue l’objet de l’appel et représente la seule question en litige que je dois examiner. L’agent de SST semble avoir fondé sa conclusion sur la croyance erronée voulant qu’OC Transpo, et non la ville d’Ottawa, est l’employeur. L’employeur a établi qu’à l’époque de l’instruction, on appliquait une politique de prévention de la violence répondant aux exigences de l’article 20.3, tel que je comprends cet article, et que cette politique avait été communiquée aux employés par divers moyens. J’en conclus donc que l’employeur s’est conformé à l’article 20.3 du Règlement durant toute la période pertinente. Pour ce motif, je déclare que l’instruction n’est pas fondée.

[96] Alternativement, si l’on doit attribuer une plus grande portée à l’instruction et que la mention du « programme » englobait les mesures décrites dans la partie XX du Règlement, je déclare que l’instruction était déficiente au motif qu’elle est vague et imprécise. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, elle établit à ma satisfaction que l’employeur n’a pas contrevenu aux dispositions de cette partie du Règlement. L’employeur a établi qu’il dispose de politiques et de procédures concernant la violence dans le lieu de travail, qu’il offre de la formation à ses employés en ce qui a trait aux facteurs pouvant contribuer à ce type de violence, et qu’il a adopté des mesures servant à aider les employés victimes de violence. Ces mesures, considérées dans leur ensemble, constituent une intervention systématique visant à contrer la violence dans le lieu de travail. Bien qu’il soit toujours possible de débattre du caractère suffisant des mesures adoptées par l’employeur ou de leur application, ce débat dépasse la portée du présent appel. Il n’y a tout simplement rien qui corrobore l’affirmation générale de l’agent de SST Béland voulant que l’employeur n’ait pas mis en œuvre un programme de prévention de la violence, tel qu’il est prescrit par le Règlement.

[97] Rien ne justifie donc l’« instruction relative à la contravention » et celle-ci est annulée.

[98] On m’a appris à l’audience que l’employeur avait établi une politique de prévention de la violence plus rigoureuse, en réaction à l’instruction de l’agent de SST Béland. De fait, l’employeur a mis au point ce qui semble être un plan de prévention de la violence plus complet et mieux intégré (pièce 6 - onglet 21) qu’auparavant, qui est censé satisfaire aux obligations de la partie XX du Règlement. Je ne prononcerai pas sur la question de savoir si ce document répond à chacune des exigences de la partie XX. Ce document a été établi après les événements entourant le refus de travailler et à ce titre, il dépasse la portée de la présente enquête. Cette question relève plutôt, à proprement parler, du continuum d’application de la loi par le ministre du Travail ou ses représentants délégués, tel que je l’ai expliqué précédemment.

Partie IV - Les deux « instructions relatives à un danger »

Observations des parties

a) Observations de l’appelante

[99] Les observations de l’appelante se résument comme suit.

[100] L’appelante cite d’abord la description de tâches d’un chauffeur d’autobus, et affirme que l’obligation de transiger avec des personnes au comportement imprévisible et potentiellement explosif est inhérente à cet emploi. L’allégation de l’intimé quant à l’existence d’un danger laisse entendre que les membres du public d’Ottawa en général présentent un danger pour les chauffeurs d’autobus. Le fait de traiter avec le public comporte certainement des risques et l’employeur a pris des mesures appropriées pour gérer ce risque, d’abord en s’assurant que les employés, y compris M. MacDuff, reçoivent une formation adéquate concernant la façon de se comporter et de communiquer efficacement afin de prévenir les agressions.

[101] L’appelante cite la preuve volumineuse présentée à l’audience au sujet des diverses séances de formation offertes aux employés relativement à la prévention de la violence dans le lieu de travail et, plus précisément, à la prévention des agressions contre des chauffeurs d’autobus (programme Ambassadeurs du transport en commun, formation relative au désamorçage de situations potentiellement dangereuses et formation Les-pros-en-mouvement). Les chauffeurs d’autobus reçoivent, en particulier, une formation sur l’approche à adopter pour éviter et gérer les différends avec des clients à propos des droits de transport, ce problème ayant été recensé au fil du temps comme étant un important facteur contribuant à engendrer des situations potentiellement violentes. M. MacDuff a suivi cette formation avec succès. L’appelante ajoute que personne ne doute que M. MacDuff connaissait les politiques et procédures d’OC Transpo relatives aux droits de transport.

[102] L’appelante indique ensuite que la communication radio peut être établie en tout temps entre le chauffeur et le Centre de contrôle intégré des opérations de transport en commun, que le chauffeur peut utiliser le système d’alarme silencieux installé à bord de chaque autobus, et qu’il a reçu de la formation à leur égard en situation d’urgence. Les systèmes permettent de fournir de l’aide sur-le-champ au chauffeur si ce dernier estime qu’une situation est potentiellement dangereuse. Grâce au système d’alarme silencieux, un agent de sécurité spécial d’OC Transpo ou un policier peut être dépêché sur les lieux de l’incident en quelques minutes.

[103] De plus, l’appelante souligne qu’OC Transpo fait le suivi des taux d’occurrence d’incidents liés à des agressions. Les formulaires relatifs à la VEETC sont vérifiés afin d’en vérifier l’exactitude et d’assurer la classification appropriée de l’incident. L’employeur compile ensuite les renseignements pertinents dans un chiffrier qui contient des données détaillées, notamment sur les numéros de circuits, l’heure de l’incident, le jour où il est survenu, afin de détecter toute tendance éventuelle. Un résumé de ce rapport est transmis au comité d’orientation et au comité local de santé et de sécurité.

[104] L’appelante cite ensuite l’analyse statistique effectuée par M. Ian Scott, Ph. D., et elle affirme que le risque que M. MacDuff se fasse agresser le 4 juin 2013 était infime. Cette analyse révèle ce qui suit :

- en 2012, la probabilité que M. MacDuff subisse une agression de niveau II par mois s’élevait à 0,0092 %;

- en 2012, la probabilité que M. MacDuff subisse une agression de niveau II par heure d’exploitation payante s’élevait à 0,00011 %;

- en 2012, la probabilité qu’il subisse une agression de niveau II par passager montant à bord d’un autobus s’élevait à 0,000000008 % ; ce pourcentage passait à 0,0000014 %, soit 1 passager sur 71 millions montant à bord d’un autobus, lorsque l’on applique le taux d’occurrence d’incidents moyen pour les trois années à l’étude.

[105] De plus, aucune tendance lourde n’a été recensée et la variation du nombre d’agressions peut être attribuée au volume d’utilisation accru du système de transport en commun à certaines heures du jour.

[106] L’appelante soutient que M. MacDuff s’est déjà comporté de manière dangereuse dans des contextes liés à l’application des droits de transport et qu’il avait été réprimandé à cet égard. On laisse entendre que M. MacDuff a été l’artisan de son malheur le soir du 26 mars 2013 lorsqu’il s’est fait agresser, puisqu’il ne s’est pas conformé aux politiques de l’employeur et qu’il a agi de façon agressive envers la personne qui l’a agressé. L’avocate de l’appelante a examiné en profondeur la version de l’incident donnée par M. MacDuff et elle a relevé plusieurs contradictions et incongruités qui devraient discréditer son témoignage. L’appelante soutient que si l’on tient compte des comportements antérieurs de M. MacDuff, il est probable qu’il s’en est pris physiquement au passager qui refusait de payer les droits de transport, contrairement à ce que lui dictait la formation qu’il a reçue.

[107] En ce qui a trait au refus de travailler exercé le 4 juin 2013, l’appelante soutient que M. MacDuff n’était pas exposé à un risque accru le matin où il est retourné au travail. Les conditions de travail de M. MacDuff n’avaient rien d’anormal ce matin-là. Comme il a indiqué qu’il craignait de se faire agresser à nouveau et que cela justifiait son refus d’accomplir ses tâches, l’employeur lui a offert des mesures d’accommodement (nouvel autobus, nouveau circuit, présence d’un agent de sécurité spécial dans l’autobus), que M. MacDuff a toutes refusées.

[108] La crédibilité de M. MacDuff est aussi remise en question par les exagérations et contradictions, révélées par un courriel envoyé à l’agent de SST Béland en septembre 2013, qui contient la liste des mesures qui lui permettraient de se sentir en sécurité, y compris la présence permanente d’un agent de sécurité spécial, une mesure qu’il a refusée lorsqu’elle lui a été offerte le 4 juin 2013. L’appelante a noté que l’intimé avait affirmé que l’employeur n’avait jamais donné suite à son projet d’adopter certaines mesures, mais qu’il avait admis lors de son contre-interrogatoire qu’il avait eu une rencontre avec M. Manconi, directeur général d’OC Transpo, d’une durée de deux heures, qu’il avait subrepticement enregistré la discussion et que l’employeur avait en fait donné suite à certaines de ses suggestions.

[109] L’appelante affirme également que l’intimé a une conception déraisonnable du danger dans la mesure où il a déclaré lors son témoignage que le simple fait de porter l’uniforme ou la casquette d’OC Transpo le mettait en danger. M. MacDuff craint le risque de façon déraisonnable et il n’est pas possible de gérer cette situation autrement qu’en lui permettant de ne jamais entrer en contact avec le public. Interagir avec le public fait nécessairement partie du travail d’un chauffeur d’autobus et cette tâche ainsi que la conduite elle-même de l’autobus constituent les tâches principales de la fonction de chauffeur d’autobus.

[110] En ce qui a trait à l’écran de protection, un dispositif qui, selon M. MacDuff, lui permettrait de se sentir en sécurité (cette question a aussi été soulevée à répétition par l’intervenant lorsqu’il a contre-interrogé les témoins de l’appelante), l’appelante affirme que ces écrans de protection ne correspondent pas à une norme de l’industrie, tel qu’établi par le témoignage de l’agent de sécurité spécial en chef, M. Jim Babe, et tel que démontré par son examen de la situation à l’échelle du pays. Cela ressort aussi du document relatif à l’examen par les pairs concernant la vérification de la sécurité de la American Public Transportation Association (APTA) (pièce 7). De plus, la preuve non contestée présentée par M. Babe établit que des écrans de protection sont susceptibles de présenter des problèmes de sécurité pour les chauffeurs.

[111] L’appelante a ensuite parlé du cadre légal applicable et du critère juridique établi par les tribunaux pour l’application de la notion de danger au sens du Code [notamment Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767 (Verville); Martin; Société canadienne des postes c. Pollard, 2007 CF 1362 (Pollard); Laroche c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1454 (Laroche); Stewart R. Doell et Lorne Knihniski et Conseil du Trésor du Canada (Service correctionnel du Canada), décision 04-014 (2004) rendue par un agent d’appel; Denis Leclair et Service correctionnel du Canada, décision 01-024 (2001) rendue par un agent d’appel]. La question à trancher est celle de savoir s’il y avait un risque, une situation ou une tâche- existant ou éventuel- susceptible de causer une blessure avant que le risque, la situation ou la tâche puisse être modifié. Cette analyse doit tenir compte de la preuve des faits se rapportant au jour où le refus a été exercé. La définition de « danger » s’articule autour de la probabilité qu’un risque se matérialise. Cette analyse doit exclure les situations hypothétiques ou fondées sur des spéculations.

[112] L’appelante soutient que les circonstances qui avaient cours le jour du refus ne permettent pas de conclure à une situation de danger. M. MacDuff a reçu une formation adéquate sur l’approche à suivre pour éviter les situations potentiellement dangereuses et il est bien informé à ce sujet. Cela fait partie de ses tâches courantes. Le système d’alarme silencieux était fonctionnel et l’effectif d’agents de sécurité spéciaux était complet ce jour-là, ce qui garantissait un court délai d’intervention (moins de cinq minutes, et en une minute le 26 mars 2013). M. MacDuff est le seul chauffeur ayant refusé de travailler ce jour-là.

[113] L’appelante soutient que le risque posé par les gens qui utilisent le système d’OC Transpo a été atténué adéquatement par l’employeur, grâce aux mesures précitées. L’avocate demande s’il est plus probable qu’improbable que M. MacDuff subisse une blessure en étant exposé à ce risque. L’agent d’appel doit examiner les circonstances qui prévalaient le jour du refus. On doit aussi présumer que l’employé agit en appliquant ce qu’il a appris dans le cadre de sa formation et qu’il se conforme aussi aux politiques et procédures applicables (article 126 du Code). M. MacDuff connaissait les techniques de désamorçage et il savait quoi faire s’il avait des inquiétudes à propos d’un passager. On lui avait expressément interdit de s’impliquer dans l’application des droits de transport, son rôle se limitant à celui de fournir de l’information, et il avait le pouvoir discrétionnaire de demander ou non à un passager de quitter l’autobus, même si ce passager ne payait pas les droits de transport.

[114] Alternativement, l’appelante soutient que si je concluais qu’il subsisterait un danger après que ces mesures aient été prises, le risque posé par le public n’est pas visé par l’article 128, puisqu’il constitue une condition normale d’emploi pour les chauffeurs d’autobus d’OC Transpo, comme le stipule la description de tâches applicable. L’appelante ne croit pas, contrairement à l’intimé et à l’intervenant, que d’autres pièces d’équipement, notamment des écrans de protection installés dans la [Traduction] « cabine » du chauffeur, sont requises pour atténuer un risque résiduel, et elle soutient qu’aucun fondement juridique ou factuel ne justifie cette prétention. L’avocate de l’appelante réitère que l’utilisation d’écrans de protection n’est pas une norme de l’industrie, que cela n’a pas été recommandé à l’issue de l’examen des activités d’OC Transpo effectué par des pairs de l’APTA, et que l’on craint grandement que cet équipement puisse comporter d’autres risques.

[115] Par conséquent, l’appelante soutient que les « instructions relatives à un danger » devraient être annulées.

b) Observations de l’intimé

[116] Les observations de l’intimé se résument comme suit : l’intimé cite d’abord la définition de « danger » figurant dans le Code, puis il parle de la justification invoquée par M. MacDuff lorsqu’il a refusé de travailler le matin du 4 juin 2013. Durant l’absence de M. MacDuff après l’agression subie le 26 mars 2013, OC Transpo n’a pas pris de mesures de protection supplémentaires ni modifié les conditions dans le lieu de travail afin d’y prévenir la récurrence d’agressions violentes. La formation sur les techniques de désamorçage n’était pas efficace dans le cas d’attaques imprévisibles. M. MacDuff s’est aussi rendu compte que l’aire de la cabine de l’autobus qu’il devait conduire n’avait pas été modifiée, et que si elle l’avait été, cela lui éviterait de vivre un autre épisode de violence dans le lieu de travail. M. MacDuff jugeait que son lieu de travail était encore dangereux étant donné qu’il avait appris qu’une autre agression était survenue le 22 avril 2013 pendant qu’il était en congé de maladie (pièce 27).

[117] Les processus et mesures d’OC Transpo n’ont pas permis de protéger le travailleur, car ils peuvent seulement être mis en œuvre après que l’agression a eu lieu. La présence d’agents de sécurité spéciaux peut avoir pour effet de réduire la durée ou la gravité d’une agression si ces agents arrivent assez rapidement sur les lieux, ce qui pourrait répondre aux exigences de l’article 20.8 du Règlement. L’intimé soutient toutefois que l’activation du bouton du système d’alarme silencieux et la communication radio peuvent exacerber les comportements agressifs de passagers dans certaines circonstances.

[118] L’intimé affirme que l’employeur n’a pas tenu une rencontre de récapitulation adéquate avec lui à la suite de son retour au travail le 4 juin 2013. L’objet de la récapitulation est d’aider le travailleur à comprendre exactement ce qui est arrivé et à réintégrer son poste après avoir vécu une expérience traumatisante. L’intimé soutient que l’employeur a omis d’établir un processus de retour au travail adéquat, aucun arrangement n’ayant été pris avant que M. MacDuff ne revienne au travail. De plus, il y avait beaucoup de confusion ce matin-là, étant donné que personne ne semblait savoir quoi faire dans le contexte du refus de travailler de l’intimé.

[119] Ce dernier soutient aussi que le comité local de santé et de sécurité n’a pas enquêté au sujet de l’agression contre M. MacDuff, contrairement aux exigences du paragraphe 135(7) du Code. L’intimé souligne le fait que des enquêtes sont réalisées par les agents de sécurité spéciaux d’OC Transpo, qui ne sont pas perçus comme impartiaux ni ne sont membres du comité. L’objet d’une enquête de type policier est de rassembler des éléments de preuve qui serviront à déterminer si un crime a été commis; l’objet d’une enquête en matière de santé et de sécurité, comme celle devant être effectuée en vertu du Règlement, est de déterminer la cause première d’un incident et de faire des recommandations pour empêcher qu’un tel incident se reproduise. En l’espèce, même si OC Transpo a déterminé que la cause de l’agression était liée au paiement des droits de transport, on peut soutenir que la cause directe de l’agression et des blessures résidait dans le fait que le chauffeur était exposé au public sans protection.

[120] L’intimé soutient par ailleurs que la partie XX du Règlement prévoit clairement que les procédures de l’employeur doivent assurer une protection contre les blessures, y compris les blessures biologiques et psychologiques, qui pourraient être causées par des actes violents perpétrés par des membres du public dans le lieu de travail (Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) 2014 CF 1066). À cet égard, les agressions de niveau I et II doivent être prises en considération aux fins de l’application du Règlement. L’employeur doit continuellement adapter, vérifier et modifier ses programmes et ses procédures afin de prémunir ses employés contre les risques.

[121] En ce qui a trait aux circonstances de l’agression survenue le soir du 26 mars 2013, le représentant de l’intimé a cité la description qu’en a faite M. MacDuff. Il a déclaré lors de son témoignage que l’agresseur était monté à bord de l’autobus, qu’il avait rapidement montré sa correspondance et qu’il avait dit à M. MacDuff qu’elle [Traduction] « n’était plus valide » depuis deux heures. M. MacDuff lui a répondu qu’il allait devoir payer les droits de transport. Quelques secondes plus tard, cette personne l’a agressé en le frappant sur le côté de la tête. M. MacDuff a aussi déclaré lors de son témoignage qu’il était dans un état apparenté à la transe après avoir absorbé l’impact du coup de poing qui lui avait peut-être causé une commotion liée à un traumatisme cérébral. Il n’a pas eu l’occasion de désamorcer la situation. En d’autres mots, comme démontré par les propres statistiques de l’employeur et les formulaires relatifs à la VEETC déposés en preuve, des agressions continuent de survenir malgré la formation donnée par l’employeur.

[122] En conclusion, l’intimé n’est pas d’accord avec l’argument de l’appelante selon lequel le risque de se faire agresser est une condition normale d’emploi pour les chauffeurs d’autobus. Avant de faire une telle affirmation, l’employeur doit établir qu’il s’est conformé à l’article 122.1 du Code et qu’il a pris des mesures raisonnables pour gérer le risque et pour fournir de l’équipement ou des dispositifs de protection, ce qu’il n’a pas fait (Brazeau et al. et TCA et Securicor Canada Limited, décision 04-049 (2004) rendue par un agent d’appel).

[123] L’intimé demande :

- de réintégrer son poste de chauffeur avec la mise en place de mesures visant à le protéger contre tout préjudice lié à de la violence dans le lieu de travail;

- que le comité local et le comité d’orientation assument pleinement les rôles et tâches que leur confère le Code;

- qu’EDSC supervise la restructuration du comité de la santé et de la sécurité et participe aux réunions jusqu’à ce que l’organisme soit convaincu de son bon fonctionnement;

- que le coût pécuniaire pour M. MacDuff de sa participation au présent appel lui soit entièrement remboursé.

c) Observations de l’intervenant

[124] Les observations de l’intervenant se résument comme suit : l’intervenant commence par rappeler pourquoi il participe à la présente procédure, à savoir qu’il veut s’assurer que le Tribunal entende le point de vue de l’ensemble des chauffeurs d’autobus sur la question de la sécurité dans leur lieu de travail. Le syndicat voulait signaler des problèmes systémiques éventuels dans le lieu de travail qui pourraient porter atteinte à la sécurité des chauffeurs.

[125] L’intervenant affirme d’abord que tous les témoins de l’employeur sont d’accord pour dire que chaque employé d’OC Transpo mérite d’être en sécurité lorsqu’il est au travail et de revenir chez lui sain et sauf à la fin de chaque journée de travail. Il s’agit d’une obligation de l’employeur en vertu des articles 122.1 et 124 du Code. Cette obligation est prescrite plus précisément dans la partie XIX du Règlement, qui contraint les employeurs à recenser et à gérer tous les risques liés au travail de concert avec leur comité d’orientation en matière de santé et de sécurité. Cette obligation est continue. La violence dans le lieu de travail est un risque expressément mentionné à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et dans la partie XX du Règlement.

[126] Comme il a été clairement établi que M. MacDuff s’est fait agresser le 26 mars 2013, l’intervenant soutient que les questions en litige dans le cadre du présent appel sont les suivantes : la ville d’Ottawa avait-elle élaboré une politique de prévention de la violence qui permettait de gérer adéquatement les possibilités de violence, et le jour du refus, l’employeur avait-il géré le danger posé par la violence dans le lieu de travail de manière à l’éliminer ou à le réduire le plus possible ?

[127] L’intervenant a cité la description des événements du 26 mars 2013 faite par M. MacDuff. L’avocat souligne que cette description de l’incident est crédible et qu’il a été victime d’une agression non provoquée ce soir-là, après qu’il eut demandé à un passager de payer les droits de transport exigibles. L’intervenant prend acte des mesures d’application de l’employeur relativement à la gestion des droits de transport, comme la suppression de la capacité du chauffeur de demander à un passager de quitter l’autobus, et il soutient les efforts de l’employeur pour que le rôle des chauffeurs consiste à informer les passagers des droits de transport, plutôt qu’à recourir à des méthodes coercitives. L’intervenant précise toutefois que cela n’élimine pas le danger lié à la violence.

[128] L’intervenant cite les preuves statistiques présentées par l’employeur et déclare qu’elles révèlent que la violence à l’endroit de chauffeurs d’autobus est loin d’être un phénomène inconnu ou rarissime. Il s’agit plutôt d’un phénomène dont la régularité et la fréquence sont préoccupantes (plus qu’une fois par semaine). La violence se manifeste même lorsque les chauffeurs agissent conformément à leur formation et aux politiques de la Ville.

[129] Quant à la probabilité qu’une agression survienne, l’intervenant cite la réponse donnée par M. Scott lors de son contre-interrogatoire, selon laquelle, si l’on tient compte du nombre moyen d’agressions et du nombre de chauffeurs d’autobus qui sont à l’emploi d’OC Transpo, la probabilité qu’un chauffeur d’autobus subisse une agression (de niveaux I ou II) durant une année de travail est d’une sur vingt-six. Cette probabilité est loin d’être aussi négligeable que l’employeur le laisse entendre. L’intervenant soutient que les statistiques sur les agressions nous permettent de sortir du domaine de la spéculation, et d’établir avec certitude qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une agression survienne. Un danger engendré par des événements potentiels, même des événements imprévisibles comme l’agression ou le vol, doit être géré par un employeur lorsqu’il y a une [Traduction] « possibilité raisonnable et non une simple possibilité » que de tels événements surviennent.

[130] L’intervenant a cité la définition de « danger » figurant dans le Code, qui devrait être interprétée dans le contexte de l’objet de la partie II du Code. Le Code est une loi réparatrice et doit être appliqué de manière large et fondée sur l’objet visé [Canadian Freightways Limited et Local 31 du Syndicat des camionneurs, décision 01-025 (2001) rendue par un agent d’appel); Agence Parcs Canada c. Martin, décision 02-009 (2002) rendue par un agent d’appel]. Il n’est pas nécessaire que le danger soit immédiat et on peut aussi envisager des événements futurs et des risques éventuels (Verville). Par conséquent, l’intervenant affirme qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’une agression se serait produite si M. MacDuff était retourné au travail en juin. On doit plutôt simplement démontrer qu’une agression aurait pu survenir ce jour-là en juin (ou lors d’un jour subséquent) si les conditions de travail de chauffeurs d’autobus n’avaient été aucunement modifiées.

[131] L’intervenant n’est pas d’accord avec l’argument de l’appelante voulant que le risque de se faire agresser est une condition normale d’emploi pour les chauffeurs d’autobus. Cet argument peut être présenté seulement lorsque l’employeur a pris des mesures pour atténuer ces dangers. C’est seulement après que toutes les mesures possibles ont été mises en pratique pour éliminer ou réduire le danger que les conditions qui subsistent peuvent être considérées comme des dangers inhérents à l’emploi (Éric V. & autres et Service correctionnel du Canada, décision 09-009 (2009) rendue par un agent d’appel).

[132] L’intervenant cite ensuite les événements du 4 juin 2013. L’intervenant souscrit à l’affirmation voulant que les mesures appliquées par l’employeur dans le but, selon ses allégations, de réduire le risque au minimum (alarme silencieuse, radio, agents de sécurité spéciaux) étaient de nature réactive et non préventive. Ces mesures sont conçues pour être appliquées après une agression et elles ne visent pas à prévenir une attaque contre un chauffeur ou tout acte qui pourrait lui causer une blessure. Aucun écran de protection physique ni aucune barrière du même genre n’a été installé dans les autobus depuis mars 2013, même si l’employeur a reconnu que de tels écrans de protection sont susceptibles de contribuer à empêcher des attaques contre des chauffeurs. Le nombre d’agents de sécurité spéciaux n’a pas augmenté. Le programme « Marche-o-bus », dans le cadre duquel les agents de sécurité spéciaux quittent leur voiture, montent à bord d’un autobus et patrouillent dans les stations de transport en commun, n’avait pas encore redémarré en 2013. Il s’ensuit que le danger continuait d’exister le 4 juin 2013.

[133] L’intervenant soutient également que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour éliminer ou réduire le danger posé par des agressions commises par des passagers. Il n’a pas géré adéquatement ce risque ni ne l’a réduit à un niveau sécuritaire, enfreignant ainsi les dispositions du Code dans la mesure où celles-ci l’obligent à réduire le plus possible le danger de tout acte de violence commis par un passager.

[134] L’intervenant estime que trois autres mesures auraient dû être prises par l’employeur. Premièrement, on aurait dû installer des écrans de protection dans les autobus, ce qui aurait créé une certaine barrière entre les passagers et le chauffeur et aurait pu réduire la possibilité d’agressions. Les membres du comité d’orientation n’en ont discuté que brièvement et ils ont décidé de reporter l’étude de cette question. L’intervenant conteste les problèmes soulevés par l’employeur relativement à d’éventuels risques associés à ce genre d’équipement, et il cite le fait que les autobus d’autres systèmes de transport en commun, comme celui de Toronto, sont dotés d’écrans de protection. Dans d’autres grands centres situés à l’extérieur du Canada, on utilise aussi des écrans de protection dans les autobus. L’intervenant laisse entendre que l’employeur était surtout préoccupé par la perception des membres du public si les chauffeurs étaient dissimulés derrière un écran de protection.

[135] Deuxièmement, l’intervenant avance que l’employeur aurait dû envisager d’augmenter son effectif d’agents de sécurité spéciaux, qui est actuellement insuffisant pour répondre aux exigences d’un organisme de la taille d’OC Transpo en matière de sécurité. Si ces agents de sécurité étaient plus visibles, le niveau de sécurité des chauffeurs d’autobus augmenterait lui aussi.

[136] Troisièmement, l’employeur aurait dû envisager d’installer des caméras à bord de ses autobus afin de dissuader le recours à la violence; cela pourrait aussi aider à appréhender les passagers qui continuent d’agir de manière violente à l’endroit des chauffeurs. L’intervenant reconnaît que l’employeur avait de fait envisagé cette option, mais que le syndicat avait des réserves quant à la possibilité que l’on utilise cet appareil pour repérer et sanctionner l’inconduite des chauffeurs d’autobus, le cas échéant.

[137] En conclusion, l’intervenant demande à l’agent d’appel de confirmer la décision selon laquelle M. MacDuff était exposé à un danger le 4 juin 2013, ainsi que les instructions afférentes émises par l’agent de SST Béland. Le risque de violence n’a jamais été évalué adéquatement et l’employeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables qui s’offraient à lui pour prévenir les actes de violence. Par conséquent, il faudrait ordonner à l’employeur de faire ce qui suit :

- créer un projet pilote qui viserait à évaluer l’efficacité d’écrans de protection bien conçus pour ce qui est de réduire le danger posé par les actes violents commis par des passagers à l’endroit de chauffeurs d’autobus;

- créer un programme qui viserait à équiper tous les autobus de la Ville de caméras, et ce, dans un délai raisonnable; ces caméras ne devant servir qu’à gérer les problèmes liés à la sécurité des chauffeurs;

- augmenter le nombre d’agents de sécurité spéciaux de manière à assurer un niveau de sécurité accru pour les chauffeurs d’autobus en intervenant plus rapidement et en étant plus visibles, donc dissuasifs.

d) Réponse de l’appelante

[138] En réponse, l’appelante rappelle un certain nombre de points qu’elle a déjà présentés dans ses observations principales. Je vais me borner à citer les points soulevés en réponse aux observations des autres parties. Ces points se résument comme suit.

[139] L’appelante soutient que dans leurs observations, les autres parties attribuent une portée excessive à la définition de « danger ». Et elles ne mentionnent pas que M. MacDuff n’a pas suivi les politiques d’OC Transpo. Premièrement, les agressions de niveau I ne devraient pas être prises en considération aux fins de l’analyse du danger, étant donné que la tâche doit être susceptible de causer une blessure ou une maladie. La question de savoir si l’agression a causé une blessure est ce qui distingue les agressions de niveau I de celles de niveau II. L’agent de SST Béland avait donc raison de se concentrer exclusivement sur les agressions de niveau II. Cela est corroboré par l’analyse figurant dans Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158, où il est question d’une personne « susceptible de subir une blessure grave ou la mort », une norme que la Cour d’appel n’a pas rejetée dans cette affaire.

[140] L’appelante précise que le présent appel porte uniquement sur les circonstances entourant l’agression subie par M. MacDuff. Les incidents cités par l’intimé et l’intervenant et qui impliquaient d’autres chauffeurs d’autobus n’ayant pas comparu à l’audience ne doivent pas être pris en considération par l’agent d’appel. Il s’ensuit que les formulaires relatifs à la VEETC ne devraient pas être admis en preuve comme faisant preuve de leur contenu, étant donné la nature préjudiciable de ceux-ci. Les faits particuliers de chacun de ces événements sont cruciaux et n’ont pas été établis au moyen d’un témoignage direct.

[141] En ce qui a trait à l’installation d’écrans de protection, l’appelante soutient que les autres parties prennent à la légère les préoccupations qui ont été signalées relativement à leur utilisation. Le témoignage de M. Babe à cet égard représente la seule preuve directe crédible portant sur les écrans de protection. M. Babe s’est servi d’un écran de protection durant plusieurs années dans le cadre de son travail de policier et il a mentionné que les reflets constituent un véritable problème associé à ce genre d’équipement. Les écrans de protection ne correspondent pas à la norme de l’industrie au Canada et dans la foulée du désastre qui a impliqué OC Transpo et VIA Rail en 2013, l’employeur ne peut pas soumettre la cabine à des modifications qui feraient augmenter les risques auxquels sont exposés les chauffeurs d’autobus.

[142] Pour ce qui est de l’installation de caméras, l’appelante soutient que maintenant que la question des droits des chauffeurs en matière de protection de la vie privée est réglée, l’employeur a depuis adopté une position conséquente à cet égard.

[143] En ce qui concerne la proposition voulant que l’on augmente le nombre d’agents de sécurité spéciaux, l’appelante précise que M. MacDuff a refusé qu’un agent de sécurité spécial l’accompagne pendant la durée de son quart de travail. L’appelante demande comment ces deux faits peuvent être conciliés.

[144] L’appelante avance que les enquêtes réalisées par les agents de sécurité spéciaux répondent clairement aux exigences de l’article 20.9 du Règlement. Ces constables effectuent des enquêtes objectives et détaillées sur les événements qui ont mené à des agressions et sur ce qui s’est produit par la suite. Conformément au paragraphe 20.9(5), cette preuve est ensuite présentée sous forme écrite dans un formulaire relatif à la VEETC, que l’employeur (Mme Ahee) analyse plus à fond avant de formuler des conclusions et des recommandations. Même si les formulaires relatifs à la VEETC ne sont pas transmis aux comités en raison de considérations touchant à la protection de la vie privée, des résumés des cas signalés sont remis aux comités locaux tous les mois.

Analyse

[145] Le présent appel découle de l’exercice du droit de refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code, qui se lit comme suit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[Soulignement ajouté]

[146] La notion de « danger » est définie comme suit au paragraphe 122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[Soulignement ajouté]

[147] La définition de « danger » comporte plusieurs volets et a été interprétée à plusieurs reprises par les tribunaux. Dans Pollard (2007 CF 1362), la Cour fédérale résume comme suit l’état du droit en ce qui concerne les critères d’appréciation de la notion de danger telle que définie dans le Code pour le contexte de cette cause :

[66] En droit, pour que l’on puisse dire qu’un risque existant ou éventuel constitue un « danger » au sens de la partie II du Code, les faits doivent établir ce qui suit :

1) la situation, la tâche ou le risque - existant ou éventuel - en question se présentera probablement;

2) un employé sera exposé à la situation, à la tâche ou au risque quand il se présentera;

3) l’exposition à la situation, à la tâche ou au risque est susceptible de causer une blessure ou une maladie à l’employé à tout moment, mais pas nécessairement chaque fois;

4) la blessure ou la maladie se produira sans doute avant que la situation ou le risque puisse être corrigé, ou la tâche modifiée.

[67] L’élément final requiert un examen des circonstances dans lesquelles on pourrait s’attendre à ce que la situation, la tâche ou le risque entraîne une blessure ou une maladie. Il doit exister une possibilité raisonnable que de telles circonstances se produisent dans l’avenir. Voir la décision Verville c. Canada (Service correctionnel) (2004), 253 F.T.R. 294, paragraphes 33 à 36.

[68] Dans l’arrêt Martin, précité, la Cour d’appel fédérale a donné des indications additionnelles sur la méthode à employer pour savoir si l’on peut s’attendre à ce qu’un risque éventuel ou une tâche future entraîne une blessure ou une maladie. Au paragraphe 37 de ses motifs, la Cour d’appel faisait observer qu’une conclusion de « danger » ne saurait reposer sur des conjectures ou des hypothèses. La tâche d’un agent d’appel, de l’avis de la Cour d’appel, consistait à apprécier la preuve et à dire s’il était probable que les circonstances susceptibles de causer la blessure se produisent dans l’avenir.

[Soulignement ajouté]

[148] Dans Laroche, la Cour fédérale décrit aussi la nature de l’analyse qui doit être effectuée aux fins de l’application de la définition de « danger ». Le premier élément dont il faut tenir compte lorsqu’on est confronté à un risque éventuel allégué est la probabilité que ce risque se matérialise :

[30] Dans un premier temps, je considère que l’agente d’appel a correctement identifié les questions qu’elle devait trancher pour déterminer s’il existait un danger. Je ne partage pas l’avis du demandeur que l’agente d’appel devait écarter ou moduler le critère de la « possibilité raisonnable » pour tenir compte de la gravité des conséquences si le risque devait se matérialiser. La définition de « danger » énoncée au paragraphe 122(1) du Code ne permet pas une pondération en fonction de la gravité des blessures ou de la maladie. Dès qu’un risque est susceptible d’entraîner des blessures ou une maladie, il s’agit d’un danger, et ce, quelle que soit la gravité des blessures ou des maladies. La définition de danger est articulée autour de la probabilité de réalisation du risque et non de la gravité des conséquences si le risque survient.

[Soulignement ajouté]

[149] Après avoir repris les critères établis au paragraphe 66 de la décision Pollard, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 32 de son jugement :

[32] La Cour d’appel fédérale qui a confirmé cette décision dans Pollard, précité, a réitéré comme suit les critères d’application de la définition de « danger » :

[16] Aux paragraphes 71 à 78 de ses motifs, l’agent d’appel a passé en revue la jurisprudence de la notion de "danger". Se fondant plus particulièrement sur la décision de notre Cour dans Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, et sur celle de la juge Gauthier dans Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, l’agent d’appel a déclaré que le risque, la situation ou la tâche peuvent être existants ou éventuels; qu’en l’espèce, le risque était éventuel en soi; que, pour conclure à la présence d’un danger, il faut déterminer dans quelles circonstances le risque éventuel est raisonnablement susceptible de causer des blessures, et établir que ces circonstances se présenteront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable; que pour conclure à la présence d’un danger, il s’agit de déterminer les probabilités que ce qu’affirme le plaignant se produise plus tard; que le risque doit être raisonnablement susceptible de causer des blessures avant qu’il ne soit écarté; et qu’il n’est pas nécessaire d’établir à quel moment précis le risque surviendra, ni qu’il survient chaque fois.

[17] Cet énoncé du droit est irréprochable ou, à tout le moins, il est raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

[150] À la lumière de la définition, dans le présent cas, je dois tenir compte de ce qui suit : (i) est-ce qu’une situation ou un risque, existant ou éventuel, existait le 4 juin 2013? (ii) ce risque, cette situation ou cette tâche était-il susceptible de causer une blessure ou une maladie à une personne qui y était exposée? (iii) le risque éventuel était-il susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou la rendre malade avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée?

[151] Comme je l’ai précisé plus haut dans les présents motifs, je dois effectuer l’examen de façon de novo, ce qui signifie que je ne suis pas lié par les conclusions de faits ou les conclusions de l’agent de SST et que je peux examiner tous les éléments de preuve pertinents se rapportant aux circonstances qui prévalaient à l’époque de la décision, y compris des éléments de preuve qui ont été examinés ou pas par l’agent de SST (DP World (Canada) Inc. c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 500 et al., 2013 TSSTC 3).

[152] Je précise aussi que ma tâche ne consiste pas à rendre une décision portant sur la question de savoir si l’appelante avait un motif raisonnable de croire qu’une situation ou une tâche présentait un danger. L’enquête obligatoire prescrite par l’article 146.1 du Code vise à rendre une décision, selon une norme objective, à propos de la question de savoir s’il y avait de fait un danger à l’époque du refus ou de l’enquête.

[153] La question à trancher est donc celle savoir si l’agent de SST Béland a appliqué adéquatement ce critère juridique dans le contexte du refus exercé par M. MacDuff. Dans ses deux [Traduction] « instructions relatives à un danger », l’agent de SST Béland mentionne qu’il est dangereux pour M. MacDuff [Traduction] « d’accomplir ses fonctions lesquelles l’exposent à des membres du public. » Pourtant, l’une des composantes fondamentales des tâches d’un chauffeur d’autobus est d’être « exposé » à des membres du public. L’agent de SST Béland affirme qu’il existe un manque de mesures de contrôles systématiques pour prévenir la violence à l’encontre des chauffeurs d’autobus dans leur lieu de travail.

[154] Encore une fois, nous devons nous en remettre à son rapport pour placer ces conclusions dans un certain contexte. À la suite de son commentaire, présenté plus ou moins sous la forme d’une énumération, à l’égard de la documentation fournie par l’employeur, l’agent de SST Béland souligne que l’employeur n’avait pas pris de nouvelles mesures pour prévenir les agressions comme celles subies par M. MacDuff le 26 mars 2013. Par conséquent, il conclut qu’un danger existait le 4 juin 2013. Le raisonnement qu’il fait pour arriver à une telle conclusion dans le contexte de la définition légale de « danger » est pour le moins fragmentaire.

[155] À mon avis, l’agent de SST Béland a mal interprété la portée de sa fonction lorsqu’il a enquêté au sujet du refus exercé par M. MacDuff le 4 juin 2013. Le fait que l’employeur n’ait pas terminé l’analyse des risques et des menaces requise par la partie XIX du Règlement, ou que le comité de santé et de sécurité n’ait pas participé aux enquêtes sur les actes de violence à l’endroit des chauffeurs d’autobus, ou encore que la formation de M. MacDuff, ait été, selon lui, inadéquate, n’établit pas qu’il faisait face à un danger le matin du 4 juin 2013. La question de savoir s’il était ou non confronté à un danger est celle que l’agent de SST Béland devait trancher.

[156] Comme je dois examiner de novo la situation qui prévalait le 4 juin 2013, il faut que j’analyse moi-même la question de savoir si un danger existait, en me fondant sur la preuve présentée à l’audience. La preuve permet d’établir que les conditions qui avaient cours dans le lieu de travail de M. MacDuff correspondaient à ses conditions de travail habituelles et que la tâche qu’il était censé accomplir consistait tout simplement en son travail normal de chauffeur d’autobus. Il accomplissait ces tâches depuis 13 ans.

[157] M. MacDuff devait travailler pendant une période de quatre (4) heures ce matin-là étant donné qu’il effectuait un retour graduel au travail après une absence d’une durée de trois mois après l’agression du 26 mars 2013. Dans le courriel qu’il a envoyé à sa superviseure, Mme Megan Kay, la veille de son retour au travail, M. MacDuff lui rappelle qu’il s’était fait agresser à cette date-là et que l’employeur n’avait pas encore terminé l’analyse du risque professionnel lié à sa fonction, y compris une analyse appropriée du risque d’agression, et qu’il tenait l’employeur responsable de son infortune. Le matin du 4 juin, il a justifié son refus de travailler en invoquant qu’il ne se sentait pas en sécurité étant donné que rien n’avait changé depuis le jour de l’agression et que l’employeur n’avait pas de solutions acceptables pour empêcher que cette situation se reproduise.

[158] Personne ne conteste que ce n’est pas le circuit en cause ou le voisinage qui constituait la source de danger présumée ni l’état du véhicule que M. MacDuff devait conduire ce matin-là. Rien n’indiquait que le risque de se faire agresser était plus élevé ce jour-là. Rien non plus ne donnait à penser que M. MacDuff était inapte, d’un point de vue médical (en raison, par exemple, d’un trouble post-traumatique qui aurait pu résulter de l’agression du 26 mars), à accomplir ses tâches ce jour-là.

[159] Il a été établi que les systèmes de communication existants étaient fonctionnels. Les chauffeurs d’autobus peuvent communiquer avec le centre de contrôle intégré lorsqu’ils craignent qu’une situation ne dégénère. Les ressources appropriées (superviseurs du transport en commun, agents de sécurité spéciaux, service de police d’Ottawa ou autres services d’urgence) peuvent ensuite être dépêchées sur les lieux. Chaque autobus est muni d’une alarme silencieuse, appelée le [Traduction] « bouton du système d’alarme silencieux » que les chauffeurs peuvent utiliser lorsqu’ils estiment qu’une situation est en train de dégénérer à un point tel qu’une intervention immédiate est requise.

[160] L’employeur a établi que l’effectif d’agents de sécurité spéciaux du Service d’application des règlements du transport en commun était complet ce jour-là. Les agents de sécurité spéciaux sont des agents de la paix spécialisés dans l’accomplissement de fonctions policières liées au système de transport en commun d’Ottawa et qui appuient les forces policières municipales. Ce service a été conçu pour réagir rapidement en cas d’urgence. Par exemple, des agents de sécurité spéciaux sont arrivés sur les lieux de l’incident moins d’une minute après que M. MacDuff eut appuyé sur le bouton du système d’alarme silencieux subséquemment à l’agression du 26 mars 2013.

[161] Bref, il n’y avait rien d’inhabituel dans les tâches ou les conditions de travail de M. MacDuff ce jour-là.

[162] Il a été établi que l’employeur a offert à M. MacDuff de faire un autre circuit ou d’utiliser un autre véhicule. On lui a aussi offert l’accompagnement d’un agent de sécurité spécial pour toute la durée de son quart afin de le rassurer. M. MacDuff n’a pas accepté ces accommodements. Il est évident que M. MacDuff a refusé de travailler ce matin-là parce qu’il craignait de se faire agresser à nouveau par un membre du public, peu importe les conditions qui prévalaient ce jour-là.

[163] Dans un courriel destiné à l’agent de SST Béland et daté du 9 septembre 2013, M. MacDuff énumère plusieurs initiatives que l’employeur aurait dû prendre pour gérer la situation. Ces mesures comprenaient l’installation d’un écran de protection dans les autobus, afin de créer une barrière entre les passagers et le chauffeur d’autobus. De fait, au fur et à mesure que l’audience se déroulait, et comme il a été révélé par le contre-interrogatoire des témoins de l’appelante par l’intimé et l’intervenant, la question des écrans de protection était le [Traduction] « véritable objet non avoué du débat » pour ainsi en dire. Je peux seulement présumer que c’est aussi ce à quoi pensait l’agent de SST Béland sans l’avoir dit explicitement lorsqu’il invoque dans ses instructions que les chauffeurs d’autobus étaient [Traduction] « exposés aux » membres du public. Les mesures proposées comprenaient aussi la présence de caméras à bord de chaque autobus, la captation en direct de ce qui se passe dans les autobus et la présence d’un agent de sécurité spécial en uniforme à bord de chaque autobus pendant toute la durée du quart de travail. Il y a environ 800 circuits exploités tous les jours au sein du système de transport en commun d’OC Transpo.

[164] Il va sans dire que le travail d’un chauffeur d’autobus comporte des interactions avec le public du début à la fin du quart de travail. Cela ressort de la description de tâches des chauffeurs d’autobus et est souvent mis en relief dans le cadre de la formation offerte aux nouveaux employés et de la formation de recyclage périodique (comme Les-pro-en-mouvement). La façon dont les chauffeurs d’autobus devraient interagir avec le public est aussi abordée et on les invite à se comporter de manière professionnelle en tant qu’ambassadeurs de l’organisation, et à le faire de manière à prévenir les situations qui pourraient mettre leur sécurité en péril. Ces mesures comprennent des techniques pour désamorcer certaines situations, le recours à des outils de communication (connexion radio avec le centre de contrôle et le système d’alarme silencieux) et l’application du principe voulant que le rôle du chauffeur consiste à donner de l’information sur les droits de transport et non pas à prendre des mesures d’application pour obtenir le paiement de ces droits. Les agents d’application des tarifs forment un groupe de professionnels distinct à OC Transpo. La preuve permet d’établir de façon passablement claire que plusieurs modules de formation traitent de ces questions. L’employeur a adopté des mécanismes (calendriers de formation cyclique et rappels, notamment) qui permettent de s’assurer que les employés reçoivent cette formation. Le 9 février 2012, par exemple, M. MacDuff a reçu un rappel officiel qui lui indiquait qu’il devait suivre la formation obligatoire en matière de sensibilisation à la violence, en plus des quelques bulletins qui avaient déjà été publiés par le service de la formation. L’employeur repère les employés dont les comportements peuvent être problématiques et qui requièrent une attention spéciale. Cela était le cas de M. MacDuff, qui, selon l’employeur, avait confronté un client de façon inappropriée au sujet des droits de transport en octobre 2010. En d’autres mots, M. MacDuff a été sensibilisé au risque de confrontation inhérent au fait d’interagir avec le public, ainsi qu’à la nécessité de prendre des précautions, et il a suivi avec succès la formation correspondante.

[165] L’employeur a beaucoup insisté, dans ses observations, sur le fait que M. MacDuff ne se conformait pas aux politiques et procédures en matière de perception des droits de transport à bord d’un autobus et de comportements inappropriés envers les passagers. De fait, l’employeur laisse entendre avec insistance que M. MacDuff s’était comporté de manière indûment agressive lorsqu’il avait demandé le paiement des droits de transport au passager qui l’a agressé le 26 mars 2013, et que ces comportements étaient la cause de son infortune.

[166] M. MacDuff a témoigné au sujet de la façon dont les événements s’étaient déroulés le soir du 26 mars 2013. Tel que mentionné dans le rapport d’incident du superviseur, M. MacDuff conduisait son autobus (circuit 98) et desservait le secteur sud de la Ville. Lorsque M. MacDuff a immobilisé son autobus à la station South Keys du Transitway, plusieurs passagers sont montés à bord. L’agresseur est monté dans l’autobus, il a rapidement montré sa correspondance et il a dit à M. MacDuff qu’elle [Traduction] « n’était plus valide » depuis deux heures. M. MacDuff lui a alors répondu qu’il allait devoir payer les droits de transport, le tout sans élever la voix. Il a pointé du doigt la grille des droits de transport. Quelques secondes plus tard, alors qu’il était toujours assis, M. MacDuff s’est fait agresser par ce passager, lequel l’a frappé sur le côté de la tête sans crier gare et par-derrière. Il a déclaré lors de son témoignage qu’il a alors eu l’impression d’être en état [Traduction] « apparenté à la transe » et que sa mémoire s’est brouillée à compter de ce moment-là. Sous le coup, il a fermé les yeux et lorsqu’il les a rouverts, il était agrippé à la veste du passager, qu’il voulait empêcher de partir. Une escarmouche a suivi et les deux hommes se sont retrouvés à l’extérieur de l’autobus. M. MacDuff a été projeté au sol et a reçu quelques coups de poing. L’agresseur a fini par s’enfuir lorsque d’autres passagers se sont mis à crier d’arrêter de se battre.

[167] L’employeur remet en question la crédibilité de M. MacDuff en raison de comportements agressifs qu’il a eus dans le passé envers des passagers qui n’avaient pas payé les droits de transport, et de sa tendance à exagérer (par exemple, le courriel où il énumère les mesures correctrices requises [pièce 73] et son refus de porter l’uniforme d’OC Transpo par crainte de se faire agresser). L’employeur laisse entendre que M. MacDuff a affiché un comportement axé sur la confrontation auprès de la personne qui l’a agressé, et qu’il mène maintenant une croisade personnelle pour amener l’employeur à installer des écrans de protection à bord des autobus.

[168] Je ne souscris pas à cet argument de l’employeur. M. MacDuff est le seul témoin ayant fait une déposition au sujet de ce qui s’est produit le soir du 26 mars 2013. Il n’existe aucune autre version de l’incident qui permettrait, par le jeu des comparaisons, de vérifier la crédibilité de la version de M. MacDuff, ou de rejeter cette version. Celle-ci ne contredit pas les déclarations qu’il a faites toute de suite après les événements ni les rapports préparés le même jour par d’autres personnes (voir le rapport d’incident du superviseur du transport en commun - pièce 24, onglet 5). Le simple fait qu’il ait déjà été impliqué dans des altercations avec des passagers ou que l’on ait établi qu’il avait enfreint des politiques (y compris celles relatives à la perception des droits de transport) dans le passé ne m’incite pas à privilégier la thèse de l’employeur voulant que M. MacDuff ait provoqué l’agression, au détriment de la description directe des événements fournie par l’intimé. Selon la prépondérance des probabilités, j’accueille la version de M. MacDuff en tant que version véridique. J’accepte l’argument selon lequel l’agression est survenue parce qu’il a demandé au passager de payer les droits de transport étant donné que sa correspondance était expirée. Il n’a pas levé la voix ni autrement agi de façon agressive. Le coup abrupt et imprévisible qu’il a reçu à la tête est arrivé alors qu’il était toujours assis dans son siège et l’empoignade qui a suivi était de nature défensive.

[169] Quoi qu’il en soit, ces considérations ne sont pas, à mon sens, déterminantes quant au dénouement du présent appel.

[170] Il est évident que la situation ayant incité M. MacDuff à s’inquiéter de sa sécurité le 4 juin en est une qui préoccupe tous les chauffeurs d’autobus d’OC Transpo. Dans un tel contexte, si on établit qu’un danger existait dans les circonstances décrites en preuve, il faudrait aussi inévitablement conclure que tous les chauffeurs d’autobus font face à un danger en tout temps pendant leur quart de travail. Cela implique que le fait de conduire un autobus constitue en soi un danger devant être éliminé sur-le-champ, tel qu’il est prescrit aux paragraphes 129(6) et 145(2). Cette conclusion s’appliquerait logiquement à tous les chauffeurs d’autobus et les activités d’OC Transpo devraient être interrompues jusqu’à ce que des mesures correctives appropriées soient prises. Les implications d’un constat de danger établi au regard des circonstances décrites dans la preuve sont, il va sans dire, importantes.

[171] La validité des deux [Traduction] « instructions relatives à un danger » repose, à mon avis, sur la probabilité que M. MacDuff subisse une agression le matin du 4 juin 2013. Je dois m’en remettre ici à la première composante du critère juridique précité, soit la question de savoir si une [Traduction] « une situation ou un risque éventuel » (le risque d’une agression) existe dans le lieu de travail (l’autobus) ou à cause de l’accomplissement d’une tâche (conduire un autobus). La question d’ordre juridique à trancher devient donc celle de savoir si le risque que courait M. MacDuff ce jour-là de se faire agresser constituait une possibilité raisonnable par opposition à une simple possibilité, auquel cas il pourrait être considéré comme un danger au sens du Code (Verville).

[172] Il est utile ici de reprendre ce passage de la décision du Tribunal dans l’affaire Laroche :

[...] La définition de danger est articulée autour de la probabilité de réalisation du risque et non de la gravité des conséquences si le risque survient.

[173] La tâche consistant à déterminer si la probabilité qu’une agression survienne est une simple possibilité par opposition à une possibilité raisonnable (on parlerait alors de danger au sens du Code, dans ce dernier cas) pourra sembler constituer une question de sémantique aux yeux de plusieurs. C’est toutefois le critère juridique établi par les tribunaux en tant que critère devant s’appliquer à une analyse du danger. Cette question ne peut être résolue arbitrairement et la réponse est liée, pour l’essentiel, au contexte factuel de chaque cas. Afin de mesurer l’ampleur du risque et de déterminer s’il constitue un danger au sens du Code, il faut tenter de quantifier la probabilité que le risque se matérialise.

[174] Dans Martin-Ivie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 772 (Martin-Ivie), la Cour fait référence au jugement Martin et déclare ce qui suit sur cette question, au paragraphe 49 :

(...)Dans l’arrêt Martin, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a annulé la décision de l’agent Cadieux parce que ce dernier avait refusé d’examiner s’il existait une telle possibilité, malgré la preuve concernant les agressions déjà subies par des gardiens de parc, la nature de leurs fonctions et les types d’individus et de situations auxquels ils s’exposaient. Cependant, le juge Rothstein a en même temps précisé que l’examen requis consistait fondamentalement à évaluer la probabilité que le risque invoqué se concrétise.

[Soulignement ajouté]

[175] À mon avis, les éléments de preuve statistiques présentés par l’employeur à l’audience relativement à la probabilité qu’une agression soit susceptible de causer une blessure sont concluants, comme je vais l’expliquer plus à fond.

[176] La preuve permet d’établir qu’OC Transpo a analysé des incidents dans lesquels ses chauffeurs d’autobus ont été impliqués afin de détecter des tendances et d’allouer les ressources en conséquence. Cela est accompli en examinant les formulaires relatifs à la VEETC remplis par des superviseurs sur les lieux d’un incident, après qu’ils aient questionné les chauffeurs d’autobus impliqués. Ces formulaires contiennent des renseignements sur le type d’agression ainsi qu’un résumé de l’incident. Les incidents sont catégorisés selon leur nature et leur gravité, suivant des critères qui, pour l’essentiel, se trouvent dans le Code criminel. Trois niveaux de classification des incidents sont établis à OC Transpo :

Niveau I : menace criminelle, contact/aucun contact, emploi délibéré de la force, par exemple gifler, pousser, empoigner, cracher sur le chauffeur, lancer un objet (avec contact/aucun contact) ne causant pas de blessure ou causant des blessures légères;

Niveau II : emploi délibéré de la force en cas de contact, par exemple un coup de poing, un coup de pied- blessures subies; et

Niveau III : incident grave impliquant une arme ou un contact physique violent et répété avec intention de porter atteinte à l’intégrité physique.

[177] L’agression subie par M. MacDuff le 26 mars 2013 a été classée comme agression de niveau II.

[178] La preuve présentée par l’employeur se rapporte à des incidents signalés pour la période allant de janvier 2012 au 30 novembre 2014. Elle permet d’établir que 173 incidents sont survenus durant cette période, dont 168 de niveau I et cinq de niveau II. Aucune agression de niveau III n’a été signalée. Compte tenu de la définition de « danger » figurant dans le Code, qui établit l’exigence d’une possibilité raisonnable d’une blessure ou d’une maladie, je souscris aux observations de l’employeur voulant que seules les agressions de niveaux II et III soient pertinentes aux fins du présent appel.

[179] La Cour fédérale déclare ce qui suit dans Martin-Ivie, au paragraphe 48 :

[...] La probabilité de blessures dans ces cas - comme dans tous les autres - est plutôt au centre de l’analyse, et la jurisprudence nous enseigne que, pour qu’un « danger » existe, les circonstances doivent être telles qu’il existe une possibilité réaliste que des blessures surviennent effectivement.

[Soulignement ajouté]

[180] Ainsi, le taux d’accident durant cette période de trois ans s’élève en moyenne à 59 agressions de niveaux I et II par an, et à deux (2) agressions de niveau II par an pour l’ensemble des quelque 1 600 chauffeurs d’autobus d’OC Transpo.

[181] Qu’est-ce que ces chiffres nous indiquent relativement à la quantification du risque? La preuve présentée par M. Ian Scott, Ph. D., directeur principal, conseils financiers chez Deloitte s.r.l., fournit ce qui constitue, selon moi, un fondement déterminant pour répondre à cette question. Les antécédents de M. Scott en tant qu’expert-statisticien n’ont pas été remis en cause. Il a été engagé par l’appelante afin d’effectuer une analyse comprenant les opérations suivantes : (i) explorer les données afin de déterminer les écarts entre elles et résumer les données disponibles; (ii) faire une analyse des probabilités fondée sur les données historiques d’OC Transpo relatives aux incidents impliquant des chauffeurs d’autobus et sur les données opérationnelles (notamment, le nombre de personnes montant à bord d’un autobus, heures de desserte, horaires des circuits d’autobus); et (iii) analyser les tendances afin d’examiner l’incidence de facteurs sélectionnés (notamment, circuits d’autobus, heures de la journée) sur les taux d’occurrence d’incidents.

[182] L’analyse a été réalisée à l’aide des renseignements recueillis par OC Transpo, tel que Mme Ahee l’a précisé lors de son témoignage. La validité et la fiabilité de ces renseignements n’ont pas été vraiment contestées. Les probabilités statistiques se fondent sur les agressions de niveau II qui, comme il a été expliqué plus haut, sont celles entraînant des blessures. Les conclusions de M. Scott se résument comme suit : Il a examiné les probabilités que M. MacDuff subisse une agression de niveau II, en appliquant plusieurs mesures opérationnelles et il a conclu ce qui suit :

- en 2012, la probabilité que M. MacDuff subisse une agression de niveau II par mois s’élevait à 0,0092 %;

- en 2012, la probabilité que M. MacDuff subisse une agression de niveau II par heure d’exploitation payante s’élevait à 0,00011 %;

- et, cela étant peut-être encore plus révélateur à mon sens, toujours en 2012, la probabilité qu’il subisse une agression de niveau II par passager montant à bord d’un autobus s’élevait à 0,000000008 %; ce pourcentage passant à 0,0000014 %, soit 1 passager sur 71 millions montant à bord d’un autobus, lorsqu’on applique le taux d’occurrence d’incidents pour les trois années à l’étude.

[183] Lorsque l’intervenant l’a contre-interrogé au sujet de la probabilité qu’un chauffeur d’autobus subisse une agression de niveau I ou II au cours d’une année donnée, M. Scott a déclaré que les chauffeurs d’autobus ont, globalement, une chance sur 26 de se faire agresser. Cette probabilité serait d’une sur 900 si l’on prenait en compte les agressions de niveau II seulement. Je crois comprendre que ces affirmations renvoient de façon générale à tous les chauffeurs d’autobus, par opposition à la même probabilité s’appliquant seulement à M. MacDuff.

[184] M. Scott a aussi analysé la possibilité que les tendances révèlent que lors de certains jours ou à certaines heures ou encore sur certains circuits, le danger est plus grand. Il a conclu qu’aucune tendance n’était statistiquement déterminante à cet égard. Le nombre plus élevé d’agressions survenant à certaines heures du jour sur un circuit donné pourrait s’expliquer par le nombre de passagers plus élevé (heures de pointe, autobus empruntant les voies express, par exemple).

[185] M. Scott a aussi comparé les probabilités d’agression de niveau II avec d’autres mesures. Cela fournit de l’information utile sur la relativité du risque éventuel dans le présent cas. Il a comparé les taux de collisions d’OC Transpo pour 2012 et pour 2013 avec le nombre moyen d’agressions de niveau II pour ces années-là (qui est de deux). Le taux de collisions s’établissait à 1 565 en 2012 et à 1 445 en 2013, soit une moyenne de 1 505 collisions par année. M. Scott a expliqué que M. MacDuff est 752,5 fois plus susceptible d’être impliqué dans une collision que de subir une agression de niveau II. Cela dit, comme l’appelante l’a précisé, aucun danger n’a été invoqué relativement au risque sensiblement beaucoup plus élevé d’être impliqué dans un accident de la route.

[186] M. Scott a par ailleurs déclaré lors de son témoignage que M. MacDuff est sept (7) fois plus susceptible de mourir dans un écrasement d’avion ou à cause d’un acte de terrorisme, que de subir une agression de niveau II.

[187] Ces comparaisons, pour ce qu’elles valent, n’illustrent pas moins le fait que la probabilité que M. MacDuff se soit fait agresser le 4 juin 2013, est infinitésimalement faible, particulièrement lorsqu’on tient compte du fait que l’employeur avait proposé à M. MacDuff qu’un agent de sécurité spécial en uniforme l’accompagne à bord de l’autobus ce jour-là. Dans de telles circonstances, le risque que M. MacDuff se fasse agresser est pratiquement nul. Ce cas diffère d’autres cas rapportés dans la jurisprudence et impliquant des employés d’établissement carcéraux, ou des employés chargés de l’application de la loi ou qui transportent de l’argent dans des véhicules blindés et qui, a priori, sont exposés à un risque d’agression grave beaucoup plus élevé, compte tenu de la nature de leur fonction.

[188] L’intervenant précise que ce n’est pas seulement la probabilité de se faire agresser qui devrait être considérée comme problématique, mais aussi la fréquence et la régularité des agressions. Je ne partage pas ce point de vue aux fins de l’analyse du danger. Tel que l’ont statué les tribunaux, la probabilité qu’un risque se soit matérialisé à l’époque du refus de travailler ou de l’enquête de l’agent de santé et de sécurité est ce que l’on doit considérer ici au regard de la notion de danger au sens du Code.

[189] Compte tenu de cette preuve, je ne suis tout simplement pas en mesure de conclure que M. MacDuff se ferait probablement agresser le matin du 4 juin 2013 ni dans le futur, pour tout dire, tel que la Cour l’exprime dans Pollard. La possibilité qu’un tel événement survienne est beaucoup trop négligeable pour être considérée comme un danger au sens du Code.

[190] Les chauffeurs d’autobus sont appelés à interagir avec le public lorsqu’ils accomplissent leurs tâches. Cela s’inscrit dans la nature même de leur travail. Je ne peux tout simplement pas être convaincu que le fait de travailler aux côtés du public dans les conditions décrites en preuve présente en soi un danger au sens du Code pour les chauffeurs d’autobus. Je trouve qu’il est déplorable et franchement dommage que M. MacDuff se soit fait agresser le 26 mars 2013, sans faute apparente de sa part. Cela constitue un acte répréhensible qui vaudra à son auteur, espérons-le, de faire face à la justice pénale. Mais la vie en société comporte le risque de devenir la malheureuse victime d’actes illégaux imprévisibles commis par des individus mal intentionnés. Le risque zéro est quelque chose qui, selon moi, n’existe pas.

[191] Une grande partie de la déposition de l’appelante et des observations des parties traite du caractère adéquat des mesures appliquées pour réduire le plus possible le risque d’agression. L’appelante soutient qu’elle a pris des mesures de prévention appropriées pour atténuer un risque sur lequel, en dernière analyse, elle n’a aucune emprise.

[192] L’employeur a parlé avec insistance des mesures qu’il juge appropriées pour gérer le risque et prévenir les agressions dans la mesure du possible. Citons en premier la description de tâches d’un chauffeur d’autobus, de laquelle on comprend clairement que la capacité de traiter avec le public et de gérer les clients est essentielle pour accomplir ce travail. M. Lindsay Toll, directeur de section, formation relative à l’emploi, a témoigné au sujet de la nature de la formation donnée aux chauffeurs d’autobus nouvellement engagés. Il a déposé des documents volumineux sur les sujets en cause abordés dans le cadre de cette formation (pièce 18, vol. I à V) et qui étaient utilisés même avant que M. MacDuff ne reçoive sa formation. Cette formation initiale, d’une durée de 31 jours, destinée aux chauffeurs d’autobus traite de l’importance de ces compétences. Il a été établi que les techniques de gestion de la sensibilité et de désamorçage représentent une partie importante du programme de formation. Un module dont la durée est d’une journée de formation destinée aux nouveaux chauffeurs d’autobus traite des techniques de communication efficaces et des risques que présente une rupture de communication pour la sécurité du chauffeur et des passagers. On rappelle aux chauffeurs l’importance de désamorcer une situation avant qu’elle ne dégénère. On leur mentionne que les différends liés aux droits de transport sont un facteur important qui entraîne souvent des comportements agressifs de la part des clients. On leur apprend à exiger le paiement des droits de transport avec ouverture ([Traduction] « saviez-vous que...? ») de manière à communiquer le montant des droits plutôt que de prendre des mesures d’application. Les chauffeurs doivent éviter de confisquer une carte ou de détenir ou d’expulser des passagers. On leur apprend qu’ils ont le pouvoir discrétionnaire d’émettre une carte d’une journée s’ils estiment que ce geste peut désamorcer une situation explosive. Il a été établi que M. MacDuff a reçu cette formation et qu’il est au courant de ce qu’il est censé faire en pareil cas. Il ne l’a pas contredit.

[193] Tous ces messages clés sont communiqués fréquemment aux chauffeurs d’autobus au début de leur carrière et périodiquement par la suite à l’aide de moyens tels que la formation cyclique « Les-pro-en-mouvement » qui est assortie d’un calendrier s’étendant sur trois ans (pièce 33), et la formation relative à la prévention des agressions (plan des cours de prévention des agressions, pièce 23). Après avoir examiné le dossier de formation de M. MacDuff, M. Toll a déclaré lors de son témoignage que celui-ci aurait reçu la formation « Les-pros-en-mouvement » ainsi que la formation sur la sensibilisation à la violence au travail du Service de transport en commun de la ville d’Ottawa en 2012. L’employeur publie aussi des notes de service à l’intention des chauffeurs, qui sont insérées dans les cartables que les chauffeurs sont tenus de consulter au début leur quart afin de prendre connaissance de toute modification qui aurait été apportée à une politique ou à une procédure, comme celles se rapportant à la perception des droits de transport.

[194] La preuve a aussi permis d’établir que les chauffeurs d’autobus ont des communications radio avec le centre de contrôle des opérations de transport en commun et qu’ils apprennent à utiliser les codes radio de façon appropriée s’ils devaient s’en servir pour obtenir de l’aide. S’ils estiment que l’utilisation de leur radio pourrait inciter le passager à se montrer plus agressif, ils savent qu’ils peuvent appuyer sur le bouton du système d’alarme silencieux et qu’un agent de sécurité spécial sera alors immédiatement dépêché sur les lieux. La preuve a permis d’établir qu’un agent de sécurité spécial est arrivé sur les lieux de l’incident du 26 mars 2013 moins d’une minute après que M. MacDuff eut appuyé sur le bouton du système d’alarme silencieux. Les deux systèmes étaient fonctionnels le 4 juin 2013, le jour où M. MacDuff a refusé de travailler.

[195] Les agents de sécurité spéciaux forment, pour l’essentiel, la force constabulaire d’OC Transpo. Ils ont un statut d’agent de la paix et ils ont le droit de porter sur eux des armes et de l’équipement défensifs. Ils reçoivent une formation sur la tenue d’une enquête et l’utilisation de techniques de recours à la force. Ils accomplissent leur travail depuis le Centre de communications de l’Unité d’application des règlements du transport en commun, qui est ouvert en tout temps et qui est doté de plus de 400 caméras de télévision en circuit fermé (CCTV) qui retransmettent en direct les signaux qu’ils reçoivent en provenance de divers emplacements du système de transport en commun. L’agresseur de M. MacDuff a été capté par une caméra CCTV et son image a été diffusée par l’entremise d’Échec au crime. OC Transpo a remis en œuvre son programme « Marche-o-bus », dans le cadre duquel des agents de sécurité spéciaux assurent une présence visible dans les « transitways » et à bord des autobus.

[196] L’appelante a aussi établi que ce programme permet de faire le suivi des incidents liés à des actes violents perpétrés à l’encontre de chauffeurs d’autobus, afin d’examiner les tendances (cause, heure et jour de l’incident, circuit, entre autres.). Cela est accompli en examinant les renseignements consignés sur des formulaires relatifs à la VEETC. Ces analyses sont ensuite résumées dans un rapport qui est examiné et commenté lors des réunions du comité d’orientation, avant d’être transmis à chaque comité local des garages d’OC Transpo.

[197] Cette preuve n’a pas été contestée. Il a été établi à ma satisfaction que l’employeur n’a pas fait abstraction du risque d’agressions contre des chauffeurs d’autobus et contrairement aux conclusions de l’agent de SST Béland, l’employeur a adopté des mesures systématiques visant à gérer et à atténuer ce risque. Cela dit, l’intimé et l’intervenant arguent qu’en dépit de toutes ces mesures, des chauffeurs d’autobus continuent de subir des agressions, ce qui prouverait que l’employeur ne s’est pas acquitté de l’obligation légale qui lui incombe en vertu du Code, laquelle consiste à fournir un lieu de travail sécuritaire aux chauffeurs d’autobus et à voir à ce qu’ils ne subissent pas de blessures au travail. L’intimé et l’intervenant soutiennent que les mesures décrites par l’employeur ne permettent pas d’atténuer adéquatement le risque d’agressions et qu’en dernière analyse, ces mesures sont tout simplement inefficaces. L’intimé et l’intervenant affirment, plus précisément, que l’employeur aurait dû envisager d’installer des écrans de protection pour isoler du public les chauffeurs d’autobus, et qu’il devrait prendre des mesures dissuasives plus visibles en augmentant l’effectif d’agents de sécurité spéciaux et en installant des caméras de télévision en circuit fermé à bord des autobus.

[198] Les observations de l’intimé et de l’intervenant portent donc essentiellement sur le fait que l’employeur n’a pas envisagé de prendre des mesures de protection plus corsées pour protéger les chauffeurs d’autobus contre les agressions. À mon avis, cette question en litige n’est qu’accessoire au regard de l’appel, puisqu’elle n’aura pas d’effet déterminant sur la décision que je dois rendre relativement aux « instructions relatives à un danger », comme je l’ai expliqué plus haut. Ce différend, à mon avis, sort de ce que considère comme étant le cadre approprié de la présente enquête, lequel est d’examiner la validité des instructions émises par l’agent de SST Béland après qu’il eut conclu que M. MacDuff était exposé à un danger le 4 juin 2013. J’ai déterminé que M. MacDuff n’était pas exposé à un danger et, en ce qui me concerne, cela devrait clore le dossier.

[199] Ce que l’intimé et l’intervenant soutiennent, en fait, c’est que l’employeur a enfreint les dispositions des articles 124, 122.1 et 122.2 du Code et des parties XIX et XX du Règlement, car il n’a pas envisagé les mesures de prévention appropriées de façon exhaustive, ni effectué, pour paraphraser l’agent de SST Béland, de « contrôles systématiques », ni pris de « nouvelles mesures de prévention » pour protéger M. MacDuff - et, en fait, tous ses chauffeurs d’autobus - contre les comportements violents des membres du public. Cet argument implique que l’objet de mon enquête ne devrait plus être l’examen de la question de savoir si M. MacDuff était exposé à un danger, mais plutôt un examen plus général de la question de savoir si l’employeur a fait preuve, durant toute la période pertinente, de diligence raisonnable ou s’il a bien appliqué la hiérarchie des contrôles envisagée par le Code et, par conséquent, s’il a enfreint ces articles du Code.

[200] Même si j’ai déjà déterminé que cela ne devrait pas faire l’objet de la présente enquête, je suis conscient du fait que l’effet combiné des paragraphes 146.1(2) (pouvoir de modifier une instruction) et 145.1(2) du Code habilite un agent d’appel à remplacer une « instruction relative à un danger » par une « instruction relative à la contravention » dans les circonstances appropriées. C’est ce que la Cour soutient dans Martin, en ces termes :

[23] Selon M. Cadieux, en abordant la question à partir du paragraphe 145(2), M. Grundie a invoqué un paragraphe « dont les dispositions sont très précises en ce sens que le concept est restrictif et fondé sur une norme extrêmement rigoureuse [...] Le concept de "danger" tel qu’il est défini dans le Code est très spécifique parce qu’il ne s’applique que dans des circonstances exceptionnelles » (paragraphe 150). M. Cadieux n’était pas disposé à conclure à l’existence d’un « danger » en l’espèce.

[24] M. Cadieux s’est toutefois dit d’avis que l’article 124 « est suffisamment général pour englober toutes les professions où "l’intentionnalité" ou l’imprévisibilité du comportement humain est l’élément prédominant du travail » (paragraphe 198). Il a estimé que l’intentionnalité et l’imprévisibilité du comportement humain constituaient des caractéristiques inhérentes aux fonctions d’application de la loi exercées par les gardiens de parc. Or, à mon humble avis, si c’est bien ce qu’il pensait, je crois qu’il aurait dû trancher la plainte en vertu de l’article 124 et donner au besoin des directives en vertu du paragraphe 145(1).

[25] M. Cadieux n’a pas précisé les critères dont il aurait tenu compte s’il avait jugé l’affaire en vertu de l’article 124. Il n’appartient pas à la Cour de prescrire ces critères. Je tiens toutefois à signaler qu’il est précisé à l’article 122.1 que la partie II du Code a pour objet de prévenir les accidents en milieu de travail et que l’article 122.2 prévoit que, lorsque les conditions applicables sont réunies, des mesures de prévention doivent être prises, sous la forme notamment de fourniture de matériel, d’équipement ou de dispositifs de protection [...].

[…]

[…]

[26] Dans le passé, on doutait qu’[un] agent d’appel puisse agir en vertu du paragraphe 145(1) lorsqu’un agent de santé et sécurité avait déjà pris une décision en vertu du paragraphe 145(2). (Voir le jugement Terminus maritimes fédéraux c. Syndicat des débardeurs SCFP, section locale 375 (2000), 192 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), confirmé à (2001), 213 F.T.R. 59 (C.A.F.)). À la suite de cette décision, le Code a cependant été modifié par l’insertion du paragraphe 145.1(2), qui dispose :

(2) Pour l'application des articles 146 à 146.5, l'agent d'appel est investi des mêmes attributions - notamment en matière d'immunité - que l'agent de santé et de sécurité.

(2) For the purposes of sections 146 to 146.5, an appeals officer has all of the powers, duties and immunity of a [health and safety officer].

[27] Aux termes de l’article 146.1, l’agent d’appel peut « modifier, annuler ou confirmer » les instructions de l’agent de santé et sécurité. L’agent d’appel peut par ailleurs annuler les instructions que l’agent de santé et sécurité a données en vertu du paragraphe 145(2) et qui, selon lui, ne sont pas indiquées. Toutefois, comme il est maintenant investi des mêmes pouvoirs que l’agent de santé et sécurité, il peut aussi modifier les instructions en donnant celles que, selon lui, l’agent de santé et sécurité aurait dû donner.

[28] L’appel interjeté devant l’agent d’appel est un appel de novo. Aux termes de l’article 146.2, l’agent d’appel peut convoquer des témoins et les contraindre à comparaître, recevoir sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice, et procéder, s’il le juge nécessaire, à l’examen de dossiers ou registres et à la tenue d’enquêtes. Compte tenu de ces vastes pouvoirs et de l’ajout du paragraphe 145.1(2), il n’y a aucune raison qui justifierait d’empêcher l’agent d’appel de rendre une décision en vertu du paragraphe 145(1), s’il estime qu’il y a eu contravention à la partie II du Code, et ce, malgré le fait que l’agent de santé et sécurité a donné des instructions en vertu du paragraphe 145(2).

[29] Dans le cas qui nous occupe, il était manifestement déraisonnable de la part de M. Cadieux de ne pas apprécier les faits portés à sa connaissance en vertu de l’article 124 et, s’il l’estimait indiqué, de donner des instructions en vertu du paragraphe 145(1).

[Soulignement ajouté]

[201] Compte tenu de ce précédent, je vais, aux fins d’une analyse complète, examiner les arguments présentés par l’intimé et l’intervenant quant à la question de savoir si l’employeur avait manqué aux obligations générales prescrites par le Code. Comme je l’ai mentionné plus haut, on a soutenu que les trois autres mesures que l’employeur aurait dû envisager de prendre afin de se conformer à son obligation de faire preuve de diligence raisonnable, en vertu des obligations générales prescrites par le Code, sont les suivantes : l’installation d’écrans de protection qui isoleraient du public les chauffeurs d’autobus, l’augmentation de l’effectif d’agents de sécurité spéciaux et l’installation de caméras de télévision en circuit fermé à bord des autobus.

[202] Après avoir apprécié les faits pertinents, je considère qu’il ne serait pas approprié de rendre une décision sur ces questions dans le contexte du présent appel. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’existe pas de fondement suffisant qui me permette d’émettre une instruction relative à une contravention en vertu du paragraphe 145(1) du Code dans le cadre de cette enquête.

[203] Premièrement, les seuls éléments de preuve relatifs à l’installation d’écrans de protection ont été présentés lors du témoignage et du contre-interrogatoire des témoins de l’employeur, le principal d’entre eux étant M. Jim Babe, agent de sécurité spécial en chef d’OC Transpo. M. Robert Manion, un mécanicien retraité d’OC Transpo, a été sommé de comparaître par l’intimé afin de faire état de son expérience à l’égard de l’installation d’un écran de protection en « plexiglas » dans un autobus, et ce, plusieurs années avant que surviennent les événements ayant mené au refus. Cela lui a valu des réprimandes, car cette initiative n’avait pas été approuvée par l’employeur. M. Manion a fait sa déposition en tant que profane et il ne prétend pas avoir de connaissances spécialisées dans ce domaine.

[204] L’intimé n’a fait témoigner aucun expert qui aurait pu justifier l’utilisation de ce genre d’équipement. L’intervenant ne l’a pas fait non plus en raison de ses droits limités de participation au présent appel, qui ne comprenaient pas le droit de présenter des éléments de preuve. Par conséquent, aucune preuve scientifique directe n’a été déposée relativement à la fabrication, à la conception ou à la composition des écrans de protection, ni non plus en ce qui concerne les types d’écrans qui existent et leurs répercussions sur la sécurité. Le Code ne prescrit pas l’utilisation d’un écran de protection, ni encore moins quelque norme que ce soit en la matière. Je ne suis donc pas en mesure de tirer une conclusion éclairée sur cette question, sans pouvoir disposer d’un dossier de preuve plus complet et plus concluant.

[205] Les éléments de preuve relatifs à l’utilisation d’écrans de protection se résument comme suit : premièrement, l’utilisation d’écrans de protection ne correspond pas à une norme de l’industrie. Le rapport sur les programmes de gestion de la sécurité d’OC Transpo préparé par l’American Public Transportation Association (APTA) à la demande d’OC Transpo, ne contient aucune recommandation sur l’opportunité d’utiliser de tels écrans pour accroître la sécurité des chauffeurs d’autobus. M. Babe a témoigné à propos de l’utilisation d’écrans de protection par les principaux services de transport en commun au Canada, et il a indiqué que 90 % de ces services n’utilisent pas de tels écrans. Seule la Toronto Transit Commission (TTC) équipe actuellement ses autobus de tels écrans. BC Transit réalise en ce moment un projet pilote pour mettre à l’essai des écrans de protection. Winnipeg et Edmonton auraient elles aussi réalisé un projet pilote pour mettre à l’essai trois différents types d’écrans de protection, mais on a dit à M. Babe que le programme avait été annulé après que des chauffeurs se soient opposés à l’utilisation d’écrans de protection.

[206] Deuxièmement, certains ont exprimé des inquiétudes à propos de la présence d’écrans de protection, étant donné que ceux-ci peuvent engendrer des reflets ou distraire le chauffeur, ou encore l’empêcher de voir le rétroviseur situé sur le côté droit. Il y a aussi le risque que le chauffeur soit emprisonné dans sa cabine si un accident se produit - les accidents sont plus fréquents que les agressions - ou qu’une autre situation oblige le chauffeur à sortir rapidement de l’aire de sa cabine. En d’autres mots, la sécurité de chauffeurs ne serait pas améliorée si l’installation d’un écran de protection engendrait un autre risque potentiellement plus grave. Même si je suis d’accord avec l’intervenant pour dire que ces problèmes sont hypothétiques étant donné qu’OC Transpo n’a jamais mis les écrans de protection à l’essai, je n’ai aucune raison valable de ne pas tenir compte des mises en garde exprimées par M. Babe, M. Charter et Mme Ahee dans le cadre de leur témoignage. Il n’y a tout simplement pas de preuve directe contradictoire.

[207] Autrement dit, des écrans de protection pourraient offrir une réduction accrue du risque que certains types d’agressions soient perpétrées contre des chauffeurs, dans la mesure où ces écrans empêcheraient les passagers de porter atteinte aux chauffeurs. Il est aussi possible que leur présence puisse nuire à la sécurité des chauffeurs. En résumé, la preuve au dossier me convainc que l’utilisation de cet équipent dans l’aire de travail du chauffeur fait intervenir des problèmes techniques et qu’elle a de nombreuses implications sur le plan de la sécurité. Il est utile de souligner que le redressement demandé par l’intervenant est le suivant : l’employeur devrait [Traduction] « créer un projet pilote qui viserait à évaluer l’efficacité d’écrans de protection bien conçus. » Je ne suis pas convaincu qu’il y a eu violation du Code du fait que l’employeur n’a pas étudié la possibilité d’installer des écrans de protection, et il n’a certainement pas enfreint le Code en ne faisant pas installer des écrans de protection dans ses autobus avant que M. MacDuff ne revienne au travail le 4 juin 2013. Je suis d’accord avec l’appelante pour dire qu’il n’y a aucun fondement légal ou factuel qui pourrait justifier l’établissement d’un constat de violation de l’article 124, 122.1 ou 122.2 du Code pour ce motif-là. Cette option est assortie de plusieurs difficultés et sa réalisation devrait débattue devant d’autres instances, comme le comité d’orientation, lequel, tel qu’on m’en a informé, avait discuté de l’option en question et en avait reporté la mise en œuvre.

[208] L’intervenant a aussi proposé une autre mesure visant à réduire encore plus le risque d’agression, à savoir augmenter l’effectif d’agents de sécurité spéciaux afin d’assurer la sécurité des chauffeurs d’autobus. On a soutenu que cette mesure constituerait une mesure de dissuasion visible accrue. Sans préciser le nombre d’agents de sécurité spéciaux qui travaillent à OC Transpo et comment ces ressources sont allouées, mentionnons qu’ils forment un bien petit groupe comparativement aux 1 600 chauffeurs d’autobus de l’organisation. La proposition de l’intervenant - sauf si ce dernier se trouve à suggérer qu’un agent de sécurité spécial soit affecté à chaque circuit d’autobus (il y en a environ 800), mais tel n’est pas le cas - continuerait, selon moi, de relever du domaine des mesures « réactives », pour employer le même mot que lui. De plus, l’intervenant n’a fourni aucun ordre de grandeur quant au nombre d’agents qui devraient être ajoutés à l’effectif. Rien n’a été présenté qui justifierait le seuil qui permettrait à l’employeur de s’acquitter de son obligation de diligence raisonnable en vertu du Code. Qu’est-ce qui devrait être considéré comme « suffisant » aux fins des articles 124, 122.1 et 122.2 du Code? Il n’y a tout simplement pas d’éléments de preuve objectifs qui pourraient servir à fonder une réponse à cette question. Il n’est pas possible, selon moi, de conclure qu’il y a eu violation du Code au regard d’une proposition aussi subjective. Par conséquent, il n’y a aucun élément de preuve ni aucun raisonnement probant qui pourraient servir à étayer un constat de violation du Code à cet égard.

[209] Enfin, l’intervenant voudrait que l’on installe des caméras CCTV à bord de tous les autobus [Traduction] « dans un délai raisonnable ». L’appelante souscrit à cette proposition et déclare dans ses observations qu’elle utilise maintenant de telles caméras depuis que la technologie a progressé et qu’elle permet de protéger la vie privée des chauffeurs d’autobus, l’absence d’une telle protection de la vie privée ayant été considérée comme un problème dans le passé. Je ne comprends pas exactement comment une telle mesure permettra nécessairement d’empêcher, tel que M. MacDuff le souhaiterait, qu’il y ait encore des agressions dans le futur. Par contre, la présence de caméras visibles peut dissuader les membres du public de se livrer à des actes criminels et c’est probablement dans cet esprit que l’employeur a entrepris d’installer de tels appareils. En dernière analyse, je ne suis pas convaincu par l’argument voulant que le fait que l’employeur n’a pas adopté une telle mesure à l’époque où M. MacDuff a exercé son refus constitue une violation du Code.

[210] Dans ses observations, l’intimé insiste sur le fait que l’employeur a enfreint le Code en ne permettant pas au(x) comité(s) de santé et de sécurité de participer aux enquêtes lorsque des agressions ont eu lieu, contrairement à ce qui est prévu à l’article 135 du Code. Il soutient aussi que l’employeur contrevient à l’article 20.9 du Règlement en ne demandant pas à une « personne compétente », au sens de cet article, de tenir une enquête sur les agressions contre des chauffeurs d’autobus lorsque ces incidents surviennent.

[211] L’enquête que doit mener l’agent d’appel en vertu de l’article 146.1 ne vise pas à paver la voie à un examen général de la conformité de l’employeur avec les prescriptions du Code ou du Règlement. Sa portée est déterminée par les questions soulevées par les instructions faisant l’objet de l’appel. À mon avis, je ne suis pas saisi des questions soulevées par l’intimé. Selon moi, elles ne relèvent pas de l’appel, lequel doit porter sur les instructions émises par l’agent de SST Béland. Ces questions ne se rapportent pas aux circonstances liées au refus exercé le 4 juin 2013, et elles n’ont pas été soulevées par M. MacDuff dans les motifs justifiant son refus.

[212] En ce qui a trait à la demande de remboursement du coût pécuniaire pour M. MacDuff de sa contestation de l’appel interjeté par l’employeur, l’intimé n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de cette demande. Ce recours s’apparente à une demande de remboursement des frais de justice et la loi doit permettre expressément de l’accorder. Le Code n’accorde pas ce pouvoir. De plus, compte tenu de la décision que j’ai rendue au sujet de l’appel, je ne serais tout simplement pas justifié d’ordonner ce remboursement.

[213] Enfin, l’appelante a par ailleurs soutenu que le risque invoqué par M. MacDuff pour son refus constitue une condition normale d’emploi pour lui et que ce risque n’est donc pas visé par l’article 128. Les alinéas 128(2)a) et b) du Code se lisent comme suit :

128. (2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[Soulignement ajouté]

[214] L’exception au droit au refus de travailler qui est prescrite à l’alinéa 128(2)b) s’appuie sur une conclusion de danger. Comme j’ai conclu qu’il n’y avait aucun danger à l’époque du refus, cette question ne se pose pas (voir Martin-Ivie au paragraphe 47).

Partie V - Décision

Pour ces motifs, l’appel est accueilli et j’annule les trois instructions émises le 4 juillet 2013 par l’agent de SST Béland.

Pierre Hamel

Agent d’appel

ANNEXE

Dossier TSSTC : 2013-40

Entre :

Ville d’Ottawa (OC Transpo), appelante

et

Norman MacDuff, intimé

et

Amalgamated Transit Union, Local 279, intervenant

Affaire : Décision interlocutoire relative à la requête déposée par l’appelante pour qu’une ordonnance de huis clos soit prononcée et que le caractère confidentiel de certains renseignements soit préservé.

1) L’appelante demande qu’une ordonnance soit rendue afin qu’une partie de l’audience visée aux présentes soit tenue à huis clos.

2) Cette requête se fonde sur la nature confidentielle de certains aspects des éléments de preuve qui se rapportent aux agents de sécurité spéciaux travaillant à OC Transpo pour le compte de la ville d’Ottawa. Plus précisément, l’appelante souhaite produire des éléments de preuve se rapportant à ce qui suit :

1. Le nombre d’agents de sécurité spéciaux en fonction à OC Transpo à n’importe quel moment;

2. Le nombre minimum d’agents de sécurité spéciaux qui sont en fonction à n’importe quel moment, en conformité avec la politique interne d’OC Transpo;

3. Les horaires de travail des agents de sécurité spéciaux d’OC Transpo.

(Ci-après, les « renseignements confidentiels »)

3) L’appelante affirme qu’en raison de la nature des activités d’un service de police dont le mandat consiste à assurer la sécurité du système de transport en commun, les « renseignements confidentiels » sont protégés en vertu du privilège d’intérêt public, étant donné que leur divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité des employés de l’appelante et des passagers qui utilisent le système de transport en commun.

4) L’appelante demande que l’agent d’appel rende une ordonnance qui prévoirait la présentation des « renseignements confidentiels » à huis clos, et qui obligerait les personnes autorisées à assister à la partie de l’audience tenue à huis clos à préserver la confidentialité de ces renseignements.

5) L’alinéa 146.2h) du Code canadien du travail (le Code) prescrit que l’agent d’appel peut fixer sa procédure. Les procédures d’appel mises en œuvre en vertu de l’article 146 du Code sont des procédures quasi judiciaires et sont ouvertes au public. Le principe de la publicité des débats judiciaires est l’une des pierres d’assise de notre système judiciaire et il vise à permettre que de telles procédures soient réalisées de manière juste et transparente, et perçues comme telles. Cela dit, la nécessité de préserver la confidentialité de certains renseignements a parfois préséance sur l’importance de tenir une audience publique. Ces situations sont exceptionnelles et ne devraient empêcher l’application du principe de l’audience de la publicité des débats judiciaires que dans de très rares cas.

6) La requête de l’appelante s’apparente à une demande d’interdiction de publication. Afin de rendre une décision sur la requête de l’appelante, j’ai appliqué le critère juridique que je considère être approprié à l’égard de cette question. Ce critère a été énoncé par la Cour suprême du Canada et on l’appelle communément le critère Dagenais/Mentuck, tel que je l’adapterai, naturellement, à la procédure administrative comme celle en l’espèce. La question à trancher est celle de savoir si l’avantage tiré du fait d’empêcher que les renseignements soient publiquement divulgués l’emporte sur le droit qu’a le public d’avoir accès au processus d’appel. Et il est peut-être tout aussi important de déterminer si l’ordonnance demandée compromettra la capacité des parties de présenter entièrement leur position.

7) L’intimé ne s’oppose pas à la requête. L’intervenant ne s’oppose pas à la requête sur le fond, mais il souhaiterait que les membres du conseil exécutif du Syndicat (ATU, Local 279) qui pourraient décider d’assister à l’audience ne soient pas visés par l’ordonnance de huis clos.

8) Ayant tenu compte de tout ce qui précède, je suis persuadé que la requête de l’appelante est motivée par un souci réel de préserver la sécurité des employés d’OC Transpo et du public. Je reconnais aussi que les « renseignements confidentiels » sont de nature sensible et qu’ils soient conservés sous le sceau de la confidentialité par l’appelante, de ce fait. J’estime aussi que si les « renseignements confidentiels » finissaient par relever du domaine public et que des personnes animées par des intentions illégales y avaient accès, cela constituerait un risque réel et important pour la sécurité des employés d’OC Transpo et du public. Je considère également que la divulgation limitée des « renseignements confidentiels », comme l’a demandée l’appelante, est justifiée par l’application de l’exception relative à la protection de l’intérêt public (ce qui correspond au critère « Wigmore ») et par l’alinéa 8(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée. Enfin, je crois qu’une ordonnance rédigée de manière à protéger les « renseignements confidentiels » précités, et formulée de façon adéquate, n’empêcherait pas les parties de présenter entièrement leur position, et qu’elle permettrait quand même de s’assurer que le processus soit perçu comme juste et transparent et qu’il porterait atteinte de façon minimale et raisonnable au principe de la publicité des débats judiciaires.

9) En ce qui a trait à la question de savoir qui sera autorisé à assister à la partie de l’audience qui sera tenue à huis clos, j’estime que seul un nombre limité de personnes [Traduction] « ayant besoin de connaître » l’information relative à la présente procédure devraient pouvoir assister à cette partie de l’audience. Ce point de vue ne constitue pas un jugement de ma part sur la fiabilité des personnes qui seront exclues et il se fonde exclusivement sur mon désir de protéger les « renseignements confidentiels » le mieux possible et d’assurer la mise en application harmonieuse de mon ordonnance.

10) Pour ces motifs, je rends l’ordonnance telle qu’elle a été demandée. Cette ordonnance se lira comme suit :

[Traduction] ORDONNANCE

1. Tous les « renseignements confidentiels » concernant les agents de sécurité spéciaux d’OC Transpo, tels qu’énumérés plus haut, seront présentés à huis clos;

2. Les personnes autorisées à assister à l’audience à huis clos sont :

- L’avocate et la co-avocate de l’appelante, Mes Katie Black et Stephanie Lewis, et un agent d’instructions (« instructing officer »);

- L’intimé M. Norman MacDuff et son représentant, M. Jon Funston;

- L’avocat de l’intervenant, Me John McLuckie, et l’étudiant en droit qui l’assiste, ainsi que le président d’Amalgamated Transit Union (local 279), M. Craig Watson;

- Mme Natasha Hyppolite, greffière d’audience pour le Tribunal et moi-même.

3. Il a été établi que l’appelante divulguera les « renseignements confidentiels » aux seules fins du présent appel en vertu de l’article 146 du Code;

4. Les personnes autorisées en vertu du paragraphe 2 de mon ordonnance sont réputées s’être engagées par les présentes et du fait de leur présence à l’audience à huis clos, à :

- Préserver le caractère confidentiel des « renseignements confidentiels » en tout temps;

- Ne pas copier les « renseignements confidentiels »;

- Ne pas divulguer les « renseignements confidentiels », en tout ou en partie, en leur forme originale ou sous forme de résumé ou d’analyse à qui que ce soit, sauf tel que pourrait l’ordonner explicitement l’agent d’appel ou l’autoriser l’appelante;

- Ne déposer que des versions caviardées des documents qui contiennent les « renseignements confidentiels » en tant que pièces qui pourraient être mises à la disposition du public;

- Caviarder tout renvoi aux « renseignements confidentiels » figurant dans tout document, y compris la décision devant être rendue au sujet du présent appel et les observations écrites des parties, auquel le public a accès.

Datée du 8e jour d’avril 2015.

[Signée]

Pierre Hamel

Agent d’appel

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