2017 TSSTC 23

Date : 2017-11-21

Dossier : 2017-30

Entre :

Patrick Veilleux, demandeur

et

Service correctionnel du Canada, intimé

Indexé sous : Veilleux c. Service correctionnel du Canada

Affaire : Demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail

Décision : La demande est rejetée.

Décision rendue par : Me Marie-Claude Turgeon, agente d’appel

Langue de la décision : Français

Pour le demandeur : Lui-même

Pour l'intimée : L’intimé n’a pas participé à la présente demande

Référence : 2017 TSSTC 23

Motifs de la décision

[1] La présente décision concerne une demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code). Le demandeur demande à être relevé du défaut d’interjeter appel dans le délai de dix jours prescrit par le Code d’une décision d’absence de danger rendue le 23 août 2017 par M. Régis Tremblay, représentant délégué par le ministre du Travail (délégué ministériel).

Contexte

[2] Le matin du 20 mars 2017, un détenu du Service correctionnel du Canada, Établissement La Macaza (le détenu), n’a pas respecté la consigne le sommant de rester dans sa cellule (en « dead-lock »). Après que les agents correctionnels aient constaté que le détenu se dirigeait vers les cuisinettes, ils lui ont ordonné de retourner à sa cellule. Le détenu refusa d’obéir aux commandes des agents correctionnels et leur proféra des menaces. Un rapport d’infraction a été transmis au gestionnaire correctionnel et le détenu s’est vu imposer un isolement préventif.

[3] Le 5 avril 2017, le détenu a été libéré d’isolement préventif. Vers 14h30 ce jour-là, le demandeur a aperçu le détenu arriver dans le Pavillon A et a eu peur pour sa sécurité; l’anxiété et la panique se sont emparées de lui. Il a alors avisé son supérieur qu’il désirait exercer un refus de travail en vertu de l’article 128 du Code.

[4] Une enquête a été menée entre le 8 mai 2017 et le 28 juillet 2017, et suite à une évaluation exhaustive des faits par le délégué ministériel, ce dernier a conclu à l’absence de danger dans une décision rendue le 23 août 2017.

[5] Le Tribunal a reçu le formulaire d’appel de M. Veilleux le 15 septembre 2017. Cependant, lorsqu’un document est envoyé au Tribunal par courrier recommandé comme c’est le cas ici, le document est présumé reçu par le Tribunal à la date mentionnée sur le cachet postal. En l’instance, le formulaire d’appel de M. Veilleux est donc présumé avoir été reçu par le Tribunal le 12 septembre 2017.

[6] Le 15 septembre 2017, le registraire du Tribunal informa M. Veilleux par courriel que sa demande d’appel semblait avoir été déposée hors du délai de 10 jours prescrit au paragraphe 129(7) du Code.  Le registraire enjoignit M. Veilleux de fournir des observations écrites au Tribunal avant le 26 septembre 2017 s’il croyait avoir des motifs suffisants pour demander d’être relevé de son défaut.

[7] Le 26 septembre 2017,  M. Veilleux envoya par courriel ses motifs au soutien d’une prorogation du délai d’appel.  À cette même date, le registraire du Tribunal demanda au demandeur,  par courriel, la date à laquelle il s’était rendu au bureau de poste pour récupérer une copie de la décision du délégué ministériel. Toujours par courriel, M. Veilleux indiqua « Sous toute r[é]serve le 1er septembre ».

[8] Notons toutefois que le registraire du Tribunal a communiqué avec le délégué ministériel,  qui lui a fourni copie d’un courriel envoyé à M. Veilleux le 23 août 2017, à 10h14,  pour lui communiquer la décision d’absence de danger dont il est question ici.  Le courriel était également adressé à Mme Martine Leclerc, directrice adjointe, services de la gestion à l’Établissement La Macaza.

[9] Enfin, un autre élément à considérer est un document de Postes Canada indiquant que le délégué ministériel a envoyé sa décision par courrier recommandé à l’adresse du demandeur à Rivière-Rouge, Québec, et que cette décision a été reçue par M. Veilleux en mains propres le 31 août 2017 à 15h57, signature de réception à l’appui.

Question de litige

[10] La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si je dois exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère l’alinéa 146.2 f) du Code afin de proroger le délai de 10 jours prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code.

Observations du demandeur

[11] Le 26 septembre 2017, M. Veilleux a fourni de brèves observations par courriel à l’appui de sa demande d’être relevé du défaut d’interjeter appel dans le délai prescrit.

[12] Il explique essentiellement qu’une fois informé de la décision du délégué ministériel, le délai de 10 jours incluait deux fins de semaine, dont un congé férié et donc que les bureaux de Poste Canada n’étaient pas ouverts. Il expliqua aussi les difficultés reliées à ses quarts de travail qui limitaient ses disponibilités. Enfin, sur le plan personnel, il mentionne devoir accompagner sa conjointe qui est en arrêt de maladie à ses rendez-vous médicaux.

Analyse

[13] Il n’est pas contesté en l’espèce que le délai d’appel établi au paragraphe  129(7) du Code n’a pas été respecté. Ce paragraphe prévoit qu’un employé dispose de 10 jours pour appeler par écrit à un agent d’appel d’une décision visée aux alinéas 128(13)b) ou c), à compter de la réception de celle-ci:

129(7)  Si le ministre prend la décision visée aux alinéas 128(13)b) ou c), l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois  — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin  —  appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

[mes caractères gras]

[14] Selon la documentation fournie par le délégué ministériel, la décision d’absence de danger a été communiquée une première fois par courriel à l’adresse électronique du demandeur (@csc-scc.gc.ca) le 23 août 2017. De plus, la documentation fournie par le délégué ministériel indique aussi qu’il y a eu des échanges de correspondance entre le délégué ministériel et le demandeur à cette adresse courriel.  

[15] Notons que l’adresse courriel (@csc-scc.gc.ca) a également été utilisée par le demandeur le 26 septembre 2017 afin de communiquer ses motifs justifiant sa demande de prorogation du délai de 10 jours.  À cette même date, un échange de courriels est survenu entre le registraire du Tribunal et le demandeur quant à la date à laquelle ce dernier a reçu signification par courrier recommandé de la décision du délégué ministériel.

[16] Tel que mentionné plus haut, une deuxième communication de la décision du délégué ministériel a été faite au demandeur par courrier recommandé le 31 août 2017.

[17] Le demandeur a envoyé son formulaire d’appel par courrier recommandé en date du 12 septembre 2017, bien que le formulaire soit signé en date du 9 septembre 2017.

[18] Un agent d’appel s’est déjà penché sur la question du délai prévu au paragraphe 129(7)  dans la décision Alex Hoffman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 TSSTC 19 (Hoffman) :

[16] J’ai interprété le paragraphe 129(7) comme signifiant que l’employé doit interjeter appel auprès d’un agent d’appel, à savoir le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada, dans ce délai de dix jours à compter de la date à laquelle il est informé de la décision d’absence de danger. Ce délai, il me semble, est une limite stricte, bien que l’agent d’appel ait le pouvoir de proroger ce délai pour des raisons valables, qui seront examinées plus loin dans les présents motifs (voir : Suàrez c. Canada, 2007 TDFP 8; Allard c. Canada (Commission de la fonction publique), [1982] 1 C.F. 432; Lalancette c. Canada (Commission de la fonction publique), [1982] 1 C.F. 435).

[19] Un appel n’est pas simplement déposé en signant un formulaire d’appel dans les délais prescrits et en l’envoyant au Tribunal. Il faut s’assurer qu’il soit acheminé au Tribunal à temps. S’il ne l’est pas, il faut pouvoir expliquer les raisons du retard à l’aide de motifs raisonnables.

[20] Dans le dossier qui m’occupe ici, je dois déterminer s’il est justifié que j’utilise mon pouvoir discrétionnaire afin de proroger le délai prévu pour interjeter appel sur la base des motifs mis de l’avant par le demandeur.

[21] D’abord, la décision d’absence de danger fût communiquée au demandeur à deux reprises. Une première fois par courriel le 23 août 2017 et une deuxième fois le 31 août 2017 par courrier recommandé.

[22] Il appert des communications par courriel entre le délégué ministériel,  le registraire du Tribunal et le demandeur, que l’adresse courriel utilisée par ce dernier (@csc-scc.gc.ca) est celle qu’il emploie pour échanger avec les parties en cause.  C’est cette adresse qui fut utilisée pour les communications officielles à l’égard du refus de travail en l’espèce.  Ainsi, je vois difficilement comment l’on pourrait en conclure que le demandeur n’a pas reçu la décision du délégué ministériel qui lui a été envoyée par courriel le 23 août 2017.

[23] En calculant le délai entre la réception de la décision du délégué ministériel et l’envoi du formulaire d’appel du demandeur,  j’arrive à un délai de 20 jours si je débute le calcul à compter du 23 août 2017 et de 12 jours si je le débute à compter du 31 août 2017.  Dans les deux cas, le demandeur ne respecte pas le délai imparti au paragraphe 129(7) du Code.

[24] Deuxièmement, l’agent d’appel doit considérer un certain nombre de facteurs lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 146.2 f):

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :

[…]

f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;

[25] Dans l’affaire Hoffman citée précédemment, l’agent d’appel mentionne les facteurs à considérer lors de l’exercice de cette discrétion:

[25] Le Code ne prévoit pas de facteurs dont l’agent d’appel doit tenir compte dans l’exercice de son pouvoir de proroger les délais. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec impartialité, d’une manière non arbitraire ou discriminatoire, il doit être fondé sur des principes juridiques pertinents, et doit s’inscrire dans des considérations qui servent l’intérêt de l’équité ainsi que le but et les objectifs du Code. On trouve couramment dans les lois instituant des tribunaux administratifs une disposition permettant au décideur de proroger les délais. Les tribunaux administratifs, de même que les agents d’appel, examinent et soupèsent en règle générale les facteurs suivants dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire : la durée du retard par rapport au délai d’appel, les explications de la partie pour justifier ce retard, la diligence raisonnable dont a fait preuve la partie dans les mesures qu’elle a prises, et le préjudice subi par les autres parties à la procédure.

[26] Le demandeur explique dans sa correspondance du 26 septembre 2017 les raisons qui l’ont mené à interjeter appel hors du délai prévu, soit : (1) qu’il y a eu deux fins de semaine et un congé férié suite à la réception de la décision par courrier recommandé le 31 août 2017 et que conséquemment, les bureaux de Postes Canada étaient fermés, (2) que son horaire de travail est en rotation de sorte qu’il n’a pas eu beaucoup de congés et (3), que sa conjointe est en arrêt de travail pour cause de maladie et qu’il tente de l’accompagner le plus souvent possible aux divers rendez-vous médicaux de celle-ci.

[27] Les trois motifs du demandeur m’apparaissent comme relevant des aléas de la vie quotidienne.  Une partie qui demande une prorogation de délai doit démontrer une intention continue de faire appel de la décision d’un délégué ministériel, de même que cette intention est soutenue par des mesures prises tout au long de la période entre la réception de la décision et le dépôt de l’appel.  Les actions du demandeur révèlent un certain manque de diligence. Par exemple, le formulaire d’appel est daté du samedi 9 septembre 2017, toutefois, le demandeur a posté le formulaire seulement le mardi 12 septembre.

[28] Par conséquent, après avoir examiné toutes les circonstances de l’affaire, je conclus que le demandeur n’a pas su démontrer qu’il a fait face à des circonstances exceptionnelles qui l’ont empêché de déposer son appel auprès du Tribunal dans le délai prescrit. Il n’a pas établi non plus de situation personnelle qui justifierait une prorogation de délai pour cause humanitaire, autre critère tiré de la décision Hoffman.

Décision

[29] La requête en vue d’obtenir une prorogation du délai est rejetée. L’appel reçu par le Tribunal le 12 septembre 2017 est donc irrecevable.

Pierre Hamel

Agent d’appel

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