Vidéo : Attention et prise de décision en pénurie

Transcription

Jiaying Zhao : Bonjour tout le monde. Merci d’être venu à cette séance. Je suis arrivé de Vancouver hier soir et j’ai un déficit de sommeil, alors j’espère que je resterai cohérent. Je vais tenter de rester centré sur ma tâche. La séance d’aujourd’hui traite de la pénurie et de la prise de décisions.

Au cours des dix dernières années, nous sommes passés d’une définition de la pénurie en tant que manque de ressources matérielles, d’argent, de temps, à un manque de ressources mentales, comme la mémoire fonctionnelle et l’attention. Cette évolution, cette transformation du cadre notionnel de la pénurie est montrée ici. Nous affirmons que l’état de pénurie, le manque de ressources, nuit directement aux fonctions cognitives, et des fonctions cognitives altérées conduisent à de mauvaises décisions et à des choix qui perpétuent la pénurie.

C’est le cercle vicieux que nous tenterons de montrer. L’une de nos premières preuves de ce nouveau cadre notionnel est une étude que nous avons menée dans un centre commercial du New Jersey. Nous avons présenté des problèmes financiers à des participants riches et pauvres. Il y avait des problèmes difficiles, qui mettaient en jeu des coûts importants. Disons 1 000 $ ou 2 000 $. Il y avait des problèmes faciles. Avec des coûts entre 100 $ et 500 $.

Pendant que les personnes réfléchissaient à ces problèmes, nous leur faisions répondre à des questionnaires cognitifs. Sur la gauche, les matrices de Raven sont un test portant sur l’intelligence fluide. Elles mesurent votre QI. Sur la droite, nous avons la maîtrise cognitive, cela mesure les fonctions exécutives de votre cerveau. Tout d’abord, nous avons constaté que les riches n’étaient influencés ni par la difficulté du problème ni par l’importance du coût.

Par contre, et de manière significative, lorsque les pauvres pensaient à des coûts élevés, leurs fonctions cognitives diminuaient. Ce qui veut dire qu’ils font preuve d’un QI inférieur sur les matrices de Raven et il en est de même pour leurs fonctions exécutives mesurées par les tests cognitifs. Cette perte équivaut à une baisse de 10 à 13 points de QI. Une baisse de 10 à 13 points de QI équivaut à la perte d’une nuit de sommeil ou encore à la perte liée au vieillissement entre l’âge de 45 et de 60 ans.

La pauvreté d’une personne a donc une incidence importante sur l’intellect. Nous avons aussi mené une étude comparative sur une même personne. Elle a été effectuée en Inde auprès de producteurs de canne à sucre. Nous avons utilisé les mêmes matrices de Raven et le même test de maîtrise cognitive chez ces agriculteurs avant et après la récolte. Avant la récolte, ces agriculteurs sont très pauvres. Ils ont du mal à joindre les deux bouts.

Après la récolte, ils sont riches. Après la récolte, ils reçoivent le salaire d’une année de travail. Pour les tâches de Stroop dans les matrices de Raven, les résultats montrent que les gens réussissent moins bien avant la récolte, lorsqu’ils sont pauvres, qu’après la récolte, lorsqu’ils sont riches. Leurs résultats sont alors nettement meilleurs. Cette variation est observable chez une même personne sur une période de seulement quelques mois.

Si nous généralisons et que nous pensons au lien entre le manque d’argent et le manque de temps, bon nombre d’entre nous manquent de temps, mais sans manquer d’argent. Les personnes à faible revenu manquent à la fois de temps et d’argent. Voici une étude que nous avons réalisée à l’Université de la Colombie-Britannique. Nous avons montré la baisse constante du QI des étudiantes et des étudiants à l’approche des examens de fin de session. Les sujets ont été testés chaque semaine, de novembre jusqu’au début des examens finaux en décembre.

Il a été possible de reproduire ces résultats sur plusieurs années et sur plusieurs trimestres. Un mois avant les examens finaux, le QI des étudiantes et des étudiants avait baissé d’environ 10 points. C’est évidemment ironique que les étudiants aient une capacité cognitive réduite avant leurs examens finaux. Nous avons montré les effets momentanés qu’entraînent ces manques sur les fonctions cognitives et mentales.

Quelle incidence la pénurie peut-elle avoir sur votre intellect? Selon notre hypothèse, nous prêtons attention à l’environnement d’une manière très différente lorsque nous sommes pauvres. C’est une expérience que nous avons faite en ligne avec un grand échantillon du public aux États-Unis. Nous leur avons présenté un menu. Dans la colonne de gauche, il y a les plats. Dans la colonne du milieu, le prix de chaque plat.

Dans la colonne de droite se trouvent les calories. Un détail important, au bas du menu, je ne sais pas si vous pouvez le voir, il y a un rabais. Ils ont droit à une réduction de 18 %. D’abord, nous avons assigné au hasard le fait d’être riche parmi les participants. Chaque personne de cette catégorie disposait de 100 $ pour commander. Ils devaient commander un repas. Les participants riches avaient 100 $ à leur disposition.

Les participants pauvres n’avaient que 20 $ pour leur repas. Pendant qu’ils regardaient le menu pour choisir ce qu’ils allaient commander, nous avons pu suivre de près le mouvement des yeux par monitorage oculaire. Nous suivions ce qui retenait leur attention pendant qu’ils regardaient le menu. Voici à quoi ressemble le mouvement oculaire de nos participants. Comme vous le voyez, l’attention des riches est nettement différente de l’attention des pauvres.

La première différence est que les riches regardent davantage la sélection de plats. Ils peuvent se demander : quel plat ai-je envie de manger? Lequel me tente le plus? Tandis que les pauvres, eux, regardent davantage le prix. En fait, leur attention se concentre principalement sur la colonne du milieu, pendant qu’ils se demandent : quel plat puis-je me permettre? De plus, les riches regardent plus la colonne des calories. Ils peuvent aussi se demander combien de calories ils devraient consommer.

Paradoxalement, les riches ont plus regardé le rabais que les pauvres. En fait, plus de participants riches ont demandé la réduction que de participants pauvres. C’est très paradoxal puisque les pauvres profiteraient vraiment de cette réduction, mais, contrairement aux riches, ils ne l’ont pas remarqué ou utilisé. Qu’ils aient manqué ce conseil utile, voilà ce qui constitue le cercle vicieux. Il perpétue la pénurie.

Nous avons constaté les mêmes résultats pour le manque de temps. Les gens devaient résoudre des problèmes au milieu de l’écran, et encore une fois nous les avons observés avec du monitorage oculaire. De temps à autre, des conseils s’affichaient au bas de l’écran : gagnez du temps, sautez cette épreuve. Cette épreuve est inutile. Elle ne vous donne aucun point. Sautez cette épreuve et gagnez du temps.

Encore une fois, nous avons constaté que les participants riches, qui avaient plus de temps en banque, ont remarqué les conseils et ont sauté plus d’épreuves et ont gagné plus de temps. En contrepartie, les participants pauvres, qui n’avaient que dix minutes pour terminer la tâche, n’ont même pas vu les conseils et ont perdu plus de temps.

La conclusion est que la pénurie a créé un biais de l’attention visant l’information sur le prix ou sur le temps, selon ce qui importait au participant à un moment donné. De plus, elle a amené les participants à négliger une occasion d’économiser. Ça, c’est le cercle vicieux que nous avons tenté de mettre en lumière. Les fonctions cognitives altérées, ce compromis dans l’attention dans un contexte de pénurie, peuvent perpétuer l’état de pénurie lui-même.

Qu’est-ce que ça veut dire pour ce modèle? D’abord, il y a deux points d’intervention qui nous viennent à l’esprit. Un des points est d’atténuer la pénurie afin de l’éliminer ou du moins d’essayer d’utiliser des programmes de transferts de fonds ou des programmes de revenu universel de base pour s’attaquer à l’état de pénurie. De fait, juste là, vous voyez un de mes étudiants qui présente une affiche où nous donnons 8 000 $ en un versement unique à des sans-abri de Vancouver. Nous avons des résultats très prometteurs là-bas.

Cette atténuation de la pénurie est un exemple d’intervention. Une autre intervention consisterait à atténuer le fardeau cognitif des pauvres. Comment y arrive-t-on? Nous pouvons créer des programmes et des services auxquels il est beaucoup plus facile de s’inscrire lorsque vous êtes pauvre ou auxquels il est beaucoup plus facile de participer. Cela comprend l’établissement de valeurs par défaut, la mise en place de programmes automatisés, la simplification des procédures. Ce sont là plusieurs interventions incitatives que nous pouvons entreprendre et qui pourraient être particulièrement bénéfiques pour les pauvres.

Alors, c’était ma brève introduction sur la pénurie et la prise de décision. Aujourd’hui, nous avons un groupe de trois excellents conférenciers. Nous commençons par Samuel Hirshman. Sam est étudiant de quatrième année au doctorat en sciences du comportement à la Booth School of Business de l’Université de Chicago. Il travaille avec Abby Sussman et il parlera de la manière dont les gens gèrent le remboursement d’une dette répartie sur plusieurs cartes de crédit et de l’effet de la négligence, notamment des taux d’intérêt. À toi, Sam.

(Applaudissements)

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