Repenser le rôle des bibliothèques, des archives et des musées à l’ère de Google

Discours

Notes d'allocution

Guy Berthiaume, Bibliothécaire et archiviste du Canada
Université du Manitoba : Colloque, département d’histoire
28 février 2017
Winnipeg (Manitoba)

Sous réserve de modifications

Bonjour.

Merci beaucoup de m’avoir invité.

Comme vous le savez peut-être, j’ai passé une bonne partie de ma vie dans le milieu universitaire. Ainsi, chaque fois qu’on me donne de nouveau l’occasion de m’adresser aux professeurs et aux étudiants, j’estime que je reçois un présent.

Je remercie tout particulièrement M. Tom Nesmith de me donner cette occasion de m’exprimer devant vous.

Je tiens tout d’abord à saluer les peuples autochtones signataires du Traité 1 et les Métis : nous sommes réunis ici sur leurs terres traditionnelles.

Le 150e anniversaire de la Confédération procure aux Canadiens l’occasion unique de mieux se connaître.

Nous sommes à un tournant important de notre histoire.

Le concept des deux peuples « fondateurs » qui a prévalu pendant la plus grande partie de notre histoire, a été nettement étoffé au fil du temps.

Les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont enfin reconnus comme une composante essentielle de l’identité canadienne.

En outre, l’arrivée en grand nombre de nouveaux Canadiens, provenant de tous les horizons et de tous les milieux, exige une redéfinition fondamentale de l’identité canadienne, dont le trait marquant est maintenant l’inclusion et la diversité.

Les institutions de mémoire comme Bibliothèque et Archives Canada (BAC), qui sont les gardiennes de notre passé lointain et de notre histoire récente, acquièrent une pertinence nouvelle.

Les récits qui illustrent notre provenance et notre destination se trouvent sur nos rayons, nos murs et nos écrans, ainsi que dans nos vitrines d’exposition.

Y a-t-il un moment plus favorable que maintenant pour faire connaître nos récits? Je ne le crois pas.

Avant de continuer, permettez-moi de dire quelques mots à propos de BAC, notre institution de mémoire.

Les Archives fédérales du Canada ont été fondées en 1872.

Fait assez étonnant, elles faisaient à ce moment-là partie du ministère de l’Agriculture!

Elles sont devenues les Archives publiques en 1912, puis ont été rebaptisées Archives nationales [du Canada] en 1987.

En 1953, la Bibliothèque nationale a été créée, quelque peu tardivement par rapport à d’autres bibliothèques nationales ailleurs dans le monde.

Par exemple, la Bibliothèque nationale de France a été fondée en 1537, la Bibliothèque du Congrès des États-Unis a été créée en 1800, et la Bibliothèque nationale centrale du Royaume-Uni a vu le jour en 1916.

Toutefois, en 2004, le Canada a été l’un des premiers pays au monde à combiner sa bibliothèque nationale avec ses archives nationales.

Bibliothèque et Archives Canada est né de la vision d’un nouveau type d’organisation de connaissances, entièrement intégré entre deux disciplines et outillé pour répondre aux besoins du XXIe siècle en matière d’information.

Il s’agissait d’une idée audacieuse. Et même révolutionnaire.

Nous sommes le seul pays du G-20 à s’être doté d’une telle institution nationale combinée.

La Belgique, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande ont récemment tenté de fusionner leurs bibliothèques et leurs archives nationales, sans toutefois réussir.

Singapour l’a fait en 2012. Jusqu’à maintenant, il semble que le projet soit une réussite.

Le mandat de BAC est vaste et exhaustif :

  • préserver le patrimoine documentaire du Canada;
  • être la mémoire permanente de l’administration fédérale et de ses institutions.

Nous exécutons notre mandat au moyen d’une gamme de programmes et de services qui répondent aux besoins de nos clients.

Nos responsabilités sont les suivantes :

  • conserver le dépôt légal du patrimoine publié en provenance du Canada et qui porte sur le Canada, ce qui exige que deux exemplaires de tout ce qui est publié au Canada nous soient remis;
  • déterminer quels documents fédéraux ont une valeur archivistique ou historique, et donner les autorisations de disposer dans le cas des documents qui n’ont plus de valeur opérationnelle;
  • tenir à jour le catalogue collectif national qui contient plus de 25 millions de notices bibliographiques, d’emplacements et de l’information sur les collections de centaines de bibliothèques canadiennes;
  • préparer des normes nationales et internationales dans le domaine de l’archivistique et de la bibliothéconomie;
  • exécuter le Programme pour les collectivités du patrimoine documentaire, lequel finance des projets qui augmentent l’accès et la sensibilisation au patrimoine local du Canada.

Nos services comprennent :

  • l’accès à l’information, de sorte que les Canadiens puissent obtenir du gouvernement fédéral les renseignements souhaités;
  • des services de référence offerts aux personnes qui consultent nos collections, y compris les journalistes, les chercheurs, les étudiants, les professeurs et le grand public;
  • des services pour les éditeurs, notamment l’obtention d’un numéro international normalisé du livre (ISBN) et le catalogage avant publication.

Il s’agit de programmes cruciaux et de services importants, mais il y a plus encore.

Nous assurons également l’intendance d’une vaste collection de documents numériques et analogiques.

Jetons un coup d’œil à cette collection à partir de la vidéo que je vous ai projetée plus tôt :

  • 22 millions de livres, ce qui équivaut au poids de 43 baleines bleues!
  • 250 kilomètres de documents textuels; une fois alignés, ils nous permettraient de nous rendre de Winnipeg (qui, comme tout le monde le sait, est le centre de l’univers!) jusqu’aux confins de l’atmosphère de la Terre!
  • 3 millions de cartes géographiques;
  • 30 millions de photographies, soit une pour chaque résident du Canada, ou presque;
  • 550 000 heures d’enregistrements audio et vidéo, soit assez pour vous tenir occupés durant les 63 prochaines années;
  • des archives de tous les timbres émis par Postes Canada depuis sa création;
  • une collection unique de médailles;
  • la plus importante collection d’œuvres d’art documentaire canadiennes au monde, avec plus de 425 000 articles dont des sculptures, des illustrations tirées de livres pour enfants, des bandes dessinées, des affiches politiques et des portraits emblématiques.

En ayant tous ces faits à l’esprit, vous pourriez penser que vous savez ce que font une bibliothèque nationale et des archives nationales.

Mais il y a encore plus.

Jetez un nouveau regard, non seulement aux bibliothèques et aux archives, mais aussi aux musées.

En cette ère numérique, la mémoire elle-même peut sembler périmée. Grâce à la vitesse fulgurante de leurs algorithmes, Google, Amazon, Wikipédia, Facebook et Twitter ne suffisent-ils pas pour « se rappeler »?

Pourtant, les données montrent que plus de gens que jamais ont recours aux institutions de mémoire.

Devant ce fait contre-intuitif, la British Library (bibliothèque nationale du Royaume-Uni) a conclu ce qui suit dans un récent document :

« Il semble que plus nos vies reposent sur des écrans, plus la valeur perçue des rencontres avec de vraies personnes et des objets prend de l’importance : l’activité dans chaque sphère alimente l’intérêt envers l’autre. » [traduction]

(Living Knowledge, the British Library 2015-2023, janvier 2015)

* * *

La poète américaine Maya Angelou a reçu la médaille présidentielle de la Liberté en 2010, la plus haute décoration civile des États-Unis[PC1] .

Avant de recevoir la médaille, elle s’est entretenue avec le personnel de la bibliothèque publique de New York, qui venait tout juste de faire l’acquisition de ses archives personnelles.

Elle a expliqué comment une bibliothèque lui avait sauvé la vie.

Maya a été maltraitée pendant son enfance.

Elle a arrêté de parler durant six longues années.

Mais à l’âge de huit ans, quelqu’un l’a amenée pour la première fois dans une bibliothèque.

La bibliothèque comptait environ 300 livres.

L’école réservée aux Blancs avait donné les livres à l’école fréquentée par les Noirs, dans la petite ville de l’Arkansas où Maya habitait.

La femme qui l’a amenée à la bibliothèque lui a dit : « Je veux que tu lises tous les livres qui se trouvent ici. »

Ce fut chose faite.

Et comme elle le dit elle-même, chaque fois qu’elle allait à la bibliothèque, elle se sentait en sécurité.

« Rien de mal ne peut vous arriver à la bibliothèque », disait-elle.

Grâce à la bibliothèque, Maya a retrouvé sa voix et est devenue l’une des poètes les plus populaires et influentes du monde.

Des histoires comme celles de Maya, il y en a beaucoup.

Pourtant, les archives, les bibliothèques et les autres institutions de mémoire doivent constamment expliquer et justifier leur existence.

  • Dans une société où l’accès numérique est partout, pourquoi construire de nouvelles bibliothèques?
  • Puisque les musées virtuels donnent l’accès à la culture et à l’histoire partout au Canada et dans le monde, pourquoi dépenser de l’argent pour des structures physiques?
  • Et que dire des archives : ne pouvez-vous pas trouver tout ce que vous voulez dans leurs propres plateformes, ou celles d’Ancestry ou de Findmypast?

Pour nous historiens, qui passons un temps considérable à scruter des objets, des livres et des archives, ces questions peuvent nous paraître ridicules.

La valeur de nos institutions n’est-elle pas évidente?

Je vous assure pourtant que ces questions sont posées, malgré le fait que le nombre de visiteurs dans nos établissements soit en nette augmentation.

Certains d’entre vous savez peut-être qu’il existe un projet de création d’une nouvelle grande bibliothèque au centre-ville d’Ottawa, une collaboration entre Bibliothèque et Archives Canada et la Bibliothèque publique d’Ottawa.

La proposition a suscité de nombreuses discussions, pour la plupart favorables.

Mais voyons quelques-uns des commentaires négatifs qui ont été publiés dans notre journal local, The Ottawa Citizen :

« Les bibliothèques sont choses du passé. Tout se trouve dans Internet. Un énorme gaspillage de l’argent des contribuables. »

« Les gens fréquentent encore les bibliothèques? LOL »

« Il existe encore des bibliothèques? Pourquoi? Ce serait plus économique d’acheter une liseuse, une tablette ou un téléphone intelligent à chaque personne. »

« Je trouve tout ce dont j’ai besoin dans Internet. Pourquoi ne pas utiliser l’argent pour construire des maisons pour les sans-abris et les aînés? »

« Une bibliothèque? Pourquoi un grand édifice? Plus personne ne lit de livres. » [traduction]

Cela peut sembler décourageant.

Mais portez un second regard, vous constaterez que la réalité est contre-intuitive :

  • La nouvelle bibliothèque publique d’Halifax a accueilli deux fois plus de visiteurs que prévu pendant l’année suivant son ouverture, soit 1,9 million de visiteurs au lieu des 900 000 prévus.
  • La nouvelle Bibliothèque publique d’Ottawa proposée devrait accueillir au moins 1,6 million de visiteurs par année.
  • Le nombre de visites aux bibliothèques publiques aux États-Unis a en fait augmenté de 4 % l’an dernier.
  • Quant aux musées canadiens, ils attirent un nombre impressionnant de 62 millions de visiteurs chaque année. Il s’agit d’une augmentation de 10 % par rapport à 2013.

Plus de gens que jamais visitent les bibliothèques, les archives et les musées.

Pourquoi en est-il ainsi?

Pour le savoir, nous avons tenu un sommet en décembre dernier à Ottawa, coorganisé avec l’Association des musées canadiens et la Commission canadienne pour l’UNESCO.

Le sommet intitulé À nous la rue avait pour objectif d’examiner la valeur des bibliothèques, des archives et des musées dans un monde en mouvement.

Afin de prendre un temps d’arrêt et d’examiner à nouveau ce que nous pouvons accomplir en collaborant et en échangeant des idées.

Nous avons appelé le sommet À nous la rue, parce que nous voulions insister sur le fait que les bibliothèques, les archives et les musées d’aujourd’hui sont de véritables guerriers de l’information.

Nous sommes présents dans la collectivité en lançant des discussions, en mettant les gens à l’abri du froid, en contribuant au démarrage d’entreprises, en stimulant la créativité et en accueillant les nouveaux venus au Canada.

Près de 300 personnes ont assisté au sommet et une trentaine de conférenciers y ont pris la parole, dont un certain nombre de l’extérieur du Canada.

Cette journée et demie a été incroyable.

Voici un aperçu des conclusions auxquelles nous sommes parvenus.

Tout d’abord, et cela n’a rien de surprenant, la technologie n’est pas notre ennemie.

Le sommet nous a communiqué de nombreux exemples concrets d’innovation.

Une grande partie de cette innovation est attribuable à la technologie — à la fois source de défis et de possibilités.

Sur le plan des défis, nous devons trouver les ressources pour faire l’acquisition des technologies, puis embaucher et former les gens qui en tireront le meilleur parti.

Sur le plan des possibilités, la technologie nous permet de rejoindre nos utilisateurs là où ils se trouvent, ce qui est principalement en ligne.

Et un grand défi réside dans le fait que plus les gens utilisent le Web pour accéder à nos ressources, plus ils ont le goût de visiter nos installations physiques.

Cela signifie que nous ne pouvons pas cesser d’investir dans nos services en personne au profit de nos services virtuels.

Les institutions de mémoire doivent faire les deux, contrairement à d’autres secteurs comme la musique et le cinéma.

Je vais donner quelques exemples d’initiatives technologiques prises par BAC pour vous aider à porter un nouveau regard sur les services que nous fournissons.

Prenons le Numéri-Lab, notre nouvelle installation au 395, rue Wellington, à Ottawa.

On y donne un accès gratuit à l’équipement de numérisation et aux outils de description.

Le Numéri-Lab est ouvert à toute personne — particuliers, organismes, groupes communautaires, chercheurs universitaires et généalogistes — qui souhaite numériser et décrire des documents de BAC.

Ils obtiennent une formation gratuite et l’accès à l’équipement de numérisation à haute résolution pour leurs propres projets tout en mettant l’information en ligne à la disposition du public.

Certes, les projets font avancer la recherche, mais ils favorisent aussi la découverte et profitent à tous les Canadiens.

Le monde numérique permet aussi de poursuivre le dialogue, comme le fera ressortir une autre de nos initiatives.

Le projet En ce jour livre un flot continu de moments fascinants, inspirants, stimulants et parfois controversés de notre histoire.

En 2017, 365 de ces moments seront diffusés quotidiennement sur notre site Web et dans les médias sociaux pour souligner le 150e anniversaire de la Confédération.

Vous voyez un exemple à l’écran : il s’agit de Frederick Sasakamoose, le premier joueur de hockey autochtone à jouer dans la Ligue nationale de hockey. Il a appris à jouer au hockey au pensionnat autochtone de St. Michael’s à Duck Lake, en Saskatchewan.

Accompagnée d’un historien, une équipe de BAC a passé au peigne fin nos collections pour saisir tous les aspects de l’histoire du Canada.

Certaines capsules proviennent de découvertes faites dans nos chambres fortes et d’autres proviennent de suggestions faites par la trentaine de ministères et d’organismes fédéraux qui collaborent avec nous pour concrétiser ce projet.

Le projet a suscité des discussions parmi les Canadiens un peu partout au pays. Ils sont invités à communiquer leur propre version des récits du jour, ainsi que des événements marquants survenus dans leur vie.

La technologie permet également de faire le lien entre le passé et le présent, même dans les régions les plus éloignées du pays.

En 2001, BAC a fait équipe avec un programme de formation au Nunavut, le territoire du Canada le plus au nord.

Le projet consistait à numériser des photos historiques de notre collection et à identifier les personnes et les collectivités inuites qui figuraient sur ces photos.

Bon nombre des photos étaient restées anonymes pendant des décennies.

L’objectif de départ était modeste : pendant la première année, numériser 500 photos et identifier les personnes, les lieux et les événements représentés.

Mais l’initiative, appelée Un visage, un nom, a pris son envol.

Depuis 2001, nous avons numérisé plus de 10 000 photos et ce n’est pas terminé.

Nous avons pu identifier près du quart des personnes, des activités et des événements sur nos photos.

Des familles et des amis ont renoué des liens.

Tous ces renseignements, ainsi que les images, sont maintenant disponibles dans notre base de données.

Et nous avons élargi la portée du projet pour y inclure les Inuits vivant dans les Territoires du Nord-Ouest, le nord du Québec et le Labrador, ainsi que les collectivités des Premières Nations et des Métis de tout le Canada.

***

Je n’ai probablement pas besoin de vous convaincre que la technologie a transformé notre monde.

Mais ce que je peux affirmer, c’est la mesure dans laquelle la technologie joue un rôle important pour rendre notre patrimoine accessible.

Nous travaillons avec nos partenaires à l’élaboration d’une stratégie nationale de numérisation.

La Stratégie nationale de numérisation du patrimoine documentaire a été élaborée par les principales institutions de mémoire du Canada : les grandes bibliothèques publiques, les bibliothèques et les archives universitaires, les archives provinciales, les associations nationales d’archivistes, de bibliothécaires, d’historiens et d’employés de musées.

Nous avons adopté une façon d’accélérer la numérisation des principales collections du Canada et de les rendre facilement accessibles à tous afin de lier les Canadiens de partout au pays dans leur recherche de culture et de savoir.

La Stratégie englobera le matériel analogique publié et inédit qui revêt une signification nationale, régionale et locale, y compris :

  • les livres, les périodiques et les journaux;
  • les documents gouvernementaux;
  • les affiches et les cartes géographiques;
  • les thèses et les artéfacts;
  • les photographies et les documents d’art documentaire;
  • les films, les vidéos et les enregistrements sonores;
  • et plus encore.

En ce qui concerne BAC, nous participons déjà à un processus de numérisation de masse.

Par exemple, nous avons numérisé plus de la moitié des dossiers de service de 640 000 soldats du Corps expéditionnaire canadien qui ont servi pendant la Première Guerre mondiale.

À la fin de ce projet en 2018, 16 millions de pages parmi les documents les plus souvent demandés seront entièrement accessibles dans notre site.

Cela comprend les journaux personnels, les dossiers médicaux et les documents d’attestation de militaires célèbres comme Frederick Banting, qui a découvert l’insuline, « One-Eyed » Frank McGee, le légendaire joueur de hockey, et Grey Owl, l’un des premiers militants écologistes du monde, ainsi que de soldats plus anonymes, mais à propos desquels leur famille cherche de l’information.

Nous avons même le dossier militaire de « Wolverine »!

Il s’est avéré que James Howlett a eu toute une carrière militaire avant de rencontrer le professeur X!!

Et selon nos documents, il a été grièvement blessé au combat maintes fois et s’est forgé une réputation de rescapé de la mort.

Bien sûr, je rigole. Il ne s’agit pas de vrais journaux ou d’authentiques documents. Mais le faux document du Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur Wolverine utilisé pour notre poisson d’avril a été notre article qui a connu le plus de popularité à ce jour dans les médias sociaux.

Nous avons obtenu 157 000 mentions « J’aime » sur notre page Facebook, près de 24 000 commentaires et 45 000 partages; en tout, nous avons joint plus de six millions de personnes! Nous étions à la télévision, nous avons fait la page d’accueil de Reddit, sans oublier qu’en plus des médias canadiens, l’histoire a été reprise par Forbes.com et même Entertainment Weekly.

Pas mal du tout pour une bibliothèque et des archives!

* * *

L’environnement numérique crée aussi de nouveaux genres d’emploi.

Nous venons tout juste d’engager une wikipédienne en résidence dans le cadre d’un projet pilote de BAC.

Elle collabore avec la communauté Wikipédia, ainsi qu’avec Wikimédia Canada, l’organisme sans but lucratif qui travaille à accroître le contenu canadien dans Wikipédia.

Bien qu’elle soit avec nous depuis peu seulement, elle a déjà :

  • organisé, à l’Université de Guelph, un marathon d’édition sur les artistes canadiennes;
  • planifié la tenue d’un marathon d’édition en français, en mars;
  • repéré des images du domaine public à BAC qui pourront être versées dans Wikimedia Commons;
  • cerné des lacunes dans Wikipédia qui pourront être comblées en utilisant les ressources documentaires et les métadonnées de BAC.

Ce genre d’emploi n’existait même pas il y a dix ans — et l’on peut imaginer les genres d’emploi qui apparaîtront au cours des prochaines années.

Et ce ne sont que quelques exemples d’occasions créées par la technologie.

La deuxième conclusion à laquelle nous sommes arrivés lors du sommet est que les institutions de mémoire jouent de nouveaux rôles.

J’en ai mentionné quelques‑uns plus tôt — offrir des espaces confortables de rencontre, accueillir de nouveaux immigrants et réfugiés, et même donner accès à Internet haute vitesse aux personnes qui en ont besoin.

Ce dernier rôle est peut‑être surprenant, mais il ne faut pas oublier qu’en 2016, même si 88,5 % des Canadiens avaient accès à Internet à la maison, cela signifie quand même que des millions de personnes ne l’avaient pas.

Mais voyons d’abord ces espaces comme tels.

L’importance des espaces publics, que ce soit une bibliothèque ou un musée, commence tout juste à être véritablement comprise.

Partout dans le monde, des millions de dollars sont investis dans des édifices où les gens sont invités à se rendre. On appelle parfois ces endroits des salons urbains ou des « troisièmes lieux ».

Le premier lieu est ce que nous appelons notre chez-soi, le deuxième, c’est notre lieu de travail. Le troisième lieu n’est donc ni au domicile ni au travail — il s’agit plutôt d’un espace communautaire, d’un pont entre les deux.

Ces lieux sont magiques.

Je me souviens du temps où j’étais président-directeur général à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal.

Pendant le mouvement des « carrés rouges » en 2012, tous les jours pendant plus de 100 jours, des milliers d’étudiants ont marché dans les rues de Montréal pour protester contre la hausse des frais de scolarité.

Des édifices ont été occupés et des véhicules de policiers ont été incendiés; il y a eu des manifestations et des arrestations; on a eu recours aux gaz lacrymogènes; et des actes de violence ont été commis.

La Grande Bibliothèque, la principale bibliothèque de Montréal, était au cœur de l’activité, au centre même de la ville, située à proximité d’une des universités.

Tous les soirs, nous pouvions voir les protestataires se rassembler sur la place publique en face de la bibliothèque; nous avons été témoins de la manifestation, entendu les slogans scandés à tue-tête et le hurlement des sirènes. Ça faisait peur.

Mais pas une seule fois, les protestataires ne sont entrés dans la bibliothèque.

Tout au long du mouvement, elle est demeurée un lieu sûr.

L’an dernier, j’ai eu le privilège de m’asseoir avec la nouvelle bibliothécaire de la Bibliothèque du Congrès, Carla Hayden.

Pendant son discours inaugural, elle a rappelé les troubles survenus à Baltimore en avril 2015.

Comme elle l’expliquait, des voitures brûlaient encore dans les rues, des écriteaux de fermeture étaient accrochés aux devantures des magasins sur une distance de nombreux pâtés de maisons.

Pourtant, elle a pris la décision de maintenir ouverte la succursale de la Bibliothèque publique de Baltimore et elle était là, jour après jour, avec son personnel, ouvrant les portes — offrant un lieu de refuge propice à la compréhension.

Je me souviens de collègues de la Bibliotheca Alexandrina, en Égypte, qui me racontaient des histoires semblables à propos d’étudiants protégeant leur établissement pendant la « révolution égyptienne » de 2011.

Comme le disait Maya Angelou, rien de mal ne peut vous arriver dans une bibliothèque.

Je pense que ces histoires illustrent un point important.

Les institutions de mémoire comme les bibliothèques et les archives représentent non seulement la sécurité, mais aussi la liberté.

La liberté de penser et de questionner, de créer et, bien sûr, d’être en désaccord.

Cette liberté est au cœur d’une société démocratique.

Et il n’existe pas de meilleur refuge que la liberté elle-même.

L’un des exposés les plus percutants prononcés au sommet de décembre a été celui du bibliothécaire en chef de la Bibliothèque publique de Toronto, un établissement qui accueille quelque 18 millions de visiteurs par année.

La Bibliothèque publique de Toronto organise des marathons de programmation, des rencontres, des séminaires pour petites entreprises, des cours et des ateliers pour les retraités, des laboratoires d’apprentissage éclair, des leçons pour apprendre à utiliser une liseuse numérique et des programmes gratuits pour aider les nouveaux arrivants à apprendre l’anglais, à se familiariser avec leur nouvelle citoyenneté et à se faire de nouveaux amis.

Il s’agit là d’un puissant lieu de collaboration — donner aux gens les outils dont ils ont besoin pour s’adapter au changement — qui contribue à rendre nos villes et nos collectivités plus agréables, accueillantes et durables.

* * *

BAC est également occupé à fournir de nouveaux espaces.

Si le projet est approuvé, le nouvel édifice regroupant la Bibliothèque publique d’Ottawa et Bibliothèque et Archives Canada offrira à nos clients un espace moderne, dynamique et multifonctionnel auquel ils auront accès facilement, où ils pourront consulter notre patrimoine documentaire et où ils pourront visiter des expositions et participer à des événements publics.

Un nouvel édifice important au cœur de la ville nous rendrait visibles auprès du public; selon les prévisions, on y accueillerait 4 500 visiteurs par jour.

Et afin d’élargir la portée des services que nous offrons aux deux extrémités du pays, nous avons aussi relocalisé nos bureaux au Musée canadien de l’immigration du Quai 21 à Halifax, ainsi qu’à la Bibliothèque publique de Vancouver.

De plus, nous inaugurons 2 000 pieds carrés d’espace d’exposition réservé à BAC au Musée Glenbow, à Calgary.

Des plans sont aussi en préparation pour notre centre de services au public à Winnipeg — des plans visant à rapprocher nos services des gens.

Nous travaillons également en étroite collaboration avec le Musée canadien des droits de la personne et le Centre national pour la vérité et la réconciliation à l’Université du Manitoba pour nous assurer que le plus grand nombre possible de Canadiens aient accès à leur patrimoine.

Grâce au partenariat entre BAC et le musée, un certain nombre de documents fondamentaux ont été prêtés et exposés, les rendant ainsi accessibles à un vaste public.

L’an dernier, nous avons prêté au musée l’une de nos plus populaires expositions. Intitulée Laissez-les hurler : 100 ans de lutte pour les droits de la femme, elle présente les reproductions de portraits de 12 femmes emblématiques, provenant principalement de la collection de BAC.

Elle comprend des photographies prises par des artistes de renom, tels que Yousuf Karsh et Bryan Adams.

Je suis en outre très fier de l’entente que nous avons signée avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation, afin de préserver les documents de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) sur les pensionnats autochtones et de permettre au public d’y avoir accès.

Les deux entités sont déterminées à préserver les documents d’importance nationale qui témoignent de l’expérience canadienne.

Rendre ces documents accessibles aux survivants des pensionnats autochtones, à leurs familles et au public est un élément clé de notre entente.

L’entente prévoit aussi la tenue de consultations, de réunions, d’activités spéciales, d’ateliers, de conférences et d’expositions que nous organiserons ensemble, optimisant à la fois nos ressources et nos capacités.

Ce qui m’amène à un point intéressant.

La technologie nous donne la chance de numériser et, par le fait même, de démocratiser une grande quantité d’information — d’ouvrir les portes à l’égalité des chances.

Mais il existe un pouvoir à exposer d’authentiques objets qui va au-delà du monde numérique.

Le président-directeur général du Musée royal de la Colombie-Britannique, Jack Lohman, a déclaré ce qui suit :

L’accès à d’importants artéfacts ou à un chef-d’œuvre ouvre tout un monde, qui ne peut être vécu de la même façon avec un téléphone cellulaire ou la télévision.

Il a raison.

Même si La Joconde n’est qu’à un clic sur Google, des millions font la file pour la voir au Louvre, vivante et en personne, pour ainsi dire.

Même si la musique des Beatles est facilement disponible sur iTunes, les gens font la file à la British Library pour voir les paroles de A Hard Day’s Night écrites au verso de la carte d’anniversaire de Julian Lennon.

Il y a une émotion, une réaction viscérale qui se produit lorsque vous entrez en contact avec un document original que rien ne peut remplacer.

Revenons au sommet À nous la rue. Nous y avons conclu qu’un des aspects les moins bien compris de notre secteur est son lien avec le développement économique.

Quand il s’agit de prouver notre valeur, c’est un sujet qui revient souvent.

  • La British Library estime que chaque livre sterling de fonds publics qu’elle reçoit annuellement en rapporte 4,90 à l’économie du Royaume-Uni.
  • Le ratio de 5 pour 1 est similaire au Canada, selon les récentes études effectuées à la Bibliothèque publique de Toronto ainsi qu’à la Bibliothèque publique d’Ottawa.

Pour chaque dollar investi, la collectivité récolte des avantages d’une valeur d’environ 5 $.

Je dirais que ce n’est pas mal du tout comme investissement.

La British Library a vraiment intensifié ses efforts pour contribuer à la croissance économique.

Par exemple, c’est elle qui a créé le Knowledge Quarter.

Ce « quartier du savoir » est un regroupement en pleine expansion d’organismes locaux situés dans un rayon de 1,6 km de St. Pancras, siège de la British Library. Ils sont unis par un objectif général commun : le développement et la diffusion du savoir.

Le quartier se compose de :

  • 7 établissements d’enseignement supérieur;
  • 13 instituts culturels;
  • 21 musées;
  • 27 bibliothèques et archives;
  • de nombreux instituts de recherche.

Le Knowledge Quarter accueille 10 millions de visiteurs par année.

La British Library offre également un réseau d’affaires et de centres Internet qui aide les entreprises à innover et à se développer.

Il s’agit d’un exemple de partage de grande envergure, mais les bibliothèques et autres institutions peuvent également apporter une contribution à plus petite échelle.

La Grande Bibliothèque de Montréal, mon ancien terrain de jeu, a lancé un programme de littératie financière pour aider le jeune public québécois à approfondir ses connaissances sur l’argent et les finances personnelles, en collaboration avec la Fondation canadienne d'éducation économique et BMO Groupe financier.

Malheureusement, ces nouvelles initiatives sont pour ainsi dire inconnues des élites de la classe politique, de l’économie et des médias, qui consacrent très peu de temps aux institutions de mémoire — ce sont des gens qui préfèrent acheter plutôt qu’emprunter, et qui voient mal l’utilité des services gratuits en raison de leur propre situation économique.

La consommation culturelle de ces groupes diverge notablement de celle des utilisateurs des bibliothèques, et ce sont néanmoins les personnes que nous devons cibler pour faire la démonstration de nos valeurs.

Je tiens à vous parler d’une dernière conclusion formulée lors du sommet de décembre : la place qu’occupent les institutions de mémoire dans l’écosystème de la création.

Elle ne peut se réduire aux fonctions de collecte et de préservation des ouvrages.

Les bibliothèques, les archives et les musées sont également présents au début de la chaîne créative, où ils sont sources d’inspiration et de matière première pour les artistes de toutes les disciplines — non seulement les auteurs et les poètes, mais aussi les artistes numériques, les musiciens, les peintres et les réalisateurs.

Il s’agit d’un nouveau champ d’action qui connaît une croissance rapide chez les institutions de mémoire, souvent perçues comme l’ultime destination où reposent les œuvres créatives, et non comme l’inspiration qui les engendre.

Vous seriez néanmoins surpris d’apprendre à quel point les artistes et les créateurs comptent sur nous.

Lors du sommet, le conférencier Derek Kwan, acteur et créateur de Vancouver, s’est exprimé avec un enthousiasme contagieux.

Il a réalisé son film documentaire, Taste of Identity, avec l’aide des ressources disponibles au laboratoire d’inspiration de la Bibliothèque publique de Vancouver.

Derek nous a expliqué comment son film n’aurait pu voir le jour sans ce laboratoire, qui lui a offert un espace de collaboration, du matériel de pointe et, bien sûr, l’inspiration.

Il a décroché le prix du meilleur court-métrage canadien et du meilleur documentaire lors du festival du court-métrage Canada Shorts 2015.

Grâce à son succès, Derek s’est trouvé parmi les 15 réalisateurs canadiens invités à un atelier de perfectionnement de la télévision d’État.

L’enthousiasme de Derek se retrouve chez un autre jeune artiste : Eric Chan. Exerçant sous le pseudonyme de « eepmon », cet artiste numérique possède une vision artistique où se mêlent code informatique et dessin.

Il a longuement parlé de l’importance des bibliothèques, des archives et des musées, dont le rôle déborde largement des domaines de l’exposition et de la recherche, pour devenir des supports créatifs en soi.

Voici un exemple de son art prêt-à-porter : un parka exclusif Canada Goose qui combine beaux-arts, design et programmation informatique.

À BAC, ce ne sont pas les exemples qui manquent pour montrer que des pièces de la collection peuvent trouver une seconde vie dans l’interprétation créative d’artistes de toute discipline.

Prenez Jane Urquhart, qui s’est plongée dans la vie du sculpteur du Mémorial de Vimy pour préparer son roman The Stone Carvers, aujourd’hui un classique.

Ou Frances Itani, qui a passé six mois à BAC pour effectuer des recherches pour son roman Deafening, publié dans 16 pays.

Ou encore Jeff Thomas, artiste et photographe iroquois tant inspiré par les portraits des Quatre rois indiens de notre collection, qu’il a réalisé toute une série d’œuvres uniques dont le héros est le voyageur fictif qu’il a créé, le « chef Red Robe ».

Je suis particulièrement fier du travail de l’artiste Sarah Hatton, qui travaille à BAC.

À partir de centaines d’attaches en laiton retirées à la main des dossiers personnels de soldats canadiens de la Première Guerre mondiale, elle a créé une installation mobile d’une grande originalité baptisée Detachment.

Il s’agit d’une série de cartes célestes montrant des ciels nocturnes tels qu’ils apparaissaient au-dessus des sites de plusieurs grandes batailles de la Première Guerre mondiale, dont Vimy et Passchendaele.

J’aimerais avoir davantage de temps pour vous donner d’autres exemples.

Mais un fait est clair : les bibliothèques, les archives et les musées sont des sources d’inspiration, des lieux de contact, de collaboration, des endroits où découvrir l’histoire et imaginer l’avenir.

Le sommet de décembre s’est terminé par un engagement à poursuivre dans la même voie, en reconnaissance du fait que les institutions de mémoire partagent bien plus que ce que l’on croyait.

Nous avons décidé de rédiger une déclaration pour continuer sur notre lancée et trouver de nouveaux moyens de travailler comme une communauté.

La Déclaration d’Ottawa indique qu’ensemble nous allons :

  • accroître la collaboration afin de stimuler la créativité et renforcer l’engagement;
  • élaborer des programmes et des services novateurs et adopter des technologies qui vont nous donner les moyens de faire participer nos publics;
  • enrichir et élargir l’accès à nos collections, afin de contribuer de façon significative au bien commun et au développement durable.

Je ne vous cache pas mon enthousiasme, et j’espère que vous le partagez.

En cette ère de « faits alternatifs » et de « fausses nouvelles », la reconnaissance de la valeur des institutions de mémoire est plus essentielle que jamais.

Grâce à votre travail, nos mémoires traverseront l’histoire sans être modifiées. Nous pourrons ainsi tirer des leçons du passé et nous adapter, alors que nous progressons vers l’avenir.

Je vous remercie.

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