Chapitre 2 : Les données pour l’équité
Titre officiel : Réaliser et soutenir l’équité en matière d’emploi : un cadre transformatif – Rapport du Groupe de travail sur l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi : Chapitre 2
Auteure : Professeure Adelle Blackett, MSRC, Ad E, Présidente du groupe de travail
Sur cette page
- La collecte de données sur l’équité en matière d’emploi dans une optique de droits de la personne
- Un comité directeur pour les données dont nous avons besoin
- Désagrégation et intersectionnalité
- Établir une relation de soutien mutuel entre la protection de la vie privée et l’équité en matière d’emploi
- Justice fondée sur les données dans la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi et l’élimination des obstacles
- Justice fondée sur les données pour mener de véritables consultations
- Justice fondée sur les données aux fins de reddition de compte : surveillance réglementaire et transparence à l’égard du public
La collecte de données sur l’équité en matière d’emploi dans une optique de droits de la personne
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[Traduction] La justice pour les communautés opprimées de façon systémique ne consiste pas seulement à documenter les inégalités au moyen de données désagrégées et à prendre des mesures urgentes en fonction de ce que les données révèlent (bien que cela soit important), mais aussi à réimaginer et à reconstruire la façon dont la recherche est effectuée afin de remédier aux préjudices sociaux continus qui ont été causés par les pratiques de recherche normalisées dans la province.
Les données pour l’équité facilitent la détermination des obstacles à l’inclusion équitable au travail. Elles permettent aux acteurs du monde du travail de collaborer pour garantir la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi. Elles assurent la responsabilisation, garantissant que des progrès raisonnables peuvent être réalisés et contrôlés, de sorte que l’équité en matière d’emploi soit réalisée et maintenue. Les données pour l’équité est la pièce maîtresse de l’égalité réelle.
Cela étant dit, nous comprenons que la collecte de données n’est pas une fin en soi. Si elle ne cadre pas avec son objectif relatif aux droits de la personne, elle peut être préjudiciable.
Les données et les recherches qualitatives sur la nature et l’ampleur des inégalités en matière d’emploi, y compris leurs causes sous-jacentes, sont essentielles pour déterminer la nature, l’ampleur et les causes de la discrimination, concevoir et mettre en œuvre une politique nationale pertinente et efficace en matière d’égalité […] et suivre et évaluer ses résultats.
Le présent rapport s’appuie sur le principe de la perspective grand-mère, formulé par le Bureau de la commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, qui s’inspire d’un souci d’engagement communautaire véritable et de développement de relations respectueuses. La perspective grand-mère exige que la collecte de données soit pertinente, qu’elle soit effectuée selon les règles de l’intendance des données et le respect de la souveraineté des données autochtones, qu’elle fasse preuve de responsabilité et de réciprocité avec les communautés, et qu’elle soit un exemple de réflexivité – c’est-à-dire un examen approfondi et continu des obstacles et des préjugés. L’objectif général est de s’assurer que la collecte de données répond à l’objectif global des droits de la personne. Les systèmes sont modifiés lorsque la qualité des relations changeNote de bas de page 1.
Le groupe de travail s’appuie sur les nouveaux cadres de gouvernance des données. Le cadre de souveraineté des données des Premières Nations (les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession, ou PCAP) est abordé au chapitre 3. Les principes de PCAP fournissent des indications cruciales lorsqu’il s’agit de réfléchir à des relations respectueuses dans la collecte de données sur l’équité en matière d’emploi. Parmi les nouveaux cadres figure l’EGAP (engagement, gouvernance, accès, protection), élaboré dans le contexte des soins de santé pour répondre à la préoccupation selon laquelle les données actuellement recueillies ne sont pas utilisées pour améliorer la vie des Noirs. Il préconise des consultations authentiques, cycliques et accessibles avec les communautés sur la collecte, la gestion, l’analyse et l’utilisation des données; une gouvernance qui implique la prise de décision par les communautés; le droit d’accès des communautés à leurs données collectives; et la protection des droits individuels et des types de donnéesNote de bas de page 2. L’un des principaux points à retenir aux fins de l’équité en matière d’emploi est qu’il est essentiel de prendre le temps nécessaire pour s’assurer que les consultations sont structurées de manière appropriée avec des organismes communautaires représentatifs, qui peuvent être impliqués de manière significative pour parvenir à des solutions de justice fondée sur les données qui nous aident tous à réaliser l’équité en matière d’emploi.
Un comité directeur pour les données dont nous avons besoin
Le groupe de travail a reçu de nombreux mémoires demandant un accès en temps opportun aux données pour déterminer les caractéristiques démographiques de la population et la disponibilité sur le marché du travail afin d’évaluer les taux d’atteinte.
Notre groupe de travail a appris qu’il existe un vif désir, au sein du gouvernement, d’une plus grande collaboration avec Statistique Canada afin de rendre les décisions fondées sur des données probantes plus facilement accessibles. Les intervenants ont fait part au groupe de travail de leur inquiétude quant au fait que Statistique Canada recueille peu de données sur l’équité en matière d’emploi dans le cadre de son Enquête sur la population active mensuelle. Le recensement recueille davantage de données, mais il y a un décalage dans la mise à disposition de ces données. Nous avons reçu des recommandations concrètes, y compris de la part du Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme, en faveur d’une collaboration accrue avec Statistique Canada. Le soutien à la désagrégation des données a été l’un des thèmes clésNote de bas de page 3.
Nous avons entendu à plusieurs reprises qu’il était nécessaire de collaborer avec Statistique Canada pour recueillir et publier des données plus utiles, plus actuelles et plus informatives sur l’emploi et l’équité dans l’ensemble du monde du travail.
Le document de travail que nous avons commandé au professeur Louis-Philippe Morin s’est concentré sur les possibilités de combiner les ensembles de données existants afin d’obtenir le type de compréhension dont nous avons besoin sur ce qui se passe dans les milieux de travail canadiens. Le professeur Morin a formulé un certain nombre de suggestions visant à améliorer la collecte de données sur l’équité en matière d’emploi, notamment en reliant de manière sélective des ensembles de données tels que le recensement, l’Enquête nationale auprès des ménages, l’Enquête sur la population active, la Base de données canadienne sur la dynamique employeurs-employés (BDCEE), l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, et l’Enquête canadienne sur l’incapacité (ECI)Note de bas de page 4. Les données devraient être simplifiées pour permettre une utilisation généralisée par les analystes et autres utilisateurs finaux. Les données devraient être facilement téléchargeables.
La présidente et la vice-présidente de notre groupe de travail ont constaté avec satisfaction que des données précieuses ont pu être mises à disposition dans un délai extrêmement court après la publication des données du recensement du 30 novembre 2022, grâce à une coordination et à une hiérarchisation des priorités à un niveau élevé. On nous a dit que le processus a rappelé à certains fonctionnaires de longue date les collaborations passées qui ont été rendues possibles au début de l’établissement du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
C’est possible.
Il faut des ressources, un engagement et un cadre institutionnel délibérément structuré pour s’assurer que le cadre transformateur de l’équité en matière d’emploi est soutenu de manière cohérente au fil du temps.
L’examen de la décision importante, mais singulière du Tribunal canadien des droits de la personne, Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social)Note de bas de page 5, nous l’a rappelé. Pour être en mesure de cerner précisément les obstacles à la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi et assurer une surveillance et une responsabilisation appropriées, nous devons nous doter des institutions de haut niveau adéquates. Ce n’est qu’à cette condition que les bonnes données seront recueillies, et pour les bonnes raisons.
Les données sur les disparités statistiques et les renseignements sur la situation des membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, lorsqu’elles sont disponibles et présentées ensemble, complètent et renforcent notre compréhension des obstacles à l’équité. L’accent est mis sur la correction des effets de la discrimination et sur la promotion de l’inclusion équitable en milieu de travail grâce à l’égalité réelleNote de bas de page 6.
Ce que nous savons également, c’est que la collecte de données superficielles suscite une grande lassitude – ce qui est compréhensible.
Les intervenants voulaient savoir quels étaient les véritables défis liés à la représentation et comment les résoudre. Ils ont réclamé une collecte de données sophistiquée, en phase avec les tendances démographiques, qui pourrait aider les employeurs à localiser les nouveaux bassins de talents.
Les employeurs ont souligné que le système de collecte de données est défaillant. Les retards dans la collecte des données et l’absence de suivi compromettent leur capacité à réaliser l’équité en matière d’emploi. Ils ont demandé une rétroaction utile, opportune et facile à comprendre qui leur permettra de donner suite à leur engagement envers l’inclusionNote de bas de page 7.
Il est également largement reconnu que, bien que les chiffres soient réellement importants, les données pour l’équité doivent nous emmener au-delà des chiffres. La façon dont les expériences de vie des personnes sont représentées est également importante.
Le récent travail de consultation de Statistique Canada avec les communautés a été une source d’encouragement en ce qui concerne la compréhension des données. Comment le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, si enraciné dans les expériences contextualisées des travailleurs, peut-il contribuer à garantir que des histoires complexes sur le monde du travail soient racontées de manière significative? Il s’agit là d’un thème clé du rapport du groupe de travail.
Un point de départ est clair et constitue la substance de notre première recommandation sur les données pour l’équité : nous devons recréer une structure institutionnelle capable d’actualiser en permanence la manière dont les données relatives à l’équité en matière d’emploi sont recueillies, analysées, utilisées et rendues accessibles.
Cette structure consultative devrait être en mesure de répondre à des demandes telles que les suivantes, afin que l’on puisse repenser la manière dont les données sectorielles sont calculées :
[Traduction] Les universités et les collèges ont besoin de meilleures données pour atteindre les objectifs en matière d’équité. L’ACPPU a demandé que l’enquête de Statistique Canada intitulée Système d’information sur le personnel enseignant des universités et collèges (SIPEUC) soit élargie afin d’inclure des données sur l’équité au-delà du sexe des membres du personnel académique, et pour recueillir des renseignements sur le personnel académique contractuel et le corps professoral des collèges.
Par exemple, les données du recensement nous indiquent désormais le « lieu des études », mais traitent de la même manière les diplômes obtenus « à l’extérieur du Canada ». Nous savons que le lieu des études a une incidence sur l’évaluation des grades ou des diplômes. Une étude a montré qu’il existe une variation significative lorsque les diplômes sont obtenus dans des pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, ou dans des pays d’Europe continentale, par rapport à la plupart des autres pays d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique, des Caraïbes et d’Amérique latineNote de bas de page 8. Le comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi proposé pourrait jouer un rôle utile en décidant s’il serait utile et faisable de désagréger la variable « à l’extérieur du Canada » pour saisir les pays ou les régions du monde où les études ont eu lieu. Il existe de nombreux autres exemples. Il est préférable de les traiter dans le cadre d’un forum délibératif composé de spécialistes techniques et de représentants des communautés concernées.
Recommandation 2.1 : Un comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait être créé en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi afin de soutenir la mise en œuvre, les véritables consultations et la surveillance réglementaire en vue de réaliser et soutenir l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 2.2 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait avoir pour mandat clair d’adopter une approche axée sur les droits de la personne et les données pour l’équité.
Recommandation 2.3 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait être composé de représentants de haut niveau, notamment Statistique Canada, le commissaire à l’équité en matière d’emploi, la dirigeante principale des données d’EDSC, la Commission canadienne des droits de la personne, le Programme du travail, la Commission de la fonction publique et le BDPRH du SCT.
Recommandation 2.4 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait comprendre des sous-comités composés de spécialistes techniques appropriés au sein du gouvernement fédéral, qui sont significativement impliqués dans la gestion des données sur l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 2.5 : Le mandat du Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait comprendre les éléments suivants :
- recommander l’élargissement ou la fusion des bases de données, des sources et des enquêtes qui ont une incidence sur la capacité des employeurs sous réglementation fédérale et des employeurs assujettis au Programme de contrats fédéraux à rendre compte de la représentation des groupes et sous-groupes visés par l’équité en matière d’emploi;
- accorder la priorité à la détermination et à l’élimination des obstacles dans les critères relatifs aux données qui ont une incidence sur les travailleurs découragés et surqualifiés;
- entreprendre des recherches en collaboration avec des universitaires et des communautés plus larges qui représentent de manière significative les groupes d’équité en matière d’emploi.
Recommandation 2.6 : Les enquêtes sur le marché du travail menées par Statistique Canada devraient inclure une question, élaborée en consultation avec le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi, visant à savoir pendant combien de temps les travailleurs ont cherché un emploi dans leur domaine d’études.
Recommandation 2.7 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait être considéré comme faisant partie du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Désagrégation et intersectionnalité
Concepts et pratiques
[Traduction] Nous vivons des vies intersectionnelles.
Les données désagrégées rendent possibles des énoncés puissants.
En effet, en rendant visibles les inégalités systémiques dans notre société, les données peuvent entraîner des changements positifs. En revanche, les mêmes données, mal recueillies ou utilisées, peuvent renforcer la stigmatisation des communautés, causant du mal aux individus et aux communautés mêmes.
Le groupe de travail a été témoin d’un soutien ferme et constant à ce que les groupes de travailleurs visés par l’équité en matière d’emploi soient désignés d’une manière fondée sur les distinctions et l’intersectionnalité. La Commission de la fonction publique du Canada, les syndicats, les réseaux d’employés, les employeurs du secteur privé et la société civile, ainsi que des experts internationaux et des représentants du Bureau international du Travail à Genève, nous ont dit qu’il était particulièrement important d’être en mesure de voir comment les sous-groupes sont touchés. Les données globales recueillies en fonction des quatre groupes actuels d’équité en matière d’emploi nous ont empêchés de voir ce que vivent les sous-groupes dans les milieux de travail. En ne recueillant pas de données désagrégées, l’équité en matière d’emploi a masqué et parfois perpétué l’inégalité systémique au travail.
Une approche fondée sur les distinctions s’attache à traiter les groupes visés par l’équité en tenant compte de leur histoire et de leurs identités particulières. Cela est particulièrement important pour les peuples autochtones. Il s’agit de nations dont les droits issus de traités et les droits autochtones sont reconnus par la Constitution canadienne et le droit international. Comme nous le verrons au chapitre 3, leur inclusion dans la législation sur l’équité en matière d’emploi doit être repensée afin de refléter la spécificité de leur expérience et d’honorer et de respecter les relations de nation à nation/gouvernement à gouvernementNote de bas de page 9.
Une approche intersectionnelle et fondée sur les distinctions rejoint en grande partie la promotion par le gouvernement canadien d’un cadre d’analyse comparative entre les sexes Plus (ACS+). L’ACS+ a été largement reconnue comme offrant un espace pour des analyses nuancées, reconnaissant que les personnes ont à la fois des identités multiples qui interagissent. En revanche, elles ne peuvent pas non plus être réduites à ces identités. Les intervenants nous ont toutefois fait part de leur inquiétude quant au fait que le cadre, tel qu’il est caractérisé, puisse donner l’impression, par inadvertance, qu’il cherche à subsumer tous les autres groupes d’équité dans le « plus » – censé inclure des identités telles que la race, l’appartenance ethnique, la religion, l’âge et le handicap. Selon eux, cette approche pose problème, car elle risque de créer une hiérarchie entre le sexe et tous les autres groupes. Comme l’a dit une personne, les groupes ne veulent pas être réduits à un « plus ». Le gouvernement du Canada devrait sérieusement envisager de renommer son cadre d’analyse afin que l’égalité réelle pour l’inclusion sois mise de l’avant sous un nom que tous les groupes d’équité souhaitent adopter.
La désagrégation des données est largement acceptée, y compris par la Commission de la fonction publique du Canada elle‑même. Dans une vérification portant sur la représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi lors du recrutement réalisée en 2021, elle a constaté des expériences différentes parmi les postulants aux postes annoncés venant de l’extérieur et a souligné « l’importance d’examiner les données de sous‑groupes de minorités visibles »Note de bas de page 10.
La désagrégation des données soutient l’approche fondée sur les distinctions. Au lieu de limiter les données sur l’équité en matière d’emploi au seul groupe composite, par exemple les « Autochtones », elle s’intéresse aux travailleurs métis, inuits et membres des Premières Nations. Il est évident qu’avec le temps et compte tenu des considérations soulevées ci-dessous, les programmes d’équité en matière d’emploi devront être spécialement attentifs à la compréhension de la représentation des nations particulières et des obstacles précis qui peuvent s’appliquer. La désagrégation des données est reconnue comme un outil parmi d’autres – y compris les données qualitatives – à utiliser dans le contexte du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi pour réaliser l’égalité en milieu de travail.
[Traduction] [L]a [Loi sur l’équité en matière d’emploi] ne pourra pas s’attaquer aux obstacles intersectionnels auxquels sont confrontées les femmes en situation de handicap si elle n’exige pas des employeurs qu’ils recueillent des données désagrégées sur leur effectif afin de déterminer le degré de sous-représentation des personnes appartenant à plusieurs groupes désignés, y compris les expériences des personnes vivant à l’intersection d’un ou de plusieurs groupes.
L’intersectionnalité est un concept connexe.
La notion d’intersectionnalité apparaît en droit dans les travaux de Kimberlé Crenshaw et en sociologie dans les travaux de Patricia Hill Collins. Ses racines profondes ne doivent pas être oubliées : elles sont incarnées par la vie d’une femme afro-américaine anciennement esclave, Harriet Tubman, qui, après s’être échappée de l’esclavage, a mené de nombreuses missions de sauvetage, au péril de sa vie, afin de conduire d’autres esclaves vers la liberté. Elle n’était pas seuleNote de bas de page 11. L’intersectionnalité permet de comprendre et de remettre en question l’inégalité systémique. Il ne faut jamais perdre de vue ce point. L’intersectionnalité n’est pas une addition abstraite d’identités. Il ne s’agit pas non plus d’une subdivision isolée du contexte social en sous-groupes de plus en plus petits.
Au contraire, l’analogie de l’intersection de la circulation utilisée par Crenshaw dans son article de revue de droit de 1989 portant sur le droit relatif à la discrimination en matière d’emploi permet d’expliquer l’accent mis sur les motifs de discrimination tels qu’ils sont vécus par des personnes réelles, dans leur contexte :
Envisagez la circulation à une intersection, qui va et vient dans les quatre directions. La discrimination, comme la circulation à une intersection, peut aller dans une direction et dans une autre. Si un accident se produit à une intersection, il peut être causé par des voitures qui circulent dans une ou plusieurs directions et, parfois, dans toutes les directions. De même, si une femme noire subit un préjudice parce qu’elle se trouve à une intersection de son identité, son préjudice pourrait être causé par la discrimination fondée sur le sexe ou la raceNote de bas de page 12.
L’intersectionnalité doit se concentrer sur les personnes qui cherchent à passer des marges de la société au centre du changement politique. En d’autres termes, l’intersectionnalité doit rester centrée sur son « pourquoi » essentiel. Son « pourquoi » est d’acquérir une connaissance approfondie de la manière dont la discrimination systémique est vécue par les personnes qui ont été historiquement marginalisées et qui continuent de se heurter à l’exclusion. Son « pourquoi » est de s’assurer que le contexte compte, dans toute sa complexité. Son « pourquoi » est d’amener les expériences vécues au centre de la politique et de l’action en faveur d’une égalité réelle.
Tout comme la désagrégation des données est de plus en plus utilisée dans les rapports, l’intersectionnalité est de plus en plus reconnue dans la législation : l’article 3.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne reconnaît que « les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs ».
Il est utile d’apporter quelques précisions supplémentaires. L’intersectionnalité n’est pas nécessairement nécessaire à la désagrégation des données. Par exemple, la désagrégation des travailleurs racialisés pourrait signifier que l’on présente séparément les données recueillies spécifiquement pour les travailleurs japonais et les travailleurs philippins.
[Traduction] Le réseau des fonctionnaires philippins a récemment publié des statistiques montrant les écarts en matière d’emploi pour les Philippins dans la fonction publique à tous les niveaux. Ces réalités seraient difficiles à percevoir si les données relatives aux Philippins étaient regroupées avec celles des autres ethnies asiatiques dans une catégorie « Asiatique ».
L’intersectionnalité nécessite toutefois une désagrégation, tant au sein des groupes visés par l’équité qu’entre eux. Par exemple, les données désagrégées sur le plan intersectionnel nous permettent de faire état de tous les hommes et de toutes les femmes racialisés, ou des femmes inuites handicapées et des hommes inuits handicapés. Autrement dit, elles permettent de faire état des résultats des groupes d’équité constitués par les minorités visibles, les femmes et les travailleurs handicapés, et de faire état des résultats d’un groupe à l’autre.
L’intersectionnalité nous permet également de cerner et d’éliminer les obstacles, sur la base d’examens qualitatifs des systèmes, pour les groupes visés par l’équité au regard des multiples motifs de discrimination mentionnés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les représentants des jeunes ont plaidé pour une approche intersectionnelle à l’égard des jeunes, qui sont présents dans chacun des groupes d’équité en matière d’emploiNote de bas de page 13. Le thème de l’élimination des obstacles intersectionnels au-delà des groupes d’équité en matière d’emploi sera exploré plus en détail dans les chapitres 3 et 4.
Enfin, une approche intersectionnelle et désagrégée permet d’aborder les identités dites « métisses ». Des données de recensement exactes permettent une analyse précise. La clé, à chaque étape, reste l’objectif. Dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, cet objectif demeure la réalisation de l’égalité réelle, et l’égalité est atteinte en supprimant les obstacles à l’emploi équitable dans toutes les catégories d’équité et pour tous.
Une base statistique solide permet d’approfondir la compréhension de la discrimination systémique – et en particulier de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Alors que le droit en matière de discrimination systémique a été clarifié pour confirmer que les statistiques ne sont pas toujours nécessaires dans les affaires judiciaires pour établir la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, pour les responsables des politiques qui tentent de prendre des décisions importantes concernant la représentation sur leur lieu de travail, une base statistique dense et nuancée fournit des outils nécessaires pour remédier à la discrimination systémiqueNote de bas de page 14. Cela nécessite un véritable changement de perspective, car [Traduction] « au-delà de la simple application conventionnelle des sanctions légales aux actes discriminatoires, la discrimination indirecte nécessite l’examen de toutes les procédures et pratiques apparemment neutres et, surtout, la promotion active de l’égalitéNote de bas de page 15. »
Collecte de données désagrégées : la perspective grand-mère
[Traduction] Plutôt que de surveiller la vie de nos citoyens, la collecte et l’utilisation de données désagrégées visent à prendre soin de nos communautés en éclairant les lois, les politiques et les pratiques institutionnelles au service des personnes systématiquement victimes de discrimination – et conçues conjointement avec ces dernières.
La perspective grand-mère appliquée par le Bureau de la commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, et mentionnée plus haut dans le chapitre, fait ressortir la nécessité de faire cadrer l’objectif, le processus et l’outil avec l’Anti-Racism Data Act (Loi sur les données contre le racisme) qui a été adoptée par la suite. En établissant ce principe, la commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique a notamment reconnu que les données démographiques recueillies sur les ménages autochtones par le ministère connu à l’époque sous le nom de ministère d’Affaires indiennes et du Nord Canada ont soutenu l’établissement et l’exploitation des pensionnats indiensNote de bas de page 16. Ce passé marqué par les traumatismes explique pourquoi il est si important d’être extrêmement attentif à la manière dont les données désagrégées sont recueillies et utilisées. Le Bureau de la commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique ajoute que [Traduction] « outre le danger significatif que des données désagrégées conduisent à une stigmatisation et à une discrimination accrues, des recherches excessives sur les inégalités sociales avec peu de mesures de suivi ont également porté préjudice aux communautés […] Dans ces cas, la recherche n’est pas fondée sur une relation respectueuseNote de bas de page 17. »
Adaptée au contexte de l’équité en matière d’emploi, la perspective grand-mère donne les résultats suivants :
- L’objectif est de parvenir à une égalité réelle en milieu de travail grâce à l’équité en matière d’emploi. L’objectif des données désagrégées n’est pas la stigmatisation d’un individu ou d’un groupe ni le renforcement de récits fondés sur le déficit. Il s’agit plutôt de remédier à l’exclusion systémique en milieu de travail.
- Le processus doit favoriser des relations respectueuses avec les membres des groupes visés par l’équité dans le contexte du travail. Les employeurs, les syndicats et les autres acteurs du milieu de travail font partie intégrante du processus de réalisation de l’équité en matière d’emploi.
- La collecte de données, et en particulier de données désagrégées, est un outil important pour atteindre cet objectif.
À la suite de la pandémie de COVID-19, certaines administrations, dont la province de la Colombie‑Britannique, ont commencé à recueillir des données sur la race et d’autres données désagrégées afin de comprendre et de combattre la discrimination systémique. La commissaire aux droits de la personne et le Commissariat à la protection de la vie privée ont insisté pour que la perspective grand‑mère soit adoptée dans la collecte de données désagrégées. S’inspirant de ce travail important, l’Anti-Racism Data Act (Loi sur les données contre le racisme) de 2022 de la Colombie-Britannique, élaborée en collaboration avec les Autochtones et les communautés racialisées, est un exemple significatif de leadership dans le démantèlement de la discrimination systémique. En mettant l’accent sur l’instauration d’un climat de confiance avec les Autochtones et les communautés racialisées, cette loi conserve le principe de l’auto‑déclaration volontaire, de la collecte, de l’utilisation et de la divulgation en toute sécurité des données démographiques. Elle prévoit une structure fondée sur les comités pour des consultations continues, solides et respectueuses des différences culturelles en vue de l’élaboration d’un plan et de sa mise en œuvre.
Enfin, la collecte de données désagrégées est conforme aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Plus récemment, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies a fait observer [Traduction] « qu’il est essentiel de surveiller les obstacles à l’emploi des personnes handicapées sur un pied d’égalité avec les autres », ajoutant qu’en désagrégeant les données de manière appropriée, il sera possible de déterminer qui travaille dans l’économie informelle et quels obstacles peuvent être liés au travail indépendant et à l’esprit d’entrepriseNote de bas de page 18. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT a également encouragé les gouvernements, de concert avec les organisations de travailleurs et d’employeurs et d’autres organismes intéressés, à recueillir des données désagrégées d’une manière qui respecte la vie privée au moyen d’un consentement éclairé et de l’auto-identification volontaire, afin de prendre en compte les multiples formes de discriminationNote de bas de page 19.
Établir une relation de soutien mutuel entre la protection de la vie privée et l’équité en matière d’emploi
[Traduction] Malgré les avantages que présentent les données désagrégées pour déterminer les expériences et les besoins des personnes 2ELGBTQI+, les participants ont reconnu que la collecte de données très précises peut sembler intrusive et susciter des inquiétudes quant à l’utilisation des données à de mauvaises fins.
[Traduction] Le droit à la vie privée […] sous-tend les valeurs fondamentales de l’autonomie, de l’identité, de la dignité et de l’intégrité de la personne. Ces mêmes valeurs sont inhérentes aux objectifs fondamentaux […] que le cadre d’équité en matière d’emploi cherche à atteindre : un milieu de travail caractérisé par le respect, la dignité et l’équité, et qui reflète la diversité du Canada. En fin de compte, le droit relatif à la protection de la vie privée et le cadre relatif à l’équité en matière d’emploi visent tous deux à protéger et à faire progresser les valeurs et les droits fondamentaux de la personne.
Les témoignages des groupes visés par l’équité en matière d’emploi en général, et des membres de la communauté 2ELGBTQI+ en particulier, ont montré à quel point il est essentiel que la collecte des données se fasse dans le plein respect du droit à la vie privée en tant que droit de la personne. Les membres de cette communauté ont vécu la purge des employés, une campagne soutenue de discrimination, de harcèlement et de renvoi d’employés fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre, et les caractéristiques sexuelles (OSIEGCS) au sein du gouvernement fédéral, dont il est question en détail au chapitre 3.
Les préoccupations relatives à la collecte de données concernent les trois piliers du processus d’équité en matière d’emploi, depuis le pilier de la mise en œuvre, qui comprend la détermination des obstacles, l’auto-identification et la collecte de données sur la représentation, y compris la désagrégation des données, jusqu’au processus de consultations véritables et aux processus de surveillance réglementaire.
Il ressort clairement de nos consultations avec les communautés concernées, des rapports de Statistique Canada et du mémoire du Commissariat à la protection de la vie privée que des problèmes pourraient surgir si la désagrégation devait conduire à une réidentification lorsque le nombre d’individus est faible.
Les tribunaux reconnaissent et protègent la vie privée et la confidentialité des employés individuels conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi, et cherchent à permettre aux employés d’avoir une possibilité raisonnable de vérifier et, le cas échéant, de contredire les renseignements statistiques tirés de l’auto-identification volontaireNote de bas de page 20.
Les réponses à ces préoccupations ont eu tendance à freiner la désagrégation. Le Programme du travail, en particulier, a indiqué au groupe de travail qu’il n’est pas investi des pouvoirs légaux lui permettant de recueillir des données désagrégées sur les sous-groupes de minorités visibles, bien que Statistique Canada recueille des données sur ces mêmes sous-groupes et les rende publiquesNote de bas de page 21. La Commission canadienne des droits de la personne n’a pas procédé à la désagrégation dans ses propres rapports et vérifications.
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec nous a informés qu’elle considère qu’un employeur qui recueille des données sur les sous-groupes qui ne sont pas exigées par un programme d’équité en matière d’emploi agit à l’encontre de la Charte des droits et libertés de la personne du QuébecNote de bas de page 22. La Charte des droits et libertés de la personne du Québec permet aux employeurs d’adhérer volontairement à un programme d’équité en matière d’emploi qui lui est conforme. Notamment, ce programme doit avoir pour objet de remédier à la situation des personnes appartenant à des groupes victimes de discrimination en matière d’emploiNote de bas de page 23.
Nous notons également que certains rapports annuels fédéraux, dont celui de la Commission de la fonction publique du Canada, comprenaient des données sur les sous-groupesNote de bas de page 24. Par exemple, pour les personnes handicapées, la Commission de la fonction publique a défini les sous-groupes suivants : coordination ou dextérité, surdité ou malentendance, mobilité, troubles de la parole, et autre handicapNote de bas de page 25.
En outre, les initiatives volontaires ont commencé à proliférer et les employeurs ont mis en place des programmes d’équité en matière d’emploi pour toute une série de groupes, y compris les travailleurs noirs et les travailleurs 2ELGBTQI+. Cette pratique est conforme à l’autorisation de programmes spéciaux prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La Loi sur l’équité en matière d’emploi est bien entendu une loi sur les droits de la personne conçue pour réaliser l’égalité réelle. Mais pour éviter toute confusion, il sera important qu’une loi révisée sur l’équité en matière d’emploi précise qu’un employeur devrait recueillir des données sur les sous-groupes afin de donner une image claire de la représentation des membres des groupes et sous-groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Les données relatives aux sous-groupes qui s’appuient sur les recoupements avec les motifs de discrimination définis dans la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le but de réaliser l’équité en matière d’emploi ne seront pas considérées comme étant discriminatoires. Il s’agit des motifs de discrimination suivants :
3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.
Les principes de l’égalité réelle s’appliquent au sein des groupes visés par l’équité en matière d’emploi et entre eux. À la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kapp, évoquée dans l’introduction, il est essentiel que le programme ait un objectif d’amélioration et qu’il cible un groupe défavorisé conformément aux motifs protégés (énumérés ou analogues).
Recommandation 2.8 : La Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait préciser que la collecte de données fondées sur les distinctions, désagrégées et intersectionnelles est autorisée afin de réaliser et soutenir l’égalité réelle pour les membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 2.9 : Les données fondées sur les distinctions, désagrégées et intersectionnelles devraient être recueillies chaque fois qu’il est raisonnablement possible de le faire et en tenant compte des mesures de protection de la vie privée dans le but d’améliorer les conditions de tous les groupes visés par l’équité, en accordant une attention particulière aux membres des groupes visés par l’équité les plus sous-représentés.
Il convient de répondre à une préoccupation connexe. Les représentants des communautés consultées se sont inquiétés d’un problème trop familier : la pratique en matière d’emploi peut consister à pourvoir les postes avec des membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi qui sont déjà relativement bien représentés dans l’entreprise, tout en négligeant les autres groupes visés par l’équité en matière d’emploi. La plupart des rapports indiquent qu’il s’agit vraisemblablement de « femmes », c’est-à-dire de femmes qui ne sont pas handicapées et de femmes qui ne sont pas membres des Premières Nations, métisses ou inuites, et qui ne sont pas noires ou racialisées. Cela n’est pas difficile à comprendre : pour parvenir à l’équité en matière d’emploi, il peut être nécessaire de se débarrasser de vieilles habitudes et de repenser les milieux de travail pour favoriser l’inclusion. « Faire ce que l’on pense pouvoir faire le plus facilement » pourrait être l’approche adoptée dans les circonstances. L’élimination des obstacles est un moyen de mettre au rancart cette approche, et il en est question au chapitre 4.
Les données désagrégées peuvent nous aider à entamer un processus plus délibéré.
En prêtant attention aux données désagrégées et intersectionnelles, il est plus facile de cerner les désavantages entre les groupes visés par l’équité et au sein de ces groupes. Une fois la capacité de désagréger les données mise en place, l’accent devrait être mis sur la correction des formes persistantes de désavantage. La désagrégation nous permet de nous concentrer sur la sous-représentation enracinée au sein des groupes visés par l’équité et entre ceux-ci.
Il ne peut y avoir de formule facile ou fixe pour y parvenir, et il sera important de prévoir une certaine marge de manœuvre. Toutefois, le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi peut inclure des lignes directrices sur la manière de donner la priorité aux groupes et sous-groupes qui sont les plus sous‑représentés au travail, tout en conservant la responsabilité de l’inclusion équitable de tous les groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Il sera important de mener de véritables consultations pour déterminer la meilleure façon de définir les priorités dans les différents secteurs et dans le milieu de travail.
Recommandation 2.10 : Le Règlement sur l’équité en matière d’emploi ou les lignes directrices élaborées dans ce cadre devraient offrir un soutien durable aux milieux de travail quant à la manière de prioriser les initiatives d’équité en matière d’emploi visant les groupes et sous-groupes visés par l’équité en matière d’emploi qui sont les plus sous-représentés en milieu de travail, tout en conservant la responsabilité de réaliser l’équité en matière d’emploi pour tous les groupes visés par l’équité en matière d’emploi.
Se souvenir du « pourquoi » de la collecte de données
Chacune des pratiques évoquées ci-dessus nous rappelle à quel point il est important de garder à l’esprit l’objectif de la collecte de données axé sur les droits de la personne en adoptant une perspective de données pour l’équité.
Malheureusement, il existe une perception commune selon laquelle la Loi sur la protection des renseignements personnels est semblable à un écueil, empêchant la mise en œuvre efficace, la consultation véritable et la surveillance réglementaire nécessaires à la réalisation de l’équité en matière d’emploi. Les mesures de protection de la vie privée sont perçues comme étant invoquées pour empêcher les progrès au chapitre de l’équité. On l’a dit à maintes reprises à notre groupe de travail et nous avons jugé cela malheureux et inutile.
La protection de la vie privée est au cœur de l’équité en matière d’emploi – la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique aux renseignements personnels détenus par les institutions du gouvernement fédéral, et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) s’applique aux organisations fédérales du secteur privé qui recueillent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels qui concernent leurs employés ou les individus qui postulent pour le devenir dans le cadre d’une entreprise fédéraleNote de bas de page 26.
Cette façon de concevoir la protection de la vie privée peut être tellement ancrée dans nos réflexes que nous négligeons à quel point elle ne tient pas compte du contexte de l’égalité réelle.
La protection de la vie privée doit être perçue en fonction de sa capacité à permettre à des groupes de personnes d’atteindre des objectifs sociétauxNote de bas de page 27. Le droit à la protection de la vie privée fait partie du caractère proactif de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. En d’autres termes, le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi permet de comprendre la relation entre l’égalité matérielle et la protection de la vie privée, dans son contexte, comme s’affirmant mutuellement. Le droit à la protection de la vie privée dans le contexte de l’équité en matière d’emploi n’a pas été conçu pour devenir une simple abstraction. Plus précisément, la protection de la vie privée est essentielle pour résoudre le dilemme de l’auto-identification. L’interdépendance de la protection de la vie privée et de l’équité en matière d’emploi devient claire lorsque l’on tient compte du contexte : ensemble, elles offrent un soutien essentiel à la réalisation et au maintien de l’équité en matière d’emploi.
Bâtir la confiance
Un certain nombre d’intervenants de différents milieux ont répété à notre groupe de travail que le niveau de confiance n’était pas très élevé.
La question de savoir s’il faut révéler son appartenance à un groupe qui a été historiquement marginalisé peut rester l’un des défis les plus importants auxquels les travailleurs font face. Ils peuvent craindre la stigmatisation ou l’isolement social; ils peuvent risquer d’être harcelés, de voir leur carrière dérailler ou même de perdre leur emploiNote de bas de page 28. Nous avons entendu dire que les travailleurs avaient de réelles craintes quant à l’utilisation qui pourrait être faite des renseignements recueillis par les différents employeurs. Cela a une grande incidence sur l’auto-identification.
Dans son mémoire au groupe de travail, le Commissariat à la protection de la vie privée a souligné que la législation sur l’équité en matière d’emploi et la législation sur la protection de la vie privée trouvent leur origine dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans la législation fédérale. En vertu de la Charte et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, toute personne a le droit à l’exercice des droits fondamentaux de la personne, et ce, en pleine égalité et sans discrimination.
Les dix principes de la LPRPDE en matière de protection de la vie privée sont les suivants :
- Responsabilité
- Détermination des fins de la collecte de renseignements
- Consentement
- Limitation de la collecte
- Limitation de l’utilisation, de la communication et de la conservation
- Exactitude
- Mesures de sécurité
- Transparence
- Accès aux renseignements personnels
- Possibilité de porter plainte à l’égard du non-respect des principes
Le Commissariat à la protection de la vie privée a ajouté qu’il reconnaît que le respect effectif des exigences du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi dépend de la collecte, de l’analyse et de la communication des renseignements personnels des employés. Non seulement les mesures de protection de la vie privée appuient-elles la collecte de données dans le but d’atteindre les objectifs d’équité en matière d’emploi, elles peuvent susciter la confiance, en garantissant la transparence et un niveau élevé de protection des renseignements personnels. Le Commissariat à la protection de la vie privée a ajouté ce qui suit :
- les travailleurs doivent avoir confiance en leur employeur afin d’accepter de s’identifier volontairement;
- les travailleurs doivent avoir confiance dans le fait que leurs renseignements personnels conduiront à une prise de décision et à une mise en œuvre permettant de réaliser l’équité en matière d’emploi; et
- les travailleurs doivent être convaincus que les renseignements de nature délicate qu’ils divulguent ne seront pas utilisés à des fins autres que l’équité en matière d’emploi, ou qu’ils ne seront pas consultés ou divulgués de manière inappropriée et utilisés contre eux.
Nous ajouterons que le fait de centrer l’objectif – l’égalité réelle au travail – au cœur du processus et de veiller à ce que le pilier des consultations véritables soit renforcé, comme nous le verrons au chapitre 5, est essentiel pour susciter la confiance nécessaire à l’équilibre des droits.
Nous devons nous rappeler le « pourquoi » de la collecte de données sur l’équité en matière d’emploi. Nous préconisons une approche de la collecte des données – y compris des données désagrégées – axée sur les droits de la personne et les objectifs, et visant à instaurer la confiance, dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, en vue de parvenir à une égalité réelle.
Dans cette optique, nous formulons la recommandation suivante, conformément à notre mandat de soutien aux groupes visés par l’équité, qui vise à améliorer la responsabilisation et les rapports publics :
Recommandation 2.11 : La Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait préciser que l’objectif de la collecte de données est de soutenir la réalisation et le maintien de l’équité en matière d’emploi en milieu de travail, en instaurant la confiance à l’égard de la mise en œuvre, des consultations véritables et de la surveillance réglementaire.
Recommandation 2.12 : La Loi sur la protection des renseignements personnels et la LPRPDE devraient être révisées et, le cas échéant, modifiées afin de préciser expressément que les cadres de collecte des données doivent être interprétés de manière à soutenir l’objectif de la Loi sur l’équité en matière d’emploi en matière de droits de la personne, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre, les consultations véritables et la surveillance réglementaire.
En gardant cet objectif à l’esprit, il est également possible d’aborder la question des données pour l’équité dans les trois piliers du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi : la mise en œuvre par l’élimination des obstacles, les consultations véritables et la surveillance réglementaire.
Les données pour l’équité dans la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi et l’élimination des obstacles
Cette section porte sur deux dimensions desdonnées pour l’équité qui sont mises en œuvre et qui sont essentielles à l’équité en matière d’emploi : le dilemme que pose l’auto identification, et les mesures nécessaires à la collecte de données pour éclairer notre compréhension des lacunes en matière de données. La question plus vaste des données recueillies pour cerner le vaste éventail d’obstacles en milieu de travail est abordée au chapitre 3.
Le dilemme de l’autoidentification
L’auto‑identification est le seul fondement autorisé selon lequel un employeur peut identifier des employés comme membres d’un ou de plusieurs groupes d’équité en matière d’emploi aux fins de la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi, conformément au paragraphe 9(2) de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Le paragraphe 9(3) établit des règles strictes qui régissent la confidentialité des renseignements et leur utilisation désignée, conformément aux lois en matière de protection des renseignements personnels. Même le Règlement sur l’équité en matière d’emploi de 1986 comprenait l’auto‑identification dans la définition des groupes visés par l’équité en matière d’emploi.
Bien que la définition comprenne les personnes qui ont fait l’objet de mesures d’adaptation dans leur emploi ou leur lieu de travail actuel, le paragraphe 18(4) sur l’auto-identification prévoit que seules les personnes qui s’identifient auprès de leur employeur, ou qui acceptent de l’être par lui, comme membres d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi peuvent être prises en compte aux fins d’établissement de rapports.
Pour que des données solides sur l’équité en matière d’emploi soient disponibles, il est essentiel que les travailleurs des groupes visés par l’équité en matière d’emploi aient confiance que leur participation, par l’auto-identification et les diverses méthodes participatives mentionnées dans le présent rapport, constitue une part importante du processus. Certains groupes visés par l’équité en matière d’emploi ont été témoin de l’utilisation de la collecte de données et de l’auto-identification contre eux, c’est‑à‑dire qu’elles donnent lieu à des désavantages et à des stéréotypes plutôt qu’à une égalité proactive. Il a été troublant de constater que, des décennies après l’entrée en vigueur de la loi concernant l’équité en matière d’emploi, les travailleurs qui peuvent « passer » notamment pour des blancs, ou des cisgenres, ou qui peuvent garder leurs handicaps cachés, estiment qu’il est parfois mieux pour eux de le faire.
Il y a des problèmes associés à l’auto-identification, mais il ne faut pas les exagérer. Certains employeurs sous réglementation fédérale font état de taux élevés d’auto-identification. Par exemple, la Banque du Canada rapporte que 88 % des employés participent au programme d’auto‑identificationNote de bas de page 29. La CBC/Radio-Canada rapporte un taux d’auto‑identification d’environ 90 % et s’efforce d’améliorer la participationNote de bas de page 30.
Il est également important de garder à l’esprit que les problèmes relatifs à l’auto‑identification ne touchent pas nécessairement tous les groupes d’équité de la même manière.
Les défis distincts que pose l’auto‑identification pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits et qui découlent de l’importance que l’on accorde aux relations entre nations ou entre gouvernements sont traités séparément et en détail au chapitre 3.
La Communauté fédérale des minorités visibles de la fonction publique fédérale a indiqué que ses membres ont tendance à s’auto-identifierNote de bas de page 31. En revanche, la Commission de la fonction publique du Canada a indiqué en 2014 que seulement le quart des personnes handicapées se sont identifiées au cours des deux premières années de leur entrée en service au sein de la fonction publique; la plupart s’auto‑identifient au cours de leur carrière dans la fonction publique fédéraleNote de bas de page 32. Notre groupe de travail reconnaît que l’auto‑identification peut constituer un défi particulier pour les personnes ayant une déficience psychosociale ou intellectuelle.
Certains ont fait part à notre groupe de travail de leurs préoccupations plus particulièrement au sujet des risques liés à la déclaration de l’identité sexuelle ou de l’expression sociale.
[Traduction] En ce qui concerne l’initiative Espace positif, la Loi devrait tenir compte des risques auxquels les employés de la communauté LGBTQ2+ sont actuellement confrontés lorsqu’ils s’auto‑identifient (p. ex. le risque que leur gestionnaire soit homophobe). La Loi devrait également s’attaquer aux diverses stigmatisations sociales entourant différents groupes (p. ex. les personnes d’apparence féminine peuvent facilement ne pas être perçues comme des leaders; les personnes dont l’appartenance à la communauté LGBTQ2+ est plus visible – en raison de leur façon de s’habiller, de s’exprimer, de se présenter, etc. – peuvent être victimes de discrimination et « exclues » consciemment ou inconsciemment).
Le groupe de travail a appris que l’accès à des ensembles de données recueillies pour d’autres raisons pourrait entraîner des conséquences non voulues graves pour les membres des communautés 2ELGBTQI+. Il se peut que des personnes ne s’auto-identifient pas précisément parce qu’elles ne veulent pas être [Traduction] « découvertes ». Des chercheurs ont en effet indiqué que plus de la moitié (53 %) des travailleurs 2ELGBTQI+ pourraient cacher leur identité. Ils précisent cependant que les milieux de travail inclusifs peuvent aider; en effet, les politiques de soutien sont associées à une volonté accrue de « sortir du placard » dans un contexte professionnel. Les politiques de soutien en milieu de travail peuvent favoriser l’inclusion de tous les travailleursNote de bas de page 33.
Il faut s’attendre à ce que l’inclusion recommandée des communautés 2ELGBTQI+, en tant que groupes visés par l’équité en matière d’emploi, soulève d’autres questions concernant l’auto‑identification. Des chercheurs du Diversity Institute de l’Université métropolitaine de Toronto ont souligné que certains membres des groupes visés par l’équité pourraient s’opposer à l’auto‑identification, si cela les obligeait à communiquer des renseignements privés sur leur vie sexuelle et qu’ils considéraient cela comme [Traduction] « inapproprié ou manifestement injusteNote de bas de page 34. »
Les défis reconnus qu’il faut relever pour gagner la confiance semblent intégrés à la réglementation, en particulier en ce qui concerne l’équité en matière d’emploi dans les Forces armées canadiennes. Le paragraphe 16(1) prévoit que, dans l’exercice de leurs pouvoirs de surveillance, les organismes, y compris la Commission canadienne des droits de la personne, devraient tenir compte « [du] fait que des membres des Forces canadiennes qui pourraient faire partie [d’un ou de plusieurs groupes visés par l’équité en matière d’emploi] des Autochtones, des personnes handicapées ou des personnes faisant partie de minorités visibles ou de plusieurs de ces groupes peuvent choisir de ne pas s’identifier comme membres de ces groupes ou de refuser de l’êtreNote de bas de page 35 ». La disposition en soi peut cependant illustrer à quel point les obstacles dépendent en grande partie du milieu, et qu’il reste encore beaucoup à faire.
Projet de modernisation du processus de déclaration volontaire de la fonction publique
« En septembre 2020, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a lancé le Projet de modernisation du processus de déclaration volontaire afin d’accroître l’exactitude des données et de réduire la perception de risque associée à la déclaration volontaire. Grâce à ce projet, nous avons bon espoir de recueillir des données plus complètes sur les personnes en situation de handicap et sur d’autres groupes en quête d’équité en matière d’emploi. En effet, l’Enquête canadienne sur l’incapacité effectuée par Statistique Canada en 2017 a révélé que 15,6 % de la population apte au travail est composée de personnes en situation de handicap. Au cours de l’exercice 2017‑2018, seulement 5,3 % des fonctionnaires se sont identifiés comme étant des personnes en situation de handicap et seulement 2,9 % se sont identifiés comme étant des personnes en situation de handicap lorsqu’ils ont posé leur candidature à un poste. Par conséquent, un nouveau questionnaire est en cours d’élaboration afin de nous permettre de saisir des données similaires. »
Enfin, le Secrétariat du Conseil du Trésor a publié une Directive sur l’équité en matière d’emploi, la diversité et l’inclusion qui a pris effet le 1er avril 2020. Cette Directive établit des procédures obligatoires concernant l’auto‑identification :
[A]u moment d’effectuer un sondage d’auto‑identification de l’effectif, le haut fonctionnaire désigné par l’administrateur général assume les responsabilités suivantes :
- A.2.2.1.1 respecter les exigences prescrites par le Règlement sur l’équité en matière d’emploi en ce qui concerne l’élaboration et la réalisation des questionnaires d’auto-identification de l’effectif
- A.2.2.1.2 consulter les agents négociateurs et les autres représentants des employés tout au long du processus et au sujet des résultats,
- A.2.2.1.3 communiquer à tous les employés le but et l’importance de l’auto-identification,
- A.2.2.1.4 distribuer les formulaires d’auto-identification à tous les employés dans des formats accessibles,
- A.2.2.1.5 demander que tous les employés remplissent et retournent un formulaire, qu’ils s’auto-identifient ou non comme membres d’un ou de plusieurs groupes désignés aux fins de l’équité en matière d’emploi,
- A.2.2.1.6 élaborer et mettre en œuvre une stratégie efficace pour évaluer les résultats du questionnaire d’auto-identification de l’effectif,
- A.2.2.1.7 veiller à ce que les renseignements recueillis aux fins de l’auto-identification soient conservés en toute confidentialité et préservés de façon appropriée, conformément au Règlement sur l’équité en matière d’emploi.
Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive sur l’équité en matière d’emploi, la diversité et l’inclusion, 2020.
Nous avons écouté attentivement les défis associés à l’auto‑identification auxquels sont confrontés tant les travailleurs qui sont membres de groupes visés par l’équité en matière d’emploi que les employeurs concernés. Il est important de reconnaître dès le départ que, dans le contexte d’une nation qui doit prendre en compte la vérité et la réconciliation pour réparer les répercussions des lois et des politiques coloniales, l’auto-identification des Autochtones prend un sens important et nécessite un traitement spécifique et particulièrement prudent. Ces questions sont abordées au chapitre 3 selon leur spécificité et leur complexité.
En fin de compte, l’un des moyens les plus prometteurs de sortir de ce dilemme semble être un aspect que la Cour suprême du Canada a reconnu il y a des décennies : atteindre la masse critique. Lorsque les membres de groupes visés par l’équité en matière d’emploi sont bien représentés dans des milieux de travail où se trouvent également des champions, des alliés et d’autres personnes soutenant activement les personnes des groupes sous-représentés, l’environnement de travail commence également à changerNote de bas de page 36.
Compte tenu des divers éléments à prendre en considération, notre groupe de travail estime que le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait permettre de rendre obligatoire la réalisation du sondage auprès de tous les employés visés par la loi, mais que l’auto‑identification devrait demeurer volontaire. En d’autres mots, le formulaire d’auto‑identification devrait inclure la possibilité de répondre aux questions – en fait, à chaque question – par une réponse comme « préfère ne rien déclarer ». À l’heure actuelle, le paragraphe 3(7) du Règlement sur l’équité en matière d’emploi permet cette pratique, mais ne l’exige pas. Les formulaires devraient indiquer clairement que l’auto‑identification en soi est volontaire. Cette pratique est déjà en place dans certains milieux de travail fédéraux, y compris les Forces armées canadiennesNote de bas de page 37. Pour d’autres, cela impliquerait de modifier le formulaire d’auto‑identification utilisé actuellement dans la fonction publique fédérale, à la fois pour inclure la troisième option ET préciser que l’auto‑identification est volontaireNote de bas de page 38.
Au sein de la fonction publique fédérale, les données des sondages d’auto‑identification devraient être centralisées, de sorte que les employés n’aient pas besoin de remplir les sondages chaque fois qu’ils changent de ministère. En février 2023, un expert-conseil engagé par le Secrétariat du Conseil du Trésor a également recommandé provisoirement que les données d’auto‑identification soient centralisées, notant que le Conseil du Trésor maintient déjà une banque de données centrale d’auto‑identification pour faciliter les transferts entre les ministères. La centralisation permettrait de réduire le temps nécessaire pour rapprocher les données recueillies localement et d’éviter ainsi le comptage multiple d’employés qui auraient pu être mutés. Nous recommandons de désigner le Secrétariat du Conseil du Trésor comme destinataire central des documents et responsable de la consignation des données d’auto-identification en vue de favoriser l’harmonisation, l’efficacité et la rapidité, tout en tenant dûment compte de la préservation des mesures de protection de la vie privée.
Recommandation 2.13 : En vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, l’auto-identification devrait demeurer volontaire.
Recommandation 2.14 : En vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, les employeurs devraient être tenus de demander à tous les travailleurs de répondre au sondage d’auto-identification au moment de l’embauche initiale et lors de la cessation d’emploi, ainsi qu’une fois par année.
Recommandation 2.15 : Il devrait être obligatoire de répondre au sondage d’auto‑identification, mais chaque question concernant l’appartenance à un groupe ou à un sous-groupe visé par l’équité en matière d’emploi devrait offrir la possibilité de ne pas s’auto-identifier.
Recommandation 2.16 : Le sondage d’auto-identification devrait être présenté dans des formats accessibles, inclure tous les groupes visés par l’équité en matière d’emploi et les sous‑groupes désagrégés, et préciser qu’un travailleur peut s’auto‑identifier comme étant membre du plus grand nombre possible de groupes visés par l’équité en matière d’emploi et de sous‑groupes désagrégés.
Recommandation 2.17 : Au sein de la fonction publique fédérale, l’autodéclaration lors de la nomination devrait se limiter à l’auto-identification aux fins de l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 2.18 : Au sein de la fonction publique fédérale, les données du sondage d’auto-identification devraient être centralisées et leur saisie être simplifiée par la désignation du Secrétariat du Conseil du Trésor comme destinataire central des documents et responsable de la consignation afin de favoriser l’échange de données pertinentes sur l’équité en matière d’emploi entre les unités.
Recommandation 2.19 : Le sondage d’auto-identification devrait être mis à la disposition des travailleurs afin qu’ils puissent le mettre à jour à tout moment de leur vie professionnelle et le soumettre à nouveau, chaque année, pour toute mise à jour.
Auto-identification et données sur les mesures d’adaptation
Le Programme du travail ne considère pas le fait de demander des mesures d’adaptation raisonnables comme une auto‑identification aux fins de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Certains employeurs ont cherché à obtenir l’autorisation d’utiliser les données figurant sur les demandes de mesures d’adaptation dans les rapports qu’ils produisent pour rendre compte du nombre de personnes handicapées dans leur milieu de travail et ainsi déterminer la représentation en vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Après tout, les deux concernent les cadres relatifs aux droits de la personne, et les deux exigent l’auto-identification auprès du même employeur.
Le groupe de travail a examiné cette proposition de près.
Il convient de noter dès le départ que cette demande des employeurs n’a été soulevée que dans le contexte des personnes handicapées. Une personne peut demander une mesure d’adaptation en raison d’un handicap sans correspondre réellement à la définition de « personnes handicapées » énoncée dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Au chapitre 3, nous abordons les questions liées aux définitions et proposons des recommandations de changement.
Notre réflexion a porté sur les dimensions du droit en matière de protection des renseignements personnels. Le groupe de travail a fait remarquer que l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels applicable dans le secteur public permet de recueillir des renseignements personnels pour un usage compatible avec la fin prévue par la collecte de ces renseignements. En plus des 10 principes relatifs à l’équité en matière de renseignements qui forment les règles de base du cadre de protection de la vie privée de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) dans le secteur privé, un employé raisonnable ne considérerait-il pas que l’utilisation et la communication sont appropriées dans les circonstances?
Le Commissariat à la protection de la vie privée était d’avis qu’il faut définir clairement un pouvoir juridique à l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Une recommandation exigerait qu’une modification particulière énonçant les limites requises soit apportée à la Loi sur l’équité en matière d’emploi. L’annexe 1 de la LPRPDE exige que les renseignements personnels recueillis soient limités à ceux nécessaires aux fins déterminées par l’organisation. Un nouvel usage des renseignements doit être prévu par la loi; si ce n’est pas le cas, il faut obtenir le consentement de la personne avant que les renseignements puissent être utilisés à cette fin.
Le Commissariat à la protection de la vie privée a recommandé que les institutions recueillent des renseignements personnels directement auprès des travailleurs et que le but de la collecte soit précisé au moment de celle‑ci. De même, dans le cadre de nos consultations qui s’appuient sur l’expérience d’autres administrations, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a confirmé qu’elle encourage la formation visant à accroître la sensibilisation en ce qui concerne les travailleurs qui hésitent à s’auto-identifier, mais elle estime qu’il revient exclusivement à la personne concernée de s’auto‑identifier.
Nous avons également entendu un argument puissant selon lequel il faudrait répondre à cette objection en faisant preuve de plus de clarté quant aux différents objectifs de la collecte de données, y compris dans le cadre de l’échange interministériel de l’information dont le mémoire ci-dessous est issu :
[Traduction] Bien que nous comprenions qu’en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les données ne peuvent être utilisées qu’aux fins pour lesquelles elles sont recueillies, nous devrions peut-être modifier le fondement sur lequel repose la collecte des données en indiquant explicitement toutes les fins pour lesquelles elles pourraient être recueillies. La protection des renseignements personnels est une exigence importante en matière d’intendance des données, mais celle‑ci signifie aussi recueillir les données une seule fois et les utiliser efficacement. Chaque fois que nous recueillons des données et que nous les stockons à nouveau dans un autre but, nous créons d’autres possibilités d’atteinte à la protection des données. Nous devons être conscients de ce risque et de la difficulté que pose l’harmonisation de tous ces processus.
Nous avons examiné cette suggestion de près. Cette dernière vient soulever des préoccupations en ce qui concerne le climat de confiance en milieu de travail. Nous nous sommes rendu compte que la divulgation n’est pas une proposition du tout ou rien, mais plutôt un continuum allant de la divulgation complète à la non-divulgationNote de bas de page 39. La divulgation est liée aux fins auxquelles elle est destinée. Les données sur les demandes de mesures d’adaptation peuvent être très détaillées selon l’objectif, et les ensembles de données peuvent contenir des renseignements particulièrement gênants et sensibles. Le risque que cette information soit mise à disposition de façon plus vaste qu’il ne le faut semblait supérieur aux avantages, car les données d’auto-identification sont nécessairement assez limitées. Nous ne voulions pas créer une situation qui pourrait servir d’entrave aux travailleurs qui souhaitent présenter une demande de mesures d’adaptation lorsqu’ils en ont besoin.
Nous nous sommes également demandé si nous n’avions pas omis certains aspects évidents. Un employé qui se présenterait pour demander des mesures d’adaptation aurait déjà divulgué au moins la partie pertinente de son identité, et ce, probablement de façon plus détaillée qu’un formulaire d’auto-identification aux fins d’équité en matière d’emploi n’aurait pu légitimement l’exiger. L’étendue des contextes dans lesquels les renseignements sur l’équité en matière d’emploi pourraient être utilisés – y compris les renseignements recueillis durant sa vie professionnelle concernant des promotions, la formation en leadership et d’autres aspects de son dossier – peut soulever des préoccupations. Il est tout aussi plausible qu’il s’agisse d’une question de mauvaise communication administrative, puisque l’auto‑identification se produit habituellement principalement une seule fois, c’est‑à‑dire au moment de l’embauche. Au cours de sa vie professionnelle chez l’employeur, il se peut que le travailleur ait acquis un handicap et demandé des mesures d’adaptation, mais qu’il n’ait pas pensé à mettre à jour les données d’auto‑identification. Nous traiterons de la période d’auto-identification plus loin, dans le présent chapitre.
Lors de l’examen des différentes options, le groupe de travail s’est demandé s’il était possible de concevoir une méthode qui permettrait au travailleur de choisir si ses données sur les mesures d’adaptation pouvaient être utilisées aux fins d’auto‑identification. Cependant, compte tenu des banques de données distinctes dans lesquelles les renseignements doivent être conservés, du moins en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les risques et les complications l’emportent sur les avantages. Le Commissariat à la protection de la vie privée a souligné que les dossiers concernant les mesures d’adaptation peuvent contenir des renseignements médicaux ou de santé très détaillés et sensibles qui ne seraient pas nécessaires à des fins d’auto-identification; en fait, leur utilisation pourrait être incompatible avec la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels.
De plus, si on laisse à chacun la possibilité de choisir, une des principales conséquences imprévues pourrait être qu’un travailleur se sente obligé de s’auto-identifier aux fins de l’équité en matière d’emploi pour recevoir les mesures d’adaptation. Étant donné que la confiance est essentielle pour que la Loi sur l’équité en matière d’emploi soit efficace, cette option semblait contre-productive.
Compte tenu des préoccupations profondes exprimées par les groupes d’équité en matière d’emploi et de l’importance de conserver de solides mesures de protection des renseignements personnels, notre groupe de travail a plutôt jugé qu’il serait souhaitable d’adopter une approche « douce » dans ce contexte. Nous estimons que l’approche la plus conforme à l’esprit de la Loi sur l’équité en matière d’emploi et de la Loi sur la protection des renseignements personnels est de continuer à encourager l’auto-identification, mais de ne pas l’exiger.
Pour être très clair, cela ne permettrait en aucun cas de lier les ensembles de données distincts. Un employeur qui reçoit une demande de mesures d’adaptation devrait plutôt être autorisé à demander à l’employé de remplir volontairement un formulaire d’auto-identification distinct et confidentiel aux fins de l’équité en matière d’emploi, après que la demande de mesures d’adaptation a été traitée. Le formulaire d’auto-identification devrait offrir la possibilité, pour chaque groupe visé par l’équité en matière d’emploi, de déclarer non seulement si le travailleur est membre ou non du groupe, mais aussi s’il préfère ne pas s’auto-identifier aux fins de l’équité en matière d’emploi. Le formulaire d’auto-identification serait distinct de la demande de mesures d’adaptation et demeurerait confidentiel.
Nous sommes conscients qu’il se peut que certains travailleurs qui ne se sont pas encore auto‑identifiés ressentent une pression implicite pour le faire, même si le formulaire indiquait clairement l’option de ne pas s’auto-identifier. Cependant, nous avons également entendu dire que, dans de nombreux cas, les travailleurs s’auto‑identifient dans le but de demander certains types de mesures d’adaptation. En d’autres termes, il s’agit de veiller à maintenir des ensembles de données distincts. La présente recommandation permettrait donc de s’assurer que les ensembles de données demeurent distincts. Les renseignements contenus dans l’ensemble de données sur l’équité en matière d’emploi demeureraient donc distincts et strictement limités aux renseignements nécessaires aux fins de l’équité en matière d’emploi. Ces renseignements ne seraient demandés qu’une fois le processus de demande de mesures d’adaptation terminé. À la lumière de toutes ces considérations, nous pensons que la recommandation est juste et équilibrée et qu’elle appuie les objectifs que sont la collecte de données sur l’équité en matière d’emploi et l’accès aux mesures d’adaptation.
Recommandation 2.20 : Les employeurs devraient être autorisés à rappeler aux travailleurs de remplir le sondage d’auto‑identification distinct, confidentiel et volontaire à la fin du processus de demande de mesures d’adaptation, à condition que l’auto‑identification aux fins de l’équité en matière d’emploi demeure volontaire, que la confidentialité puisse être assurée et que les ensembles de données demeurent séparés.
Collecte et désagrégation des données
[Traduction] La Loi devrait préciser que l’employeur doit suivre les progrès réalisés [...] sur une base annuelle en ce qui a trait aux dix communautés ethnoculturelles faisant l’objet d’un suivi par Statistique Canada, et que des mesures doivent être prises en temps opportun, lorsque son plan d’équité en matière d’emploi n’est pas sur la bonne voie.
La communication de renseignements plus détaillés et nuancés est essentielle pour atteindre les objectifs d’équité en matière d’emploi. Elle permet d’assurer une mise en œuvre soutenue, solidaire et concrète de l’équité en matière d’emploi auprès de ceux qui ont le plus besoin de mesures d’équité en matière d’emploi. Elle favorise également la tenue de consultations véritables et la reddition de comptes.
Il est également important de s’assurer que les données utilisées – et les ensembles de données liés – sont suffisamment anonymisées. Cet aspect pourrait poser un défi plus particulièrement dans des lieux de travail relativement petits.
En ce qui concerne le Commissariat à la protection de la vie privée, même si cela risque de limiter le nombre d’ensembles de données qui peuvent être liés, voire empêcher certains ensembles de données de l’être, le but est d’être [Traduction] « aussi transparent que possible » au sujet des motifs qui sous‑tendent la collecte de données, et de déterminer les limitesNote de bas de page 40.
Le Bureau de l’accessibilité de la fonction publique a indiqué qu’il n’est pas toujours possible d’analyser le handicap par sous-type, proposant plutôt que la collecte de données désagrégées demeure facultative. Une deuxième option consiste à suivre la recommandation du Commissariat à la protection de la vie privée selon laquelle, s’il y a moins de dix employés dans un groupe ou un sous‑groupe donné, les rapports sur ces catégories ou sous-catégories devraient être supprimésNote de bas de page 41. Nous sommes également conscients des difficultés auxquelles pourrait donner lieu la suppression des données d’un sous‑groupe, si la suppression s’effectue systématiquement. Une troisième option consisterait à regrouper les sous‑groupes et, dans certains cas, les groupes visés par l’équité en matière d’emploi, au besoin, afin de permettre la production de rapports plus détaillés sans compromettre la protection des renseignements personnels. L’avantage de la troisième option est qu’elle réduit le risque de suppression systématique des données dans certains des plus petits groupes d’équité en matière d’emploi.
Compte tenu de l’importance de la désagrégation des données et de la préoccupation connexe relative à la protection des renseignements personnels, nous préférons veiller à ce qu’il y ait une obligation de désagrégation, tout en ayant la possibilité de choisir entre la deuxième et la troisième option. Ces options devraient être exercées dans le cadre de consultations véritables, tel qu’il en est discuté au chapitre 5.
Nous sommes également d’accord avec le Bureau de l’accessibilité de la fonction publique pour dire que les futurs règlements pris en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devraient fournir aux organisations des orientations détaillées sur la façon de recueillir des données désagrégées et d’en rendre compte. Nous estimons que cela devrait comprendre des pratiques prometteuses sur la façon de créer un composé pertinent à partir des données disponibles. Les approches récentes adoptées par Statistique Canada pour s’assurer que des consultations sont menées auprès des collectivités concernées constituent des pratiques prometteuses qu’il faudrait élaborer et diffuser davantage. Il faudrait également diffuser des pratiques prometteuses concernant la façon d’éviter de produire des rapports trompeurs lorsque, par exemple, une même personne est comptée plusieurs fois dans différents groupes désagrégés ou croisés. De telles pratiques prometteuses existent, par exemple, les tableaux que l’Université McMaster a préparés pour s’acquitter de ses obligations d’équité en matière d’emploi dans le cadre du Programme de contrats fédéraux. Les tableaux présentent les groupes visés par l’équité en matière d’emploi et leur composition globale dans les colonnes initiales; des colonnes clairement intitulées sont ensuite ajoutées pour fournir un portrait de l’intersectionnalité de chaque groupe au sein des groupes visés par l’équité en matière d’emploiNote de bas de page 42.
Recommandation 2.21 : La Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait préciser explicitement que la collecte de données et la production de rapports au sujet des membres des sous‑groupes sont autorisées, et devrait autoriser la prise de mesures spéciales visant à améliorer l’embauche, la promotion et le maintien en poste des membres des sous-groupes qui sont relativement moins bien représentés dans le milieu de travail de l’employeur.
Recommandation 2.22 : Le Règlement sur l’équité en matière d’emploi ou les directives connexes élaborées devraient fournir des orientations détaillées sur la façon de recueillir des données désagrégées et de faire rapport de manière pertinente afin de comprendre la sous-représentation et d’établir les priorités.
Recommandation 2.23 : Le Règlement sur l’équité en matière d’emploi ou les directives connexes élaborées devraient fournir des orientations pour éviter la production de rapports trompeurs lorsque des personnes sont comptées plusieurs fois dans différents groupes désagrégés ou croisés.
Garder les choses simples : Abandonner la notion de disponibilité au sein de la population active pour adopter celles de la disponibilité sur le marché du travail et de l’élimination complète des obstacles
[Traduction] Les Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF) estiment également que le recours obstiné à la disponibilité sur le marché du travail (laquelle est fondée sur des données du recensement qui sont périmées et qui, souvent, ne sont pas assez détaillées) ne fonctionne pas. Le fait de se concentrer uniquement sur certains chiffres peut compromettre les chances de réussite. Pourrait-on plutôt se concentrer sur des fourchettes de données ou sur une autre mesure?
Notre groupe de travail a examiné de près les données disponibles dans le milieu de travail canadien contemporain de l’après-pandémie en constante évolution. Un message semble clair : nous devons simplifier les choses.
Nous avons constaté que la disponibilité sur le marché du travail ne suscitait pas beaucoup d’intérêt et avons observé un rejet plutôt fondamental de la disponibilité au sein de la population active.
Le sous-alinéa 5b)(i) de la Loi sur l’équité en matière d’emploi et l’alinéa 6(1)b) du Règlement sur l’équité en matière d’emploi décrivent le processus d’établissement du point de référence à l’aide duquel la représentativité doit être déterminée. Ce processus prend comme point de départ la disponibilité de chaque groupe visé par l’équité en matière d’emploi dans chaque groupe professionnel, soit dans « l’ensemble de la population apte au travail », soit dans « les secteurs de la population apte au travail susceptibles d’être distingués en fonction de critères de compétence, d’admissibilité ou d’ordre géographique où l’employeur serait fondé à choisir ses salariés. »
Ce processus offre une bonne marge de manœuvre et devrait donc, en théorie, est utile pour fixer les objectifs à court terme (1 à 3 ans) que la loi exige. Il peut aussi devenir compliqué rapidement.
Nos consultations et nos recherches confirment cependant que nous devons nous concentrer sur trois aspects clairs et simples :
- Nous devons pouvoir nous appuyer sur un ensemble de données plus fluides, y compris des données de projections;
- Nous devons nous assurer que les points de référence que nous choisissons n’intègrent pas les obstacles que nous essayons d’éliminer; et
- Nous devons nous éloigner des calculs excessivement compliqués et nous concentrer sur l’élimination des obstacles qui nuisent à la réalisation de progrès raisonnables qui se maintiendront au fil du temps, afin que l’équité en matière d’emploi soit réellement atteinte.
Obtenir les données dont nous avons besoin quand nous en avons besoin : Perspectives et limites des projections de données
Les sources de données les plus pertinentes ont été le Recensement et l’Enquête canadienne sur l’incapacité, lesquels sont réalisés tous les cinq ans. Compte tenu de l’évolution rapide du milieu de travail, les données sont considérablement obsolètes. Pour certains groupes, et en particulier les travailleurs racisés ou issus des minorités visibles, ces données mènent à une sous-estimation systémique de la disponibilité.
Lors de nos réunions avec Statistique Canada, le Programme du travail et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, les parties ont reconnu les retards accusés dans la collecte des données et leur incidence sur la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi.
Par exemple, Statistique Canada a indiqué que les données sur les groupes visés par l’équité en matière d’emploi proviennent de l’auto-identification faite auprès des employeurs ou dans le cadre de recensements ou d’enquêtes de Statistique Canada. Il y a un retard de 12 à 18 mois dans les données fournies par les employeurs. Les rapports sont donc produits de 16 à 18 mois après la période de référenceNote de bas de page 43.
À la suite de l’appel à l’action lancé par le greffier du Bureau du Conseil privé en janvier 2021 en faveur de la lutte contre le racisme, de l’équité et de l’inclusion dans la fonction publique fédérale, le secrétaire du Conseil du Trésor du Canada a demandé au statisticien en chef de l’aider à établir des cibles réalistes et opportunes.
Nous avons consulté des sources qui pourraient aider à rendre plus facilement accessibles les données sur le milieu de travail canadien qui évolue rapidement. Il existe des possibilités prometteuses, y compris de nouveaux outils de projection. Ceux-ci devraient être mis à profit. Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi recommandé devrait être chargé de se pencher sur cette question en priorité.
Ce n’est pas une modification législative qu’il nous faut. C’est une mesure stratégique rapide et ciblée.
Statistique Canada a dit à notre groupe de travail qu’il proposait d’utiliser comme points de référence les résultats des projections démographiques détaillées propres à une année donnée, plutôt que de se fier aux dernières données de recensement ou d’enquête disponiblesNote de bas de page 44.
Le modèle Demosim élabore des projections de la population canadienne en fonction de diverses caractéristiques. Il est utilisé depuis le Recensement de 2001, pour les femmes, et a été lancé en 2004 à Patrimoine canadien afin de fournir des projections sur les groupes de minorités visibles. Les populations autochtones ont été ajoutées dans la version de 2006, et les personnes handicapées, dans celle de 2016. Notre groupe de travail a été informé que des scénarios et des projections fondés sur la diversité des genres sont en cours d’élaboration. Dans son évaluation des données du recensement précédent, les projections du modèle Demosim ont prédit avec précision la démographie de la population à court terme. Le modèle Demosim tient compte des écarts de comportement entre les sous-groupes de population, y compris les écarts relatifs à la migration, et est en mesure d’offrir des renseignements géographiques détaillés pour les provinces et les territoires, les grands centres urbains et les régions situées à l’extérieur de ceux-ci, ainsi que les régions filtrées à titre d’ensembles personnalisés. Le ministère des Finances utilise les prévisions démographiques du modèle pour effectuer les paiements de transfert (péréquation).
Les membres du groupe de travail ont été impressionnés par le fait qu’ils pouvaient obtenir des projections sur la diversité de la population en fonction de certaines des catégories actuelles et recommandées dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Statistique Canada a indiqué qu’il peut fournir des points de référence en matière de DMT pour les femmes, les minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées. L’important est qu’ils pourraient être produits chaque année.
Nous savions également que le modèle comporte certaines limites. Statistique Canada a été clair à ce sujet : Demosim n’est pas un modèle de projection économique. Il se concentre sur les facteurs sociodémographiques. Il ne peut donc pas faire de projections de revenus futurs. On ne peut pas se fier à ses calculs de la DMT et de la DPA, car la profession est un élément qui ne peut pas être modélisé dans Demosim. Trop de facteurs macroéconomiques font en sorte qu’il est difficile de faire de telles projections.
Statistique Canada a également précisé que les résultats de Demosim sont fondés sur des simulations et qu’ils fournissent des projections plutôt que des valeurs observées. Pourtant, le but même de l’équité en matière d’emploi est d’être un processus dynamique : les données guident l’établissement des objectifs et permettent d’évaluer dans quelle mesure ces objectifs sont atteints.
Demosim peut fournir des projections provisoires ou à court terme et faciliter la mise à l’essai à long terme des hypothèses. Cet outil peut être adapté de façon continue afin d’y intégrer les renseignements démographiques les plus récents, y compris ceux tirés d’enquêtes autres que le recensement. À cet égard, Statistique Canada a confirmé que les résultats devraient ressembler davantage aux estimations futures du recensement qu’aux points de référence actuels utilisés pour la DMT.
Dans notre recommandation, nous demandons donc au Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi d’évaluer les nouvelles capacités de projection afin de voir comment cet outil peut aider à corriger le retard en ce qui concerne la DMT, tout en tenant compte de ses limites et de ses possibilités.
Recommandation 2.24 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait avoir pour mandat de déterminer la meilleure façon possible de tirer parti des capacités de projection existantes et nouvelles afin de rattraper le retard accusé dans le calcul de la DMT.
Pousser la réflexion plus loin : des points de référence qui tiennent compte de la discrimination
Nous nous sommes cependant sentis tenus de pousser la réflexion plus loin. Le problème ne consiste pas uniquement à obtenir les données plus rapidement, bien que cela serait utile. Le problème concerne aussi l’exactitude et les hypothèses intégrées.
L’Association canadienne des avocats d’employeurs a indiqué qu’il fallait être prudents, car [Traduction] « les statistiques peuvent être interprétées de nombreuses façons et qu’un tel exercice ne favorise pas nécessairement l’équité pour les membres des groupes visés par la loiNote de bas de page 45 ». Nous sommes d’accord sur ce point.
Les mesures statistiques sur lesquelles nous nous appuyons actuellement pour calculer la disponibilité peuvent elles-mêmes intégrer la discrimination systémique. Notre discussion au chapitre 1 sur les travailleurs découragés est un excellent exemple de ce problème. Si nos mesures de la disponibilité sur le marché du travail codent les titulaires d’un doctorat qui doivent travailler comme chauffeurs de taxi pour gagner leur vie, comme étant des chauffeurs de taxi, nous renforçons un cercle vicieux. Ces mesures ne contribuent pas à exclure la discrimination systémique; au contraire, elles pourraient l’intégrer.
Abandonner graduellement la disponibilité au sein de la population active dans la fonction publique fédérale
La disponibilité au sein de la population active dans la fonction publique fédérale a dépassé sa durée de vie utile.
Instaurée par la fonction publique fédérale pour tenir compte des exigences particulières prévues par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour déterminer la disponibilité, la disponibilité au sein de la population active est devenue un excellent exemple de la façon dont un outil de mesure peut intégrer les pratiques d’exclusion que l’équité en matière d’emploi cherche à éliminer. Nous avons entendu à maintes reprises que la fonction publique fédérale canadienne, de tous les employeurs au Canada, aurait dû atteindre une maturité suffisante pour pouvoir utiliser la même mesure que celle utilisée par la plupart des employeurs sous réglementation fédérale au Canada.
Vous trouverez ci-dessous la description vulgarisée du Conseil du Trésor concernant la façon dont la disponibilité au sein de la population active est calculée :
Calcul de la disponibilité au sein de la population active (DPA) dans la fonction publique du Canada
Les estimations de la DPA servent de points de référence pour évaluer la représentativité des groupes désignés aux fins de l’équité en matière d’emploi au sein de l’administration publique centrale (organisations énumérées aux annexes I et IV de la Loi sur la gestion des finances publiques), conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi. La dynamique de l’embauche est tributaire de la disponibilité des membres des groupes désignés à occuper un emploi dans la fonction publique. La DPA varie géographiquement (à l’échelle nationale ou par province/territoire), ou en fonction des qualifications spécifiques requises pour les postes que les organisations ont à pourvoir. On tient notamment compte des quatre filtres ci‑dessous.
- citoyenneté : ce filtre est appliqué parce que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique accorde la préférence aux citoyens canadiens [alinéa 39(1)c)]; cette préférence a été étendue aux résidents permanents à compter du 29 juin 2021.
- classification : ce filtre permet de ne tenir compte que des professions que le gouvernement estime pertinentes pour la fonction publique.
- études : ce filtre est utilisé dans certaines classifications pour tenir compte uniquement des personnes qui détiennent un diplôme d’études dans la catégorie d’emplois scientifiques et professionnels [compte tenu des normes de qualification de la fonction publique pour les emplois (exigences en matière d’études)].
- lieu géographique : ce filtre tient compte du fait que la plupart des organisations mèneront leurs activités de recrutement à l’échelle locale plutôt que dans des régions géographiques plus vastes.
Les estimations de la DPA reposent sur les données de la DMT obtenues dans le cadre du Recensement de 2016 et de l’Enquête canadienne sur l’incapacité, réalisée tous les cinq ans. La DPA de 2022 comprend les citoyens canadiens et les résidents permanents qui sont sur le marché du travail depuis au moins 15 ans, en fonction de leur capacité présumée à occuper des emplois comparables à ceux de la fonction publique
Secrétariat du Conseil du Trésor, Rapport annuel : L’équité en matière d’emploi dans la fonction publique du Canada 2020‑2021, aux pages 30 et 31.
Parmi beaucoup d’autres, l’Alliance de la Fonction publique du Canada était d’avis que la DPA ne reflétait pas la population du Canada et qu’elle était désuète. À maintes reprises, notre groupe de travail a entendu des employeurs, des travailleurs, des groupes d’équité et des experts dire que la DPA ne reflète pas la population du Canada. Nous avons entendu dire qu’elle est désuète. On nous a également dit que ce sont les politiques et les pratiques en matière d’embauche, de promotion et de maintien en poste qui posent problème, et non le bassin disponibleNote de bas de page 46.
Les problèmes les plus importants liés à la DPA sont particulièrement observable dans la catégorie des travailleurs racisés ou appartenant à une minorité visible.
[Traduction] Pour calculer la disponibilité au sein de la population active (DPA), le SCT utilise l’obstacle systémique le plus important et discrimine ainsi toutes les minorités visibles. Selon le rapport du SCT de 2020‑2021, la représentation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale est de 18,9 %, ce qui semble un taux favorable par rapport au taux de DPA des minorités visibles qui est de 15,3 %. Il convient cependant de noter que ce taux est encore inférieur à celui des minorités visibles qui était de 19,6 % en 2011, leur disponibilité sur le marché du travail (DMT) actuelle étant de 21,3 % et leur population de 22,3 %, selon le Recensement de 2016. Par conséquent, dans les faits, la représentation des minorités visibles est inférieure de 2,4 points à leur DMT (même si cette donnée est vieille de six ans) et inférieure de 3,4 points à leur représentation dans la population canadienne en 2016. En ce qui concerne la classification du groupe EX, la représentation des minorités visibles est de 12,4 %, soit 1,8 point de plus que leur DPA, mais 9,9 points de moins que leur représentation dans la population du Canada. Dans les faits, maintenir le point de référence pour le groupe EX à un niveau aussi bas institutionnalise l’hypothèse selon laquelle les membres des minorités visibles sont moins qualifiés pour occuper des postes de cadres supérieurs au sein de la fonction publique [...] Il convient également de noter que le point de référence erroné utilisé par le SCT est basé sur le Recensement de 2016 et qu’il a été utilisé comme point de référence même en 2022, alors qu’il était vieux de six ans. [...] au lieu d’être un chef de file, la fonction publique fédérale est en queue de peloton et prend du retard par rapport au secteur privé [fédéral].
Dès l’année 2000, le rapport du groupe de travail sur la participation des minorités visibles, Faire place au changement dans la fonction publique fédérale, recommandait que la DPA soit abandonnée. La Communauté fédérale des minorités visibles a formulé la même recommandation.
À vrai dire, il a été difficile d’examiner un graphique comme celui présenté par la Commission de la fonction publique. En effet, ce graphique montrait clairement que le nombre de candidatures de membres des minorités visibles dépassait de beaucoup les taux de DPA, de 10 % souvent, et que le taux d’embauche avait également tendance à être supérieur à celui de la DPA, qui était de 4 % à 6 %, alors que nous savions à quel point ce graphique sous-estimait les populations racisées au Canada.

- Source : Fonction publique du Canada, présentation au GTELEME, 18 mars 2022.
Membres des minorités visibles: proportion des candidatures et embauches en comparaison à la disponibilité au sein de la population active
Année fiscale | Pourcentage des candidatures | Pourcentage des embauches | Disponibilité au sein de la population active |
---|---|---|---|
2015–16 | 21.3 | 17.3 | 13.0 |
2016–17 | 21.0 | 17.9 | 13.0 |
2017–18 | 22.2 | 17.7 | 13.0 |
2018–19 | 22.3 | 19.3 | 15.3 |
2019–20 | 24.3 | 21.3 | 15.3 |
2020–21 | 25.0 | - | 15.3 |
On comprend également que, depuis que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique a été modifiée le 29 juin 2021 et que la citoyenneté n’est plus une exigence d’emploi, c’est le groupe des minorités visibles qui affichera probablement l’écart le plus grand en ce qui concerne les taux de DPA. Les taux de disponibilité tiendront compte des résidents permanents. Il s’agissait toutefois de l’une des justifications les plus importantes pour entreprendre tout le travail d’établissement d’un point de référence distinct pour la fonction publique fédérale. Cette justification a disparu.
Les écarts restants – si l’on exclut de la DMT plus particulièrement les travailleurs migrants temporaires et les étudiants étrangers – ne justifieraient peut‑être pas le temps et les efforts nécessaires pour produire une norme distincte pour le gouvernement. Bien que les règles soient différentes, nous devons garder à l’esprit que les employeurs du secteur privé ne peuvent pas simplement embaucher des travailleurs sans tenir compte du statut d’immigration. Quoi qu’il en soit, si la DMT et la DPA sont essentiellement similaires en ce qui concerne la suppression de la restriction liée à la résidence permanente au sein du gouvernement fédéral, il est tout à fait raisonnable de prévoir que ce dernier pourra se fonder sur la DMT comme élément caractérisant de la main-d’œuvre à partir de laquelle il serait fondé à choisir des employés. Cette approche serait plus fluide et enverrait le bon signal à l’ensemble des employeurs.
Certains intervenants ont poussé la réflexion plus loin en soulevant l’écart important qui existe entre la DPA et les renseignements sur la population. La sous-ministre sortante de l’Accessibilité au sein de la fonction publique et championne des employés fédéraux handicapés, Yasmine Laroche, a fait part des conclusions des consultations. L’écart important entre la DPA, qui se situe à 9 % pour les travailleurs handicapés, et la disponibilité réelle fondée sur la population, qui se trouve à 22 % selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017, a été cité comme un exemple frappant du défi que pose la représentationNote de bas de page 47.
Il est important de noter que 64 % des employés sondés dans le cadre de la version provisoire de la Stratégie sur l’accessibilité au sein de la fonction publique ont indiqué que, pour l’établissement des cibles d’emploi pour les personnes handicapées, il est très important de remplacer le concept de disponibilité au sein de la population active par un concept qui tient compte de l’aptitude au travail telle qu’elle est définie dans l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017Note de bas de page 48. Nous reconnaissons que l’aptitude au travail changera lorsqu’il y aura moins d’obstacles. Nous tenons également compte de l’importance d’appuyer l’inclusion équitable des personnes handicapées en milieu de travail grâce à des mesures de soutien du revenu de base à l’échelle sociétale, comme il en est question au chapitre 4.
Compte tenu du potentiel croissant du travail à distance, certains ont indiqué que le gouvernement fédéral devrait donner l’exemple en ne s’appuyant pas sur un point de référence qui intègre un filtre géographique qui suppose que l’embauche sera nécessairement locale.
Le principal argument en défaveur de l’abandon de la DPA dans la fonction publique fédérale était la possibilité que les ministères et les organismes se découragent s’ils estiment que les cibles sont irréalistes. Lorsque nous avons examiné de près les données et les écarts importants dans les taux d’atteinte réels entre certains ministères et organismes gouvernementaux, nous avons appris que les principaux écarts s’expliquent par le fait que certains ministères et organismes agissaient de façon intentionnelle pour éliminer les obstacles et favoriser l’inclusion équitable. Le fait d’augmenter considérablement les ressources pour obtenir une DPA plus précise ne résoudra pas cet écart important. La DPA a été une source de découragement pour un trop grand nombre des groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Nous étions persuadés que notre gouvernement fédéral pouvait faire mieux en assumant sa double responsabilité, c’est‑à‑dire celle d’employeur fédéral symboliquement important et celle d’organe de réglementation.
La production de la DPA est maintenant considérée comme une distraction, car elle requiert du temps et des efforts qui devraient être consacrés au travail fondamental lié à l’élimination des obstacles. Le gouvernement devrait servir de lieu d’expérimentation et de créativité, où s’opère un changement durable. Il devrait être à l’avant-garde, pas à l’arrière-garde.
Selon un employé de la fonction publique, utiliser la DPA en 2023, c’est comme suivre les médias sociaux avec un téléphone pliable. Nous devons faire mieux.
Au cours de ses consultations avec le groupe de travail au printemps 2022, le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines (BDPRH) du SCT a informé le groupe de travail qu’il commanderait sa propre étude sur la DPA. Le président du Conseil du Trésor est membre du Cabinet et le Conseil du Trésor est un employeur du gouvernement. Le Conseil du Trésor a exercé sa capacité d’obtenir des recommandations de modifications législatives au moyen d’un processus distinct, pendant que le groupe de travail menait ses travaux. Les services d’un expert‑conseil ont été retenus à l’automne 2022, et un rapport provisoire a été remis à la présidente du groupe de travail en février 2023. L’expert‑conseil a provisoirement recommandé que la DPA soit conservée.
Cette recommandation renvoyait à un critère prévu actuellement par le Règlement sur l’équité en matière d’emploi, c’est-à-dire l’effectif à partir duquel la fonction publique centrale « serait fondé[e] à choisir » des employés. La norme législative elle‑même – le fait d’être fondé à choisir – ne semble pas être celle qui a été appliquée dans le rapport de consultation. Au lieu de cela, une norme différente et plus élevée – celle fondée sur l’« exactitude » – l’a remplacée.
Bien que, dans son rapport, l’expert‑conseil note que les points de référence ont jusqu’à sept ans de retard, il ne semble pas soulever le problème important que posent le temps et la complexité associés à la préparation d’une DPA distincte. Le groupe de travail a appris que certains ministères calculaient leur propre DPA à l’aide des méthodologies du Conseil du Trésor, lorsqu’ils avaient de la difficulté à utiliser la DPA parce qu’elle limitait leur capacité de mesurer la représentation lors de changement de priorités du gouvernement et lorsque le recrutement exigeait l’utilisation de codes différents de la Classification nationale des professions (CNP). De plus, le processus n’est guère transparent; les composantes du calcul ne sont pas publiées ou même bien connues, et les interprétations peuvent varierNote de bas de page 49.
En mettant trop l’accent sur l’élaboration de points de référence distincts pour la DPA, lesquels seraient élaborés possiblement chaque année à l’aide du modèle Demosim malgré les défis réels susmentionnés concernant la faisabilité, on risque simplement d’accorder trop d’attention aux chiffres liés à la représentation, au détriment de l’atteinte réelle de l’équité en matière d’emploi. Cela doit cesser.
Plutôt que de s’appuyer sur le modèle Démosim tout en continuant d’utiliser la DPA, notre groupe de travail a recommandé que l’on confie au Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi le mandat de déterminer la meilleure façon de tirer parti des capacités de projection existantes et nouvelles, afin de corriger le retard accusé dans le calcul de la DPA seulement. Nous recommandons également que la DPA soit complètement mise de côté.
Recommandation 2.25 : La fonction publique fédérale devrait cesser de produire des rapports sur la disponibilité au sein de la population active et de se fonder sur la disponibilité au sein de la population active pour s’acquitter de ses responsabilités prévues par le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Vers une approche fluide de la représentation et de l’établissement d’objectifs
[Traduction] Il faut utiliser la représentation par population plutôt que cette formule alambiquée qui reproduit les modèles de discrimination systémique.
Alors, de quoi avons-nous besoin pour être en mesure de représenter notre société comme elle le serait en l’absence de discrimination systémique? Comment pouvons-nous y arriver?
Voici ce qui nous a été indiqué clairement : le gouvernement fédéral devrait aspirer à être le visage du Canada.
La disponibilité sur le marché du travail est un bon début pour les milieux de travail sous réglementation fédérale. Nous devrions cependant aspirer à des milieux de travail qui sont le reflet de nos populations. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’avoir comme objectif l’élimination des obstacles. Pour ce faire, notre gouvernement devra mettre en œuvre des initiatives proactives pour éliminer les obstacles qui s’entrecroisent dans le milieu de travail et qui sont évoqués au chapitre 4. L’élimination des obstacles ne peut et ne doit pas être soutenue par la seule action de l’employeur. Il s’agit d’un processus continu et interactif qui doit être mis en œuvre dans l’ensemble de la société. L’élimination des obstacles devrait être intégrée aux engagements du gouvernement canadien à l’égard des objectifs de développement durable des Nations Unies, y compris ceux liés à l’égalité des sexes et au travail convenable, et être traitée dans son ensemble.
De plus, nous ne pouvons pas nous empêcher de noter que le fait de calculer la « disponibilité » dans un contexte de marché du travail restreint soulève en soi la question. Nous avons besoin de tout le monde et le resserrement du marché du travail nous rappelle à quel point il est important de trouver des façons d’attirer les gens et pas seulement de les muter.
En raison des restrictions actuelles découlant des litiges concernant l’équité en matière d’emploi, nous avons peut-être aussi perdu de vue le fait que, dans les deux causes fédérales de premier plan sur l’équité en matière d’emploi, la Cour suprême du Canada et le Tribunal canadien des droits de la personne ont établi des cibles qui étaient au-dessus de la disponibilité. La raison en était claire : la sous‑représentation était le reflet de la discrimination subie par les groupes visés par l’équité en matière d’emploi historiquement. Attendre une génération ou deux jusqu’à ce que les membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi deviennent [Traduction] « disponibles » ferait persister la discrimination du passéNote de bas de page 50. L’équité en matière d’emploi visait à corriger la sous-représentation d’une manière inébranlable et durable.
Au sein de la fonction publique fédérale, la Commission canadienne des droits de la personne avise déjà les employeurs de la fonction publique qu’il est de bonne pratique de dépasser les taux à atteindre concernant l’équité en matière d’emploi du point de vue de la disponibilité au sein de la population active, sachant que les points de référence sont fondés sur des données des années précédentes.
Le groupe de travail s’est penché plus particulièrement sur le moment auquel les employeurs des secteurs public et privé se sont reportés aux chiffres de base sur la main-d’œuvre du Recensement ou de l’Enquête canadienne sur l’incapacité et, au lieu de compliquer l’analyse, il s’est concentré sur la façon dont ces employeurs pourraient éliminer les obstacles et transformer leurs milieux de travail. D’autres membres des groupes ou sous‑groupes visés par l’équité en matière d’emploi, en particulier le Secrétariat du recours collectif des Noirs, ont également demandé que les chiffres sur la représentation soient établis en fonction de la population générale.
Il était plus logique d’orienter les efforts de manière à éliminer les obstacles que d’appliquer des analyses de plus en plus complexes des données sur la disponibilité. Ce sujet est traité en détail au chapitre 4.
Pour le secteur privé sous réglementation fédérale et les employeurs visés par le Programme de contrats fédéraux, ainsi que la fonction publique fédérale, cela signifie promouvoir une approche plus fluide de la représentation.
Une approche plus fluide aidera à répondre à certaines des préoccupations soulevées par des employeurs du secteur privé qui ont déclaré que les codes de la CNP ne correspondent même pas à leurs industriesNote de bas de page 51.
Dans l’ensemble, cela signifie que, bien qu’elle soit importante, la disponibilité sur le marché du travail ne devrait pas devenir un critère obligatoire qui force les lieux de travail à utiliser des données obsolètes et à mener des exercices stériles qui en disent peu sur ce qu’il faut faire réellement pour réaliser et soutenir l’égalité réelle.
Nous utilisons la disponibilité sur le marché du travail comme point de référence, bien sûr, parce que les objectifs doivent être réalistes et non arbitraires. Nous voulons également favoriser la réalisation de progrès raisonnables au fil du temps pour atteindre et soutenir l’équité en matière d’emploi.
En fin de compte, la disponibilité sur le marché du travail devrait être considérée comme une assise, assortie d’un vaste objectif sociétal qui consiste à atteindre des taux de représentation qui sont fondés sur la population et qui montrent qu’il est possible d’atteindre et de soutenir une égalité réelle dans un milieu de travail exempt d’obstacles pour tous. Parce que nous sommes en 2023.
Nos milieux de travail devraient ressembler de plus en plus au Canada. Les points de référence nous aident à y arriver. Ils ne devraient pas être des entraves. Ils ne devraient pas nuire au véritable travail d’équité.
Dans nos sociétés mondialisées et intégrées, les milieux de travail sont en mesure de recruter à grande échelle et les travailleurs sont de plus en plus mobiles. La technologie et l’expérience de travail à domicile que nous avons acquise pendant la pandémie ont rendu ces aspects plus évidents pour de nombreux employeurs. Dans les domaines touchés par des pénuries de main‑d’œuvre, le recrutement s’effectue de plus en plus à l’échelle internationale. Comme société, nous sommes rendus à un stade où nous avons démontré que nous pouvions faire preuve de créativité et expérimenter pour régler des problèmes liés à la vie professionnelle et à la vie personnelle. La créativité et l’expérimentation devraient être utilisées sciemment pour favoriser une plus grande accessibilité et attirer plus de personnes sur le marché du travail. Nous devrions éviter de créer des fausses limites à la capacité des employeurs de rechercher des talents dans la population apte au travail, et ce, tout en favorisant une inclusion équitable. Nous disons cela avec prudence, car nous sommes conscients de l’immense défi que pose la représentation dans un pays aussi vaste que le Canada, qui comprend des collectivités éloignées et rurales ainsi que de grandes régions métropolitainesNote de bas de page 52.
Tant que la représentation sera inférieure aux taux de population du Recensement, les employeurs devraient avoir le droit de continuer de remédier à la sous‑représentation.
Nous recommandons que le point de référence de la « population apte au travail » soit celui par défaut. Les demandes de dérogation doivent être adressées au commissaire à l’équité en matière d’emploi et évaluées au cas par cas pendant une période limitée.
Nous avons également entendu la frustration des groupes visés par l’équité en matière d’emploi dont la disponibilité sur le marché du travail est constamment faible et dont les taux d’atteinte de l’équité en matière d’emploi sont rarement reçus.
À cet égard, plus particulièrement, nous devrions cesser de recourir à un calcul étroit et placer résolument nos efforts sur la promotion de l’inclusion.
Recommandation 2.26 : La « population apte au travail » aux termes du sous-alinéa 5b)(i) de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait être le point de référence par défaut énoncé dans le Règlement sur l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 2.27 : Les demandes de dérogation au point de référence par défaut devraient être adressées au commissaire à l’équité en matière d’emploi au cas par cas pendant une période déterminée.
Recommandation 2.28 : Tant que la représentation est inférieure aux taux de population du Recensement qui correspondent au contexte géographique, les employeurs devraient être autorisés à remédier à la sous-représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, dans le but d’atteindre une masse critique.
Les données pour l’équité pour mener de véritables consultations
Au chapitre 5, nous abordons l’importance des données pour l’équité pour mener de véritables consultations. Nous présentons des recommandations précises qui visent à renforcer et à structurer le pilier des consultations véritables. Nous résumons l’importance de ces consultations en deux points :
- premièrement, les consultations véritables nécessitent un accès pertinent aux données sur l’équité en matière d’emploi en milieu de travail;
- deuxièmement, les consultations véritables constituent une source cruciale de données utiles sur l’équité en matière d’emploi en milieu de travail.
La relation entre ces deux points est dynamique. Elle doit être appuyée et soutenue.
Les données pour l’équité aux fins de reddition de compte : surveillance réglementaire et transparence à l’égard du public
Garder les choses simples : réduire l’obligation de production de rapports
Il nous a également été recommandé, à juste titre, de simplifier la production de rapportsNote de bas de page 53. Au chapitre 3, nous recommandons l’ajout de deux groupes d’équité en matière d’emploi. Nous favorisons et encourageons la désagrégation des données en raison des défis à prendre en considération pour certains sous-groupes. Évidemment, plus le sous‑groupe est petit, plus le risque de suppression de données est élevé. Nous devons faire en sorte que l’évaluation et le calcul des taux de représentation et des taux d’atteinte sont fluides. Nous traitons de cette suggestion au chapitre 4 en recommandant plus particulièrement de réduire la fréquence des rapports produits par tous les employeurs. Nous proposons également des recommandations sur la simplification des rapports au chapitre 6.
Transparence à l’égard du public : démocratisation de l’accès aux données
[Traduction] La logique de la Loi sur l’équité en matière d’emploi est que l’efficacité de la Loi dépend de l’examen minutieux des résultats des employeurs par le public et les autorités gouvernementales en matière de conformité.
L’une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas avancé en matière d’équité en matière d’emploi est que le public a été obligé de s’appuyer sur des éléments symboliques comme mesure indirecte en matière d’équité, plutôt que sur des données. L’équité en milieu de travail dans un univers d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) était habituellement mesurée à l’aide d’énoncés et de stratégies de communication qui ont fini par symboliser la diversitéNote de bas de page 54. Mais est-ce que cela fonctionne? Par exemple, disposons‑nous des renseignements nécessaires pour veiller à ce que les milieux de travail favorisent la nomination de membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi à des postes de direction? Que faisons‑nous pour savoir si ces milieux de travail sont sujets au phénomène de la « porte tournante »? Que faisons‑nous pour savoir si ces milieux de travail ne croulent pas sous les plaintes de harcèlement sexuel?
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies a invité le Canada à publier des données complètes et désagrégées concernant la fonction publique, « [t]ous les contractants d’organismes publics » et les employeurs du secteur privé afin qu’il s’acquitte de ses obligations internationales en matière de droits de la personneNote de bas de page 55.
Les employeurs fédéraux ont eux-mêmes demandé que les enseignements tirés soient diffusés.
[Traduction] Suggérer au gouvernement de diffuser à grande échelle, auprès de l’ensemble de la communauté des intervenants, tous les enseignements tirés (y compris peut-être les pratiques exemplaires). Les employeurs pourraient ensuite, par exemple, utiliser ces renseignements pertinents pour améliorer leurs propres initiatives en matière d’équité, diversité et inclusion (EDI).
Les données pour l’équité comprennent également la démocratisation de l’accès aux données grâce à des obligations plus grandes relativement à la divulgation, afin de permettre au grand public de savoir si l’équité en matière d’emploi est atteinte.
On nous a rappelé que les employeurs estiment que l’équité constitue un dossier d’analyse, et qu’ils veulent être en mesure de raconter leurs histoires de réussite de manière positive. Ils ne veulent pas seulement présenter leurs chiffres comme s’il s’agissait d’un exercice théorique; ils veulent un meilleur processus de collecte de données qui leur permettra de vivre des réussites qu’ils partageront comme pratiques prometteusesNote de bas de page 56. Si ce sont les assises sur lesquelles nous rebâtissons l’équité en matière d’emploi, alors elles sont assez solides.
À l’heure actuelle, les rapports présentés annuellement au Parlement constituent la principale méthode de divulgation publique utilisée par les organismes de surveillance publique.
Les vérifications effectuées par la Commission canadienne des droits de la personne de l’administration publique fédérale ne sont pas rendues publiques; elles ne sont même pas communiquées au Programme du travail. Elles étaient même caviardées lorsque la présidente du groupe de travail les a examinées.
Les résultats liés à l’équité en matière d’emploi ne doivent pas être cachés. L’objectif ne devrait pas non plus consister à humilier qui que ce soit en public. Les résultats liés à l’équité en matière d’emploi devraient plutôt servir à tirer des enseignements profonds pour notre bénéfice. Réussir à atteindre et à soutenir des effectifs représentatifs devrait devenir un signe de fierté que nous pouvons tous célébrer.
À l’heure actuelle, la Loi sur l’équité en matière d’emploi prévoit que les rapports soient mis à la disposition du public, y compris les rapports produits par les employeurs du secteur privé :
Rapports mis à la disposition du public
19 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le public peut consulter les rapports visés au paragraphe 18(1) aux lieux et en la forme désignés par le ministre et en obtenir un exemplaire auprès de celui‑ci contre versement d’un droit réglementaire n’excédant pas le prix coûtant.
Discrétion ministérielle
(2) À la demande de l’employeur, le ministre peut retenir le rapport pour une période maximale d’un an si, à son avis, des circonstances spéciales justifient le report de la mise à disposition.
L’expérience pratique de cette exigence laisse beaucoup à désirer. Les versions consolidées du rapport sont incluses dans le rapport annuel au Parlement conformément à l’article 20 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Le Conseil du Trésor présente également un rapport annuel au Parlement. Bien que le site Web du Programme du travail permette normalement la recherche de rapports, la fonction de recherche a été mise hors de service à un moment critique de la rédaction du rapport et la présidente du groupe de travail n’a pu obtenir l’accès aux rapports autrement. Le Programme du travail doit faire mieux.
L’Association du Barreau canadien a fait les suggestions exhaustives ci‑dessous afin de rendre l’information accessible au public, tout en précisant qu’aucune d’elles ne nécessite des modifications législatives.
[Traduction]
- Publication des rapports narratifs : Les rapports narratifs des employeurs participant au Programme légiféré d’équité en matière d’emploi (PLEME) devraient être rendus publics. À l’heure actuelle, les employeurs sont tenus de créer un rapport narratif (par exemple, la page « Base de données individuelle de l’employeur » qui est inaccessible en ligne). L’accès aux rapports narratifs permettrait au public d’examiner les mesures subjectives prises par les entreprises relativement à l’équité en matière d’emploi et de promouvoir des façons novatrices d’accroître l’équité en matière d’emploi.
- Publication des scores de l’Indice de conformité du rapport (ICR) ou des scores similaires : Le PLEME classe les employeurs selon un score de l’ICR, lequel indique le degré de conformité au Règlement sur l’équité en matière d’emploi converti en un indice de cinq points. Par exemple, une entreprise peut recevoir un score de 3 sur 5. Ces scores devraient être publiés afin que le public puisse consulter le degré de conformité des employeurs au PLEME.
- Facilité de recherche accrue des données : Les données publiées en ligne doivent être facilement consultables dans un tableau de bord assorti de paramètres modifiables. Par exemple, le Système de gestion de l’information sur l’équité en milieu de travail (SGIEMT) devrait permettre de chercher parmi toutes les entreprises, à l’aide d’indicateurs, celles qui n’emploient, par exemple, aucune femme ou aucun membre d’une minorité visible. À l’heure actuelle, pour trouver cette information, il faut consulter directement tous les formulaires de chaque employeur à partir du lien du SGIEMT.
- Communication accrue au sujet des prix des champions de l’équité en matière d’emploi : Il doit y avoir une plus grande transparence en ce qui concerne les critères utilisés pour décerner les prix des champions de l’équité en matière d’emploi, et le processus devrait permettre au public de donner de la rétroaction avant l’attribution de ces prix. Les marques de reconnaissance du gouvernement du Canada comme celles‑ci sont perçues comme une approbation de ces entreprises. Des critères indépendants et un processus de détermination sans lien de dépendance garantiraient que les décisions ne sont pas motivées par des considérations politiques.
- Accès à l’ensemble complet de données de recherche : Il devrait y avoir un moyen facile d’accepter les demandes présentées par les chercheurs qui souhaitent obtenir toutes les données du rapport annuel sur l’équité en matière d’emploi, et de leur donner une copie de ces données. Par exemple, cette information pourrait être fournie au moyen d’une sortie de données de Microsoft Access ou d’un tableau de bord assorti de paramètres modifiables.
- Options de recherche dans le site Base de données individuelles de l’employeur selon le nom d’usage au lieu du nom légal : De nombreuses entreprises dans la Base de données individuelles de l’employeur sont des sociétés à dénomination numérique. Il est difficile pour le public de trouver les noms d’usage des entreprises. Nous recommandons que les deux noms soient affichés.
- Liste publique d’entreprises : Le site Web ou le tableau de bord devrait comprendre une liste des entreprises et permettre l’accès à leurs données sur l’équité en matière d’emploi, ce qui faciliterait la recherche, au lieu de présenter les entreprises dans un menu déroulant du SGIEMT. Afficher toutes les entreprises dans le texte du site Web augmentera l’accessibilité et facilitera la recherche des rapports, car les utilisateurs ne connaissent pas toujours la section « rapports individuels » du site Web d’EDSC, à partir de laquelle ces données peuvent être consultées. Nous recommandons que ces entreprises soient affichées sur la page « Liste des industries et milieux de travail sous réglementation fédérale ».
Association du Barreau canadien, présentation au GTELEME, 10 mai 2022
Nous sommes d’accord avec cette suggestion. Cependant, dans les faits et d’après l’expérience du groupe de travail, les dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploi concernant la mise à disposition des rapports n’ont pas été interprétées de manière à favoriser un accès raisonnable et facile par le public.
Divers intervenants ont demandé que les rapports soient accessibles et consultables en ligne afin d’assurer un accès facile à l’information. Le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (DAWN‑RAFH) était d’avis que le fait qu’il faut présenter une demande d’accès à l’information pour obtenir une demande de l’employeur, moyennant les frais connexes, constitue un obstacleNote de bas de page 57. Plusieurs ont également demandé que les rapports de conformité et de vérification soient rendus publicsNote de bas de page 58.
Les rapports déposés par tous les employeurs visés par le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi du gouvernement fédéral – y compris la fonction publique fédérale, le secteur privé sous réglementation fédérale et les employeurs du Programme de contrats fédéraux (PCF) – devraient être accessibles, tant dans leur emplacement que dans leur format. Ils devraient être faciles à trouver et à lire, et respecter les normes d’accessibilité en vigueur.
Les résumés des vérifications, qui utilisent des pratiques prometteuses sur l’échange de données à des fins de comparaison, devraient également être mis à la disposition du grand public.
Le groupe de travail a eu un premier aperçu des initiatives mises en œuvre actuellement, dans le cadre du Programme d’équité en milieu de travail du ministère du Travail, pour faciliter l’accès du grand public aux données sur la transparence salariale. Nous encourageons le commissaire à l’équité en matière d’emploi proposé à élaborer des outils qui favorisent la diffusion publique appropriée des rapports des employeurs, tout en tenant compte de la protection des renseignements personnels. Des protocoles devraient être élaborés pour s’assurer que les renseignements exclusifs peuvent être exclus de l’information diffusée.
Le commissaire à l’équité en matière d’emploi proposé devrait mettre en place des orientations. Il devrait également créer un formulaire électronique accessible et clair qui peut être rempli avec les données attendues et qui peut ensuite être facilement accessible en ligne à partir d’un site centralisé et consultable par le commissaire.
Une initiative complémentaire serait de créer un site gouvernemental ouvert pour les rapports sur l’équité en matière d’emploi et de rendre accessibles tous les rapports déposés en vertu du cadre de l’équité en matière d’emploi à l’aide de cette base de données accessible et consultable.
Recommandation 2.29 : Le commissaire à l’équité en matière d’emploi devrait élaborer des outils qui favorisent la diffusion publique, appropriée et accessible des rapports des employeurs. Des protocoles devraient être élaborés pour veiller à ce que les renseignements exclusifs puissent être exclus des renseignements qui sont communiqués conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi et aux lois sur la protection des renseignements personnels.
Recommandation 2.30 : Un site du gouvernement ouvert devrait être créé afin de mettre à disposition, à l’aide d’une base de données accessible et consultable, tous les rapports sur l’équité en matière d’emploi déposés en vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Centralisation des données dans la fonction publique fédérale
On nous a clairement dit que les données sur la conformité à la Loi sur l’équité en matière d’emploi devraient être mises à disposition de manière à être accessibles et prêtes à l’utilisation. Certains ont exprimé leur frustration concernant la façon dont les données de la fonction publique fédérale sont mises à disposition, et le moment à partir duquel elles le sont.
[Traduction] Ce serait bien si toutes les données concernant l’équité en matière d’emploi étaient accessibles au public, de façon évidente, chaque fois qu’on consulte une page d’un ministère quelconque (par exemple, un graphique rapide sous l’onglet « À propos de nous » et une répartition des différents ministères ou régions). Si cette information existe, elle devrait être facile à trouver sur la page Web et ne devrait pas être enfouie dans un long rapport, quelque part, de sorte qu’il est difficile de la trouver.
Une partie de la mise à disposition des données au public et de la surveillance réglementaire consiste à s’assurer que les données sont présentées dans un format accessible et organisé.
La Commission de la fonction publique a informé le groupe de travail que la lenteur de la diffusion des données peut être un problème. À l’heure actuelle, pour que des mesures soient prises, il faut que la lacune soit d’abord cernée, ce qui ralentit la mise en œuvre de mesures proactives. Notre groupe de travail a également appris que dans la fonction publique, la collecte, le traitement, le rapprochement et le contrôle de la qualité prennent environ de sept à huit mois. Étant donné que les rapports au Parlement sont établis en fonction des exercices financiers, ils sont déposés au plus tard le 31 mars. C’est pourquoi les données sont publiées sur une base annuelle (12 mois), même si elles auraient pu être disponibles avant. Certaines entités souhaitaient que les données sur l’équité en matière d’emploi soient rendues disponibles entre le moment où elles sont établies et le moment où elles sont présentées au Parlement. Voici ce que le Bureau de l’accessibilité au sein de la fonction publique a affirmé à ce sujet :
[Traduction] Il est souvent interdit aux employés de la fonction publique de consulter les données relatives à l’équité en matière d’emploi pendant les mois qui suivent la production des rapports sur l’équité en matière d’emploi. En effet, l’accès aux données sur l’équité en matière d’emploi est restreint tant que celles‑ci n’ont pas été déposées au Parlement. L’utilisation et l’intégration de ces données dans les initiatives de la fonction publique permettent de faire des progrès; or, les analystes risquent de se rendre coupables d’outrage au Parlement à cause de cette période d’accès « restreint » aux données. Le fait de retarder la communication interne de ces données mine la responsabilisation et n’est pas conforme à l’esprit de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, lequel consiste à offrir un accès équitable et à chercher à apporter des améliorations dans le lieu de travail pour les minorités visibles.
La fonction publique fédérale pourrait s’inspirer du Royaume-Uni. Depuis 2011, l’Equality Act, 2010Note de bas de page 59 du Royaume‑Uni impose aux organismes publics l’obligation de publier chaque année les renseignements qui démontrent la conformité et l’obligation d’éviter la discrimination, ainsi que les progrès réalisés en matière d’égalité des chances et les objectifs d’égalité; cette loi comprend aussi des dispositions de longue date autorisant « l’action positive ». L’Equality and Human Rights Commission (commission pour l’égalité et les droits de la personne) assure la surveillance réglementaire.
Évidemment, les recommandations formulées dans le présent chapitre donneraient lieu à une amélioration de l’accès aux données et à une simplification des rapports. D’autres recommandations sont présentées au chapitre 6. Nous tenons cependant à préciser que ce problème devrait être suivi de près.
Recommandation 2.31 : Le commissaire à l’équité en matière d’emploi devrait disposer de toute la latitude raisonnable pour veiller à ce que les données sur l’équité en matière d’emploi soient mises à disposition le plus rapidement possible, après leur élaboration, aux fins de mise en œuvre et de surveillance de l’équité en matière d’emploi.