Chapitre 3 : Repenser les groupes visés par l’équité prévus par le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi
Titre officiel : Réaliser et soutenir l’équité en matière d’emploi : un cadre transformatif - Rapport du Groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi : Chapitre 3
Auteure : Professeure Adelle Blackett, MSRC, Ad E, Présidente du groupe de travail
Sur cette page
- Introduction
- Pourquoi un nom? Parce que la terminologie compte
- L’histoire compte
- Premières Nations, Métis et Inuits : Redéfinir les relations dans un esprit de vérité et de réconciliation
- Travailleurs handicapés et accessibilité aux termes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées
- Du pain sur la planche : les travailleuses confrontées à des défis persistants
- Les travailleurs noirs au lendemain de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine
- Au lendemain de la Purge – pleine inclusion des travailleurs 2ELGBTQI+
- Les travailleurs racialisés au‑delà des « minorités visibles » : désagrégation et cohésion au sein du groupe
- L’inclusion dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, au sens large
Introduction
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[L]es causes sous‑jacentes de la discrimination et des inégalités de fait résultant d’une discrimination profondément enracinée et d’une exclusion sociale de longue date ne peuvent être traitées efficacement sans mesures proactives.
Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du Travail (OIT), Observation générale sur la discrimination fondée sur la race, la couleur et l’ascendance nationale, 2019.
Il a été demandé au groupe de travail d’examiner les changements qui devraient être apportés, non seulement aux dénominations et aux définitions des « groupes désignés » de l’actuelle Loi sur l’équité en matière d’emploi, mais aussi à la signification du terme « groupes visés par l’équité en matière d’emploi. »
Les dénominations sont importantes, et presque tous ceux qui se sont penchés sur cette question devant notre groupe de travail étaient d’avis qu’il faut réactualiser une grande partie de la terminologie utilisée dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Les associations d’employeurs, les syndicats, les groupes communautaires et les chercheurs, ainsi que les organismes de traités internationaux, ont pressé le gouvernement de réactualiser le libellé du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi afin qu’il tienne compte, avec circonspection, des connaissances et des préoccupations intersectionnelles et contemporaines concernant les travailleurs métis, inuits et des Premières Nations, les travailleurs handicapés, les travailleurs noirs et racisés, ainsi que les travailleurs de la communauté 2ELGBTQI+.
Notre première recommandation va dans ce sens. Conformément à notre objectif qui consiste à atteindre et à maintenir une égalité réelle, nous sommes d’avis que ces groupes devraient être considérés comme des « groupes visés par l’équité en matière d’emploi ».
Recommandation 3.1 : Le terme « groupes désignés » dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait être remplacé par le terme « groupes visés par l’équité en matière d’emploi. »
La dénomination et la définition de ces groupes ne constituent cependant pas la seule difficulté. L’inclusion équitable est également importante. Les observations d’employeurs, d’intervenants gouvernementaux, de travailleurs et de diverses communautés concernées qui sont en faveur d’une inclusion large dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi nous ont encouragés.
De la même façon, les catégories générales utilisées dans la loi actuelle – « femmes », « autochtones », « personnes handicapées » et « minorités visibles » – peuvent, par inadvertance, nous faire passer à côté du fait que le désavantage est historiquement enraciné. Elles peuvent également masquer des différences importantes qui existent en ce qui a trait aux expériences et aux obstacles particuliers auxquels font face chaque groupe visé par l’équité et les membres des sous‑groupes. Enfin, ces catégories risquent de cacher les obstacles rencontrés lorsque des motifs de discrimination, tels que la race, le sexe et le handicap, s’entrecroisent.
La Rapporteuse spéciale sortante des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, la professeure Tendayi Achiume, a rappelé à notre groupe de travail que les obstacles tendent à refléter les injustices historiques; le droit international en matière de droits de la personne exige qu’on lutte contre les pratiques discriminatoires à un niveau structurel, de sorte que celles‑ci cessent d’être des obstacles pour les groupes visés par l’équité. Pour lutter contre le racisme, il faut des solutions soucieuses de la race qui remédient à la discrimination, plutôt que des soi‑disant approches qui prônent la non‑distinction de raceNote de bas de page 1.
Pourquoi un nom? Parce que la terminologie compte
En proposant de renommer les catégories, ce rapport franchit une étape supplémentaire : nous avons délibérément choisi de considérer les membres de chaque groupe visé par l’équité en matière d’emploi comme des travailleurs. La notion de travail et de travailleurs est traitée en termes généraux et non techniques, selon l’optique d’inclusion du rapport. Par l’entremise de la notion générale, le rapport présente également les modifications à apporter à la portée de la Loi sur l’équité en matière d’emploi qui nécessitent une attention particulière.
Le terme travailleur est utilisé d’une manière délibérément non technique. La terminologie vise à inclure tous les travailleurs. Sont considérés comme des travailleurs, ceux qui souhaitent travailler, même s’ils se sont découragés à l’idée d’entrer sur le marché du travail canadien ou de le réintégrer; ceux qui accomplissent un travail non rémunéré de garde d’enfants à la maison et qui ont de la difficulté à entrer sur le marché du travail aussi pleinement qu’ils le souhaitent; ceux dont l’emploi rémunéré consiste à prendre soin d’une personne dans la résidence de cette dernière, mais qui gagnent beaucoup moins que s’ils étaient embauchés comme membres du personnel infirmier en fonction de leur niveau d’instruction et de leurs qualifications professionnelles officielles; ceux qui sont des travailleurs autonomes, mais qui gagnent beaucoup moins que s’ils étaient embauchés comme ingénieurs en fonction de leur niveau d’instruction officiel; et ceux qui ont eu différents statuts d’immigration à leur arrivée au Canada. Dans nos discussions sur l’utilisation de la terminologie concernant les travailleurs, nous avons également pris en compte les personnes qui ont été classées dans la mauvaise catégorie en raison du recours à d’autres formes d’ententes contractuelles qui dissimulent leur véritable statut juridique en tant qu’employés. L’équité en matière d’emploi consiste à cerner et à éliminer les obstacles. La terminologie que nous choisissons doit rendre compte de cette approche inclusive.
Cette approche inclusive est guidée par la Recommandation (no 198) sur les relations de travail 2006 de l’OIT qui encourage les membres de l’OIT, comme le Canada, à revoir leurs lois pour s’assurer qu’elles « garanti[ssent] une protection efficace aux travailleurs qui exercent leur activité dans le cadre d’une relation de travailNote de bas de page 2. » Notre approche partage certaines similitudes avec la définition large et non technique du travail utilisée à des fins statistiques dans la Résolution concernant les statistiques du travail, de l’emploi et de la sous-utilisation de la main-d’œuvre de 2013 de l’OIT, qui prévoit les différentes formes de travail, y compris le travail de production pour la consommation personnelle, l’emploi comme forme de travail, le travail en formation non rémunéré, le travail bénévole ainsi que d’autres activités productives. Ces formes de travail doivent être prises en considération pour comprendre les obstacles qui peuvent avoir une incidence sur la participation en milieu de travailNote de bas de page 3.
Dans son rapport, le groupe de travail s’est aussi inspiré de l’article 2 de la Convention (no 190) sur la violence et le harcèlement, 2019 de l’OIT qui prévoit un vaste champ d’application et qui « protège les travailleurs et autres personnes dans le monde du travail, y compris les salariés tels que définis par la législation et la pratique nationales, ainsi que les personnes qui travaillent, quel que soit leur statut contractuel, les personnes en formation, y compris les stagiaires et les apprentis, les travailleurs licenciés, les personnes bénévoles, les personnes à la recherche d’un emploi, les candidats à un emploi et les individus exerçant l’autorité, les fonctions ou les responsabilités d’un employeur », et « s’applique à tous les secteurs, public ou privé, dans l’économie formelle ou informelle, en zone urbaine ou rurale. »
Recommandation 3.2 : Les membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi devraient être désignés par le terme « travailleurs » dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
L’histoire compte
Pour répondre à la première préoccupation, le présent rapport se fonde sur l’histoire particulière de chaque groupe visé par l’équité en matière d’emploi. La discussion est particulièrement profonde d’un point de vue historique pour trois groupes :
- les Premières Nations, les Métis et les Inuits, en raison du changement important dans la compréhension de la relation de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement du Canada avec les peuples autochtones et de la responsabilité de faire avancer la vérité et la réconciliation;
- les travailleurs noirs, en raison de la demande précise énoncée dans notre mandat d’examiner si ce sous-groupe de la catégorie actuelle des « minorités visibles » devrait être considéré comme un groupe distinct visé par l’équité en matière d’emploi; et
- les travailleurs de la communauté 2ELGBTQI+, en raison de la demande précise énoncée dans notre mandat d’envisager de les inclure ou non dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Durant les séances de consultation, on nous a rappelé à maintes reprises l’importance de prendre le temps de comprendre les réalités vécues par les membres des groupes. Les pratiques inéquitables en milieu de travail dont les membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi ont fait l’objet sont loin d’être abstraites. Conformément à son objectif qui consiste à atteindre une égalité réelle plutôt que formelle, l’équité en matière d’emploi devrait nous permettre d’abandonner toute approche hypothétique et abstraite du milieu de travail et de nous tourner vers une approche qui prend l’histoire au sérieux. L’histoire permet de se fonder sur les expériences réelles et vécues découlant de pratiques inéquitables qui servent d’obstacles à une représentation équitable en milieu de travail.
Il faut toutefois être prudent. Bien qu’il examine de près les désavantages historiques, le présent rapport ne propose pas que les désavantages historiques soient nécessaires pour établir l’existence de discrimination au titre du droit canadien. Cela n’est pas nécessaire, et les organes de suivi des traités internationaux ont également confirmé ce point de façon similaire.
L’histoire peut être utile pour identifier les groupes visés par l’équité en matière d’emploi, car elle renseigne sur la compréhension que les membres des différents groupes ont d’eux‑mêmes et de leur expérience commune des désavantages dont ils ont souvent fait l’objet au fil du temps et qui ont pris des formes particulières d’exclusion. Les expériences communes aident à former, de façon cohérente, les groupes proposés afin qu’ils soient visés par la loi, et à déterminer la façon d’identifier chaque groupe.
[Traduction] Pourtant, « [l]es relations entre les diversités de groupe doivent être des relations d’égalité ».
Colleen Sheppard, Inclusive Equality (Presses universitaires McGill‑Queen’s, 2010), à la page 114
En fait, examiner l’histoire nous permet de constater que, d’une façon ou d’une autre, chacun des groupes visés par l’équité en matière d’emploi est composé de nombreux sous-groupes, mais que la composition des groupes peut parfois nous empêcher de bien prendre conscience des formes d’exclusion persistantes que vivent certains membres d’un groupe.
Les travailleurs noirs ont communiqué ce message de façon convaincante en évoquant leur inclusion dans la catégorie déjà largement critiquée appelée « minorités visibles ». Pour redéfinir et inclure les groupes d’équité, il était important de se pencher sur la question de savoir si l’inclusion dans un même groupe perpétuait les obstacles en milieu de travail au lieu d’aider à les éliminer.
Pour tous les travailleurs, et plus particulièrement les travailleurs métis, inuits et des Premières Nations, il a fallu tenir compte de l’ampleur du changement dans les relations, en l’occurrence les relations de nation à nation ou les relations de gouvernement à gouvernement (termes que nous utilisons de manière interchangeable), ainsi que des répercussions du changement sur le type de cadre que nous intégrons à notre avenir commun.
Premières Nations, Métis et Inuits : Redéfinir les relations dans un esprit de vérité et de réconciliation
Introduction
La réconciliation consiste à forger et à entretenir des relations respectueuses. Il n’y a pas de raccourcis.
Sénateur Murray Sinclair, Commission de vérité et réconciliation
[Traduction] L’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi est l’occasion d’établir de meilleures relations avec les Autochtones et de travailler à la réconciliation. La mobilisation et la consultation des Autochtones sont essentielles à la réconciliation.
Employé fédéral, membre du Réseau des employés fédéraux autochtones, 10 mai 2022
Notre groupe de travail conclut qu’il est temps de repenser la façon dont les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont inclus dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Un changement transformateur ne repose pas uniquement sur l’établissement d’une terminologie précise et de pratiques en matière d’auto‑identification. Il doit servir entre autres à repenser le cadre à l’appui de l’autodétermination économique des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
Le fait de présenter les Autochtones comme un groupe visé par l’équité comme les autres ne permet pas de tenir compte de la nature de la relation entre les Autochtones et l’État canadien. Les peuples autochtones du Canada sont des nations. Ils comprennent environ 634 Premières Nations, en plus des gouvernements inuit et métis, et comptent 1,8 million de personnes. Les fondements de la relation ont également fait l’objet d’une remise en question forte et importante. Dans le volume 2 de son rapport, la Commission royale sur les peuples autochtones s’exprime simplement ainsi à cet égard :
Nous savons maintenant [...] que ce pays n’était pas une terre inoccupée à l’époque du contact et que les nouveaux arrivants ne l’ont pas « découvert » dans tous les sens du terme. Nous savons également que les habitants de ce pays avaient des régimes de droit et de gouvernement, des coutumes, des langues et une culture qui leur étaient propresNote de bas de page 4.
Nous devons être conscients du défi que pose cette prémisse de départ, car elle change le contexte. Il faut trouver des solutions de rechange qui reposent résolument sur les droits et la reconnaissance des Autochtones. Cette prise en compte s’effectue au Canada, par l’intermédiaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été intégrée au droit canadien par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtonesNote de bas de page 5, et par l’entremise d’organismes internationaux comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)Note de bas de page 6.
L’affirmation des relations de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement est essentielle pour repenser l’équité en matière d’emploi en ce qui concerne les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Josh Nichols, spécialiste métis du droit constitutionnel, et Aaron Mills, titulaire anishinaabe de la Chaire de recherche en constitutionnalisme et en philosophie autochtones, soutiennent ce qui suit :
[Traduction] Lorsque les Canadiens ont choisi de reconnaître constitutionnellement les droits inhérents des peuples autochtones à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ils ont rejeté les préjudices du passé colonial et affirmé que les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuples et que, comme les autres peuples, ils ont droit à l’autonomie gouvernementaleNote de bas de page 7.
Le passé colonial du Canada est de plus en plus reconnu et exposé en détail dans des rapports clés, y compris le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, les rapports de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et le Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinéesNote de bas de page 8. Il fait également l’objet d’une attention internationale :
[Traduction] Il ne suffit pas de s’attaquer à la violence envers les femmes à moins que les facteurs sous-jacents de discrimination qui sont à l’origine de la violence et l’exacerbent ne soient également traités de manière exhaustive. La Commission interaméricaine des droits de l’homme (Inter-American Commission on Human Rights) souligne l’importance de recourir à une approche exhaustive pour mettre fin à la violence envers les femmes autochtones. Cette approche consiste à s’attaquer aux inégalités institutionnelles et structurelles passées et actuelles dont sont victimes les femmes autochtones au Canada. Ces inégalités comprennent entre autres la dépossession des terres autochtones, ainsi que les lois et politiques historiques qui ont eu des répercussions négatives sur les Autochtones et qui continuent d’empêcher ces derniers de jouir pleinement de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Pour ce faire, il faut s’attaquer à la marginalisation sociale et économique qui persiste depuis toujours à l’aide de mesures efficaces dans le but de lutter contre la pauvreté, d’améliorer l’éducation et l’emploi, de garantir un logement convenable et d’empêcher l’application disproportionnée du droit pénal à l’endroit des Autochtones. Ces mesures doivent consister entre autres à fournir de l’information et une aide afin que les femmes autochtones aient effectivement accès à des recours juridiques en matière de garde.
Commission interaméricaine des droits de l’homme, Missing and Murdered Indigenous Women in British Columbia (Femmes autochtones disparues et assassinées en Colombie-Britannique), Canada, 21 décembre 2014, OEA/Ser.L/V/II. CO/30-14 au paragraphe 306 .
Il convient de rappeler que la majorité des adultes des Premières Nations ont fréquenté un pensionnat pour Autochtones ou ont au moins un membre de leur famille qui en a fréquenté unNote de bas de page 9. De plus, les causes portées devant les tribunaux donnent de plus en plus lieu à des discussions exhaustives sur l’histoire coloniale, y compris sur la longue durée des politiques fédérales d’assimilation des AutochtonesNote de bas de page 10. Il est essentiel que les réponses soient exhaustives.
Les tribunaux canadiens reconnaissent de plus en plus le droit historique à l’autonomie gouvernementale qui découle des droits souverains initiaux des Autochtones sur leurs terres, et qui est maintenant enchâssé dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans le cadre d’une vérification des programmes destinés aux Premières Nations vivant dans les réserves, le vérificateur général du Canada a estimé que « [d]ans les réserves comme à l’extérieur des réserves, les Premières nations sont généralement aux prises avec des difficultés beaucoup plus grandes que le reste de la population canadienne », y compris un taux de chômage plus élevéNote de bas de page 11. Selon le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, le bien-être émotionnel était plus élevé chez leurs membres qui travaillaient que chez ceux qui ne travaillaient pas. Les membres des Premières Nations qui travaillaient ont également déclaré avoir des niveaux relativement plus élevés de soutien social que ceux qui ne travaillaient pasNote de bas de page 12.
Ces rapports contiennent également des enseignements fondamentaux sur le pouvoir et la responsabilité des relations nécessaires pour mettre fin à la violence et favoriser la transformation. Ils sont fondés sur le droit fondamental à l’autodétermination qui découle de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
La Convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux de l’OIT, que le Canada n’a pas encore ratifiée, et la Convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, que le Canada a ratifiée, sont souvent abordées ensemble, avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l’OIT afin de renforcer les droits des Autochtones relatifs à la terre et à l’emploi. L’OIT demande la ratification de la Convention no 169 comme moyen de se conformer à la Convention no 111. Selon l’OIT, les États n’ont pas seulement l’obligation de reconnaître les droits des Autochtones relatifs à la terre, aux territoires et aux ressources; le fait de ne pas s’acquitter de cette obligation peut porter atteinte au [Traduction] « droit des Autochtones de pratiquer sans discrimination des professions et des moyens de subsistance traditionnelsNote de bas de page 13. » L’OIT a demandé à ses membres de redoubler d’efforts pour éliminer la discrimination et promouvoir l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de profession pour les AutochtonesNote de bas de page 14.
Les enseignements présentés dans les rapports exhaustifs qui ont contribué à modifier le discours sur les droits des Autochtones au Canada devraient être à l’origine de la façon dont nous abordons la transformation du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Afin de réparer les séquelles des pensionnats pour Autochtones et de faire progresser la réconciliation canadienne, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a spécifiquement lancé un appel à l’action pour le secteur des entreprises au Canada :
Appel à l’action n° 92 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada :
Nous demandons au secteur des entreprises du Canada d’adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation et d’appliquer les normes et les principes qui s’y rattachent dans le cadre des politiques organisationnelles et des principales activités opérationnelles touchant les Autochtones, leurs terres et leurs ressources; les mesures demandées comprennent, mais sans s’y limiter, les suivantes :
- s’engager à tenir des consultations significatives, établir des relations respectueuses et obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones avant de lancer des projets de développement économique.
- veiller à ce que les peuples autochtones aient un accès équitable aux emplois, à la formation et aux possibilités de formation dans le secteur des entreprises et à ce que les collectivités autochtones retirent des avantages à long terme des projets de développement économique.
- donner aux cadres supérieurs et aux employés de l’information sur l’histoire des peuples autochtones, y compris en ce qui touche l’histoire et les séquelles des pensionnats, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les traités et les droits des autochtones, le droit autochtone et les relations entre la Couronne et les Autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme.
Cet appel à l’action, et son invocation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comme cadre à appliquer, axent les travaux de notre groupe de travail sur l’équité en matière d’emploi. C’est le fondement de la façon possible de repenser le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, à la suite de véritables consultations avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Terminologie et Loi sur l’équité en matière d’emploi
La Loi sur l’équité en matière d’emploi utilise le terme « peuples autochtones », qui définit les « Indiens, Inuits ou Métis ». C’est le libellé utilisé et défini au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, la Cour suprême du Canada a précisé que la référence au terme « Indien » ou « Indiens » au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, dans ses contextes historiques, philosophiques et linguistiques, « englobe tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non-inscrits et les MétisNote de bas de page 15. » La Cour suprême du Canada a également reconnu que le terme « Indiens » a été « créé par les colons européens et appliqué aux peuples autochtones du Canada sans qu’aucune distinction ne soit faite entre euxNote de bas de page 16. » Il existe une obligation de remédier aux préjudices causés par la « colonisation interne », terme utilisé pour inclure le concept de « génocide culturel » de la Commission de vérité et réconciliation, afin de reconnaître que les pratiques relèvent de la compétence canadienneNote de bas de page 17. L’obligation s’applique à tous les peuples et à toutes les personnes autochtones, y compris les personnes « [qui ne sont plus] acceptées par leurs collectivités parce qu’elles auraient été séparées en raison, par exemple, de politiques gouvernementales comme celle relative aux pensionnats indiensNote de bas de page 18. »
L’entrée en vigueur de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, L.C. 2021, ch. 14 (LDNUDPA) met de l’avant la question de l’autodétermination des Autochtones, conformément aux paragraphes 33(1) et (2) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 (DNUDPA).
Étant donné qu’il est important de réactualiser la terminologie de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, le groupe de travail recommande que le terme « Autochtones » soit adopté et qu’il soit fondé sur les distinctions, c’est-à-dire qu’il identifie spécifiquement les Premières Nations, les Métis et les Inuits. La terminologie réactualisée devrait énoncer clairement tous les peuples autochtones du Canada visés par la constitution canadienne. Un renvoi précis à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 serait souhaitable.
Recommandation 3.3 : Le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait adopter le terme « travailleurs autochtones » tout en établissant une distinction entre les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Recommandation 3.4 : La Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait préciser que son utilisation du terme « travailleurs autochtones » établit une distinction entre les Premières Nations, les Métis et les Inuits, conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Remarque concernant les statistiques sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits
« La qualité et la fiabilité des données relatives à la population autochtone sont généralement élevées au Canada par rapport aux autres pays de l’OCDE ayant une population autochtone, et s’appuient sur des définitions cohérentes et donc comparables des groupes autochtones. La dépendance à l’égard du recensement national et d’enquêtes spécifiques sur la population a toutefois empêché de mieux comprendre la situation des entreprises et des communautés autochtones. »
Stratégie économique nationale pour les Autochtones au Canada, juin 2022, à la page 39
Des données exactes sont essentielles pour s’assurer que les Premières Nations, les Inuits et les Métis bénéficient de l’équité en matière d’emploi. En 2019, l’OCDE a exhorté les communautés et institutions autochtones à participer à la prise de décisions concernant la collecte continue de données. Pour des raisons de souveraineté des données qui relèvent des principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession (PCAP) des Premières Nations, les enquêtes sur la population active canadienne ne sont pas recueillies dans les réserves.
Des initiatives sont en cours pour nous orienter vers une gouvernance des données et une justice fondées sur les données qui reposent sur la consultation. Parmi ces initiatives, notons l’Anti-Racism Act de la Colombie-Britannique (dont il est question au chapitre 2), qui met au premier plan, à juste titre, les consultations et la collaboration avec les communautés des Premières Nations et des Métis.
Les principes de PCAP® affirment que les Premières Nations sont les seules à contrôler les processus de collecte de données dans leurs communautés, et qu’elles possèdent et contrôlent la manière dont ces informations peuvent être stockées, interprétées, utilisées ou partagées.
Propriété réfère à la relation que les Premières Nations entretiennent avec leur savoir culturel et les données et renseignements les concernant. Selon ce principe, une collectivité ou un groupe est collectivement propriétaire de l’information, à l’instar d’un individu qui est naturellement propriétaire de ses renseignements personnels.
Contrôle exprime que les Premières Nations, leurs collectivités et les organismes qui les représentent ont le droit d’exiger le contrôle de l’intégralité de la recherche et des processus de gestion de l’information les concernant. Le contrôle de la recherche peut comprendre toutes les étapes d’un projet, du début à la fin. Le principe s’étend au contrôle des ressources et des processus d’examen, au processus de planification, à la gestion de l’information, etc.
Accès affirme que, quel que soit l’endroit où se trouvent des renseignements et données concernant les Premières Nations et leurs collectivités, celles-ci doivent y avoir accès. Ce principe confirme également le droit des collectivités et des organisations des Premières Nations de prendre des décisions concernant l’accès à leur information collective et la gestion de cet accès. Cela peut être réalisé, en pratique, par des protocoles normalisés et formels.
La possession est un principe plus concret que la propriété, qui définit la relation qui existe entre un peuple et l’information le concernant. Elle fait référence au contrôle physique des données. La « possession » est le mécanisme permettant de faire valoir et de protéger la propriété.
Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations
Selon ce que nous avons entendu, l’écart dans les données donne l’impression qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, ce qui permettrait ensuite de justifier le recours aux travailleurs migrants. Le groupe de travail exhorte le gouvernement fédéral à accorder la priorité à la tenue de consultations véritables de gouvernement à gouvernement avec les Autochtones concernant l’écart dans les données sur l’information sur le marché du travail, notamment dans les réserves, écart qui découle de problèmes non résolus de souveraineté des données.
Recommandation 3.5 : Le gouvernement fédéral devrait accorder la priorité à la tenue de consultations véritables, conformément au droit à l’autodétermination des Premières Nations, des Métis et des Inuits, afin de chercher à résoudre les questions liées à la souveraineté des données et de corriger les écarts de données concernant l’information sur le marché du travail dans les réserves.
Les données du Recensement de 2021 confirment que les jeunes métis, inuits et des Premières Nations constituent la population de jeunes qui croît le plus rapidement. Vous trouverez ci-dessous les données démographiques les plus récentes du Recensement de 2021, qui montrent le pourcentage de la population totale des Premières Nations, des Métis et des Inuits par rapport à l’ensemble de la population du Canada, ainsi que les niveaux de scolarité correspondants :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Plus haut certificat, diplôme ou grade | Population totale | Population autochtone | Population non autochtone |
---|---|---|---|
Aucun certificat, diplôme ou grade | 30,24 % | 45,66 % | 29,13 % |
Certificat, diplôme ou grade d’études postsecondaires | 69,76 % | 54,34 % | 70,87 % |
Diplôme d’études secondaires ou attestation d’équivalence | 40,03 % | 38,95 % | 40,11 % |
Certificat ou diplôme d’apprenti ou d’école de métiers | 3,58 % | 3,44 % | 3,59 % |
Certificat ou diplôme d’un collège, d’un cégep ou d’un autre établissement non universitaire | 11,84 % | 7,49 % | 12,16 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire | 14,30 % | 4,47 % | 15,01 % |
Certificat ou diplôme universitaire inférieur au niveau du baccalauréat | 1,65 % | 0,76 % | 1,72 % |
Baccalauréat ou certificat ou diplôme universitaire supérieur au baccalauréat | 12,65 % | 3,70 % | 13,30 % |
Baccalauréat | 10,94 % | 3,33 % | 11,49 % |
Certificat ou diplôme universitaire supérieur au baccalauréat | 0,61 % | 0,14 % | 0,65 % |
Diplôme en médecine, en médecine dentaire, en médecine vétérinaire ou en optométrie | 0,11 % | 0,02 % | 0,12 % |
Maîtrise | 0,96 % | 0,19 % | 1,02 % |
Doctorat acquis | 0,02 % | 0,01 % | 0,02 % |
- Source : EDSC, dirigeante principale des données, source : Recensement 2021, LAB 68-69.
Le Recensement de 2021 indique que le revenu d’emploi moyen à temps plein d’une année complète pour les membres des peuples des Premières Nations, inuits et métis titulaires d’un baccalauréat universitaire ou d’un grade supérieur était de 11,4 % inférieur à celui de la population non autochtone. L’écart était important dans tous les groupes d’âge. Alors que le revenu moyen des populations non autochtones du même groupe démographique était de 98 800 $, le revenu moyen était inférieur de 15 %, soit 83 900 $, pour les Premières Nations, et de 8,5 %, soit 90 400 $, pour les Métis. En ce qui concerne les Inuks et les Inuits, le revenu était légèrement plus élevé, soit 2,6 % ou 101 400 $.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Identité autochtone | Revenu d’emploi moyen ($) Total – Sexe | Revenu d’emploi moyen ($) Hommes+ | Revenu d’emploi moyen ($) Femmes+ |
---|---|---|---|
Total – Identité autochtone | 98 500 | 114 000 | 83 600 |
Autochtones | 87 500 | 100 500 | 80 400 |
Premières Nations – Identité unique | 83 900 | 95 600 | 78 500 |
Métis – identité unique | 90 400 | 104 400 | 81 600 |
Inuk (Inuit) – Identité unique | 101 400 | 106 800 | 99 000 |
Réponses multiples | 83 000 | 97 200 | 76 600 |
Identités autochtones, non incluses ailleurs | 94 800 | 106 800 | 86 800 |
Non autochtones | 98 800 | 114 200 | 83 700 |
- Source : EDSC, dirigeante principale des données, 2022, source : Recensement 2021, LAB 120.
S’appuyant sur un modèle holistique d’apprentissage continu, le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations a préparé une enquête transversale qui mesure le développement de la petite enfance, l’éducation et l’emploi chez les enfants, les jeunes et les adultes des Premières Nations vivant dans les réserves des Premières Nations et les collectivités du Nord. Le modèle de base valorise les sources et les domaines du savoir qui comprennent un monde de personnes, y compris le soi, la famille, les ancêtres, le clan et la communauté, et représente la coexistence des connaissances autochtones avec les connaissances occidentales. Le modèle reconnaît l’apprentissage tout au long de la vie comme un parcours à travers les étapes de la vie qui comprend la maison, la communauté, l’école, la terre ainsi que le lieu de travail. Il englobe quatre dimensions du développement personnel, c’est-à-dire les dimensions spirituelle, émotionnelle, physique et mentale par lesquelles l’apprentissage est vécu. Le modèle englobe aussi le bien-être de la communauté, en mettant l’accent sur les conditions sociales, économiques, spirituelles et politiques qui influent sur le processus d’apprentissage ou qui sont influencées par celui‑ciNote de bas de page 19.
Les résultats du Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations concernant l’emploi ont été mis en contexte et portaient souvent sur le travail saisonnier dans les collectivités rurales ou isolées des Premières Nations. Les résultats ne comprenaient pas le travail traditionnel qui contribue à l’économie locale, mais qui n’est pas rémunéré, comme la chasse, la pêche ou les soins prodigués aux enfants et aux Aînés. À la lumière de ces paramètres, l’enquête a révélé ce qui suit :
- près de la moitié des adultes des Premières Nations travaillaient au moment de l’enquête (hommes, 44,9 %; femmes, 44,5 %), et près des deux tiers de ceux âgés de 40 à 49 ans travaillaient.
- les gouvernements et les organisations des Premières Nations étaient les principaux employeurs d’adultes (et de jeunes) des Premières Nations dans les collectivités des Premières Nations.
- les principaux secteurs d’emploi des adultes des Premières Nations étaient les suivants :
- les gouvernements ou les organisations des Premières Nations (40,5 %)
- les services d’éducation (9,8 %)
- l’agriculture, la foresterie, la pêche et la chasse; l’extraction minière, l’exploitation de carrières et l’extraction de pétrole et de gaz, ainsi que les services publics (8,1 %)
- les soins de santé et l’assistance sociale, ainsi que l’administration publique (7,7 %), et
- la construction (7,5 %).
- D’un point de vue professionnel,
- 22,6 % occupaient un emploi d’ouvrier,
- 19,3 % occupaient des emplois professionnels ou techniques,
- 17,1 % étaient gestionnaires et administrateurs, ou cadres supérieurs.
- Les employés des services personnels et de protection représentaient 14,8 % des travailleurs, et le personnel de bureau ou de secrétariat, 10,4 %.
- Alors que la plupart travaillaient à temps plein, une proportion importante d’entre eux travaillaient moins de 30 heures par semaine dans leur emploi principal, la raison étant le manque de possibilités pour le tiers d’entre eux, et le fait de devoir prodiguer des soins à d’autres personnes pour le reste des travailleurs.
- L’enquête a révélé que 22,1 % de ceux qui travaillaient avaient un emploi principal situé à l’extérieur d’une Première Nation. Les raisons étant les suivantes, selon une variabilité d’échantillonnage élevée :
- le manque d’emplois dans la collectivité (51,7 %);
- les salaires plus élevés (38,7 %);
- la sécurité d’emploi (6,2 %); ou
- les avantages et les services offerts, comme les services de garde sur place, la proximité d’écoles pour enfants ou les régimes de retraite (3,4 %).
- Il est important de noter que l’enquête a également permis de cerner les principales raisons pour lesquelles les adultes des Premières Nations ont choisi de travailler au sein d’une collectivité des Premières Nations, notamment :
- rester proches de leur famille (29,4 %);
- redonner à la collectivité (22,9 %);
- pour des raisons financières (17,6 %);
- renforcer les capacités dans les collectivités (14,8 %);
- rester en contact avec leur culture, leur langue et leurs traditions (8,7 %);
- créer des possibilités pour les autres (3,7 %); et
- autres raisons (2,9 %)Note de bas de page 20.
Le rapport soulignait l’importance des gouvernements et des organisations des Premières Nations en tant qu’employeurs du secteur public, mais déplorait entre autres le manque de possibilités d’emploi pour les collectivités des Premières Nations et les répercussions de la migration en dehors des réserves. Il demandait aux décideurs d’accorder une attention particulière aux obstacles à l’emploi à l’intérieur et à l’extérieur des collectivités des Premières Nations, ainsi qu’à l’amélioration du climat d’investissement afin de favoriser les possibilités d’emploiNote de bas de page 21.
Le rapport apporte des nuances concernant le lien entre les expériences de travail et le bien-être en expliquant que les milieux de travail qui ne comprennent pas et ne respectent pas les cultures des Premières Nations peuvent être la cause d’un manque de confiance et de ressentiment chez les employés des Premières Nations et ainsi miner leur bien-être. Le rapport a souligné [Traduction] l’« association positive » qui existe entre la langue, la culture et les traditions dans les collectivités et le bien-être des Premières Nations et l’emploi potentielNote de bas de page 22.
Selon le Recensement de 2021, 70 545 Inuits vivaient au Canada, dont 69 % dans l’Inuit Nunangat. Selon le Recensement de 2016, l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2017 publiée en 2019 a révélé que plus de la moitié (52 %) des Inuits âgés de 15 ans et plus occupaient un emploi (53 % pour les femmes et 51 % pour les hommes). De ce nombre, 79 % occupaient un emploi permanent, tandis que 21 % travaillaient à temps partiel. L’Enquête auprès des peuples autochtones s’est penchée plus particulièrement sur l’économie fondée sur les ressources, et faisait entre autres état des contributions au-delà de l’économie basée sur les salaires. L’économie mixte de l’Inuit Nunangat qui repose sur les « moyens de subsistance » est importante et ne devrait pas être considérée comme une dichotomie, soit le travail et le non-travail. L’enquête comprenait des questions qui visaient à déterminer si les répondants participaient à des activités comme la chasse, la pêche, le piégeage, la cueillette de plantes sauvages, la confection de vêtements, de chaussures et de bijoux, et la réalisation de sculptures, de dessins, etc. L’enquête comprenait aussi des questions visant à connaître les raisons de la participation à ces activités. Les résultats du sondage montrent que 85 % des Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat participent à au moins une de ces activités et que ceux qui y participent le font souvent. Les raisons sont nombreuses; pour 29 % d’entre eux, ces activités visent à compléter leur revenu.
Il est important de souligner la place qu’occupent les jeunes dans ces statistiques. Les jeunes Autochtones sont d’importants nouveaux venus sur le marché du travail, y compris dans les collectivités rurales. Leur arrivée sur le marché du travail a des effets tant dans les collectivités rurales que dans les collectivités urbaines, en raison du pluralisme des régions rurales du Canada dont il est question au chapitre 1. La nature et la qualité des possibilités d’emploi offertes aux jeunes métis, inuits et des Premières Nations devraient être la priorité stratégique absolueNote de bas de page 23.
L’obligation de mener des consultations véritables et de bonne foi
[Traduction] Les lois nouvelles et révisées doivent être appuyées par des mécanismes solides de collaboration avec les gouvernements, les organisations et les peuples autochtones afin de prendre en considération les différents cas de figure en matière de compétence et les réalités opérationnelles. Elles doivent également être appuyées par des questions et des décisions sur la façon dont le gouvernement fédéral travaillera en étroite collaboration avec les Autochtones pour élaborer, appuyer et mettre en œuvre tout nouveau changement dans les lois applicables.
Association des femmes autochtones du Canada, rapport sur le projet présenté au GTELEME, 19 octobre 2022
Les décisions de la Cour suprême du Canada reconnaissent que le gouvernement canadien a une obligation de consulter et d’accommoder (c’est-à-dire d’adapter, d’harmoniser et de réconcilier) les intérêts des Premières Nations, des Métis et des Inuits lorsque les droits ancestraux sont en cause; l’obligation variera selon les circonstancesNote de bas de page 24. Bien que la Cour suprême du Canada ait élaboré des principes – qui vont de la consultation significative et de bonne foi qui vise à répondre de façon importante aux préoccupations des Autochtones dont les terres sont en cause, au consentement éclairé dans le cas de droits établis –, ces principes découlent du contexte particulier qui consiste à prouver l’existence des droits ancestraux au moyen de longs litiges; ils ne sont peut-être pas tout à fait appropriés pour appuyer [Traduction] « l’établissement négocié d’un ordre constitutionnel » pour l’autodétermination des AutochtonesNote de bas de page 25. Ces pratiques permettent toutefois de repenser les relations au-delà du cadre actuel de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Plus précisément, les Autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions concernant les questions susceptibles d’avoir une incidence sur leurs droits. Ce droit doit être exercé « par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures ». Ils ont également le droit « de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnellesNote de bas de page 26. »
Un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause « avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones » est le droit distinctif des Autochtones, défini à l’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Pour ce faire, le Canada doit entreprendre une consultation et une collaboration de bonne foi avec les Autochtones par l’entremise de leurs propres institutions représentatives afin d’obtenir ce consentement libre, préalable et éclairé.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, bien qu’il confirme les décisions de la Cour suprême du Canada, a recommandé que le Canada « devrait consulter les peuples autochtones pour [...] solliciter leur consentement libre, préalable et éclairé chaque fois que des lois ou des mesures peuvent avoir des conséquences pour leurs terres et leurs droitsNote de bas de page 27 ».
Cette approche fondée sur les droits pour la tenue de véritables consultations encadre la façon dont notre groupe de travail a participé aux approches transformatrices liées au cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Discussion sur l’auto-identification dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi
[Traduction] La question de savoir si l’auto-identification prévue par la Loi sur l’équité en matière d’emploi suffit est, sans aucun doute, un obstacle majeur qu’il faut surmonter [...] Bien qu’aujourd’hui de nombreux Autochtones reconnaissent que l’auto-identification est nécessaire, peu d’entre eux pensent qu’elle est suffisante.
Joshua Nichols et Aaron Mills, Rethinking the Relationship between Indigenous Rights and Employment Equity, article non publié présenté au GTELEME, 31 août 2022
[Traduction] L’identité autochtone n’est pas une approche universelle; elle devrait plutôt refléter plus fidèlement la fluidité de l’évolution de la relation entre les Autochtones et les colons et de l’évolution du contexte entourant cette relation, y compris la nature changeante des relations entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Chacun des groupes autochtones fondés sur les distinctions interprète l’identité de façon très différente
Carolyn Laude, conseillère en communications stratégiques, Cercle du savoir sur l’inclusion autochtone, « Being our Indigenous Selves: Redressing Indigenous Identity and Self-Identification in Colonial Spaces », document de travail sur l’auto-identification et l’identité autochtone préparé pour la sous-ministre Wilson, 3 juin 2022, à la page 18
La Loi sur l’équité en matière d’emploi repose sur la prémisse de l’auto-identification. Or, on constate de plus en plus que plusieurs demandent à ce qu’on prenne du reculNote de bas de page 28. Quelles sont les séquelles laissées par le colonialisme et la Loi sur les Indiens qui rendent le recours au seul processus d’auto-identification particulièrement difficile? Quelles sont les implications, pour l’auto-identification, d’une approche en matière d’identité autochtone qui est à la fois relationnelle, [Traduction] « activement vécue comme une renaissance » ainsi que [Traduction] « construite, façonnée et vécueNote de bas de page 29 »? De plus, une fois ce travail terminé, le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi peut-il contribuer à l’établissement de meilleurs processus qui [Traduction] « respectent l’autodétermination, les pratiques et les démarches des AutochtonesNote de bas de page 30 » à l’avenir?
Cela doit être énoncé dès le départ : la question de l’auto-identification des Autochtones ne peut être réglée qu’au moyen de consultations véritables avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Pour notre groupe de travail, il était évident que notre rôle ne peut être de résoudre une question qui fait légitimement l’objet de consultations véritables et du consentement libre, préalable et éclairé des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Notre objectif est de soulever des questions importantes qui ont une incidence sur la façon d’appliquer le paragraphe 9(2) de la Loi sur l’équité en matière d’emploi relativement à l’auto-identification des employés et le paragraphe 18(4) concernant les rapports de l’employeur sur les personnes qui se sont identifiées.
Notre groupe de travail a été informé que le gouvernement du Canada s’est expressément engagé à tenir des consultations étroites, en particulier sur la question de [Traduction] « l’acceptation par la collectivité, » compte tenu de la complexité de l’auto‑identificationNote de bas de page 31.
Le rapport offre une discussion sur quelques‑unes des principales questions qui ont été soulevées au cours de nos consultations, en portant une attention particulière aux obligations dont le Canada doit s’acquitter en vertu de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.La discussion s’enrichit du document de travail exceptionnel préparé par Carolyn Laude, conseillère en communications stratégiques mohawk, auprès de la sous-ministre Wilson, ainsi que de l’analyse pénétrante fournie par Josh Nichols et Aaron Mills. Par l’entremise de son secrétariat, le Groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi a également mené des consultations élargies et demandé aux principales organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits de lui soumettre des rapports afin de guider ses réflexions.
On nous a dit que, pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits, la question de l’auto-identification pourrait difficilement être plus urgente; c’est aussi une question douloureuse et épineuse. La question de l’auto-identification est profondément liée aux séquelles laissées par le colonialisme. De plus, la question de la fraude d’identité est désormais perçue comme un exercice particulièrement problématique d’un privilège dans un contexte de sous-représentation persistante des Autochtones dans la plupart des milieux de travail sous réglementation fédérale au Canada.
Pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits, le fait de devoir faire face à des individus non-autochtones qui revendiquent le statut d’Autochtone est blessant.
Ceux qui se présentent à tort comme des Autochtones peuvent ironiquement être favorisés parce qu’ils peuvent facilement « s’intégrer » ou « s’adapter » à un statu quo qui leur est déjà familier, pendant que les Premières Nations, les Métis et les Inuits continuent de faire face à des inégalités systémiques, y compris à des obstacles en milieu de travail. Le fait qu’un si grand nombre d’institutions publiques, y compris les universités, semblent s’être fiées uniquement à l’auto‑identification est de plus en plus critiqué et a donné lieu à d’importants examens des pratiques actuellesNote de bas de page 32. Quelles qu’en soient les raisons, l’éminente anthropologue Kanien’kehá :ka, Audra Simpson, explique l’enjeu avec véhémenceNote de bas de page 33 :
[Traduction] Dans ces cas, les Autochtones sont littéralement remplacés par des non‑Autochtones. Les répercussions de cela sont profondes. La perspective qui est censée être recherchée n’est pas obtenue. Les Autochtones ne sont pas représentés. En fait, les Blancs s’embauchent essentiellement eux-mêmes. Cela va continuer tant qu’il n’y aura pas un processus de vérification approprié auquel participent les Premières Nations, les Métis et les Inuits. C’est une mascarade, c’est une ruse. Et cela va continuer. Pour eux, il n’y a aucune raison pour que cela cesse. De toute évidence, le processus d’auto-identification est imprégné de graves lacunes éthiques et morales. À moins qu’il n’y ait une vérification et tant que les peuples autochtones ne seront pas considérés comme des collectivités politiques qui se gouvernent elles-mêmes et qui peuvent comprendre et communiquer leur appartenance aux autres, ces gens continueront de cocher des cases, de prendre de la place et de s’exprimer en notre nom.
Professeure Audra Simpson, salle de presse de CBC/Radio-Canada, au sujet des personnes qui se disent d’origine, 27 novembre 2022
Lors de ses consultations avec notre groupe de travail, le Ralliement national des Métis nous a également dit que le droit des gouvernements autochtones de déterminer eux-mêmes qui sont leurs citoyens, sans que le gouvernement fédéral empiète sur cette question, est étroitement lié à l’autonomie gouvernementale des Autochtones, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Ralliement national des Métis a précisé qu’il tient son propre registre et a exprimé des réserves quant aux démarches du gouvernement fédéral qui font de l’auto-identification une responsabilité de la Couronne. Il a également reconnu la préoccupation d’éviter la discrimination à l’égard des Autochtones pendant le processus d’embauche, étant donné que l’auto-identification en soi devrait être fondée sur le besoin de savoirNote de bas de page 34.
L’auto-identification dans la fonction publique fédérale
[Traduction] La réconciliation en interne avec les employés autochtones ne peut avoir lieu si les politiques de lutte contre le racisme ne sont pas également prises en compte [...] Afin de mieux promouvoir et appuyer la réconciliation dans l’ensemble du pays et de la société, il faut commencer au sein de notre propre demeure, au sein de la fonction publique.
Gina Wilson, sous-ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse et sous-ministre championne des employés fédéraux et femmes autochtones, présentation au GTELEME, 14 juin 2022
La plus grande séance de mobilisation du groupe de travail a été celle avec les employés autochtones de la fonction publique fédérale. Ces derniers ont insisté sur le fait que l’auto-identification est complexe et qu’elle pose des défis. Les participants à cette consultation et à d’autres consultations ont expliqué au groupe de travail que ce paradoxe douloureux est réel : en effet, il faut du courage pour s’auto-identifierNote de bas de page 35. De nombreux travailleurs autochtones nous ont fait part de leurs préoccupations au sujet de l’auto‑identification en tant que Premières Nations, Métis ou Inuits aux fins de l’équité en matière d’emploi. Conscients du poids des stéréotypes et de la discrimination, ils ont pris leur décision avec prudence. Un ancien employé fédéral hésitait à s’auto‑identifier comme membre des Premières Nations parce que son université le déclarait inadmissible à l’aide financière en présumant faussement, selon un stéréotype, que sa Première Nation financerait ses études. À cause de cette expérience, l’employé avait peur de s’auto-identifier dans le milieu de travail fédéral.
Ces réflexions faisaient écho à certaines des données statistiques présentées dans le rapport des Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones, qui, en 2017, ont noté, d’après leur analyse des groupes professionnels axés sur les sciences et des niveaux supérieurs du groupe Économique et services de sciences sociales, que les employés autochtones étaient promus à un taux inférieur (19,9 %) à ceux qui ne s’identifiaient pas comme Autochtones (25,4 %), mais ils affichaient un taux légèrement plus élevé de mutations latérales (25,2 %) que les employés qui ne s’identifiaient pas comme Autochtones (24,7 %)Note de bas de page 36.
« J’ai suivi toutes les étapes que l’on m’a dit de franchir, puis je me suis heurté au plafond de verre qui existe pour les Autochtones et plus moyen d’avancer. Il y a un moment où être étiqueté en tant qu’un employé autochtone devient un obstacle ». Participant au cercle de dialogue, Unis dans la diversité : une voie vers la réconciliation : Accueillir, respecter, appuyer et inclure pleinement les Autochtones dans la fonction publique fédérale.
Rapport final des Cercles interministériels sur la représentation des Autochtones, 4 décembre 2017
Nous assistons donc de nos jours à un mélange de cas de fraude d’identité par des non-Autochtones qui réclament un traitement préférentiel, pendant que les travailleurs métis, inuits ou des Premières Nations hésitent à s’auto-identifier par crainte de discrimination.
Bien qu’il soit urgent de s’attaquer au problème de l’auto-identification, les solutions sont loin d’être simples. Pour ce faire, il faut s’attaquer sérieusement aux séquelles laissées par le colonialisme.
Le Commissariat à la protection de la vie privée a offert quelques réflexions sur les régimes de vérification dans le contexte de la fonction publique. La vérification permettrait d’appuyer l’exactitude des renseignements personnels, mais son bien‑fondé dépendrait du contexte. Le Commissariat à la protection de la vie privée a ajouté que la vérification de l’auto-identification au titre de l’équité en matière d’emploi ne pourrait pas permettre la collecte de renseignements personnels autres que ceux nécessaires aux fins prévues. Il a demandé que tout régime de vérification systématique soit conçu après mûre réflexion et avec soin. Il estime que la nécessité et la responsabilité d’établir le régime devraient être prévues par la Loi sur l’équité en matière d’emploi Note de bas de page 37. Le Commissariat à la protection de la vie privée a recommandé que des consultations soient menées auprès des collectivités autochtones, en précisant que certaines d’entre elles souhaitent être les gardiennes des renseignements personnels des Autochtones.
Le gouvernement fédéral exige que tout candidat s’étant autodéclaré comme Autochtone remplisse le Formulaire d’affirmation de l’identité autochtone (formulaire en vigueur depuis le 1er novembre 2022, qui remplace le Formulaire d’affirmation d’affiliation autochtone) lorsque l’une des conditions suivantes s’applique :
- la zone de sélection est restreinte aux Autochtones;
- le besoin organisationnel est utilisé pour accroître la représentation des Autochtones; et
- un répertoire de candidats autochtones ou un programme d’emploi pour les étudiants approuvé par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada est utilisé à cette même fin.
La façon dont le Formulaire d’affirmation de l’identité autochtone est utilisé dans l’ensemble du gouvernement est la suivante : si l’une des conditions susmentionnées s’applique, le formulaire devient alors une condition d’emploi. Le gouvernement du Canada affirme que le formulaire a été élaboré à l’origine pour répondre aux préoccupations soulevées par les groupes autochtones et en consultation avec eux. Les gestionnaires et les spécialistes en ressources humaines savent qu’ils ne doivent pas demander aux postulants de prouver leurs origines autochtones, mais, s’ils ont des doutes, ils doivent consulter la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique du Canada.
Les risques sont nombreux. Une étude commandée par la sous-ministre championne des employés fédéraux et femmes autochtones, Gina Wilson, a présenté les préoccupations importantes que soulève un processus qui repose essentiellement sur la collecte de données exactes et complètes aux fins d’auto‑identification et dont l’objectif est de déterminer si la mise en œuvre des politiques et des programmes est efficace, mais qui ne tient pas compte de la façon dont le racisme systémique continue d’être présentNote de bas de page 38.
La sous-ministre Wilson s’est également exprimée, de façon poignante, sur le fonctionnement du racisme systémique :
[Traduction] Sans un cadre législatif et stratégique rigoureux d’équité en matière d’emploi appuyé par des ensembles de données désagrégées qui permettent aux gestionnaires de prendre part à des mesures de dotation fondées sur les distinctions et à des stratégies délibérées de correction des lacunes liées à l’équité en matière d’emploi dans le but de bien comprendre les Autochtones, l’auto-identification fondée sur la perception de soi peut, involontairement, renforcer des hypothèses erronées sur ce que signifie « être Autochtone », créer une perception du vol d’identité et de culture, et constituer une forme de colonialisme. Cela nous pousse également à réfléchir à la meilleure façon de redonner vie aux modes d’appartenance autochtones dans le cadre de l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, et à la façon de soutenir le bon travail qu’accomplissent les nations autochtones pour renforcer les efforts qu’elles déploient relativement à la citoyenneté et à l’autodétermination, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Une approche antiraciste de cette nature peut nous aider à faire le point et à modifier les politiques et lois fédérales relatives à l’équité en matière d’emploi et ainsi nous permettre de nous assurer qu’elles ne produisent pas d’effets racistes dans la fonction publique.
Gina Wilson, sous-ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse et sous‑ministre championne des employés fédéraux et femmes autochtones, dans une lettre présentée à la présidente et à la vice-présidente du GTELEME, 14 juin 2022
Les représentants de 2 Spirits in Motion ont également souligné à quel point il est important d’éviter une sous-représentation des données et de saisir fidèlement l’identité de genre au sein des collectivités autochtones, en précisant que des discussions sont en coursNote de bas de page 39. Les représentants d’Échanges racines canadiennes voulaient s’assurer que les obstacles auxquels se heurtent les jeunes Autochtones – la population qui connaît la croissance la plus rapide au Canada – seraient mieux étudiés à l’avenirNote de bas de page 40. Il faut continuer de porter une attention aux écarts qui existent entre les zones urbaines et les zones rurales; les expériences d’auto-identification que vivent les Noirs autochtones ou les membres des communautés 2ELGBTQI+ nécessitent également une attention particulière.
[Traduction] Il faut adopter une approche intersectionnelle fondée sur les droits afin de reconnaître la diversité des expériences vécues par les Autochtones et de s’attaquer de manière significative aux obstacles intersectionnels auxquels les Autochtones vivant en milieu urbain continuent de faire face.
Association nationale des centres d’amitié, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, octobre 2022, à la page 11
Prenons, par exemple, la nouvelle question que Statistique Canada a ajoutée à l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2017 après avoir consulté des organisations métisses. Cette question demande aux répondants s’ils « [ont] une carte ou un certificat délivré par un organisme métis provincial qui [les] identifie comme Métis? ». Statistique Canada a indiqué que 45 % de ceux qui se sont auto-identifiés comme Métis ont répondu qu’ils avaient une carte ou un certificat délivré par un organisme métis.
Les membres des réseaux des employés autochtones au gouvernement fédéral ont exprimé un éventail de points de vue sur l’expérience d’être soumis à ce qu’ils perçoivent comme un double processus d’auto‑identification. Un document de discussion provenant de la sous‑ministre Wilson tentait de cerner la complexité de l’auto‑identification notamment en se fondant sur différentes compréhensions de l’indigénéité.
[Traduction] « Les compréhensions divergentes de l’indigénéité peuvent rendre difficile l’élaboration d’un segment sur l’auto-identification. Pour certains employés, l’identité autochtone peut signifier le perlage ou la participation à des activités culturelles; pour d’autres, c’est le fait de vivre selon les enseignements et les cérémonies des Aînés. Les [Traduction] “Autochtones de convenance” (idée inventée par Arthur Manuel) adhèrent fortement aux valeurs et aux croyances eurocentriques, mais revendiquent l’identité autochtone quand cela leur procure des avantages. Certains employés commencent seulement à s’éveiller à leur identité autochtone; enfin, d’autres sont des “prétendants” qui revendiquent l’identité autochtone fondée sur un ancêtre autochtone lointain et qui n’ont aucun lien avec la communauté, la parenté ou la culture. La formation d’une identité autochtone, du point de vue de l’auto-identification, devient alors plus complexe. »
Carolyn Laude, conseillère en communications stratégiques, Cercle du savoir sur l’inclusion autochtone, document de travail sur l’auto-identification et l’identité autochtone, préparé pour la sous-ministre Gina Wilson, 3 juin 2022, p. 9, renvoi 10.
Auto-identification et démantèlement de la colonisation interne
L’auto-identification prévue par la Loi sur l’équité en matière d’emploi doit être comprise dans un contexte où le gouvernement du Canada a la responsabilité de démanteler la colonisation interne au moyen d’un processus de réconciliation en évolution qui prévoit de retirer la discrimination fondée sur le sexe de la Loi sur les IndiensNote de bas de page 41. L’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP)Note de bas de page 42 a protégé les décisions ou les mesures prises en application de la Loi sur les Indiens de 1977 jusqu’à 2008, année où cette disposition a été abrogée. Lorsque cette disposition a été abrogée, une disposition interprétative a été adoptée pour indiquer clairement que si une plainte est déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l’endroit d’un gouvernement des Premières Nations pour la façon dont celui-ci a appliqué la Loi sur les Indiens, la LCDP doit être « interprétée et appliquée » de manière « à tenir compte » des traditions juridiques et des lois coutumières des Premières Nations. La disposition faisait mention plus particulièrement de l’équilibre entre les droits et les intérêts individuels et les droits et les intérêts collectifs, « dans la mesure où [ils] sont compatibles avec le principe de l’égalité entre les sexesNote de bas de page 43. »
Le paragraphe 17(1) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones s’applique à la fois aux personnes et aux peuples autochtones. Il prévoit que les deux « ont le droit de jouir pleinement de tous les droits établis par le droit du travail international et national applicable ». Le paragraphe 17(3) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est l’une des dispositions qui s’appliquent spécifiquement aux Autochtones. Il prévoit que « [l]es autochtones ont le droit de n’être soumis à aucune condition de travail discriminatoire, notamment en matière d’emploi ou de rémunération ».
Les Premières Nations, les Métis et les Inuits ne forment pas seulement un groupe d’équité en matière d’emploi aux fins de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Ils ont également des droits collectifs en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Couronne a des obligations envers les collectivités et les personnes en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Pour Nichols et Mills, les dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploi concernant l’auto-identification ne sont pas en contradiction avec le concept de droit collectif à l’autodétermination prévu par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ou avec les droits ancestraux et issus de traités prévus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils estiment que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît le droit des peuples autochtones de déterminer leurs propres appartenance et identité au sein de leurs institutions, en tant que droit collectif. Ils soutiennent également que le droit collectif ne peut pas déterminer la relation entre les Autochtones et l’ÉtatNote de bas de page 44. Leur préoccupation est claire : ils veulent s’assurer que le gouvernement fédéral reconnaît sa responsabilité envers les Autochtones qui, pour des raisons indissociables de la colonisation interne comme les pensionnats pour Autochtones, sont non-inscrits et qui n’ont peut-être plus de liens avec une nation en particulier, mais qui ont le droit d’avoir des opportunités d’emploi, et qu’il soit tenu de s’acquitter de cette responsabilité. En raison de la crise extrêmement problématique et épineuse causée par les demandes frauduleuses de statut d’Autochtone, Nichols et Mills demandent aux décideurs d’examiner avec rigueur les responsabilités de la Couronne envers tous les Autochtones.
Le Tribunal canadien des droits de la personne a adopté une approche similaire dans son application du principe de Jordan à l’endroit des enfants des Premières Nations qui ont le droit de recevoir des services et des mesures de soutien. Il a estimé qu’il y avait une « différence importante » entre déterminer qui est citoyen d’une Première Nation et déterminer qui a le droit de recevoir des services en application du principe de Jordan. Le Tribunal a pourtant reconnu que « certaines Premières Nations [...] sont préoccupées, car elles considèrent que les deux questions sont étroitement liées ». Le groupe d’experts a examiné les préoccupations et utilisé l’expression « critères d’admissibilité [...] aux fins de l’application du principe de Jordan ». En utilisant cette expression, le groupe d’experts cherchait sciemment à éviter tout malentendu; c’est-à-dire qu’il n’a pas délibérément tenté de définir qui est un enfant des Premières Nations à quelque fin autre que celle de l’admissibilité aux services offerts en application du principe de JordanNote de bas de page 45. Une distinction comparable est-elle concevable aux fins de l’auto-identification prévue par la Loi sur l’équité en matière d’emploi?
Article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
- Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones d’obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l’État dans lequel ils vivent.
- Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures.
Article 9 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. Aucune discrimination, quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit.
Nichols et Mills indiquent que, outre « l’auto-identification » comme point de départ, il existe trois conditions possibles, qui sont loin d’être simples. Deux d’entre elles sont habituellement invoquées et ont été appliquées dans la jurisprudence dans certains cas, soit la descendance en ligne directe et la reconnaissance ou l’acceptation par la communauté. Nichols et Mills ajoutent une autre condition à l’appartenance, c’est-à-dire les réseaux de parenté autochtones, qui sont axés davantage sur les liens de parenté que sur la descendance en ligne directe ainsi que sur la compréhension intrinsèque du droit autochtone et de la complexité de son application entre les différentes nations. En préférant cette approche à l’acceptation par la communauté, étant donné qu’elle risque de permettre de refuser des droits aux Autochtones non-inscrits, Nichols et Mills soutiennent qu’[Traduction] « il est difficile d’envisager un effort sérieux de réconciliation qui ne fasse pas référence au rôle impératif du droit autochtoneNote de bas de page 46. »
[Traduction] Honorer les Aînés en pratiquant le droit dans un contexte axé sur les relations peut nous aider à régler les questions liées à l’expression et à l’appropriation autochtones de manière à faire progresser les lois des Autochtones.
John Borrows, Voicing Identity: Cultural Appropriation and Indigenous Issues (Presses de l’Université de Toronto, 2022), à la page 4
Chaque approche comporte des défis, mais il y a aussi un vent d’optimisme qui souffle, comme en témoigne l’insistance à vouloir repenser l’auto-identification à l’aide de processus qui permettent de rebâtir intentionnellement, tout en prenant les ordres et traditions juridiques autochtones particulièrement au sérieuxNote de bas de page 47.
C’est avec humilité que nous réaffirmons que ce n’est pas le rôle du groupe de travail de prétendre résoudre les choix. Dans le cadre du présent rapport, l’objectif a simplement été de poser comme principe que le statu quo n’est pas suffisant.
Mise en garde concernant le recours à l’auto-identification dans le secteur privé sous réglementation fédérale et dans le cadre du Programme de contrats fédéraux
Dans ce même esprit d’humilité, nous présentons aussi une mise en garde en ce qui a trait aux relations de travail : la détermination de l’auto‑identification des Premières Nations, des Métis et des peuples autochtones aux fins de l’équité en matière d’emploi devrait s’attaquer à la façon d’atténuer le pouvoir qui risque d’être conféré aux employeurs si, par la suite, ces derniers agissent à titre d’arbitre pour déterminer la façon dont l’identité autochtone doit être établie. Selon la plupart des études, ce sera le gouvernement fédéral, ou les grandes sociétés d’État, qui assumeront ces rôles, dans une perspective de relation significative de nation à nation (le gouvernement fédéral à la fois en tant qu’interlocuteur responsable des droits issus de traités et des droits des Autochtones et employeur dans le contexte du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi).
Les scandales de plus en plus fréquents au niveau universitaire ont élargi la perspective en ce qui concerne la détermination des employeurs (et des fournisseurs de services) possibles et la nature de leur responsabilité. L’Université Queen’s et l’Université de la Saskatchewan ont notamment fourni des modèles de rechange adaptés au contexte de leur établissement respectif et fondés sur de vastes consultations. Les deux rapports récents sur la lutte contre l’auto-identification frauduleuse dans les universités ont recommandé que les nations autochtones aient un rôle à jouer concernant les terres non cédées sur lesquelles elles se trouvent, et ont intégré la notion d’organes consultatifs.
La portée du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, y compris l’élargissement proposé afin de tenir compte d’un plus grand nombre de lieux de travail de plus petite taille et d’un champ d’application réduit du Programme de contrats fédéraux, risque de créer une multiplicité d’employeurs qui seront en mesure de prendre des décisions concernant l’inclusion des Autochtones. En vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, qui restreint la divulgation de l’auto-identification afin de protéger les employés, est-ce que le fait de confier à chaque employeur visé un mandat général de constituer des comités consultatifs serait suffisant? La possibilité que les employés métis, inuits et des Premières Nations soient assujettis à un examen interne ciblé par des institutions préoccupées par d’éventuelles plaintes en matière de réputation ou de droits de la personne n’est pas théorique.
Il est de plus en plus urgent de tenir de véritables consultations auprès des organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits afin de déterminer à quoi pourraient ressembler les ententes visant à résoudre ces questions dans le cadre de relations de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement. Chaque employeur devra peut‑être mettre simplement en œuvre des accords de reconnaissance ou des critères minimaux ainsi que des processus pour déterminer l’appartenance. Les processus qui assurent le contrôle, la surveillance et la vérification effectués par les organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits méritent un examen attentif.
Quelle que soit l’approche, nous ne devons pas répéter les préjudices coloniaux du passé. Nous demandons l’adoption d’une approche rigoureuse de décolonisation afin d’établir un cadre transformateur de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
C’est un principe clé.
Pour déterminer l’approche la plus appropriée pour éviter les demandes frauduleuses et régler la question du statut d’Autochtone en vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, il faut tenir des consultations véritables qui visent à obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
Recommandation 3.6 : La question de l’auto-identification des Autochtones aux fins de l’application du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait faire l’objet d’un processus urgent de consultations véritables au sens de la Constitution canadienne et de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
De la préférence des employés à l’autodétermination des Autochtones
Les nations autochtones affirment de plus en plus leur compétence et leurs droits inhérents en ce qui concerne les décisions relatives au développement de grands projets sur leurs territoires traditionnels. Cette affirmation a été motivée par la demande de reconnaissance du droit au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) et par d’importantes décisions de la Cour suprême qui ont ouvert la voie à une relation renouvelée.
L’autodétermination des Autochtones, reconnue à l’article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, est au cœur des stratégies économiques nationales des Autochtones au Canada. L’autonomie gouvernementale exige une base économique importanteNote de bas de page 48.
Une Stratégie économique pour les Autochtones au Canada a été élaborée en collaboration par des organisations autochtones à la suite d’une recommandation faite par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au gouvernement du CanadaNote de bas de page 49. La stratégie cerne les obstacles importants au développement économique des Autochtones dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci, qu’il s’agisse de la Loi sur les Indiens elle-même et de ses effets sur l’utilisation des terres et le régime foncier, de l’accès à des capitaux, de l’exclusion financière et du découragement qu’éprouvent les emprunteurs, ainsi que les approches novatrices dirigées par des Autochtones pour y remédier. Elle met également en évidence quelques exemples notables de sociétés de développement économique qui sont collectivement responsables de la création de plus de 12 000 emplois. La moitié des bénéfices après impôt réalisés par 61 % des sociétés de développement économique étudiées a été réinvestie dans les collectivités autochtones. La stratégie souligne le rôle des femmes autochtones dans plusieurs des projetsNote de bas de page 50.
Voici quelques-uns des énoncés stratégiques les plus pertinents pour les travaux du groupe de travail :
Énoncé stratégique | Appel à la prospérité économique |
---|---|
Population active : une main-d’œuvre autochtone hautement qualifiée, compétitive et de classe mondiale pour les marchés canadiens et mondiaux. | 22. Renforcer le soutien aux organisations qui se concentrent sur les compétences, l’emploi et la formation des Autochtones dans le domaine des affaires. |
Capital social : des approches proactives et significatives pour éradiquer le racisme systémique | 29. Encourager toutes les entités au Canada à établir des plans d’action de réconciliation qui sont mesurables et diffusés publiquement. |
Milieu de travail : Stratégies d’inclusion en milieu de travail pour les employeurs canadiens qui exploitent le potentiel des ressources humaines de tous les employés. | 30. Engager des conseillers autochtones pour aider les organisations autochtones et non autochtones à évaluer les pratiques et les stratégies en milieu de travail, à mesurer et à contrôler les stratégies d’inclusion en milieu de travail, à fournir une formation à l’inclusion en milieu de travail et à entreprendre un examen des systèmes de stratégies. |
31. Tous les employeurs publics et privés adoptent les appels à l’action pour la vérité et la réconciliation no 57 (éduquer les fonctionnaires sur l’histoire autochtone) et no 92 (adoption par le secteur privé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones). |
Ces énoncés stratégiques sur la « population » (lesquels portent entre autres sur les entrepreneurs autochtones, le leadership et la gouvernance, la population active et les marchés du travail, le capital social et le milieu de travail) font partie d’un ensemble complet représenté en forme de cercle, articulé autour de trois autres voies stratégiques, notamment les terres (souveraineté foncière, gestion des terres et gestion de l’environnement), les infrastructures (infrastructures civiles et institutionnelles, ainsi que les ressources financières) et les finances (sources de revenus, fonds de stimulation, approvisionnement et commerce).
La stratégie définit généralement des objectifs d’inclusion qui correspondent à l’objectif de l’équité en matière d’emploi. Les appels à l’intégration de stratégies proactives de main-d’œuvre à tous les niveaux de l’organisation, y compris la mise sur pied de stratégies de maintien en poste, la création de critères de mesure et l’établissement de parcours pour la formation, l’avancement et la promotion des employés autochtones, font écho au processus d’élimination des obstacles prévu par la Loi sur l’équité en matière d’emploi dont il est question au chapitre 4Note de bas de page 51.
Il y a également un appel pour que les entreprises élaborent, de bonne foi, des ententes en collaboration avec les Autochtones. Le gouvernement est encouragé à stimuler l’économie et à renforcer les capacités des Autochtones et des entreprises grâce à l’emploi et à la formation. Dans l’ensemble, il y a un appel à « faire preuve d’innovation et de créativitéNote de bas de page 52. »
Ces appels font écho à la recommandation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) selon laquelle il faudrait renforcer la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones du gouvernement fédéral établie en 1996 qui vise à remédier à la sous‑représentation des entreprises autochtones dans les marchés publics fédéraux afin d’établir des cibles contraignantes d’approvisionnement et de réserver des marchés publics fédéraux. L’OCDE note qu’à l’heure actuelle, les ministères qui achètent chaque année pour plus d’un million de dollars de biens et de services (y compris ceux liés à la construction) doivent établir leurs propres objectifs de rendement. Les cibles énoncées dans les accords de revendications territoriales sont déjà contraignantes. Bien que les multinationales qui participent aux projets miniers ou énergétiques aient tendance à adopter des ententes de partage des avantages, les données de l’OCDE montrent que la plupart des avantages se manifestent sous forme de création d’emplois directsNote de bas de page 53.
La perspective de recourir aux marchés publics pour atteindre les objectifs stratégiques industriels nationaux est bien compriseNote de bas de page 54. Le Canada a défini l’autonomisation économique des Autochtones comme étant une priorité, au moyen de clauses dans les accords commerciaux qui prévoient un traitement préférentiel dans le but de faire participer les Autochtones aux transactions économiquesNote de bas de page 55. S’appuyant sur les exigences de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones énoncées aux articles 23 et 32, la professeure Panezi soutient qu’en plus d’obtenir un consentement libre, préalable et éclairé concernant les plans d’autonomisation économique, le Canada devrait [Traduction] « mener périodiquement un examen rigoureux du régime d’approvisionnement autochtone au moyen de consultations avec les participants, les bénéficiaires et les dirigeants autochtonesNote de bas de page 56. » Précisons que la politique Nunavummi Nangminiqaqtunik Ikajuuti (NNI) relative à l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut offre l’un des [Traduction] « régimes d’approvisionnement autochtones les plus détaillés au Canada » et qu’elle démontre le genre d’orientation qu’un régime exhaustif d’approvisionnement social pourrait prendre pour promouvoir l’autonomisation économiqueNote de bas de page 57.
Les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis qui se sont présentés devant notre groupe de travail en même temps ont souligné l’importance de l’équité en matière d’emploi, mais ils ont également précisé à quel point les enjeux peuvent parfois sembler éloignés des nombreuses préoccupations urgentes liées au contexte de vérité et de réconciliation.
Une des préoccupations consistait à déterminer comment s’attaquer à certains des enjeux, afin de savoir pourquoi il y a un tel écart avec le savoir autochtone et de collaborer avec la terre et les gens. Plusieurs obstacles qui se dressent sans cesse doivent être éliminés.
Certains organismes fédéraux de financement de la recherche, dont le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), ont noté un changement de cadre, c’est-à-dire que les partenaires autochtones vont graduellement au-delà de la compréhension de soi en fonction d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi pour se tourner davantage vers des relations de nation à nation. Le CRSH a donc élaboré une stratégie de recherche autochtone distincte pour régir ses relations avec ses partenaires autochtones; cette stratégie vise à soutenir les priorités de recherche des Autochtones et la révision des critères d’évaluation du mérite. Les chercheurs doivent donc rendre des comptes aux collectivités autochtones, et les systèmes de connaissances des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont reconnus et contribuent à l’excellence dans les activités scientifiques et universitaires. La stratégie prévoit aussi des protocoles de gestion des donnéesNote de bas de page 58.
Notre groupe de travail jugeait qu’il est important de souligner tout l’effort nécessaire simplement pour maintenir la perspective selon laquelle l’équité en matière d’emploi, telle qu’on la comprend actuellement, constitue un cadre institutionnel suffisamment large pour aborder avec prudence les préoccupations cruciales pour les Autochtones.
Cependant, on nous a ensuite dit que, si les banques embauchaient des représentants inuits, métis et des Premières Nations au niveau de la haute direction, nous commencerions éventuellement à voir des mesures positives qui contribueraient à résoudre certains des problèmes auxquels sont confrontés les Premières Nations, les Inuits et les Métis quand vient le temps de recevoir des services financiers. Bien entendu, une meilleure représentation au sein des échelons supérieurs des entreprises de services de télécommunication pourrait accroître la sensibilisation à l’égard des besoins des personnes et des entreprises inuites, métisses et des Premières Nations qui dépendent de ce secteur et qui cherchent à y avoir accès. Une représentation appropriée des Premières Nations, des Inuits et des Métis au sein des échelons supérieurs du gouvernement fédéral pourrait également favoriser une transformation des relations entre la Couronne et les Autochtones au lieu de créer des niveaux multiples de marginalisation. Toutes ces préoccupations sont très importantes. Elles viennent justifier le genre de représentation pertinente et soutenue qui constitue l’essence même du cadre d’équité en matière d’emploi.
Cependant, pour ce qui est de l’avenir, le cadre est loin d’être suffisant en ce qui concerne les relations de la Couronne avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
L’article 7 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi offre une compréhension restreinte de la relation entre les Premières Nations, les Métis et les Inuits, et leurs terres. Il prévoit une « préférence à l’embauche » précise :
L’article 7 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi :
Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, l’employeur du secteur privé dont les activités sont principalement axées sur la promotion des intérêts des autochtones peut n’employer que des autochtones ou leur donner la préférence à l’embauche sauf si cette pratique est jugée discriminatoire sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Cette disposition était et demeure importante, bien qu’elle soit limitée. Elle ne traite cependant que superficiellement de ce que suppose le fait de prendre au sérieux les droits inhérents, les droits issus de traités, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Au mieux, l’article 7 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi peut servir de disposition pour prévoir la mise en œuvre d’un processus de véritables consultations de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement dans le but d’élaborer une approche transformatrice qui favorise l’autonomie gouvernementale des Autochtones.
Une vision plus forte est présentée dans les articles 20 et 21 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Article 20
- Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux, de disposer en toute sécurité de leurs propres moyens de subsistance et de développement et de se livrer librement à toutes leurs activités économiques, traditionnelles et autres.
- Les peuples autochtones privés de leurs moyens de subsistance et de développement ont droit à une indemnisation juste et équitable.
Article 21
- Les peuples autochtones ont droit, sans discrimination d’aucune sorte, à l’amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, de la formation et de la reconversion professionnelles, du logement, de l’assainissement, de la santé et de la sécurité sociale.
- Les États prennent des mesures efficaces et, selon qu’il conviendra, des mesures spéciales pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples autochtones. Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins particuliers des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones.
L’occasion unique qu’offrent les ententes sur les répercussions et les avantages
Certains territoires peuvent également être riches en ressources et faire l’objet d’importants intérêts miniers et forestiers, notamment les territoires où les droits ancestraux et les droits issus de traités des Premières Nations, des Métis ou des Inuits protégés par la constitution ont été reconnus; ceux qui font l’objet d’accords de revendications territoriales globales (signataires de traités modernes) négociés et signés; ceux où les revendications territoriales sont en suspens; ou ceux où les travailleurs autochtones prédominent.
Les ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) sont des ententes bilatérales négociées entre les sociétés minières et les Autochtones. Avec 335 ERA signées en 2015 pour plus de 198 projets miniers réalisés depuis 1974, ententes qui portent sur l’exploration par la remise en état, ces ERA constituent une partie importante d’un contexte qui comprend des investissements dans des projets, généralement miniers, axés sur les ressourcesNote de bas de page 59. Le gouvernement fédéral estime que les investissements s’élèveront à 650 millions de dollars d’ici 2024, et nombre des projets se dérouleront sur des terres autochtones ou à proximitéNote de bas de page 60.
Bien que les modalités de la plupart des ERA soient confidentielles, elles comprennent habituellement un éventail d’objectifs, y compris des dispositions concernant l’emploi pour permettre aux membres de la collectivité concernée inuite, métisse ou des Premières Nations de bénéficier de possibilités d’emploi et de formation sur une base préférentielleNote de bas de page 61. La trousse d’outils de l’ERA propose les éléments suivants concernant la préférence à l’embauche :
- des dispositions énonçant des objectifs et des jalons mesurables qui nécessitent l’embauche de membres de la communauté;
- des dispositions énonçant des cibles et des jalons mesurables qui soutiennent l’avancement des membres de la collectivité dans des postes plus qualifiés et mieux rémunérés;
- des dispositions énonçant des cibles et des jalons mesurables qui soutiennent le maintien en poste des membres de la collectivité dans l’effectif du projetNote de bas de page 62.
Les ERA ont de plus en plus comme objectif direct de procurer des avantages économiques plus vastes, y compris des redevances et des paiements directsNote de bas de page 63. Dans certains contextes, par exemple les mines de diamants dans les Territoires du Nord-Ouest, les niveaux d’emploi des Autochtones [Traduction] « ont été élevés par rapport aux normes nationales, bien qu’ils demeurent inférieurs à la disponibilité des Autochtones au sein de la population des T.N.-O., tout en se rapprochant des niveaux d’emploi cible dans les ententes socioéconomiquesNote de bas de page 64. » L’étude indiquait également que les travailleurs autochtones se trouvaient de façon disproportionnée parmi les travailleurs non qualifiés ou semi-qualifiés, et qu’ils occupaient rarement des postes de direction ou même des postes de professionnels. La mise en œuvre des ERA ne semblait pas viser à corriger des problèmes liés à l’éducation et à la formationNote de bas de page 65.
Les ERA sont également le résultat d’un accord sur les revendications territoriales globales signé par la Couronne avec les Premières Nations et les Inuits. En d’autres termes, les traités modernes peuvent exiger que les promoteurs d’un grand projet signent une ERA avec la Première Nation concernéeNote de bas de page 66.
Les ERA ont fait l’objet de discussions dans nombre de consultations menées par notre groupe de travail auprès de représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis. On nous a présenté des exemples de Premières Nations qui appliquent une approche en cascade à l’embauche préférentielle, en embauchant d’abord les membres de leur Première Nation, puis ceux d’autres Premières Nations, et enfin tous les autres Autochtones. Nous avons également appris que, dans certaines collectivités inuites, il y a une volonté d’embaucher uniquement des Inuits.
Notre groupe de travail a notamment rencontré des représentants de plusieurs signataires de traités modernes. Ces représentants ont expliqué que les pratiques d’embauche préférentielle sont importantes, car elles permettent d’assurer des niveaux élevés de dotation par les Premières Nations et les Inuits. On nous a parlé de l’importance que les nations accordent à l’objectif de fournir à leurs citoyens les compétences et la formation dont ils ont besoin pour réussir. Les nations ont également travaillé à réduire les répercussions des obstacles qui comprennent entre autres les normes d’embauche occidentales qui ne valorisent pas les modes de connaissance et de reconnaissance de l’expérience vécue des Autochtones.
Des représentants du gouvernement Tr’ondëk Hwëch’in ont souligné l’importance d’intégrer les valeurs des Premières Nations dans les politiques de ressources humaines et ont cité un cas où ils ont été en mesure de promouvoir un employé qui avait une éducation formelle limitée, mais qui possédait des connaissances et une expertise culturelle considérablesNote de bas de page 67.
Des représentants de l’Administration régionale Kativik – qui découle de la Convention de la Baie James et du Nord québécois signée en 1978 – ont fait remarquer que les signataires des ERA étaient beaucoup plus susceptibles d’embaucher des travailleurs inuits que les non-signataires, et qu’ils avaient des taux de roulement de personnel plus faibles. On nous a expliqué que l’Administration régionale Kativik aide à offrir une formation linguistique inuite et une formation interculturelle aux employeursNote de bas de page 68.
Le gouvernement fédéral qualifie les traités modernes de « réconciliation en action » et reconnaît que ceux‑ci doivent être mis en œuvre d’une manière qui respecte l’honneur de la Couronne et dans le respect absolu des droits ancestraux et des droits issus de traités tels qu’ils sont reconnus et confirmés au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Leur mise en œuvre doit être effectuée selon une approche pangouvernementale, laquelle devrait s’appliquer à la manière dont le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi est abordé et à sa transformation.
[Traduction] Le Conseil de Teslin Tlingit (CTT) embauche des employés autochtones et non autochtones. Il permet ainsi aux citoyens bien formés du CTT de travailler et de rester dans leur collectivité. Par conséquent, la préférence est accordée, dans la mesure du possible, aux citoyens du CTT qui postulent des emplois pour lesquels ils possèdent les compétences requises. D’autres postulants des Premières Nations auront aussi la priorité. Les postulants non autochtones qui possèdent les compétences requises sont encouragés à poser leur candidature aux postes annoncés.
Possibilités d’emploi, Conseil de Teslin Tlingit, signataire d’un traité moderne et d’une entente sur l’autonomie gouvernementale, 2022
Le groupe de travail a entendu plusieurs exemples importants de traités modernes qui s’attaquent aux questions d’équité en matière d’emploi et qui visent plus particulièrement à atteindre l’objectif de s’assurer que les citoyens des nations autochtones participent en grand nombre au marché du travail – y compris les membres d’autres groupes visés par l’équité en matière d’emploi, dont les femmes autochtones, les personnes autochtones handicapées et les Autochtones bispirituels et membres de la communauté 2ELGBTQI+ - et à fournir les compétences et la formation nécessaires pour réussir.
À titre d’exemple, l’accord définitif du gouvernement de Nisga’a Lisims de 2000, soit le premier traité moderne en Colombie‑Britannique, fait référence entre autres à l’amélioration de l’employabilité ou à la création de nouvelles possibilités d’emploi. En effet, pendant la pandémie de COVID‑19, le gouvernement Nisga’a Lisims a eu de la difficulté à recruter et à maintenir en poste des employés. Le développement de la capacité des citoyens de Nisga’a sur ses propres terres constitue donc une priorité. La migration vers le territoire par des personnes qui ne sont pas des citoyens Nisga’a augmente les pressions sur les ressources, ainsi que sur les logements, lesquels sont en nombre limité.
Le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi peut-il appuyer la promotion de l’emploi par l’intermédiaire d’ERA et, plus précisément, remédier à certains des problèmes qui sont liés à la capacité et qui empêchent certaines Premières Nations de tirer pleinement parti des dispositions se rapportant aux ERANote de bas de page 69? Des chercheurs estiment qu’il est possible d’envisager l’imposition d’exigences réglementées par le secteur public à certaines industries pour assurer un niveau de droits liés à l’emploi et aux conditions socioéconomiques pour les Autochtones dans le cadre d’importants investissements des entreprisesNote de bas de page 70.
Notre groupe de travail pense qu’il est temps de s’appuyer sur le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi pour étayer cette réflexion plus transformatrice au sujet du changement des relations.
Nous affirmons de nouveau que des consultations véritables et de bonne foi avec les Autochtones sont primordiales. Le groupe de travail comprend que son rôle est limité, c’est-à-dire qu’il consiste à mettre certaines des questions à l’avant-plan et à proposer des suggestions qui constituerait le début d’un cadre d’échange exploratoire.
De toute évidence, l’article 7 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi ne rend que très peu compte de ce que suppose l’adoption, selon le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, d’une relation constitutionnelle de gouvernement à gouvernement. Notre recommandation globale est la suivante :
Recommandation 3.7 : L’article 7 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait être complété par un cadre qui favorise l’autodétermination des Autochtones et qui est élaboré en collaboration au moyen de véritables consultations afin d’obtenir un consentement libre, préalable et éclairé, conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et aux articles 18 à 21 et 26 à 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Recommandation 3.8 : Le cadre de transformation devrait comprendre des mesures particulières qui assurent l’amélioration continue des conditions économiques et sociales des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
Travailleurs handicapés et accessibilité dans le sillage de la Convention relative aux droits des personnes handicapées
Introduction
[Traduction] L’inclusion des personnes handicapées ne consiste pas uniquement à ajouter des personnes handicapées à la population active. Il s’agit d’un changement culturel qui donne la priorité à la création d’un environnement où chaque employé peut s’épanouir en réalisant son plein potentiel. C’est un état d’esprit qui valorise réellement la riche contribution de ceux qui ont diverses expériences vécues.
Yasmine Laroche, ancienne sous-ministre, Accessibilité dans la fonction publique, Globe and Mail, 12 juin 2022
[Traduction] L’un des domaines prioritaires de Personnes d’abord du Canada (PAC) est le travail et l’emploi. PAC applique également l’article 27 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Cet article prévoit que les personnes handicapées ont le même droit de travailler que les autres personnes. Elles ont donc également le droit de gagner leur vie grâce au travail qu’elles choisissent, dans un environnement ouvert et accessible à tous.
Personnes d’abord du Canada, Overcoming Barriers to Employment: A Review of the Employment Equity Act in Plain Language, mémoire présenté au GTELEME, 15 juin 2022, à la page 4
À l’échelle internationale, le Canada a « [reconnu] aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit au travail » dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Le Canada s’est engagé à prendre « toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privéeNote de bas de page 71. »
L’objectif de développement durable 8.5 des Nations Unies fixe une cible à atteindre par les États, d’ici 2030, soit celle de « parvenir au plein emploi productif et [de] garantir à toutes les femmes et à tous les hommes, y compris les jeunes et les personnes handicapées, un travail décent et un salaire égal pour un travail de valeur égale ». Le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations Unies a demandé au Canada de veiller à ce que les programmes d’équité en matière d’emploi soient mis en œuvre et qu’ils prévoient « l’allocation d’un financement à la promotion de l’emploi des personnes handicapées dans les secteurs public et privéNote de bas de page 72. »
Les données disponibles sur la sous-représentation des personnes handicapées sont éloquentes, et elles indiquent qu’il reste beaucoup à faire.
Notre groupe de travail conclut qu’il faut redéfinir le groupe d’équité en matière d’emploi pour les personnes handicapées. Des progrès sont attendus depuis longtemps. Nous devons mener des efforts concertés pour éliminer les obstacles afin de réaliser et de soutenir l’équité en matière d’emploi pour les travailleurs handicapés.
Au Canada, une personne sur cinq (22 %) âgée de 15 ans et plus avait au moins une incapacité en 2017, ce qui représente environ 6,2 millions de personnes. Le pourcentage était plus élevé (24 %) pour les femmes comparativement aux hommes (20 %). Parmi les adultes en âge de travailler âgés de 25 à 64 ans, 20 % avaient une incapacité. Dans ce groupe, les personnes ayant une incapacité étaient moins susceptibles d’occuper un emploi (59 %) que les personnes n’ayant aucune incapacité (80 %). Dans les nations autochtones, les taux d’invalidité dépassent 30 %.
Cette information est tirée de l’Enquête canadienne sur l’incapacité (ECI) de 2017 qui, selon Statistique Canada, est fondée depuis 2012 sur un modèle social de l’incapacité. Nous attendons la publication des données de l’ECI de 2022, qui comprend de nouvelles questions sur les obstacles à l’accessibilité.
Ce que nous savons, c’est que la prévalence de l’incapacité augmente avec l’âge et que l’incapacité chez les jeunes de 15 à 24 ans était principalement liée à la santé mentale.
Nous savons également que 76 % des personne en âge de travailler, âgées de 25 à 64 ans, qui n’avaient ni emploi ni scolarité et qui avaient une incapacité légère occupaient un emploi, comparativement à seulement 31 % des personnes caractérisées comme ayant une incapacité très grave. Si l’on examine la situation d’un œil critique, on constate que, parmi les personnes handicapées en général, 39 % ou 645 000 d’entre elles étaient prêtes et disposées à travailler, mais ne travaillaient pas actuellementNote de bas de page 73.
Essentiellement, les personnes ayant une incapacité étaient beaucoup moins susceptibles d’occuper un emploi (59 %) que les personnes sans incapacité (80 %).
On ne connaît pas encore très bien les répercussions de la pandémie sur les travailleurs handicapés, mais les études existantes font état d’effets négatifs importants. En août 2020, Statistique Canada a indiqué que plus du tiers des participants à l’enquête qui avaient un problème de santé de longue durée ou une incapacité et qui occupaient un emploi avant la pandémie ont déclaré avoir subi une perte d’emploi temporaire ou permanente ou une réduction des heures de travail pendant la pandémieNote de bas de page 74.
Une grande partie du défi que présente l’atteinte de l’équité en matière d’emploi consiste à transformer notre compréhension de l’incapacité.
[Traduction] « Au Canada, toutes les conditions sont réunies pour assurer la pleine mise en œuvre des obligations du gouvernement en vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, a conclu la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées lors de sa visite au Canada en 2019, mais [Traduction] « il faut en faire plus pour passer d’une approche axée sur l’aspect médical et les soins à une approche fondée sur les droits de la personneNote de bas de page 75. » Comme l’a recommandé la Rapporteuse spéciale des Nations Unies, cela exige [Traduction] « l’élimination des obstacles qui entravent la participation efficace et entière des personnes handicapées sur un pied d’égalité avec les autresNote de bas de page 76. »
Cette déclaration puissante fait écho aux nombreux mémoires présentés tout au long de nos consultations auprès des travailleurs handicapés et de leurs organisations de la société civile : l’égalité réelle est à portée de main, mais elle nécessite une transformation, notamment dans notre compréhension, notre mise en œuvre et notre application du cadre d’équité en matière d’emploi, ainsi que dans les consultations qui sont menées à cet égard.
L’importance de bien définir le handicap
Lorsque les personnes handicapées ont été incluses dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi en 1986, le terme a été défini comme suit dans le règlement d’application:
Les personnes atteintes d’une incapacité sont les personnes qui :
- souffrent d’une incapacité persistante d’ordre physique, mentale, psychiatrique ou sensorielle ou qui ont des difficultés d’apprentissage persistantes;
- se considèrent ou croient qu’un employeur ou employeur éventuel pourrait les considérer comme étant défavorisées sur le plan de l’emploi en raison de l’incapacité visée au sous-alinéa (i); et
- Aux fins de l’article 6 de la Loi, s’identifient auprès de l’employeur comme une personne ayant une incapacité ou acceptent que celui-ci les reconnaisse ainsi.
Malgré les progrès importants réalisés depuis lors, en ce qui a trait à la compréhension sociale du handicap, la définition actuelle n’a fait l’objet que d’une petite mise à jour depuis 1986 et elle figure maintenant dans le texte de la Loi sur l’équité en matière d’emploi:
personnes handicapées Les personnes qui ont une déficience durable ou récurrente soit de leurs capacités physiques, mentales ou sensorielles, soit d’ordre psychiatrique ou en matière d’apprentissage et:
- soit considèrent qu’elles ont des aptitudes réduites pour exercer un emploi;
- soit pensent qu’elles risquent d’être classées dans cette catégorie par leur employeur ou par d’éventuels employeurs en raison d’une telle déficience.
La présente définition vise également les personnes dont les limitations fonctionnelles liées à leur déficience font l’objet de mesures d’adaptation pour leur emploi ou dans leur lieu de travail.
La définition des personnes handicapées est distincte en ce qu’elle fait référence aux personnes qui ont fait l’objet de mesures d’adaptation dans leur emploi ou leur lieu de travail actuel.
Le choix de la définition est, de toute évidence, complexe. Les organismes œuvrant dans le domaine de l’accessibilité nous ont rappelé qu’il faut prendre du recul et que nous devons nous concentrer sur la façon dont le capacitisme structure les idées sur la norme. On nous a conseillé de repenser la norme et de réfléchir à la façon dont l’environnement – y compris l’environnement de travail – est réellement construit. Par exemple, pourquoi les escaliers constituent-ils la norme dans notre société, plutôt que les rampes d’accès?
Le groupe de travail a constamment entendu dire que la définition actuelle des personnes handicapées devait être mise à jour. La définition repose sur un modèle médical qui considère l’incapacité comme une déficience et qui n’établit pas de lien entre l’incapacité et les obstacles sociétaux. Ce modèle présente également l’incapacité de manière binaire et rigide, au lieu d’une manière plus nuancée et contextuelle. On nous a plutôt fortement encouragés à suivre le modèle sociétal émergent, lequel repose sur une vision de l’incapacité qui est fondée sur les droits de la personne.
[Traduction] Le langage façonne nos pensées et est essentiel à notre façon de percevoir le monde. Lorsque le public, le gouvernement et les employeurs parlent d’incapacité, d’accessibilité ou d’obstacles, ont-ils tous la même compréhension et s’appuient‑ils sur les mêmes concepts?
Conseil canadien de la réadaptation et du travail, Report: Review of accessibility-related legislation, regulations, and standards on employment in Canada, juillet 2021
Plusieurs citoyens ont fait valoir que la Loi sur l’équité en matière d’emploi doit cesser de se fonder sur un modèle médical du handicap et qu’elle doit plutôt s’appuyer sur un modèle qui tient compte du contexte social. Le modèle médical traite l’incapacité comme une déficience – c’est-à-dire que la définition se concentre sur la personne –, alors que le modèle social tient compte de la relation entre l’incapacité et les obstacles. Ce modèle met l’accent sur le rôle que joue la société dans la création de l’incapacitéNote de bas de page 77. Mettre en évidence les obstacles attire l’attention sur le travail à accomplir pour rendre la société et les milieux de travail accessibles. Il s’agit donc d’un modèle du handicap fondé sur les droits de la personne.
Il est cependant important de souligner que, même si la définition actuelle dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi diffère de celle du modèle social du handicap, elle contient un élément que le Conseil canadien de la réadaptation et du travail qualifie d’unique, c’est-à-dire qu’elle met l’accent sur l’autodéfinition. Certains considèrent l’autodéfinition comme une [Traduction] « amélioration », car elle laisse la capacité d’action entre les mains des personnes elles-mêmes.
Nous sommes d’avis que l’autodéfinition est importante. La difficulté réside dans le fait que l’autodéfinition consiste à déterminer si le travailleur « considère [qu’il a] des aptitudes réduites pour exercer un emploi [...] en raison d’une telle déficience » ou s’il pense qu’il « risqu[e] d’être class[é] dans cette catégorie par [un] employeur ». On nous a dit à maintes reprises que ce ne sont pas les bonnes questions.
L’autodéfinition devrait plutôt être fondée sur une définition que les personnes handicapées reconnaissent comme une définition qui confirme qu’elles sont, selon les termes du Comité des droits des personnes handicapées (CDPH), « une composante de la diversité et de la dignité humaines. »
Ce cadre ne doit pas être interprété comme un motif légitime de nier ou de restreindre les droits de la personne. Les lois et les politiques sont censées tenir compte de la diversité des personnes handicapéesNote de bas de page 78.
C’est dans ce même esprit que le présent rapport alterne entre une terminologie pour les « personnes handicapées » qui est reconnue à l’échelle internationale et qui tient compte d’abord des personnes, et une approche contemporaine fondée sur l’identité des « travailleurs handicapés », approche que nous ont fortement recommandée certaines des communautés concernées qui nous ont rencontrés, et les membres du groupe de travail qui ont une expérience vécue pertinente. Nous avons été mis au défi de [Traduction] « prononcer le mot "handicap", » de l’adopter et de le normaliserNote de bas de page 79.
Aux États-Unis, l’Americans with Disabilities Act of 1990Note de bas de page 80 a eu pour effet d’instaurer des exigences concernant la prise de mesures d’adaptation raisonnables à l’endroit des personnes handicapées qui ont un emploi. Cette loi a été modifiée sous l’administration du président Barack Obama au moyen de l’Americans with Disabilities Act Amendments Act de 2008Note de bas de page 81 afin de rejeter la jurisprudence qui en restreignait la portée et d’en élargir explicitement le champ d’application. Bien que la définition de base fondée sur l’incapacité n’ait pas été modifiée, l’Equal Employment Opportunity Commission (EEOC) a adopté des règlements d’application en matière d’emploi qui prévoient des mécanismes d’interprétationNote de bas de page 82. Il a adopté une approche fonctionnelle, selon laquelle l’incapacité peut ne pas être immuable, peut ne pas nécessairement être visible, et devrait être traitée d’une manière qui respecte l’autodétermination prônée par les mouvements de défense des droits des personnes handicapées. La responsabilité est ainsi passée de la personne handicapée à l’institution ayant la responsabilité de prendre des mesures d’adaptationNote de bas de page 83. Pourtant, Michael Stein, chercheur et défenseur des personnes handicapées à Harvard, a expliqué à notre groupe de travail que, de tous les domaines visés par l’Americans with Disabilities Act, le cadre législatif a été le moins efficace pour favoriser l’égalité en matière d’emploiNote de bas de page 84.
Le modèle fondé sur les droits de la personne est approuvé à l’échelle internationale, y compris par le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations Unies. Le CDPH fait état de taux de chômage élevés, de bas salaires, d’instabilité, de défis liés à l’embauche et d’environnements de travail inaccessibles, et reconnaît les nouveaux obstacles possibles attribuables à l’intelligence artificielle et aux nouvelles technologies. Il estime que le capacitisme, plus particulièrement, peut faire obstacle à la capacité des États, comme le Canada, de s’acquitter de leur obligation d’« éliminer les obstacles persistants, en particulier les stéréotypes et la stigmatisation liés au handicap» :
Avoir un travail et un emploi corrects est essentiel à la sécurité économique, à la santé physique et mentale, au bien-être et au sentiment d’identité d’une personne. Or, le Comité est conscient qu’un système de valeurs connu sous le nom de « capacitisme » entrave l’accès de nombreuses personnes handicapées à un travail et un emploi corrects. Le capacitisme et ses conséquences ont été décrits comme « un système de valeurs selon lequel certaines caractéristiques physiques et mentales sont jugées essentielles pour que la vie ait de la valeur. Parce qu’ils se fondent sur des normes strictes d’apparence, de fonctionnement et de comportement, les modes de pensée capacitistes assimilent le handicap à une fatalité qui est source de souffrances et d’inconvénients et dévalorise inéluctablement la vie humaine1 ». Fondement des modèles médical et caritatif du handicap, le capacitisme conduit à des préjugés sociaux, à des inégalités et à la discrimination à l’égard des personnes handicapées, car il inspire des lois, des politiques et des pratiques [...] qui privent les personnes handicapées de la possibilité de travailler dans des conditions d’égalité avec les autres.
Comité des droits des personnes handicapées, Observation générale no 8 (2022) sur le droit des personnes handicapées au travail et à l’emploi, CRPD/C/GC/, les 8 et 9 septembre 2022, par. 3 et 7.
La définition présentée dans la Loi canadienne sur l’accessibilité est inspirée de la Convention relative aux droits des personnes handicapées :
[Traduction] Les définitions d’« obstacle » et de « handicap » mises de l’avant dans le projet de loi C-81 s’inspirent de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Elles sont vastes et inclusives, soutenant le plus grand nombre de Canadiens. Le projet de loi vise à inspirer et à stimuler une profonde transformation culturelle. Une partie de cette transformation consiste à changer la façon dont nous parlons d’accessibilité et de handicap. Il s’agit également de modifier les structures et les systèmes gouvernementaux existants et d’en créer de nouveaux. Il s’agit de mettre ces aspirations en pratique.
La ministre Carla Qualtrough, ministre des Services publics et de l’Approvisionnements et de l’Accessibilité, Lib., Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences et du développement social et de la condition des personnes handicapées, 2 octobre 2018, cité dans Laverne Jacobs et coll., Loi canadienne sur l’accessibilité annotée, 2021 CanLIIDocs 987 (anglais seulement)
La définition a été élaborée à l’issue de nombreuses consultations récentes avec les membres des collectivités œuvrant dans le domaine de l’accessibilité. La définition de « handicap » dans la Loi canadienne sur l’accessibilité repose sur le modèle social :
Déficience notamment physique, intellectuelle cognitive, mentale ou sensorielle, trouble d’apprentissage ou de la communication ou limitation fonctionnelle, de nature permanente, temporaire ou épisodique, manifeste ou non et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société.
Article 2, Loi canadienne sur l’accessibilité, L.C. 2019, ch. 10
La Loi canadienne sur l’accessibilité est également l’un des seuls textes fédéraux sur les droits de la personne à définir le terme « obstacles » :
obstacle Tout élément – notamment celui qui est de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique – qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles. (barrier)
Article 2, Loi canadienne sur l’accessibilité, L.C. 2019, ch. 10
Les définitions larges et inclusives de la Loi canadienne sur l’accessibilité concordent avec la disposition sur l’égalité de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui comprend à la fois les « déficiences mentales ou physiques ». Elles reflètent la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur le handicap qui définit celle-ci de façon générale, y compris dans le contexte du milieu de travailNote de bas de page 85. Le rapport d’examen Onley de 2019, qui portait sur la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario, a également recommandé que l’Ontario adopte la définition énoncée dans la Loi canadienne sur l’accessibilité, à la fois pour poser un [Traduction] « geste positif » qui favorise l’harmonisation entre les limites fédérales et provinciales, et pour s’aligner avec l’approche internationale.
L’harmonisation des définitions est également l’un des objectifs à atteindre durant le présent examen du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. À la lumière des nombreuses consultations récentes au sujet de la définition énoncée dans la Loi canadienne sur l’accessibilité, et compte tenu du fait que la définition repose sur un modèle social du handicap et qu’elle met l’accent sur l’élimination des obstacles conformément à l’objectif du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, notre groupe de travail recommande que la définition de « handicap » dans la Loi canadienne sur l’accessibilité soit adoptée dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi, afin de remplacer la définition actuelle.
Recommandation 3.9 : La définition de « handicap » dans la Loi canadienne sur l’accessibilité devrait remplacer la définition actuelle de « personnes handicapées » dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
L’importance des approches intersectionnelles à l’égard des personnes handicapées
[Traduction] Se développer devrait signifier ne pas avoir à être aussi prudent par crainte de commettre une erreur. Les personnes handicapées noires doivent être excessivement prudentes en tout temps, car elles n’ont pas le droit à l’erreur.
Répondant au sondage cité par le professeur Harvi Millar, dans Reimagining the Employment Equity Act : Making it Work for Black Canadian Employees, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, 20 juillet 2022, à la page 77
Tel qu’il en a été question au chapitre 2, et comme c’est le cas pour tous les groupes visés par l’équité en matière d’emploi, une approche intersectionnelle à l’égard des incapacités est cruciale. Nos consultations ont révélé que les citoyens sont conscients de l’importance d’une approche intersectionnelle. Pourtant, on manque de données. C’était le cas, en ce qui concerne la question du handicap, au moment de la rédaction du rapport Abella. Nous avons noté l’étendue et la cohérence des données disponibles sur les personnes handicapées, y compris sur les travailleurs handicapés, qui ont été publiées par le Bureau of Labor Statistics du département du Travail des États-UnisNote de bas de page 86. Les données mensuelles produites par l’Office of Disability Employment Policy (ODEP) des États-Unis concernant la situation vis-à-vis de l’incapacité depuis 2008 – année où de nouvelles questions visant à évaluer la situation d’emploi des personnes handicapées ont été ajoutées à l’enquête mensuelle sur la population actuelle à la suite de recherches et d’essais – sont ventilées par race et origine ethnique ainsi que par sexe. Comme l’indique l’ODEP sur son site Web, [Traduction] « des données crédibles et cohérentes sont essentielles pour créer un changementNote de bas de page 87. »
Au Canada, certains progrès ont été réalisés. Toutefois, l’Enquête sur la population active ne contient pas de modules sur les questions d’identification des incapacités (QII) ni d’autres questions permettant de les recenser. Il faut davantage de données désagrégées et intersectionnelles sur le handicap. Il faudra prêter attention à la spécificité des données nécessaires aux personnes handicapées. Cela pourrait signifier d’évaluer si une personne avait une incapacité permanente ou de longue durée avant son emploi actuel, ou si elle l’a acquise pendant qu’elle occupait un emploi ou en exécutant son travail. Comme nous l’avons vu au chapitre 4, ces spécificités ont une incidence sur des aspects distincts du cycle de vie professionnel et nécessitent des stratégies distinctes d’élimination des obstacles.
Notre groupe de travail demande qu’une attention soutenue soit accordée aux données quantitatives et qualitatives, qui sont désagrégées et intersectionnelles, sur les personnes handicapées dans le cadre de consultations véritables avec les organismes qui représentent des travailleurs handicapés. Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait accorder la priorité à cette question.
Recommandation 3.10 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait accorder la priorité à l’élaboration de données quantitatives et qualitatives, qui sont désagrégées et intersectionnelles, sur les personnes handicapées notamment au moyen de recherches commandées et dans le cadre de consultations véritables avec les représentants des employeurs et des travailleurs ainsi qu’avec les organismes qui représentent des travailleurs handicapés
Éviter de recourir à une approche universelle – déficiences psychosociales ou intellectuelles
[Traduction] « Les déficiences intellectuelles sont invisibles et inaudibles. »
Membre de Personnes d’abord du Canada, Overcoming Barriers to Employment: A Review of the Employment Equity Act in Plain Language, mémoire présenté au GTELEME, 15 juin 2022, à la page 8
[Traduction] D’après mon expérience de l’équité, de la diversité et des espaces d’inclusion traditionnels, lorsqu’on parle de handicap, on entend habituellement divers types de déficiences physiques ainsi que les troubles de santé mentale. Mais il n’y a vraiment aucune considération pour les personnes ayant un trouble du développement.
Témoignage d’un membre de la famille durant la présentation d’Inclusion Canada au GTELEME, 28 avril 2022
Nous avons entendu que les travailleurs ayant un handicap psychosocial ou intellectuel n’ont pas vraiment été pris en compte, jusqu’à présent, dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, pour assurer une représentation dans les milieux de travail sous réglementation fédérale. Un exemple très révélateur : l’organisme Personnes d’abord du Canada a organisé de vastes groupes de discussion et demandé aux participants s’ils avaient entendu parler de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Sur les 101 participants, seulement 7 ont répondu « ouiNote de bas de page 88. »
Plusieurs ont rappelé avec insistance aux membres du groupe de travail qu’il faut éviter de recourir à une approche universelle lorsqu’il est question de handicap. On nous a encouragés à adopter plutôt une approche désagrégée. Le Bureau de l’accessibilité au sein de la fonction publique nous a présenté une recommandation utile, c’est-à-dire harmoniser les sous‑groupes avec ceux qui figurent dans l’Enquête canadienne sur l’incapacité de Statistique CanadaNote de bas de page 89.
On nous a rappelé que la déficience intellectuelle et le trouble du développement avaient tous deux des origines biomédicales et qu’ils étaient considérés comme des [Traduction] « écarts » par rapport à une « norme » des stades de développement ou d’apprentissage. Les participants à nos consultations approfondies ont utilisé la terminologie relative aux handicaps psychosociaux ou invisibles, et aux troubles de développement et aux déficiences intellectuelles. Un modèle social comprend les handicaps en tenant compte des obstacles sociétaux :
[Traduction] « Pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du développement, les obstacles sont généralement le langage inaccessible, le manque de temps pour traiter l’information et le manque de respect dont elles font l’objet lorsque les autres les perçoivent par le biais de stéréotypes négatifs, que ce soit dans la société, les services, l’éducation, les milieux de travail, les soins de santé, le système de justice ou d’autres situations.
Personnes d’abord du Canada, Overcoming Barriers to Employment: A Review of the Employment Equity Act, 15 juin 2022, à la page 13.
La difficulté que pose l’auto-identification est traitée au chapitre 2. Certains des obstacles particuliers présents en milieu de travail comprennent entre autres la façon d’afficher les postes et de mener les entrevues; ces obstacles sont traités au chapitre 4. Il y a également la désinformation. En effet, des idées dépassées peuvent nuire à l’inclusion des travailleurs ayant une déficience intellectuelle, ainsi qu’à leur inclusion au sein des comités d’embauche et des équipes des ressources humaines.
Nous notons que le terme « handicap psychosocial » est de plus en plus utilisé à l’échelle internationale, y compris par le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies, pour comprendre le modèle social du handicap. Il définit le handicap psychosocial comme un état causé par les interactions avec des obstacles qui empêchent la personne ayant ce genre de handicap de participer à la société pleinement et sur un pied d’égalité avec les autres.
[Traduction] « En fin de compte, le capacitisme consiste en un réseau de croyances, de processus et de pratiques qui attribuent des valeurs à certains éventails de capacités. Un éventail de capacités peut être considéré comme parfait et idéal, alors que d’autres capacités peuvent être considérées comme des handicaps qui sont cependant dignes de protection et de soutien; et d’autres capacités peuvent être perçues comme déficientes et moins dignes d’aide et peuvent même être sujettes au blâme et à la sanction. Le présent livre souscrit à la position. Toutes choses étant égales, par conséquent, lorsque les attitudes à l’égard de l’incapacité font qu’un groupe de personnes handicapées est désavantagé par rapport aux autres, une hiérarchie de déficiences est créée. »
Paul David Harpur, Ableism at Work: Disablement and Hierarchies of Impairment (Presses de l’Université de Cambridge, 2019), à la page 14.
L’organisme Personnes d’abord du Canada a demandé qu’une approche fondée sur les distinctions soit adoptée pour s’assurer que la définition de « personnes handicapées » comprend les personnes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du développementNote de bas de page 90. L’organisme Inclusion Canada a été clair à ce sujet : il ne veut pas d’un processus distinct; il veut plutôt que les obstacles soient éliminés. Préoccupé par le fait que des mesures d’adaptation doivent être demandées systématiquement, Inclusion Canada a demandé que ce processus soit offert de manière proactiveNote de bas de page 91. La relation entre les mesures d’adaptation et l’élimination des obstacles est traitée plus en détail au chapitre 4.
On nous a expliqué à maintes reprises que, pour que l’inclusion se produise, il faut que chaque changement de culture soit accompagné d’un changement législatif. De plus, la perception selon laquelle les travailleurs handicapés continuent d’être stigmatisés et certains employeurs continuent de douter de leur capacité à accomplir le travail persisteNote de bas de page 92.
Pensez à ce que nous apprenons au sujet de la [Traduction] « neurodiversité » – terme élaboré par la sociologue australienne Judy Singer pour rendre compte des points de vue du modèle social du handicap – et du [Traduction] « mythe de la normalitéNote de bas de page 93. » Wolfgang Amadeus Mozart et Greta Thunberg nous aident à changer le récit de ce qui constitue la normalité et à comprendre l’éventail des contributions qui peuvent être accueillies lorsqu’on apporte un changement pour inclure la neurodiversité dans les milieux de travail canadiens.
Inclusion Canada s’oppose également aux subventions salariales versées aux employeurs pour qu’ils embauchent des travailleurs handicapés, car il estime qu’elles ne sont que des stratégies à court terme qui ne soutiennent pas les travailleurs handicapés au fil du temps. Cette question importante nécessite d’autres consultations et recherches sur certains programmes, et le groupe de travail n’a formulé aucune recommandation à cet égard. Cependant, nos recommandations sont guidées en grande partie par la demande faite par les organismes œuvrant dans le domaine de l’accessibilité et selon laquelle nous devrions nous assurer que des emplois durables et à long terme sont offerts aux personnes neurodiverses.
Recommandation 3.11 : Les handicaps psychosociaux ou intellectuels devraient être examinés de manière désagrégée et intersectionnelle pour s’assurer que la mise en œuvre et la surveillance réglementaire de l’équité en matière d’emploi, ainsi que les consultations véritables tenues à cet égard, répondent efficacement aux besoins particuliers des personnes ayant des handicaps invisibles.
Recommandation 3.12 : Le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait s’inspirer de la Loi canadienne sur l’accessibilité et de l’Enquête canadienne sur l’incapacité pour déterminer les sous-groupes appropriés.
Aborder les questions liées au handicap dans la fonction publique fédérale
[Traduction] La culture repose sur le principe « Rien pour nous, sans nous. » Ce principe est essentiel, car il permet de s’assurer que les personnes handicapées participent, dès le début, à la prise des décisions qui les touchent.
Employé de la fonction publique fédérale, présentation au GTELEME avec la sous-ministre championne des employés fédéraux handicapés, 14 juin 2022
Selon le rapport L’équité en matière d’emploi dans la fonction publique du Canada, 2020-2021 le plus récent, 5,6 % des employés de l’administration publique centrale s’identifient comme des personnes ayant un handicap. Parmi ces employés, 55,5 % sont des femmes, 9 % des Autochtones et 14,6 % des membres de minorités racisées. Leur disponibilité au sein de la population active (DPA) – soit le point de référence calculé spécifiquement pour la fonction publique fédérale – est de 9 %. N’oublions pas non plus que, selon la plus récente Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017, 15,6 % de la main-d’œuvre âgée de 25 à 64 ans au Canada est composée de personnes handicapées.
Dans la fonction publique fédérale, les personnes handicapées étaient sous-représentées tant à l’embauche (4,3 %) que dans les promotions (4,7 %), mais leurs départs étaient supérieurs à leur représentation, soit 6,8 %. Elles étaient surreprésentées dans les deux niveaux de rémunération les plus bas et sous-représentés dans les deux niveaux de rémunération les plus élevés. Le portrait global est troublant.
Ce n’est pas tout. Il y a d’énormes écarts d’un ministère et d’un organisme à l’autre. Pourquoi, à la Commission canadienne des droits de la personne, les personnes handicapées constituent-elles 16,5 % de l’organisation, alors qu’elles ne représentent que 3,8 % du personnel du Bureau du Conseil privéNote de bas de page 94? On nous a rappelé l’importance de démontrer une volonté d’agir, de prêter attention au climat de travail et de mettre en œuvre l’équité en matière d’emploi en adoptant des approches proactives d’élimination des obstacles, tel qu’il en a été question au chapitre 4.
Durant l’une de ses premières consultations, le groupe de travail a entendu le Bureau de l’accessibilité au sein de la fonction publique (BAFP) du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, dirigé alors par la sous-ministre Yazmine Laroche, et représenté lors de notre rencontre par le sous-ministre adjoint Alfred MacLeod, qui a présenté la stratégie Rien sans nous : stratégie sur l’accessibilité au sein de la fonction publique du Canada ainsi que le Fonds centralisé pour un milieu de travail habilitant qui investit dans la recherche, la mise en place de mécanismes et l’innovation dans le but d’améliorer les pratiques liées à la prise de mesures d’adaptation en milieu de travail et d’éliminer les obstacles qui rendent nécessaire la prise de telles mesures. Ces initiatives sont conformes au cadre de la Loi canadienne sur l’accessibilité de 2019, lequel est conçu pour faire du Canada un pays exempt d’obstacles pour les personnes handicapées d’ici le 1er janvier 2040.
[Traduction] L’accessibilité en milieu de travail vise à éliminer et à prévenir les obstacles pour tous les employés et, plus particulièrement, les employés handicapés qui font souvent face à des obstacles systémiques en milieu de travail.
Bureau de l’accessibilité au sein de la fonction publique du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, consultations du groupe de travail, 11 mars 2022
Lors de ses consultations sur la Stratégie sur l’accessibilité au sein de la fonction publique du Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor a appris que 39 % des répondants au sondage ont indiqué que c’est dans le domaine de l’emploi qu’il est primordial d’améliorer l’accessibilité. Plusieurs insistent pour que le gouvernement du Canada donne l’exemple en s’assurant qu’il y a un plus grand nombre de personnes handicapées au sein de la fonction publique fédérale.
L’engagement de la fonction publique fédérale d’embaucher 5 000 personnes handicapées d’ici 2025 est important. Le groupe de travail a cependant été informé que les progrès vers l’atteinte de l’objectif de 5 000 embauches ont été plus lents que prévuNote de bas de page 95.
Les groupes œuvrant dans le domaine de l’accessibilité nous ont fait part de leurs nombreuses préoccupations concernant la lenteur des progrès.
Diverses mesures proactives témoignent des essais importants qui ont été réalisés. Mentionnons notamment le Fonds centralisé pour un milieu de travail habilitant et le Passeport pour l’accessibilité en milieu de travail. Ces initiatives sont importantes, mais personne ne s’est présenté devant notre groupe de travail pour affirmer qu’elles sont suffisantes. Certains milieux de travail dans la fonction publique fédérale ont démontré au groupe de travail qu’ils éliminent intentionnellement et de façon proactive les obstacles afin de pouvoir créer des milieux de travail équitablement inclusifs pour les travailleurs handicapés.
Le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations Unies a demandé à des États comme le Canada, en tant qu’employeur de la fonction publique, d’être particulièrement rigoureux en matière d’inclusion. Cela suppose des normes objectives en matière d’embauche et de promotion des personnes handicapées, des quotas ou des cibles conçus pour augmenter le nombre d’employés handicapés, des mesures d’approvisionnement public, du financement ciblé et des rapports annuels sur la conformité. Le CDPH précise que, pour qu’elles soient compatibles avec la Convention, les mesures doivent permettre:
- De veiller à ce que les employeurs ne cantonnent pas les personnes handicapées à certaines professions, à des emplois réservés ou à des unités d’emploi spéciales;
- De veiller à ce que les employeurs ne restreignent pas l’accès des personnes handicapées aux possibilités de promotion et d’évolution de carrière;
- De faire en sorte que le travail promu ne corresponde pas à un emploi « factice », situation dans laquelle des personnes handicapées sont embauchées par des employeurs, mais n’effectuent aucun travail ou n’occupent pas un emploi utile, sur la base de l’égalité avec les autres;
- De prendre en considération les questions relatives au handicap, au genre et à l’âge, sur l’ensemble du lieu de travailNote de bas de page 96.
Le CDPH prend également soin de souligner que, lorsque des mesures d’équité en matière d’emploi sont adoptées, il faut également prendre des mesures pour « atténuer le risque d’effets négatifs imprévus », et ainsi éviter de renforcer les stéréotypes plutôt que de les remettre en question. Dans l’ensemble des commentaires formulés, une préoccupation constante revient : il faut éviter que les personnes handicapées se retrouvent dans des emplois ségréguésNote de bas de page 97.
Recommandation 3.13 : Le Conseil du Trésor du Canada et la Commission de la fonction publique devraient travailler en étroite collaboration et en priorité avec le commissaire à l’équité en matière d’emploi pour établir des initiatives d’embauche ciblée pour les personnes handicapées dans le but d’atteindre et de maintenir l’objectif d’embauche fixé pour 2025 dans la fonction publique fédérale.
Apprendre à faire confiance aux personnes handicapées
Le Conseil canadien de la réadaptation et du travail a ajouté qu’il faut s’assurer que les grandes organisations apprennent à [Traduction] « faire confiance aux personnes handicapées », c’est-à-dire qu’elles doivent être en mesure d’examiner de près leur culture en milieu de travail et de s’assurer d’avoir jeté les bases pour inclure les travailleurs handicapés de manière significative. Il est nécessaire de répondre directement aux inquiétudes, plutôt que d’éviter les questions qui peuvent faire toute la différence sur le plan de l’inclusionNote de bas de page 98.
Les grandes organisations doivent aussi prendre des décisions importantes. Des organismes œuvrant pour les personnes handicapées ont donné l’exemple d’un employeur important qui a déclaré vouloir embaucher des personnes handicapées, mais qui n’a pas les moyens d’acheter des lecteurs d’écran, c’est-à-dire des logiciels qui permettent aux lecteurs aveugles ou malvoyants de lire le texte affiché sur un écran d’ordinateur à l’aide d’une technologie vocaleNote de bas de page 99.
Le groupe de travail s’est fait dire qu’il faut changer l’état d’esprit pour se concentrer sur l’élimination des obstacles de manière à accomplir et à soutenir le changement de culture nécessaire pour vraiment atteindre les objectifs d’embauche énoncés. Grâce à l’utilisation généralisée de la technologie informatique, les organismes œuvrant dans le domaine de l’accessibilité soutiennent qu’il est plus facile qu’auparavant d’éliminer les obstacles et de prendre les mesures d’adaptation nécessairesNote de bas de page 100.
Notre groupe de travail insiste sur le fait qu’il faut travailler sans relâche à l’élimination des obstacles afin de créer le genre de climat propice à l’épanouissement et au maintien en poste des travailleurs handicapés. Pour atteindre l’équité en matière d’emploi pour les personnes handicapées, il sera essentiel de renforcer les trois piliers, c’est-à-dire la mise en œuvre par l’élimination proactive des obstacles, la tenue de véritables consultations et la surveillance réglementaire. Nous traitons de ces piliers dans les chapitres 4 à 6, et plus particulièrement de la façon d’assurer une meilleure harmonisation entre la Loi canadienne sur l’accessibilité et un cadre modernisé de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Du pain sur la planche : les travailleuses confrontées à des défis persistants
Constatations découlant des données
Il y a actuellement une possibilité de moderniser la Loi. Les femmes devraient continuer de former l’un des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, et il est essentiel de comprendre les expériences qu’elles vivent et d’avoir conscience de leur intersectionnalité.
Fédération canadienne de femmes de carrières professionnelles et commerciales, présentation au GTELEME, 31 mai 2022
L’égalité des genres constitue l’Objectif de développement durable 5 des Nations Unies, que le Canada s’est engagé à atteindre d’ici 2030Note de bas de page 101. Malgré tout, on a rappelé à maintes reprises au groupe de travail les problèmes qui subsistent et les répercussions négatives en milieu de travail auxquelles sont confrontées les travailleuses. Les défis sont intersectionnels et nécessitent une attention particulière pour ce qui est de fournir des données désagrégées.
Notre groupe de travail conclut qu’il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les travailleuses devraient continuer de former un groupe visé par l’équité en matière d’emploi au Canada et pour lesquelles nous devrions intensifier nos efforts pour parvenir à l’égalité réelle pour toutes les femmes.
Il est important de préciser dès le départ que le présent rapport utilise la notion de genre telle que définie par Statistique Canada depuis son recensement de 2021 :
Genre
Le genre fait référence à l’identité personnelle et sociale d’un individu en tant qu’homme, femme ou personne non binaire (une personne qui n’est pas exclusivement un homme ou une femme).
Le genre comprend les concepts suivants :
- l'identité de genre correspond au genre qu'une personne ressent intimement et individuellement;
- l’expression de genre désigne la manière dont une personne présente son genre à travers son langage corporel, des choix esthétiques ou des accessoires (p. ex. vêtements, coiffure et maquillage) qui peuvent avoir été traditionnellement associés à un genre en particulier, et ce, sans égard à son identité de genre.
Le genre d’une personne peut différer de son sexe à la naissance et de la mention qui figure sur ses pièces d’identité ou documents juridiques actuels, comme son certificat de naissance, son passeport ou son permis de conduire. Le genre d’une personne peut changer au fil du temps.
Certaines personnes peuvent ne pas s’identifier à un genre en particulier.
Étant donné que la taille de la population non binaire est petite, il est parfois nécessaire d'agréger les données dans une variable sur le genre à deux catégories pour protéger la confidentialité des réponses fournies. Dans ces cas, les personnes de la catégorie « personnes non binaires » sont réparties dans les deux autres catégories de genre et sont désignées par le signe « + ».
Statistique Canada, Recensement de 2021
Notre groupe de travail reconnaît l’utilisation par Statistique Canada des termes « femmes+ » et « hommes+ » lorsqu’il fournit les données du recensement de 2021.
Statistique Canada rapporte que les femmes au Canada sont parmi les plus instruites de l’OCDE. En 2020, les deux tiers (66 %) des femmes âgées de 25 à 64 ans détenaient un diplôme collégial ou universitaire, contre une moyenne de 43 % dans l’ensemble de l’OCDE. Pour les jeunes femmes âgées de 15 à 34 ans, selon les données du recensement de 2021, le pourcentage de femmes très instruites est encore plus élevé :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Certificat, diplôme ou grade le plus élevé obtenu | Total – genre (Pourcentage) | Hommes+ (Pourcentage) | Femmes+ (Pourcentage) |
---|---|---|---|
Aucun certificat, diplôme ou grade | 19,0 % | 20,6 % | 17,3 % |
Certificat, diplôme ou grade | 81,0 % | 79,4 % | 82,7 % |
Diplôme d’études secondaires ou certificat équivalent | 30,8 % | 33,4 % | 28,1 % |
Certificat ou diplôme d’apprenti ou d’une école de métiers | 6,2 % | 8,5 % | 3,9 % |
Certificat ou diplôme d’un collège, d’un cégep ou d’un autre établissement non universitaire | 15,7 % | 14,1 % | 17,4 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire | 28,3 % | 23,4 % | 33,3 % |
Certificat ou diplôme universitaire inférieur au baccalauréat | 2,3 % | 2,0 % | 2,6 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire au niveau du baccalauréat ou supérieur | 26,0 % | 21,4 % | 30,7 % |
Baccalauréat | 18,8 % | 15,6 % | 22,1 % |
Baccalauréat Certificat ou diplôme universitaire supérieur au baccalauréat | 1,5 % | 1,2 % | 1,8 % |
Diplôme en médecine, en médecine dentaire, en médecine vétérinaire ou en optométrie | 0,6 % | 0,4 % | 0,7 % |
Maîtrise | 4,8 % | 3,9 % | 5,7 % |
Doctorat acquis | 0,4 % | 0,3 % | 0,4 % |
- Source : Emploi et Développement social Canada, Dirigeant principal des données, Recensement de 2021
Malgré les progrès réalisés sur le plan de la participation des femmes au marché du travail au cours de la dernière décennie, ces dernières demeurent moins susceptibles que les hommes d’occuper un emploi.
Les données du recensement de 2021 en disent long sur la ségrégation professionnelle qui persiste.
Il y a 516 « groupes de base » dans la Classification nationale des professions au Canada de 2021. Près d’un cinquième – pour un total de 98 professions – restent, en 2021, occupées à plus de 90 % par des hommes+.
Nous présentons, à l’annexe M, les 98 professions qui demeurent occupées à plus de 90 % par des hommes+. Vous trouverez ci‑dessous quelques exemples. Plusieurs d’entre elles relèvent de manière significative de la compétence fédérale ou pourraient être couverts par le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi :
- Foreurs/foreuses et dynamiteurs/dynamiteuses de mines à ciel ouvert, de carrières et de chantiers de construction (99,25 % d’hommes+)
- Électriciens industriels/électriciennes industrielles (98,06 % d’hommes+)
- Réparateurs/réparatrices de wagons (97,06 % d’hommes+)
- Conducteurs/conductrices de camions de transport (95,50 % d’hommes+)
- Chefs de train et serre‑freins (94,52 % d’hommes+)
- Pilotes, navigateurs/navigatrices et instructeurs/instructrices de pilotage du transport aérien (92,53 % d’hommes+)
En revanche, il y a beaucoup moins de professions (18 sur les 516) qui demeurent en très grande majorité (90 % ou plus) occupées par des femmes+. En voici des exemples :
- Aides-enseignants/aides-enseignantes aux niveaux primaire et secondaire (90,48 % de femmes+)
- Infirmiers autorisés/infirmières autorisées et infirmiers psychiatriques autorisés/infirmières psychiatriques autorisées (90,50 % de femmes+)
- Ergothérapeutes (91,31 % de femmes+)
- Diététistes et nutritionnistes (95,61 % de femmes+)
- Éducateurs/éducatrices et aides-éducateurs/aides-éducatrices de la petite enfance (96,15 % de femmes+)
- Hygiénistes et thérapeutes dentaires (96,85 % de femmes+)
Ces données renforcent les données désagrégées présentées au chapitre 1. Ensemble, ces portraits nous montrent que, malgré une certaine évolution, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre l’équité en matière d’emploi pour les femmes au Canada.
L’écart salarial entre les sexes demeure particulièrement prononcé chez les femmes autochtones, qui gagnaient en moyenne 0,80 $ en 2018 pour chaque dollar gagné par tous les hommes au Canada, ainsi que chez les femmes immigrantes, qui gagnaient 0,69 $ pour chaque dollar gagné par tous les hommes au Canada.
Les théories économiques classiques ne suffisent pas à expliquer l’éventail plus large de variables liées à la ségrégation professionnelle fondée sur des motifs de discrimination, ni pourquoi la ségrégation fondée sur le genre persiste malgré des capacités démontrées qui se chevauchentNote de bas de page 102. Les chercheurs combinent de plus en plus les connaissances provenant d’une diversité de disciplines, et pas seulement des facteurs économiques, pour comprendre la ségrégation professionnelle fondée sur le principe de l’équité. Cela est particulièrement important pour l’équité en matière d’emploi, au moment où les chercheurs tentent de mesurer l’incidence de l’équité en matière d’emploi. Les outils sont de plus en plus sophistiqués, mais ils pourraient à dessein nous égarer et nous ramener à une conception erronée de la ségrégation professionnelle, considérée avant tout comme une question de choix personnel. Nous devons nous efforcer de comprendre les nombreux facteurs qui limitent les choix de vie auxquels sont confrontés les groupes visés par l’équité en matière d’emploi.
Au fil des ans, nous avons beaucoup appris sur les perceptions des compétences des femmes et leur incidence sur la ségrégation professionnelle. Certaines de ces perceptions, dont traite une étude de 1997, restent obstinément constantes dans les professions.
Tableau 3.2 : Perceptions concernant les compétences des femmes et l’incidence sur la ségrégation professionnelle
Caractéristiques stéréotypées des femmes | Effet sur la ségrégation professionnelle | Exemples de professions associées à certaines compétences |
---|---|---|
Souci des autres (perçu positivement) | Demande plus importante dans les professions où l’on prend soin des autres : enfants, patients, personnes âgées | Infirmière, médecin, sage‑femme, travailleuse sociale, prestataire de services de garde, enseignante |
Moins de force physique (perçu négativement) | Demande moins importante dans les professions exigeant un effort physique important | Travailleur de la construction, mineur |
Manque d’aptitude en mathématiques et en sciences (perçu négativement) | Demande moins importante dans les professions scientifiques | Physicien, ingénieur, statisticien |
Les données de Statistique Canada confirment également l’effet largement reconnu du fait de devenir parent : la décision continue d’avoir une incidence importante sur les taux d’emploi des femmes, mais pas sur ceux des hommes.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Années | Moins de 6 ans | 6 à 11 ans | 12 à 17 ans | 18 à 24 ans | Aucun enfant de moins de 25 ans |
---|---|---|---|---|---|
1976 | 32,1 % | 45,0 % | 50,4 % | 50,5 % | 67,3 % |
1977 | 33,5 % | 46,5 % | 50,9 % | 50,3 % | 67,4 % |
1978 | 36,3 % | 47,8 % | 53,2 % | 51,1 % | 68,3 % |
1979 | 38,8 % | 50,1 % | 54,0 % | 52,9 % | 70,2 % |
1980 | 41,3 % | 53,1 % | 56,5 % | 54,6 % | 71,1 % |
1981 | 44,0 % | 55,7 % | 58,9 % | 57,2 % | 71,9 % |
1982 | 44,1 % | 54,0 % | 58,4 % | 56,0 % | 71,3 % |
1983 | 46,5 % | 54,2 % | 58,1 % | 57,7 % | 72,0 % |
1984 | 48,4 % | 56,1 % | 60,3 % | 58,5 % | 71,6 % |
1985 | 50,9 % | 58,0 % | 62,2 % | 61,9 % | 72,8 % |
1986 | 53,6 % | 61,0 % | 64,3 % | 61,7 % | 73,7 % |
1987 | 54,9 % | 63,0 % | 65,5 % | 64,0 % | 74,3 % |
1988 | 56,6 % | 66,2 % | 68,1 % | 66,7 % | 75,3 % |
1989 | 57,5 % | 69,0 % | 70,1 % | 67,9 % | 76,1 % |
1990 | 58,2 % | 69,6 % | 71,5 % | 68,9 % | 76,7 % |
1991 | 59,1 % | 68,2 % | 71,1 % | 68,4 % | 74,9 % |
1992 | 58,7 % | 66,8 % | 70,5 % | 67,6 % | 74,2 % |
1993 | 59,0 % | 67,4 % | 70,5 % | 68,1 % | 73,1 % |
1994 | 59,7 % | 67,0 % | 71,7 % | 68,3 % | 73,5 % |
1995 | 60,5 % | 68,2 % | 72,2 % | 70,9 % | 73,8 % |
1996 | 61,7 % | 68,7 % | 72,2 % | 70,4 % | 73,2 % |
1997 | 63,0 % | 69,9 % | 73,5 % | 71,8 % | 74,6 % |
1998 | 64,0 % | 71,0 % | 74,7 % | 73,1 % | 75,8 % |
1999 | 65,0 % | 72,5 % | 76,0 % | 73,8 % | 76,5 % |
2000 | 66,2 % | 73,2 % | 77,3 % | 74,7 % | 76,6 % |
2001 | 66,2 % | 74,5 % | 77,1 % | 75,9 % | 76,6 % |
2002 | 66,4 % | 75,9 % | 79,2 % | 78,1 % | 77,3 % |
2003 | 66,9 % | 76,0 % | 78,9 % | 78,2 % | 78,5 % |
2004 | 68,5 % | 76,3 % | 79,4 % | 79,4 % | 78,9 % |
2005 | 69,1 % | 75,9 % | 80,2 % | 77,7 % | 78,6 % |
2006 | 67,9 % | 76,8 % | 81,5 % | 80,3 % | 78,9 % |
2007 | 70,4 % | 78,3 % | 81,5 % | 82,2 % | 79,7 % |
2008 | 68,6 % | 78,6 % | 82,7 % | 81,4 % | 79,9 % |
2009 | 68,4 % | 77,6 % | 80,4 % | 81,3 % | 78,9 % |
2010 | 68,7 % | 77,6 % | 81,1 % | 81,7 % | 78,6 % |
2011 | 68,7 % | 77,6 % | 81,8 % | 81,3 % | 78,8 % |
2012 | 69,4 % | 77,9 % | 81,5 % | 81,6 % | 79,7 % |
2013 | 70,8 % | 78,3 % | 82,2 % | 81,0 % | 79,8 % |
2014 | 70,2 % | 77,8 % | 80,5 % | 80,1 % | 79,4 % |
2015 | 69,5 % | 78,1 % | 81,4 % | 81,7 % | 79,3 % |
- Le taux d’emploi des mères augmente généralement avec l’âge du plus jeune enfant du ménage. Par exemple, le taux d’emploi des femmes ayant un enfant de moins de 6 ans était de 69,5 % en 2015 contre 79,3 % pour les femmes n’ayant pas d’enfant de moins de 25 ans.
- Source : Statistique Canada, enquête sur la population active, totalisations personnalisées

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Années | Moins de 6 ans | 6 à 11 ans | 12 à 17 ans | 18 à 24 ans | Aucun enfant de moins de 25 ans |
---|---|---|---|---|---|
1976 | 93.3 % | 93.4 % | 93.2 % | 92.9 % | 84.7 % |
1977 | 93.0 % | 92.6 % | 92.9 % | 92.4 % | 83.1 % |
1978 | 92.9 % | 92.3 % | 92.8 % | 92.3 % | 83.7 % |
1979 | 93.5 % | 93.0 % | 93.5 % | 93.2 % | 84.2 % |
1980 | 92.8 % | 92.6 % | 92.5 % | 92.8 % | 84.3 % |
1981 | 93.0 % | 93.0 % | 92.6 % | 91.9 % | 84.5 % |
1982 | 88.9 % | 88.9 % | 89.2 % | 90.7 % | 79.4 % |
1983 | 87.6 % | 89.0 % | 89.2 % | 89.9 % | 77.4 % |
1984 | 88.5 % | 89.2 % | 88.6 % | 89.0 % | 77.9 % |
1985 | 89.4 % | 89.6 % | 90.1 % | 89.6 % | 79.1 % |
1986 | 90.4 % | 90.6 % | 90.3 % | 90.1 % | 80.5 % |
1987 | 90.3 % | 91.1 % | 90.7 % | 90.8 % | 82.2 % |
1988 | 91.5 % | 91.9 % | 91.5 % | 90.5 % | 82.7 % |
1989 | 91.5 % | 91.0 % | 91.4 % | 90.6 % | 83.1 % |
1990 | 90.2 % | 90.4 % | 90.4 % | 89.4 % | 81.8 % |
1991 | 87.3 % | 88.5 % | 88.4 % | 87.7 % | 78.7 % |
1992 | 86.2 % | 87.4 % | 86.8 % | 86.5 % | 75.9 % |
1993 | 86.3 % | 86.9 % | 86.6 % | 86.7 % | 76.3 % |
1994 | 86.7 % | 87.6 % | 87.1 % | 85.9 % | 77.4 % |
1995 | 88.0 % | 88.1 % | 87.7 % | 87.4 % | 77.7 % |
1996 | 87.8 % | 88.4 % | 87.5 % | 87.1 % | 77.4 % |
1997 | 88.8 % | 89.4 % | 88.2 % | 87.8 % | 78.4 % |
1998 | 89.4 % | 89.7 % | 88.9 % | 87.2 % | 79.9 % |
1999 | 90.1 % | 90.2 % | 89.9 % | 88.0 % | 80.4 % |
2000 | 91.2 % | 90.5 % | 90.4 % | 89.2 % | 81.1 % |
2001 | 90.5 % | 90.3 % | 90.4 % | 89.1 % | 80.5 % |
2002 | 89.9 % | 90.2 % | 90.1 % | 89.0 % | 80.7 % |
2003 | 90.3 % | 90.3 % | 89.8 % | 89.3 % | 81.5 % |
2004 | 90.5 % | 90.6 % | 91.3 % | 89.9 % | 81.6 % |
2005 | 91.0 % | 91.0 % | 91.2 % | 89.5 % | 81.7 % |
2006 | 91.2 % | 91.2 % | 91.7 % | 89.5 % | 81.7 % |
2007 | 91.6 % | 91.2 % | 90.7 % | 90.3 % | 81.8 % |
2008 | 91.4 % | 92.0 % | 90.9 % | 89.5 % | 82.3 % |
2009 | 88.4 % | 89.3 % | 88.5 % | 87.9 % | 78.8 % |
2010 | 89.0 % | 89.5 % | 89.9 % | 88.1 % | 79.0 % |
2011 | 90.2 % | 89.6 % | 90.4 % | 90.1 % | 80.1 % |
2012 | 90.7 % | 91.1 % | 90.8 % | 89.8 % | 80.2 % |
2013 | 90.7 % | 91.7 % | 90.9 % | 90.5 % | 80.0 % |
2014 | 90.3 % | 91.1 % | 90.4 % | 89.8 % | 80.3 % |
2015 | 90.8 % | 90.8 % | 92.1 % | 88.6 % | 80.4 % |
- En ce qui concerne les pères, la variabilité du taux d’emploi des hommes en fonction de l’âge du plus jeune enfant du ménage est limitée. Par exemple, en 1976 comme en 2015, le taux d’emploi le plus bas était celui des hommes n’ayant pas d’enfant de moins de 25 ans.
- Source : Statistique Canada, Enquête sur la population active, totalisations personnalisées
Les graphiques ci-dessous nous renseignent sur les heures consacrées par jour à un travail rémunéré et non rémunéré. Les femmes consacrent un nombre moyen disproportionné d’heures à un travail non rémunéré comparativement aux hommes, sujet qui fait l’objet d’un suivi tous les cinq ans au moyen d’une enquête sur l’emploi du temps.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Type de travail | Femmes (Heures) | Hommes (Heures) |
---|---|---|
Travail rémunéré (activités principales) | 3,9 | 5,2 |
Travail non rémunéré (activités principales) | 3,9 | 2,4 |
- Source : Statistique Canada, Enquête sociale générale, 2015.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Type de travail | Femmes (Heures) | Hommes (Heures) |
---|---|---|
Travail rémunéré (activités principales et simultanées) | 3,7 | 5,0 |
Travail non rémunéré (activités principales et simultanées) | 5,4 | 2,9 |
- Source : Statistique Canada, Enquête sociale générale, 2010.
De 2020 à 2021, le nombre d’employés ayant un faible taux de rémunération (c’est-à-dire un salaire horaire inférieur aux deux tiers du salaire horaire médian [avant les impôts et autres déductions] dans leur emploi principal chaque année) a augmenté au Canada de 316 000 (+10,7 %). Le salaire horaire médian des hommes était de 28 $, tandis que celui des femmes s’établissait à 24,40 $ en 2021. La majorité de l’augmentation du nombre d’employés faiblement rémunérés était concentrée chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans. Statistique Canada rapporte que les principales caractéristiques des employés ayant un faible taux de rémunération sont demeurées relativement stables, malgré l’incidence largement reconnue de la pandémie de COVID‑19 sur le marché du travail canadien. En fait, l’emploi parmi les employés ayant un faible taux de rémunération s’est redressé de 2020 à 2021, ce qui a entraîné une augmentation du taux de faible rémunération, qui s’est établi à 20,1 %Note de bas de page 103.
Le groupe de travail a été informé par Statistique Canada que les femmes représentaient plus de la moitié (50,9 %) des personnes qui gagnaient moins de 12 $ l’heure, et seulement 42,3 % de celles qui gagnaient 30 $ ou plus l’heure. En 2021, les femmes représentaient plus de la moitié (53,9 %) des personnes âgées de 25 ans, et 54 % occupaient un emploi temporaire; en 2022, ce nombre est passé à 56,4 %Note de bas de page 104.
Parmi les travailleurs âgés de 25 à 54 ans, les femmes représentaient la majorité (71,1 %) de ceux qui travaillaient à temps partiel en 2021Note de bas de page 105. La responsabilité des soins est la principale raison invoquée par 24,8 % des femmes âgées de 25 à 54 ans en 2021 et 27,7 % des femmes de la même tranche d’âge en 2022Note de bas de page 106. Statistique Canada rapporte qu’en 2021, 68 % des femmes âgées de 20 à 54 ans occupaient un emploi à temps plein, et des données désagrégées sont disponibles depuis 2007 pour les femmes autochtones, les immigrantes récentes et les immigrantes de longue date :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Année | Femmes nées au Canada (Pourcentage) | Autochtones (Pourcentage) | Immigrantes récentes (Pourcentage) | Immigrantes de longue date (Pourcentage) |
---|---|---|---|---|
2007 | 66,0 | 54,2 | 53,6 | 66,4 |
2008 | 66,7 | 52,6 | 51,8 | 65,0 |
2009 | 65,2 | 54,1 | 51,0 | 63,1 |
2010 | 65,0 | 51,0 | 49,3 | 62,0 |
2011 | 65,7 | 53,3 | 50,4 | 63,6 |
2012 | 65,9 | 52,8 | 52,8 | 62,6 |
2013 | 66,6 | 55,0 | 51,6 | 63,2 |
2014 | 66,3 | 52,7 | 50,7 | 62,9 |
2015 | 67,4 | 51,6 | 48,9 | 62,2 |
2016 | 67,0 | 51,1 | 53,3 | 62,3 |
2017 | 68,1 | 54,8 | 52,0 | 66,3 |
2018 | 68,6 | 56,0 | 55,3 | 65,9 |
2019 | 69,9 | 58,4 | 56,8 | 66,4 |
2020 | 67,8 | 56,5 | 55,4 | 60,9 |
2021 | 70,4 | 58,9 | 58,5 | 64,9 |
- Source : Statistique Canada, Enquête sur la population active, fichiers mensuels de mars et de septembre, 2007 à 2021
Le principal message à retenir d’un document de recherche connexe de Statistique Canada est que la désagrégation des données est nécessaire si nous voulons obtenir un tableau complet de la situationNote de bas de page 107.
Une analyse intersectionnelle s’impose
Il est essentiel qu’au‑delà d’une analyse comparative entre les sexes ou de l’ACS+, une optique de lutte contre le racisme et l’oppression soit appliquée au Programme légiféré d’équité en matière d’emploi (PLEME) et au Programme de contrats fédéraux (PCF). Cette perspective peut sembler complexe, mais le statu quo ne donnera pas de résultats.
Conseil canadien des femmes musulmanes, mémoire présenté au GTELEME, 24 juin 2022
La mise en œuvre précoce de l’équité en matière d’emploi tend à mettre l’accent sur l’inclusion des femmes en tant que catégorie sans accorder suffisamment d’attention à la diversité au sein de cette catégorie. Les données agrégées sur les femmes ne donnent qu’une image incomplète de l’égalité réelle en matière d’emploi fondée sur le genre. La nécessité d’aborder la catégorie des femmes d’une manière désagrégée et intersectionnelle a été soulignée à grands traits par de nombreux intervenants qui se sont présentés devant notre groupe de travail.
Une approche intersectionnelle du genre est conforme aux obligations internationales du Canada et a été soulignée par plusieurs comités des Nations Unies. En 2016, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a noté l’« accès limité » au marché du travail auquel sont confrontés les Autochtones (membres des Premières Nations, Inuites et Métisses), les Afro-Canadiennes, les migrantes, les réfugiées et demandeuses d’asile ainsi que les femmes handicapées. Le Comité s’est dit préoccupé par « la persistance de la ségrégation professionnelle horizontale et verticale et la concentration des femmes dans des emplois à temps partiel et à bas salaire, qui est souvent due à leurs responsabilités traditionnelles parallèles d’éducation et de prise en charge des enfants [...] ».
Il a indiqué que cette ségrégation professionnelle reflétait également la faible représentation des femmes dans les postes de direction au sein des entreprises. En plus d’approuver un cadre national de soins aux enfants « en vue d’assurer des structures de garde d’enfants suffisantes et adéquates », le Comité a expressément demandé que des mesures spéciales soient mises en place pour atteindre l’égalité substantielle entre les femmes et les hommes sur le marché du travail et éliminer la ségrégation professionnelle dans les secteurs public et privé, puisque le fait d’adopter des quotas renforcerait la représentation des femmes dans les postes de direction au sein des entreprises. Il a recommandé l’élaboration d’un plan précis et intégré assorti de mesures efficaces et proactives pour améliorer les conditions socioéconomiques des femmes autochtonesNote de bas de page 108.
À titre de rappel, l’Observation générale n° 8 (2022) du Comité des droits des personnes handicapées mentionne ceci :
Les femmes handicapées (art. 6) subissent une discrimination multiple et intersectionnelle dans le travail et l’emploi, tout au long du cycle de l’emploi, ce qui les empêche de participer au monde du travail dans des conditions d’égalité. Elles sont harcelées sexuellement, sont moins bien rémunérées pour un travail de valeur égale, sont plus limitées dans leurs choix de carrière et ne peuvent pas accéder à certains emplois en raison de leurs parcours professionnels moins prestigieux; en outre, elles n’ont pas accès à des moyens de réparation à cause des attitudes discriminatoires qui conduisent au rejet de leurs plaintes, et doivent faire face à des obstacles physiques et des problèmes d’information et de communication. Les femmes handicapées sont exposées à l’exploitation dans l’économie informelle et dans le travail non rémunéré, ce qui creuse les inégalités dans des domaines tels que la rémunération, la santé et la sécurité, le repos, les loisirs et les congés payés, y compris le congé de maternitéNote de bas de page 109.
En outre, la spécialiste de la gestion Barnini Bhattacharyya et la sociologue Jennifer L. Berdahl ont récemment publié une étude rigoureuse de 65 récits détaillés sur la complexité des expériences d’invisibilité intersectionnelle vécues par les femmes en milieu de travail. Elles démontrent comment les femmes autochtones, noires et racisées doivent composer avec ces quatre formes de marginalisation répandues au travail :
- effacement (c’est-à-dire qu’elles sont exclues des interactions ou ignorées dans leur environnement de travail);
- homogénéisation (c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme interchangeables avec d’autres femmes racisées - dans certains cas, on les appelle littéralement par un autre nom ou bien elles reçoivent des courriels qui ne leur sont pas destinés);
- exotisation (c’est-à-dire qu’elles sont objectivées en étant réduites à des « objets étrangers de fascination et de fétichisation »);
- blanchisation (c’est‑à‑dire qu’elles reçoivent [Traduction] « [...] des compliments sur leurs similitudes avec les Blancs, et que leurs identités raciales/ethniques et leurs antécédents culturels non‑blancs sont laissés pour compte ou carrément mis de côté »)Note de bas de page 110.
Ces défis sont traités plus en détail au chapitre 4, car ils montrent bien le type d’élimination d’obstacles qui est nécessaire pour s’assurer que les milieux de travail sont accueillants pour toutes les femmes.
Les femmes dans la fonction publique fédérale
Dans la fonction publique fédérale, selon le point de référence de la disponibilité au sein de la population active (DPA), les femmes constituent 55,6 % des employés de l’administration publique centrale (données de 2020‑2021), mais les travailleuses autochtones (5,9 %) et les travailleuses handicapées (5,6 %) sont sous‑représentées. Dans l’ensemble, la promotion des femmes à des postes de direction, bien qu’elle surpasse la DPA, est motivée par le nombre important d’employés de la direction qui quittent la fonction publique, qui est de 4,6 % supérieur à ce qu’il devrait être et nécessite notre attentionNote de bas de page 111.
Créer une nouvelle normalité en ce qui concerne l’égalité de traitement des hommes et des femmes
Au Canada, il demeure crucial que les femmes continuent de former un groupe visé par l’équité en matière d’emploi. L’égalité réelle n’a pas été atteinte. De plus, durant la pandémie, il a été démontré que les gains réalisés au fil du temps étaient trop fragiles, comme l’ont souligné des organisations aussi diverses que les Nations Unies, la Commission canadienne des droits de la personne et la Fondation canadienne des femmesNote de bas de page 112. Nous partageons l’avis de la Fondation canadienne des femmes :
Il est « normal » d’envisager l’égalité comme « quelque chose de bon à posséder », mais pas comme une caractéristique essentielle d’une société saine. [...] Il est temps de créer une nouvelle normalité. [...] L’inégalité nuit à notre santé collective. »
Fondation canadienne des femmes et Diane Hill, Resetting Normal: Lessons from the Pandemic: Building intersectional gender justice in post‑pandemic Canada, septembre 2021 .
Nous discutons de chaque groupe visé par l’équité en matière d’emploi en accordant une attention particulière au genre. Nous recommandons que les femmes continuent de former une catégorie visée par l’équité en matière d’emploi. Nous demandons qu’une attention accrue soit accordée à la désagrégation et à une approche intersectionnelle.
Recommandation 3.14 : Les femmes doivent continuer de former un groupe visé par l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 3.15 : La mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi, les véritables consultations et la surveillance réglementaire doivent être abordées de manière désagrégée et intersectionnelle.
Les travailleurs noirs au lendemain de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine
Introduction
Nous voulons être traités sur un pied d’égalité. Les Canadiens noirs veulent que leur humanité soit valorisée : un milieu de travail positif, respectueux de la diversité. Notre éducation, notre expérience et nos compétences doivent être reconnues comme valides. Nous voulons une chance égale de nous perfectionner sur le plan professionnel et ne pas y être empêchés à cause de la couleur de notre peau.
Répondant au sondage cité dans Harvi Millar, Reimagining the Employment Equity Act: Making it Work for Black Canadian Employees, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, 20 juillet 2022, à la page 65.
La présente section traite de la demande précise visant à ce que les travailleurs d’ascendance africaine soient retirés du groupe visé par l’équité en matière d’emploi des « minorités visibles » ou « groupes racisés » pour former un groupe distinct visé par l’équité en matière d’emploi. On y présente donc une discussion détaillée sur le contexte historique particulier des communautés noires au Canada ainsi qu’un portrait statistique pour évaluer la justification à l’appui d’une catégorie spéciale.
Notre groupe de travail conclut qu’il est approprié et opportun de constituer un groupe spécial visé par l’équité en matière d’emploi pour les travailleurs noirs au Canada.
La pandémie a révélé à la société canadienne un portrait des travailleurs noirs rarement présenté dans les médias et qui va à l’encontre des stéréotypes anti‑Noirs (travailleurs de la santé, personnel chargé du nettoyage, travailleurs dans les épicerie, chauffeurs d’autobus et autres travailleurs noirs) qui ont fait d’immenses sacrifices personnels au plus fort de la pandémie pour permettre à la majorité de la population de s’abriter sur placeNote de bas de page 113. Ce portrait a cimenté l’importance des données statistiques sur l’incidence différentielle de la COVID‑19 sur les populations noires. La surreprésentation des travailleurs noirs dans des emplois qui mettent littéralement leur vie et leur santé en danger nous rappelle concrètement ce à quoi peut ressembler l’iniquité en matière d’emploi.
Cela contraste avec les données récentes fournies sur la représentation des personnes noires dans la fonction publique fédérale. Dans des données sur les sous-groupes rarement diffusées, publiées à l’occasion d’une vérification par la Commission de la fonction publique du Canada, on constate que les demandeurs noirs, qui formaient le plus grand sous‑groupe, ont connu la plus grande diminution de représentation de tous les sous-groupes de minorités visibles. Ainsi, leur représentation entre l’étape de la demande d’emploi et celle de la nomination, en passant par la présélection automatisée, la présélection organisationnelle et l’évaluation, est passée de 10,3 % à 6,6 %. Dans l’échantillon ayant fait l’objet de la vérification de la Commission de la fonction publique du Canada, 30 candidats noirs sur les 1 570 demandeurs d’emploi ont été nommés en posteNote de bas de page 114.
La Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies
La Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies a débuté en 2014 et a été officiellement reconnue par le gouvernement du Canada en 2018. Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a formulé un ensemble de recommandations qui reconnaissent « que des millions de personnes d’ascendance africaine vivent dans des sociétés où la discrimination raciale les place dans les positions les plus basses des hiérarchies socialesNote de bas de page 115. » Parmi celles‑ci, mentionnons l’appel à l’adoption de mesures spéciales dans le cadre d’une stratégie nationale globale et avec la participation des personnes d’ascendance africaine afin d’éliminer la discrimination, y compris dans le domaine de l’emploiNote de bas de page 116.
Cependant, à la suite du meurtre indicible de George Floyd, l’ampleur du « racisme et de la discrimination structurelle à l’égard des personnes d’ascendance africaine, enracinés dans le régime infâme de l’esclavageNote de bas de page 117 » est devenue mondialement reconnue. Nous avons été témoins d’une mobilisation mondiale de personnes appelant à la justice raciale et à une prise de conscience récente de l’ampleur du racisme anti‑Noirs et de ses causes institutionnelles. Le programme de transformation de l’ONU recommande aux États d’« examiner l’étendue et l’incidence du racisme systémique et d’adopter des mesures juridiques, politiques et institutionnelles efficaces pour lutter contre le racisme qui vont au‑delà d’une addition d’actes individuelsNote de bas de page 118. »
Dans le sillage de ces développements mondiaux, des représentants d’un large éventail de la société canadienne se sont joints aux communautés noires pour soutenir la création d’un groupe distinct visé par l’équité en matière d’emploi pour les travailleurs noirs. Il y avait des représentants du gouvernement, des employeurs et des syndicats, ainsi que des experts au Canada et à l’étranger. Les travailleurs noirs, eux‑mêmes, étaient au centre de cette recommandation.
[Traduction] Le fait que les employeurs puissent respecter les normes de conformité sans jamais avoir à employer des Canadiens noirs est problématique.
Harvi Millar, Reimagining the Employment Equity Act: Making it Work for Black Canadian Employees, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, 20 juillet 2022, à la page 21.
Notre groupe de travail a entendu des représentants de travailleurs d’ascendance africaine et des représentants des communautés noires de la fonction publique et du secteur privé, y compris des représentants du secrétariat recours collectif noir qui a intenté une action civile pour discrimination systémique dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Les représentants ont répété qu’ils étaient victimes d’« invisibilisation » et de racisme anti‑Noirs au sein de la catégorie des minorités visibles. Ils ont attiré l’attention sur les données statistiques sur la représentation, selon lesquelles un employeur pourrait être considéré comme ayant des taux d’atteinte qui correspondent ou dépassent la disponibilité sur le marché du travail, et ce, sans jamais avoir embauché une personne noire. Si la désagrégation des données par le biais d’analyses intersectionnelles illustrait le problème, elle n’y a pas remédié. Les représentants ont également mis en évidence des obstacles persistants qui illustrent la nature et la persistance du racisme anti‑Noirs. La création d’une nouvelle catégorie, fondée sur les legs propres à l’esclavage dont les séquelles se manifestent dans les données statistiques, devient un fondement important de cette réflexion.
On a rappelé à plusieurs reprises au groupe de travail que les travailleurs d’ascendance africaine font partie de nombreuses catégories; les communautés noires affichent une grande diversité d’histoires, d’origines et de provenances géographiques. Ces travailleurs sont représentés dans tous les groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Ils sont urbains et ruraux, et ces différences sont importantes. Certains s’identifient plus facilement à des régions géographiques en particulier, notamment celles qui ont des liens récents avec des États précis du continent africain. Pour beaucoup d’autres, l’histoire est inextricablement liée à l’esclavage transatlantique, car ce sont les descendants d’Africains qui ont été réduits à l’esclavage dans l’ensemble de l’Amérique, y compris les Caraïbes, l’Amérique centrale, l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord. Et le Canada fait partie de cette histoire.
La longue histoire des Noirs au Canada
Ce n’est que récemment que de nombreux Canadiens ont appris que l’esclavage a existé au Canada. Les arguments en faveur d’une catégorie distincte dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi visant spécifiquement les personnes d’ascendance africaine sont enracinés en partie dans l’héritage d’un passé esclavagiste, à la fois dans le Canada du 16e siècle jusqu’à son abolition en 1834, et en tant qu’institution mondiale. Les Autochtones et les Noirs ont été réduits à l’esclavage, des Maritimes au Haut et au Bas-Canada, avant la Confédération en 1867Note de bas de page 119. Dans certaines provinces, comme l’Île-du-Prince-Édouard, des lois ont été adoptées pour codifier la légalité de l’esclavage. Dans d’autres administrations, des questions sont soulevées concernant l’applicabilité de la législation autorisant l’esclavage des personnes d’ascendance africaine, comme le Code noir français dans ce qui est maintenant le Québec. De plus, la réduction en esclavage des personnes n’était qu’une des façons dont le Canada participait à l’institution mondiale et rentable de l’esclavage – l’incidence de la production et de la vente de morue salée de l’Est du Canada et des États‑Unis pour nourrir les esclaves est une autre dimension peu connue.
À juste titre, une attention particulière a été accordée à l’expérience de la population afro-néo-écossaise, notamment par les tribunaux. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que [Traduction] « les Néo-Écossais d’origine africaine ont une histoire distincte qui se reflète dans la façon dont ils sont arrivés ici et dans leur expérience au cours des 400 dernières années. Cette histoire est enracinée dans le racisme et l’injustice systémiques et institutionnaliséNote de bas de page 120. »
R. c. Anderson, Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, 2021 NSCA 62, article 97
[Traduction] « Un examen de l’histoire et de l’expérience des Afro‑Néo‑Écossais révèle la nature et l’étendue de leur oppression :
- réduction en esclavage et statut juridique en tant que propriété des hommes blancs;
- ré‑asservissement des esclaves affranchis par les profiteurs et les esclavagistes;
- migration forcée en tant que biens personnels loyalistes américains après la Révolution américaine;
- servitude aux ménages loyalistes, même pour les esclaves affranchis;
- ségrégation légale à la suite de l’abolition officielle de l’esclavage dans les colonies britanniques; il existe des exemples de ségrégation raciale légalement sanctionnée pour le service militaire, les études et, comme dans le cas de Viola Desmond en 1946, même dans les cinémas;
- refus de propriété de biens immobiliers; les colons noirs recevaient des billets d’emplacement ou des licences d’occupation plutôt que des titres légaux sur leurs terres. Privés d’un titre clair, les colons noirs ne pouvaient pas vendre ou hypothéquer leurs biens, ou les transmettre légalement à leurs descendants à leur mort;
- exclusion en vertu de la Juries Act de 1864 en raison de la non‑détention d’une succession en pleine propriété. »
L’esclavage a laissé des séquelles qui se répercutent profondément sur la participation des communautés afro‑canadiennes au marché du travail. L’histoire de la ségrégation – en matière de prestation de services, de logement, d’éducation et d’emploi – n’est pas bien connue au Canada, même si elle a été légalement confirmée par la Cour suprême du Canada en 1939Note de bas de page 121. Cependant, l’esclavage en tant qu’institution mondiale est à l’origine des stéréotypes concernant la place des Noirs sur le marché du travail (occupent des emplois subalternes, sont mal rémunérés, prolétaires). Comme l’indique Bridglal Pachai,
[Traduction] [l]e climat social et racial pendant les années de guerre n’avait apporté aucune amélioration dans les relations interraciales. Les Noirs de la Nouvelle-Écosse sont demeurés au bout de la longue file à la recherche de possibilités d’emploi. Peu importe que l’on soit éduqué, qualifié, semi‑qualifié ou non qualifié, le résultat est le même : les Noirs sont employés si et quand d’autres candidats ne sont pas disponibles ou ne veulent pas l’êtreNote de bas de page 122.
Historiquement, les Afro‑Néo‑Écossais ont cherché à s’appuyer sur la débrouillardise, le développement économique communautaire en présence de contraintes importantes, l’organisation communautaire et, bien sûr, la mobilité. Cependant, des communautés noires comme la communauté afro-néo-écossaise d’Africvile, au nord d’Halifax, ont été détruites de force. Depuis 2017, en raison de litiges importants, une initiative sur les titres fonciers a été mise en place pour résoudre les revendications et fournir des titres clairs aux résidents des communautés d’East Preston, North Preston, Cherry Brook/Lake Loon, Lincolnville et Sunnyville.
Animé par la question de savoir pourquoi nous n’en savons pas plus sur la lutte des hommes et des femmes noirs qui ont combattu les lois et les politiques de style Jim Crow afin qu’ils puissent être reconnus, non seulement en tant qu’êtres humains, mais aussi en tant que citoyens à part entière du Canada, l’historien Cecil Foster postule que le Canada est devenu un État officiellement multiculturel [Traduction] « grâce au travail des porteurs de chemin de fer s’il s’agissait d’hommes, et des employées de maison s’il s’agissait de femmesNote de bas de page 123. »
Il est bien connu que les chemins de fer – symbole emblématique de l’unification canadienne d’un océan à l’autre – ont été construits sur la base d’une division du travail raciséeNote de bas de page 124. Cette ségrégation a été officialisée par la loi, malgré le fait que des hommes noirs ayant été recrutés dans les Maritimes, aux États-Unis et dans les Caraïbes devaient s’éreinter pendant de longues heures et lutter pour rester éveillés, toujours au service des passagers à la recherche de [Traduction] « porteurs comme de bonnes femmes de ménageNote de bas de page 125 » et touchant à peine un salaire vitalNote de bas de page 126. Il est révélateur que le premier juge en chef noir, l’honorable Julius Isaac de la Cour fédérale du Canada, ait travaillé comme porteur pour wagons‑lits dans une industrie ferroviaire ségréguéeNote de bas de page 127. Le premier juge afro-néo-écossais et la première femme noire au Canada à devenir juge, l’honorable Corrine Sparks, ont fréquenté des écoles ségréguées à HalifaxNote de bas de page 128.
Les milieux de travail ségrégués au Canada ont également été à la base de récentes affaires de droits de la personne, y compris le Centre Maraicher Eugène Guignois, où les résidents permanents noirs et les citoyens occupant des emplois précaires en tant que « journaliers » sur une ferme à l’extérieur de Montréal étaient tenus d’utiliser des salles de bains et des cuisines séparées des travailleurs blancsNote de bas de page 129. Au Canada. En 2001.
L’histoire particulière du racisme envers les Noirs au Canada a été soulignée par le groupe de travail des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine lors de sa visite au Canada en 2017Note de bas de page 130. Cette forme de racisme a également été reconnue par la Cour suprême du Canada, qui a indiqué que « les préjugés raciaux et leurs effets sont tout aussi attentatoires et insaisissables que corrosifs » :
Pour certains, les préjugés contre les Noirs reposent sur des suppositions tacites et incontestées apprises au long de toute une vie. Ces suppositions façonnent le comportement quotidien des gens, souvent sans qu’ils s’en rendent compte.
R. c. Williams [1998] 1 RCS 1128, 1998 CSC 782 au paragraphe 21, citant R. c. Parks, 1993 ONCA 3383, à la page 371.
Dans l’arrêt R. c. Parks, le juge Doherty ajoute que nos institutions « reflètent et perpétuent ces stéréotypes négatifs. » En 2021, la Cour d’appel de l’Ontario a affirmé qu’« [i]l ne fait aucun doute que le racisme envers les Noirs, y compris le racisme affiché et le racisme systémique, demeure une réalité au sein de la société canadienne [...]Note de bas de page 131. » Toujours en 2021, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a reconnu que [Traduction] « [l]’expérience du racisme et de la ségrégation a infligé de profondes blessures transgénérationnellesNote de bas de page 132. » En 2022, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a pris [Traduction] « connaissance d’office du fait que le racisme envers les Noirs existe dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique, comme c’est le cas partout au Canada, et que le racisme envers les Noirs peut avoir un impact profond et insidieuxNote de bas de page 133. »
« Vivre dans la peau d’un noir c’est connaître l’humiliation, le rejet, la méfiance, la désapprobation, la disqualification, l’interdiction, l’indifférence, la discrimination systémique, le tout voilé de discours politiquement correct à tout instant, mais sans concrétisation. Évaluer la réalité, les personnes de couleurs noires vivent dans le rejet, l’outrance d’un jour et de toujours. »
Fonctionnaire fédéral
Selon les organismes communautaires consultés, l’équité en matière d’emploi est une question fondamentale de justice; il s’agit d’assurer la justice économique pour les personnes d’ascendance africaine et de promouvoir l’épanouissement intersectionnel des Noirs au sein d’une société canadienne inclusive. Le rapport sur les consultations approfondies, dans le cadre duquel plus de 500 membres des communautés noires au Canada ont été sondés, a révélé des expériences troublantes comme la mise à l’écart des promotions, le manque d’encadrement et possibilités de perfectionnement professionnel limitées, le non‑respect des attestations d’études universitaires et se faire juger non qualifiés, les écarts salariaux fondés sur la race, et se faire dire d’arrêter de jouer la « carte du racismeNote de bas de page 134. »
La diversité du groupe des personnes d’ascendance africaine en chiffres
Cette histoire ne devrait pas masquer la diversité de la population de personnes d’ascendance africaine présente au Canada.
Aux fins du recensement, la catégorie « Noirs » a été ajoutée en 1986 dans le cadre d’une importante initiative visant à améliorer la collecte de données et la production de rapports, à l’appui de la mise en œuvre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi Note de bas de page 135. Selon les données du recensement de 2021, près de 91 % des personnes nées à l’extérieur du Canada proviennent des Caraïbes ou du continent africain.
Il existe une hypothèse logique et ancrée selon laquelle certaines régions géographiques – notamment une grande partie du continent africain – ont des populations à prédominance noire. L’hypothèse a ses limites. Il convient également de noter que les membres de la diaspora noire d’autres parties du monde, comme l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, pourraient être sous‑estimées en raison d’hypothèses intégrées dans la catégorie des minorités visibles. Historiquement, le Brésil, par exemple, a reçu le plus grand nombre d’esclaves africains au monde. Plus de 97 millions de personnes, soit 50,7 % de la population brésilienne, ont des ancêtres africainsNote de bas de page 136. La négritude en Amérique latine a toujours été sous‑estimée, mais l’existence de personnes d’origine africaine dans la région fait l’objet d’une attention croissanteNote de bas de page 137. Notons que Statistique Canada inclut des données du Guyana dans certains de ses calculs, en faisant remarquer que la population noire « a de nombreuses ressemblances socioculturelles avec les populations noires des CaraïbesNote de bas de page 138. » Bien entendu, le Guyana est à la fois un pays d’Amérique du Sud et un État membre de la Communauté des Caraïbes. La trajectoire historique des Noirs en Afrique du Nord et les expériences actuelles de racisme anti‑Noirs peuvent être comprises de la même manièreNote de bas de page 139.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les statistiques sur la population noire au Canada se concentrent en grande partie sur la race, tandis que les statistiques sur d’autres populations racisées portent en grande partie sur la géographie.
Il est important de reconnaître que le fait que la catégorie « Noir » ne peut pas être enracinée dans une seule région géographique reflète l’histoire de l’esclavage en tant qu’institution mondiale. La notion d’ascendance africaine tire une signification particulière de cette réalité historique.
Il y a également de nouvelles recherches, bien que limitées, sur la catégorie des « minorités visibles multiples » utilisée dans le recensement. Certaines recherches menées aux États-Unis suggèrent que même lorsqu’une personne s’identifie comme membre de plus d’une minorité visible, mais que l’une de ces identités est noire, le fait d’être une personne noire est vécu comme une identité qui n’est pas un choix et qui a une incidence sur les options de vieNote de bas de page 140. La Grande‑Bretagne a mis au point une désignation ethnique « mixte » autonome qui comprend des sous-groupes, par exemple « personnes blanches et noires des Caraïbes », permettant une plus grande précisionNote de bas de page 141.
La question difficile d’en arriver à une caractérisation plus représentative de la population noire au Canada, dans toute sa diversité, est une question importante pour la future collecte de données à l’appui de la mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi, de véritables consultations et de la surveillance.
Recommandation 3.16 : Le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi devrait étudier la meilleure façon d’obtenir une caractérisation convenablement représentative, désagrégée et intersectionnelle de la population noire au Canada, par le biais de véritables consultations avec des organisations représentatives de personnes d’ascendance africaine.
Malgré ces préoccupations, notre groupe de travail note que les données du recensement de 2021 montrent que la taille de la population noire au Canada a presque triplé depuis 2016, le nombre de personnes s’identifiant comme « noires » s’établissant à près de 1,5 million. Les Noirs constituent 4,3 % de la population totale du Canada et 16,1 % ou le troisième groupe en importance de la population définie comme une minorité visible. Les personnes noires, une population jeune, devraient atteindre 3 millions d’ici 2041.
La démographie de la population noire a radicalement changé au fil du temps, grâce à diverses vagues d’immigration de la période d’après-guerre jusqu’à nos jours. À l’heure actuelle, selon les données du recensement de 2021, environ 42,1 % des Noirs étaient des citoyens canadiens de naissance, tandis que 50,9 % étaient des immigrants et 7,9 %, des résidents non permanents.
En 2021, environ 897 000 membres de la population noire étaient des immigrants ou des résidents non permanents, et 42 % d’entre eux sont venus au Canada au cours de la décennie précédente.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Statut | Pourcentage de la population noire |
---|---|
Citoyen canadien de naissance | 42,1 % |
Immigrant | 50,9 % |
Résident non permanent | 7,0 % |
- Source : Recensement 2021
Les données statistiques les plus récentes confirment qu’il existe des différences significatives dans l’emploi et les revenus des Noirs par rapport au reste de la population adulte au Canada, et que ces différences se sont accentuées au fil du temps malgré des gains au chapitre du niveau de scolarité des Noirs. Les données du recensement de 2021 indiquent que le revenu d’emploi moyen de la population noire représentait 78 % de celui de la population totale, tandis que le revenu d’emploi des femmes noires+ représentait 72 % de celui de la population totale. Selon les données du recensement de 2016, les taux de chômage étaient deux fois et demie plus élevés chez les hommes noirs que pour le reste de la population et souvent deux pour cent plus élevés pour les femmes noires et les hommes noirs dans la plupart des grandes villes du Canada. Un adulte noir sur cinq vit dans une situation de faible revenu.
Statistique Canada a souligné les caractéristiques suivantes montrant les défis du marché du travail, tant en haut qu’en bas de l’échelle, qui ressortent des données du recensement de 2021. Premièrement, à 15,8 %, le pourcentage de la population noire de troisième génération ou plus titulaires d’un baccalauréat ou d’un grade supérieur est inférieur à celui des populations noires ayant immigré du continent africain ou des Caraïbes, et inférieur à celui des membres de la deuxième génération de la population noire. Environ 49,8 % de la population noire est titulaire d’un diplôme d’études postsecondaires.
Deuxièmement, la population noire est aux prises avec un problème important de surqualification. Il convient de souligner une caractéristique importante, soit que contrairement à la plupart des autres groupes racisés, la surqualification n’est pas principalement associée à la reconnaissance des titres de compétences étrangers.
Pas moins de 16 % des travailleurs noirs titulaires d’un baccalauréat ou d’un grade supérieur décerné par un établissement canadien occupent des emplois qui exigent un diplôme d’études secondaires ou moins.
Il s’agit du taux de surqualification le plus élevé de tous les groupes racisés formés au Canada. La moyenne pour la population ayant fait des études au Canada était de 11,1 %.
Il est particulièrement frappant de constater que les taux sont similaires d’une génération à l’autre : la population noire de première génération est surqualifiée à 15,8 %, celle de deuxième génération à 16,6 % et la troisième génération ou toute génération subséquente à 15,7 %. Selon Statistique Canada, « [c]ela concorde avec d’autres données relatives aux difficultés auxquelles se heurtent les travailleurs noirs, qui étaient plus susceptibles que les autres travailleurs de déclarer faire l’objet de discrimination ou d’un traitement injuste en milieu de travailNote de bas de page 142. »
Entre 2001 et 2016, par exemple, le taux d’emploi des femmes noires âgées de 25 à 59 ans est demeuré à 71 %, mais il est passé de 72 % à 75 % chez les autres femmes du même groupe d’âge. De même, l’écart s’est creusé entre les salaires annuels médians des Noirs et du reste de la population en âge de travailler, en grande partie parce que les salaires des travailleurs noirs n’ont pas augmenté aussi rapidement que ceux des autres travailleurs.
D’après le portrait du marché du travail établi pour les travailleurs noirs et publié durant la pandémie, Statistique Canada indique qu’en janvier 2021, les travailleurs noirs du principal groupe d’âge de 25 à 54 ans étaient plus susceptibles d’être titulaires d’un baccalauréat ou d’un grade supérieur (42,8 %) que les Canadiens du même groupe d’âge qui n’appartenaient pas à une minorité visible (33,6 %). Toutefois, les Canadiens noirs ayant un diplôme universitaire affichaient un taux d’emploi plus faible (86,1 %) que leurs homologues n’appartenant pas à une minorité visible (91,1 %). Si les hommes noirs et les hommes n’appartenant pas à une minorité visible se trouvaient en proportions égales dans les métiers et les sciences, par exemple, ce n’était pas le cas au sein de l’équipe de direction, où les hommes noirs étaient 40 % moins susceptibles d’occuper des postes de direction que les hommes n’appartenant pas à une minorité visible. Les travailleuses noires étaient également sous-représentées dans les postes de direction par rapport aux femmes n’appartenant pas à une minorité visible.
Compte tenu à la fois de l’histoire distincte de l’esclavage et de la ségrégation au Canada, ainsi que des données statistiques montrant la persistance d’un traitement différentiel et de la sous‑représentation, les travailleurs noirs revendiquent leur inclusion dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi en tant que catégorie distincte. La proposition a reçu un appui précis important de la part d’un certain nombre d’intervenants qui ont comparu devant nous et qui provenaient d’un large éventail d’organismes clients, y compris des communautés noires elles‑mêmesNote de bas de page 143.
Les observations et recommandations collectives montrent un très fort consensus selon lequel la Loi sur l’équité en matière d’emploi ne permet absolument pas de créer les conditions nécessaires à l’épanouissement des Noirs sur le lieu de travail. Le consensus qui se dégage des données est que les Canadiens noirs ne peuvent pas se situer dans le programme d’équité proposé dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Le point de vue consensuel des données est que les Canadiens noirs ne se reconnaissent pas dans le programme d’équité proposé dans le cadre de la Loi.
Harvi Millar, Reimagining the Employment Equity Act: Making it Work for Black Canadian Employees, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, 20 juillet 2022, à la page 34.
Un groupe particulier visé par l’équité en matière d’emploi
Des appels visant à former un groupe particulier visé par l’équité en matière d’emploi ont été lancés au Canada et auprès des Nations Unies. Les travailleurs d’ascendance africaine ont d’abord critiqué la terminologie de « minorité visible », en faisant valoir qu’elle conduit à négliger leurs identités et situations précisesNote de bas de page 144.
Les employeurs utilisent cette catégorie très large pour dire qu’ils font leur part, mais en réalité, ils ne choisissent pas les travailleurs noirs.
Fonctionnaire fédéral
Le groupe de travail a été informé que la majorité des participants aux consultations menées par le BDPRH du SCT dans la fonction publique fédérale étaient d’accord pour dire que les travailleurs d’ascendance africaine devraient former un groupe visé par l’équité en matière d’emploi, à la fois en raison du contexte historique de l’esclavage et de l’engagement du Canada à se concentrer sur les questions qui concernent les communautés noires et à améliorer les données, la recherche et les politiques, notamment à la lumière de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaineNote de bas de page 145.
Nous avons délibérément utilisé le langage des travailleurs noirs et des travailleurs d’ascendance africaine de façon interchangeable dans ce rapport, par respect pour la façon dont les communautés noires au Canada se sont identifiées et organisées. Nous sommes également conscients du puissant élan vers l’avant qui découle de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine et de l’Instance permanente des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies. Une déclaration des Nations Unies sur la promotion et le respect des droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine est en cours d’élaboration. Il semblait approprié de reconnaître et d’adopter le langage international dans notre rapport et nos recommandations.
Le Caucus des employés fédéraux noirs (CEFN) estime que la reconnaissance des travailleurs noirs dans une catégorie distincte aiderait à comprendre l’héritage et les répercussions du colonialisme, et l’importance de comprendre l’expérience vécue par les Canadiens noirs à travers le prisme du racisme anti‑Noirs. Les intervenants qui se sont présentés devant le groupe de travail et qui ont exprimé une opinion avaient tendance à appuyer l’établissement d’une catégorie distincte pour les travailleurs noirs, soulignant la spécificité de l’histoire et des résultats sur le plan de l’emploi. Le groupe de travail a également entendu le Secrétariat du Recours collectif noir, un organisme sans but lucratif représentant les fonctionnaires fédéraux noirs syndiqués et non syndiqués qui a intenté une poursuite contre le gouvernement du Canada. Voici sa revendication :
[Traduction] Les lois et les efforts en matière d’équité en matière d’emploi n’ont pas réussi à reconnaître et à aborder l’histoire et l’expérience uniques des travailleurs noirs et ont perpétué les préjugés, les stéréotypes et l’exclusion des employés noirs d’une manière qui a érodé la confiance des travailleurs noirs dans les lois sur l’équité en matière d’emploi, les engagements des employeurs et de la société à l’égard de ces lois, et dans la capacité de faire respecter les objectifs reconnus et l’inclusion des travailleurs noirs à tous les échelons du milieu de travail, notamment les échelons supérieursNote de bas de page 146.
Les représentants ont fait valoir au groupe de travail que les données non divulguées sur les sous‑groupes tirées de l’Étude sur les taux de promotion des groupes désignés aux fins de l’équité en matière d’emploi couvrant la période de 2005 à 2018 indiquaient un taux de promotion relatif négatif pour les employés noirs de -4,80 % par rapport aux employés qui ne sont pas noirsNote de bas de page 147. Le taux global de promotion des minorités visibles était positif (+0,6 %), bien qu’au rang de cadre supérieur, il était également négatif (-0,5 %)Note de bas de page 148.
La fonction publique du Canada a mis en évidence le fait que les ministères voulaient lancer des initiatives pour cibler l’embauche de candidats noirs ou d’étudiants noirs. On ne leur a pas permis d’agir au nom du sous-groupe, parce que le groupe visé par l’équité en matière d’emploi comprenait les minorités visibles en général.
La solution à ce besoin émergent pourrait être l’expansion des groupes désignés.
Gaveen Cadotte, vice‑président (Politiques et communications), Commission de la fonction publique du Canada, Lettre au groupe de travail sur l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, 2 juin 2022
Plusieurs syndicats ont également exprimé leur soutien public et leur solidarité envers les employés noirs de la fonction publique fédérale, en reconnaissant la prévalence du racisme anti‑Noirs et en affirmant l’importance pour la fonction publique fédérale en particulier de diriger par l’exemple.
Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a publié une recommandation générale, y compris un appel aux États à « concevoir et appliquer des mesures spéciales visant à promouvoir l’emploi des personnes d’ascendance africaine dans les secteurs public et privéNote de bas de page 149. »
L’épanouissement des Noirs; ce terme, qui figure dans la Charte de Scarborough [contre le racisme anti‑Noirs et pour l’inclusion des Noirs dans l’enseignement supérieur au Canada : principes, actions et responsabilités], est profondément pertinent pour les Canadiens Noirs dans le monde du travail.
Harvi Millar, Reimagining the Employment Equity Act: Making it Work for Black Canadian Employees, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, 20 juillet 2022, à la page 34.
Il était également important pour le groupe de travail de noter que différents secteurs de la société canadienne reconnaissent de plus en plus la nécessité de remédier à la sous‑représentation des travailleurs noirs. Des initiatives volontaires comme la Charte de Scarborough contre le racisme anti‑Noirs et pour l’inclusion des Noirs dans l’enseignement supérieur au Canada (2021) ont contribué à encadrer et à soutenir des initiatives dans les universités et les collèges pour remédier à la sous‑représentation des professeurs, du personnel et des étudiants noirsNote de bas de page 150. L’Initiative BlackNorth a été lancée en 2020 et signée par 481 entreprises; cependant, un rapport indépendant de 2022 a soulevé de sérieuses questions quant à l’étendue des progrès réalisés en matière d’inclusion équitableNote de bas de page 151.
Nous savons déjà que les mesures volontaires ne permettront pas de réaliser l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 3.17 : Les travailleurs noirs devraient constituer un groupe distinct visé par l’équité en matière d’emploi aux fins du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Au lendemain de la Purge – pleine inclusion des travailleurs 2ELGBTQI+
Introduction
[Traduction] Notre communauté réunit de nombreuses communautés, liées entre elles par nos histoires, nos oppressions et nos rêves d’avenir où la diversité sexuelle et de genre est célébrée et affirmée .
Le réseau Enchanté, La Loi sur l’équité en matière d’emploi et les communautés 2ELGBTQI+, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, août 2022, à la page 12.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels exige expressément des États, comme obligation minimum fondamentale, qu’ils garantissent « par voie de législation l’exercice du droit [de travailler] sans discrimination aucune fondée sur [...] l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’intersexualité [...]Note de bas de page 152. »
Notre groupe de travail a examiné de près l’histoire de la discrimination systémique en milieu de travail à laquelle sont confrontés les membres des communautés 2ELGBTQI+ au Canada, ainsi que les éléments de preuve disponibles à cet égard. Nous avons écouté attentivement les nombreux intervenants qui se sont présentés devant nous, qui provenaient des collectivités elles‑mêmes et de l’ensemble des groupes d’employeurs et de travailleurs. Nous avons examiné ce qui a déjà été fait, au Canada et dans d’autres pays. Nous avons également demandé quelles seraient les mesures nécessaires pour faire progresser les connaissances sur la situation d’emploi et les expériences d’emploi des communautés 2ELGBTQI+.
Dans l’ensemble, nous concluons qu’il existe un fondement solide pour recommander l’inclusion des personnes 2ELGBTQI+ en tant que groupe visé par l’équité en matière d’emploi dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, et nous recommandons leur inclusion.
Les communautés 2ELGBTQI+ au regard des données disponibles
[Traduction] Le manque de données et de recherches a créé un problème substantiel. [...] À la suite de la publication récente de recherches canadiennes utilisant diverses méthodes et la disponibilité de nouvelles données sur la diversité des genres provenant du recensement de 2021, en partie grâce à la défense des intérêts des communautés de recherche, de politiques et de [2ELGBTQI+], il est possible d’aller de l’avant sur cette question.
Carol Agócs, Think Piece on Three Issues, document non publié préparé pour le GTELEME, 14 décembre 2022
Selon les plus récentes données publiées par Statistique Canada, on estime qu’un million de personnes font partie des communautés 2ELGBTQI+ au Canada, ce qui représente 4 % de l’ensemble de la population canadienne âgée de 15 ans et plusNote de bas de page 153. Au sein de ces communautés, 52 % sont des femmes, 42 % sont des hommes et 3 % sont des personnes non binaires. Selon les mêmes données d’enquête de 2018, les personnes 2ELGBTQI+ constituent une population jeune, composée à 58,4 % de personnes âgées de 34 ans ou moins contre 30,5 % dans la population générale, et à 7,3 % de personnes âgées de 65 ans et plus contre 20,6 % dans la population générale. Le revenu d’emploi de 40,5 % de la population est inférieur à 20 000 $ par année. De plus, le revenu personnel moyen était nettement plus faible (39 000 $) que celui des personnes ne faisant pas partie de la communauté 2ELGBTQI+ (54 000 $)Note de bas de page 154.
Au moment où notre groupe de travail se réunissait, le Canada est devenu le premier pays à produire des données sur les personnes transgenres et les personnes non binaires grâce au recensement. Statistique Canada fait maintenant la distinction dans le questionnaire du recensement entre le sexe « à la naissance » et pose une question sur le genreNote de bas de page 155. Selon Statistique Canada, 0,2 % de la population âgée de 18 ans et plus était transgenre en 2021. Près des deux tiers (62 %) de ces personnes avaient moins de 35 ans. Plus de la moitié des personnes non binaires âgées de 15 ans et plus (52,7 %) vivaient dans l’un des six plus grands centres urbains du Canada.
Des données distinctes du gouvernement du Canada recueillies dans le cadre d’un sondage non randomisé en ligne effectué en 2021 pour le Plan d’action 2ELGBTQI+ montrent que sur 25 636 répondants, 37 % se sont déclarés gais, 23 % bisexuels, 20 % queers, 19 % lesbiennes, 13 % pansexuels et 6 % asexuelsNote de bas de page 156. En ce qui concerne l’emploi, environ la moitié avaient un emploi à temps plein, 11 % occupaient un emploi à temps partiel, 14 % étaient aux études, 7 % étaient sans emploi et cherchaient un emploi, 6 % étaient des travailleurs autonomes et 5 % étaient à la retraite. On a constaté que la discrimination, le harcèlement et l’exclusion étaient répandus, et que les obstacles à l’embauche étaient importants. Trente pour cent (30 %) des femmes transgenres et 22 % des hommes transgenres ont indiqué s’être vu refuser un emploi en raison de leur identité de genre, comparativement à 7 % des femmes cisgenres et à 4 % des hommes cisgenres. Les répondants bispirituels étaient les plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de harcèlement en raison de leur orientation sexuelle (42 %) ou de leur identité de genre (38 %) au cours des 5 dernières années.
Malgré ces progrès, il a été très difficile d’obtenir des données précises sur l’emploi : par conséquent, il n’est pas encore possible de comprendre le contexte d’emploi des membres des communautés 2ELGBTQI+ en l’absence de grands ensembles de donnéesNote de bas de page 157. Statistique Canada a communiqué au groupe de travail les renseignements suivants sur les taux d’emploi :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Hommes hétérosexuels | Femmes hétérosexuelles | Hommes gais | Femmes lesbiennes | Hommes bisexuels | Femmes bisexuelles |
---|---|---|---|---|---|
87 % | 78 % | 84 % | 86 % | 74 % | 69 % |
Taux d’emploi selon l’orientation sexuelle et le sexe
Les taux d’emploi varient selon l’orientation sexuelle et le genre
- Entre 2007 et 2017, les hommes hétérosexuels ont affiché des taux d’emploi semblables à ceux des hommes gais (87 % par rapport à 84 %).
- En revanche, les femmes lesbiennes et gaies affichaient un taux d’emploi plus élevé que les femmes hétérosexuelles (86 % par rapport à 78 %).
- Chez les lesbiennes et les gais, les hommes et les femmes affichaient des taux d’emploi similaires (84 % par rapport à 86 %).
- Dans l’ensemble, les hommes bisexuels (74 %) et les femmes (69 %) affichaient les taux d’emploi les plus faibles de tous les groupes.
- Source : Waite, Pajovic et Denier (2020), Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2007 à 2017
La présentation était fondée sur dix cycles de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2007 à 2017, qui comprennent une question directe sur l’orientation sexuelle, des échantillons de grande taille ainsi que des mesures du revenu et de l’emploi. En s’appuyant sur cette source, une équipe de chercheurs a été en mesure de fournir des données détaillées importantes.
Par exemple, ils ont constaté que les hommes gais ont des revenus médians inférieurs à ceux des hommes hétérosexuels, mais plus élevés que ceux des femmes hétérosexuelles et lesbiennes. Ils sont moins susceptibles d’occuper un emploi dans le secteur des métiers, du transport et de la machinerie que les hommes hétérosexuels, et sont plus nombreux à occuper des emplois dans le secteur de la vente et des services. Les revenus médians des lesbiennes sont supérieurs à ceux des femmes hétérosexuelles, mais inférieurs à ceux des hommes gais ou hétérosexuels. Les lesbiennes sont plus susceptibles d’occuper un emploi dans le secteur des métiers, du transport et de la machinerie que les femmes hétérosexuelles.
Les nouvelles données qu’ils ont recueillies sur les personnes bisexuelles montrent que les hommes bisexuels (38 733 $) et les femmes bisexuelles (32 601 $) ont des revenus médians considérablement inférieurs à ceux des femmes hétérosexuelles (41 611 $) et des hommes hétérosexuels (59 313 $), des hommes gais (52 013 $) et des lesbiennes (47 552 $). Les hommes bisexuels sont plus susceptibles d’être des immigrants ou des minorités visibles que les hommes gais et hétérosexuels, et les femmes bisexuelles sont plus nombreuses à s’identifier en tant que personne autochtone que les femmes hétérosexuelles ou lesbiennes. Les hommes bisexuels ont une représentation relativement importante dans les métiers, le transport et la machinerie. Ils sont toutefois sous‑représentés par rapport aux hommes hétérosexuels et gais dans les domaines de la gestion et des affaires, de la finance et de l’administration. Les femmes bisexuelles sont surreprésentées dans tous les domaines de la vente et des services ainsi que dans les industries du commerce de détail. De plus, les hommes et les femmes bisexuels sont beaucoup moins susceptibles d’occuper un emploi ou de travailler à temps plein que leurs comparateurs respectifs, les hommes et les femmes hétérosexuels. Ils sont également confrontés à des « pénalités salariales importantes et sévères » par rapport aux hommes hétérosexuels. Les lesbiennes sont plus susceptibles d’occuper un emploi et de travailler à temps plein que les femmes hétérosexuelles, bien que leurs tableaux ne semblent pas fournir de données sur les femmes lesbiennes par rapport aux hommes hétérosexuels ou pour l’ensemble de la population. Bien que les auteurs reconnaissent les limites inévitables de leurs données, ils concluent leur étude dans l’espoir qu’elle soit un catalyseur pour davantage de recherches et de données sur l’emploi LGBNote de bas de page 158.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Groupes professionnels | Hommes hétéro-sexuels | Femmes hétéro-sexuelles | Hommes gais | Femmes lesbiennes | Hommes bisexuels | Femmes bisexuelles |
---|---|---|---|---|---|---|
Professions de la vente et des services | 16 % | 22 % | 24 % | 22 % | 23 % | 33 % |
Métiers, transport et machinerie | 26 % | 2 % | 4 % | 5 % | 20 % | 3 % |
Les personnes LGB sont plus nombreuses à occuper des emplois dans le secteur de la vente et des services.
- Entre 2007 et 2017, une plus forte proportion de personnes LGB que de personnes hétérosexuelles ont occupé des emplois dans le secteur de la vente et des services, qui comptent parmi les professions les moins bien rémunérées au Canada.
- Les femmes bisexuelles (33 %) en particulier étaient surreprésentées dans les professions de la vente et des services.
- Comparativement aux hommes hétérosexuels (26 %), les hommes gais (4 %) étaient moins susceptibles de travailler dans les métiers, le transport et la machinerie.
- Une proportion plus élevée de femmes lesbiennes et gaies (5 %) que de femmes hétérosexuelles (2 %) travaillaient dans les métiers, le transport et la machinerie
- Source : Waite, Pajovic et Denier (2020), Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2007 à 2017
L’importance des données communautaires a été soulignée dans les rapports sur les consultations approfondies, et le manque de données en particulier concernant les personnes intersexuées s’est révélé être un problème auquel il faudra remédierNote de bas de page 159.
Trans PULSE Canada, une enquête nationale de recherche communautaire sur la santé et le bien‑être des personnes trans et non binaires au Canada, a permis de recueillir des données non randomisées sur une période de dix semaines à l’été 2019, en anglais et en français, en ligne, sur papier ou par téléphone avec ou sans interprète de langage. L’enquête a permis de sonder 2 873 répondants âgés de 14 ans et plus vivant au Canada et dont l’expression ne correspondent pas au genre qui leur a été assigné à la naissance. De ce total, 9 % s’identifiaient comme Autochtones et 14 % comme racisés, 3 % étaient de nouveaux immigrants et 88 % étaient nés au Canada. Trans Canada a fait état d’un certain nombre d’identités liées à l’incapacité et a noté que 19 % s’identifiaient comme des personnes handicapées. Soixante‑quinze pour cent (75 %) de l’ensemble des personnes de moins de 35 ans et environ 50 % des personnes ayant répondu au sondage étaient titulaires d’un diplôme collégial ou universitaire. Les responsables de l’enquête ont constaté que 43 % occupaient un emploi permanent à temps plein, tandis que 35 % occupaient un emploi sans statut permanent à temps plein, et que 16 % étaient en congé et n’avaient pas d’emploi. Malgré des niveaux de scolarisation très élevés, le revenu moyen des personnes âgées de 25 ans et plus étaient inférieurs à 30 000 $ par année; au moins 40 % des personnes trans et non binaires vivaient dans un ménage à faible revenu.
Une étude fondée sur le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux (SAFF) de 2017 menée par Statistique Canada sur les expériences d’emploi dans la fonction publique fédérale a révélé qu’il existe [Traduction] « des preuves irréfutables que les fonctionnaires fédéraux de diverses identités de genre connaissent des taux beaucoup plus élevés de discrimination et de harcèlement en matière d’emploi, comparativement aux hommes cisgenres et aux femmes cisgenresNote de bas de page 160. »
Importance de l’histoire
De nombreux intervenants se sont concentrés sur certains aspects de l’histoire de l’exclusion et sur le mouvement lent, mais résolu, vers l’élimination des obstacles juridiques à la pleine représentation des communautés 2ELGBTQI+ dans la société canadienne.
Une communauté née de l’oppression : Les personnes queer et transgenres sont nombreuses à reconnaître que la culture LGBTQ2+ a vu le jour par nécessité en raison de l’oppression historique et contemporaine.
Réseau de la fierté du secteur public, présentation au GTELEME, 17 mars 2022
Fait troublant, il s’agit d’une histoire contemporaine. On retrouve dans le Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+ 2022 les jalons importants du mouvement de reconnaissance des droits des membres de la communauté 2ELGBTQI + au cours des 50 dernières années :
1969 – Décriminalisation de la grossière indécence et de la sodomie chez les adultes consentants de 21 ans et plus (dans sa première version en 1892, le Code criminel du Canada prévoyait des infractions pour empêcher la « grossière indécence » et la sodomie [la pénétration anale]).
1977 – Modification apportée à la Loi sur l’immigration pour exclure les personnes homosexuelles de la liste des « catégories de personnes non admissibles. »
1992 – Fin des restrictions des Forces armées canadiennes à l’égard du service des personnes homosexuelles.
1995 – La Cour suprême statue que les droits à l’« égalité » garantis par la Charte s’étendent à l’orientation sexuelle.
1996 – Modification apportée à la Loi canadienne sur les droits de la personne pour y inclure l’orientation sexuelle.
2000 – Élargissement du champ d’application de la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations aux couples de même sexe.
2005 – Légalisation du mariage entre personnes de même sexe aux termes de la Loi sur le mariage civil.
En 2016, le premier ministre a nommé un conseiller spécial sur les enjeux liés aux communautés LGBTQ2, puis il a institué peu de temps après ce qu’on appelle désormais le Secrétariat 2ELGBTQI+ , dont le mandat consiste à proposer au gouvernement fédéral des voies pour corriger les injustices que les personnes 2ELGBTQI+ ont subies et subissent au Canada. Depuis ce temps, le gouvernement du Canada a pris d’autres mesures pour accroître la sécurité et l’inclusivité au pays :
2017 – Protection de l’identité de genre et de l’expression de genre en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
2017 – Excuses adressées par le premier ministre aux personnes ayant survécu à la Purge LGBT et aux groupes des communautés 2ELGBTQI+.
2018 – Approbation par la Cour fédérale de l’entente de règlement définitive concernant la Purge LGBT.
2018 – Adoption de la Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques, laquelle agit sur les infractions pour cause d’activités sexuelles consensuelles entre personnes de même sexe.
Source : Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+ 2022
Il devient évident que certains des obstacles les plus frappants viennent tout juste d’être reconnus et éliminés. Pour faire écho aux professeurs Brenda Cossman et Ido Katri lorsque la loi a été adoptée en 2017 pour protéger l’identité de genre et l’expression de genre, y compris les droits des personnes trans, [Traduction] « le travail de l’égalité réelle ne fait que commencerNote de bas de page 161. » En les citant, le professeur Samuel Singer ajoute que les mouvements de justice sociale sont conscients des limites des lois antidiscrimination et tentent d’opérer une transformation réelleNote de bas de page 162.
Au lendemain de la Purge
« Nos milieux de travail fédéraux ont un lourd passé de discrimination systématique envers les personnes LGBTQI2S. De la Purge LGBT, on y a fait d’importants progrès en matière d’inclusion, mais il faudra des efforts concertés, délibérés et porteurs pour promouvoir un changement de culture permanent et créer des milieux de travail réellement inclusifs à l’échelle du gouvernement fédéral. Le rapport Au lendemain de la Purge offre une feuille de route pour le changement. »
Michelle Douglas, directrice exécutive, Le Fonds Purge LGBT, commentaire sur le rapport Au lendemain de la Purge.
Une partie importante de cette feuille de route concerne les milieux de travail équitables.
Le groupe de travail a entendu en particulier des travailleurs et des syndicats fédéraux, qui ont parlé de la « Purge » et de ses effets dévastateurs sur leur vie et leur collectivité. Le gouvernement du Canada a reconnu que tout au long de la guerre froide, des années 1950 au début des années 1990 au Canada, des employés du gouvernement fédéral ont été victimes d’une campagne systématique visant littéralement à les « purger » de la fonction publique fédérale.
L’histoire et la nécessité d’une réparation sont relatées dans les excuses historiques présentées par le premier ministre du Canada en 2017 à la Chambre des communesNote de bas de page 163. Il est important de cerner ce que le gouvernement du Canada a reconnu et s’est engagé à réparer :
Monsieur le Président, aujourd’hui, nous reconnaissons une partie souvent négligée de l’histoire de notre pays. Aujourd’hui, nous parlons enfin du rôle qu’a joué le Canada dans l’oppression, la criminalisation et la violence systémiques à l’endroit des communautés lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenres, queer et bi‑spirituelle. [...] À leur arrivée sur ce territoire, ceux qui l’ont colonisé ont amené avec eux des normes étrangères quant au bien et au mal – au comportement acceptable ou inacceptable. Aux partenaires appropriés ou inappropriés. Ils ont amené avec eux des normes de genre rigides – des normes qui se sont manifestées par l’homophobie et la transphobie. Des normes qui ont mené à la quasi-destruction des identités LGBTQ et bi-spirituelles autochtones. Des gens dont l’identité avait été auparavant vénérée, ont été couverts de honte en raison de la personne qu’ils étaient. Ils ont été rejetés, sujets à la violence. La discrimination contre les communautés LGBTQ2 a été rapidement codifiée parmi les infractions criminelles, de la « sodomie », à de la « grossière indécence » et à des maisons de débauche. Il y a eu des descentes dans des bains publics, des gens ont été piégés par la police. Nos lois encourageaient et appuyaient ceux qui voulaient s’attaquer au désir sexuel non conforme. [...] Des vies ont été détruites. Et tragiquement, des vies ont été perdues. [...]
Au fil de notre histoire, des lois et des politiques adoptées par le gouvernement ont légitimé beaucoup plus que les inégalités. Elles ont légitimé la haine et la violence et ont couvert de honte les personnes ciblées. [...]
Monsieur le Président, la « Purge » qui a duré des décennies restera pour toujours un acte tragique de discrimination envers des citoyens canadiens, perpétré par leur propre gouvernement. Des années 1950 au début des années 1990, le gouvernement a exercé son pouvoir de manière cruelle et injuste, en entreprenant une campagne d’oppression contre les membres avérés ou soupçonnés des communautés LGBTQ2. L’objectif consistait à identifier ces travailleurs dans l’ensemble de la fonction publique, y compris ceux du service extérieur, les militaires et la GRC, puis à les persécuter. [...] Malheureusement, elle a donné lieu à une véritable chasse aux sorcières. La fonction publique, les militaires et la GRC espionnaient leurs propres membres, à l’intérieur et à l’extérieur de leurs lieux de travail. On surveillait les Canadiens pour déceler tout ce qui aurait pu être considéré comme un comportement homosexuel, en surveillant constamment les groupes communautaires, les bars, les parcs et même les résidences. À cette époque, le gouvernement fédéral a même investi des fonds pour développer un appareil absurde qu’on appelait alors Fruit Machine – une technologie déficiente qui devait supposément permettre de mesurer l’attraction homosexuelle. Ce projet avait été financé pour éventuellement pouvoir être utilisé contre des Canadiens. Lorsque le gouvernement croyait avoir accumulé assez de preuves, certains suspects étaient amenés dans des endroits secrets, la nuit, pour être interrogés. On leur posait des questions envahissantes au sujet de leurs relations et de leurs préférences sexuelles. Branchés à des polygraphes, ces fonctionnaires respectueux de la loi devaient révéler les détails les plus intimes de leur vie. Des femmes et des hommes étaient mal traités par leurs supérieurs. On sondait leur vie sexuelle en leur posant des questions dégradantes. Certains subissaient des agressions sexuelles.
Ceux qui admettaient être gais étaient congédiés, démis de leurs fonctions ou intimidés jusqu’à ce qu’ils démissionnent. Ils perdaient leur dignité et leur carrière. Leurs rêves et leur vie s’effondraient. Nombreux ont été ceux qu’on a soumis à du chantage pour qu’ils dénoncent leurs pairs, qu’on a obligés à trahir leurs amis et leurs collègues. Certains ont promis de mettre fin à leur relation s’ils pouvaient garder leur emploi. Poussés à se cacher encore plus, ils ont perdu leurs partenaires, leurs amis et leur dignité. Ceux qui ne perdaient pas leur emploi étaient rétrogradés, leur cote de sécurité était révoquée et ils n’ont pas été considérés pour des promotions qu’ils méritaient.
Sous les projecteurs, des gens étaient obligés de faire un choix impossible entre leur carrière et leur identité. Ce que les autorités canadiennes craignaient – le chantage des employés LGBTQ2 – se produisait. Mais ce n’était pas aux mains de nos adversaires, mais bien à celles de leur propre gouvernement. Monsieur le Président, la responsabilité première de tout gouvernement est la protection de ses citoyens. Nous avons manqué à notre devoir à plusieurs reprises à l’égard des membres des communautés LGBTQ2, encore et encore. C’est avec honte, tristesse et un profond regret pour ce que nous avons fait, que je prends la parole ici aujourd’hui pour dire que nous avions tort. Que nous présentons nos excuses. Je suis désolé. Nous sommes désolés. Pour l’oppression et le rejet systémiques commandités par l’État, nous sommes désolés. Pour la suppression des valeurs et croyances bi-spirituelles autochtones, nous sommes désolés.
Pour avoir abusé du pouvoir de la loi en faisant des criminels de nos citoyens, nous sommes désolés. Pour la censure du gouvernement et les tentatives successives visant à vous empêcher de bâtir vos communautés; Pour vous avoir refusé l’égalité et vous avoir forcés à lutter constamment pour cette égalité, et ce, souvent à un coût élevé; Pour vous avoir forcés à vivre à l’écart, pour vous avoir rendus invisibles et pour vous avoir humiliés – Nous sommes profondément désolés. Nous avions tort.
À tous les gens LGBTQ2 du pays à qui nous avons fait du mal, de toutes les manières possibles, nous sommes désolés.
[...] Nous avions tort. Effectivement, les contributions importantes que vous auriez pu apporter à notre société sont une perte pour tous les Canadiens. [...] Vous avez servi votre pays avec intégrité et vous en êtes des vétérans. Vous êtes des professionnels. Vous êtes des patriotes. Et par‑dessus tout, vous êtes innocents. Pour tout ce dont vous avez souffert, vous avez droit à la justice, à la paix. Nous avons collectivement honte que vous ayez été mal traités. Nous avons collectivement honte d’avoir mis tant de temps à vous présenter des excuses. Nous remercions aussi le réseau Nous exigeons des excuses, notre conseil consultatif pour les excuses à présenter aux communautés LGBTQ2, le Just Society Committee pour Égale Canada, ainsi que les gens qui se battent depuis longtemps pour obtenir ces excuses longuement attendues. Grâce à eux, nous avons compris que nous ne pouvions pas tout simplement oublier ce chapitre de notre histoire. On ne rendrait service ni à la communauté ni à l’ensemble des Canadiens en effaçant cette triste histoire. [...] Monsieur le Président, j’ai espoir qu’en rétrospective, nous nous souviendrons de cette journée comme étant un moment déterminant. Mais il reste encore beaucoup à faire.
La discrimination contre les communautés LGBTQ2 ne s’est pas limitée à une époque particulière. Elle dure depuis des siècles. À travers le monde, le Canada se fera le fier défenseur de droits égaux pour les communautés LGBTQ2.[...]
Pourquoi l’inclusion législative est-elle importante?
Ce qui reste, c’est la peur. Il faut tenir compte du fait que Statistique Canada a signalé que les membres des collectivités de 2ELGBTQI+ étaient « plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de violence au cours de leur vie et avoir été victimes de comportements inappropriés en public et en ligne que les Canadiens qui ne font pas partie d’une minorité sexuelleNote de bas de page 164 » au Canada. Des chercheurs ont fait état de l’ampleur des réactions négatives suscitées par la reconnaissance des protections des droits des personnes trans et l’importance de la reconnaissance juridique pour l’instauration d’un climat d’intégrationNote de bas de page 165. La formation sur l’Espace positif offerte au sein de la fonction publique fédérale, bien qu’importante, a été jugée inégale et insuffisante :
[Traduction] Sans législation et sans soutien, la peur persistera.
Réseau de la Fierté à la fonction publique, présentation au GTELEME, 17 mars 2022
Cette communauté a été exposée à des formes historiques de discrimination et d’exclusion au cours de ce que l’on appelle souvent la « purge ». En 2022, des données du recensement de 2021 seront publiées sur les communautés LGBTQ2+, notamment sur les populations trans et non binaires. Le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux révèle que les membres de cette communauté sont victimes de harcèlement et de discrimination en raison de leur identité. L’inclusion des personnes LGBTQ2+ en tant que groupe désigné est un pas important vers l’élimination des obstacles systémiques auxquels se heurte cette communauté.
Association canadienne des employés professionnels, mémoire présenté au GTELEME, 28 avril 2022
Il existe d’importants exemples comparatifs
Le Canada a été à l’avant‑garde d’un certain nombre d’initiatives sur l’inclusion des membres des communautés 2ELGBTQI+, mais pas sur l’inclusion au chapitre de l’équité en matière d’emploi.
La législation de plusieurs administrations, y compris les États-Unis, l’Afrique du Sud et l’Inde (État du Karnataka) comprend des mesures pour tous les membres des communautés 2ELGBTQI + ou certains d’entre eux.
L’Argentine est l’un des exemples récents les plus marquants de leadership international. Le pays a mis en place de solides protections antidiscriminatoires au travail précisément pour les personnes trans, définies dans la loi 26.743 du 9 mai 2012 sur l’identité de genre comme toutes les personnes dont l’autoperception de leur identité de genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. En 2020, l’Argentine a adopté le décret n° 721/20, qui prévoit que le secteur public national devrait représenter pas moins de 1 % de la population par des personnes trans. En 2021, le pays a adopté la loi n° 27.636 et le décret 659/2021 s’y rattachant, qui a élargi la portée pour inclure les ministères publics, les organismes décentralisés ou autonomes, les entités publiques non étatiques et les sociétés d’État. La loi précisait que les antécédents criminels qui ne sont pas pertinents pour l’emploi ne doivent pas constituer un obstacle à l’emploi compte tenu de la « situation de vulnérabilité » propre à ce groupe visé par l’équité en matière d’emploi. La loi prévoit des incitations fiscales temporaires et l’accès au crédit pour les employeurs, y compris les microentreprises et les PME. Un registre unique et volontaire des personnes transgenres souhaitant chercher un emploi dans le secteur public national est créé au sein du gouvernement, par l’intermédiaire du ministère des Femmes, du Genre et de la Diversité. Le décret 721/20 est remarquable par sa reconnaissance de la discrimination et de la stigmatisation que les personnes trans ont connues depuis l’enfance et dans le système d’éducation, et la nécessité pour l’État d’offrir réparation par le biais de mesures d’action positive. Les mesures comprennent un soutien précis pour les candidats à un emploi afin qu’ils remplissent certaines des exigences nécessaires en matière d’études au travail. Notons également des initiatives visant à faciliter la participation des groupes de la société civile compétents en la matière à la mise en œuvre du décret. Enfin, l’Argentine a mis sur pied une unité de coordination interministérielle dotée d’une représentation de haut niveau pour établir le plan de mise en œuvre et garantir les mécanismes et procédures de coordination nécessaires à la mise en œuvre effective du décret, tout en veillant à ce que les espaces voués à l’éducation et au renforcement des capacités soient disponibles pour les personnes transgenresNote de bas de page 166.
Les mesures spéciales argentines s’inspirent de la reconnaissance internationale et régionale (Cour interaméricaine des droits de l’homme et Commission des droits de l’homme) des droits de la personne sur la base de l’orientation sexuelle et de l’expression sexuelle. En mars 2022, la sous‑secrétaire à la diversité du ministère des Femmes, du Genre et de la Diversité, qui a joué un rôle central dans l’adoption du décret, Alba Rueda, a été nommée représentante spéciale de l’Argentine pour l’orientation sexuelle et l’identité de genre. L’avis de nomination mentionne qu’elle est la première femme transgenre à occuper cette fonction en Argentine et dans le monde; il mentionne également que quatre autres personnes occupent des fonctions similaires dans le monde, soit aux États‑Unis, au Royaume-Uni, en Italie et en Allemagne. La fonction de Mme Rueda relève du ministre des Relations extérieures et s’inscrit dans le cadre d’une politique étrangère visant à promouvoir les droits des personnes 2ELGBTQI+ dans la région et ailleursNote de bas de page 167.
Langue
On a constamment rappelé au groupe de travail à quel point il est important pour les personnes les plus concernées de pouvoir décider de la façon dont elles seront nommées :
2E au début de l’acronyme désigne les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits aux deux (2) esprits en tant que premier groupe des communautés 2ELGBTQI+.
L – désigne les personnes lesbiennes
G – désigne les personnes gaies
B – désigne les personnes bisexuelles
T – désigne les personnes transgenres
Q – désigne les personnes queers
I – désigne les personnes intersexuées, chez qui les caractéristiques sexuelles se situent au‑delà de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’expression de genre.
+ comprend les personnes qui indiquent leur appartenance à divers groupes sexuels et de genre et emploient d’autres terminologies.
Source : Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+ 2022
Sur la base de la vaste mobilisation du réseau Enchanté, le terme « 2ELGBTQI+ » a été recommandé comme terme préféré par les membres de la communauté concernée. Dans son Plan d’action, le gouvernement fédéral a adopté ce libellé en consultation avec la communauté. Nous notons que Statistique Canada, afin de refléter « diverses identités de genre et identités sexuellesNote de bas de page 168 », a décidé d’utiliser LGBTQ2+, ajoutant que la terminologie peut varier au fil du temps et selon le contexte. Statistique Canada a reconnu que le genre « se vit de plusieurs façons » et ajoute qu’une majorité de plus des deux tiers des personnes qui ont répondu par écrit à la question du recensement de 2021 sur le genre ont utilisé le terme « non binaire », tandis que d’autres ont utilisé le terme « fluide » (7,3 %), « agenre » (5,1 %), « queer » (4,1 %), « genre neutre » (2,9 %) et « bispirituel(le) » (2,2 %).
Le groupe de travail était conscient du défi que représente l’identification des communautés avec un plus (+), et les membres ont tendance à préférer des choix qui font explicitement référence à chaque membre de la communauté concernée. Cela est particulièrement important pour les employeurs qui mettent en œuvre l’équité en matière d’emploi et cherchent à s’assurer que leurs initiatives sont exhaustives et bien définies. Nous encourageons la fluidité et souhaitons qu’elle soit reflétée au mieux. Nous reconnaissons que la langue évolue au fil du temps, au sein des communautés, et que l’engagement d’assurer une représentation complète peut signifier que la langue de la législation doit évoluer avec elle. Notre engagement porte moins sur le choix de la terminologie que sur le respect de l’auto‑identification à une communauté. C’est également pour cette raison que le groupe défavorisé est recommandé dans son identité composite et inclusive, tout en soulignant la nécessité d’accorder une attention particulière aux formes précises de désavantage vécues en particulier par les travailleurs transgenres. Ce qui importe, à ce stade, c’est l’auto‑identification des communautés comme 2ELGBTQI+ et l’importance pour le statut de groupe visé par l’équité en matière d’emploi de refléter cette auto-identification.
Recommandation 3.18 : Les travailleurs 2ELGBTQI+ devraient former un nouveau groupe visé par l’équité en matière d’emploi en vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Recommandation 3.19 : La Loi sur l’équité en matière d’emploi et le règlement s’y rattachant devraient prévoir la mise à jour du sigle 2ELGBTQI+, au besoin, par le biais de consultations véritables avec les communautés 2ELGBTQI+ concernées.
Soutien à la collecte de données
L’importance des questions d’auto‑identification pour les membres des communautés 2ELGBTQI+ est abordée au chapitre 2. Les membres de ces communautés ont également souligné à quel point la reconnaissance en tant que groupe visé par l’équité en matière d’emploi est importante pour soutenir la collecte de données.
De bonnes données sont essentielles à une mise en œuvre efficace des politiques. Nous avons été témoins de ce qui se passe lorsque les données ne sont pas disponibles : les groupes ne sont pas pris en compte. Les analyses qualitatives demeureront également cruciales, notamment pour comprendre certains des obstacles et des préjugés pouvant avoir une incidence sur la capacité de réaliser l’équité en matière d’emploi. Le rapport Au lendemain de la Purge : État des lieux et recommandations en matière d’inclusion des personnes LGBTQI2S au fédéral souligne également que, lorsqu’elles sont recueillies de manière appropriée, les données sont inestimables pour améliorer les initiatives d’équité en matière d’emploi et éliminer les obstaclesNote de bas de page 169.
On a rappelé à maintes reprises à notre groupe de travail le manque de données statistiques officielles sur le profil de l’effectif des membres des communautés 2ELGBTQI+Note de bas de page 170. Statistique Canada a marqué l’histoire en incluant dans son recensement de 2021 une question discrète sur le genre à la naissance.
Le nouveau plan d’action fédéral s’engage à « [r]affermir la conception de politiques sur la base de données et de faits à l’endroit des communautés 2ELGBTQI+ [en étoffant] la collecte, l’analyse, la recherche et les connaissances à propos des groupes des communautés 2ELGBTQI+ [et des obstacles auxquels elles sont confrontées au Canada]Note de bas de page 171. »
Recommandation 3.20 : En consultation avec le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi et les représentants concernés des travailleurs 2ELGBTQI+, Statistique Canada devrait élaborer des questions appropriées pour le recensement ou d’autres enquêtes valables afin de soutenir la mise en œuvre d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi formé par les travailleurs 2ELGBTQI+.
Il y a, en outre, urgence d’entreprendre le travail. Compte tenu du peu de données de recensement disponibles pour déterminer avec précision la disponibilité sur le marché du travail, notre groupe de travail recommande que les employeurs couverts soient d’abord tenus d’effectuer un examen des systèmes d’emploi et de préparer un plan d’action pour éliminer les obstacles systémiques et fournir des mesures spéciales pour soutenir l’inclusion des personnes 2ELGBTQI+. Bien que l’on puisse recueillir des données relatives à l’auto‑identification et fixer des cibles en fonction des données disponibles sur la population générale, la production de rapports sur les taux d’atteinte seraient progressivement mis en œuvre à mesure que les données concernant la disponibilité sur le marché de travail deviennent disponibles.
Recommandation 3.21 : Des mesures transitoires devraient être adoptées en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi ou du règlement s’y rattachant pour s’assurer que les employeurs peuvent commencer à protéger les membres 2ELGBTQI+ du groupe visé par l’équité en matière d’emploi en procédant à l’examen des systèmes d’emploi et en préparant des plans d’action fondés sur les données sur la population générale, et ce, avant que les points de repère concernant la disponibilité sur le marché du travail ne deviennent disponibles.
Élimination immédiate des obstacles
Les travailleurs 2ELGBTQI+ sont confrontés à des obstacles importants au travail, notamment des niveaux disproportionnés de discrimination et des comportements sexuels non désirés au travail :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Certaines expériences | Femmes LGB+ | Femmes hétéro-sexuelles | Hommes LGB+ | Hommes hétérosexuels |
---|---|---|---|---|
Une personne est insultée, maltraitée, ignorée ou exclue en raison de son orientation sexuelle ou de son orientation sexuelle présumée | 11,4 %* | 1,1 % | 10,6 %* | 0,9 % |
Une personne est insultée, maltraitée, ignorée ou exclue parce qu'elle est un homme ou une femme | 20,0 %*** | 9,6 %** | 5,6 % | 3,1 % |
Commentaires que certaines personnes ne se comportent pas comme un homme ou une femme devrait le faire | 26,1 %*** | 6,8 %** | 11,8 %* | 4,5 % |
Attouchements non désirés | 27,6 %*** | 12,7 %** | 11,3 %* | 4,4 % |
Attentions sexuelles non désirées | 27,1 %*** | 14,3 %** | 15,4 %* | 3,8 % |
- *valeur significativement différente de la catégorie de référence (p < 0,05)
- **valeur significativement différente de l’estimation pour les hommes seulement (p<0,05)
- ***valeur significativement différente de la catégorie de référence (p<0,05) et de l’estimation de la catégorie de référence « hommes » (p<0,05)
- Observations
- En 2018, les travailleurs LGB+ étaient plus susceptibles que les travailleurs hétérosexuels de signaler avoir été victimes de discrimination ou de comportements sexuels non désirés au travail (44 % contre 22 %); une différence similaire s’observait entre les travailleurs transgenres/non-binaires et les travailleurs cisgenres (69 % contre 23 %).
- Parmi les travailleurs, moins de personnes LGBTQ2+ que de personnes non LGBTQ2+ s’entendent pour dire que chaque personne dans son milieu de travail a des chances égales d’avancement, quelle que soit son orientation sexuelle (78 % contre 86 %) ou parce qu’elle est transgenre (69 % contre 79 %). Entre 2007 et 2017, des proportions plus élevées de personnes LGB que de personnes hétérosexuelles ont occupé des emplois dans le secteur de la vente et des services, qui comptent parmi les professions les moins bien rémunérées au Canada.
- Source : Statistique Canada, Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, 2018
Une étude menée auprès de travailleurs transgenres en Suisse se penche sur des gestionnaires qui souhaitent que leurs travailleurs effectuent rapidement leur transition. On y indique qu’« [u]ne transformation plus lente, laissant le temps à la personne de suivre son propre rythme, celui des modifications corporelles qui s’installent progressivement, avec la prise d’hormones par exemple, ou encore le rythme médical et administratif, semble poser problème aux hiérarchiesNote de bas de page 172. » L’article mentionnait que même quand les choses semblent bien se passer une fois la transition annoncée, des difficultés peuvent apparaître au cours de la transition. Fait intéressant, une étude suggère que les hommes transgenres ayant effectué leur transition indiquent être davantage reconnus pour leur travail, même si leurs compétences restent les mêmesNote de bas de page 173. Cependant, les données sur le revenu montrent un désavantage économique persistant.
Des initiatives sont déjà en cours
Comme dans le cas des Canadiens noirs, il est révélateur que les employeurs du Canada aient déjà commencé à mettre en œuvre l’équité en matière d’emploi et des initiatives plus larges d’IDE pour promouvoir l’embauche, la rétention et l’épanouissement des travailleurs 2ELGBTQI+. La fonction publique du Canada a mentionné expressément les initiatives d’embauche ciblées pour les candidats 2ELGBTQI+ qui pourraient être facilitées par l’expansion des groupes visés par l’équité en matière d’emploiNote de bas de page 174. Les banques font partie des employeurs du secteur privé de compétence fédérale qui ont pris les devants en matière de programmes volontaires d’EDI et de soutien aux événements de la Fierté pour les travailleurs 2ELGBTQI+. Cependant, les résultats confirment le défi que posent les initiatives volontaires :
Il existe aujourd’hui au sein du gouvernement un manque alarmant de coordination et de stratégies précises entourant les initiatives d’ÉDI en faveur des personnes LGBTQI2S, ce qui entrave les progrès vers l’inclusion de ces communautés. Faute d’une stratégie globale avec des résultats mesurables, les efforts manquent d’uniformité et de ressources et très peu d’attention est portée à leur efficacité.
Le Fonds Purge LGBT, rapport Au lendemain de la Purge : État des lieux et recommandations en matière d’inclusion des personnes LGBTQI2S au fédéral, 2021, à la page 73.
On a rappelé au groupe de travail que le gouvernement du Canada inclut également l’auto-identification facultative pour les personnes 2ELGBTQI+ dans les demandes en vue d’une nomination à la magistrature, en signalant que « [le gouvernement] cherche à assurer l’équilibre des genres et à refléter pleinement la diversité de la société canadienne au sein des cours supérieuresNote de bas de page 175. »
Une participation significative par le biais de processus de négociation collective a été un catalyseur de changement législatif :
[Traduction] Le fait que des dispositions interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ont commencé à apparaître dans les conventions collectives à une période relativement précoce du mouvement pour les droits des gais et des lesbiennes a soutenu la lutte pour obtenir des dispositions similaires dans une législation plus large sur les droits de la personneNote de bas de page 176.
En effet, la négociation collective peut continuer d’assumer un rôle crucial dans les milieux de travail syndiqués en ce qui concerne les protections offertes. Le Fonds Purge LGBT a également félicité EDSC pour la qualité de son Guide pour les employés en transition, leurs collègues et leurs gestionnaires, et l’a exhorté à mettre à jour d’autres guidesNote de bas de page 177.
L’inclusion permettra aux employeurs d’approfondir l’adoption d’initiatives proactives qui cernent des stratégies de recrutement et de maintien en poste et permettent de surveiller et d’améliorer les résultats. Voici un exemple tiré du Programme des chaires de recherche du Canada, financé par le gouvernement fédéral :
L’addenda au Programme des chaires de recherche du Canada dans les établissements d’enseignement supérieur canadiens prévoit ce qui suit :
- Le Programme doit, en utilisant les données recueillies, surveiller les taux de mise en candidature et le niveau de représentation des membres de la communauté LGBTQ+ dans le Programme; assembler et adopter de bonnes approches pour augmenter le nombre de titulaires de chaire LGBTQ+ dans le Programme; et exiger que des initiatives institutionnelles soient prises pour adopter ces approches [p. ex. dans leurs Plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (« Plans d’action d’ÉDI »)].
- Le Programme doit réviser son Guide des pratiques exemplaires afin d’inclure des mesures encourageant la mise en candidature et le maintien en poste de candidat.e.s et de titulaires de chaire LGBTQ+.
Une préoccupation soulevée avec parcimonie dans la littérature est bien connue : l’autodéclaration de l’identité peut être difficile à vérifierNote de bas de page 178. Ce risque, malheureusement, n’est pas nouveau. Des déclarations de cette nature dans un contexte d’emploi constitueraient de la malhonnêteté dans la relation de travail et, bien que le seuil justifiant le congédiement pour ce motif soit élevé, les facteurs contextuels permettant d’évaluer la sanction appropriée comprendraient rationnellement tout traitement préférentiel reçu sur la base de la fausse déclarationNote de bas de page 179.
Approche intersectionnelle fondée sur les distinctions
[Traduction] Il y a un désavantage disproportionné dans n’importe quel terme générique. Nous devons diviser une catégorie même si c’est difficile et chercher spécifiquement des domaines où nous savons, grâce à des données statistiques et empiriques, que les gens sont désavantagés. Nous devons trouver une façon d’ajouter une protection et d’être explicites dans sa dénomination. Je pense aux personnes queer racisées, aux personnes non binaires, aux personnes handicapées et aux personnes qui portent de nombreuses identités. Les personnes trans éprouvent des difficultés en milieu de travail, mais ailleurs aussi. Bien que leurs collègues s’améliorent considérablement en se posant en alliés actifs et en les voyant, en les respectant et en apprenant à les connaître, il reste encore beaucoup à faire.
Michelle Douglas, directrice exécutive, Le Fonds Purge LGBT, présentation au GTELEME, 31 août 2022
Les groupes consultés ont souvent souligné à notre groupe de travail que les travailleurs 2ELGBTQI+ sont également membres d’autres groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Nous voulions aussi nous centrer vers l’intérieur, sur les défis du groupe « générique. »
La mise en œuvre posera‑t‑elle problème? Certainement. Chaque groupe visé par l’équité en matière d’emploi est confronté à des obstacles distincts à l’équité ainsi qu’à des antécédents d’exclusion.
Ce sont aussi des défis familiers. Notre groupe de travail s’est attardé sur les parallèles entre l’introduction, en 1984, du groupe visé par l’équité en matière d’emploi « minorités visibles » et l’introduction proposée du groupe visé par l’équité en matière d’emploi « 2ELGBTQI+. » Ce qui a été une source d’espoir dans les deux contextes, c’est la façon dont les membres des sous‑groupes ont tiré parti d’une compréhension commune des désavantages historiques et de l’importance de la solidarité intragroupe pour atteindre l’inclusion. Il est toutefois essentiel d’éviter les généralisations au sujet de la communauté et des sous-groupes au sein du groupe visé par l’équité en matière d’emploi. Il sera important de garder un œil sur la représentation des personnes au sein du groupe visé par l’équité en matière d’emploi. Nous nous attendons à ce qu’en mettant clairement l’accent sur les données désagrégées et en ciblant les moins favorisés au sein des groupes, les disparités puissent être corrigées plus attentivement.
[Traduction] Les participants ont fait part de leurs craintes que les employeurs sous réglementation fédérale se concentrent sur les obstacles liés à l’orientation sexuelle ou n’éliminent que ceux‑ci, et ne tiennent pas compte de ceux qui concernant l’identité de genre.
Le réseau Enchanté, La Loi sur l’équité en matière d’emploi et les communautés 2ELGBTQI+, rapport sur les consultations approfondies présenté au GTELEME, août 2022, à la page 14.
Dans une grande partie de la documentation, il est indiqué que les travailleurs trans risquent tout particulièrement d’être victimes de discrimination dans un certain nombre de contextes, y compris les soins de santé, l’utilisation des salles de bain et les codes vestimentairesNote de bas de page 180. Les obstacles pourraient être particulièrement fréquents lorsque les personnes trans effectueront le processus de transition. Il sera primordial de se doter de politiques de soutien en milieu de travail.
Le rapport Au lendemain de la Purge : État des lieux et recommandations en matière d’inclusion des personnes LGBTQI2S au fédéral recommandait de « [s]’éloigner d’une approche universaliste des initiatives d’ÉDI et de non‑discrimination afin d’identifier explicitement les groupes marginalisés visés et d’articuler des actions spécifiques permettant de répondre aux besoins de ces groupesNote de bas de page 181. » Le professeur Tuma Young, c.r., a insisté sur l’importance d’une approche intersectionnelle qui tient compte des visions du monde propres aux Autochtones. Pour sa part, le professeur Wesley Crichlow a souligné l’importance de nommer la spécificité intersectionnelle du racisme anti‑Noirs.
Cela semble une excellente façon de conclure cette section. Notre groupe de travail soutient la spécificité intersectionnelle. Elle est conforme à l’approche que nous adoptons à l’égard de tous les groupes visés par l’équité en matière d’emploi en vertu du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. L’approche permet de mieux comprendre à quel point il est important de s’assurer que les travailleurs 2ELGBTQI + sont inclus de façon équitable.
Les travailleurs racisés au‑delà des « minorités visibles » : désagrégation et cohésion au sein du groupe
Introduction: Une catégorie composite
Les tribunaux ont reconnu que le préjugé racial contre les minorités visibles est si notoire et incontestable que son existence sera admise sans preuve à l’appui. Ils en ont tout simplement pris « connaissance d’office » comme d’un fait social qui ne peut raisonnablement être contesté.
R. c. Spence, 2005 CSC 71 au par. 5.
Lorsque la catégorie « minorités visibles » a été introduite dans la nouvelle Loi sur l’équité en matière d’emploi, cela a été perçu comme un progrès. Il s’agit d’un groupe composite, qui comprend les 11 sous‑groupes suivants :
- Noir;
- Chinois;
- Philippin;
- Japonais;
- Coréen;
- Asiatique du Sud/Indien de l’Est (Indien de l’Inde, Bangladais, Pakistanais, Indien de l’Est originaire de la Guyane, de la Trinité, de l’Afrique orientale, etc.);
- Asiatique du Sud‑Est (Birman, Cambodgien, Laotien, Thaïlandais, Vietnamien, etc.);
- Asiatique de l’Ouest non blanc, Nord-Africain non blanc ou Arabe (Égyptien, Libyen, Libanais, Iranien, etc.);
- Latino-Américain non blanc (Amérindiens de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, etc.);
- Personnes d’origine mixte (dont l’un des parents provient de l’un des groupes ci‑dessus);
- Autre minorité visible.
Les difficultés liées à la définition et à la constitution de la catégorie avaient déjà été anticipées dans une certaine mesure dans le rapport Abella. Ces difficultés persistent à ce jour.
Définition de « minorités visibles » dans le Règlement sur l’équité en matière d’emploi de 1986 :
Les personnes, autres que les autochtones, que leur race ou leur couleur place parmi les minorités visibles du Canada sont réputées être les personnes qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont par la peau blanche et qui, aux fins de l’article 6 de la Loi, se reconnaissent auprès de l’employeur comme n’ayant pas la peau blanche ou acceptent que celui‑ci les reconnaisse comme telles.
Un mémoire indiquait clairement que l’expression « minorité visible » reflétait une vision eurocentrique du monde et recommandait que chaque sous-groupe fasse l’objet d’une catégorie distincte.
L’approche recommandée par notre groupe de travail consiste à se concentrer sur la désagrégation des sous-groupes. Il s’agit d’une façon pratique de prendre acte des préoccupations, tout en veillant à ce que l’équité en matière d’emploi demeure réalisable pour les employeurs.
Nous concluons toutefois que le terme « minorités visibles » devrait être remplacé par « travailleurs racisés. »
Il est généralement admis que la « race » n’existe pas en tant que concept biologique pour distinguer les êtres humains, mais que les processus sociaux de racisation sont intrinsèquement liés aux principales formes d’oppression historique, sociale, économique et culturelle, notamment l’esclavage et le colonialisme. Les peuples du monde entier n’ont pas simplement été artificiellement classés et discriminés en fonction de leur « race »; ils ont été soumis à des processus de racisation qui ont créé et entretenu des hiérarchies.
Il n’est donc pas surprenant que le terme « race » ait existé dans les recensements antérieurs à la Confédération jusqu’en 1941. Dans le contexte d’après-guerre, en 1951, le terme « race » a été remplacé par « ethnicité ». Grâce à l’introduction en 1996 d’une question axée sur la mesure des « minorités visibles, » l’approche de l’ethnicité est restée en grande partie malgré l’ajout de certaines catégories précises telles que « Noir. » La collecte de données par race est devenue une norme transnationale, encouragée par le comité international chargé de suivre l’application de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination, aux côtés d’institutions spécialisées des Nations Unies comme l’UNESCO et l’Organisation internationale du Travail, d’organismes régionaux, y compris le Conseil de l’Europe, et d’un appui international plus large, par l’intermédiaire de la Commission de statistique des Nations Unies, quant à l’utilisation de statistiques raciales obtenues par autodéclarationNote de bas de page 182.
Au Canada, un groupe de travail interministériel sur l’équité en matière d’emploi composé de représentants des ministères d’Immigration et Citoyenneté, Statistique Canada, Ressources humaines et développement, la Commission de la fonction publique, la Commission canadienne des droits de la personne et le Secrétariat du Conseil du Trésor, aurait été en faveur de l’inclusion d’une question explicite sur la race dans le recensement de 1991. Les résultats des tests étaient positifs, mais en fin de compte, une question sur le « groupe de population » n’a été introduite qu’en 1996Note de bas de page 183. Le statisticien en chef de l’époque, M. Ivan Fellegi, a fourni une explication qui demeure pertinente aujourd’hui :
[L]a Loi sur l’équité en matière d’emploi est une loi du pays depuis 1986, et le recensement constitue la seule source possible de données objectives exigées pour l’administrer et pour en évaluer les retombées. C’est dans l’intérêt de tous que le débat sur les préoccupations relatives à l’équité en matière d’emploi, de même que d’autres préoccupations portant sur la composition et les caractéristiques de la population, lesquelles sont mises en lumière par les données du recensement, soit appuyé sur des données objectives, impartiales et fiables, et non pas sur des impressions, des opinions non fondées ou des stéréotypesNote de bas de page 184.
En raison de la pandémie et de la mise en avant‑plan des enjeux raciaux en 2020, les appels se sont multipliés au Canada et dans le monde pour améliorer la qualité de la collecte de données sur la race.
Les membres de ce groupe d’équité en matière d’emploi veulent être reconnus pour leurs contributions passées et continues à la société canadienne. Par exemple, le groupe de travail a été informé que la communauté sino‑canadienne est principalement une communauté d’immigrants pour une raison précise, c’est‑à‑dire qu’à l’occasion du 70e anniversaire de l’abrogation de la Loi sur l’exclusion des Chinois, la démographie canadienne n’est pas neutre; elle reflète en partie l’histoire de l’exclusion juridique des ChinoisNote de bas de page 185. La Fondation canadienne des relations raciales a rappelé à notre groupe de travail qu’elle a été créée en tant que société d’État en 1996 dans le cadre de l’Entente de redressement à l’égard des Canadiens japonais pour l’internement par le Canada des Canadiens d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondialeNote de bas de page 186. Les groupes racisés ont tenu à dissiper les perceptions erronées et ont en particulier attiré l’attention sur le mythe selon lequel les groupes racisés sont de nouveaux arrivants au Canada.
Les groupes racisés apportent depuis longtemps leurs contributions au Canada, et celles‑ci ont contribué à faire du Canada la société profondément cosmopolite et pluraliste qu’elle est aujourd’hui.
Des « minorités visibles » aux groupes racisés
Nous sommes également une société trop mature pour être encore coincés avec la terminologie établie. Le terme « minorité visible » a été critiqué de façon quasi unanime, et le groupe de travail a reçu de nombreuses demandes pour qu’il soit modifié.
Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a régulièrement critiqué l’utilisation du terme « minorité visible », estimant qu’il « rend invisibles les différences d’expériences dans les communautésNote de bas de page 187. » En 2010, l’experte indépendante Gay McDougall rappelait que bien que la catégorie appelée « minorités visibles » dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi ait été à un moment donné une mesure positive pour reconnaître les communautés minoritaires, elle est aujourd’hui trop large pour donner une image réaliste des réalisations des communautés distinctes ou des problèmes auxquels elles sont confrontéesNote de bas de page 188.
Non seulement l’objet de la Loi sur l’équité en matière d’emploi doit être révisé, mais le langage doit également être modifié [...] en veillant à ce que le langage que vous utilisez ne mette pas toujours l’accent sur la blanchité en tant que norme.
Employé de la fonction publique accompagné du sous‑ministre champion des minorités visibles de la fonction publique fédérale, 14 juin 2022
Une grande partie du gouvernement fédéral, y compris Statistique Canada, a déjà adopté le terme « racisé » comme terme général. Cette terminologie est largement acceptée à l’échelle internationale. Certains cherchent à être plus précis en utilisant les termes « subordination raciale » ou « marginalisation raciale », mais la formulation fonctionne moins bien lorsque l’objectif est de caractériser les groupes d’une manière multidimensionnelle. Le groupe de travail a reçu quelques autres suggestions concernant la terminologie, comme les communautés ethnoculturelles, ce qui pourrait semer la confusion étant donné qu’une autre administration, le Québec, définit les « minorités ethniques » aux fins de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics comme « les personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et qui font partie d’un groupe autre que celui des autochtones et celui des personnes qui font partie d’une minorité visibleNote de bas de page 189. »
Le langage de la racisation est important parce qu’il s’agit d’un langage actif. Il tient compte d’un élément fondamental, soit que la notion de race est construite, historiquement et au fil de pratiques continues qui recréent des formes historiques de stratification sociale. Et à cet égard, la politique canadienne en matière d’emploi et d’immigration continue de jouer un rôle moins que subtil.
Recommandation 3.22 : Le terme « minorités visibles » dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait être remplacé par « travailleurs racisés. »
Des défis persistants au regard des données
Certains facteurs nous rappellent qu’en dépit des signes de progrès, la catégorie des travailleurs racisés a toujours besoin d’une couverture au titre du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Les niveaux de scolarité sont élevés pour les Noirs et les populations racisées, atteignant ou dépassant souvent les moyennes de la population :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Certificat, diplôme ou grade le plus élevé | Minorité visible | Population noire | Minorité racisée | Non membre d’une minorité visible |
---|---|---|---|---|
Aucun certificat, diplôme ou grade | 15,3 % | 21,2 % | 14,1 % | 20,9 % |
Certificat, diplôme ou grade | 84,7 % | 78,8 % | 85,9 % | 79,1 % |
Diplôme d’études secondaires ou certificat d’équivalence | 29,6 % | 34,5 % | 28,7 % | 31,4 % |
Certificat ou diplôme d’apprenti ou d’une école de métiers | 2,8 % | 4,8 % | 2,5 % | 7,9 % |
Certificat ou diplôme d’un collège, d’un cégep ou d’un autre établissement non universitaire | 13,5 % | 15,1 % | 13,2 % | 16,8 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire | 38,8 % | 24,4 % | 41,5 % | 23,0 % |
Certificat ou diplôme universitaire inférieur au baccalauréat | 3,4 % | 2,8 % | 3,5 % | 1,7 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire au niveau du baccalauréat ou supérieur | 35,4 % | 21,6 % | 38,0 % | 21,3 % |
Baccalauréat | 24,5 % | 15,6 % | 26,2 % | 16,0 % |
Certificat ou diplôme universitaire supérieur au baccalauréat | 2,2 % | 1,4 % | 2,3 % | 1,2 % |
Diplôme en médecine, en médecine dentaire, en médecine vétérinaire ou en optométrie | 0,9 % | 0,3 % | 1,0 % | 0,4 % |
Maîtrise | 7,4 % | 4,1 % | 8,0 % | 3,5 % |
Doctorat acquis | 0,5 % | 0,2 % | 0,5 % | 0,3 % |
- Source : EDSC, dirigeante principale des données, Recensement 2021, LAB 68-69
De plus, il faut tenir compte du fait que les taux de chômage des minorités visibles qui ont obtenu un diplôme au Canada ou à l’étranger étaient significativement plus élevés que ceux des personnes ne faisant pas partie des minorités visibles.
Population | Grade obtenu au Canada | Grade obtenu à l’étranger |
---|---|---|
Minorités visibles | 8,1 % | 9,6 % |
Personnes ne faisant pas partie des minorités visibles | 5,1 % | 6,7 % |
- Source : EDSC, dirigeante principale des données, Recensement 2021
Le revenu d’emploi moyen, à temps plein et pour toute l’année, des membres des populations racisées titulaires d’un diplôme universitaire, d’un certificat, d’un diplôme ou d’un grade de niveau baccalauréat ou supérieur était inférieur de 22 % à celui de la population qui ne fait pas partie d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi. Le revenu d’emploi moyen correspondant s’établissait à 83 100 $, comparativement à 106 600 $. Chez les hommes qui ne sont pas membres du groupe visé par l’équité en matière d’emploi pour les populations racisées, le revenu d’emploi moyen s’établissait à 127 000 $, comparativement à 92 100 $ pour les hommes racisés, à 88 500 $ pour les femmes qui ne font pas partie du groupe visé par l’équité en matière d’emploi pour les populations racisées et à 72 800 $ pour les femmes racisées.
Bien que les taux de participation au marché du travail soient généralement plus élevés que ceux des travailleurs non racisés pour la plupart des niveaux de scolarité, les travailleurs racisés ont des taux de chômage systématiquement plus élevés, et ce, peu importe le niveau de scolarité.

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Certificat, diplôme ou grade le plus élevé | Taux de participation – Minorités visibles | Taux de participation des personnes ne faisant pas partie des minorités visibles | Taux de chômage – Minorités visibles | Taux de chômage des personnes ne faisant pas partie des minorités visibles |
---|---|---|---|---|
Total - Certificat, diplôme ou grade le plus élevé obtenu | 67,9 % | 62,2 % | 12,5 % | 9,5 % |
Aucun certificat, diplôme ou grade | 34,8 % | 36,7 % | 19,4 % | 16,1 % |
Certificat, diplôme ou grade | 73,6 % | 67,3 % | 11,9 % | 8,8 % |
Diplôme d’études secondaires ou certificat d’équivalence | 60,3 % | 59,2 % | 18,4 % | 13,1 % |
Certificat ou diplôme d’apprenti ou d’une école de métiers | 73,5 % | 67,5 % | 12,6 % | 8,5 % |
Certificat ou diplôme d’un collège, d’un cégep ou d’un autre établissement non universitaire | 76,2 % | 69,9 % | 11,9 % | 8,3 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire | 80,4 % | 73,9 % | 9,1 % | 5,5 % |
Certificat ou diplôme universitaire inférieur au baccalauréat | 74,5 % | 63,3 % | 10,9 % | 7,6 % |
Certificat, diplôme ou grade universitaire au niveau du baccalauréat ou supérieur | 81,0 % | 75,2 % | 8,9 % | 5,3 % |
Baccalauréat | 80,2 % | 75,5 % | 9,4 % | 5,9 % |
Certificat ou diplôme universitaire supérieur au baccalauréat | 80,2 % | 71,8 % | 8,5 % | 4,6 % |
Diplôme en médecine, en médecine dentaire, en médecine vétérinaire ou en optométrie | 78,2 % | 76,5 % | 6,7 % | 2,2 % |
Maîtrise | 83,7 % | 75,3 % | 8,1 % | 4,2 % |
Doctorat acquis | 81,9 % | 73,5 % | 7,2 % | 3,5 % |
- Source : Programme du travail – Recensement de 2021, fondé sur une publication de données effectuée le 30 novembre 2022.
Les données du recensement de 2021 nous apprennent qu’en ce qui concerne le revenu d’emploi, les travailleurs philippins et noirs gagnaient les revenus les plus bas de tous les sous‑groupes, tandis que les travailleurs japonais et chinois touchaient les revenus les plus élevés. Toutefois, aucun sous‑groupe n’a touché des moyennes aussi élevées que le revenu d’emploi à temps plein et pour toute l’année des personnes ne faisant pas partie des minorités visibles.
Ces résultats concordent avec ce que les principaux chercheurs nous ont dit; en effet, selon le professeur Grace-Edward‑Galabuzzi, on assiste à une racisation du chômageNote de bas de page 190.
Une autre question cruciale était de savoir si les défis soulevés pouvaient être relevés en accordant une attention particulière à l’adoption d’une approche désagrégée et fondée sur les distinctions à l’égard des groupes visés par l’équité en matière d’emploi existants. Certains chercheurs ont souligné que les perspectives d’emploi des immigrants et des minorités visibles ont en fait diminué au fil du temps, et ils ont observé une détérioration particulièrement spectaculaire et constante pour les femmes immigrées racisées sur l’ensemble de la période de 15 ans ayant fait l’objet d’une analyseNote de bas de page 191. En analysant les données du recensement sur quatre cycles, Pendakur et Pendakur ont constaté une [Traduction] « très forte tendance à l’augmentation de la disparité des gains » qui englobait les immigrants et les minorités visibles nées au Canada, sans égard aux genres.
Cohésion du groupe par la désagrégation
Il existe d’importantes différences dans les résultats de l’équité en matière d’emploi pour les sous-groupes de travailleurs racisés. Dans son Rapport sur l’égalité en matière d’emploi (1984), la juge Abella avait déjà anticipé une partie du problème :
Certains non-Blancs font face à des obstacles à l’emploi plus graves que d’autres. Bien que de toute évidence un grand nombre de non-blancs aient à faire face à la discrimination en matière d’emploi, les différentes minorités éprouvent des difficultés financières et professionnelles dont le degré varie grandement selon le groupe et la région. Concevoir des systèmes visant à accroître la participation des minorités visibles, sans faire de distinction pour aider les groupes qui ont des besoins particuliers, ne fait que détourner l’attention de là où se trouvent les problèmes les plus épineuxNote de bas de page 192.
Par exemple, selon les données du recensement de 2021, les taux de participation au marché du travail des personnes s’identifiant comme membres de groupes racisés (62,2 %) étaient plus élevés que ceux des personnes ne s’identifiant pas comme membres de groupes racisés, mais il y avait une exception: le taux de participation des travailleurs chinois était légèrement inférieur (59,2 %).
Il y avait aussi les différences (écarts positifs) entre les sous‑groupes racisés et les populations qui ne font pas partie du groupe racisé de l’équité en matière d’emploi, oscillant de 0,3 % (Japonais) à 14,3 % (Philippins). Tandis que les taux de chômage des personnes qui s’identifient comme racisées étaient plus élevés dans tous les sous‑groupes que ceux des populations qui ne s’identifient pas comme faisant partie du groupe racisé de l’équité en matière d’emploi, les travailleurs philippins affichaient des taux de chômage inférieurs (8,4 %).
Nous reconnaissons qu’il y a des limites à l’information qu’il est possible de tirer des taux de chômage, comme en témoigne notre analyse des taux de participation, des travailleurs découragés et des travailleurs surqualifiés (voir le chapitre 1). Parallèlement aux observations du chapitre 1, les différences présentées appellent une analyse plus approfondie des raisons expliquant ces différences.
Nos consultations ont également confirmé que les perceptions sur les progrès de certains sous‑groupes racisés peuvent contribuer à la création de mythes et de stéréotypes. Par exemple, la coalition Act2End Racism a indiqué qu’il y a quelques pionniers parmi les communautés asiatiques qui ont surmonté les obstacles, mais la sous‑représentation globale des Asiatiques n’est pas encourageante et elle persiste, y compris aux postes de directionNote de bas de page 193. Nous devons veiller à ne pas attiser les feux de la division (prenons l’exemple du climat durant la pandémie, où l’on a assisté à une montée de la haine anti‑asiatique)Note de bas de page 194.
Mais une autre caractéristique devrait être évidente: les similitudes sont plus importantes que les différences. Les sous‑groupes ont beaucoup en commun; un groupe visé par l’équité en matière d’emploi formé de travailleurs racisés a beaucoup de sens, tant sur le plan conceptuel que pratique.
Si la notion de « minorité visible » est une fausse représentation de la composition de nos communautés, notre groupe de travail s’est vu rappeler que la solidarité stratégique au sein de la catégorie – les travailleurs racisés – ne devrait pas être ignorée, mais plutôt renforcéeNote de bas de page 195. Les membres de ce groupe visé par l’équité ont été en mesure de faire avancer des séries de questions touchant la représentation qui favorisent l’inclusion équitable.
Les arguments en faveur d’une catégorie distincte pour les travailleurs noirs ont été préparés avec beaucoup de soin. L’histoire de l’esclavage transatlantique et le contexte plus large du droit international, ainsi que les données convaincantes sur la persistance des désavantages et la spécificité du racisme anti‑Noirs ont conduit à la recommandation formulée par notre groupe de travail.
Nous avons également entendu des représentations sur les nombreux aspects de la vie des groupes racisés qui peuvent mener à l’exclusion du marché du travail. Il est important de les reconnaître. Bon nombre de ces aspects sont abordées dans la section suivante, car ils ont donné lieu à des appels en faveur de nouveaux groupes visés par l’équité en matière d’emploi couvrant des facteurs transversaux comme le statut d’immigrant ou la religion.
Un travail statistique important a déjà été réalisé pour obtenir de meilleurs portraits. Comme il en a été question au chapitre 2, il en faudra davantage pour concrétiser la justice fondée sur les données relativement à l’équité en matière d’emploi. La dernière pièce du puzzle consiste en la tenue de registres et la production de rapports désagrégés et fondés sur des distinctions, ainsi qu’une attention particulière sur l’élimination des obstacles. Cela est crucial.
Nous recommandons de maintenir le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi résolument axé sur les travailleurs racisés.
Recommandation 3.23 : Le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait continuer de s’appliquer aux travailleurs racisés.
La fonction publique fédérale
Faire place au changement, 2000
- La fonction publique fédérale ne reflète pas la diversité du public qu’elle sert. Les minorités visibles demeurent sous‑représentées, tandis que les tendances démographiques révèlent que leur nombre est en hausse dans la population canadienne. Il importe de changer rapidement l’image de la fonction publique; il y va de l’intégrité des services et du respect que le gouvernement fédéral doit assurer.
- À titre d’employeur, le gouvernement fédéral n’exploite pas le talent comme il le devrait pour soutenir la concurrence du nouvel environnement de la mondialisation et n’en encourage pas l’expression. Le gouvernement fédéral doit investir différemment dans les ressources humaines et faire concurrence au secteur privé en tant qu’employeur de choix, et ce dans toutes ses activités, que ce soit sur le plan de la dotation, de la prise de contact et du recrutement, de la formation et du perfectionnement ou du cheminement professionnel.
- Le gouvernement fédéral n’a pas atteint les objectifs et les buts d’équité en emploi fixés par la loi à l’égard des minorités visibles. Mis à part quelques rares exceptions, les ministères n’ont pas réussi à se doter d’un effectif équitable sur le plan de la représentativité (le taux de représentation est inférieur à celui de la disponibilité sur le marché du travail). Dans le cas des fonctionnaires appartenant à une minorité visible, l’avancement à des postes de gestion et de direction est, à toutes fins utiles, arrêté.
- La lenteur des progrès a donné lieu à la frustration, au mécontentement et au cynisme face à l’avenir. Si le gouvernement tardait à agir – ou pire, s’il ne prenait pas de mesures concrètes – il pourrait faire l’objet de plaintes de discrimination et se retrouver dans le fastidieux engrenage des enquêtes judiciaires et des directives qui s’ensuivent.
- L’absence d’engagement et de leadership à l’échelle du gouvernement et, par conséquent, d’une responsabilisation aux plus hauts niveaux, a freiné les progrès. L’engagement des administrateurs généraux inciterait les gestionnaires et les autres responsables à embaucher et à gérer des personnes aptes à atteindre l’objectif visant à moderniser l’image du gouvernement dans son ensemble.
- Il est tout aussi essentiel de changer la culture organisationnelle pour qu’elle soit propice à la diversité qu’il l’est d’obtenir de meilleures données numériques. Ces deux objectifs doivent aller de pair. La formation en matière de diversité doit être offerte à tous les employés et se traduire en milieu de travail par les comportements et les attitudes escomptés. En accroissant le nombre de membres de minorités visibles sur les lieux de travail, on peut créer une « masse critique » qui permet de changer la culture et d’entretenir le changement; l’expérience des francophones et des femmes en témoigne.
- En menant ses campagnes de recrutement, le gouvernement a la possibilité de projeter une image tout autre de la fonction publique. La réduction des effectifs cède le pas au recrutement pour renouveler et rajeunir la fonction publique. En recrutant auprès d’un bassin de talents toujours plus diversifiés, le gouvernement fédéral ne peut se permettre de se faire damer le pion plus longtemps par le secteur privé.
- Le temps est venu de se concentrer sur les résultats. Le gouvernement fédéral devrait se fixer un objectif-repère qui, s’il l’atteignait, améliorerait la représentation des minorités visibles. Ce faisant, il saisirait l’occasion de faire des progrès en peu de temps. En préconisant cette approche, le groupe de travail ne cherche pas à établir des contingentements pour les minorités visibles, pas plus qu’il ne souhaite les reléguer au statut de groupe désigné. Le principe directeur doit être le suivant : la capacité d’une personne à faire le travail doit importer plus que sa race ou sa couleur.
La fonction publique fédérale est confrontée à de nombreux défis, qui sont abordés dans chaque chapitre du présent rapport. Peu d’entre eux sont nouveaux. Prenons par exemple les conclusions du rapport d’un groupe de travail qui, en 2000, s’est penché sur la participation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale. Le rapport, intitulé Faire place au changement, demandait la mise en œuvre d’un plan d’action dans un délai de trois à cinq ans.
Un trop grand nombre des conclusions du groupe de travail tirées du rapport de 2000 continuent de résonner aujourd’hui, et son objectif repère allant d’un sur cinq dans la fonction publique fédérale – qu’il cherchait à atteindre d’ici 2003 – est toujours défendu par les membres du réseau actuel des minorités visibles, la Communauté fédérale des minorités visibles. Le groupe de travail de 2000 s’attendait à ce que cette cible ait une incidence précise sur les minorités visibles dans les groupes de relève de la direction et les postes de directionNote de bas de page 196.
En renforçant les trois piliers du cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, soit la mise en œuvre comprenant l’élimination complète des obstacles, des consultations véritables et une surveillance réglementaire – nous prévoyons que bon nombre des défis connus, et d’autres moins connus, auxquels sont confrontés les groupes racisés seront relevés. Nous n’avons pas le choix si nous voulons renforcer nos sociétés cosmopolites et pluralistes grâce à des milieux de travail équitablement inclusifs.
L’inclusion dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, au sens large
Introduction : Relation entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’équité en matière d’emploi
Le fait que les programmes d’équité en matière d’emploi s’attachent plus particulièrement aux minorités visibles ne décharge pas pour autant la société de la responsabilité d’éliminer à la source la discrimination envers tous les groupes minoritaires.
Rapport Abella, page 52
Nous ne pouvons pas perdre de vue l’objectif, soit l’égalité réelle en matière d’emploi.
Plusieurs citoyens se sont présentés devant le groupe de travail en vue d’être reconnus soit dans les catégories existantes, soit en tant que groupes distincts visés par l’équité en matière d’emploi. Il s’agissait notamment de représentants des jeunes travailleurs, de travailleurs âgés, de nouveaux immigrantsNote de bas de page 197, de réfugiés ou travailleurs ayant un statut d’immigration précaire, de travailleurs ayant des personnes à charge et de membres de groupes religieux ou de minorités religieuses.
Quelques intervenants ont suggéré que toutes les catégories de la Loi canadienne sur les droits de la personne soient incluses dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Les groupes visés par l’équité en matière d’emploi se rapportent aux 13 motifs de discrimination énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais ils s’en distinguent. L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés est inclusif et permet des motifs de discrimination analogues et, par extension, au paragraphe 15(2), des groupes analogues, tout en faisant précisément référence à « la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. »
Toutefois, nous avons compris d’où venait la demande. En écoutant, nous avons senti une exaspération complète. Les modèles individuels fondés sur les plaintes au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou les griefs individuels représentaient un dernier recours (l’hôpital après la collision). Ce que voulaient les groupes en quête d’équité, c’était plutôt de prévenir les problèmes. Nous passons en revue certains des défis au chapitre 6. Il existe des arguments fondés sur des données probantes en faveur de mécanismes de protection des droits de la personne dynamiques et bien financés, qui ont la confiance de tous les groupes en quête d’équité.
Nous disposons d’un cadre juridique complet. Bien que la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’équité en matière d’emploi s’engagent pareillement en faveur de l’égalité réelle, elles ne sont pas identiques. Elles ne devraient pas l’être non plus.
La Loi sur l’équité en matière d’emploi ne devrait pas être appelée à remplacer la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les hôpitaux sont nécessaires. Mais les arguments en faveur de l’inclusion en tant que groupe distinct d’équité en matière d’emploi étaient différents.
L’objectif de l’équité en matière d’emploi est de corriger les obstacles à l’inclusion équitable sur le marché du travail Elle remédie à la sous‑représentation. Il est donc important de déterminer quels sont les groupes concernés – par exemple, les travailleuses plutôt que le sexe ou l’identité ou l’expression de genre; les travailleurs noirs et les travailleurs racisés plutôt que la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur.
Nous avons également entendu de nombreux intervenants qui craignaient que l’ajout d’un plus grand nombre de groupes ne rende l’équité en matière d’emploi trop compliquée pour être appliquée de façon significative.
En clair, si pratiquement tout le monde est inclus dans les groupes d’équité en matière d’emploi aux fins des objectifs de représentation, personne n’est vraiment inclus. L’équité en matière d’emploi sera réduite à une simple aspiration et sera totalement inapplicable.
Le risque associé à une approche non spécifique des personnes concernées par la Loi, c’est que cette dernière est le fondement de la conformité et, sans spécificité, il peut y avoir trop de latitude ou une diminution de la responsabilisation.
Réponse du sous‑comité, Résultats de la consultation ministérielle de la fonction publique du Canada, document présenté au GTELEME, reçu le 1er septembre 2022
Notre groupe de travail a donc pris grand soin de définir la portée de l’équité en matière d’emploi. Nous voulons que nos justifications en faveur de l’inclusion d’un groupe soient solides et que notre façon d’aborder l’avenir soit fluide. Nous voulons que l’équité en matière d’emploi soit solidaire et durable.
Cependant, l’élimination des obstacles ne comporte pas les mêmes limites. Les obstacles sont souvent les mêmes parmi les groupes visés par l’équité et les motifs de discrimination cités dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
L’élimination des obstacles reconnaît qu’un jour, chacun d’entre nous pourrait se retrouver dans un milieu de travail où l’élimination des obstacles serait nécessaire pour le rendre aussi inclusif que possible, et que nous avons tous intérêts à évoluer dans un milieu de travail qui nous permet d’être nous‑mêmes au travail. On vise à créer un sentiment d’appartenance.
Nous examinons ce point en détail au chapitre 4. L’essentiel, toutefois, est que l’élimination des obstacles dans toutes les catégories de droits de la personne consolide ce que l’équité en matière d’emploi fait pour chacun d’entre nous : elle réunit tout le monde. C’est l’inclusion que l’équité cherche à réaliser.
Une approche pour transformer l’équité en matière d’emploi favorise l’inclusion équitable.
Il existe d’autres possibilités.
Le paragraphe 16(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne contient déjà la permission nécessaire pour que les milieux de travail mettent en œuvre des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux « destinés à supprimer, diminuer ou prévenir les désavantages que subit ou peut vraisemblablement subir un groupe d’individus pour des motifs fondés, directement ou indirectement, sur un motif de distinction illicite. » Les programmes spéciaux « améliorent leurs chances, » notamment dans le domaine de l’emploi.
Notre objectif, développé plus en détail au chapitre 6, consiste à donner à un commissaire à l’équité en matière d’emploi, en étroite collaboration avec le Comité directeur des données sur l’équité en matière d’emploi et par son intermédiaire, la possibilité de s’appuyer sur une disposition similaire, que nous recommandons d’ajouter à la Loi sur l’équité en matière d’emploi et qui permettrait au commissaire de recommander des mesures spéciales positives et durables.
Cette approche a orienté les demandes d’inclusion suivantes dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi :
Nouveaux immigrants
[Traduction] Nous continuons de constater que le taux d’activité des nouveaux arrivants au marché du travail est inférieur à celui des personnes nées au Canada, même si leur niveau de scolarité est plus élevé. Cela dit, l’intégration économique globale est positive dans les dix ans suivant l’arrivée, les revenus des nouveaux arrivants se rapprochant de la moyenne nationale.
Gestionnaire du Programme fédéral de stage pour les nouveaux arrivants, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, 2022
Certains groupes qui ont comparu devant le groupe de travail ont demandé que les immigrants soient considérés comme un groupe visé d’équité en matière d’emploi, citant en particulier les disparités auxquelles sont confrontés les nouveaux arrivants (cinq ans et moins). La plupart des études montrent que la situation des nouveaux arrivants continue d’être pire sur le marché du travail que celle de leurs concitoyens nés au Canada, et cette situation pourrait même s’aggraverNote de bas de page 198. De nouvelles recherches révèlent que la COVID‑19 a également eu un effet négatif disproportionné sur l’emploi des nouveaux immigrants par rapport aux travailleurs nés au Canada, en particulier dans les professions peu spécialisées et dans les industries qui ont été durement touchées par la pandémieNote de bas de page 199.
Le Canada compte l’une des populations les plus scolarisées au monde en raison des titres de compétences obtenus dans les collèges et les universités, en grande partie grâce à l’afflux d’immigrants très scolarisés.
Plus de 1,3 million de nouveaux arrivants se sont établis au Canada de façon permanente entre le dernier recensement en 2016 et le nouveau recensement de 2021. Il s’agit du nombre le plus élevé jamais enregistré dans un recensement canadien. Selon Statistique Canada, le Canada pourrait laisser certains talents de côté en ne reconnaissant pas la formation et les qualifications des travailleurs formés à l’étranger. Elle a souligné le « manque de concordance » entre leur formation et leurs qualifications et l’emploi qu’ils occupent actuellement.
![Figure 3.15 : Pourcentage d’immigrants avant 2016 et de nouveaux immigrants (minorité visible [population noire et racisée combinée], personnes noires, personnes racisées et personnes non-membres d’une minorité visible)](/content/dam/esdc-edsc/images/corporate/portfolio/labour/programs/employment-equity/reports/act-review-task-force/Figure3.15_FR.png)
Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Période d’immigration | Minorité visible | Population noire | Population racisée | Non membre d’une minorité visible |
---|---|---|---|---|
Immigrants avant 2016 | 81,0 % | 76,3 % | 81,7 % | 91,2 % |
Nouveaux immigrants | 19,0 % | 23,7 % | 18,3 % | 8,8 % |
- Source : EDSC, dirigeante principale des données, Recensement 2021
Nous avons été encouragés par le fait qu’un certain degré de réussite semble émerger des programmes qui visent principalement à fournir des possibilités aux nouveaux arrivants tout en formant les employeurs, notamment pour comprendre les titres de compétences étrangers. Ces initiatives devraient être encouragées et leurs résultats rigoureusement étudiés et diffusés.
Les données du recensement de 2021 confirment un élément important : le fait d’être noir ou racisé peut encore faire une grande différence pour les nouveaux arrivants.
Le taux de chômage des nouveaux immigrants qui ne faisaient pas partie des groupes visés par l’équité en matière d’emploi noirs ou racisés et qui sont arrivés en 2016‑2020 (10,1 %) ou en 2021 (11,6 %) était significativement inférieur à celui des immigrants noirs ou racisés qui sont arrivés au cours des mêmes périodes de référence.
Le taux de chômage des immigrantes noires ou racisées (13,4 %) était significativement plus élevé que celui des hommes immigrants noirs ou racisés (10,4 %), et plus élevé que celui des hommes immigrants qui ne font pas partie des groupes d’équité noirs ou racisés (8,6 %) et des femmes immigrantes qui ne font pas partie des groupes d’équité noirs ou racisés (10,5 %).
La constante est claire : c’est le fait d’être un travailleur noir ou un travailleur racisé qui fait la différence. À la lumière de ces données, notre groupe de travail estime qu’il convient de conserver les groupes visés par l’équité en matière d’emploi proposés, soit les travailleurs noirs et racisés.
Une recommandation risque de faire une différence positive pour tous les nouveaux immigrants, c’est‑à‑dire permettre la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur. Un mouvement international se dessine à propose de cette question. Notre groupe de travail exhorte notre gouvernement à se mobiliser.
Recommandation 3.24 : Le gouvernement fédéral devrait envisager de ratifier la Convention mondiale sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur.
Réfugiés
Notre groupe de travail a également reçu un mémoire d’expert soutenant une initiative ciblée d’équité en matière d’emploi pour les réfugiés qui viennent au Canada et s’installent dans de petites communautésNote de bas de page 200. L’arrêt reconnaît que des réfugiés ont été forcés de fuir leur pays d’origine en raison de la guerre ou de la persécution. Il y a souvent, mais pas toujours, un recoupement avec les motifs de discrimination, y compris la race, l’origine ethnique, la religion et le genre. Les réfugiés n’ont pas été admis au Canada en tant qu’immigrants économiques, mais plutôt pour des raisons d’ordre humanitaire. La documentation est claire : ils sont confrontés à des défis liés à leur établissement au Canada, y compris sur le plan de l’emploi. Ils ont également tendance à bien s’en sortir dans les villages, les petites villes et les collectivités rurales qui peuvent simultanément bénéficier de l’afflux de personnes ainsi que d’un soutien financier à l’établissement. Il est possible de répondre aux besoins sociaux des réfugiés, et il a été démontré que les collectivités rurales sont particulièrement favorables à la rétention des nouveaux arrivants.
Ce genre de proposition est intéressante et devrait être élaborée au cas par cas, assortie d’aides publiques. Il conviendrait que le commissaire à l’équité en matière d’emploi mène des consultations et assure une surveillance pour envisager l’approbation d’un programme spécial en fonction des besoins. Ces exigences s’inscrivent clairement dans le rôle de surveillance réglementaire prévu au chapitre 6.
Travailleurs étrangers temporaires
Les migrants temporaires sont en grande majorité des travailleurs noirs ou racisés :

Graphique circulaire illustrant la répartition suivante :
Statut d’immigrant | Minorité visible | Population noire | Population racisée | Non membre d’une minorité visible |
---|---|---|---|---|
Résidents permanents | 92,0 % | 93,0 % | 91,8 % | 99,4 % |
Résidents non permanents | 8,0 % | 7,0 % | 8,2 % | 0,6 % |
- Source : EDSC, dirigeante principale des données, Recensement 2021
Notre groupe de travail s’inquiétait de la façon dont le traitement des travailleurs migrants temporaires, parfois aux côtés d’autres travailleurs racisés ayant le statut d’immigrant permanent mais ayant des possibilités d’emploi limitées, pourrait renforcer les obstacles, en cimentant la perception qu’il était tout simplement normal que les travailleurs migrants temporaires racisés occupent des emplois peu rémunérés et précaires, et pourtant essentiels.
Nous avons déjà observé certains de ces stéréotypes dans des affaires touchant les droits de la personne : des établissements séparésNote de bas de page 201 au harcèlement sexuel généraliséNote de bas de page 202. Les pratiques d’embauche réelles qui concentrent de façon disproportionnée les travailleurs racisés dans des emplois peu rémunérés sont au cœur d’une préoccupation au chapitre de l’équité en matière d’emploi.
Notre groupe de travail s’est assuré d’entendre Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ainsi qu’EDSC pour mieux comprendre le Programme des travailleurs étrangers temporaires.
Le Programme des travailleurs étrangers temporaires est conçu comme permettant aux employeurs de répondre aux pénuries de main-d’œuvre et de compétences sur le marché canadien avec des travailleurs qui sont amenés au Canada de façon temporaire. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires comporte quatre volets : les travailleurs agricoles (59 %), les travailleurs à bas salaire (22 %), les travailleurs à haut salaire (16 %) et les talents mondiaux (4 %). Tandis qu’EDSC dirige le Programme des travailleurs étrangers temporaires et que Service Canada traite les études d’impact sur le marché du travail et administre le programme de conformité des employeurs, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada détermine l’admissibilité aux permis de travail. L’Agence des services frontaliers du Canada évalue l’admissibilité aux points d’entrée et délivre les permis de travail. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires représente 0,5 % de la population active et 11 % de tous les résidents temporaires ayant un permis de travail, car cette dernière catégorie comprend également les étudiants étrangers, les demandeurs d’asile et le Programme de mobilité internationale.
Nous savons que les conditions de travail et de vie sont une source de préoccupation. Le Bureau du vérificateur général du Canada a publié des rapports troublants sur les conditions des travailleurs étrangers temporairesNote de bas de page 203, notamment en ce qui concerne la piètre qualité des inspections et des logements qui ont nui à la santé et à la sécurité des travailleurs étrangers temporaires durant la pandémieNote de bas de page 204.
Ce que l’on oublie souvent, c’est le résultat de la stratification du marché du travail.
Le Programme des travailleurs étrangers temporaires et ses précurseurs ne sont pas simplement une source importante de main-d’œuvre pour le secteur agricole canadien depuis 1966. Ils ont également constitué une base essentielle par laquelle les travailleurs des Caraïbes, du Mexique et, de plus en plus, du Guatemala ont été associés à des emplois faiblement rémunérés dans le secteur de l’agriculture au Canada.
Les programmes des travailleurs étrangers temporaires contribuent également à une perception erronée répandue selon laquelle les travailleurs racisés sont des nouveaux arrivants au Canada. Pourtant, la présence de personnes racisées au Canada remonte aussi loin que l’arrivée des premiers colons européens.
Un autre exemple est le mouvement des travailleuses domestiques étrangères. Ce sont principalement des femmes noires des Caraïbes qui sont venues au Canada en tant que travailleuses domestiques dans les années 1950 jusqu’aux années 1970.
Au départ, elles bénéficiaient du statut de résident permanent, car le texte d’un mémorandum de 1955 supposait qu’elles ne quitteraient pas ce rôle associé au travail ménager, stéréotype qui leur collait à la peauNote de bas de page 205. Au fil du temps, à mesure qu’elles cherchaient constamment à obtenir d’autres types d’emplois, les régimes ont changé. La résidence permanente a cessé d’être délivrée à l’arrivée, et les travailleurs des Philippines ont commencé à prédominer. Au fil du temps, les exigences en matière d’études sont devenues si élevées que les femmes qui arrivaient au pays étaient souvent des infirmières ou des enseignantes forméesNote de bas de page 206.
Le Programme des aides familiaux a considérablement changé au fil du temps pour devenir l’un des programmes des travailleurs étrangers temporaires, tandis que l’éventail des secteurs et des industries couverts par les travailleurs étrangers temporaires s’est multiplié. EDSC et IRCC doivent déterminer qu’il y a une « pénurie » de main-d’œuvre et délivrer des permis de travail liés à un employeur donné ou des permis de travail ouverts. Il existe également d’importants documents montrant les effets intergénérationnels des divers programmes de travailleurs domestiques au Canada sur certains membres des communautés noires et philippines, comme nous l’avons vu précédemment. La combinaison de mauvaises conditions de travail et de la racisation de l’emploiNote de bas de page 207 dans les emplois à bas salaire – quiconque s’est occupé d’enfants convient qu’il ne s’agit vraiment pas d’un travail peu spécialisé – est importante pour l’équité en matière d’emploi.
Pourquoi est‑ce important? Parce que nous risquons de renforcer les stéréotypes selon lesquels certains groupes noirs ou racisés sont « naturellement » censés accomplir le travail précaire. La ségrégation professionnelle n’est plus reconnue.
Si ces travailleurs comblent les pénuries du marché du travail et sont nécessaires, nous devrions repenser leur statut d’immigration comme l’ont exhorté les groupes de défense qui défendent leurs droits.
Minorités religieuses
Nous avons examiné chacune des demandes qui ont été formulées au fur et à mesure que les consultations de notre groupe de travail progressaient.
Il ressort des exposés présentés par des représentants du gouvernement que ce ne sont pas toutes les minorités religieuses qui s’inquiètent du fait que les membres de leur groupe sont sous‑représentés dans l’emploi. Toutefois, toutes sont préoccupées, quoique à des degrés divers, par la façon dont la discrimination à l’égard des groupes religieux pourrait créer des obstacles en milieu de travail.
Antisémitisme et islamophobie
Notre groupe de travail se soucie particulièrement de la montée signalée de l’antisémitisme et de l’islamophobie dans la société canadienne, ainsi que par un torrent de haine envers les personnes d’origine asiatique qui s’est surtout manifesté durant la pandémie de COVID‑19.
Statistique Canada rapporte que les crimes haineux au Canada continuent d’augmenter; sur un total de 3 360 en 2021, 1 723 ciblaient des personnes en fonction de la race ou de l’origine ethnique dans laquelle Statistique Canada inclut les Autochtones, ce qui représente une augmentation de 27 % par rapport aux 2 646 incidents en 2020. On a rapporté 881 crimes haineux à l’encontre des minorités religieuses et 423 en lien avec l’orientation sexuelle des victimes. Ces chiffres sont également élevés et sont en hausse. Voici quelques‑uns des chiffres pour 2021 :
Tableau 3.4 : Crimes haineux en 2021
Population | Incidents par 100 000 habitants | Nombre total d’incidents |
---|---|---|
Population totale | 8,8 | 3 360 |
Premières Nations, Métis et Inuits | 4 | 77 |
Juifs | 145 | 487 |
Noirs | 41 | 642 |
Orientation sexuelle | Non Disponible | 423 |
Arabes et habitant de l’Asie occidentale | 17 | 184 |
Musulmans | 8 | 144 |
Catholiques | 1 | 155 |
- Source : Statistique Canada, recensement de 2021
Tous ces courants font partie de l’histoire du Canada d’hier et d’aujourd’hui, et les membres du groupe de travail ont écouté les intervenants les uns après les autres exprimer leurs préoccupations croissantes. Au Canada, la fusillade dans une mosquée de Québec et le meurtre de la famille Afzaal à London, en Ontario, nous ont particulièrement touchés. Ces drames touchent l’ensemble du Canada et constituent des problèmes mondiaux.
Le fait que ces formes les plus graves d’exclusion sociale, qui ont été reconnues par le gouvernement fédéral, auront probablement une incidence sur le milieu de travail est une hypothèse troublante, mais fondée. Des personnes et des groupes nous ont présenté des exemples de commentaires islamophobes dans le milieu de travail fédéral et des expériences d’exclusion, que le Réseau des employés fédéraux musulmans considère comme caractérisées par le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur et la haine dans un contexte où les musulmans ont été stigmatisés en tant que menaces pour la sécurité.
Bien que les données soient limitées et que les groupes n’aient pas nécessairement établi une sous-représentation en milieu de travail, ils étaient préoccupés par le fait que les pratiques discriminatoires les empêchaient d’être eux‑mêmes dans le milieu de travail. Il n’est pas surprenant que bon nombre d’entre eux se demandent quelle est la meilleure façon d’inclure les minorités religieuses dans le cadre de l’équité en matière d’emploi. Il était clair que l’inclusion devait être prise en compte en consultation avec les communautés touchées.
Nous sommes d’accord : il est impératif que la Loi sur l’équité en matière d’emploi puisse s’attaquer à l’exclusion du marché du travail vécue par les minorités religieuses. Il faudrait s’attaquer à ce problème de façon prudente et ciblée. Il devrait être reconnu dans la Loi que ces formes d’exclusion constituent du racisme, et ce, tant au Canada qu’à l’échelle internationaleNote de bas de page 208.
Femmes musulmanes
[Traduction] Dans le contexte de l’islamophobie et de l’élision de la race avec la religion, la discrimination à l’égard des femmes musulmanes sur le lieu de travail doit être reconnue comme du racisme.
Vrinda Narain, Colleen Sheppard et Tamara Thermitus, “Employment Equity and Inclusion: Through the Lens of Substantive Equality,” document de travail préparé pour le GTELEME, septembre 2022.
Une compréhension biologique de la race a été discréditée. La race est socialement construite, et de nombreux groupes au Canada sont encore victimes de racisme. L’islamophobie en est un exemple précis. Il s’agit d’une peur et d’une hostilité projetées sur des stéréotypes culturels de la différence. La différence – comme le port du hijab – est perçue comme une menace pour la neutralité de l’État ou la démocratie libérale, et peut se traduire par une exclusion sur le marché du travailNote de bas de page 209. Un employé de la fonction publique fédérale a qualifié cela de « racisme sexospécifiqueNote de bas de page 210. »
Bien que les sources de données officielles limitent la capacité d’obtenir un portrait complet, les intervenants ont expliqué le type d’obstacles auxquels sont confrontées les travailleuses musulmanes, en particulier :
Les femmes musulmanes canadiennes nous ont donné un aperçu des raisons qui expliquent leurs taux élevés de sous-emploi et de chômage. Des obstacles systémiques tout au long du cycle de vie de l’emploi, de l’entrée à la sortie, les empêchent de trouver un emploi et de progresser dans leur carrière. Voici quelques-uns de ces obstacles :
- les stéréotypes et les préjugés sur les femmes musulmanes;
- la discrimination tout au long du cycle de vie de l’emploi;
- le racisme et l’islamophobie, qui se traduisent par des environnements de travail hostiles;
- le harcèlement en milieu de travail;
- la sous-évaluation des qualifications internationales;
- des exigences et des processus de délivrance de permis lourds et coûteux dans les professions réglementées;
- le manque de services de garde d’enfants accessibles et abordables;
- l’exigence d’une expérience canadienne;
- le manque de réseaux, de mentors et de possibilités de perfectionnement qui pourraient d’abord les aider à trouver un emploi, puis à réussir leur cheminement professionnel.
Malheureusement, les données et les analyses quantitatives et qualitatives montrent que ces obstacles, au lieu d’être éliminés, sont devenus encore plus tenaces.
Fédération canadienne des femmes musulmanes, mémoire présenté au GTELEME, 24 juin 2022
Certains intervenants se sont également dits préoccupés par le fait que les nouveautés en matière de législation dans d’autres administrations, notamment l’utilisation de clauses dérogatoires pour soustraire le projet de loi 21 au Québec de certaines formes d’examen judiciaire, pourraient avoir une incidence sur les droits des femmes musulmanes dans la fonction publique fédérale et les secteurs sous réglementation fédérale. Des contentieux constitutionnels sont en cours concernant le projet de loi 21, et certains des arguments juridiques comprennent la question de savoir si les mesures peuvent être considérées comme une forme de discrimination fondée sur le sexe/genre. Le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’intervenir en ce qui concerne l’utilisation de clauses dérogatoires.
Sur le plan international, en réaction aux mesures prises par la Belgique et la France interdisant le port de symboles religieux à l’école et au travail, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a recommandé aux États parties « de veiller à ce que toutes les politiques relatives au port de symboles religieux à l’école et au travail ne se soldent pas, dans la pratique, par des cas de discrimination fondée sur l’origine ethnique ou nationaleNote de bas de page 211. »
Il s’agit donc d’un domaine en pleine mutation, et les décisions des tribunaux auront une incidence sur l’accès à l’emploi.
Membres des communautés sikhes
De même, les membres des communautés sikhes à la fonction publique fédérale et à l’extérieur ont souligné les limites de la compréhension actuelle des mesures d’adaptation raisonnables demandées individuellement. Il n’était que trop facile de sauter à la conclusion qu’il y avait préjudice injustifié. Ce point a été souligné par Unifor, qui a demandé que les mesures d’adaptation soient appuyées par des mesures d’adaptation appropriées en milieu de travailNote de bas de page 212.
On nous a fourni des exemples concrets de mesures d’adaptation, notamment celles qui ont été négociées par les débardeurs de la Colombie‑Britannique. On a également adopté des normes inclusives pour l’équipement de protectionNote de bas de page 213.
On nous a également parlé de l’approche du Royaume-Uni, soit que les sikhs portant le turban sont exemptés de l’obligation de porter une protection de la tête sur le lieu de travail, y compris sur les chantiers de construction. L’exécution de certaines tâches particulièrement dangereuses fait toutefois exception. L’exemption comprend à la fois la responsabilité de l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour éviter les blessures grâce à des mesures de sécurité et de santé au travail, et une responsabilité limitée de la partie responsable en cas d’incidentNote de bas de page 214.
Il a été démontré que l’élimination proactive des obstacles était un moyen favorable et durable de s’assurer que la norme elle‑même était conçue pour être inclusive. Dans d’autres cas, comme la technique de Singh Thattha pour enfiler des masques respiratoires dans les établissements de soins pour les patients atteints de la COVID‑19Note de bas de page 215, la technologie disponible a été considérée comme pouvant jouer un rôle pour faciliter la prise de mesures d’adaptation.
Les membres du nouveau réseau des sikhs de la fonction publique ont fait part de leurs préoccupations au sujet du sentiment anti‑sikh au sein de la fonction publique fédérale. Ils ont également parlé d’expériences intersectionnelles en matière de racisme et de sexisme au travail.
Les membres du réseau ont exprimé leur frustration en tant que « minorités visibles » qui sont trop souvent surqualifiées, mais sous‑employées.
Les membres souhaitaient une Loi sur l’équité en matière d’emploi renforcée et veulent être inclus de façon significative soit dans le groupe existant visé par l’équité en matière d’emploi composé de « minorités visibles » ou de travailleurs racisés, soit par le biais d’une protection distincte pour les minorités religieuses en tant que nouveau groupe distinct visé par l’équité en matière d’emploi.
Enfin, les membres du groupe de travail étaient conscients de la discrimination « par procuration », où les gens s’appuient sur des facteurs de procuration pour deviner l’identité raciale d’une personne, car cela a malheureusement été signalé comme un facteur touchant certaines communautés ayant été victimes d’islamophobie, notamment les membres de la communauté sikhe.
Aperçus du droit comparé
Nous avons également examiné les initiatives de droit comparé visant à inclure les minorités religieuses dans les régimes préférentiels d’autres administrations, bien que les différences de contexte incitent à la prudence. L’Irlande du Nord est un exemple profondément enraciné dans son histoire et à la suite d’enquêtes importantes qui ont montré une sous-représentation considérable des catholiques dans l’emploi, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. L’Irlande du Nord a adopté la notion de discrimination systémique à la suite de visites à Ottawa pendant plusieurs années et d’une visite de la juge Abella à BelfastNote de bas de page 216. En Irlande du Nord, depuis 1989, le programme de promotion sociale, applicable aux catholiques et aux protestants, comporte cinq tâches clés pour les employeurs. En voici des exemples :
- Pour tous les employeurs comptant au moins 11 employés :
- s’inscrire auprès de la Commission de l’égalité;
- surveiller la composition religieuse (et le genre) du lieu de travail et des candidats au poste, et faire rapport chaque année à la Commission de l’égalité;
- En outre, pour tous les employeurs comptant au moins 250 employés :
- examiner les pratiques d’emploi afin d’assurer la « participation équitable » des communautés catholiques et protestantes à l’emploi et présenter des rapports tous les trois ans;
- prendre des « mesures de promotion sociale » en cas de sous‑représentation;
- établir des objectifs et des calendriers pour évaluer les progrès à l’égard de la réalisation d’une participation équitableNote de bas de page 217.
Peut-être parce qu’il était effectivement enraciné dans le contexte historique de l’Irlande du Nord, [Traduction] « malgré les craintes initiales que la surveillance religieuse ne cause quelques difficultés, cet aspect de la législation s’est avéré non controverséNote de bas de page 218. »
L’expérience des États-Unis offre un rappel différent : bien que la religion soit une catégorie pour les mesures de promotion sociale, la liberté de religion a été interprétée comme ayant préséance sur les protections antidiscriminatoiresNote de bas de page 219.
Quelles sont les prochaines étapes?
Le mandat qui nous a été attribué par le ministre du Travail précisait clairement de déterminer si les travailleurs 2ELGBTQI+ devraient être ajoutés en tant que groupe visé par l’équité en matière d’emploi et si les travailleurs noirs devraient être ajoutés en tant que groupe distinct visé par l’équité en matière d’emploi. À la lumière de ce mandat et à la suite de notre demande de soutenir des consultations communautaires étendues, notre groupe de travail a été en mesure de fournir un financement ciblé à des organisations représentant les communautés et de veiller à ce que le grand public puisse exprimer ses points de vue. Les recommandations d’inclusion que nous avons formulées s’inspirent largement de ces véritables consultations.
En revanche, malgré nos vastes consultations, nous n’avons pas reçu d’observations de la part de nombreux groupes concernés au sein de la population au‑delà de la fonction publique fédérale, qui souhaitaient que nous envisagions d’ajouter les minorités religieuses aux groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Ces consultations approfondies seraient nécessaires pour pouvoir formuler une recommandation ferme. Notre groupe de travail souhaite être fidèle à son engagement de veiller à ce que les consultations véritables nécessaires pour répondre aux communautés concernées soient réellement soutenues.
Il est particulièrement intéressant de noter que les membres des minorités religieuses – et en particulier les femmes musulmanes et les membres de la communauté sikhe – qui se sont présentés devant le groupe de travail font déjà l’objet d’une couverture importante, bien qu’imparfaite.
[Traduction] Neuf femmes musulmanes canadiennes sur dix (87 %) s’identifient comme appartenant à une minorité visible [...] et nous savons que le racisme et l’islamophobie ont une incidence disproportionnée sur les femmes musulmanes, en particulier celles qui sont noires et brunes.
Conseil canadien des femmes musulmanes, mémoire présenté au GTELEME, 24 juin 2022
Nous notons également que le Secrétariat de lutte contre le racisme inclut les minorités religieuses dans ses consultations sur la lutte contre le racisme.
Le chevauchement important entre ces communautés et les travailleurs racisés en particulier signifie que des mesures ciblées fondées sur des distinctions et désagrégées peuvent contribuer de manière significative à accroître et à maintenir la représentation de nombreuses minorités religieuses.
Il convient toutefois de souligner que le chevauchement, bien qu’important, n’est pas parfait. En outre, les personnes victimes de discrimination sur le marché du travail peuvent avoir le sentiment de ne pas être reconnues et donc de ne pas être protégées en raison de leur identité.
Le fait est qu’il existe des marqueurs de racisation, qui ne se limitent pas à la notion erronée de couleur de la peau. Il peut s’agir de vêtements qui tendent à être associés à des sous-groupes racisés particuliers, qu’ils se présentent ou non comme « non blancs » ou qu’ils s’identifient comme tels. Il peut s’agir d’associations faites sur la base du nom d’une personne ou du lieu où elle a fait ses études.
En nous concentrant sur l’élimination complète des obstacles, nous contribuons à éliminer la discrimination à laquelle sont confrontés les travailleurs racisés et de nombreux autres travailleurs, y compris un large éventail de minorités religieuses.
L’accent mis dans le présent rapport sur l’élimination des obstacles vise précisément à reconnaître les obstacles qui empêchent les minorités racisées, les femmes ou d’autres groupes visés par l’équité en matière d’emploi d’avoir le sentiment qu’ils peuvent apporter leur pleine contribution sur le lieu de travail.
L’état des données statistiques disponibles est un élément important à prendre en considération. En l’absence de données sur le milieu de travail, les raisons invoquées par les personnes qui ont fait des présentations devant nous tendent à refléter le climat général de discrimination et les préoccupations croissantes concernant les crimes haineux.
Nous prenons note de la recommandation du Conseil canadien des femmes musulmanes selon laquelle les données du recensement devraient conserver l’utilisation de la question sur la religion dans chaque recensement, et non tous les dix ans comme c’est le cas actuellement, afin d’éviter tout retard concernant l’échange de l’informationNote de bas de page 220.
Enfin, nous avons souffert d’un manque d’expérimentation ou d’initiatives volontaires sur l’équité en matière d’emploi pour les minorités religieuses au Canada. Nous avons pu signaler des initiatives pour les Canadiens noirs et les membres de la communauté 2ELGBTQI+.
Dans le cas du Canada, si l’on tient compte des éléments suivants :
- l’ancrage de l’équité en matière d’emploi dans l’égalité réelle et le calendrier de l’évolution des affaires portées devant les tribunaux;
- le fait que toutes les femmes musulmanes sont des femmes, et que la grande majorité d’entre elles (estimée à plus de 90 %) sont également des travailleuses noires ou racialisées, et que ces deux groupes font déjà partie des groupes visés par l’équité en matière d’emploi;
- l’appel à un engagement en faveur d’une approche intersectionnelle et désagrégée à l’égard des groupes visés par l’équité en matière d’emploi;
- l’accent mis sur la nécessité de prendre au sérieux l’élimination des obstacles, y compris pour des motifs de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
nous estimons que les propositions formulées dans le présent rapport peuvent et doivent apporter une réponse substantielle à ces préoccupations.
Notre groupe de travail a donc décidé de ne pas recommander la création d’une catégorie distincte pour certaines ou toutes les minorités religieuses pour le moment. Nous encourageons l’étude de cette situation et présentons les quatre recommandations suivantes :
Recommandation 3.25 : Une approche fondée sur des principes à l’égard des questions d’exclusion devrait découler d’une approche globale et proactive visant l’élimination des obstacles relatifs à tous les motifs de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Recommandation 3.26 : Le commissaire à l’équité en matière d’emploi devrait pouvoir faire enquête et recommander des programmes spéciaux d’équité en matière d’emploi (mesures temporaires spéciales) pour les groupes visés par l’équité en matière d’emploi définis en fonction de la preuve de désavantage ayant entraîné une sous‑représentation au sein de l’effectif.
Recommandation 3.27 : Le Comité directeur des donnés sur l’équité en matière d’emploi devrait avoir pour mandat de déterminer si une question sur la religion devrait figurer dans chaque recensement plutôt que tous les dix ans.
Recommandation 3.28 : L’inclusion des minorités religieuses dans le champ d’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi devrait faire l’objet d’une étude approfondie par la Commission du droit du Canada nouvellement rétablie.
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