Effets des effluents d'eaux usées : perturbateurs endocriniens

Perturbateurs endocriniens

Les contaminants environnementaux peuvent altérer, par l’entremise de nombreux mécanismes, la reproduction des poissons et d’autres espèces sauvages. On s’est récemment préoccupé des substances chimiques qui peuvent se lier aux récepteurs d’œstrogènes et ainsi réguler l’activité des gènes réagissant aux œstrogènes. Ces derniers jouent un rôle essentiel dans la régulation des processus de reproduction chez les poissons. Les œstrogènes naturels ont notamment pour fonction chez les poissons d’inciter le foie à produire de la vitellogénine, une phospholipoprotéine de masse importante, qui est libérée dans le flux sanguin et séquestrée par les oocytes en développement pour la production du vitellus. Chez les poissons femelles en maturation, la vitellogénine est un élément important des protéines sanguines et n’est généralement pas présente en quantité appréciable chez les poissons mâles. Mais si des poissons mâles sont exposés à des œstrogènes, il peut y avoir production de vitellogénine à des concentrations semblables à celles notées chez les femelles en maturation. Les effets de cette induction de la vitellogénine sur la fonction reproductrice ne sont pas complètement compris, mais sa présence a été utilisée comme un indicateur sensible de l’exposition des poissons à des œstrogènes exogènes.

Tableau 11. Concentrations de métaux traces dans les sédiments à proximité de sources municipales, Recommandations canadiennes provisoires pour la qualité des sédiments (RPQS) pour la protection de la vie aquatique et concentrations produisant un effet probable (CEP) pour huit métaux traces. (Une espace en blanc signifie l’absence de données.)
      Concentration dans les sédiments (mg/kg)
Métal traces

RPQS1

(mg/kg)

CEP1

(mg/kg)

12 zones urbaines du sud de l’Ontario2 En aval d’un émissaire de TPEU du district régional du Grand Vancouver3 À proximité de l’émissaire de Macauley Point, Victoria, C.-B.4
1Environnement Canada, 1995
2Marsalek et Schroeter, 1988
3J. Ellis, comm. pers., district régional du Grand Vancouver, Burnaby, C.B.
4EVS Consultants, 1992
              Site témoin de 0 à 400 m en aval de 800 à 1 600 m en aval
As 5,9 17,0 8,2 3,6 4,9 à 5,0 6,0-12 5,2-5,7
Cd 0,6 3,53 2,0 < 1,2 < 0,1 < 0,1-0,7 < 0,1
Cr 37,3 90,0 110,0 44 36-39 32-59 38-39
Cu 35,7 196,6 67,0 196 13-15 19-197 17-19
Pb 35,0 91,3 470,0 127 7,0-8,0 9,4-129 8,2-11
Hg 0,174 0,486 0,24 1,21 < 0,05 0,03-0,98 < 0,05-0,3
Ni 18,0 35,9 50,0 30 -- --   
Zn 123,1 314,8 400,0 176 61-66 68-198 69-73

Les effluents d’eaux usées semblent provoquer des perturbations endocriniennes chez les poissons. Des études réalisées au début des années 1980 et portant sur la rivière Lea (R.-U.) ont fait état d’une faible incidence d’intersexualité chez des gardons (Rutilus rutilus) exposés à des effluents d’eaux usées. Des études de suivi ont montré que les effluents avaient un fort effet oestrogénique, bon nombre des expositions donnant lieu à des concentrations élevées de vitellogénine dans le plasma qui correspondaient à celles de femelles gravides (Purdom et al., 1994). Cette réaction a été observée chez des poissons prélevés immédiatement en aval de plusieurs usines de traitement des eaux usées du Royaume-Uni et elle était parfois décelable à plusieurs kilomètres en aval des émissaires (Harries et al., 1997). Une telle réaction a aussi été signalée récemment chez des poissons sauvages en Amérique du Nord (Folmar et al., 1996).

Un grand nombre de substances peuvent se lier aux récepteurs d’œstrogènes et provoquer des réactions oestrogéniques, notamment les polyéthoxylates d’alkylphénol, les composés biphénoliques, les phtalates, le p,p’-DDE (White et al., 1994; Soto et al., 1995; Jobling et al., 1996; Routledge et Sumpter, 1996). Les effluents municipaux sont des mélanges complexes qui contiennent divers contaminants capables de provoquer des perturbations endocriniennes. De plus en plus de faits indiquent que les tensioactifs non ioniques des détersifs peuvent agir comme analogues d’œstrogènes (Jobling et Sumpter, 1993). Des quantités mesurables d’éthoxylates de nonylphénol, et de leurs produits de dégradation, ont été décelées dans des EEUM et des boues résiduaires dans le sud de l’Ontario, au Québec et dans le Canada atlantique, ainsi que dans les eaux de surface du bassin des Grands Lacs (Bennie et al., 1996, 1997; Lee et al., 1997). L’exposition de truites arc-en-ciel à plusieurs composés alkylphénoliques a donné lieu à la synthèse de vitellogénine et à l’inhibition de la croissance des testicules (Jobling et al., 1996). Il a aussi été montré récemment que le nonylphénol provoquait de l’intersexualité chez le médaka (Gray et Metcalfe, 1997). Les polyéthoxylates d’alkylphénol et plusieurs produits de dégradation qui ont un effet oestrogénique devraient se déplacer vers les boues résiduaires et les sédiments aquatiques et persister dans l’environnement (White et al., 1994; Jobling et Sumpter, 1993). Bien que plusieurs composés oestrogéniques présents dans les effluents puissent donner lieu à une forte production de vitellogénine, la plus grande partie de cette réaction notée dans un effluent d’eaux usées a récemment été attribuée à une seule fraction chromatographique (Routledge et al., 1995). Cela porte à croire que cette réaction est largement due à une seule substance chimique ou à un groupe de substances très semblables, du moins en ce qui a trait à l’effluent étudié. En appliquant une méthode d’identification et d’évaluation de la toxicité, Desbrow et al. (1996) ont été en mesure d’isoler et d’identifier des œstrogènes naturels et synthétiques dans des fractions bioactives (p. ex., 17a-éthynylestradiol, 17b-estradiol et estrone). Même si ces substances étaient présentes en très faibles concentrations, elles étaient suffisantes (quelques ng/L) pour expliquer la production de vitellogénine notée chez les poissons (Desbrow et al., 1996). Schweinfurth et al. (1996) ont signalé de faibles concentrations semblables de 17a-éthynylestradiol dans des eaux de surface. Bien que ces travaux portent fortement à croire que des œstrogènes naturels et synthétiques soient à l’origine des réactions oestrogéniquesobservées à proximité d’émissaires d’eaux usées, les concentrations de nonylphénols dans les effluents de SE municipales qui reçoivent des eaux usées de l’industrie du textile ou d’autres effluents industriels pourraient être suffisamment élevées pour expliquer les réactions notées à ces sites. Blackburn et Waldock (1995) ont mesuré des concentrations de nonylphénols (24 - 53 mg/L) en aval d’une usine de lavage de laine, dont les effluents étaient rejetés par l’entremise d’une SE municipale; ces concentrations étaient suffisamment élevées pour expliquer les effets observés (Harries et al., 1997).

Au Canada, l’ampleur des effets oestrogéniques attribuables aux effluents d’eaux usées n’a pas été déterminée. Bien que des travaux de caractérisation chimique des effluents aient récemment été entrepris (Bennie et al., 1996, 1997; Lee et al., 1997), une relation de causalité entre des constituants chimiques, comme des nonylphénols et des œstrogènes synthétiques, et de possibles effets oestrogéniques n’a pas été établie. Plusieurs substances pourraient être à l’origine de cette réaction et leur toxicité et leur biodisponibilité sont fonction des caractéristiques de l’effluent et du milieu récepteur. Il faudra réaliser une analyse approfondie de la toxicité (oestrogénicité) des EEUM ainsi qu’un examen détaillé de l’état physiologique des poissons des eaux réceptrices pour être en mesure d’évaluer l’étendue et l’incidence des composés perturbateurs de la fonction endocrinienne dans l’environnement canadien.

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