Méthode d’essai biologique servant à mesurer l’inhibition de la croissance de la plante macroscopique dulcicole : chapitre 1
Section 1 : Introduction
1.1 Contexte
Au Canada et ailleurs dans le monde, les essais toxicologiques en milieu aquatique servent à déterminer et à surveiller les effets toxiques de substances ou de matières susceptibles d’être nocives pour la vie aquatique. On peut se fonder sur les résultats de ces essais à diverses fins, notamment pour établir la nécessité de réglementer les rejets et d’entreprendre des recherches, de même que pour fixer des normes relatives à la qualité des effluents. Reconnaissant qu’une seule méthode d’essai ou un seul organisme d’essai ne peut répondre aux besoins d’une démarche globale visant la conservation et la protection de l’environnement, Environnement Canada et le Groupe intergouvernemental sur la toxicité de l’environnement (annexe A) ont proposé de mettre au point un ensemble d’essais toxicologiques normalisés pour le milieu aquatique, qui serait d’un emploi généralement acceptable au Canada. Il a été décidé qu’il fallait disposer d’une batterie de méthodes d’essai biologique approuvées par les autorités fédérales pour mesurer les différents effets toxiques aigus et chroniques à l’aide de diverses substances ou matières d’essai et de divers organismes représentant les différents niveaux trophiques et groupes taxinomiques (Sergy, 1987). Dans le cadre de ce projet permanent, on a recommandé de normaliser un essai toxicologique permettant de déterminer l’effet inhibant de contaminants sur la croissance de la plante macroscopique aquatique Lemna minor. Les laboratoires régionaux d’Environnement Canada (annexe B), de même que des laboratoires provinciaux et privés, ont utilisé la première édition de cette méthode aux fins de l’application du Règlement sur les effluents des mines de métaux et pour satisfaire aux autres exigences du ministère en matière d’essais. La présente édition (la deuxième) comporte de nombreuses améliorations procédurales, des mises à jour et des conseils plus explicites, de même que des instructions sur les méthodes statistiques (c.-à-d. les analyses de régression) à utiliser dorénavant pour le calcul de l’inhibition de la croissance, qui constitue un paramètre d’essai.
Le présent rapport décrit les procédures universelles et les conditions de réalisation des essais toxicologiques en milieu aquatique mesurant l’inhibition de la croissance de L. minor. Il expose aussi des ensembles particuliers de conditions et de modes opératoires exigés ou recommandés pour les essais visant à évaluer différents types de substances ou de matières (p. ex. des échantillons de substances chimiques, d’effluents, d’eaux réceptrices, de lixiviats ou d’élutriats) (voir la figure 1). Les notes en bas de page expliquent certains détails de la méthode.
La méthode a été mise au point après examen des variantes des méthodes de culture et d’essai relevées dans les méthodes canadiennes, étatsuniennes et européennes existantesNote de bas de page 1, qui décrivent comment préparer et réaliser des essais phytotoxicologiques avec des macrophytes du genre Lemna (ci-après, « Lemna » ou « lenticules »). L’annexe C présente un sommaire des modes de culture et d’essai, tandis que l’annexe D renferme une brève description de divers milieux utilisés pour la culture des Lemna et la conduite d’essais faisant appel à ces espèces, tant dans les méthodes actuelles qu’antérieures.
Les paramètres biologiques de la méthode décrite ici sont : a) l’augmentation du nombre de thalles au cours de l’essai de 7 jours; b) la masse sèche (indicateur de la croissance) à la fin de l’essaiNote de bas de page 2. La méthode d’essai vise à évaluer les échantillons suivants :
- les substances chimiques simples, les produits commerciaux ou les mélanges connus de substances chimiques;
- les élutriats, les lixiviats ou les effluents industriels ou urbains constitués d’eau douce;
- les eaux de surface ou les eaux réceptrices.
En formulant le présent mode opératoire, on s’est efforcé de trouver le juste milieu entre les coûts et les considérations scientifiques et pratiques, tout en s’assurant que les résultats seraient assez précis et exacts pour la plupart des situations auxquelles ils s’appliqueraient. On suppose que l’utilisateur connaît dans une certaine mesure les essais toxicologiques en milieu aquatique. Les orientations fournies concernent les différentes possibilités et applications entourant les essais. Le présent document ne renferme pas d’instructions explicites qui pourraient être exigées dans un protocole réglementaire, bien qu’il soit conçu comme un guide utile pour des applications de ce type, notamment.
On trouvera dans le rapport d’Environnement Canada (EC, 1999a) des indications sur la mise en œuvre de la présente méthode et d’autres méthodes biologiques, de même que sur l’interprétation et l’application des données relatives aux paramètres mesurés.
Figure 1. Éléments à prendre en compte dans la préparation et l’exécution d’essais toxicologiques avec Lemna minor et divers types de substances ou de matières d’essai
Procédures universelles
- Culture des organismes
- Choix de l’eau témoin/de dilution
- Préparation des solutions d’essai
- Conditions expérimentales (éclairage, température, etc.)
- Mise en route de l’essai
- Observations et mesures au cours de l’essai
- Paramètres et calculs
- Validité des résultats
- Essais toxicologiques de référence
- Considérations d’ordre juridique
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Aspects traités dans des sections particulières du présent document
↓
Substances chimiques
- Propriétés chimiques
- Étiquetage et entreposage
- Mesures chimiques
- Choix de l’eau témoin/de dilution
- Préparation des solutions
- Observations au cours de l’essai
- Mesures au cours de l’essai
- Paramètres
↓
Effluents, élutriats et lixiviats
- Récipients et étiquetage
- Transport et entreposage des échantillons
- Choix de l’eau témoin/de dilution
- Préparation des solutions
- Observations au cours de l’essai
- Mesures au cours de l’essai
- Paramètres
↓
Eaux réceptrices
- Récipients et étiquetage
- Transport et entreposage des échantillons
- Choix de l’eau témoin/de dilution
- Préparation des solutions
- Observations au cours de l’essai
- Mesures au cours de l’essai
- Paramètres
1.2 Description de l’espèce et emplois antérieurs dans les essais
Lemna minor, appelée couramment lenticule mineure ou lentille d’eau, est une macrophyte aquatique vasculaire de petite taille appartenant à la famille des lemnacées. Les membres de cette famille sont des angiospermes monocotylédones flottant à la surface des eaux calmes ou juste au-dessous (Hillman, 1961). On en compte quatre genres (Spirodela, Lemna, Wolffiella et Wolffia) et, dans le genre Lemna (c.-à-d. les lenticules), quarante espèces dans le monde entier (Wang, 1990). Les deux espèces ordinairement utilisées dans les essais toxicologiques, L. minor et L. gibba, sont bien représentées dans les zones tempérées (Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 1998, 2002).
Ubiquiste, L. minor est présente dans les eaux douces relativement dormantes (étangs, lacs, eaux stagnantes et cours d’eau calmes) et les estuaires des zones tropicales à tempérées (American Public Health Association (APHA) et coll., 1992). C’est une espèce cosmopolite dont la répartition est presque mondiale (Godfrey et Wooten, 1979). En Amérique du Nord, L. minor est l’une des lenticules les plus communes et les plus répandues (Arber, 1963; APHA et coll., 1992). Ses thalles croissent séparément ou en petites grappes (de 3 à 5), sont plats et largement obovales à presque ovales, atteignent de 2 à 4 mm de longueur, sont verts à vert lime et possèdent une radicelle unique qui prend naissance au centre de la face inférieure de la feuille (Hillman, 1961; Godfrey et Wooten, 1979; Newmaster et coll., 1997). La croissance végétative des Lemna se fait par bourgeonnement latéral; elle est plus rapide que celle des autres plantes vasculaires et à fleurs (Hillman, 1961; APHA et coll., 1992). L’annexe E renferme plus de précisions sur la taxinomie, la description, la répartition, l’écologie et la biologie de la reproduction de cette espèce.
Les lenticules sont utilisées dans les essais de détection de la phytotoxicité depuis les années 1930. Elles ont fait partie des espèces qui ont servi à déterminer les effets des premiers herbicides dérivés de l’acide phénoxyacétique (Blackman et Robertson-Cumminghame, 1955). En 1979, la United States Environmental Protection Agency (USEPA) a proposé de considérer L. minor comme une macrophyte aquatique « représentative », utile à l’évaluation de l’innocuité de substances chimiques pour l’environnement (Federal Register, 1979, dans Bishop et Perry, 1981). Ces dernières années, on s’est intéressé de plus en plus à l’utilisation des plantes vasculaires à des fins de surveillance et d’évaluation environnementales, y compris pour les essais phytotoxicologiques en laboratoire (Wang et Freemark, 1995). En plus d’être un composant essentiel des écosystèmes aquatiquesNote de bas de page 3, les macrophytes aquatiques jouent un rôle clé dans l’évaluation, au moyen d’essais phytotoxicologiques, des effets des herbicides sur la végétation aquatique (Wang et Freemark, 1995).
Bon nombre de lois et de lignes directrices importantes élaborées par différents pouvoirs publics désignaient les essais phytotoxicologiques parmi les moyens de surveillance et d’évaluation environnementales (Wang et Freemark, 1995). L’USEPA exige ces essais en vertu de la Federal Insecticide, Fungicide, and Rodenticide Act, y compris un essai de mesure de la croissance de la lenticule. L’essai peut aussi être exigé sous le régime de la Toxic Substances Control Act, dont l’application relève de l’USEPA, et il est facultatif pour les permis du National Pollution Discharge Elimination System (NPDES) en vertu de la U.S. Water Quality Act de 1987 (Wang et Freemark, 1995).
Un essai de mesure de l’inhibition de la croissance de la lenticule mineure, élaboré pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 1998, 2002), a été soumis à une validation interlaboratoires (Sims et coll., 1999) internationale à laquelle ont participé 37 laboratoires d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Extrême-Orient. On a évalué les caractéristiques clés de performance de la méthode d’essai provisoire, notamment la conformité aux critères de qualité essentiels, la répétabilité intralaboratoire et la reproductibilité interlaboratoires. D’après les résultats de l’essai interlaboratoires, dans lequel on a utilisé deux espèces de lenticule (L. minor et L. gibba), les exigences précisées par l’OCDE dans ses lignes directrices provisoires concernant l’inhibition de la croissance de ces espèces ont été respectées dans la plupart des ensembles de données soumis (Sims et coll., 1999). D’autres constatations issues de l’essai interlaboratoires s’appliquent à l’emploi du 3,5-dichlorophénol et du dichromate de potassium comme toxiques de référence.
Les méthodes d’essai avec des lenticules employées en Amérique du Nord et à l’étranger comprennent celles de l’American Public Health Association et coll. (APHA et coll., 1995), de l’American Society for Testing and Materials (ASTM, 1991), de l’USEPA (1996), de l’Association française de normalisation (AFNOR, 1996), de l’Institut des normes de Suède (SIS, 1995), de l’Institut de recherche environnementale appliquée (ITM, 1990). Plus récemment, l’Organisation internationale de normalisation (ISO) a aussi mis au point une méthode d’essai visant l’inhibition de la croissance de L. minor (ISO, 2005).
Les lenticules possèdent de nombreuses qualités propices aux essais toxicologiques en laboratoire et à l’évaluation de la qualité de l’eau des réseaux hydrographiques dulcicoles, notamment :
- une petite tailleNote de bas de page 4;
- une structure relativement simple;
- une croissance rapideNote de bas de page 5 (Hillman, 1961; Smith et Kwan, 1989).
Plusieurs caractéristiques les rendent irremplaçables pour les essais toxicologiques :
- leur multiplication végétative et leurs populations génétiquement homogènes permettent l’emploi de colonies clonales pour toutes les expériences et suppriment les effets dus à la variabilité génétique (Hillman, 1961; Bishop et Perry, 1981; Smith et Kwan, 1989);
- on peut désinfecter et cultiver les lenticules en milieu liquide de même que sur gélose, de façon autotrophe ou hétérotrophe (Hillman, 1961);
- elles peuvent croître indéfiniment en laboratoire, et les conditions contrôlées de température, d’éclairage et de nutrition sont beaucoup plus faciles à maintenir que pour la plupart des autres angiospermes (Hillman, 1961; Wang, 1987);
- leur ratio superficie/volume est élevé, et elles sont presque dépourvues, sinon totalement dépourvues de cuticule sur la face inférieure du thalle qui entre en contact avec la solution d’essai(Bishop et Perry, 1981);
- les lenticules pouvant biomobiliser facilement un certain nombre d’éléments métalliques, elles constituent de bonnes candidates pour la surveillance de la qualité de l’eau, les essais toxicologiques et les essais de biomobilisation en laboratoire (Jenner et Janssen-Mommen, 1989; Smith et Kwan, 1989);
- elles sont particulièrement sensibles aux substances tensio-actives, aux composés hydrophobes et aux substances semblables qui se concentrent à l’interface air-eau (Taraldsen et Norberg-King, 1990; ASTM, 1991);
- contrairement aux solutions utilisées dans les essais toxicologiques avec des algues, les solutions sont renouvelables et l’on peut utiliser des échantillons d’eau usée ou d’eau réceptrice colorées ou troubles (Taraldsen et Norberg-King, 1990; Forrow, 1999).
Comme les Lemna ont d’abord été employées dans des études comparatives de la phytotoxicité, on a déjà décrit un certain nombre de modes opératoires. Leur croissance a été quantifiée au moyen de diverses méthodes, dont la détermination des éléments suivants : nombre de thalles, masse sèche, vitesse de croissance, temps de doublement de la biomasse, pourcentage d’inhibition, superficie des thalles, longueur de la radicelle, teneur en chlorophylle, photosynthèse (Lockhart et Blouw, 1979; Bishop et Perry, 1981; Cowgill et Milazzo, 1989; Wang, 1990; Greenberg et coll., 1992; Huang et coll., 1997). Parmi les espèces ayant été utilisées à des fins expérimentales, on compte L. aequinoctialis, L. major, L. minor, L. gibba, L. paucicostata, L. perpusilla, L. trisulca et L. valdiviana (OCDE, 1998, 2002). De nombreuses variantes expérimentales, notamment la durée de l’essai, le régime (sans renouvellement, à renouvellement intermittent ou continu), le milieu d’essai et de culture, l’intensité lumineuse et la température, ont été examinées et ont fait l’objet de synthèses (v. les annexes C et D).
L’essai d’inhibition de la croissance de L. minor, mis au point par la section de la qualité de l’eau du Saskatchewan Research Council (SRC, 1997), est une modification du mode opératoire de mesure de la toxicité publié par l’APHA et coll. (1995) sous le titre 8211 Duckweed (Proposed). Les principaux changements concernent la composition du milieu (ajout de potassium, stabilisation du pH, élimination de l’EDTA), les méthodes de préculture et l’emploi de cultures axéniques, de même que l’exigence d’une augmentation plus forte de la biomasse au cours de l’essai. La méthode mise au point par le SRC a permis d’évaluer des solutions d’un seul métal ainsi que les eaux usées de mines de métaux (SRC, 1997).
La précision de l’essai semble satisfaisante. Le SRC a montré que les coefficients de variation (CV) intralaboratoire du pourcentage moyen d’inhibition de la biomasse par un toxique de référence, le chrome (Cr), étaient inférieurs à 10 % (Moody, 1998).
L’objet de la présente méthode est d’offrir une méthode canadienne « normalisée » pour l’estimation de la toxicité de diverses substances ou matières présentes dans l’eau douce à l’aide de L. minor. Si les autres méthodes publiées (v. l’annexe C) pour la réalisation de cet essai ont pu être limitées à certains types de substances ou matières, la présente méthode est destinée à l’évaluation de la toxicité sublétale de substances chimiques, d’effluents, de lixiviats, d’élutriats et d’eaux réceptrices. Les conditions générales de culture et d’essai ainsi que les modes opératoires généraux correspondent en grande partie à ceux élaborés par le SRC (1997); on a procédé à des modifications utiles et à une harmonisation avec les méthodes de l’OCDE (OCDE, 1998, 2002), de l’ISO (2005) et d’autres méthodes. Le document donne la justification du choix de certaines approches.
La méthode est destinée à être utilisée avec L. minor acclimatée à l’eau douce, avec de l’eau douce comme eau de dilution et eau témoin, de même qu’avec des effluents, des lixiviats ou des élutriats qui sont essentiellement constitués d’eau douce (c.-à-d. d’une salinité d’au plus 10 g/kg) ou qui sont salés mais destinés à être rejetés dans l’eau douce. Son application peut prendre diverses formes, mais elle comprend des cas où l’effet ou les effets réels ou potentiels de substances ou de matières sur le milieu dulcicole font l’objet d’un examen. D’autres essais, au moyen d’autres espèces acclimatées à l’eau de mer, peuvent servir à évaluer l’effet ou les effets réels ou potentiels de substances ou de matières dans les milieux estuariens ou marins ou à évaluer une eau usée dont la salinité est supérieure à 10 g/kg.
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